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DES PRINCIPES
Jean-Luc Périllié
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 07/01/2021 sur www.cairn.info via New York Public Library (IP: 65.88.89.49)
ISSN 0035-1571
ISBN 9782130821861
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-de-metaphysique-et-de-morale-2019-3-page-267.htm
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RÉSUMÉ. — L’objet de cet article est de proposer une nouvelle grille d’interpréta-
tion du dialogue énigmatique de Platon, nommé Euthydème : il s’agit très probablement
d’un dialogue crypté de type initiatique. Toutefois, l’auteur n’a pas laissé le lecteur
totalement sans ressources. Quatre clés peuvent être détectées : 1) Similitude drama-
tique avec les Nuées d’Aristophane, pièce qui représente l’initiation de Strepsiade ;
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2) Mention explicite d’un rite initiatique de type corybantique (277e) ; 3) Aporie cen-
trale du dialogue comme indice des limites de l’accompagnement de Socrate ; 4) Il est
dit que les sophistes n’étaient pas un mais deux (271a). Cette dernière clé nécessite
cependant, pour être utilisée, que le lecteur connaisse la doctrine des Principes de
l’enseignement oral de Platon. Si on actionne les quatre clés, les différentes énigmes
du dialogue se clarifient les unes après les autres. L’Euthydème est un dialogue central
traitant de l’initiation, selon deux objectifs principaux : a) Reprise globale de la fonc-
tion apologétique des Dialogues consistant à rétablir la vérité de l’accompagnement
socratique, comme rite initiatique selon le modèle du corybantisme ; b) Montrer
comment les Mystères socratiques doivent être prolongés par les Mystères platoniciens,
ceux-ci parvenant à la contemplation des Principes ultimes de la Monade et de la
Dyade indéfinie. Qui plus est, en appliquant cette nouvelle grille de lecture, l’Euthy-
dème permet de voir comment se coordonnent le Banquet, la République et le Théétète,
relativement aux Premiers dialogues.
lets us show how are coordinate the Symposium, the Republic and the Theaetetus with
the Early Socratic dialogues.
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se donner toutes les chances de progresser vers une meilleure compréhension
de l’Euthydème, il se peut qu’il faille accorder à ce genre d’allusion un rôle
beaucoup plus important. En effet, dès lors qu’on admet l’existence d’une
dimension initiatique (non pas seulement théorique ou scolaire) au sein de cette
œuvre, non seulement le passage dit « corybantique » prend tout son sens mais
l’Euthydème pourrait commencer à perdre de son opacité. À cet égard, la
lecture que nous allons présenter prolonge une ligne interprétative récente,
s’efforçant d’élucider le sens initiatique des Dialogues 1. Citons, pour l’Euthy-
dème, l’étude de Carl Levenson 2 mettant en évidence le fait que, dans cette
œuvre, la fonction du rite corybantique n’est pas accessoire ou métaphorique,
mais concernerait la structure de l’œuvre, ainsi que son message philosophique
de fond.
Dans le but de présenter les perspectives éclairantes qu’offre une telle
approche, commençons par extraire de l’Euthydème les points les plus énigma-
tiques, ceux-là mêmes qui devraient faire sens et pouvoir être reliés structurel-
lement, une fois admis le caractère rituel du dialogue : nous dénombrons ainsi
sept difficultés majeures que nous présentons dans leur ordre d’apparition et
que nous tenterons de rapporter à ce type de rituel, dit corybantique :
1. Socrate, dès le prologue, affirme vouloir se mettre à l’école des deux
sophistes Euthydème et Dionysodore. Ne cherchant nullement à les affronter,
il persiste dans cette attitude durant tout le dialogue.
2. Alors que généralement l’ironie n’est qu’une posture préliminaire de
Socrate, destinée à tester et interroger un sophiste, ici l’eirôneia se prolonge
1. Voir V. ADLURI, « Initiation into the mysteries: The Experience of the irrational in Plato »,
Mouseion. 111, vol. 6, 2006.
2. C. LEVENSON, Socrates Among the Corybantes, Dionysian spirituality and philosophy of
Plato, Spring Publications, US, 1997.
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pourra accoucher d’une vérité fulgurante (290b-d). De son côté, Ctésippe,
d’abord révolté par les deux sophistes, sera ensuite contaminé par ces derniers.
6. Surgit une aporie majeure concernant la science suprême du Bien qui, en
définitive, tient en échec l’accompagnement maïeutique de Socrate. Paraît ici
s’affirmer le centre de gravité du dialogue (292e-293a) par ailleurs plutôt
marqué par la drôlerie ou l’eirôneia.
7. Dans la deuxième grande partie du dialogue, la prestation des deux frères
apparaît comme une succession de sophismes qui finissent par piéger Socrate,
le dernier sophisme étant quasiment un appel au sacrifice des dieux. Il en
résulte un éloge final prononcé par Socrate (303b-c).
En adoptant l’hypothèse de la présence sous-jacente d’un rituel des cory-
bantes, nous verrons qu’il est possible de coordonner ces différents points énig-
matiques en un tout cohérent 3. Il nous faudra cependant distinguer deux
niveaux : un rituel socratique dans la première partie du dialogue (aporie
incluse) et un second rituel post-socratique, pointant en direction d’une théorie
des Principes suprêmes, dans la seconde partie.
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Strepsiade, si ce n’est que Platon renverse les rôles. Dans la pièce du Ve siècle,
Strepsiade était un vieillard grotesque qui se soumettait à un rituel initiatique
dirigé par Socrate. Dans l’Euthydème, Platon nous montre un Socrate devenu
vieux, cherchant, nous allons pouvoir le constater, à se faire initier auprès de
personnages grotesques que sont Euthydème et Dionysodore.
Le parallélisme entre les deux œuvres est d’emblée repérable selon trois
caractéristiques : a) le surgissement de quelque chose de « démonique »
(Nuées, 75-77 et Euthyd. 272e) ; b) la vieillesse du candidat à l’initiation pré-
sentée comme un handicap (Nuées, 127-130 et Euthyd. 272b) ; c) la quête de
salut exprimée au moyen de la phraséologie des mystères (Nuées, 75-77 et
Euthyd. 272b, 293b).
Certes, le lien entre l’Euthydème et l’ancienne comédie a été remarqué par
les commentateurs 5. Il ne semble pas, cependant, qu’on y ait vu une clé déter-
minante pour comprendre ce qui se trame réellement dans le dialogue. D’abord,
en reproduisant quelque peu la situation des Nuées, il est clair que Platon se
moque d’Euthydème et de Dionysodore, à l’instar d’Aristophane vis-à-vis de
Socrate. La moquerie de l’Euthydème prend même un caractère ubuesque, car
il y a tout lieu de penser que Socrate se comporte comme s’il voulait s’initier
à une dialectique dont, en réalité, il est l’inventeur. Il s’agit, évidemment, de
tourner en dérision au moyen d’un faux éloge, les pratiques éristiques des
Mégariques, des Cyrénaïques et des Cyniques, qui ne sont pour Platon que des
avatars d’une dialectique socratique dénaturée. Mais ce n’est là que le sens
apparent. Car, en arrière-plan de la feinte de Socrate, expression évidente de
4. Th. A. SZLEZÁK, Le Plaisir de lire Platon (1993), trad. fr. de M.-D. Richard, Paris, Éd. du
Cerf, 1996, pp. 120-124.
5. M. NARCY, Le Philosophe et son double, Paris, Vrin, 1984, p. 40 ; M. CANTO in PLATON,
Euthydème, Paris, GF, 1989, p. 182, note 13 ; p. 192, note 65.
Rituel corybantique des mystères socratiques et doctrine des principes 271
son eirôneia (point 2), se dessine dans la première partie du dialogue une
initiation effective, qui est celle de Clinias, dirigée par Socrate.
Voici donc la première clé : le dialogue rejoue la comédie. Or puisqu’une
initiation sérieuse se met en place en deçà de l’eirôneia de surface, on en
déduit que Platon a cherché à recréer des conditions similaires à celles des
Nuées, dans le but exprès d’aborder le thème des initiations socratiques. En
d’autres termes, si Platon a multiplié les allusions à la pièce comique, c’est
bien, comme on l’a compris, pour se moquer des éristiques à la manière d’un
auteur de comédie. Mais c’est aussi, et on ouvre la première clé de l’œuvre,
en vue de faire comprendre que le dialogue est fondamentalement initiatique.
Car, de fait, dans les Nuées, Aristophane nous introduisait au sein du cercle
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mystérique des initiations socratiques, au sein même du Phrontistèrion.
À titre de confirmation remarquons que, conformément à la pièce qui mon-
trait Socrate pratiquant des initiations avec une intronisation de Strepsiade (v.
254-9), Platon va décrire une situation tout à fait similaire relativement à
Clinias. De plus, dans les Nuées, le thème du rite initiatique se voit fortement
amplifié dans le commentaire des Nuées (302-313) faisant allusion à un
mystère dionysiaque (en l’honneur de Bromios) dans le vacarme assourdissant
des auloi. Or l’Euthydème va apporter des informations très précises sur la
nature et le déroulement exact de ce rituel, censé avoir été représenté dans les
Nuées.
En effet, dans l’Euthydème, Socrate évoquera une intronisation similaire
adressée à Clinias, en désignant le rite comme étant celui des « Corybantes »
(277d-e) (point 3), puis il cautionnera une mise à mort symbolique de ce jeune
homme appelé à être initié (285b) (point 5). Il sera d’ailleurs un initiateur
durant les deux épisodes importants du dialogue que sont les protreptikoi logoi
(point 4). Par conséquent, comme Platon apporte des indications qui faisaient
défaut dans les Nuées, restituant et nommant un rite complet selon un déroule-
ment logique, tout se passe comme si Platon avait cherché à décrire les étapes
successives des initiations socratiques, ceci en rectification du portrait paro-
dique qui avait été dressé par Aristophane. L’ironie et le ton de la comédie
adoptés par Platon ne seraient alors que des mises en abîme (parmi les pre-
mières du genre dans la littérature) : un jeu de miroirs et de voiles destinés à
masquer mais aussi à attirer l’attention du lecteur avisé sur le fin mot de l’his-
toire. Une restitution complète du rituel socratique d’origine serait donc à
l’œuvre, celui-là même qui avait été fortement chahuté par l’auteur de comédie.
Selon cette hypothèse, la troisième énigme que nous avons relevée (point 3),
prend toute sa signification : personne d’autre que Socrate n’est plus habilité à
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gétique ne peut être que de restituer la vérité propre de Socrate, par-delà
l’ancienne caricature. En d’autres termes, il s’agit de faire toute la lumière sur
le rôle exact du philosophe, en tant que penseur ayant, de son vivant, institué
des mystères. Face aux soupçons des contemporains envers des pratiques
perçues extérieurement comme suspectes, impies et dévoyées, il s’agissait pour
Platon de montrer que les pratiques initiatiques propres à Socrate et à ses
proches, étaient en réalité modestes, irréprochables et fortement imprégnées de
la présence du divin. Cette même fonction apologétique ressurgira dans toute
sa force, au sein d’un autre dialogue bien connu, le Banquet, notamment avec
l’objectif de vérité (tou alèthous heneka) d’Alcibiade (215a s.). Ce personnage,
ancien compagnon du philosophe, faisant face aux convives au nombre des-
quels figure Aristophane, répondra à ce même objectif consistant à faire toute
la lumière sur les aspects méconnus de Socrate (216c), en particulier les pra-
tiques initiatiques associées au « corybantisme » (215b-e). Le philosophe est
alors dûment replacé dans son idiosyncrasie ironique (216e) et dans son his-
toire propre (219e-221a), ceci en réponse à la caricature des Nuées (221b,
221e-222a). Telle est donc notre hypothèse de base. Audacieuse, elle l’est assu-
rément. Elle a néanmoins le mérite d’être relativement simple à comprendre
et, surtout, d’éclairer d’un bout à l’autre l’œuvre déroutante intitulée l’Euthy-
dème, pour nous incompréhensible autrement, tout en permettant de saisir son
étroite parenté avec le Banquet. De plus, la ligne interprétative que nous
tentons de dégager, comme nous le verrons, est de nature à faire comprendre
le pourquoi de la présence en filigrane, dans l’Euthydème, de certaines concep-
tions ou procédures qui seront ensuite plus largement exposées dans deux
autres dialogues importants, la République et le Théétète.
Reprenons le passage concerné du point 3 (Euthyd. 277d-e). Après la clé du
prologue, ce passage délivre alors une seconde clé venant confirmer que c’est
la question des rituels qui est en jeu. L’époque étant fortement imprégnée de
Rituel corybantique des mystères socratiques et doctrine des principes 273
la culture des mystères, un tel passage devait frapper l’esprit des lecteurs. On
remarque que Socrate dit que les deux sophistes font exactement la même chose
(tauton) que ce qui se pratique lors du rituel corybantique. Il est dès lors
manifeste qu’une véritable initiation est décrite. C’est une initiation d’un
nouveau style, philosophique, qui se présente d’emblée comme une transposi-
tion du rite religieux. Dans l’expression « si tu as jamais été initié » se perçoit
une distinction entre l’initiation purement religieuse, que Clinias peut déjà
avoir suivie, et cette initiation à laquelle il est soumis à l’instant, non directe-
ment perceptible. D’où la nécessité, pour Socrate, de l’identifier comme telle.
Toutefois, s’il y a transposition, cela ne veut pas dire que le rituel est purement
illustratif ou métaphorique. L’adjectif tauton montre que la procédure corres-
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pond bien à un rituel corybantique, élevé à la dimension philosophique.
Insistons sur le fait que Socrate, dans ce passage, n’apparaît jamais comme
un profane mais toujours comme un homme capable de commenter, voire de
superviser le rituel, se situant à cet égard (point 3) dans une surprenante com-
plicité avec les deux sophistes. Il est un initié qui sait de quoi il en retourne ;
il sera de surcroît un initiateur. Par conséquent, on est renseigné sur le rôle
exact de Socrate. On comprend d’abord que les différentes étapes des discus-
sions, comme l’a bien vu Levenson 6, vont s’organiser selon la progression
même du rite corybantique, la mention parfaitement explicite selon laquelle on
est en présence d’un rituel n’apparaissant qu’à cet endroit. Il s’agit donc bien
d’une clé qui prend une résonance particulière tant pour les Dialogues en
général que pour l’Euthydème : l’elenchos (réfutation) que Socrate assume
habituellement, sauf ici même (mais ce sont des épigones qui s’en sont
chargés), ne devait correspondre, à l’origine, qu’au « prélude » des initiations
socratiques.
Précisons la signification du mot « corybante ». Est korubas celui qui, au
cours du rituel, devient possédé. La possession implique un état de transe
obtenu au moyen de la danse et d’un accompagnement musical bruyant et
obsessionnel. L’initiation parvient à son accomplissement quand l’individu
devient « possédé » par une divinité. Au passage 277d-e, Clinias n’en est qu’au
prélude (ta prôta). Il est intronisé, non encore initié.
Luc Brisson, dans son annotation d’un passage similaire du Criton, a proposé
une reconstitution en trois temps du rituel religieux d’origine 7, en s’appuyant
d’ailleurs principalement sur ce passage de l’Euthydème. Il distingue alors trois
étapes : 1) le sacrifice préparatoire en l’honneur de la divinité (celle-là même
qui interviendra lors du rite) ; 2) le rituel d’intronisation avec danse des initiés
autour du postulant dans le vacarme assourdissant produit par l’aulos et le
tambourin ; 3) l’initiation proprement dite : le néophyte entre dans la danse
pour devenir à son tour korubas, possédé du divin. Brisson rajoute qu’à la fin
du rituel celui qui a été initié retrouve son calme et se voit débarrassé de son
anxiété. Est mise ainsi en évidence la finalité curative du rite, mentionnée
notamment dans les Lois (790e s.) de Platon et dans les Guêpes (8, 119) d’Ari-
stophane. On se reportera aussi au Phèdre, 244d, cité par I. Linforth, qui a
consacré une étude aux rites corybantiques chez Platon 8. En plus de la finalité
curative du rituel, il faut aussi relever son caractère dionysiaque, comme le
montrent les vers 121-134 des Bacchantes d’Euripide au sujet du même rituel.
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Remarquons à quel point le passage des Nuées, 302-313, entre en étroite cor-
respondance tant avec le passage explicitement corybantique de l’Euthydème
qu’avec celui des Bacchantes, notamment avec cette « fête de Bromios » dans
le vacarme assourdissant des auloi.
Le corybantisme tire ainsi son origine d’un culte dionysiaque très ancien,
venu de Phrygie, visant la possession que les Grecs appelaient katokôchè ou
enthousiasmos. L’historien Flavius Arrien du Ier siècle (156F82 Jacoby) apporte
quelques éléments complémentaires : les transports corybantiques sont dus au
fait même d’être possédés par des daimones. Ce processus de « démonisation »
du célébrant est quelque peu perceptible dans les Nuées avec l’expression dai-
moniôs huperphua (Nuées, 76). Mais on reconnaîtra surtout les verbes très
typiques : mainomai ou katechomai que nous trouvons dans les Bacchantes,
l’Euthydème, l’Ion et le Banquet, précisément lorsqu’il est question de rites
corybantiques. Le verbe mainomai apparaît en toutes lettres dans les Nuées
(v. 660), précisément lorsque Strepsiade en vient à se faire initier. Platon le
réintroduit avec la même expression dans l’Euthydème au moment qui prépare
la « mort symbolique » (283e8) : « à moins que je ne sois transporté par la
fureur ».
Bref, les correspondances « corybantiques » dans les textes de Platon et
d’Aristophane sont manifestes et doivent être prises au sérieux. Les Nuées font
aussi apparaître à la fin de l’initiation de Strepsiade le participe ekpeplègmenos
(être foudroyé) (v. 808), qui sera réutilisé par Alcibiade dans le Banquet plato-
nicien (215d5) lorsque ce personnage en viendra à décrire le rite corybantique
célébré par Socrate 9. Toutefois, à la place du terme spécifique (katechometha :
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moquerie, le déroulement complet (donc le sens exact) des Mystères socra-
tiques 10, ceci en rectification de l’ancienne caricature d’Aristophane.
Revenons sur le fait que les préludes des mystères (Euthyd. 277e) doivent
être compris par rapport à l’ensemble du rituel représenté dans ce dialogue. Or
Socrate, à partir de cette citation jusqu’à la fin de la première partie du dialogue
(293a), va prendre la direction des opérations. Il faut donc s’attendre à ce que
le premier protreptique (278d-282e) dont l’apparition suit de peu l’allusion de
Socrate aux préludes, ne nous restitue rien d’autre que l’étape suivante des
mystères socratiques. À titre de confirmation, comme nous l’avons signalé avec
le point 5, les deux protreptikoi logoi placés sous la tutelle de Socrate sont
séparés par la très importante étape initiatique de la mise à mort symbolique
de Clinias et de Ctésippe. Ils sont donc partie intégrante du rituel.
Autre fait remarquable : en 291a, lorsque Clinias a énoncé sous le coup de
l’inspiration une vérité fulgurante, Socrate dit que c’était un des êtres très
supérieurs, c’est-à-dire une divinité, qui parlait à travers lui. Par la suite, Cté-
sippe sera lui aussi possédé (303a, 303e). Dans les deux cas, la mort symbo-
lique précède un état de possession.
Examinons à cet égard l’épisode concernant la mise à mort : cette phase est
introduite par les deux frères, mais c’est encore une fois Socrate qui y voit un
rite de passage : « Faisons donc cette concession : qu’ils nous mettent à mort
ce garçon et le rendent raisonnable… » (285b6-7). On comprend que la mise
à mort est une condition sine qua non d’accéder à une raison supérieure.
Voulant partager le sort de son erômenos, Ctésippe affirme, non sans avoir
écriture chez Platon, Ousia, Bruxelles, 2011, p. 104), qui met en évidence la constitution spontanée
d’une « communauté de sectateurs », sous l’effet du verbe de Socrate.
10. Le rite socratique, pourtant de nature corybantique, se réapproprie la procédure des Petits
et des Grands Mystères d’Éleusis. Ce qui apparaît clairement dans Gorgias 497c. Les deux protrep-
tiques devraient se suivre selon ce modèle. Voir point 4.
276 Jean-Luc Périllié
résisté à l’absurdité apparente des propos des frères, qu’il accepte de se livrer
à eux, même s’ils sont prêts « à l’écorcher, à condition que sa peau ne finisse
pas en outre (askon), comme celle de Marsyas, mais en vertu » (285d). Or on
sait que dans le Banquet (215b-e), le satyre Marsyas est une figure tutélaire
du culte corybantique qu’Alcibiade mentionne lorsqu’il dépeint les initiations
socratiques. Dans l’Euthydème, et ce ne saurait être un hasard, Ctésippe
reprend un propos de Strepsiade des Nuées (442) qui, en tant que candidat à
l’initiation des Mystères socratiques, disait qu’il était prêt à être transformé
en outre et il ajoutait : « Qu’ils fassent de moi ce qu’ils voudront… » (454-
456). Au vu de ces récurrences, nul ne peut contester l’existence d’un parallé-
lisme troublant entre l’initiation de l’ancienne comédie et celle du dialogue,
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lequel, d’ailleurs, doit être associé au Banquet, ces deux textes platoniciens
décrivant d’une manière complémentaire les initiations socratiques : l’Euthy-
dème restitue le déroulement du rituel, alors que le Banquet, avec Alcibiade,
rapporte le ressenti émotionnel que les disciples éprouvaient au cours du rituel.
Signalons que c’est bel et bien le satyre Marsyas mentionné dans l’Euthydème
et le Banquet qui, selon le mythe (Hérodote, VII, 26), a été écorché par
Apollon, et c’est précisément la peau de ce satyre qui a été transformée en
outre. D’ailleurs, dans le Banquet, Socrate est lui-même un satyre dont la peau
n’est qu’une enveloppe qui cache des agalmata theôn (215b3). Il est aussi
question de satyres dans les vers des Bacchantes d’Euripide (121-134) consa-
crés au culte corybantique. La référence implicite au sort de Marsyas dans les
Nuées (442), l’apparition, dans cette pièce, de thèmes appartenant précisément
au rituel corybantique, tout cela vient confirmer le fait que le rituel a été repré-
senté par Aristophane et qu’il était bel et bien organisé par le Socrate histo-
rique, à l’origine. Nous pouvons aussi admettre qu’Aristophane, même s’il
n’employait pas toujours les termes exacts, était en réalité assez bien renseigné
sur les activités internes du cercle socratique. Par conséquent, comme les Dia-
logues de Platon viennent compléter et rectifier les indications fournies par
l’ancienne comédie, on en vient à considérer que la pièce prend une valeur
documentaire, les deux sources s’éclairant réciproquement, comme l’avait bien
vu, il y a plus d’un siècle, l’éminent Alfred Edward Taylor 11. En tout cas, une
chose est sûre : le culte qu’Aristophane avait représenté d’une manière bur-
lesque dans les Nuées se voit restitué dans son déroulement ordonné et désigné
comme corybantique, par Platon dans l’Euthydème. Alors que Platon nous ren-
seigne sur les étapes et la nature exacte d’un rituel philosophique impliquant
Socrate, Aristophane nous permet de savoir que ce rituel concernait bien le
11. A. E. TAYLOR, « The Phrontisterion », Varia Socratica, J. Parker, Oxford, 1911, p. 174.
Rituel corybantique des mystères socratiques et doctrine des principes 277
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Les étapes du rituel socratique : accomplissements et échecs
Revenons encore une fois sur les protreptiques (point 4). Il y a un autre
élément qui vient confirmer la base socratique du rituel corybantico-philoso-
phique : l’apparition d’une pratique de la maïeutique qui, de fait, est décrite
dans le Théétète comme un art appartenant en propre à Socrate (la maïeutique
étant, d’ailleurs, assimilée à des mystèria dans les Nuées, aux vers 140-143).
Dans le second protreptique de l’Euthydème, manifestement, Clinias exprime
une vérité fulgurante (290b-d) et le traducteur Louis Méridier 13 fait remarquer
que la prouesse de Clinias n’est pas sans lien avec le passage concernant la
maïeutique (Théétète, 150d), au cours duquel Socrate parlant de ses disciples
s’extasie en disant : « C’est merveilleux tout ce qu’ils donnent. » Si on regarde
de plus près ce passage, on remarque que les jeunes amis de Socrate appa-
raissent au départ comme de « parfaits ignorants ». Toutefois, il s’avère que
ceux que le dieu a retenus (n’ayant pas été écartés par le signal démonique,
151a) produisent des fruits extraordinaires. C’est exactement ce qui est décrit
dans l’Euthydème, avec Clinias. Socrate a été averti par le signal démonique
de ne pas rompre l’entretien (272e4). Le jeune homme apparaît comme un
parfait ignorant (279b-d) au cours du premier protreptique, mais, brusquement,
dans le second, il est inspiré par un savoir divin. En associant ces passages
similaires de l’Euthydème et du Théétète, on comprend que les jeunes gens
retenus par le dieu étaient censés parvenir, au moyen de l’initiation socratique,
à l’état de korybantes. Toutefois, l’état de possession n’était à l’origine qu’une
12. Au terme du premier protreptique, Clinias, à la demande de Socrate (282d), déclare son
intention de philosopher (philosophein), prononçant ainsi ses vœux de conversion. Mais il devra
se soumettre au rituel de mort symbolique. Le changement de vie sera évoqué en 293a.
13. Voir L. MÉRIDIER, in PLATON, Euthydème, Paris, Les Belles Lettres, 1931, p. 173, n. 1.
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perdu de vue, puisque Socrate en appelle aux deux frères, considérés comme
des Dioscures, pour les sauver, Clinias et lui-même (293a). Or il s’avère que
les Dioscures représentent des divinités initiatrices et sotériologiques, qui ont
pu être associées au rite corybantique 14.
L’aporie centrale (point 6) concerne la définition de la science royale qui est
science de l’usage des biens. Pour définir la science royale, il faut connaître
son bien propre, mais pour connaître ce bien propre il faut la science royale.
Cette aporie est fondamentale : d’abord, elle est centrale dans le dialogue.
On peut saisir toute son importance au sein même du platonisme du fait qu’elle
tient provisoirement en échec le tandem Socrate-Platon, Platon dans l’Euthy-
dème étant indéniablement représenté par Clinias. Car c’est bien Clinias qui,
au cours du bref moment d’inspiration, a présenté les éléments de la science
du philosophe-roi de la République, comme technique royale de l’usage des
biens. Il est dès lors tout à fait plausible de considérer que la grande aporie de
l’Euthydème représente dramatiquement un échec, faisant suite à l’accouche-
ment socratique du platonisme. Cette aporie représente bien une troisième clé
du dialogue, décisive pour en comprendre le sens global. En l’occurrence,
Platon a d’abord mis en scène tout ce qu’il devait à Socrate pour dire ensuite
comment, au bout du compte, la collaboration avec son maître devait nécessai-
rement se heurter à un obstacle majeur. La grande aporie de l’Euthydème
s’avère dès lors aussi éclairante à ce sujet que le passage du livre I au livre II
de la République, qui révèle, comme l’a montré Vlastos 15, comment on passe
du Socrate 1 (du premier livre) au Socrate 2, le Socrate platonicien des livres
suivants, du Socrate 1 qui imite le philosophe du Ve siècle au Socrate 2, qui
déploie progressivement sur un mode discursif (logôi) les thèmes fondamen-
taux du platonisme. Les deux représentations parallèles témoignent ainsi
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raison (didonai logon) dirigé par Socrate échoue rapidement dans l’Euthydème,
alors qu’il réussit dans la République au moyen d’une longue discussion. Mais
il y a tout lieu de penser que dans ce dialogue, ce n’est plus le même Socrate
qui parle : c’est indéniablement Platon qui, dès le livre II, s’est porté au secours
de son ancien maître, en dialoguant avec ses deux frères, Glaucon et Adimante.
En revanche, dans l’Euthydème, le Socrate 2 platonicien n’intervient pas
encore : nous sommes toujours en présence du premier Socrate ignorant et
ironique, guidé par sa voix démonique, accoucheur-initiateur de jeunes di-
sciples 17.
Compte tenu de ces éléments, il nous est maintenant possible de voir
comment, à l’origine, devaient s’effectuer les étapes de la transposition socra-
tique du rituel des corybantes, celui-là même qui a été parodié par Aristophane
en 423 av. J.-C. Nous distinguons sept étapes, certaines d’entre elles pouvant
se solder par des échecs :
16. Voir Th. A. SZLEZÁK, Le Plaisir de lire Platon, op. cit., pp. 89 s.
17. Un des indices probants de la différence entre les Socrate 1 et 2 est que Socrate, dans
République VII, veut écarter les jeunes gens de la dialectique, contrairement au Socrate de l’Euthy-
dème et des Premiers dialogues.
280 Jean-Luc Périllié
III. Petits Mystères socratiques. Se met en place, après l’elenchos, une pre-
mière recherche en commun avec exhortation de Socrate : étape du
premier protreptique de l’Euthydème. Voir aussi Euthyphron, 11e s.,
Ménon, 82e, Alcibiade, 124b-c, Théétète, 148c-d, surtout Gorgias, 497c.
Cette étape est accomplie quand l’intronisé en vient à prononcer ses vœux
de conversion à la vie philosophique. Voir Euthyd. 282d, Charmide, 176b,
Alcibiade, 131d ; phase de l’appel (parakalein) dans Gorgias 500c, qui
échoue avec Calliclès en fin de dialogue.
IV. Mise à mort symbolique (voir point 5) : l’intronisé devait déclarer renoncer
à son ancien mode de vie profane et s’en remettre totalement à l’accompa-
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gnement socratique. Voir Euthyd. 285d = Nuées, 439 s.
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des principes suprêmes, celle-ci n’étant plus désormais placée sous la tutelle
de Socrate.
Two, the ultimate evil. Thus “two, not one” would mean “bad, not good” or
even (roughly) “not God, but the Devil”. The appearance of a figure who is
two, not one, would be the least auspicious omen in the world. » Se profile
ainsi une quatrième clé, apparaissant, celle-ci, dans le prologue, tout aussi
indispensable à une bonne compréhension du dialogue.
Socrate laisse cependant à entendre, en 277d, qu’Euthydème et Dionysodore
sont des corybantes. La question est alors de savoir en quel sens ils le sont.
D’abord, les deux frères sont des émules de Socrate : ils sont rompus à la
pratique de la dialectique élenctique (dont Socrate est fort vraisemblablement
l’instigateur, comme le montre le Protagoras, en particulier : 336b-d, 338a-d).
Toutefois, puisque les deux sophistes n’ont retenu du dialegesthai socratique
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que la réfutation, puisque c’est toujours Socrate qui fait ressortir l’aspect rituel
des entretiens, on est en droit de penser qu’ils pratiquent le corybantisme à
leur insu. Ils semblent emportés dans la spirale d’un corybantisme dévoyé,
comme dans un gouffre sans fond. Il y a en effet fort à croire que leur pratique
de possession, pervertie à la base, les entraîne vers le Mal absolu et, comme
ils sont deux, vers le principe négatif de la Dyade indéfinie. Nous avons affaire
à une dialectique qui, à l’évidence, entraîne le dialecticien dans un sens diamé-
tralement opposé au plus grand des biens (279c), que recherchaient Socrate et
Platon.
Au cours des 19 sophismes présentés dans la seconde partie du dialogue,
Carl Levenson a relevé autant de thèmes dyadiques et corybantiques 18. Nous
ne pouvons que souscrire à son interprétation car, à l’évidence, il ne saurait
être question seulement d’arguments éristiques à caractère formel. L’affaire est
autrement plus grave (comme on peut le supposer en raison du grand cri de
détresse de Socrate en 292e-293a). De toute évidence, le burlesque apparent
masque un contenu profond. On relève aussi, on l’a signalé, comme éminem-
ment significatif le fait que le corybantisme des deux frères aboutisse au sacri-
fice des dieux dans l’éclat de rire général. N’y a-t-il pas là l’indice d’une
possession effrayante et monstrueuse ? Il y a toujours corybantisme à cette
différence près, cependant, qu’on ne peut plus dire que les deux protagonistes
sont possédés par les dieux puisqu’ils envisagent de les sacrifier, dans une
inversion totale du culte. Mais alors par quoi Euthydème, Dionysodore, Cté-
sippe et les auditeurs emportés par ce rire effrayant, sont-ils possédés ? Par le
Mal comme antithèse principielle du divin. Nous dirions alors qu’il y a globale-
ment deux sortes de corybantisme : celui des theioi andres, des poètes et des
philosophes investis par le verbe divin (c’est le corybantisme de Socrate, dès
lors qu’il est en proie à l’enthousiasmos, possédé par la theia moira, comme
on le voit dans de nombreux dialogues ; puis il y a le corybantisme de celui
qui est possédé par le Mal, ce qui l’amène, s’il est sophiste, à détruire toute
signification : tel est, selon toute apparence, l’aboutissement du corybantisme
des éristiques 19. C’est à ce titre que les deux éristiques sont dotés d’un réel
pouvoir et qu’ils exercent une fascination. Et cela suffit pour expliquer leur
ascendant (points 5 et 7) : Ctésippe finit par tomber sous leur coupe. Socrate
n’échappe pas à cette fascination, dès lors que les deux sophistes manifestent
en eux-mêmes la puissance d’un des Principes suprêmes, bien que le philo-
sophe reste en retrait : s’il prononce un éloge, il ne semble pas participer au rire
général. Tout le dialogue, notamment dans son ultime aboutissement, devient
compréhensible dès lors qu’on admet cet angle d’interprétation qui, finalement,
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permet aussi d’y associer le rapport d’Aristote (Métaphysique, A, 6) concernant
un énigmatique enseignement de Platon, non explicitement consigné dans les
Dialogues, mais présent tout de même en filigrane, concernant les Principes
suprêmes de la Monade et Dyade indéfinie.
Bref, avec la seconde grande partie post-aporétique de l’Euthydème, nous
approchons le domaine le plus important de la pensée platonicienne que
l’auteur n’a pas voulu transmettre directement par écrit. On comprend pourquoi
dès lors qu’il s’agit d’un enseignement réservé à l’initiation. Avec l’Euthydème,
nous sommes seulement indirectement mis en contact avec le contenu même
des agrapha dogmata, selon l’expression en elle-même sans ambiguïté que
l’on rencontre chez Aristote, Phys. 209b11-17.
La thèse de l’existence d’agrapha dogmata chez Platon, concernant la
science suprême des Principes a été contestée par Cherniss et ses émules 20.
Une de leurs justifications est qu’il n’y aurait chez Platon, comme en témoigne
la chôra du Timée, aucun principe actif du Mal, cette notion ne correspondant
qu’à la nécessité mécanique des éléments, eux-mêmes privés de Forme 21. La
nature corporelle (chôra) n’aurait aucune puissance intrinsèque.
19. Sur ce point, notre lecture diffère de celle de C. LEVENSON (ibidem, p. 127) : cet interprète
voit dans les Corybantes, une secte secrète ayant précédé les alchimistes. Les deux sophistes en
seraient des membres. Notre interprétation, centrée avant tout sur le personnage de Socrate et sur
le rituel parodié des Nuées, nous paraît plus économique, de plus intimement liée à l’objectif
apologétique des Dialogues. L’Apologie, 33c, le Phédon, 58e, et le Phèdre, 230a, montrent bien
que Socrate était investi par la theia moira, comme manifestation de possession corybantique :
voir Ion, 536c2-3.
20. H. CHERNISS, L’Énigme de l’Ancienne Académie (The Riddle of the Ancient Academy,
1945), trad. fr. L. Boukalia, Paris, Puf, 1993. L. BRISSON, « Présentation de l’“Interprétation
ésotériste de Platon” », Les Études philosophiques, janvier-mars, 1998, pp. 1-9.
21. Voir L. BRISSON, Le Même et l’Autre, dans la structure ontologique du Timée de Platon,
Academia Verlag, Sankt Augustin, 1994, p. 504.
284 Jean-Luc Périllié
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une sorte de vertige d’irrationalité.
Par ailleurs, si on se tourne du côté du Timée, qui fait apparaître l’instance
de la chôra à la fois sur le plan prédicatif (comme dans l’Euthydème) et sur le
plan cosmologique, on voit que certains passages révèlent qu’il y a bel et bien
un mouvement intrinsèque de la chôra, qui est alors désigné comme celui de
la « nourrice du devenir ». Si celle-ci se définit comme un réceptacle et se
présente d’abord comme recevant le mouvement des éléments, il est dit qu’elle
le réimprime à son tour, ce qui veut dire qu’elle l’amplifie (Timée, 52e). Or
Platon, dans les Lois (790c-791b), signale que le mouvement des nourrices qui
bercent les nouveau-nés est d’une certaine manière comparable aux danses
envoûtantes des rites corybantiques, permettant d’être libéré d’un mal. Car,
comme le montre le passage 244d du Phèdre, le corybantisme était censé
soigner ceux que l’on considérait comme possédés par un mal (kakon), et cela
au moyen du rituel. Il s’agissait de mettre en confrontation deux types de
possession : faire intervenir la possession des dieux (meta theôn, dit l’Étranger
des Lois) pour contrecarrer la puissance d’un mal. Cependant, pour inviter les
dieux à intervenir, les initiés, dit le texte, devaient leur offrir des sacrifices
(thuein), non pas les sacrifier. Dans le Timée, la « nourrice du devenir »,
contrairement aux nourrices apaisantes des Lois, entraîne les éléments vers le
chaos. Mais les unes et les autres sont animées d’un mouvement propre et ont
affaire au mal.
Pour conclure, avec la reconstitution d’un double rituel corybantique, nous
pensons avoir relié en un tout cohérent les sept points énigmatiques de l’Euthy-
dème, que nous avions relevés. Les points 1-6 correspondent à une restitution
voilée par l’eirôneia de l’ancien rituel corybantico-philosophique que Socrate
avait coutume de célébrer avec ses compagnons, alors que le point 7 peut être
perçu comme un cliché en négatif d’une initiation supérieure, que Platon a
conçue et appliquée avec ses propres disciples (voir République VI et VII,
Rituel corybantique des mystères socratiques et doctrine des principes 285
Lettre VII, 341c, 344b), dans le but de résoudre les apories principielles que la
méthode socratique ne parvenait pas à surmonter.
Jean-Luc PÉRILLIÉ
Université Montpellier-3
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