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8 FEVRIER 2008 C.07.0131.

F/1

Cour de cassation de Belgique

Arrêt

N° C.07.0131.F

V. J.-M.,

demandeur en cassation,

représenté par Maître Michel Mahieu, avocat à la Cour de cassation, dont le


cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 523, où il est fait élection de
domicile,

contre

CENTRE PUBLIC D’ACTION SOCIALE DE THUIN, dont les bureaux


sont établis à Thuin, drève des Alliés, 3,

défendeur en cassation,

représenté par Maître Lucien Simont, avocat à la Cour de cassation, dont le


cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de
domicile.
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I. La procédure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 19 octobre


2006 par la cour d’appel de Mons.

Le conseiller Didier Batselé a fait rapport.

L’avocat général André Henkes a conclu.

II. Le moyen de cassation

Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants :

Dispositions légales violées

- articles 1382 et 1383 du Code civil ;

- principe général du droit, consacré notamment par les articles 1147


et 1148 du Code civil et 71 du Code pénal, selon lequel l'erreur constitue une
cause de justification lorsqu'elle est invincible ;

- articles 1147 et 1148 du Code civil ;

- article 71 du Code pénal ;

- article 159 de la Constitution.

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt décide que le défendeur n'a commis aucune faute susceptible


d'engager sa responsabilité à l'égard du demandeur en mettant fin de façon
irrégulière à ses fonctions.

Il justifie cette décision par tous ses motifs, réputés ici intégralement
reproduits, en particulier par la considération en substance que :

« Lorsqu'une juridiction judiciaire est valablement saisie d'une action


en responsabilité fondée sur l'excès de pouvoir résultant de ce que l'autorité
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administrative a méconnu des règles constitutionnelles ou légales lui imposant


de s'abstenir ou d'agir de manière déterminée et que l'excès de pouvoir a
entraîné l'annulation de l'acte administratif par le Conseil d'Etat, la
constatation, par ce dernier, de l'excès de pouvoir s'impose à cette juridiction ;
dès lors, sous réserve d'une erreur invincible ou d'une autre cause
d'exonération de responsabilité, cette juridiction doit nécessairement décider
que l'autorité administrative, auteur de l'acte annulé, a commis une faute et,
pour autant que le lien causal entre l'excès de pouvoir et le dommage soit
établi, ordonner la réparation de celui-ci (...) ; (le défendeur) invoque
précisément l'existence, dans son chef, d'une erreur invincible ; dans ce
contexte, il y a lieu de prendre en considération les éléments suivants : 1. la
délibération du conseil de l'aide sociale du 6 janvier 1992 (...) ayant désigné
(le demandeur) en qualité de secrétaire du C.P.A.S. et lui imposant un stage
probatoire d'un an est devenue définitive à défaut de recours administratif
dans le délai légal ; 2. il en est de même de la délibération du conseil de l'aide
sociale du 14 juin 1993 (...) ayant pour objet la prolongation pour une durée
de six mois du stage imposé (au demandeur) ; 3. une précédente délibération
ayant le même objet a été suspendue par le gouverneur de la province (...) ;
cette intervention de l'autorité de tutelle n'était nullement motivée par
l'illégalité de la décision d'imposer un stage probatoire (au défendeur) mais
uniquement par le fait qu'en l'espèce le conseil de l'aide sociale avait décidé la
prolongation du stage sans attendre d'avoir reçu le rapport de la commission
du stage ; 4. il n'apparaît d'aucun élément produit aux débats qu'à un
quelconque moment au cours de sa période d'exercice de la fonction de
secrétaire de C.P.A.S., (le demandeur) ait protesté contre la décision de lui
imposer un stage à l'issue des épreuves de recrutement ; dans les circonstances
qui viennent d'être décrites, toute autorité administrative normalement
prudente et diligente pouvait légitiment considérer ne pas pouvoir faire fi des
décisions devenues définitives et ayant pour objet de désigner (le demandeur)
en qualité de secrétaire du C.P.A.S. tout en lui imposant un stage probatoire et
de prolonger la durée de ce stage pour une période de six mois ; toute autorité
administrative normalement prudente et diligente pouvait tout aussi
légitimement estimer ne pas pouvoir faire abstraction de la qualité de stagiaire
attachée à la fonction exercée par (le demandeur) et ne pas pouvoir ignorer les
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deux rapports successifs déposés en l'espèce par la commission de stage ;


l'illégalité de la décision de mettre fin aux fonctions (du demandeur) n 'était
pas manifeste dès lors que les décisions antérieures étaient devenues
définitives n'étant plus susceptibles de recours, que le statut des agents du
C.P.A.S. prévoyait l'organisation d'un stage probatoire d'une durée minimum
d'un an (...), et que par ailleurs la loi organique des C.P.A.S. et son arrêté
d'exécution ne contenaient aucune disposition interdisant d'imposer un tel
stage à un secrétaire de C.P.A.S. lors de son recrutement ; c'est dès lors à bon
droit que (le défendeur) se prévaut de l'erreur invincible en ce qui concerne
l'illégalité de sa décision de mettre fin aux fonctions (du demandeur), illégalité
résultant du fait de lui avoir imposé un stage probatoire lors de son
recrutement en qualité de secrétaire du C.P.A.S. » .

Griefs

Première branche

Pour l'application des articles 1382 et suivants du Code civil, la


violation d'une règle de droit imposant à l'autorité administrative de s'abstenir
ou d'agir de manière déterminée constitue en soi une faute, indépendamment
de toute considération d'imprudence ou de négligence. Il en résulte que si
l'illégalité d'un acte administratif a été préalablement constatée par le Conseil
d'Etat, la faute s'en déduit nécessairement, sous la seule réserve de l'erreur
invincible de l'auteur de l'acte ou d'une autre cause d'exonération de
responsabilité.

Pour être invincible, l'erreur doit revêtir toutes les caractéristiques de


la force majeure, laquelle implique l'impossibilité absolue d'interpréter
correctement la loi. L'erreur invincible est ainsi distincte de l'erreur excusable
qu'aurait également commise un agent de l'administration placé dans les
mêmes circonstances.
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En l'espèce, l'arrêt attaqué relève que le défendeur a méconnu des


règles constitutionnelles ou légales lui imposant de s'abstenir ou d'agir de
manière déterminée et que l'excès de pouvoir a entraîné l'annulation de l'acte
administratif par le Conseil d'Etat. Il constate toutefois l'existence d'une erreur
invincible dans le chef du défendeur, considérant que « toute autorité
administrative normalement prudente et diligente pouvait légitimement
considérer ne pas pouvoir faire fi des décisions devenues définitives et ayant
pour objet de désigner (le demandeur) en qualité de secrétaire du C.P.A.S. tout
en lui imposant un stage probatoire et de prolonger la durée de ce stage pour
une période de six mois ; que toute autorité administrative normalement
prudente et diligente pouvait tout aussi légitimement estimer ne pas pouvoir
faire abstraction de la qualité de stagiaire attachée à la fonction exercée par
(le demandeur) et ne pas pouvoir ignorer les deux rapports successifs déposés
en l'espèce par la commission du stage ; que l'illégalité de la décision de
mettre fin aux fonctions (du demandeur) n'était pas manifeste dès lors que les
décisions antérieures étaient devenues définitives n'étant plus susceptibles de
recours, que le statut des agents du C.P.A.S. prévoyait l'organisation d'un
stage probatoire d'une durée minimum d'un an (...) et que par ailleurs la loi
organique des C.P.A.S. et son arrêté d'exécution ne contenaient aucune
disposition interdisant d'imposer un tel stage à un secrétaire de C.P.A.S. lors
de son recrutement » .

De ces seules circonstances, l'arrêt attaqué n'a pu légalement déduire


l'existence d'une erreur invincible exonérant le défendeur de sa responsabilité.

L'arrêt ne justifie dès lors pas légalement la décision selon laquelle le


défendeur n'a pas commis de faute susceptible d'engager sa responsabilité à
l'égard du demandeur en mettant fin de façon irrégulière à ses fonctions
(violation de l'ensemble des dispositions légales citées en tête du moyen, à
l'exception de l'article 159 de la Constitution).
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Seconde branche

Aux termes de l'article 159 de la Constitution, les cours et tribunaux


n'appliqueront les arrêtés et règlements généraux, provinciaux et locaux
qu'autant qu'ils seront conformes aux lois. Cette disposition s'applique aux
actes administratifs individuels. Le contrôle de légalité qu'elle institue a une
portée générale. Il a pour objet tant la légalité externe que la légalité interne
de l'acte administratif et n'est en rien limité aux irrégularités manifestes dont
cet acte serait affecté.

La circonstance que la décision administrative n'est plus susceptible


d'annulation et est dès lors devenue définitive ne signifie pas que la décision
administrative n'est entachée d'aucune illégalité. Cette circonstance ne porte
pas atteinte au pouvoir et au devoir que l'article 159 de la Constitution
attribue aux cours et tribunaux.

En décidant que les décisions d'imposer un stage probatoire au


demandeur sont devenues définitives à défaut de recours administratif dans le
délai légal, que dans ces circonstances toute autorité administrative
normalement prudente et diligente pouvait légitimement considérer ne pas
pouvoir faire fi de ces décisions définitives et que dès lors l'illégalité de la
décision de mettre fin aux fonctions du demandeur n'était pas manifeste en
sorte que c'est à bon droit que le défendeur se prévaut de l'erreur invincible,
l'arrêt viole l'article 159 de la Constitution.

III. La décision de la Cour

Quant à la première branche :

Une erreur est de nature à exonérer de sa responsabilité une autorité


administrative qui a méconnu des règles constitutionnelles ou légales lui
imposant de s’abstenir ou d’agir d’une manière déterminée, si elle est
invincible.
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L’erreur de droit peut, en raison de certaines circonstances, être


considérée par le juge comme étant invincible à la condition que de ces
circonstances il puisse se déduire que l’autorité administrative a agi comme
l’aurait fait toute personne raisonnable et prudente.

Le juge du fond constate souverainement les circonstances sur


lesquelles il fonde sa décision, la Cour vérifiant toutefois s’il a pu légalement
déduire de celles-ci l’existence d’une cause de justification.

L’arrêt se fonde sur les éléments d’appréciation suivants :

1. le caractère définitif, à défaut de recours administratif, des


délibérations du conseil du défendeur des 6 janvier 1992 et 14 juin 1993, la
première imposant un stage d’une année et la seconde prolongeant ce stage de
six mois ;

2. la motivation de la suspension par le gouverneur de province d’une


délibération antérieure ayant pour objet une prolongation du stage du
demandeur ;

3. l’absence de protestation du demandeur contre la décision du


défendeur lui imposant un stage à l’issue des épreuves de recrutement ;

4. la circonstance que le statut des agents du centre public d’action


sociale prévoit l’organisation d’un stage et que « la loi organique des C.P.A.S.
et son arrêté d’exécution ne contenaient aucune disposition interdisant
d’imposer un tel stage à un secrétaire de C.P.A.S. lors de son recrutement ».

De ces circonstances, l’arrêt a pu légalement déduire l’existence d’une


erreur invincible exonérant le défendeur de sa responsabilité.

Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.

Quant à la seconde branche :

L’arrêt qui, sans considérer que les décisions d’imposer un stage


probatoire au demandeur n’étaient entachées d’aucune illégalité, fonde
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l’existence d’une erreur invincible de l’autorité administrative sur l’absence de


recours contre ces décisions, ne viole pas l’article 159 de la Constitution.

Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;

Condamne le demandeur aux dépens.

Les dépens taxés à la somme de cinq cent cinquante et un euros nonante et un


centimes envers la partie demanderesse et à la somme de cent soixante-trois
euros dix centimes envers la partie défenderesse.

Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où


siégeaient le président de section Claude Parmentier, les conseillers Didier
Batselé, Albert Fettweis, Sylviane Velu et Martine Regout, et prononcé en
audience publique du huit février deux mille huit par le président de section
Claude Parmentier, en présence de l’avocat général André Henkes, avec
l’assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.

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