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LES RELATIONS PRÉCOCES ENTRE LA MÈRE ET L'ENFANT : LA THÉORIE

DE LA RELATION D'OBJET SELON FAIRBAIRN

Sabine Vuaillat

Médecine & Hygiène | « Devenir »

2003/3 Vol. 15 | pages 289 à 299


ISSN 1015-8154
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Réflexion
Les relations précoces entre la mère
et l’enfant: la théorie de la relation
d’objet selon Fairbairn
Mother child early relationships:
Fairbairn’s object-relations theory
Sabine Vuaillat1

Introduction
La théorie de l’attachement et la théorie
des relations d’objet
La théorie de l’attachement suscite actuellement un grand intérêt
(comme en témoignent le livre collectif Sexualité infantile et attachement [1],
et le livre récent de N. et A. Guedeney [2]). Cette théorie, formalisée par
Bowlby, a pourtant pris naissance à partir d’autres théories préexis-
tantes. La théorie des relations d’objet proposée par Fairbairn dans les
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années quarante est l’une de celle qui a marqué Bowlby, à laquelle il fait
référence dans ses livres. Fairbairn « centre sa psychopathologie sur la
relation de l’enfant à la mère » 1 nous dit Bowlby, frappé surtout par la
volonté de Fairbairn d’expliquer l’attachement de l’enfant à sa mère.
Les textes de Fairbairn, pourtant, ne sont pas exclusivement consacrés à
la relation entre la mère et l’enfant (ses patients sont des adultes), mais
il s’interroge sérieusement sur le lien entre la mère et l’enfant à travers
ce que lui font vivre ses patients. Si Bowlby ira observer directement les
interactions entre l’enfant et sa mère, c’est sans doute parce qu’il aura
lu, entre autres théories, celle de Fairbairn. C’est un point également
souligné par Peter Fonagy, dans son livre « Attachement theory and psy-
choanalysis » [3] ; lorsqu’il précise les points de convergence et de diver-
gence entre la théorie de l’attachement et celle de la relation d’objet.
1 Psychologue
Nous nous proposons dans cet article de reprendre les étapes impor- 22, bd Richard Lenoir
tantes de la théorie originale de Fairbairn en privilégiant l’angle des F-75011 Paris

relations précoces mère/enfant.


2 J. Bowlby, Attachement
et perte, vol. 1, L’attache-
ment [4], p. 491.
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Présentation générale de Fairbairn et de sa théorie


Fairbairn a travaillé en tant que « médecin-psychologue » dans une « cli-
nique psychologique pour enfants » entre 1927 et 1935. Les textes dans
lesquels il évoque sa clinique de médecin-psychologue insistent déjà sur
l’importance du lien entre la mère et l’enfant: les mères trop aimantes
ou trop frustrantes, défaillantes et le sentiment que peut avoir l’enfant
de se sentir abandonné [deserted]… Il évoque également l’importance
de l’imagination et du fantasme chez l’enfant, et certaines phrases préfi-
gurent les écrits ultérieurs de Winnicott : par exemple, le jeu est un
tremplin [stepping stone, pierre de gué] entre le monde du phantasme et
celui de la réalité. Dans ces articles, [5,6,7], deux thèmes particuliers
affleurent souvent : frustration, persécution, qui, au-delà d’autres
thèmes plus œdipiens ou plus classiques, annoncent l’exploration ulté-
rieure par Fairbairn de niveaux plus archaïques.
En effet, la suite de sa théorie, si elle s’élabore dans les années 1940
à partir de la clinique avec des patients adultes, est pourtant d’un grand
intérêt en ce qui concerne le lien précoce entre la mère et l’enfant. Les
patients de Fairbairn sont en effet difficiles, des « personnalités schi-
zoïdes », enfermés en eux-mêmes et pouvant difficilement diriger des
émotions vers l’autre. La vie psychique, avec ses mouvements, ses
colères, ses amours, en un mot la vie pulsionnelle, paraît étrangement
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absente de ces patients. Ces derniers sont préoccupés par un intérieur
secret qu’ils semblent cacher à l’analyste.
Fairbairn alors, sans le savoir sans doute, est l’un des premiers à ten-
ter d’élaborer autour de ce qui deviendra les états-limites; l’un des pre-
miers (sans doute stimulé par la lecture de l’œuvre de Melanie Klein) à
faire le lien entre ces états aux limites de l’analysable et le lien précoce
entre la mère et l’enfant. Relativement isolé à Edimbourg, sa théorie
aura un retentissement tout d’abord limité en Grande-Bretagne et res-
tera ignorée de la plupart des psychanalystes français. Bowlby pourtant,
qui rencontrera Fairbairn pendant la seconde guerre mondiale, recon-
naît l’influence qu’aura ce dernier dans l’élaboration de la théorie de la
relation d’objet.

Plan
Nous examinerons les deux étapes principales de la théorie de Fair-
bairn, lorsqu’il relie la psychopathologie des états-limites aux relations
précoces entre la mère et l’enfant.
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Fairbairn et l’attachement
La première étape se situe en 1940 [8] : le bébé vit son amour comme
destructeur. Il en gardera des traces traumatiques profondes. Fairbairn
évoque ici l’extrême danger qu’il y a à se lier à un objet, la mère, et le
sentiment de manque profond qui en découle.
Mais Fairbairn propose ensuite, lors d’une seconde étape, de consi-
dérer le lien entre la mère et l’enfant et propose la théorie de la relation
d’objet : Fairbairn propose de remplacer l’idée que la libido est à la
recherche du plaisir (pleasure seeking) par l’idée que la libido est sur-
tout à la recherche de l’objet (object-seeking).
Nous donnerons ensuite un aperçu des réactions à la théorie de Fair-
bairn, réactions qui questionnent ce lien très précoce entre la mère et
l’enfant.
Nous dégagerons ensuite ce qui nous semble être l’intérêt même de
la théorie de Fairbairn: cette théorie a pu être un lieu d’élaboration de
mouvements psychiques très archaïques de patients adultes.

La relation insatisfaisante à la mère


Pour ces patients qui cèlent leur intérieur, dont on ne sait ce qu’il
contient; pour ces patients qui semblent ne pouvoir adresser de trans-
fert vers l’analyste, Fairbairn considère que la relation précoce à la
mère a été profondément insatisfaisante. Pour une raison ou pour une
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autre, la mère n’a pu aimer son bébé comme une personne distincte :
qu’elle soit indifférente, qu’elle soit trop possessive ou qu’elle ait consi-
déré son nourrisson comme une partie valorisée ou dévalorisée d’elle-
même, le bébé n’a pu se sentir aimé pour lui-même. Les mouvements
d’amour du bébé n’étaient pas accueillis et se déversaient dans un vide
effrayant.
Fairbairn propose de considérer le modèle de la tétée : avant la
tétée, le sein est plein. Le bébé a faim, il se sent sans doute vide. Après
la tétée, le bébé se sent sans doute plein, comblé et le sein est vide. Mais
en cas de manque, de relation non satisfaisante à la mère, le vide prend
un sens particulier pour l’enfant: non seulement il se sent vide, mais il
interprète cette situation comme s’il avait vidé la mère. « L’angoisse
qu’il ressent d’avoir vidé le sein fait naître l’angoisse d’avoir détruit
l’objet libidinal » ( [8], p. 12). Le lecteur a le sentiment que la mère, le sein
et le lait sont confondus par le bébé (mais Fairbairn fait parfois lui-
même la confusion dans l’article, trop proche du discours des
patients?). Avoir vidé le sein de la mère, c’est aussi l’avoir détruit, et ce,
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d’autant plus que la mère ne se maintient pas dans une relation de per-
sonne à personne avec le nourrisson, d’autant plus qu’elle n’estime pas
l’amour de son bébé et ne le reçoit pas comme étant bon.
Cette situation précoce peut réapparaître plus tard, au niveau des
sentiments : « l’enfant pense alors que la raison du manque apparent
d’amour de la mère pour lui est qu’il a détruit et fait disparaître son
affection. En même temps, il croit que la raison maternelle de refuser
apparemment son amour est que son propre amour est destructeur et
mauvais » ( [8], p. 25). Et Fairbairn de distinguer soigneusement l’enfant
qui croit que son amour est destructeur (enfant qui deviendra un indi-
vidu schizoïde) et l’enfant qui croit que c’est sa haine qui est destruc-
trice (il deviendra un individu dépressif).
Melanie Klein, [9], dans un article réagissant à celui de Fairbairn,
estime que Fairbairn sous-estime le rôle de l’agressivité et de la haine
dès le début de la vie, en gommant l’importance de l’angoisse face à ces
pulsions destructrices. La peur de celles-ci, de la pulsion de mort est
ainsi mise au premier plan dans l’article de M. Klein, qui néglige nous
semble-t-il une intuition forte de Fairbairn. Certes, on peut imaginer
que les pulsions sadiques-orales dirigées contre le sein de la mère sont
actives dès le début de la vie. Pourtant Fairbairn, lorsqu’il évoque le
sentiment du bébé que son amour est destructeur, nous semble perce-
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voir le danger que recèle toute tentative de se lier à l’objet. Au-delà des
pulsions sadiques, agressives, de mort, c’est la pulsion en elle-même qui
recèle un danger, de par le risque d’effraction de soi, mais aussi de
l’autre (du sein, de la mère, etc.). Un danger très paradoxal puisque
c’est dans le mouvement même qui conduit l’être humain (à tous âges) à
chercher à se lier à l’autre que le risque de destruction (de soi, de
l’autre) est majoré. Le vide, la réponse non satisfaisante (parfois la
réponse inadéquate: Fairbairn évoque les mères possessives, Winnicott
parlerait d’empiétements de l’environnement du bébé), l’absence de
lien authentique de personne à personne vient douloureusement faire
sentir à l’enfant le danger d’adresser ses pulsions vers l’extérieur. Le
repli sur soi narcissique est la seule réponse. L’enfant élabore un monde
interne clos sur lui-même, ignorant l’autre ressenti comme éminemment
douloureux (la notion de système clos instauré par le patient sera élabo-
rée par Fairbairn en 1958 [10] ).
Fairbairn explore donc dans ce texte les liens très douloureux entre
la mère et l’enfant, tels qu’ils apparaissent dans le discours de ses
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Fairbairn et l’attachement
patients: lien caractérisé par un profond sentiment de manque, puisque
l’amour a détruit l’objet.

La théorie de la relation d’objet


Fairbairn ira plus loin : dans ses articles ultérieurs, la relation d’objet
deviendra le centre de ses articles. Paradoxe: c’est en s’intéressant de
plus près à ces patients refusant le lien à l’analyste (sauf celui d’être
physiquement présent en séance, à défaut de l’être psychiquement) que
Fairbairn théorisera l’importance de la relation d’objet. C’est comme si
le manque en séance venait révéler la cruelle nécessité de ce lien. On
l’oublie souvent, mais Fairbairn est l’un des premiers à proposer de
remplacer la théorie des pulsions par celle de la relation d’objet, en
opposition à Freud (sans doute cela a-t-il contribué à l’ignorance dans
laquelle il a été laissé pendant des années). La critique de Lacan [11], en
France, a renforcé certainement cet oubli.
Pour Fairbairn, la pulsion est avant tout à la recherche de l’objet. Il
dira en 1946 [12] en choisissant la métaphore de l’oiseau qui construit
son nid « un nid n’est pas moins un objet pour un oiseau que ne l’est une
maison pour un homme, parce que c’est un objet qui doit être construit.
C’est un objet qui est recherché, même si, pour être trouvé, il doit
d’abord être fabriqué » ( [12], p. 151). Le nourrisson est d’emblée à la
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recherche d’un objet même si cet objet doit se construire.
Ainsi, d’emblée, la pulsion est à la recherche de l’objet, même si l’ob-
jet n’est pas encore très clairement distingué de l’enfant qui l’investit:
Fairbairn propose une histoire du développement des relations d’objet,
développement qui permet peu à peu que l’objet soit différencié du sujet
qui investit. Le premier stade est le stade de dépendance infantile, carac-
térisé par l’attitude de prendre, mais l’objet n’est pas encore différencié
du sujet investisseur. Vient ensuite le stade transitionnel, où l’enfant se
distingue de l’objet en l’expulsant également, et enfin le stade de dépen-
dance mature, caractérisé surtout par la capacité pour un individu diffé-
rencié d’avoir des relations avec des objets différenciés.
La pulsion est à la recherche de l’objet, mais que devient le plaisir?
Dans la théorie de Fairbairn, le plaisir devient le signe indicateur de
l’objet. C’est ainsi qu’à la question « Pourquoi le bébé suce-t-il son
pouce?», Fairbairn estime que répondre « Parce que sa bouche est une
zone érogène et que la succion lui procure un plaisir érotique » est à
côté de la question. Le bébé suce son pouce parce qu’il n’a pas de sein à
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téter. « C’est une technique pour répondre à une relation d’objet insatis-
faisante.» ( [13], p. 34). Certes, la confusion existe dans les textes de Fair-
bairn : nous ne savons pas toujours si Fairbairn parle des vicissitudes
inhérentes aux soins d’un enfant ou s’il s’agit d’un trouble véritable
dans l’éducation.
Fairbairn théorisera cette notion de la relation d’objet en avançant
que, dans le cas de réaction thérapeutique négative, la pulsion est à la
recherche d’un objet souvent mauvais, refoulé. C’est ce lien mortifère à
l’objet qui doit être interprété, et non la culpabilité, ce qui peut renfor-
cer le refoulement des mauvais objets : tenter de soulager un enfant
maltraité de sa culpabilité à être mauvais, c’est méconnaître le fait qu’il
puisse désirer être mauvais pour éviter de devoir reconnaître que ce
sont ses parents qui sont mauvais.
Mais Fairbairn ira plus loin [14] : l’objet excessivement frustrant,
excessivement excitant est refoulé. Pour Fairbairn, c’est lors des vicissi-
tudes du lien avec l’objet externe (et dans le cas du petit enfant, il s’agit
de la mère) qu’une internalisation s’effectue. Ces objets frustrant et
excitant sont ensuite refoulés, en relation avec des parties du moi elles-
mêmes refoulées. Un monde interne complexe d’objet s’édifie, retra-
vaillé par l’activité fantasmatique du patient. Fairbairn n’est pas tou-
jours aussi clair, mais c’est l’inadéquation avec le monde extérieur qui
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crée, à partir du moi unitaire postulé par Fairbairn, un monde interne
qui se clive. Nous avons soutenu, dans notre travail de doctorat, que
Fairbairn, à partir de l’absence apparente de mouvement transférentiel
chez les patients adultes repliés sur eux-mêmes, tentait de bâtir, d’imagi-
ner le monde interne qui se dérobait à lui avant d’aborder la question
du transfert proprement dit (plus palpable dans les textes à partir des
années 1950).
Dans un texte de 1954, [15], en effet, les mouvements transférentiels
des patients apparaissent davantage. Mais ce que nous soulignerons sur-
tout dans ces articles, c’est l’intérêt que porte Fairbairn au corps du
bébé, un corps libidinal qui porte la marque des vicissitudes de la rela-
tion avec les parents (et si Fairbairn explicitement mentionne la mère,
le père est sans cesse présent dans ses exemples). A la différence de
Winnicott, ce ne sont pas les soins « suffisamment bons » qui sont évo-
qués (handling, holding…) mais les expériences traumatiques, les soins
qui malmènent le corps du bébé (Fairbairn donne les exemples, entre
autres, des lavements à répétition, des difficultés de l’allaitement). Si la
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relation est difficile, alors la charge libidinale, qui ne peut investir de
manière satisfaisante un objet, choisit de se décharger dans une partie
du corps (d’où la conversion hystérique).
La théorie de la relation d’objet vient ainsi combler le manque pro-
fond constaté par Fairbairn dans le discours des patients lors de la pre-
mière étape de sa théorie: puisque le lien peut être autant destructeur et
manquer autant, c’est que l’objet est éminemment important, c’est que
la relation précoce à la mère est primordiale.

Aperçu des réactions


autour de la théorie de Fairbairn
En ce qui concerne les relations précoces entre la mère et le bébé, objet
de notre article, la conception de Fairbairn fut sévèrement critiquée.
Stephen [16], par exemple, estime que Fairbairn attribue au petit enfant
une opinion très sophistiquée du monde extérieur. Pour Stephen, la
mère n’est pas isolée comme un objet, mais par ses qualités émotives.
Le bébé ne peut, selon lui réunir la « bonne mère » et la « mauvaise
mère » en une seule et même personne. C’est-à-dire qu’il est soumis au
principe de plaisir. Stephen réfute l’idée que la recherche de l’objet
puisse survenir aussi tôt dans la vie psychique de l’enfant. Est-ce à lui
que Fairbairn répondra un an plus tard en disant que l’objet est recher-
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ché même si avant d’être trouvé, il doit être construit?
La critique de Winnicott et M. Khan [17] ira dans le même sens
(même si par ailleurs ils considèrent que le livre de Fairbairn est une
contribution de valeur): Fairbairn envisage trop l’enfant comme un tout
qui expérimente la relation au sein comme un objet séparé de lui, un
objet à propos duquel il a des idées compliquées. Ils pointent la contra-
diction interne à l’œuvre de Fairbairn: ce dernier évoque également le
« stade de la dépendance infantile », dans lequel l’enfant investit un
objet qui n’a pas encore été différencié de lui-même. Or si « l’objet n’a
pas été différencié, il ne peut opérer comme un objet » disent Winnicott
et M. Khan. Fairbairn se réfère alors à un enfant avec des besoins,
recherchant un soulagement de ses tensions libidinales. La mère du
patient schizoïde qui ne lui donne pas l’impression de l’aimer serait une
mère qui ne peut venir à la rencontre des besoins de l’enfant.
Bowlby, rappelle Widlöcher [18], relancera le débat en proposant la
théorie de l’attachement [4]. Widlöcher tentera de concilier les deux
approches: la sexualité infantile est une activité créatrice auto-érotique.
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Elle reprend sur un mode hallucinatoire une expérience physique et


relationnelle de satisfaction, expérience qui a accompagné les conduites
d’attachement.
Les critiques reprocheront à la théorie des relations d’objet de Fair-
bairn de rendre le psychisme de l’enfant trop sophistiqué. Widlöcher
semble indiquer que les expériences d’attachement existent bel et bien,
mais ce n’est que dans un second temps que l’activité fantasmatique se
saisit de ces expériences et que l’on peut alors parler de relation d’objet.
Deux niveaux distincts existent donc: celui de l’attachement, celui des
relations d’objet. La théorie de Fairbairn a peut-être influencée celle de
Bowlby, mais ce sont deux théories différentes, abordant une même
question (celle du lien entre la mère et l’enfant) de façon différente. En
effet Bowlby a pratiqué l’observation directe des interactions
mère/bébé, Fairbairn a eu besoin d’évoquer les relations précoces mère-
enfant à partir du discours de patients adultes.
Peter Fonagy souligne dans son livre [3] que la théorie de l’attache-
ment rend certes compte de la répétition des patterns de comportement
précoce, mais élude une question: celle de l’incapacité des individus à
abandonner des modèles mal adaptés. Fairbairn en revanche rend
compte de manière dynamique de la persistance de ces modèles
internes: il y a attachement à ces modèles internes, construits précoce-
ment car se détacher de ces modèles serait se déverser dans un vide ou
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se sentir coupable d’abandonner ses mauvais objets. Autrement dit,
Fairbairn, à partir de sa clinique avec des patients adultes a construit
une théorie sur le monde intrapsychique du patient qui continuera à
déterminer sa vie ultérieurement, alors que la théorie de l’attachement,
dans une observation plus directe de ce qui se passe entre la mère et
l’enfant, évoque peu les objets internes qui continueront de marquer les
relations intra-psychiques et interpersonnelles.

L’importance de la théorie
de Fairbairn aujourd’hui
Il est difficile d’affirmer avec certitude, à partir de l’étude de l’œuvre de
Fairbairn, si ses hypothèses (rappelons que ces hypothèses sont
construites à partir d’une clinique avec des patients adultes) sur les rela-
tions précoces mère/enfant sont justes. Il a postulé qu’un tel trouble
dans la relation entre le patient et l’analyste avait ses racines à des
niveaux très archaïques. L’histoire qu’il a construite à partir du matériel
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Fairbairn et l’attachement
des patients fait donc appel aux relations précoces entre la mère et l’en-
fant. Est-ce une histoire objectivement vraie, fausse? Les théoriciens de
l’attachement tendront à apporter des preuves, sans le vouloir peut-
être. La question n’est cependant peut-être pas là en ce qui concerne la
théorie de Fairbairn, mais dans la reconnaissance de ce que les patients
lui font vivre.
Dans notre recherche sur Fairbairn, nous avons préféré interroger la
fonction même de sa théorie. Fairbairn, confronté à des patients diffi-
ciles qui se dérobaient à lui et fonctionnaient en vase clos, aurait utilisé,
sans doute sans le savoir, sa théorie comme un vaste champ d’élabora-
tion afin de relancer l’activité fantasmatique de ces patients si secrets.
Plus exactement, il construit une théorie autour de ce manque que les
patients lui font vivre, il construit un monde interne que l’on pourrait
qualifier de fantasmatique (ce monde complexe d’objet et de parties du
moi en relation les uns avec les autres). Il construit une histoire des liens
précoces avec la mère. Autrement dit, le passage par les relations pré-
coces orales entre la mère et l’enfant est un passage incontournable
avant d’aborder et d’articuler par la suite au sein de sa théorie des
thèmes très différents. Plus tard en effet, il revient sur l’importance de la
scène primitive (à propos de Schreber justement dont le délire imagine
toutes sortes de naissance possible sans scène primitive à un niveau
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génital) [19], du père qui réapparaît dans ses textes [15], l’importance de
se dégager des « systèmes clos » [10] (de dualité, pourrait-on ajouter)
dans lesquels les patients nous enferment.
Et c’est ce point qui retiendra notre attention: nous reprendrons la
critique de Pontalis [20] de l’article de Fairbairn de 1940. Fairbairn, au
début des années 1940, imagine un psychisme très proche du corps,
nourrisson vide, incorporant et devenant plein, rejetant, expulsant le
mauvais. Fairbairn plonge dans l’archaïque, dans ces moments où les
questions de survie sont seules acceptables, dans ces moments où l’exis-
tence de soi et de l’objet est éminemment fragile et où le psychisme se
calque sur le fonctionnement corporel. Ce qui est remarquable, c’est le
mouvement ultérieur de l’œuvre de Fairbairn: cette plongée dans l’ar-
chaïque n’empêche pas, et semble au contraire relancer une transforma-
tion, un mouvement du psychisme qui non seulement devient peuplé
d’objets (rejeté, accepté ou excitant, frustrant, la terminologie change),
mais également abordera des questions plus œdipiennes.
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Conclusion
Peut-être que considérer l’œuvre de Fairbairn de manière purement ana-
lytique, comme un discours à analyser, est en méconnaître d’autres
aspects. Mais cela nous permet de saisir le mouvement de son œuvre et
par là même le mouvement peut-être de ses patients en analyse, recons-
truisant leur histoire. Jamais dans son œuvre élaborée à partir de la cli-
nique d’adultes, nous ne pouvons être certains de pouvoir saisir sur le vif
le mouvement même du développement du psychisme chez le nourris-
son. Et pourtant, l’œuvre de Fairbairn, qui précède les travaux des théo-
riciens de l’attachement (Bowlby en particulier), a ouvert la voie à l’inté-
rêt pour les relations entre la mère et l’enfant (non seulement relations à
la mère interne comme tendait à le faire Melanie Klein, mais Fairbairn
oscille davantage entre une mère interne, fantasmatique, et une mère
réellement possessive ou défaillante). Fairbairn a ainsi apporté une
Résumé
L’intérêt pour les relations
contribution à la réflexion sur les relations précoces entre la mère et l’en-
précoces mère/enfant a son fant: il a élaboré, pensé ce développement, tenté de mettre du sens à ce
histoire et la théorie de la qu’il ressentait en séance et il a opéré comme la rêverie maternelle de
relation d’objet de Fairbairn Bion, en digérant les éléments ß envoyés par la clinique…
en est un des jalons. A partir
d’une clinique d’adultes, (Article reçu en septembre 2002, accepté avril 2003)

Fairbairn interroge les rela-


tions précoces insatisfai-
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sante avec la mère, relations
Références
qui donnent le sentiment
[1] ANDRÉ J., (textes réunis par) : Sexualité infantile et attachement, PUF, Paris, 2000.
qu’adresser son amour
[2] GUEDENEY N, GUEDENEY A. : L’attachement, Masson, Paris, 2002.
détruit la mère. Mais Fair- [3] FONAGY P. : Attachement and Psychonanalysis, Other Press, New York, 2001.
bairn ira plus loin : la libido [4] BOWLBY J. : Attachement et perte, vol 1 : L’attachement, PUF, Paris, 1992.
n’est plus à la recherche du [5] FAIRBAIRN W.R.D : « Arms and the child » in SCHARFF D.E. et FAIRBAIRN BIRTLES E.
plaisir, mais de l’objet. Cette (textes rassemblés par) From instinct to self, Selected Papers of W.R.D Fairbairn, vol 2, Jason
théorie fut contestée par des Aronson, Northwale, 1994, p. 327-332.
critiques mais, selon nous, [6] FAIRBAIRN W.R.D : « A critique of educationnal aims : a medical psychologist’s reflections on
Fairbairn a construit une his- education », in SCHARFF D.E. et FAIRBAIRN BIRTLES E. (textes rassemblés par) From instinct
to self, selected papers of W.R.D Fairbairn, vol 2, Jason Aronson, Northwale, 1994, p. 333-349.
toire des liens précoces avec
[7] FAIRBAIRN W.R.D : « Psychoanalysis of the teacher », in SCHARFF D.E. et FAIRBAIRN
la mère, à partir d’une cli-
BIRTLES E. (textes rassemblés par) From instinct to self, selected papers of W.R.D Fairbairn,
nique avec des adultes, et a
vol 2, Jason Aronson, Northwale, 1994, p. 350-362.
ouvert la voie à l’intérêt pour
[8] FAIRBAIRN W.R.D. : « Les facteurs schizoïdes dans la personnalité », in FAIRBAIRN W.R.D.,
les relations précoces entre
Etudes psychanalytiques de la personnalité, Editions du monde interne, Paris, 1998, p. 3-27.
la mère et l’enfant.
[9] KLEIN M. : « Notes sur quelques mécanismes schizoïdes », in RIVIÈRE J. (sous la direction
de) Développements de la psychanalyse, PUF, Paris, 1966, p. 274-300.
Mots-clés [10] FAIRBAIRN W.R.D. : « On the nature and aims of psychoanalytical treatment », in SCHARFF
Fairbairn. D.E. et FAIRBAIRN BIRTLES E. (textes rassemblés par) From instinct to self, selected papers of
Relations précoces W.R.D Fairbairn, vol 2, Jason Aronson, Northwale, 1994, p. 74-92.
mère-enfant.
Théorie psychanalytique
de la relation d’objet.
devenir–3_vuaillat.qxd 07.09.2006 11:45 Page 299

299

[11] LACAN J. : Le Séminaire 2, Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psy-
chanalyse, Seuil, Paris, 1978.
[12] FAIRBAIRN W.R.D. : « Les relations d’objet et la structure dynamique », in FAIRBAIRN,
W.R.D. Etudes psychanalytiques de la personnalité, Editions du monde interne, Paris, 1998,
p. 147-162.
[13] FAIRBAIRN W.R.D. : « Une psychopathologie révisée des psychoses et psychonévroses »,
in FAIRBAIRN, W.R.D. Etudes psychanalytiques de la personnalité, Editions du monde interne,
Paris, 1998, p. 29-60.
[14] FAIRBAIRN W.R.D. : « La structure endopsychique en fonction des relations d’objet », in
FAIRBAIRN, W.R.D. Etudes psychanalytiques de la personnalité, Editions du monde interne,
Paris, 1998, p. 87-146.
[15] FAIRBAIRN W.R.D. : « Observations sur la nature des états hystériques », Revue Française
de Psychanalyse, avril-juin 1997 ; 61 (2): 575-603.
[16] STEPHEN A. : « A note on ambivalence », International journal of psycho-analysis, 1945, 26,
p. 55-58.
[17] WINNICOTT D., KHAN M. : Review of Fairbairn’s book : Psychoanalytic studies of the per-
sonnality, International Journal of Psychoanalysis, 1953 ; 34 : 329-333.
[18] WIDLOCHER D. : « Amour primaire et sexualité infantile: un débat de toujours », in [1], p. 1-55. Summary
[19] FAIRBAIRN W.R.D. : « Considérations au sujet du cas Schreber » in PRADO DE OLIVEIRA, The interest in early relation-
E : Le cas Schreber, contributions psychanalytiques de langue anglaise, PUF, Paris, 1979. ships between mother and
[20] PONTALIS J-B. : Le psychisme comme double métaphore du corps, Nouvelle Revue de
child has its history and Fair-
Psychanalyse, 1974 ; 10 : 56-59.
bairn’s object-relations the-
ory is one of the steps of this
history. From a clinical expe-
rience with adults, Fairbairn
examines unsatisfying early
relationships with the
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mother : these relations gives
the feeling that addressing
his love to the mother
destroys her. But Fairbairn
will go further : libido isn’t
pleasure-seeking anymore,
but object-seeking. His the-
ory was questioned by critics
but we believe that Fairbairn
has constructed an history of
early links with the mother,
from an experience with
adults and has leaded the
way for thinking about early
relationships between
mother and child.

Keywords
Fairbairn.
Early between mother child
relationships.
Psychoanalytic theory
of object-relations.

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