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Une brève histoire du harcèlement en milieu scolaire

par Jean Pierre BELLON, professeur de philosophie,


Lycée Ambroise-Brugière, Clermont-Ferrand.

Peu de lecteurs français connaissent le nom de Thomas Hughes 1


(1822-1896).
Aucun de ses ouvrages n’est, en effet, disponible dans notre langue. Il arrive cependant
que son nom soit parfois cité dans les encyclopédies du sport. Thomas Hughes fut élève
au Collège de Rugby quelques années après qu’un jour de novembre 1823, un potache
indiscipliné jouant au football eut l’idée de s’emparer du ballon avec les mains et de
l’emporter serré contre sa poitrine en courant vers les buts. Dans ce bel édifice datant
du XVIème siècle, l’élève William Webb Ellis venait de révolutionner l’histoire du sport.
Lorsque le révérend Thomas Arnold (1795-1842) prend en 1828 la direction du Collège
de Rugby, il y entreprend une vaste réforme des études en accordant une très large place
à la pratique sportive. Contrairement aux thèses qui prévalent en France avant l’action
de Pierre de Coubertin et qui voient dans le sport le moyen de «faire des ignares, des
cardiaques, des éclopés et des brutes», selon la formule définitive prononcée par
Maurice Barrès en 1892, Thomas Arnold reconnaît au rugby de puissantes vertus éducatives
propres à développer le self-government et à lutter contre l’indiscipline.
Thomas Hughes rédige en 1856 Tom Brown’s schoodays2 , un récit en grande partie
autobiographique dans lequel il relate ses années de collège à Rugby. L’ouvrage est un
hommage aux méthodes éducatives de Thomas Arnold, de longs passages sont consacrés
à une apologie de ce sport naissant qu’on nomme à l’époque le football-rugby. Les récits
de matchs sont nombreux, l’ensemble est très moralisateur et un rien ennuyeux pour le
lecteur contemporain, mais Tom Brown’s schoodays reste incontestablement une œuvre
très forte.

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Du harcèlement
en milieu
à la violence
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Hughes appartient à ce mouvement de chrétiens socialistes et réformateurs, dont les
marxistes diront le plus grand mal, et qui, sous l’influence de Charles Kingsley,promoteur
du Muscular Christianity, considérait que l’Eglise devait s’impliquer dans les questions
sociales et s’efforcer d’éduquer la classe ouvrière afin d’éviter l’emprise des thèses
révolutionnaires. Le projet de Thomas Hughes est, en effet, d’élargir et de démocratiser
l’œuvre éducative de Thomas Arnold. Si le rugby est, comme on l’a dit, un sport de
voyou joué par des gentlemen, pourquoi ne pas le faire jouer par des voyous afin de
tenter d’en faire des gentlemen ?

Flashman, le premier portrait de l’élève harceleur.

L’effet éducatif du rugby peut à première vue sembler paradoxal. Pierre de


Coubertin, fervent admirateur de l’œuvre de Thomas Arnold et lecteur attentif de Tom
Brown’s schoodays l’a bien remarqué. «Il est impossible, écrit-il, au spectateur qui n’est pas
«au courant» de comprendre quelque chose à ce qui se passe sous ses yeux. Il voit une
mêlée, des bras, des jambes enchevêtrées, des poitrines qui se heurtent, des mains qui se
crispent, toute une série d’efforts auxquels il s’intéressera s’il est peintre ou sculpteur, qui
lui feront horreur s’il est pédagogue ou simplement s’il a l’âme sensible. Comment en face
de ce travail intense des muscles, la pensée lui viendrait-elle que des forces intellectuelles
et morales sont, au même moment, mises à contribution?» Le rugby impose à ceux qui le
pratiquent des «décisions à prendre qui exigent du coup d’œil et du sang-froid, de
l’abnégation même, car il faut souvent renoncer à accomplir une prouesse individuelle
dans l’intérêt de l’équipe, se dessaisir du ballon au moment de tenter soi-même un essai
parce qu’un autre est mieux à même d’y réussir […] Ce qui est admirable dans le rugby,
c’est le perpétuel mélange d’individualisme et de discipline, la nécessité pour chaque
homme de raisonner, de calculer, de se décider pour lui-même et en même temps de
subordonner ses raisonnements, ses calculs, ses décisions à ceux du capitaine. Il n’est pas
jusqu’au sifflet de l’arbitre l’arrêtant pour une faute qu’un camarade a commise et qu’il
n’a pas même aperçue, qui n’exerce sa patience et sa force de caractère, Ainsi compris,

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le rugby est, par excellence, l’image de la vie, une leçon de choses vécue, un instrument
pédagogique de premier ordre .3»
Le mérite reconnu à ce nouveau sport par Hughes comme par de Coubertin est
la rencontre avec la loi commune, le sens de la discipline et le respect d’autrui.Mais
inévitablement il se trouvera des individus que ces efforts rebuteront et qui tenteront
sournoisement de détourner la règle. Aussi voit-on apparaître, au détour de quelques
chapitres du long roman de Hughes, l’énigmatique figure du personnage de Flashman.
C’est à son propos que Thomas Hughes utilisera pour la première fois le terme de
bullier, qui désigne ordinairement le comportement des jeunes veaux qui ne cessent
de donner des coups de tête dans les flancs ou sur le crâne de leurs congénères.
Flashman est un personnage au départ fort sympathique et très populaire auprès de
ses camarades. Doué d’un charisme évident, il possède un sens inné qui lui permet de
se faire bien voir de ses maîtres. Mais derrière ces apparences séduisantes Flashman
possède une personnalité complexe. Au dehors il semble drôle et un volontiers taquin.
Ses facéties ne paraissent jamais méchantes à ses éducateurs qui croient reconnaître en
lui l’âme d’un leader. Mais la réalité est bien moins plaisante. Flashman est un pervers :
totalement indifférent à la souffrance d’autrui, il prend même du plaisir à persécuter les
élèves plus faibles que lui, sitôt que les adultes ont tourné le dos. Une scène assez forte
du roman de Hughes le décrit en train de mettre le feu aux vêtements de Tom Brown qui
manque de peu d’être immolé. Quand un adulte surgit et s’interroge sur cette étrange
odeur de brûlé qui se dégage du lieu, Flashman d’un regard impose le silence à tous
les collégiens. Personne n’a rien vu, personne, et surtout pas la victime, ne dira rien.
Tom Brown’s Schooldays nous transporte au cœur des rites de l’école anglaise du
XIXème siècle. L’établissement de Rugby est divisé en «maisons» dont la responsabilité
de chacune est confiée à un «préfet», un élève plus ancien que les autres auquel les
plus jeunes doivent obéissance et qui, en forgeant l’esprit d’équipe et le sens de la
discipline des cadets, doit garantir la bonne tenue de sa «maison». La règle qu’imposent
les «préfets» est «dure mais forte et juste pour l’essentiel». Les «préfets» possèdent
le privilège du «fagging», c’est à dire la possibilité de se débarrasser de certaines

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corvées en les faisant effectuer par les plus jeunes, mais, en contrepartie, les préfets
doivent assistance et protection à leurs cadets.

Cette délégation du pouvoir ne se fait pas toujours dans les meilleurs conditions
comme en témoigne les propos d’un «préfet» quittant le collège de Rugby et s’adressant
à ses camarades au moment de son départ : «Bien sûr, il y a beaucoup de bullying,
je le sais, mais je ne m’en mêle pas. Si je le faisais, les choses se passeraient de façon
encore plus sournoise. Cela encouragerait les petits à venir pleurer et à raconter des
histoires. […] Vous les jeunes, vous deviendrez de meilleurs joueurs de football, si vous
apprenez à vous défendre seuls et à vous tirer d’affaire par vos propres moyens. […]
Mais il est vrai que rien ne démolit autant la cohésion d’une maison que le bullying. Les
bulliers sont des lâches et un lâche à lui seul en génère beaucoup d’autres.»
Hughes reste un moraliste. Il ne laissera pas Flashman impuni, il se servira de ce
mauvais exemple pour insister une nouvelle fois sur la vertu pédagogique du rugby.
Flashman ne parvient pas à se plier aux règles exigeantes de ce sport collectif. Il croit que
la mêlée est l’endroit privilégié pour donner des coups bas, il s’imagine qu’il parviendra
à en détourner les règles pour les mettre au service de sa volonté de harcèlement.
Mais les règles du rugby sont implacables. Les entraîneurs du collège reconnaîtront ses
manœuvres perverses, Flashman sera démasqué. Toutes ses mesquineries seront mises
au jour, sa popularité décroîtra et il sera finalement exclu du collège de Rugby. Exit
Flashman, le voyou dont on ne parviendra pas à faire un gentleman.

Le mythe Flashman.

C’est du moins la leçon que veut tirer Hughes, le moraliste, de cette courte
apparition dans son œuvre du collégien harceleur. Thomas Hughes ne pouvait pas prévoir
la surprenante postérité de Flashman. Il ignorait que son personnage bénéficierait d’une
postérité littéraire bien supérieure à celle de Tom Brown et qu’un siècle plus tard, tandis
que tout le monde aurait oublié sa propre production littéraire, la figure de Flashman

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hanterait encore les rayons des libraires. En 1969, George MacDonald Fraser, un
ancien soldat de l’armée britannique ayant combattu en Inde et au Moyen-Orient
avant de se reconvertir dans le journalisme, entreprend la publication des Mémoires
d’un certain Harry Flashman qu’il prétend avoir retrouvées. Douze ouvrages ont ainsi
vu le jour depuis 1969.
Leur succès commercial ne s’est jamais démenti. L’auteur aujourd’hui octogénaire
prépare la sorte du dernier volume pour le printemps 2005.
Flashman a-t-il réellement existé? Fraser le soutient. On trouve sur Internet une
série de sites britanniques dans lesquels s’affichent ses photos en uniforme et où sa
biographie est détaillée de sa naissance en 1822 jusqu’à sa mort en 1915 à l’âge de
93 ans. Il est le héros d’une série de jeux de rôles. Il existe même outre Atlantique une
très sérieuse Royal Flashman Society. Ce dont on peut être sûr c’est que ses aventures
sortent tout droit de l’imagination de George MacDonald Fraser qui conduit son héros
de Crimée en Afghanistan et de la Chine à la bataille de Little Big Horn en lui faisant
croiser à peu près tout le monde dans le siècle : Bismarck et Lola Montés, Richard
Wagner et Franz Liszt, Kit Karson et le général Custer.

La figure de Flashman revisitée par Fraser est intéressante. L’histoire du premier


volume commence au Collège de Rugby par l’exclusion du garnement et dans la suite
de ses aventures Flashman conserve tout ce que Thomas Hughes avait décelé en lui de
méprisable : il est arriviste, menteur, tricheur et profondément lâche. S’il est contraint
de participer à un duel, il prend préalablement la peine de décharger le pistolet de son
adversaire. S’il tombe entre les mains de guerriers redoutables qui le fouettent afin de
lui faire avouer un secret qu’il ignore, avant que le second coup de fouet n’ait le temps
de s’abattre il dénonce l’un de ses subordonnés qui n’en sait pas plus que lui mais
qui vient trois pages plus tôt de lui sauver la vie. S’il veut découvrir un renseignement
qu’on lui cache, il n’hésite pas à recourir à la torture en avouant que ces procédés lui
rappellent ceux dont il usait jadis au collège de Rugby. Si une femme lui résiste, il la viole,
si elle ne lui résiste pas, il la vend comme esclave sitôt qu’elle a cessé de le distraire.

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Flashman, promené par Fraser aux quatre coins du monde s’échappe des situations les
plus invraisemblables, toujours par trahison, perfidie et couardise.
Il est difficile de dire exactement ce que Fraser a voulu faire en réinventant le
personnage de Flashman. Ses romans sont parfois drôles, volontiers anti-militaristes et
résolument cyniques. En 1975, le réalisateur Richard Lester – celui qui avait mis en scène
les Beatles et avait été primé à Cannes – en tirera une adaptation cinématographique,
Royal Flash, brièvement exploitée dans les salles françaises sous le titre Le Froussard
Héroïque. En France, au début des années soixante-dix, l’éditeur Calman-Levy
présentera une traduction française des aventures de Flashman, mais il en interrompra
la publication après le second volume4.
Le destin littéraire de la première figure du bullier nous place au cœur du problème
du harcèlement. Hughes est un moraliste qui dénonce le vice et prétend édifier la
jeunesse, Fraser est un anarchiste post-moderne qui s’amuse de voir le mal triompher
et la vertu sacrifiée, mais au travers des œuvres de ces deux auteurs que tout oppose
se constitue la figure commune profondément complexe du personnage harceleur. Le
succès obtenu par les ouvrages de Fraser – dans le milieu des années soixante-dix, le
quotidien Le Monde sélectionnera le second volume des aventures de Flashman pour
en faire son feuilleton de l’été – révèle le profond paradoxe communément ressenti en
face du harceleur : chacun sait que cet être est profondément mauvais, qu’il ignore ou
méprise souverainement les fondements de l’éthique et qu’il serait vain de déceler en
lui la moindre trace d’un sentiment moral ou simplement civique, mais tout le monde
inconsciemment conspire par un mélange troublant de crainte, de répulsion et de
fascination à le laisser faire, à en faire un héros et rire de ses succès comme s’il était
tacitement admis que quoiqu’on fasse, il obtiendra toujours gain de cause et que rien
ne pourra l’arrêter.

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Les désarrois de l’élève Törless

Il n’est pas rare que les romanciers parviennent à dépeindre parfaitement en quelques
pages des caractéristiques humaines que plusieurs volumes de science sociale ne
parviendraient pas à décrire. Ainsi peut-on trouver chez un autre auteur légèrement
postérieur à Thomas Hugues une analyse intéressante des processus de harcèlement et de
brimades entre adolescents. Il s’agit de l’écrivain autrichien Robert Musil. Né dans l’empire
austro-hongrois en 1880, il quittera le Reich allemand en 1938 pour s’installer à Genève
où il mourra quatre ans plus tard en laissant deux œuvres dont une seule achevée, Les
désarrois de l’élève Törless5 parue en 1906. De son immense projet romanesque,
L’homme sans qualités, seulement deux volumes verront le jour, le reste se perdant
«dans un foisonnement de manuscrits presque terminés, d’ébauches à peine esquissées,
de notes et de plans dont l’ordre semblait échapper, dans les derniers mois, à l’auteur
lui-même», selon la formule de l’universitaire Jacques Le Rider.
L’intérêt des désarrois de l’élève Törless est de représenter l’adolescence comme
une période d’entière indétermination. Törless est à la recherche de la norme du
bien et du mal. Il veut «découvrir enfin en lui-même une détermination, des besoins
précis, qui opérassent une distinction tranchée entre le bon et le mauvais, l’utilisable et
l’inutilisable; de se voir faire un choix, même erroné : cela eût mieux valu finalement
que cette réceptivité excessive qui absorbait indifféremment n’importe quoi… «

A l’école qu’il fréquente, il a deux compagnons, Reiting et Beineberg, auxquels


il s’est attaché parce que, écrit Musil, «leur violence lui imposait». Ces deux garçons
se montrent en effet particulièrement brutaux à l’égard d’un autre de leurs camarades,
Basini, dont ils ont découvert qu’il avait été l’auteur d’un vol et qu’ils tiennent, sous ce
prétexte, à leur merci lui infligeant différentes tortures morales et physiques. Törless
est le témoin de ces persécutions auxquels il assiste tantôt avec dégoût – mais qu’est-
ce exactement qui le dégoûte, la violence des bourreaux ou la lâcheté de la victime?
– tantôt avec une certaine fascination.

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On remarque dans Les désarrois de l’élève Törless remarquablement décrites
toutes les composantes d’un processus de harcèlement entre adolescents. Pour qu’il y
ait harcèlement, il faut, en effet, des bourreaux pervers qui se servent d’une faiblesse
repérée chez un de leurs pairs pour le persécuter – Reiting et Beineberg jouent ici ce
rôle – il faut aussi une victime qui n’est pas tout à fait victime pour rien, une certaine
part de lâcheté ou du moins de faiblesse la rendant complice de ses bourreaux – Biasini
accepte tous les tourments qu’on lui inflige espérant qu’au bout d’un certain temps, on
lui pardonnera tout – il faut enfin un public indécis et complice qui, comme Törless,
partagé entre répugnance et fascination, laisse faire la persécution. Robert Musil a
bien vu le triangle, bourreau / victime / public, que l’on retrouve dans tous les cas de
harcèlement.

La chaussure de Heinemann et le retour au pays de Flashman.

La suite de l’histoire du bullying nous conduit en Scandinavie. Peter Paul


Heinemann est un psychiatre suédois connu pour ses travaux sur l’agressivité humaine.
A la fin des années soixante, la télévision lui a confié une chronique au sein d’une
émission hebdomadaire. Un jour de 1969 – l’année même de la renaissance littéraire
de Flashman – alors qu’il visite une école primaire, il assiste à une scène troublante :
un groupe de jeunes enfants est à la poursuite d’un de leurs camarades. Le fuyard
passe à toute vitesse devant Heinemann sans s’arrêter, traverse un bac à sable dans
lequel il perd sa chaussure qu’il ne prend pas la peine de ramasser et continue sa
course effrénée échappant à ses poursuivants arrêtés par la présence du psychiatre.
Heinemann ramasse la chaussure, véritable pomme de Newton du Bullying, et comprend
qu’il vient d’assister à quelque chose de déterminant. Comment un enfant peut-il être à
ce point terrorisé pour ne pas prendre le temps de ramasser sa chaussure ? Pourquoi,
s’il se sentait en danger, ne s’est-il pas spontanément réfugié vers le seul adulte présent
sur les lieux ? Quelles sont les relations complexes qui unissent ces très jeunes enfants
dans une cour de récréation ? Quels sont les mécanismes de domination et de terreur

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qui sont à l’œuvre au sein de cette communauté enfantine et que Heinemann pense
avoir brièvement entrevus. Quelques jours plus tard, il consacre sa chronique télévisée
à la relation de l’incident et rédige un article sur ce sujet. La télévision suédoise reçoit
dans les jours qui suivent la diffusion de l’émission une série d’appels téléphoniques et
de lettres de familles ou d’enfants signalant au psychiatre d’autres cas d’agression ou
de harcèlement entre élèves. Heinemann avait vu juste la chaussure perdue par l’enfant
terrorisé était la partie immergée de l’iceberg du Bullying.
Quelques dix ans plus tard, les pouvoirs publics norvégiens sont alertés par
plusieurs cas de suicides de jeunes enfants. Tous ces drames semblent avoir pour origine
des entreprises de harcèlement vécues par de jeunes élèves. Le gouvernement norvégien
confie au professeur Dan Olweus une mission de recherche sur les phénomènes de
harcèlement. Il publie ses conclusions au début des années quatre-vingt. Dan Olweus
devient le premier théoricien du Bullying. C’est lui qui va convaincre le parlement
suédois de légiférer et d’adopter un texte inspiré de l’une de ses formules: «Chaque
enfant a un droit démocratique fondamental : celui de se sentir en sécurité à l’école et
de ne pas subir ni l’oppression ni l’humiliation intentionnelle et répétée que constitue
le harcèlement; et aucun parent ne doit avoir à se demander avec inquiétude si de
telles choses arrivent à son enfant.» C’est lui qui confectionnera le premier instrument
de mesure du Bullying dans les écoles connu sous le nom de questionnaire Olweus.
C’est lui qui prendra en charge l’organisation en 1983 en Norvège de la première
campagne contre le harcèlement à l’école; c’est lui encore qui sera à l’initiative de la
première Conférence européenne sur le Bullying in schools à Stavanger en 1987.
Les travaux d’Olweus sont rapidement traduits en Grande-Bretagne où ils
connaissent un succès considérable. Des écoles se lancent dans des programmes
expérimentaux de lutte contre le bullying. Des organisations de parents d’élèves, le plus
souvent animées par des familles dont l’enfant à lui-même été la victime de harcèlement,
sont à l’initiative des Anti-Bullying-Campains (A.B.C). En 1994, the Department of
Education (DFE, l’équivalent de notre ministère de l’Education) distribue à toutes les
écoles d’Angleterre et du Pays de Galles un dossier complet, Don’t Suffer in Silence.

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En 1996, un tribunal londonien condamnera une école à verser 30 000 £ (soit
45 774 euro) pour ne pas avoir su protéger à temps un enfant du harcèlement d’un
de ses camarades. Depuis 1998, la loi britannique fait obligation aux établissements
scolaires de mettre en place des mesures de prévention du school bullying.
A l’inverse de nombreux autres pays européens qui utilisent largement le concept
de school bullying dans leurs campagnes de prévention de la violence scolaire, il
semble exister en France une certaine résistance à l’égard du thème du harcèlement
entre élèves. Un seul texte ouvrage de Dan Olweus6 a été traduit en français en 1999
mais il n’est à ce jour plus disponible. Un éditeur vient en revanche de rééditer les
deux premiers volumes de la série des Flashman dans une nouvelle traduction. Sur la
quatrième de couverture, on peut lire : « Noceur, coureur de jupons, cynique et macho,
Flashman est un antihéros qui porte sur la société de son temps un regard ironique. Ses
mémoires, qui doivent autant aux Mille et une nuits qu’à Alexandre Dumas, sont un des
bijoux de l’esprit anglais ». Une librairie électronique a classé l’ouvrage dans le genre
Roman Jeunesse !

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FLASHMAN DANS LE TEXTE

George MacDonald Fraser, Flashman, Morceaux choisis :

« Je quittais Rugby le lendemain en voiture, la malle sur le toit ; ils étaient bougrement
contents de me voir partir. Surtout les bleus ; je leur en avais fait voir… » p.17

« J’aimais bien pour ma part une bonne séance de fouet et je pariais avec Bryant,
mon compère, sur l’homme qui crierait avant le dixième coup ou le moment où l’homme
s’évanouirait. En tout cas c’était un de nos meilleurs moments… » p.42

« C’est que je me suis fait une règle de me montrer courtois envers quiconque peut
m’être utile à quelque chose… » p.65

« Nous avancions si lentement qu’au bout d’une semaine nous nous débarrassâmes
de tout ce monde, à l’exception du cuisinier. Je renvoyais les domestiques au milieu
d’un concert de lamentations ; quand à Fetnab, je la vendis à un major d’artillerie dont
le camp se trouvait sur notre route. Je ne le fis pas de gaîté de cœur, car je m’étais
habitué à cette créature, mais elle était vraiment devenue insupportable, maugréant
le jour, trop triste et trop fatiguée le soir pour amuser son maître. C’est égal, je ne me
rappelle aucune fille qui m’ait donné plus de plaisir… » p.99-100

« Je la rattrapai à la porte et, au terme d’un nouveau combat, je réussis à la violer – ce


fut la seule fois de ma vie que je me livrai à cet exercice, soit dit en passant. La méthode
ne manque pas d’attraits, mais je n’en ferais pas une habitude. Je préfère les femmes
consentantes… » p.119
Traduit de l’anglais par Pierre Clinquart,Calmann-Levy, 1970.

1
On trouvera dans ce DVD une biographie de Thomas Hughes et une traduction inédite de certains extraits de Tom Bro Tom Brown’s
Schooldays.
2
Thomas Hughes, Tom Brown’s Schooldays,  Oxford World’s Classics, 1989.
3
Pierre de Coubertin, Notes sur le football, article  publié dans le numéro du 8 mai 1897 de «La Nature, revue
des sciences et de leur applications aux arts et à l’industrie».
4
George MacDonald Fraser,   Flashman,  Calmann-Levy, 1970 et Flash Royal, Calmann-Levy, 1972
5
Robert Musil, Les désarrois de l’élève Törless, Le Seuil, 1960
6
Dan Olweus, Violence entre élèves, Harcèlement et brutalité, Les faits, Les Solutions, Paris, 1999, ESF éditeur.

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