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Dans mon cas, je dois dire que ma formation dépendait aussi de ce que
j’appellerai l’air du temps que j’essaierai de décrire en remontant un
peu plus loin. De 1970 à 1974, l’ambiance de mon lycée (Moulay
Abdellah) avait peu de choses à voir avec les études. Durant ces
années, notamment 1971 et 1972, nous étions davantage dans la cour
du lycée, entrain de chanter et de scander des slogans hostiles au
gouvernement et au régime, qu’en classe. Maintenir l’ordre au lycée
relevait du miracle. Dans la cour, on assistait aux attroupements des
marxistes-léninistes et aux conflits qui les opposaient aux « Frères
musulmans » qui commençaient à se faire connaître. Les lycéens ne
se contentaient pas seulement d’être en grève dans leurs propres
lycées. Ils devaient aussi faire le tour, à pas de course, des lycées et
collèges calmes, pour y semer la panique. De l’excitation. Rien de
plus. Mes souvenirs d’alors sont pleins de scènes où on courait, on
sautait les murs du lycée fuyant les militaires, qui nous pourchassaient
à mort, munis de leurs bâtons si longs qu’on les baptisa « maxi ».
1
Est-ce que j’étais en train de faire de la politique? Est-ce que j’étais en
train de jouer... au feu ? Peut-être les deux. Pour un jeune, toute mise
en scène de la colère, de la révolte, serait un jeu excitant. Je le savais
sans vraiment le savoir. Je n’ai pas une idée précise, et je doute qu’on
puisse en avoir, des raisons qui me poussaient à participer au
mécontentement estudiantin. D’autant plus que je n’étais pas un
militant régulier. Il y avait peut être ce sentiment proche de la virilité
(rajla), l’honneur (nafs), cette chose qui manquait à un élève casseur
de grève, traité de lâche, de peureux, et d’autres mots obscènes.
Participer à des réunions clandestines serait, pour le jeune que j’étais,
une manière de goûter à la virilité.
2
aux acteurs, tous torse-nus, des peaux de mouton, et en mettant au
fond de la scène un totem (inspiré de ses cours de philosophie). Nous
avons joué la pièce deux fois le samedi 13 janvier 1973 à la Maison
de jeunes et le samedi 3 février de la même année dans un théâtre
célèbre au centre de la ville (Abd Samad al-Kenfaoui). Lors de la
seconde représentation, la salle était comble. Et comme pour
concrétiser l’effet critique de notre performance, une bonne partie du
public saisit l’occasion pour transformer la sortie en manifestation
lançant des slogans hostiles au régime.
Que lire ?
1
Parmi les auteurs et les livres qui circulaient et que j’ai parcourus, je me
souviens de George Politzer (Principes élémentaire de la philosophie), Sadiq Jalal
al-Azm, (en arabe, Autocritique après la défaite), Bouali Yassine (en arabe, Le
trio interdit : La religion, le sexe et la politique), Nawal Sa’dawi (en arabe, La
femme et le sexe), Ernest Fisher, Le socialisme et l’art (traduit en arabe).
3
Au centre ville, plusieurs librairies étaient connues pour la vente de
livres respirant l’air du temps, livres associés généralement aux
Editions du Progrès de Moscou, Editions Sociales et Maspero. De ma
première bourse, je me rappelle avoir acheté un livre d’économie
politique de Raymond Barre. C’était trop cher, 45 dirhams. Alors que
je parlai du livre à un copain qui avait mon âge, il me réprimanda pour
avoir choisi le livre d’un économiste libéral. Moi je ne savais même
pas qui était Raymond Barre. Je voulais simplement avoir un manuel
sur lequel je pouvais m’appuyer pour suivre mon cours d’économie
politique. C’était encore le début de l’année universitaire, j’avais une
idée vague du cours d’économie politique et du professeur qui
l’assurait, Aziz Belal. Mon copain, qui passait pour la science
marxiste infuse, arriva à me perturber et à m’influencer. Je suis vite
retourné à la librairie et troquer le livre du libéral (un pavé de quelques
centaines de pages) contre une dizaine de petits livres, parmi lesquels
deux de Marx et d’Engels, Le manifeste du parti communiste,
Socialisme utopique et socialisme scientifique et un livre de Pierre
Jalée, L’exploitation capitaliste. Pendant trois ou quatre ans, le choix
des livres était simple. Il fallait se confier à la suggestion d’un
connaisseur et à la garantie de la maison d’édition. Maspero était au
top.
Il faut dire que j’ai commencé à lire par obligation morale. Etre
marxiste, même de façon molle comme je l’étais, supposait quelques
lectures. Je garde encore beaucoup de notes de lecture, (en français et
en arabe) de cette époque (1975-1979). En relisant mes notes, je
remarque que, la première année, il était rare que je terminasse un
livre. Malheureusement, je ne notais guère mes réactions, ce que je
ressentais ou pensais du texte… Mes notes de lectures partielles
n’étaient que des résumés, souvent très proches du texte. Pour avoir
une idée plus détaillée sur l’air du temps dans lequel je naviguais, je
dirai un mot sur le contenu de mes lectures et à quoi elles servaient.
4
fondatrices du marxisme-léninisme. Que faire de Lénine fut le
premier livre à qui j’ai consacré le plus de temps et le plus de notes
(15 pages). J’étais, en 1976, furtivement intéressé par la question
relative à la spontanéité des masses. J’ai retenu, par exemple, que pour
Lénine l’élément spontané n’est que la forme embryonnaire du
conscient. Les grèves en Russie de 1890 étaient un mouvement
spontané, elles marquaient l’éveil de l’antagonisme entre les ouvriers
et les patrons, mais « les ouvriers ne pouvaient pas avoir conscience
de l’opposition irréductible de leur intérêts avec tout l’ordre social
existant... Cette conscience ne peut venir aux ouvriers que du
dehors ».
5
que je prenais 19 pages de notes. C’était important pour moi d’avoir
une vue marxisante sur l’histoire du Maroc. Voici ce que j’avais alors
retenu. Pour Lacoste, l’œuvre d’Ibn Khaldoun et son analyse des
structures sociales de l’Afrique du Nord médiévale éclaire une étape
très importante de l’histoire du tiers monde. L’évolution lente que
connut ces structures ont rendu possible la domination coloniale qui a
conduit au sous-développement. Ce que j’appréciai dans le livre,
c’était l’argumentation basée sur des faits historiques, un style loin de
du jargon marxiste abstrait habituel. Le sous-développement, le tiers
monde, deux catégories centrales dans nos discussions, étaient là mais
approchées de manière historique et concrète.
Pourquoi lire?
6
pour les mettre à l’aise et leur donner l’occasion de participer et de
rétorquer eux-aussi.
7
idées étaient transmises par ouï-dire. Plusieurs mots m’étaient
incompréhensibles (aliénation, bourgeoisie compradore...), et je ne
savais pas où en chercher le sens. Personne ne pouvait alors me les
expliquer. Et je n’ai jamais rien demandé non plus. Ça aurait été la
honte. Il fallait patienter jusqu’à ce que le sens se dégage
progressivement de l’usage.
8
puisée dans une rivière est gratuite, mais si elle est transportée par
quelqu’un, la force de travail y est rajoutée, elle devient une
marchandise. Dans un autre livre sur les salaires, il montre que la
machine à coudre qu’une femme utilise chez elle devient du capital si
elle est utilisée dans une fabrique contre un salaire. Ce que me
fascinais à l’époque, c’est que derrière les mêmes objets concrets (eau,
machine à coudre) peuvent se cacher des concepts différentes.
2
Les notes en rouge, que je viens de rajouter, ne figurent pas dans mon texte
original que j’ai dû alléger.
9
Michel Cluny (1930-2015) livra dans sa conférence une série
d’informations historiques sur le cinéma arabe dont il était un
spécialiste. Mais ce genre d’exposé informatif et événementiel ne
nous plaisait pas à l’époque. Je n’ai pas manqué de le manifester lors
du débat. Je reproduis ici mes notes sur lesquels j’appuyai ma
remarque critique :
« La démarche que vous avez adopté est une démarche descriptive
qui conçoit l’évolution du cinéma comme une succession de genres
de films et de cinéastes. Cette démarche envisage le cinéma en soi
et non pas en relation avec le contexte économique et social. Et le
problème du cinéma ne peut être séparé des problèmes de la
société. »
Juste après ma remarque, Abdou Achouba (critique et cinéaste
marocain) et Serge Toubiana (Cahiers du cinéma), assis juste devant,
se retournèrent vers moi, me firent un sourire et un geste de la tête
que j’ai pris pour une complice approbation et un encouragement de
la part de critiques expérimentés en direction d’un jeune débutant. Je
ressens encore la joie et la fierté que ces gestes me procurèrent. C’est
presque un rite de passage, un geste de bienvenu dans la corporation
des faiseurs de discours. Ce souvenir reste indélébile car associé à un
moment unique. C’est ma première intervention en français dans une
rencontre internationale. Je dois avouer qu’elle m’a été inspirée par
10
ma récente lecture de Socialisme utopique et socialisme scientifique
de Frédéric Engels. Un exemple de la manière avec laquelle je
fructifiais mon capital de lectures.
3
L’Olivier de Jean Narboni et Dominique Villain.
4
Des traces de ce débat ont été rapportées dans al-Mouharrir, 1976, 25 avril,
Entretiens avec N. Sail, et un court texte sur « La problématique du cinéma au
Maghreb ».
11
économiques plus larges5. Regarder des films est devenu pour moi,
comme pour mes amis du ciné club, une obsession. Je prenais trop
au sérieux mon nouveau rôle de cinéphile dont le devoir central
consistait à regarder le maximum possible de films, d’en connaître un
peu les auteurs et les genres. En plus des films projetés dans notre
ciné-club, nous étions présents aux différentes rencontres organisées
par des instituts culturels européens. Nous avions aussi le devoir
d’animer les films projetés6. Cela supposait l’acquisition d’un
minimum de connaissances et de compétences. L’idéal pour un
militant est de disposer d’un petit nombre de principes, d’idées et de
valeurs orientant sa pratique et son rapport à la société en général.
Ceci se traduisait par la nécessité de déterminer la ligne idéologique
du ciné club7. Un militant est appelé à lutter contre quelque chose8.
Au ciné- club, le cœur de la cible était le cinéma hollywoodien, le
cinéma impérialiste, et le cinéma commercial en général. Il fallait
lutter contre l’invasion (ghazw) de ce type de cinéma, dénoncer et
démystifier (fadhh) la culture qu’elle diffusait. Un militant est aussi
appelé à lutter pour quelque chose. Au ciné-club, il fallait diffuser
une culture cinématographique alternative, progressiste, nationale9
5
La rencontre de Meknès était aussi l’occasion pour voir plusieurs films et de
discuter avec des cinéastes. J’ajouterai à ceux déjà cités Bourhane Alaouiyeh et
Sidney Soukhona qui présentèrent respectivement Kafr Kacem et Nationalité
immigré.
6
28 novembre 1977, animation du film bass ya bahr à Settat, en compagnie de
Mahdi, (cahier 1977, p. 7 (débat : Les féodaux de la mer ...)
7
En décembre 1977, j’ai participé à une rencontre nationale où il a été
recommandé à la Fédération des CC de préparer une plateforme déterminant sa
ligne culturelle et idéologique (doc 5)
8
Une manière d’approcher l’air du temps est de décrire les passions collectives qui la
dominent : l’égalité, la conscientisation des masses, l’anti-impérialisme, l’identité
nationale, la langue arabe. Par exemple, l’arabe était l’objet d’une passion, elle devait
être l’unique moyen de communication (animation, fiche technique...). Le français était
presque traqué, et l’intervenant dans cette langue était obligé de s’excuser de ne pas
pouvoir maîtriser l’arabe (anecdotes : sexe= ljinsiya...).
9
Agir pour la genèse d’une conscience cinématographique claire (wadih) à travers
une perspective progressiste de la culture nationale. Rapport journées Maamora,
(Document 5)
12
Le débat portait sur des aspects méta-cinématographiques,
notamment le rôle du ciné-club et de l’animation. Dans ce cadre, j’ai
rédigé (fin 1977) un court texte en arabe intitulé « Pour un adhérent
créatif ». L’influence de la vulgate marxiste y est évidente. La
définition de l’adhérent suppose un retour à la relation imposée, dans
les sociétés capitalistes, entre le spectateur et le cinéma. Dans ces
sociétés, on distingue entre le temps du travail consacré à la
production et le temps du non travail appelé loisirs. Pour le
capitaliste, le temps des loisirs doit être improductif. On va au
cinéma non pas pour réfléchir mais pour se divertir. Ce concept de
loisirs, où le spectateur doit être passif, correspond aux intérêts du
capitaliste. Car l’ouvrier qui est improductif lors de ses loisirs sera
productif lors de son temps de travail. J’invoque Bertolt Brecht qui
affirme que le temps des loisirs ne doit pas contenir ce que contient le
travail. En conclusion, le cinéma bourgeois interdit tout effort
intellectuel et critique, ce qui lui permet d’inoculer au spectateur son
idéologie dominante. Je signale aussi que le fait que des adhérents
regardent le film sans assister au débat est un exemple de ce rapport
passif au film.
C’est dans ce cadre, et afin de dépasser la passivité de l’adhérent, que
nous avons décidé, lors de notre assemblée générale de 1977, de
créer des Groupes de travail. Nous voulions substituer à l’adhérent
spectateur un adhérent créatif et actif (moubdi‘, fa‘âl) et par la même
dépasser la relation enseignant/enseigné entre l’animateur et
l’adhérent (Cahier, p. 2-4) A partir d’octobre 1977, l’idée
commence à se concrétiser. Il fallut d’abord déterminer le genre de
thèmes à débattre dans ce cadre. Plusieurs thèmes ont été proposés et
discutés : l’histoire du cinéma, « cinéma et idéologie », « cinéma et
politique ». Le débat sur les critères du choix, sur le thème lui-
même était interminable. Par exemple, peut-on parler d’une histoire
ou des histoires du cinéma? Voilà le type de question passepartout
qu’on pouvait poser sans avoir une idée sur le thème en question.
Faut-il utiliser le singulier ou le pluriel ? On pouvait parler pendant
des heures sans nous fatiguer. Au bout de plusieurs réunions, nous
avons choisi de traiter des écoles : le néo-réalisme, l’expressionnisme
allemand, le cinéma soviétique, le cinéma novo brésilien (Cahier
1977, ciné club).
13
Encadré : Fragments d’un débat
Il fallait choisir des thèmes pour nos groupes de travail. Ci après des traces que
j’ai gardé de notre échange :
14
Encadré : Evaluer, théoriser la pratique
15
vulgate marxiste. A un moment, fort probablement suite la lecture
des écrits de Louis Althusser, je ne me sentais plus à l’aise en
ruminant le même jargon. Je découvris un philosophe marxiste
(même si je savais qu’il était critiqué par d’autres marxistes) qui
exige un effort intellectuel et requérait un bagage philosophique qui
me faisait défaut. Ce que je retenais dépassait de loin mes schèmes de
classification habituels. Althusser était invoqué dans les débats du
Ciné-club. Je ne peux pas me souvenir de la manière dont il était cité,
mais je me rappelle de l’usage relativement abondant de son idée du
« dit et du non dit », de « la coupure épistémologique ».
10
S. Daney et J.P. Oudart, « Travail, lecture, jouissance », Cahiers du cinéma, n°
222, juillet 1970 (FV 22, 4 p.).
16
De nouvelles pistes de lectures avaient été ouvertes. Claude Lévi-
Strauss distingue la réalité étudiée du modèle qui en est la
formalisation. Roland Barth critique l’idée de la représentation du
réel comme une reproduction. En rapport avec l’impression de la
réalité, j’ai admiré l’analyse que fait Barth de la photo11. Regarder
une photographie n’est pas viser un être-là, mais un avoir été-là. La
photographie est une catégorie nouvelle de l’espace-temps, elle est à
la fois immédiate et antérieure, elle produit une confusion entre l’ici
et l’autrefois. C’est ce qui explique « l’irréalité réelle de la photo ».
A l’époque, je raffolais de ce genre d’expression paradoxale qui me
perturbait et plus tard, en m’en servant, je perturbais mes
interlocuteurs. Dans une photo, la part de la réalité est à rechercher
du côté de l’antériorité temporelle. Ce que montre la photo a
réellement été ainsi, devant l’objectif, à un moment du passé. Par
contre, la part d’irréalité tient à la « pondération temporelle » c’est-à-
dire au fait que les choses qui étaient ainsi ne sont plus. Cependant,
la photo n’est pas vécue comme une illusion véritable, elle n’a pas de
pouvoir projectif. Le cinéma est différent car il dispose d’un pouvoir
projectif considérable. Le spectateur du cinéma ne vise pas un avoir
été-là mais un être-là. Et c’est pourquoi l’impression de réalité est,
grâce au mouvement, plus forte devant un film que devant une photo
12
1.3 Exit
11
J’ai fait un exposé sur la photo chez Barth pour les membres du ciné club, un
autre sur le concept de culture (cahier 77, p. 78 , un extrait) C’était chez mes
parents.
12
Metz, C., L’impression de réalité au cinéma, in Essais sur la signification au
cinéma, bib àfaire
17
une période durant laquelle je peux identifier ses manifestations
primaires. Depuis fin 1976, nous avons manifesté notre volonté de
dépasser les clichés, la lecture idéologique du film, la projection de
notre vécu sur le film. Nous commencions à partir de 1979 à parler
de notions qui sapaient l’activité militante grégaire basée sur ce
qu’on appelait alors la conception léniniste de la transmission du
savoir. Au lieu d’un savoir total venant d’en haut, nous avons
défendu de nouveaux principes, notamment, la lecture plurielle et le
droit à la différence. Nous avions commencé aussi à parler de
l’animateur comme source de savoir et de pouvoir (Michel Foucault)
et à critiquer toute relation autoritaire. Nous avions remis en
question le rapport paternaliste au public et l’idée d’un public comme
une masse inerte qu’il faut animer, ou ignorante et qu’il faut
conscientiser.
18
des dispositions intellectuelles comme le gout de l’interprétation, le
plaisir de donner du sens, l’exigence de définition précise des
concepts, des dispositions « nécessaires » au métier du chercheur
que j’allais devenir.
[ ... ]
19
Encadré : Le rôle du ciné club
Voici un texte qui résume les dispositions intellectuelles de l’époque (Ciné club
l’Action, décembre 1976, doc 2.) :
« Le ciné club n’est pas, uniquement, à la recherche des chefs d’œuvres rares
(touhaf nadira). Il doit dépasser la conception esthétique abstraite du cinéma, et
considérer le cinéma comme un moyen qui peut jouer un rôle dans le processus
du changement social. A partir de là, le cinéma n’est pas un outil de
divertissement, comme il ne se réduit pas à un objet de débat entre intellectuels.
Au contraire, il est le moyen de communication de masses le plus dangereux et le
plus important... Le but suprême consiste dans la création d’un courant culturel
national large pouvant détruire (darb) l’hégémonie culturelle impérialiste et
construire la personnalité nationale » (traduit de l’arabe par l’auteur).
Dans le même document, le ciné club est défini comme un outil utile pour les
militants (adate nidaliya çaliha), une tribune pour affronter la culture impérialiste
qui défigure (tachwih wa tams) la culture nationale. C’est un moyen de
communication de masses. L’animateur y joue un rôle sensible en tant que trait
d’union entre le spectateur et le film. Il peut influencer le déroulement des débats
et arriver à approfondir la conscience du spectateur. Le fait de ne pas comprendre
cette relation dialectique fait que les débats dévient et le ciné club se transforme
en transmetteur de leçons techniques sur le film. Le texte est jalonné de plusieurs
assertions du type : « Il n’existe pas d’art au dessus des classes sociales», «l’art
vise soit le changement soit la consécration du statut quo » (Lâ fanna fawqa al-
tabaqâte ; al-fann yahdif immâ li-taghyîre aw al-takrîss).
20
Encadré : Définir l’animation
Plusieurs tables rondes ont été organisées à partir de 1976 autour de la pratique de
l’animation13. Dans l’un des documents du Ciné club (en français), où je n’étais
pas encore impliqué, il est précisé que l’animation n’est pas un problème
technique mais culturel et politique. Pour le cerner, il faut en définir les
composantes : le cadre (ciné-club), le film, l’animateur, le spectateur. Le
document analyse successivement ces différentes composantes. « La notion
donnée, jusqu’à présent, au ciné-club, en tant que lieu d’information et de
formation cinéphilique dans sa notion culturelle bourgeoise, doit nécessairement
être remise en cause, compte tenu des mystifications, qu’elle comporte :
sectarisme du spectateur dans son contexte socio-culturel. » Cette aspiration du
spectateur à se particulariser, à se spécialiser et à se distinguer est rejetée. C’est
une notion qui a été longtemps vantée par les vecteurs du colonialisme et de
l’idéologie dominante au Maroc. Elle « visait surtout l’élargissement du fossé
entre le spectateur averti et celui qui ne l’est pas. » Pour abolir cette notion « il
faut définir le véritable rôle du ciné-club. Et le classer en tant qu’appareil
idéologique dans son sens profond, vu le pouvoir qui lui est conféré, réunir des
spectateurs, leur présenter un film (un produit culturel) et le discuter... »
13
En 1976 (24-26, décembre) une rencontre fut initiée par notre ciné club et le
ciné club « al-amal » (L’action) à laquelle étaient invités des membres d’autres
ciné clubs de Casa (Maarif, ISCAE) et d’autres villes (Mohamedia, Fès,
Marrakech).
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Chronologie (à compléter)
Dates Activités
1976 ?? Cinéma suédois
19760400 Semaine du film français, 5 films (Truffaut, A Téchiné, M Duras, R. Allio, J.
Doillon),
19790226 Cinéma japonais (26 février-4 mars 1979)
19810204 Séminaire sur Wim Wenders, 1981, 4-8 février
19810423 Séminaire sur Rainer W. Fassbinder, 1981, 23-26 avril
19820516 Cinéma brésilien : 16 mai 1982
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