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l’événement

Côte d’ivoire présidentielle   2010

dans la tête
de laurent
Gbagbo
L’ex-président ivoirien
n’a jamais envisagé
sa défaite. Battu par
les urnes, dos au mur,
il s’est retrouvé sans plan B.
Si ce n’est le passage
en force. Récit exclusif.

Cérémonie d’investiture, au palais de


la présidence, le 4 décembre, à Abidjan.
23

L
François Soudan

es hommes de jamais vaincu », qui « joue sur


pouvoir n’ont de son autoritarisme et son besoin
secrets ni pour leur de puissance », dont l’ego et la
valet de chambre détermination composent « une
ni pour leur gra- personnalité de style paranoïa-
phologue. Ceux qui que » avec un mode de conduite
pensaient que Laurent Gbagbo à la fois profondément structuré
allait se soumettre au verdict et définitivement inamovible. Se
des urnes et qui s’étonnent de ment-il à lui-même, lui qui entre-
le voir, dix jours plus tard, vissé tient avec la vérité des rapports
sur son fauteuil présidentiel fluctuants maintes fois dénoncés
comme une huître à son rocher, par ses adversaires et partenai-
submergé par la marée des res ? Rien n’est moins sûr. Mais,
condamnations internationales, même s’il sait que ses probabi-
en seraient moins surpris s’ils lités de survie au pouvoir sont
avaient en tête cette analyse gra- à terme totalement hypothéti-
phologique, réalisée il y a quatre ques, cette posture de « Gbagbo
ans sur la base d’un manuscrit contre le monde entier » est sans
échappé du Palais de Cocody. doute celle où il puise le plus de
Il y est question d’un homme ressources intimes. Dos au mur,
qui « s’identifie complètement à réapparaît alors Gbagbo le Bété,
Émilie Régnier pour ja

son personnage sans se dévoiler héritier de six siècles d’enracine-


pour autant à titre personnel », ment en terre d’Eburnie et d’une
qui répond au doute par « l’at- longue histoire de résistance
taque » et « l’orgueil », sur qui minoritaire à la conquête puis
« l’affectif et la sensibilité n’ont à l’occupation coloniale fran-
pas de prise », qui ne « s’avoue çaise. Gbagbo l’opposant,



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persuadé d’incarner un « nouvel de l’étranger », aux blindés blancs de Mugabe, comme la plupart des chefs


ordre » et la seconde indépendance, la l’ONU et aux injonctions de la com- d’État quand ils sont confrontés aux
seule vraie, de la Côte d’Ivoire. Gbagbo munauté internationale, clame que diktats politiques, économiques ou
le nationaliste, contraint comme il le son pays « n’est pas recolonisable ». judiciaires du Nord – Cour pénale
dit de « faire la révolution de 1789 Réapparaît « Seplou », son surnom du internationale, critères démocrati-
sous le contrôle d’Amnesty Interna- village, l’oiseau qui avertit du danger ques de la bonne gouvernance, biens
tional » et qui, face aux « candidats et annonce la guerre. Comme Robert mal acquis… –, Laurent Gbagbo joue
donc, mi-sincère mi-calculateur, sur le
registre d’un patriotisme afrocentris-
Aké N’Gbo : universitaire te qui est loin d’être obsolète auprès
et Premier ministre d’une partie de l’opinion continentale.
Le problème évidemment est que plus
La barbe et les cheveux sont abondants, le regard est vif et d’un Ivoirien sur deux ne se reconnaît
un peu intimidé derrière des lunettes rondes. Dans un des salons de la pas dans cette démarche, que même
résidence officielle de Laurent Gbagbo, le professeur Gilbert Marie Aké s’il ne s’y est résigné qu’à contrecœur,
N’Gbo, tout nouveau Premier ministre, se livre à sa première séance il a bien accepté que cette élection se
officielle de prise de photographies. Il est revenu toutes affaires ces- tienne sous étroite observation exté-
santes d’une mission universitaire au Bénin, où il se trouvait quand il rieure, et que la CEI, dont il prévoyait à
a été informé de sa nomination. l’avance qu’elle avaliserait une mesure
Universitaire, Aké N’Gbo l’est avant toute autre chose. Né en 1955 « inévitable » mais néanmoins « accep-
à Abidjan, il a obtenu son doctorat d’État en sciences économiques table » de fraudes, en dise les résul-
en 1991 à l’université de Toulouse. Spécialisé en économétrie et en tats. Le problème enfin est qu’en cas de
économie de la régulation, il est doyen de l’unité de formation et de défaite, inenvisageable à ses yeux tant
recherche en sciences économiques et de gestion de 2001 à 2007. cette humiliation lui est insupportable,
Ses étudiants se souviennent de lui comme d’un homme structuré et le phacochère blessé qu’il est devenu
rigoureux, qui a instauré des cours de rattrapage le week-end dans le n’a jamais eu d’autre plan B à sa dispo-
contexte des grèves à répétition pour éviter des années académiques sition que le passage en force…
à rallonge. Avant sa nomination, Aké N’Gbo était le président élu de
l’université de Cocody, à Abidjan. Cette année, il a été le président waterloo électoral
du comité scientifique des colloques sur le cinquantenaire de l’in- Comment Laurent Gbagbo a-t-il bu le
dépendance de la Côte d’Ivoire. calice de son Waterloo électo-
Jusqu’à présent, Aké N’Gbo n’a ral ? Pourquoi a-t-il décidé de
jamais revendiqué le moindre s’enfermer dans son Fort Cha-
engagement politique, même si brol de Cocody et de tenir tête
la presse d’opposition le considè- à l’Histoire ? Jusqu’où ira-t-il ?
re comme un proche de Simone Le récit exclusif des cinq jours
Gbagbo, la première dame. qui ont fait basculer la Côte
Pourquoi lui ? Certains obser- d’Ivoire, vu de l’intérieur du
vateurs notent qu’il est un Akan bureau présidentiel et recons-
du Sud, de l’ethnie attiée, origi- titué à partir du témoignage
naire de la région de l’Agnéby, des proches du chef de l’Etat
ISSOUF SANOGO/afp

proche d’Abidjan, où Gbagbo a sortant, éclaire d’un jour sin-


fait ses meilleurs scores au pre- gulier une fin de règne lugubre
mier et au second tours. Sa nomi- et parfois surréaliste.
nation pourrait donc obéir à une
géopolitique de la récompense. Au palais présidentiel, le 7 décembre. >>> Dimanche 28 novem-
Quelques analystes de la vie bre, 23 heures. Dans son QG
politique ivoirienne estiment quant à eux que le président Gbagbo a de campagne du quartier d’Adoban, à
voulu envoyer un message clair à l’opinion. Aké N’Gbo, qui se décrit Abidjan, Laurent Gbagbo a le sourire.
comme « un serviteur de l’État et de la République », est assez éloi- Selon les informations en sa possession,
gné du panier de crabes politicien de la Côte d’Ivoire de ces dernières la clé du scrutin – le report des voix de
années. Il incarne une sorte de renouvellement de la classe dirigeante. l’électorat d’Henri Konan Bédié – tourne
« Il est assez piquant de remarquer que, de l’autre côté, Ouattara choi- dans le bon sens. Les chiffres, tout au
sit un ex-étudiant qui a à peine sa licence et qui n’a jamais travaillé, moins ceux qui lui parviennent, le don-
quand Gbagbo choisit le meilleur de l’aristocratie universitaire en nent en tête avec 52 % des voix, contre
Côte d’Ivoire », glisse, féroce, un dignitaire du Front populaire ivoi- 48 % à Alassane Ouattara. « Vous voyez
rien (FPI). bien, lâche le président. Je savais que
Dès le premier Conseil des ministres, Aké N’Gbo a révélé les grands la greffe n’allait pas prendre. » Ce qu’il
axes de ce qu’il a appelé sa feuille de route : la gouvernance, l’éduca- ignore, bien sûr, c’est qu’au même
tion et la santé. Il n’a pas évoqué la crise inédite qui secoue actuelle- moment son rival a en mains des esti-
ment son pays. Ce dossier, on l’a compris, est avant tout du ressort mations radicalement inverses en pro-
de Laurent Gbagbo lui-même. ■ Théophile Kouamouo, à Abidjan venance de la CEI (57 % en sa faveur).

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Émilie Régnier pour ja


Avec Simone Gbagbo,
lors de l’investiture.

Et que, dans sa suite du Golf Hôtel, le sin et facilitateur de la crise, le prési- che de Soro et en a tiré l’impression que
Premier ministre Guillaume Soro est en dent burkinabè Blaise Compaoré, puis « Guillaume ne va pas [les] lâcher. »
train de basculer. Soro, qui a pourtant raconte sa conversation. « Je lui ai dit : En pleurs, elle ajoute : « Ils vont arran-
cru en Laurent Gbagbo avant le pre- “Blaise, on me signale des mouvements ger les choses, Allah est avec nous ! »
mier tour du 31 octobre et peut-être de tes troupes à nos frontières.” Il me Arranger ? Entre nuit et brouillard,
voté pour lui, puis senti la montée en répond : “Ah bon ? Quelles troupes ?” l’heure est aux intermédiaires de l’om-
puissance de Ouattara, est très remonté Je rétorque : “Tu n’es pas au courant ?” bre. Un riche homme d’affaires de la
contre celui qui le qualifiait pourtant, Il réfléchit un peu, puis me dit : “Oui, je région installé à l’hôtel Pullman, qui
il y a à peine deux mois, de « meilleur vois ce que c’est, ce sont
de mes Premiers ministres ». Motif : le des petites manœuvres
brusque durcissement de la campagne avant les célébrations Personnalité de style
électorale du président sortant entre de notre cinquantenaire
les deux tours. Simone Gbagbo, qui a le 11 décembre à Bobo- paranoïaque, Gbagbo ne
pris les rênes, a cru bon de fustiger à Dioulasso.” Je réponds :
longueur de discours les « fauteurs de “Tu ne pourrais pas les s’avoue jamais vaincu.
guerre » des Forces nouvelles, qui ont faire ailleurs ? Ça m’ar-
voulu « éliminer » son mari pour le rangerait. On a rigolé”. » Vers 22 heu- a ses entrées à la primature comme à
compte de Ouattara. Or, les FN, c’est la res, un visiteur informel, go-between la présidence, fait ainsi d’étranges pro-
base et la matrice de Guillaume Soro, entre les deux camps, glisse à l’oreille positions de compromis entre les deux
lequel n’a en outre pas apprécié la pro- du président que Guillaume Soro a hommes. « Tout est négociable », répè-
clamation unilatérale du couvre-feu. décidé de le quitter et de rallier Alas- te-t-il, et le plus étonnant est qu’il est
« Rien qu’en annonçant cela à la télévi- sane. « C’est impossible, il ne peut pas ! apparemment mandaté pour le faire.
sion, Gbagbo s’est tiré une balle dans le Ce serait trahir ! » s’exclame Gbagbo, Informé, Gbagbo refuse : « C’est un
pied : il a perdu quatre points en cinq « dites-lui de venir me voir immédia- piège ! » Gbagbo qui, désormais, hési-
secondes ! » fulmine-t-il. tement. » Trente minutes plus tard, le te et semble douter. « Nous sommes à
Premier ministre arrive et s’engouffre 50-50, confie-t-il, mais je m’accroche-
>>> Lundi 29 novembre, 20 heures. dans le bureau présidentiel. Rien ne fil- rai. » Sans doute pense-t-il désormais
Devant ses proches, Gbagbo paraît un tre, mais tout laisse à penser qu’aucun à mettre en œuvre son plan de sauve-
peu moins sûr de lui. Tout le monde, des deux hommes n’a véritablement tage : tout faire pour empêcher la CEI
à l’extérieur, commente la victoire crevé l’abcès. de proclamer les résultats « biaisés » et
annoncée de son adversaire, mais nul passer la main au Conseil constitution-
n’ose lui en parler. « On devrait gagner, >>> Mardi 30 novembre, 19 heures. nel. Au Golf Hôtel, Soro, lui, ne doute
confie-t-il. Mais il y a des fraudes, plus Nady Bamba, la seconde épouse du plus. Avec ses proches, il choisit le nom
graves que ce que j’avais prévu. » Un chef, n’en démord pas. Elle a rencontré de son futur parti : ce sera le FND, For-
peu plus tard, il téléphone à son voi- secrètement un collaborateur très pro- ces nouvelles démocratiques.

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>>> Mercredi 1er décembre, 19 heures. l’éponge sur les fraudes parce que la ches de Gbagbo ne perdent pas une
Dans la cour de la présidence, à Coco- fraude est du bon côté, celui de Ouat- miette de la conversation et, comme
dy, l’entourage de Laurent Gbagbo tara. Mais la CEI n’est qu’un outil tech- s’ils doutaient de la détermination de
arbore des mines renfrognées, limite nique. L’outil juridique, c’est le Conseil leur chef, font non de la tête dès que
agressives. Ici, l’étranger au carré des constitutionnel. La loi prime, et la loi Soro prend la parole. Plus tard dans
fidèles n’est pas le bienvenu. « L’An- ce sont les Blancs qui l’ont faite. Je la nuit, de retour à l’hôtel, Guillaume
gola a connu vingt-sept ans de guerre ne céderai pas. » Puis il décroche son Soro expliquera que Laurent Gbagbo
civile, nous n’en sommes qu’à la hui- téléphone : « appelez-moi le Premier lui est apparu « fatigué, désorienté », et
ministre  ». Gbagbo à que, dans ces conditions, il n’a pas eu
Soro : « Viens, je t’at- le courage de lui confirmer qu’il avait
« Choï et l’Onuci vont passer tends. » Soro : « Mais bel et bien perdu la partie. Les ponts
j e s u i s a v e c C hoï .   » sont coupés. Ils ne se reverront plus.
l’éponge sur les fraudes car Gbagbo : « Laisse-le et
viens me voir.  » Soro >>> Jeudi 2 décembre, 14 heures. Le
elles sont du bon côté », dit-il. est en route. Prévenue, délai imparti à la CEI pour annoncer
la garde à l’extérieur les résultats étant théoriquement for-
tième, nous tiendrons encore dix-neuf fait savoir qu’elle ne le laissera pas clos depuis la veille, une course de
ans », lâche un officier. Il est 20 heures approcher : « Pas question qu’il voit le vitesse s’est engagée entre les deux
quand un visiteur livre enfin au chef chef ! » Laurent Gbagbo doit réitérer camps. Alassane Ouattara téléphone au
ce que nul depuis deux jours n’a eu la ses ordres. L’entretien qui suit entre chef de l’Onuci, Choi Young-jin, pour
volonté de lui dire : les chiffres que la les deux hommes est tendu. Ils parlent lui demander d’abriter dans ses locaux
CEI s’apprête à rendre publics le don- des fraudes et le président fait savoir la conférence de presse de Youssouf
nent battu : « Tu as 46 %. » Gbagbo qu’il est hors de question à ses yeux Bakayoko, le président de la CEI, qui
accuse le coup, puis se reprend : « Cela que la CEI proclame les résultats avant doit proclamer les résultats provisoires.
ne m’étonne pas. La CEI a toujours été minuit : « Je ne les reconnaîtrai pas. » Refus de Choi : « Non, pas chez moi,
contre moi. Choi et l’Onuci vont passer Derrière la porte entrebâillée, des pro- ce ne serait pas opportun. » Ce sera

Quand les derniers


amis vous quittent...
Ils ne sont plus guère nombreux à défendre le cas
Gbagbo. La détermination des présidents Obama,
Sarkozy, Compaoré et Jonathan... a fait plier ceux
qui hésitaient encore.

S
amedi 4 décembre. « Investi- quelques pays clés de la sous-région
ture » de Laurent Gbagbo au avant le sommet de la Communauté
palais. Tous les ambassadeurs économique des Etats d’Afrique de
en poste à Abidjan – sauf l’Ouest (Cedeao), prévu le 7 décembre
deux, ceux de l’Angola et du Liban – à Abuja. Au Nigeria, il n’est reçu que
boycottent la cérémonie. Aussitôt, le par des sous-fifres… Mauvais signe.
pensionnaire du palais comprend qu’il Surtout, quelques jours plus tôt, le 2
doit desserrer l’étau. Dès le lendemain, décembre, le ministre nigérian des
il envoie discrètement son conseiller Affaires étrangères, Henry Odein
militaire, Bertin Kadet, chez son allié Ajumogobia, a vu longuement Blaise
le plus fidèle, le président angolais Compaoré à Ouagadougou. Pour Lau-
José Eduardo dos Santos. Malgré rent Gbagbo, le risque d’un axe Bur- Obama fait savoir à John Atta-Mills,
l’embargo, les forces loyalistes doivent kina-Nigeria contre son coup de force son hôte de juillet 2009, que celui-
s’équiper au plus vite. électoral se profile. ci ne peut pas le décevoir. Nicolas
Le même jour, Laurent Gbagbo Sarkozy demande au président de
dépêche Zacharie Séry Bailly en Afri- Les «grands» en action la Commission européenne, José
que de l’Ouest. Professeur d’anglais Lundi 6 décembre. Laurent Gbag- Manuel Barroso, de passer un petit
à Cocody, Séry Bailly n’a pas du tout bo espère encore pouvoir compter coup de fil à Pedro Pires, son vieil ami
la même feuille de route que Bertin sur deux alliés dans la sous-région : lusophone, pour lui rappeler combien
Kadet. Au Nigeria, au Bénin, au Togo le Ghana et le Cap-Vert. Mais les l’Europe a contribué au développe-
et au Ghana, il est chargé d’amadouer « Grands » entrent en action. Barack ment de son archipel…

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donc au Golf Hôtel – pas le meilleur >>> Vendredi 3 décembre, au cœur de de l’article 64 du Code électoral ivoirien,
endroit, symboliquement et politique- la nuit. Au palais de Cocody, l’atmosphè- révisé en 2008 et qui prévoit qu’au cas
ment, mais tout de même en « terri- re est à la mobilisation et au recueille- où le Conseil « constate des irrégularités
toire ivoirien ». En début de soirée, on ment. Des exhortations s’échappent de graves de nature à entacher la sincérité
apprend que le Conseil constitutionnel petits groupes de prière réunis çà et là : du scrutin et à en affecter le résultat
va proclamer ses propres résultats le « Dieu protège la Côte d’Ivoire ! » La d’ensemble », il doit prononcer « l’an-
lendemain. Ouattara à un émissaire : Bible et le fusil. Laurent Gbagbo, dont nulation de l’élection présidentielle »
« Dis à Gbagbo que s’il revient à la l’entretien téléphonique avec Nicolas (et non pas l’identité du vainqueur), un
raison, il ne lui arrivera rien ; je le Sarkozy s’est très mal
protégerai jusqu’au bout. » Autre pen- passé, reçoit l’ambas-
sionnaire prestigieux du Golf, Henri sadeur de France Jean- « Si Ouattara veut le fauteuil, il
Konan Bédié est, lui, beaucoup plus Marc Simon. « Sarkozy,
tranchant : « Gbagbo est devenu fou ; c’est Chirac II ! », tonne-t- faudra d’abord qu’il me passe
il ne tiendra pas. Dans quelques jours, il, « Vous devez savoir que
l’armée et l’Onuci l’auront balayé. » dans le droit ivoirien, c’est sur le corps! »
L’armée… Tard dans la soirée, Lau- le Conseil constitutionnel
rent Gbagbo confie à un visiteur : « Je qui prime ! Le droit, c’est vous qui l’avez nouveau scrutin devant être organisé
sais que Soro et ses rebelles préparent inventé n’est-ce pas ? » Même s’il se dira « au plus tard quarante-cinq jours » à
une offensive pour prendre Yamous- plus tard « impressionné » par l’extrême compter de la date de cette décision.
soukro et descendre sur San Pedro. Ils résolution de son interlocuteur, Simon se
comptent sur des divisions au sein des montre ferme. «  Pas de violences, pas de Non au Prix nobel
Forces de défense et de sécurité. Mais sang versé, aucun Français ne doit être de la soumission
je n’ai aucune crainte. L’armée et moi, touché », répète-t-il. Depuis le milieu de Cette nuit-là, « Seplou » est seul
nous avons scellé un pacte. Pour le l’après-midi, le président ivoirien a brûlé dans son bureau. Un maître d’hôtel lui
reste, qu’ils prennent le Nord, on peut ses vaisseaux. Le Conseil constitutionnel a apporté un verre d’eau et un sandwich
vivre sans ! » l’a déclaré élu sans même tenir compte jambon-beurre. Sa large chemise Paté
o flotte un peu. Il est fatigué, amaigri,
mais ses yeux s’animent d’une étrange
Johnson-Sirleaf, le Burkinabè Blaise lumière quand il se lance, devant un
Compaoré, le Ghanéen John Atta- proche qu’on vient d’introduire, dans
Mills et le Togolais Faure Gnassing- un long monologue. « Eh bien quoi ?
bé. Petite surprise : le représentant Pourquoi céder ? Pourquoi partir ? Pour
spécial de l’ONU en Côte d’Ivoire, qu’on me décerne le prix Nobel de la
Youn-jin Choi, vient expliquer pour- soumission ? Pour qu’on me cite en
quoi il a certifié la victoire d’Alas- exemple devant les écoliers de France
sane Ouattara. Les sept approuvent. et que l’on dise : voilà la preuve que
Huis clos, déjeuner. En quatre heu- la démocratie à la française ça mar-
res, la messe est dite : « Laurent che jusqu’au fin fond de l’Afrique ? Eh
Gbagbo doit rendre le pouvoir sans bien non. Cette élection démontre que
délai. » La Côte d’Ivoire est suspen- la démocratie ici, ça ne marche pas
due. Réaction du journal Notre Voie, encore. Où est le vote moderne, quand
à Abidjan : « C’est le sommet des l’imam donne des consignes à la mos-
comploteurs ». quée et que tous ses fidèles le suivent
Me r c r e d i 8 déce mbre. A prè s comme un seul homme ? Où est la
Afolabi Sotunde/Reuters

l’Afrique du Sud, la Russie lâche démocratie, quand tout le monde tri-


à son tour le camp Gbagbo. Est-ce che ? La Côte d’Ivoire est en phase d’ap-
l’effet d’un coup de téléphone de prentissage démocratique et c’est à moi,
Sommet à Abuja de la Cedeao, Nicolas Sarkozy à Dmitri Medve- Laurent Gbagbo, de la guider jusqu’à ce
le 7 décembre. Le président dev ? Plus sûrement, Moscou ne que la leçon soit apprise. Alors, bien sûr,
du Nigeria, Goodluck Jonathan,
a mené la charge contre Gbagbo. veut pas se fâcher avec le grand on va me condamner. Les Américains,
Niger ia. L e lendemain, l’Union les Français vont me condamner. Je ne
africaine annonce la suspension suis pas Israël, je ne suis pas Moubarak,
Mardi 7 décembre. Le chef de de la Côte d’Ivoi re. À Abidja n, je ne suis pas Karzaï. Je ne suis qu’un
l’État nigérian, Goodluck Jonathan Alcide Djédjé, le nouveau ministre Africain. Mais je résisterai. J’ai le cuir
– qui préside la Cedeao –, est pressé des A ffaires étrangères de Lau- épais. Bédié s’est couché. Moi, je ne lais-
d’en finir. Pour gagner du temps, rent Gbagbo, peut fulminer contre serai jamais Alassane Ouattara diriger
il organise le sommet au pavillon « l’Onu à la dérive ». Mais, quand il la Côte d’Ivoire. S’il veut mon fauteuil,
d’honneur de l’aéroport d’Abuja. Six sollicite une audience chez Blaise il faudra d’abord qu’il me passe sur le
de ses pairs d’Afrique de l’Ouest ont Compaoré, celui-ci fait répondre corps ! » Dehors, les crapauds-buffles
répondu à l’invitation : le Sénégalais que son emploi du temps est trop qui hantent les rives glauques de la
Abdoulaye Wade, le Malien Amadou chargé... n lagune Ébrié coassent à l’unisson. La
Toumani Touré, la Libérienne Ellen Correspondance particulière messe est dite. n

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ISSOUF SANOGO/AFP

Alassane Ouattara dans les jardins


du Golf Hôtel, le 8 décembre.

reportage hommes des Forces nouvelles (FN),


les ex-rebelles. « S’ils continuent, on

La République
va leur couper l’eau et l’électricité.
Ils occupent un hôtel public au frais
de la princesse », prévient un baron
du régime Gbagbo, qui dénonce avec

du Golf
gourmandise ce dispositif improbable
protégeant ADO.
En attendant, le président « élu » et
le chef du gouvernement organisent
la résistance. Mieux, ils mènent une
C’est installé dans un hôtel d’Abidjan que le partie d’échecs tournée vers l’offen-
sive. Objectif : donner une réalité à
président « élu » a pris ses premières décisions. un pouvoir aux allures factices. Soro
Objectif : donner une réalité à son pouvoir et tient ses Conseils des ministres dans
organiser la contre-attaque contre Gbagbo. une grande tente climatisée de l’ONU.
Devant le sas d’entrée, des militaires

U
et gardes du corps en costume barrent
n grand hôtel d’Abidjan (ADO), son allié, Henri Konan Bédié, la route aux journalistes et aux indési-
hébergeant un palais pré- et son Premier ministre, Guillaume rables. À l’intérieur, le « PM » présente
sidentiel, une primature Soro, tentent d’asseoir – bien diffi- les dossiers urgents : défense, diplo-
et treize ministères ! C’est cilement – un pouvoir reconnu par matie, économie et communication…
le spectacle ubuesque donné au Golf la communauté internationale mais On prépare notamment la révocation
Hôtel depuis que la Côte d’Ivoire contesté par leurs adversaires. Pour des ambassadeurs trop fidèles au
compte deux chefs d’État. Reclus dans le camp Gbagbo se joue ici la comédie président Laurent Gbagbo, la prise
cet établissement de bon standing – d’un « roi nu » marquée du sceau de de contrôle des finances publiques, la
306 chambres climatisées et agréable- l’illégalité. L’ancienne opposition vit nomination des fonctionnaires dans
ment décorées offrant une vue sur la claquemurée et gardée par des Cas- les grandes directions de l’État. Sur
lagune Ébrie et la baie de Cocody, un ques bleus de la mission de l’ONU en une petite table attenante, Marcel
jardin, un golf, une grande piscine –, le Côte d’Ivoire (Onuci), des soldats de Amon Tanoh, directeur de cabinet de
président Alassane Dramane Ouattara l’opération française Licorne et des la présidence, et Largaton G. Ouat-

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tara, son homologue auprès du chef dence, de la primature et des partis de tennis de l’établissement. D’autres,
du gouvernement, prennent des notes multiplient les points presse sur les comme Me Affoussy Bamba, porte-
en élèves studieux. activités du gouvernement, la position parole des FN, et Sidiki Konaté, bras
À la f in du premier Conseil, le des Forces nouvelles, la comptabilité droit de Soro, prennent l’air frais le
7 décembre, la presse a été autori- macabre des victimes… long de la lagune Ébrié. Mais là encore
sée à pénétrer dans ce « lieu saint ». À tout moment de la journée, on leur quiétude est dérangée. Les bulldo-
Hamed Bakayoko, nouveau ministre vient rendre compte à l’ancien prési- zers de l’Onuci renforcent les défen-
de l’Intérieur, subtilise délicatement dent Henri Konan Bédié, dont les voix ses en posant des barbelés, édifiant
le présentoir de son collègue de l’Éco- du premier tour se sont largement des monticules et plaçant des postes
nomie et des Finances, Charles Koffi reportées sur Ouattara. Le « sphinx d’observation. À l’entrée de l’hôtel, les
Diby. En poste sous Gbagbo et réputé de Daoukro » s’emporte régulièrement voitures sont fouillées. Dans l’enceinte,
comme étant l’un de ses proches, le contre Laurent Gbagbo : « C’est une les patrouilles de plus en plus fréquen-
grand argentier est présenté comme forfaiture, de la voyouserie, ce qu’il tes. Casques bleus, soldats Licorne et
une grosse prise de guerre puisque ce fait. » Il gère aussi les
transfert pourrait signifier un contrôle grincements de dents
sur les comptes publics. Mais celui qui de ses cadres qui ont dû Casques bleus, soldats Licorne
a renoué le dialogue avec les bailleurs concéder la primature
de fonds ces dernières années est et plusieurs maroquins et Forces nouvelles... Tout le
absent et n’a fait aucune apparition alors que l’alliance pour
publique depuis des lustres. « Il était le second tour faisait monde est le sur le qui-vive.
là hier, mais il est reparti en mission », la part belle au PDCI.
assure un conseiller de Soro. Bédié et Ado se concertent sur tou- Forces nouvelles…, tout le monde est
tes les décisions importantes, straté- sur le qui-vive. Les comzones Wattao
consultations jour et nuit giques. Leurs épouses, Dominique et et Morou Ouattara sont régulièrement
Alassane Ouattara laisse une gran- Henriette, ne passent pas une journée aperçus, cellulaires à la main. La nuit,
de marge manœuvre à son Premier sans se voir. les réunions se poursuivent. « On se
ministre pour mener l’action gou- Pour Pascal Brou Aka, animateur repose de manière fractionnée, expli-
vernementale. Ce dernier reçoit et historique du débat télévisé entre que un proche de Soro. Le PM peut
consulte, jour et nuit dans sa suite du ADO et Gbagbo, le 25 novembre, la nous appeler à tout moment. »
cinquième étage. Quant au président situation est inquiétante. « Comment
« élu », il dispose de deux suites pour a-t-on pu redescendre aussi bas, se ne pas perdre espoir
organiser ses réunions de travail et lamente-t-il. Nous avions donné une La nuit, c’est aussi le temps des
préserver un semblant d’intimité. À la leçon de démocratie au monde entier discrets émissaires voyageant d’un
première heure de la journée, il réu- avec ce débat. » Nommé directeur camp à l’autre. Beaucoup viennent
nit son cabinet pour faire le point de général de la Radio-télévision ivoi- prendre le pouls de la « République
la situation, gérer les urgences et la rienne (RTI) par Ado, il a choisi de du Golf ». Le soir, les locataires de
communication. Il est tenu au courant se « placer du côté de la vérité ». Et l’hôtel regardent les infos de la RTI
des activités des uns et des autres, fixe reçoit de nombreux témoignages de et de France 24. La chaîne d’informa-
les grandes orientations, puis délègue. soutien. tion française est reçue au Golf mais
Ce qui lui permet de se concentrer sur Le moral des troupes est très erra- suspendue dans le reste du pays. Les
sa diplomatie. ADO est souvent au tique dans les couloirs du Golf Hôtel. nouvelles se propagent aussi par les
téléphone, notamment avec les chefs Les conditions de travail sont loin journaux et le bouche-à-oreille. Bon
d’État de la sous-région. Il rencontre d’être idéales. Ministres, militants, nombre de rumeurs ont circulé par
également des ambassadeurs en poste observateurs, journalistes, hommes SMS avant que les envois de textos ne
à Abidjan. Et reste en en contact per- en armes… le capharnaüm est indes- soient suspendus… Cette mesure n’a
manent avec ses soutiens extérieurs, criptible. Du hall d’entrée s’échappe pas mis un terme aux spéculations,
à Paris et à Washington principale- un brouhaha assourdissant. Le va- incessantes. Tout le monde y va de son
ment… et-vient est incessant. Le self dégage scénario : libération populaire, atta-
Dans ce nouveau temple du pouvoir, une odeur continue de crêpes, de que armée, intervention extérieure,
les cinq salles climatisées de l’hôtel sandwich au jambon, de jus de fruits transfert de la république du Golf…
ont été réquisitionnées. On y organise locaux et de bières pas vraiment fraî- Une république cernée, assiégée, qui
en permanence des réunions : diplo- ches. Le restaurant Ébrie et le bar Le va tomber d’elle-même à l’usure, selon
matie, défense et sécurité, finances flamboyant sont pris d’assaut. « C’est le camp Gbagbo. « On ne perd pas
publiques, mobilisation populaire… difficile, reconnaît Patrick Achy, por- espoir, rétorque Patrick Achy. On va
Tandis que les partis de la coalition te-parole du gouvernement et minis- renverser ce régime sans verser une
houphouétiste préparent les bases de tre des Infrastructures. Il faut vite que goutte de sang. Les Ivoiriens soutien-
leur nouvelle formation commune. l’on sorte de cette situation pour tra- nent le pouvoir légitime, l’adminis-
Quant aux treize ministres, ils réunis- vailler à la reconstruction du pays. » tration va basculer dans notre camp
sent leurs cabinets dans leurs suites Pour se détendre, certains résidents et nous remportons chaque jour de
dispersées dans les différentes ailes font un footing matinal. Adama Bicto- nouvelles victoires sur le front diplo-
de l’hôtel. Dans la salle de conféren- go, qui a mené la campagne à Abidjan matique. » n
ces, les équipes de com’ de la prési- pour le RDR, se défoule sur les courts Pascal Airault, envoyé spécial à Abidjan

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30 l’événement

Guillaume Soro en mission

émilie régnier pour JA


Le Premier ministre, Guillaume Soro (à gauche) avec
Alassane Ouattara, le 4 décembre, au Golf Hôtel.

émilie régnier pour JA

Premier conseil des ministres,


le 6 décembre.
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Côte d’ivoire présidentielle 31

Reconduit dans ses 3 questions à...


fonctions de Premier
ministre par Alassane
Ouattara, l’ancien chef hamed
rebelle a deux atouts : bakayoko

SIA KAMBOU/AFP
il maîtrise le volet
Ministre de l’Intérieur  
militaire et connaît très
bien l’administration.

A
Jeune Afrique : Vous êtes un ancien journaliste. Votre nomination
1
vec treize ministres, l’équipe à l’Intérieur est surprenante...
de Guillaume Soro est plus Hamed Bakayoko : C’est vrai, cela ne correspond pas à ma formation
que resserrée. Un gouver- initiale. Mais les gens qui me connaissent ne sont pas surpris. En fait, les
nement d’urgence, d’action questions d’ordre public et de sécurité m’ont toujours passionné. J’ai aussi
et de combat dirigé par celui qui fut de grandes oreilles et une capacité à m’adapter à tous les environnements
« chef de guerre » lors de la tentative politiques. Et puis, le président Ouattara avait besoin d’un proche à ce
de putsch, en 2002. Un casting imposé poste sensible. Je crois en être.
par la situation.
Alors que le Conseil constitutionnel Comment faites-vous pour travailler sans contrôle sur la police ?
2
invalidait les résultats de la Commis- Évidemment, je n’ai pas encore pris le contrôle des forces de main-
sion électorale indépendante (CEI), tien de l’ordre. Mais je reçois de plus en plus de témoignages de soutien de
entre les journées du 2 au 3 décembre, fonctionnaires. Beaucoup sont prêts à basculer dans notre camp. J’espère
l’ancien président Henri Konan Bédié recevoir prochainement tous les rapports des préfets, des sous-préfets,
suggérait au président « élu » Alassane des services de police pour pourvoir être informé de la situation inté-
Ouattara de choisir Guillaume Soro. rieure.
Le poste était pourtant promis au Parti
démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). Votre situation est difficile au Golf Hôtel. Quand comptez-vous sor-
3
Les deux leaders du Rassemblement tir de ce bunker pour investir vos ministères ? ?
des houphouétistes pour la démocratie C’est une question de jours, de semaines tout au plus. On va rallier tous
et la paix (RHDP) ont fait un constat les corps constitués à notre cause. Nous avons des contacts réguliers avec
très simple : s’ils ont gagné la bataille tous les grands commandements de l’armée, de la gendarmerie et de la
des urnes, s’ils peuvent relever le défi police. Ils ne sont pas aveugles. Ils savent bien que nous avons gagné et
de la rue contre le camp Gbagbo, ils sont que nous avons l’onction du peuple. Nous sommes motivés, engagés et
démunis sur le plan militaire. Soro – qui déterminés. L’essentiel est de prendre les bonnes décisions pour éviter
cumule les fonctions de ministre de la toute flambée de violence et préserver les vies humaines. Laurent Gbagbo
Défense – leur apporte ce « savoir-fai- sait au fond de lui même qu’il a perdu les élections. Bientôt, nous allons
re » avec ses ex-rebelles. Garant du bon installer Alassane Ouattara dans son fauteuil et mettre de l’ordre. ■
déroulement des élections, Soro s’était  P ropos recueillis par Pascal Airault
éloigné des chefs militaires des Forces
nouvelles depuis les accords de Ouaga- Pour choisir les ministres, Bédié, sources halieutiques gérées un ancien
dougou, en mars 2007 – bon nombre Ouattara et Soro se sont concertés. pharmacien, Rémi Kouadio Allah.
d’entre eux considérant même qu’il avait Aucun maroquin, excepté la Défense, ADO, quant à lui, a mis un très pro-
trahi la cause en faisant trop de conces- n’a été accordé aux Forces nouvelles. che, Hamed Bakayoko, à l’Intérieur,
sions au chef de l’Etat. Gbagbo l’usurpa- Cela pourrait venir dans un second et a affecté le portefeuille des Mines
temps. L e R DR et le et de l’énergie à Adama Toungara, et
PDCI se partagent donc celui de l’Éducation nationale à Kan-
Ouattara était démuni l’essentiel des postes. dia Camara. Il a placé son directeur
Bédié obtient la Justice de campagne, Amadou Gon Coulibaly,
militairement. Soro arrive avec aux mains d’un incon- au poste de secrétaire général de la
ditionnel, Me Jeannot présidence pour assurer le lien avec le
les Forces nouvelles. Kouadio Ahoussou. Les gouvernement Soro. Très convoité, le
Infrastructures économi- poste de grand argentier a été remis
teur a reconstitué l’union sacrée. « Nous ques et la Jeunesse et les Sports ont été à Charles Koffi Diby (voir p. XX). Il
avons tous joué le jeu du rapproche- réservés à deux autres fidèles, Patrick se susurre que Dominique Strauss-
ment, explique un ancien ministre du Achy et Dagobert Banzio. Idem pour les Kahn, patron du FMI, l’aurait person-
Rassemblement des républicains [RDR]. clés des Affaires étrangères remises à nellement appelé pour lui demander
Il fallait rassurer Gbagbo et l’amener à la Gervais Jean-Baptiste Kouakou, ancien de rejoindre le train Ouattara. Enfin,
présidentielle, mais nous n’avons jamais ambassadeur de Côte d’Ivoire en Fran- Albert Mabri Toikeusse (Plan et Déve-
renoncé à notre lutte. » ce, et la Production animale et les Res- loppement) et Konan Gnamien (Fonc-

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32 l’événement

tion publique) doivent leur poste à teurs économiques, réputés plus favo- diplomatique du président Gbagbo »,
leur fort engagement durant l’entre- rables au camp Ouattara, pourraient précise un autre membre du gouver-
deux tours. jouer le jeu. « On a un argument de nement, prenant en exemple le voyage
poids, reconnaît l’un deux. On ne va avorté à Ouagadougou du ministre des
faire basculer pas payer deux fois nos taxes. » Affaires étrangères de Gbagbo, Alcide
les fonctionnaires Le ministre de la Justice indique Djédjé. Le gouvernement espère aussi
Après quelques journées de travail, pour sa part avoir saisi les organisa- faire basculer toute l’administration :
la mayonnaise semble prendre. Soro tions Human Rights Watch et Amnesty fonctionnaires, préfets, sous- préfets,
connaît plusieurs ministres pour avoir International ainsi que la Cour pénale magistrats, agents publics des doua-
déjà travaillé avec eux et parvient sans internationale. Le gouvernement sou- nes… En jouant sur ces différents
peine à s’imposer à la barre. Cap suivi : haite aussi envoyer aux Nations unies leviers, le gouvernement Soro entend
« étrangler financièrement Gbagbo une liste de noms de personnalités qui faire plier Laurent Gbagbo et accéder
pour qu’il ne puisse plus gouverner », pourraient faire l’objet de sanctions aux institutions de la République sans
confie un ministre (voir « Confiden- (interdiction de voyager notamment). verser une goutte de sang. n
tiels » et « Ecofinance »). Les opéra- « On compte ainsi restreindre l’activité Pascal Airault, envoyé spécial à Abidjan

La voie des armes


tionnel, le chef d’état-major des forces
armées, le général Philippe Mangou –
accompagné par l’ensemble des hauts
gradés des FDS –, faisait allégeance
Forces de défense et de sécurité (FDS) aux ordres devant les caméras de télévision de
la Radio-télévision ivoirienne (RTI)
de Gbagbo, Forces armées des forces nouvelles « suite à la réélection de monsieur le
(FAFN) au service de Ouattara. Les deux camps président de la République ».
ont leurs soldats dévoués, équipés et entraînés. Pas sûr toutefois qu’en coulisse, cette
belle unanimité soit de mise. Le mur

À
pourrait bien se lézarder. Selon des
défaut d’une légitimité par de ce rassemblement « militaro-reli- sources informées, Philippe Mangou –
les urnes, Laurent Gbagbo gieux » est à peine voilé : obtenir des dont la fidélité à Gbagbo, le pouvoir et
s’est assuré du soutien de son généraux les signes d’une reconnais- l’influence donnent lieu à toutes les spé-
armée – celle de hauts gra- sance et qu’ils jurent fidélité devant culations – serait prêt à mettre sa démis-
dés placés à la tête de troupes d’élite Dieu. Le 3 décembre, dans la foulée sion sur la table si le palais exigeait le
comptant autour de 4 000 hommes. Et de l’annonce des résultats de l’élection lancement d’opérations meurtrières.
ce bien avant l’élection présidentielle. présidentielle par le Conseil constitu- Le général de corps de gendarmerie,
« Le chef de l’État soigne ses Édouard Tiapé Kassaraté, émet-
hommes, qu’il arrose de billets trait également des réserves sur
de banque et de grades. Il a
Principaux chefs militaires un usage disproportionné de la
du camp gbagbo du camp ouattara
ainsi créé des liens forts et noué force. « Au sein de l’état-major,
des relations personnelles avec bon nombre de gradés n’ont
les patrons de l’armée », confie guère envie de se lancer dans
un « sécurocrate » du palais. une guerre. Les généraux se
En bon stratège, Gbagbo avait sont tellement embourgeoisés
pris les devants. Le 3 août der- qu’ils ne prendront aucun ris-
Luc Gnago / Reuters
Luc Gnago/reuters

nier, il a promu au grade supé- que. Ils cherchent avant tout


rieur tous les « corps habillés » à protéger leur patrimoine et
des Forces de défense et de préserver leur vie », estime un
sécurité (FDS). Une générosité analyste militaire. 
renouvellée, le 7 décembre. Mais Laurent Gbagbo peut
Un joli cadeau en solde et une Général Philippe Mangou, Général Soumaïla compter sur les commandants
substantielle augmentation des chef d’état- major des Bakayoko, chef d’état des unités d’élite, fidèles d’en-
dépenses militaires, qui repré- forces armées (ci-dessus) major des FAFN tre les fidèles. La plupart sont
sentaient déjà plus de 10 % du (ci-dessus) allés au front en 2002 lors de la
budget de l’État. Une dizaine de Général Guiai Bi tentative de putsch des Forces
jours plus tard, le président ivoi- Poin, chef du Centre Issiaka Wattara, nouvelles. Depuis, ces hommes
rien a discrètement convié tous de Commandement dit Wattao, chef liés par le prix du sang ont gravi
les officiers supérieurs placés à des opérations de d’état-major adjoint tous les échelons militaires. En
des postes de commandement sécurité (Cecos) première ligne figure celui qui
au temple de l’église protestante Chérif Ousmane, fait office de conseiller mili-
méthodiste unie du quartier de Général Dogbo Blé, patron commandant taire, voire de véritable chef
Cocody Ambassades. L’objectif de la Garde républicaine de la zone de Bouaké d’état-major : le général de gen-

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33

Après la signature des accords de


Ouagadougou, en mars 2007, Laurent
Gbagbo a en outre tenté de recruter,
en vain, Issiaka Wattara, dit Wattao,
le chef d’état-major adjoint des FAFN,
et Morou Ouattara, le commandant
de Bouna, dans l’est du pays. Ces deux
chefs militaires ont régulièrement mis
leurs hommes à la disposition de Gbag-
bo pour assurer sa sécurité pendant ses
voyages dans le Nord. Si cette situation

émilie régnier pour JA


a créé des frictions au sein des Forces
nouvelles, le sombre scénario écrit par
Gbagbo a ressoudé les liens et recons-
titué un front uni.

Soldats de la garde républicaine, le 28 novembre à Abidjan, lors du second tour. puissance de feu
L’armée des ex-rebelles, qui s’est pro-
fessionnalisée au fil des ans, a mis ses
hommes en alerte maximale et menace
de descendre sur Abidjan. Redoutable
soldat, le comzone à Bouaké et chef de
l’unité des Guêpards, Chérif Ousmane,
a prévenu que ses hommes ne reste-
raient pas indéfiniment les « bras croi-
sés ». « Nous n’allons pas attaquer les
premiers, nous ferons tout pour éviter
un bain de sang à la Côte d’Ivoire, les
Ivoiriens sont fatigués », nuance Ouat-
tara. La puissance de feu des FAFN – qui
comptent 4 000 hommes opérationnels
et sont dirigées depuis Bouaké par le
chef d’état-major Soumaïla Bakayoko –
est composée d’équipements légers, qui
vont des automitrailleurs aux AK-47,
KAMBOU SIA/AFP

en passant par des lance-roquettes et


des armes de défense antiaérienne.
Selon toute vraisemblance, des hom-
Défilé des Forces armées des forces nouvelles (FAFN), à Abidjan, en 2007. mes seraient également préposition-
nés dans certains quartiers populaires
darmerie Guiai Bi Poin, patron du Cen- Compagnie républicaine de sécurité d’Abidjan : Abobo, Port-Bouët 2, Kou-
tre de commandement des opérations (CRS) prêtes à toutes les actions pour massi et Adjamé. Des cellules dorman-
de sécurité (Cecos). Officiellement, les sauver « le soldat Gbagbo ». Ces forces tes prêtes à passer à l’action. La com-
600 hommes qui composent cette force représentent environ 5 000 hommes munauté internationale veille et garde
sont chargés de combattre le grand et détiennent tout l’arse-
banditisme. Officieusement, il s’agit nal de guerre de l’armée
surtout de protéger le régime. Viennent ivoirienne : avions de Selon toute vraisemblance,
ensuite une cohorte de hauts officiers combat Sukhoi, drones
prêts à aller au charbon : le général d’observation, hélicoptè- les FAFN ont des cellules
Firmin Detoh Letho (forces terrestres), res Mi-24, Puma et Mi-8,
le commandant Jean-Noël Abehi (esca- des lance-roquettes, une dormantes à Abidjan.
dron blindé), le général Bruno Dogbo douzaine de blindés,
Blé (garde républicaine), le vice-amiral des armes antiaériennes… Ces achats un œil sur « les deux armées », redou-
Vagba Faussignaux (marine nationale), d’armes ont été supervisés par Bertin tant une reprise des hostilités sous
le commandant Boniface Konan (fusi- Kadet, conseiller militaire à la prési- forme de combats de rue. La grande
liers marins commandos) et le colonel- dence, et Henri Damalan Sama, ancien crainte demeure une action autonome
major Nathanael Brouaha Ehouman attaché de défense de l’ambassade de des irréductibles « va-t-en-guerre » des
(sécurité présidentielle). Guillaume Côte d’Ivoire en Russie. deux camps, qui pourraient lancer à
Soro a nommément accusé Bi Poin, Une puissance de feu nettement tout moment un raid ou une opération
Faussignaux et Dogbo Blé de « coup supérieure à celle des Forces armées éclaire. Les ultras prêts à en découdre
d’État ». À cela s’ajoutent les unités de des forces nouvelles (FAFN), l’ex- ont l’arme au pied. n
police Brigade antiémeute (BAE) et la rébellion. Baudelaire Mieu, à Abidjan

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34 L’ÉVÉNEMENT

Forum
Requiem pour
la démocratie
VINCENT vent composer avec leur opinion
TOHBI publique.
Ivoirien, En revanche, un scénario à la gui-
directeur-résident néenne (l’exil de Dadis Camara) ou
en RD Congo de à la nigérienne (le renversement de
l’ONG régionale Mamadou Tandja) est un risque per-
Electoral Institute manent pour Gbagbo. Bref, une « ré-
of Southern volution de palais ». Quand toutes
les perspectives seront bouchées,
D.R.

Africa.
des barons du régime pourraient en

L
effet chercher à s’affranchir de leur
A VIOLENCE va être de re- leader – le livrer à la justice nationale
tour en Côte d’Ivoire. Elle ou internationale pour recevoir en re-
viendra des deux camps. tour une immunité pour eux et leurs
La diplomatie échouera. familles. L’instinct de survie, une jamais le même. Il a tout perdu: son
Les menaces de sanc- planche de salut. cher peuple, sa crédibilité et sa li-
tions internationales ne feront pas berté. Il a même perdu son histoire.
fléchir Gbagbo. Les appuis financiers LES RÈGLEMENTS classiques à l’afri- Le Gbagbo chantre de la liberté et du
multilatéraux seront suspendus ou caine seront peut-être les solutions multipartisme, adversaire acharné
bloqués, seules les aides sociales les plus douces: un partage du pou- de Félix Houphouët-Boigny ne de-
et humanitaires seront maintenues. voir à la kényane et à la zimbabwéen- viendra qu’un vulgaire usurpateur
Les dignitaires seront interdits de ne, avec un président et un Premier de pouvoir. Son héritage politique
voyages, leurs comptes bancaires ministre aux pouvoirs renforcés. risque de sombrer. Son parti et sa
étrangers restreints ou gelés. Ils s’en Mais cela, personne n’en voudra. Pas tribu se remettront difficilement
moqueront car ils se sont constitué Gbagbo. Pas Ouattara. Pas l’ONU. Pas d’une chute imminente.
un trésor en Côte d’Ivoire. En repré- la communauté internationale. Pas
sailles, ces dignitaires et le régime même la Communauté économique ET POURTANT, je suis de ceux qui
restreindront et étouffe- des États de l’Afrique continuent de croire que si Gbagbo
ront les libertés in- de l’Ouest (Cedeao), ni avait été élu dans la transparence et
térieures afin de ne Un scénario l’Union Africaine, d’or- sans reproche, beaucoup d’obser-
pas être laminés de dinaire si complaisantes vateurs ne l’auraient pas reconnu
l’extérieur et à l’in- à la Tandja dans pareils cas. dans sa stature de nouvel homme
térieur. Pris en tenaille, le
peuple ivoirien souffrira.
est un risque Gbagbo, après dix ans
de pouvoir, ne s’est pas
d’État. Je suis de ceux qui ont cru
que Gbagbo légitimement élu aurait
Avec la dégringolade de permanent constitué un capital de balayé tous les voleurs autour de
la Côte d’Ivoire, la zone sympathie auprès de lui et se serait donné une nouvelle
de l’Union économique et pour Gbagbo. ses pairs africains et virginité politique. En lieu et place,
monétaire ouest-africaine dans les institutions in- Gbagbo va devoir non seulement
(UEMOA) pliera mais se ternationales. Sa diplo- tolérer, mais appuyer le syndicat
reprendra vite. Elle a appris à ne pas matie faible et l’inexpérience de ses étudiant Fesci, armer les milices et
lier son sort à la Côte d’Ivoire. représentants dans ces institutions, laisser tournoyer les grosses mou-
Une intervention militaire interna- plutôt préoccupés par un militantis- ches de la mauvaise gouvernance.
tionale et (ou) africaine du type de me zélateur, ne l’aideront pas. Même Qui eût pu imaginer que Gbagbo
celle qui a eu lieu à Anjouan pour les opinions publiques africaines qui aurait fini sa vie politique dans un
rétablir l’ordre démocratique ? Pas appréciaient tant sa ténacité face à tel chaos. L’ivresse d’un pouvoir
envisageable. Les dommages col- l’ancien colonisateur le lâcheront. donné par Dieu ad vitam æternam
latéraux seraient tels qu’aucun pays Son coup de force est trop flagrant. l’a aveuglé. Pauvre Côte d’Ivoire. Je
ne supporterait une telle initiative, Non reconnu par la communauté dirais plutôt pauvre Afrique… C’est
surtout pas les présidents qui doi- internationale, Gbagbo ne sera plus la même chose… ■

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35

la défaite et à se préparer pour les


élections législatives, départemen-
tales et locales à venir. C’était trop
leur demander. Le fauteuil présiden-
tiel ou rien.
La vraie guerre civile n’a peut-
être pas encore commencé en Côte
d’Ivoire. L’écrasante majorité des
Ivoiriens n’en veut pas. Elle l’a mon-
tré en participant massivement aux
deux scrutins. Elle croyait réelle-
ment en la promesse d’une sortie
de crise par l’élection incontestable
d’un président. Au terme d’un inter-
minable processus de paix, les Ivoi-
riens ont deux présidents: Ouattara,
reconnu par la Communauté éco-
nomique des États de l’Afrique de
l’Ouest (Cedeao), l’Union africaine,
les États-Unis, l’Europe commu-
nautaire et l’ONU ; et Gbagbo, qui a
prêté serment devant la plus haute
juridiction du pays. Le problème le

YOAN VALAT
plus grave, ce n’est peut-être pas le
Sympathisants de Ouattara, le 2 décembre, fait que Gbagbo ait été davantage
dans le quartier d’Abobo, à Abidjan. désigné président par ses amis du
Conseil constitutionnel qu’élu par
GILLES OLAKOUNLÉ YABI avait beaucoup de mal à cacher la les Ivoiriens. On pourrait cynique-
Économiste volonté du général Gueï d’exclure ment arguer qu’après tout quelques
béninois, de la course les adversaires politi- autres présidents en Afrique et dans
analyste ques qu’il redoutait le plus. On sait le monde n’ont pas été choisis par
politique dans quelles conditions s’est dérou- leur peuple.
et ancien lé le scrutin qui a permis à Gbagbo
chercheur d’accéder au pouvoir et ce qu’il est LE PROBLÈME LE PLUS GRAVE est
pour l’Afrique
advenu de la Côte d’Ivoire pendant que la légitimité de Gbagbo ne sera
de l’Ouest de
la décennie qui a suivi. Le président jamais reconnue par une large partie
l’International
du Conseil constitutionnel, Paul Yao- de la population ivoirienne. Gbagbo
N’Dré, a choisi, comme Tia Koné, de et ses alliés le savaient parfaitement
D.R.

Crisis Group.
se servir d’une institution dont le rôle avant de réaliser le passage en force.

A
est sacré dans une démocratie pour S’ils ont quand même mis en œuvre
U MOMENT de pren- satisfaire un camp politique au mé- le plan de confiscation du pouvoir,
dre la décision de pris du droit et de l’intérêt général. verrouillé militairement Abidjan
transformer le per- et pris le contrôle de l’information
dant en vainqueur de L’ENCHAÎNEMENT des causes et par le biais de la propagande des
l’élection présiden- des conséquences est une certi- médias publics, c’est qu’ils étaient
tielle, les membres du Conseil consti- tude. L’élection présidentielle, cen- prêts à en assumer les conséquen-
tutionnel se sont-ils souvenus de la sée sortir le pays de la crise, n’a fait ces. Ils sont les seuls à ne pas être
soirée du 6 octobre 2000, déjà sous que relancer la tragédie ivoirienne. fatigués de la crise permanente. Le
couvre-feu, lorsque le président de Gbagbo aurait pu gagner régulière- slogan « On gagne ou on gagne » et
la Cour suprême d’alors, Tia Koné, fit ment cette élection si lui et son clan les chants de campagne pleins d’hu-
la lecture de l’arrêt qui allait invalider avaient fait d’autres choix que ceux mour seront beaucoup moins drôles
sept candidatures à l’élection prési- de l’agressivité, de la diabolisation lorsque s’empileront les cadavres
dentielle émanant de deux des trois des adversaires et du déni de leur d’une nouvelle guerre civile. Les
grands partis du pays, le Rassem- part de responsabilité dans la déli- victimes éternelles pataugeant dans
blement des républicains (RDR) et le quescence de la Côte d’Ivoire. Ils se une mauvaise foi sans fond expli-
Parti démocratique de Côte d’Ivoire sont enfermés dans la stratégie de la queront alors que rien, absolument
(PDCI) ? Cette décision avait permis tension, de la violence verbale et de rien, ne peut justifier la contestation
au chef de la junte, Robert Gueï, d’af- la victimisation. Quelque 45,9 % des violente de l’autorité d’un président
fronter dans les urnes le 22 octobre votants du 28 novembre ont voté « démocratiquement élu ». On ga-
2000 un seul rival sérieux, Laurent Gbagbo. C’est un résultat honorable gne ou on met le feu au pays. C’est
Gbagbo. L’argumentaire juridique mais ce n’est pas la majorité. Il ne ce que chacun aurait dû comprendre
fallacieux servi par la Cour suprême restait plus qu’à accepter dignement depuis le début. ■

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