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Fiche d’actualité du CSFD - Février 2011

Coordinateur : R. Escadafal, Président du CSFD


Auteurs : R. Bellefontaine, M. Bernoux, B. Bonnet, A. Cornet, C. Cudennec, P. D’Aquino,
I. Droy, S. Jauffret, M. Leroy, M. Malagnoux, M. Réquier-Desjardins, Membres du CSFD
Rédactrice : S. Jauffret, Écologue consultante

Le projet africain de Grande Muraille Verte


Quels conseils les scientifiques peuvent-ils apporter ?
www.csf-desertification.org/grande-muraille-verte

Cette fiche en résume les points saillants. quantités faibles au total (entre 100 et
Tout d’abord pour pouvoir éclairer le 600 mm de pluie par an).
chemin et conseiller utilement, il nous faut
nous débarrasser dès le départ de 3 idées La concentration de la population et le
fausses. développement d’activités agro-sylvo-
pastorales souvent non adaptées sont
Idée n°1 : l’état de «désert» le principal moteur de la désertification.
serait une « maladie » Les ressources naturelles renouvelables
sont alors surexploitées sans leur laisser
Le Sahara est parfois perçu comme le temps de se régénérer ; la sécheresse
une sorte de maladie qui gagnerait les venant aggraver la dégradation des terres.
zones voisines. En fait, c’est bien sûr un
Tracé de la GMV écosystème tout à fait sain qui contribue, Idée n°3 : une grande muraille
avec une largeur
simulée de à l’instar des autres déserts du monde, d’arbres pourrait être installée
15 km de façon très précieuse à la diversité et la dans des zones non ou peu
(image NASA- richesse de notre Planète. Il ne constitue en habitées
MODIS, traitement rien l’expression d’un mauvais état de santé
Claire Marais-Sicre,
CESBIO, 2010) du milieu. Les changements du climat Bien au contraire, le tracé tel qu’il est
ont par le passé modifié son extension, et proposé passe par des régions habitées,
de nos jours les changements en cours où l’agriculture et l’élevage sont déjà bien
L’initiative de la Grande Muraille peuvent en déplacer graduellement développés et distribués sur des terres
Verte (GMV) , panafricaine et certaines limites. selon les traditions locales. L’utilisation
transcontinentale, a été initialement des arbres avec l’objectif de lutter contre
proposée comme une bande Idée n°2 : une mer de sable la désertification doit donc associer les
« forestière » large de 15 km serait en train d’envahir le Sahel populations.
traversant le continent suivant un
tracé reliant Dakar à Djibouti, pour en Certains croient qu’une mer de dunes La GMV dans sa conception actuelle est
faire un projet majeur de lutte contre la sahariennes rampantes envahit ainsi bien plus que ce que laisse entendre
désertification. Elle formerait alors une inexorablement le Sahel, mais ce n’est pas son nom ou son tracé : la note présentant
bande continue, mais pouvant prendre la réalité que les scientifiques observent. son concept (UA, CENSAD, Sénégal 2008)
certains contours pour éviter des Il y a bien par endroits des mises en précise qu’il s’agit de réaliser l’installation
obstacles (cours d’eau, sols rocailleux, mouvements de certaines zones sableuses, et la mise en valeur intégrée d’espèces
montagnes) ou rejoindre des zones c’est un phénomène local qui peut être végétales à valeur économique adaptées
habitées (cf. grandemurailleverte.org). traité et le sable ne vient pas forcément du à la sécheresse, de bassins de rétention,
nord. Il ne s’agit donc pas d’un mouvement de systèmes de production agricoles et
Les scientifiques ont été et sont interrogés généralisé sur le continent qui devrait être d’autres activités génératrices de revenus,
par le public, les ONGs, les bailleurs, sur stoppé comme un envahisseur. ainsi que des infrastructures sociales de
l’intérêt et la faisabilité d’un tel projet. base.
Les membres du CSFD se sont mis au Le Sahara est ainsi un écosystème
travail pour rédiger une brève synthèse désertique stable, mais le Sahel lui souffre L’idée de planter des arbres dans les
de connaissances pouvant répondre à ces de désertification. La désertification n’est régions sèches pour lutter contre la
questions. La dernière version de ce dossier pas l’envahissement par le désert, c’est la désertification n’est certes pas nouvelle.
d’actualité peut être téléchargée à cette forme particulière que prend la dégradation Parmi les projets les plus connus et les
adresse : www.csf-desertification.org/ des terres dans ces régions sèches où plus ambitieux on peut citer le barrage vert
grande-muraille-verte il pleut, mais de façon irrégulière et en algérien dont l’étude des rapports publiés

Comité Scientifique Français de la Désertification (CSFD)


Agropolis International
Avenue Agropolis Télécharger la dernière version du dossier d'actualité :
F-34394 Montpellier CEDEX 5 www.csf-desertification.org/grande-muraille-verte
Recommandations
pour les décideurs
Village de la région de Maradi depuis l'espace Régénération Naturelle
(Google Maps) Assistée – Région de L’analyse des résultats de la recherche
Maradi, Niger sur les aménagements agro-sylvo-
(S. Jauffret) pastoraux conduit aux recommandations
suivantes :
et des résultats connus montrent quelques Au delà de ces aspects techniques
succès et pas mal de déboires, qui ont importants, la réussite dépend beaucoup n Adopter une approche souple
conduit à des réorientations importantes. du contexte social dans lequel ces projets permettant de valoriser les meilleures
pratiques de gestion durable des
Dans le cas de la grande muraille verte de de multiplication, de plantation d’arbres se
terres, prenant en compte les résultats
Chine, plutôt qu’un barrage, il s’agit d’un déploient. La définition des responsabilités, des nombreux projets de ceintures vertes,
gigantesque projet d’aménagement intégré des droits sur les ligneux plantés, de de plantations et d’agroforesterie déjà
pour lutter contre la désertification sur un l’accès aux produits de ces arbres, aux réalisés ainsi que les savoir-faire locaux ;
territoire de plus de 4000 km de long sur conditions de gestion et d’arbitrage
1000 km de large, combinant plantations local et leur intégration dans le système o Identifier et vulgariser les
forestières et arbustives, plantes herbacées agro-pastoral sont déterminantes. Les techniques de régénération les plus
de couverture dans le cadre de systèmes de plantations faites sans que les populations efficaces, facilement maîtrisables
productions. y soient associées ont montré leurs (techniquement et financièrement) et
limites, elles ne sont pratiquement rentables ;
Au Sahel de nombreux travaux et jamais durables. Si l’incertitude règne
expériences pilotes de boisement et sur les droits des paysans et ce qu’ils p S’appuyer sur le processus
d’agroforesterie ont été menés localement. peuvent espérer récolter de leur labeur, de décentralisation en assurant
la participation des populations à
Les nombreux usages des différentes les efforts techniques pour choisir les
la réalisation de la GMV, en leur
espèces d’arbres et les bénéfices qu’en bonnes espèces, les faire se développer assurant les bénéfices des retombées
tirent les habitants de cette région sont correctement dans des pépinières (amélioration de la qualité des terres et
assez bien connus. Pourtant de nombreux modernes avec des techniques de des rendements et diversification des
projets n’ont pas vraiment diffusés plantation perfectionnées auront peut- activités génératrices de revenus) :
leurs résultats, alors que cette mine être quelques bons résultats, mais à court • promouvoir des structures
d’information, y compris sur les erreurs terme seulement. villageoises de gestion très légères,
à ne pas répéter, devrait être rendue comme les marchés ruraux par
accessible, pour que les responsables et L’analyse économique montre que la exemple ;
acteurs sur le terrain puissent mieux savoir régénération naturelle assistée, qui • renforcer la formation des membres
ce qui marche et ce qui ne marche pas. demande un investissement faible est la des structures villageoises de gestion
ainsi que des femmes ;
plus rentable pour les paysans ayant peu ou
• mettre en place un cadre
La recherche s’appuie cependant sur le pas de capacités d’investissement. institutionnel adéquat sur les plans
socle des connaissances et avance. Ainsi Mais des actions plus intensives organisées fiscal et foncier, allant dans le sens
un récent colloque à Dakar en 2010 a au niveau collectif ont un impact plus net d’une véritable décentralisation,
souligné l’intérêt des recherches pour quand ils s’inscrivent dans la durée. en vue de renforcer les capacités
améliorer l’efficacité de la fixation d’azote locales de gestion des ressources,
atmosphérique par les arbres qui ont Un élément clé de la réussite est donc bien de planification et de maîtrise du
développement.
développé des relations de symbiose de concevoir les actions dans la durée et
avec des bactéries ou des champignons
au niveau de leurs racines, facilitant la
au final de les inscrire dans la vision plus
générale de la gestion durable des terres.
q Encourager l’intensification de
l’agriculture et de l’élevage, afin de
colonisation de sols pauvres. En effet la plantation, la multiplication réduire leur pression sur les ressources
ou la régénération d’arbres n’est pas forestières.
Il y a aussi de nombreux résultats une activité séparée du reste de la vie
intéressants sur les techniques de agricole. Elle s’inscrit dans des modes de Toutes ces recommandations
production familiaux, agro-sylvo-pastoraux,
convergent pour prôner l’intégration
reproduction végétative et la régénération
des plantations et de la régénération
naturelle assistée, qui est facilement mise où les arbres fournissent à la fois énergie,
d’arbres dans le cadre global de la
en œuvre par les agriculteurs, même très fourrage, résines et gommes, matériau de gestion durable des terres.
modestes. construction et produits médicinaux. „

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