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Comment les Français se sont adaptés au

télétravail
73 % de ceux qui œuvrent désormais depuis leur domicile souhaitent continuer après la
crise, de manière régulière ou ponctuelle.

Par Stéphane Kovacs et Corinne Caillaud


Publié il y a 6 heures, mis à jour il y a 6 heures

Après huit semaines à la maison et alors que l’heure du déconfinement a


sonné, quand allons-nous retrouver nos collègues? Peut-être pas avant la
rentrée de septembre, si l’on en croit le gouvernement. Des ministres aux
partenaires sociaux, en passant par les opérateurs de transports, les appels
se sont succédé ces derniers jours pour que les cinq millions de salariés
actuellement en télétravail le restent au-delà de ce lundi, date choisie pour le
déconfinement progressif. En présentant mardi son plan, le premier ministre
Édouard Philippe avait demandé à toutes les entreprises qui le pouvaient de
maintenir ce dispositif «au moins dans les trois prochaines semaines». La
ministre du Travail, Muriel Pénicaud, estime pour sa
part «raisonnable» d’affirmer que le télétravail restera massif jusqu’à l’été.
Cela tombe bien, selon une enquête menée par Malakoff Humanis*, 73 %
des salariés souhaitent sa poursuite.

En Île-de-France, la crainte est grande de voir affluer les voyageurs dans les transports
en commun, en temps normal empruntés par cinq millions d’usagers chaque jour. La
présidente de la région, Valérie Pécresse, a demandé que les salariés aujourd’hui en
télétravail ne retournent pas au bureau ce lundi. «Tous ceux qui peuvent rester en
télétravail, soyez sympas, restez-y!», a lancé de son côté le président du Medef Paris
Charles Znaty. Certains chefs d’entreprise se disent également inquiets de voir engagée
leur responsabilité civile et pénale, dès lors qu’un collaborateur prétendrait avoir
contracté le Covid-19 sur son lieu de travail.

Avant la crise - et avant les grèves de décembre 2019 - seuls 7 % des salariés français
pratiquaient le télétravail de manière contractuelle. Selon l’étude CSA pour Malakoff
Humanis, 39 % des employés des entreprises de plus de 10 personnes télétravaillent en
ce moment. La moitié d’entre eux expérimente cette organisation pour la première fois.
Qui sont ces télétravailleurs en confinement? Plutôt des hommes (56 %), exerçant à 92
% leur activité depuis leur résidence principale (dont 54 % dans une maison et 46 %
dans un appartement). 46 % vivent en couple avec enfant(s). Ils sont majoritairement
employés dans le secteur des services, et dans une entreprise de plus de 250 salariés.

Confinées au domicile, sphères professionnelle et privée s’entrechoquent souvent. Chez


Laurence et Jean, tous deux cadres dans une grande entreprise, le programme de la
journée s’élabore dès le petit déjeuner: «J’ai toute une série d’appels importants:
laissez-moi tranquille ce matin», supplie la première. «Moi, ma conf call est à 15 h 30 ;
n’allez pas sur internet à ce moment-là!», rappelle le second. Tandis que le fils aîné
doit «suivre son cours en ligne de midi à 14 heures, donc déjeunera plus tard», et que la
cadette «attendra le soir pour regarder Netflix»… Pas toujours évident! Des tensions
familiales sont apparues dans 28 % des foyers. Muriel Pénicaud a d’ailleurs appelé les
employeurs à faire preuve de bienveillance: «On ne peut pas travailler de la même
façon avec deux enfants à la maison, souligne-t-elle. Mais, entre ne pas travailler et
travailler quand même», la deuxième option est préférable pour l’économie.

«Des besoins de changement»


«Une des surprises de l’enquête est la note de satisfaction chez les nouveaux
télétravailleurs: 7,6 sur 10,  précise Anne-Sophie Godon, directrice de l’innovation de
Malakoff Humanis. Une belle note, alors que ni eux ni leur entreprise n’ont vraiment
eu le temps de s’organiser, et surtout dans le contexte que l’on connaît: inquiétude pour
l’avenir, présence d’enfants ou de parents dépendants…» Si 30 % des télétravailleurs
confinés estiment que leur santé psychologique s’est dégradée, 38 % des sondés pensent
que cette situation a un impact positif sur leur autonomie, leur responsabilisation, la
gestion de leur temps et leur concentration.

D’où la forte demande des télétravailleurs: 73 % d’entre eux (88 % des habitués et 58 %
des nouveaux) souhaitent demander à continuer après le confinement, de manière
régulière (pour 32 %) ou plus ponctuelle (41 %). «Chez les salariés comme chez les
dirigeants d’entreprise, cette période va créer des attentes et des besoins de
changement, analyse Anne-Sophie Godon. Réorganiser les espaces de travail, l’usage
des outils digitaux, la transversalité, les rituels… je vois déjà de nombreux dirigeants
qui réfléchissent à ce qu’ils veulent conserver de cette expérience.»

* Réalisée en avril auprès d’un échantillon représentatif de 1010 salariés d’entreprises


du secteur privé d’au moins 10 salariés.
«Retirer la pression»
Chez Verizon Media, entreprise de la tech, la culture du télétravail est ancrée depuis
longtemps. Les outils de communication y sont adaptés et les managers habitués à gérer
des équipes à distance. Pourtant, l’entreprise a rapidement dû faire évoluer ses
pratiques. «La limite n’est pas dans le télétravail en soi, mais dans le fait de travailler à
la maison en temps de crise. Passer ses journées en call dans sa chambre n’est pas
normal. Qu’un salarié fasse une visioconf avec son enfant sur les genoux ne doit pas
être un problème. J’ai mis tout le monde à l’aise pour retirer toute pression», pointe
Erik-Marie Bion, vice-président France et Allemagne. Mais, devant l’engagement sans
compter des salariés, il a demandé une autodiscipline afin que chacun se ménage. «Il
faut se méfier du “ça va” français, où on botte en touche sans s’épancher.»

«Compliqué et épuisant»
Chez Theodo, spécialiste du développement d’applications web et mobiles, qui compte
130 salariés, la mise en place brutale du télétravail «a été compliquée et éprouvante.
Pour avancer efficacement, on a besoin de se voir», indique le PDG, Julien Laure.
L’entreprise utilise beaucoup de supports physiques pour communiquer, avec des Post-it
partout, et un mur sur lequel les collaborateurs écrivent en permanence. Avec le
confinement, les process ont été digitalisés, mais des employés ont eu des problèmes de
connexion. Quant aux visioconférences, «les enchaîner est épuisant. On est en tension
permanente, pour s’assurer que le message a été bien compris».

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