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CAHIERS

RI CINÉMA

11 • REVUE DU CINÉMA ET DU TËLÉCINÊMA • AVRIL 1952


Gregory Peck et Susan Hayward, entourés de Raymond Massey et Kteron Moore,
sont les vedettes de D A V I D ET BETH SA B ÉE (David a n d Baihseba), une grandiose
reconstitution biblique en technicolor de Henry King. ( 20th Century Fox)
Kathryn Grayson, Howard Keel, A v a Gardner, Joë E, Brown, A g n ès Moorehead,
Robert Sterling sont les passagers du S H O W - B O A T , la nouvelle réalisation en
technicolor de George Sydney, d'après la comédie musicale de Jérôm e Kern
et O scar Hammerstein (Metro-G oldwyn -M ay er)
\

Une scène de THE BIG CARNIVAL, le fiIm incisif et courageux de Billy Wi(cfer (Paramoun
CAHIERS DU CINÉMA
REVUE MENSUELLE DU CINÉMA ET DU TÉLÉCINÉMA

146, C H A M P S -E L Y S É E S , P A R IS (8e) - ÉLYSÉES 05-38

RÉDACTEURS EN CHEF : LO D Ü C A , J. DONIOL-VALCROZE ET A . BAZIN


DIRECTEUR-GÉRANT : L. KEIGEL

T O M E II N ° 11 A V R IL 1952

SOMMAIRE
Anniversaires
Le Congrès de La S a r r a z ............................................. 6
Jean George A u rio l L'amour au c in é m a ............................................................... 7
Sergeî M, Elsenstein Naissance d'un f i l m ................................................................ 18
Jean Myrsîne ...................... Un bovaryste à Hollywood (B illy W ü d e r ) .................. 31
* * * .................................... Nouvelles du C in é m a .............. ......................................... 41
* * * ............................... , , Le pour et le contre ....................................................... 36

LES FILMS
Lo Duca ............................ Le roman d'un tricheur (The fi/g Carnival) ..................... 47
Nino F r a n k ........................ Et caetera (.Avec André Gide) ........................................ .....50
Michel M a y o u x ................. Les charmes de l'insolite ( I Know Where l'M Going). 52
André B a z i n ............. Remade U.S.A. ( k M » ) ...................................................... .....54'
Jacques Doniol-Valcroze Lointain Conrad (An Oufcasf af fhe tslands)......................59
Jean-José R i c h e r ............ Bébé la Justice (La vérité sur Bébé D o n g e ) ............ .... 62
Jean-Louis Tallenay . . . . Un film sur la musique ( O f Men and Music) ............ .....65
N. F. ................................. Uranium à gogo (Mr. Drakes Duck) ..................... .....67
M. M. et J. A ................ . La Revue des Revues ................................. .................... .... 68
N.F. et R. L.......... ........... Livres de Cinéma ............................................................... .... 70

Les photographies qui illustrent ce numéro sont dues à l’obligeance de : Paramount, Panthéon, London Films
Filmsonor, Dismage, The Archers, United A rtists, Columbia, Hoche Productions, les Films Corona, les Films
Maurice Cloche, A, G. D. C., Fox, !es Films du Compas, Union Générale Cinématographique, Stéra Films
C. C. F. C., Métro Goldwyn Mayer, Les photographies du Montreur d ’ Ombres (p. 10) et de Menschen A m
Sonntag (p. 31), proviennent de la Cinémathèque Française.

PRIX DU NUMÉRO : 250 FR.


Abonnements 6 numéros * France, Colonies : 1.375 francs ♦ Étranger : 1.300 francs
Abonnements 12 numéros * France, Colonies : 2.750 francs * Etranger : 3.60D francs
Adresser lettres, chèques ou mandats aux “ Cahiers du Cinéma ” , 146, Champs-Elysées, Paris (8*)
Chèques Postaux : 7890-76 PARIS
Changements d ’adresse : Joindre 30 francs et l’ancienne adresse
Pouf tous renseignements joindre un timbre pour la réponse

Au sommaire des p ro ch a in s num éros :


Des articles d'Alexandre A struc, A udibe rti, Pierre Bost, François Chalais, René Clément, Pierre Kast
Roger Leenhardt, Cris Marker, Jacques Manuel, Marcello Pagliero, Robert Pilati, Jean Quéval, Claude Roy
Jean-Louis Tailenay, Nicote Vedrès, Jean-Pierre Vivet.
Les articles n'engagent que leurs auteurs - Les manuscrits sont rendus

Tous droits réservés-Copyright by LES ÉDITIONS DE L'ÉTOILE, 25, Bd Bonne-Nouvelle, PARIS (2°) - R. G, Sein^ 326.525 fl

Notre Couverture : Kirk Douglas et Jan Sterling dans THE BIG C A R N IV A L de Biily Wilcjer.
Oi'son Welfes, 2Yi« M a$iiîficent Amljersons.

ANNIVERSAIRES
Le mois d*Avril 1952 marque à l'a fois pour nous le deuxième anniversaire
de la mort de Jean George Auriol et le premier anniversaire de la naissance
des C a h i e r s d u C i n é m a dont nous avons dès le début affirmé qu’ils étaient
placés sous l’égide du fondateur de La R e v u e d u C i n é m a et dédiés à sa mémoire.
Jean George Auriol n’a pas été remplacé et le plus grave c’est q u il ne
semble pas qu’il puisse l’être. Il existe des critiques de qualité mais aucun ne
réussit l’ensemble de qualités qui autoriseraient à la succession de cet animateur.
Quand S. M. Eisenstein dédicaçait une photographie « à l’Auriol du Cinéma » (1)
croyait-il si bien dire et ÿue vingt ans plus tard la position de son ami
dans la critique française serait à ce point singulière et exemplaire? Jean
George croyait. aux intersignes dont sa biographie est étrangement étoilée.
Pourquoi faut-il qu’un accident stupide l’ait aussi brutalement ravi quelques
jours après la disparition non m oins imprévue d ’un homme de sa génération,
Emmanuel Mounier, disparition qui affecta aussi certains d’entre nous. Si nous
rapprochons ces deux noms c’est qu’ils ont peut-être un autre commun déno­
minateur que l’anniversaire de leur mort au pirintemps du demi-siècle. Dans
deux domaines bien différents la mort de Mounier et celle de Jean George sym­
bolisent la fin, à la plénitude de l’âge d’homme, d’un certain humanisme de la
pensée dont ils étaient deux témoins particulièrement efficaces. S ’ils ne sont
pas morts de vieillesse, comme un Gide ou un Léon Blum, c’est peut-être parce
que ce qu’ils incarnaient est destiné aussi à la mort violente.
L’irremplaçable mérite de Jean George n’était pas tant pour nous dans le
contenu de sa pensée critique, avec laquelle nous pouvions n’être pas toujours
d ’accord, que dans le témoignage irrécusable qu’elle apportait en faveur tTune

(1) Voir photo page 18.

4
■critique cinématographie intelligente et libre. Tant qu’il était là, une certaine
unité existait entre les tendances les plus opposées de la réflexion sur le cinéma.
Unité non point de fond mais essentielle : la conviction que nous parlions tous-
de la même chose, que donc notre critique avait un objet. Jean George en était
— il faut le dire très, haut — le seul garant.
Héritier ou plutôt survivant de la grande époque critique des années 30
qu illustre la première R e v u e d u C i n é m a , il avait conservé Vamitié, la confiance
et Vestime de ses confrères d’alors dont la plupart sont passés depuis à d’autres
travaux. C est en fait par lui et lui seul que l’esprit de cet âge d’or de lo- jpen­
sée cinématographique a passé le cap de la guerre. C’est autour de lui que la
jeune génération critique s’est agrégée dans la seconde R e v u e d u C i n é m a . Ainsi
Jean George était le trait d’union vivant entre deux générations intellectuelles.
Les temps ne sont guère aux traits d’union. Sa p erso n n e té m o ig n a it pour
la pensée contre l’Iiistoire : le destin Va pris à revers pour le jeter hors du
chemin.
Nous sommes fiers des C a h i e r s d u C i n é m a . S’ils ne sont point encore ce
que nous voudrions qu’ils soient, du moins croyons-nous pouvoir dire sans
vanité qu’ils n’en- sont pas indignes. Quand on sait ce que représente dans la
conjoncture actuelle de la. presse française Vexistence d ’une revue de cinéma
maintenant certaines exigences de pensée et de présentation il n’y a pas lieu
d ’être faussement modeste. Mais le souvenir de notre ami disparu sera toujours
assez vivant ici pour que nous gardions la conscience active de nos lacunes et
de nos insuffisances.
Nous espérons que cette première année à’expérience aura été utile et
constructive ne serait-ce que par le rassemblement dont les C a h i e r s furent la
cause et deviennent la tribune. On y chercherait sans doute encore en vain la
permanence de critères esthétiques indiscutables. Mais est-ce bien notre but?
S i cette unité se fait ce sera par surcroît.
Ca h ie r s du C in é m a

Au congrès de La S arraz en 1929, S. M. Eisens-


tein et Jean George Auriol défendent la cinéma
indépendant. (Voir page 6 ).

5
LE CONGRÈS DE LA SARRAZ
(1929)
Sur cette photographie prise au Congrès International du Cinématographe
Indépendant, qui se tint au Château de la Sarraz (Suisse) du 2 au 7 septem bre
1929, sous la présidence d ’honneur de Bruno Barilli, Ventura Garcia Calderon,
Waldo Frank, A nd ré Gide, Marinetli, Gonzagne de Reynolds, Luigi P irandello,
R am on Gomez de la Serra, Stefan Zweig et où vingt-quatre pays étaient repré­
sentés et les revues suivantes Film-Liga {Hollande), Ciné-Club (Espagne), Ciné-
Club {Suède), Film Society {Angleterre), La Revue du Cinéma et Film Club
(France), on reconnaît : assis, de gauche à droite, Waller R uttm a n n (Allemagne),
R obert Arori, Léon Moussinac (France), E douard Tissé, Sergei M. Eisenstein
(U.R.S.S.), Jeanine Bouissounnouse (France), Hans Richter, Bela Balac’s (Alle­
magne) ; a u 'p r e m ie r rang, derrière le banc : Enrtco Prampolini (Italie), ?,
H iroshi Higo (Japon), Jean George Auriol (France), Gregory Alexandrov (TJ.R.S.S.),
Ivor Montaigu, Isaacs (Angleterre), ?, ?, Moito Tsntga (Japon), puis, à Vextrême
droite, Kohler (Suisse), le délégué debout derrière Jeanine Bouissounnouse avec
des lunettes est Montgomerij Evans (U.S.A.), celui qui est à sa gauche est A lfred
Masset (Suisse). Les autres délégués étaient : Fritz R osenfeld (A utriche), G im enez
Cabarello (Espagne), Cavalcanti (France), H.K. Franken (Hollande), Docteur
S chm idt, R obert Guye (Suisse).
Léon Moussinac présent rï ce Congrès où Jean George Auriol se lia avec
Sergei M. "Eisenstein et qui a aim ablem ent identifié les congressistes p h o to ­
graphiés ci-dessus nous com m unique les renseignem ents suivants p o u r lesquels
nous lui exprim ons notre gratitude.
Le but de ce Congrès était de lutter contre le cinéma « com m ercial » :
1°) E n organisant une .sorte de F édération Internationale des Ciné-Clubs et o rga­
nisations similaires ; 2° E n organisant une Coopérative de P roduction.
I l y fu t décidé d eux choses : d’abord la création d ’une Ligue Inte rn a tio n a le
du Film Indépendant, « association ayant p o u r but d ’assurer un lien p e rm a n e n t
entre les ciné-clubs et organisations similaires en vue de faciliter Vexécution de
leur tâche et Vextension de leur activité. Le siège de cette association était
fixé, à Genève. » E n second lieu on créa une Société Coopérative Internationale
du Film Indépendant, Le siège en serait situé à Paris. La coopérative c o m p re n ­
drait 10 à 50 membres, à raison de 2 par nationalité (pour la France : Alberto
Cavalcanti et Léon Moussinac). L e capital social était de 200.000 francs.
La mise en exploitation du film parlant empêcha l’entreprise de fo n c tion n er
et de prospérer. La Coopérative fu t liquidée en 1930-31 après avoir assuré la
distribution d’un certain nom bre de film s dans les ciné-clubs.

6
L ’AMOUR
AU C I N É M A

Film inconnu.
par

Jean George Auriol

L’amour, au cinéma, reste muet et les déclarations fausses ou trop vraies


n ’y doivent servir que la modulation d’une voix dont la qualité d’or (ou de
lait) fait naître des images plus éclatantes qu’une chevelure (ou qu’une
nuque). On va au cinéma pour regarder. C’est seulement devant l’écran
muet, dans le silence de la musique, que les oreilles sensibles au verbe
entendaient des paroles troublantes. Il m’est arrivé de cueillir sur les lèvres
d’acteurs fascinants tout un dialogue érotique pour le murm urer à une douce
voisine qui ne pouvait être qu’attentive à des mots parfaitement en harmonie
avec l’élan contenu du liéros et l’inquicte mais avide impatience d’une
star enivrée de sa propre beauté réfléchie dans les noires prunelles de
l’homme. C’était une galante (et efficace) façon de commenter en français
un film américain de l’époque des baisers interminables. Je dis américain
parce que tout érotisme est absent de la production française (1), expression

(1) Les éclairs fugitifs que l’on trouve dans certains films anciens apparaissent
comme des ornements discrètem ent ajoutés. Il fa u t attendre les films de R o bert
Bresson pour trouver la présence de la passion dans des images françaises.
« L’êrotismo classique-, pratiqué il l'origine p a r les artistes italiens.,, » : Macisle
s aux enfùrs (1926) do Gnido Brignogne.

d’un peuple satisfait. L’érotisme émane d’un excès de réserve (soit dit pour
les pays protestants, par exemple) ou d’un excès de passion (pays latins).
En ce qui concerne le film américain, sa valeur érotique fait partie de
sa mission même. Avant la presse et la radio, le cinéma aide peut-être les
Etats-Unis à rëster unis. Tout le monde a entendu parler des spectacles de
burlesques. II y a dans tout film fabriqué à Hollywood une ration de bur­
lesque dosée tant au point de vue commercial que moral, sentimental et
social. La vulgarisation érotique est une relativement saine conséquence du
puritanism e : religion de gens obligés autrefois de déifier la femme trop
rare et précieuse à l’époque de la grande immigration ; religion de gens
forts qui ont, social ement, peur de femmes armées par la loi de m itraillettes
et quasi-assermentées ; religion de gens qui ont à leur façon refait un mystère
de l’amour.
S’il y a en revanche un pays où l’amour n’est guère un mystère, c’est bien
la France. Peu rêveur, peu excessif, poète verbal quand il est poète, le Fran­
çais ne déteste pas payer de mots son désir, sa vanité, sa déception, sa faim.
L’aptitude à se soulager de paroles n ’est pas le fait des nordiques, le goût
d’appeler les choses par leur nom pas souvent celui des Anglo-Saxons. De là
un penchant à se soûler d’images que le Français, même ému ou en admiration,
dépouillera de toute magie par des commentaires, alors que l’étranger s’en
imprègne et les absorbe en silence, avide, arrivant à trouver tout ce qu’il
cherche dans tout ce qu’il fouille et pique du regard.
Le nu est l’ennemi de l’érotisme, surtout dans la lumière du studio, cruelle,
fausse, indiscrète. L’érotisme au cinéma fleurit dans l’allégorie, le détail
fugitif, la promesse, la feinte et le rêve, car le lyrisme est rarem ent atteint ou

8
rarem ent accepté et le cynisme difficile à étaler. Ce n ’est guère que dans
L’Ange bleu que le ventre de la vedette occupe aussi souvent le centre de
l’écran que sa tête. Ainsi la morale conventionnelle à la mode favorise-t-elle la
fabrication des images érotiques de consommation courante, et ce ne sont
pas souvent les films farcis de filles en maillot de bain, qui font venir et re
et re et revenir certains spectateurs capables d’extraire d’actrices aussi peu
effrontées que Gene Tierney ou Claudette Colbert dont ils savent peu à peu
percer toute l’intimité en inventoriant et collectionnant avec amour leurs
attitudes, leurs gestes, leurs inflexions de voix sans parler de chaque détail
de leur joli corps à la faveur d’une succession de toilettes composées selon
de savants dosages. La censure favorise avec une innocence admirable cette
élégante tricherie où tout le monde trouve son compte. Rien de moins excitant
que le déballage dansant d’une jeune péronnelle avantagée mais raide qui
croit prendre le genre émoustillant d’une cocotte fin de (xixe) siècle. Rien de
plus attachant que le soupir d’une poitrine souple et discrète sous le satin
lisse parce que nette de toute fortification fallacieuse.
La valeur érotique d’un film dépend d’un certain illusionnisme poétique.
La valeur commerciale de l’érotisme au cinéma est lié à l’entretien d’un cer­
tain appétit dans le public, à l’offre de plaisirs à la fois proches et d’une
qualité introuvable, à un appel à l’action tempéré par de folles ou tendres
invitations au rêve. L’oriental sait que ce qui est achevé est fini, passé, mort.
L’artisan hindou laisse volontiers quelque chose à term iner dans l’objet qu’il
a patiemment exécuté.

« L ’érotisme comique, mis au point smon inventé p a r Mack Sennett, où le plai*


snnt n'est pas forcément dépourvu do grossièreté n i le cocasse d’insolite... » :
Groucho Marx dans Monkey Business.

9
« L ’érotisme freudien, depuis les "belles armées de l’exprès s ion nisme "berlinois puis le fameux M ontreur
d’Ombres... ». JT. G. Auriol avait, fait spécialement tire r cette photo de R n th Weyher dans Le M ontreur
d ’Ombres de Robin son (1922) pour illustrer son essai sur l’amour au cinéma.

On distingue plusieurs manières de doter les films d’un certain charme


érotique : il y a l’érotisme classique, pratiqué à l’origine par les artistes italiens
puis, notamment, par Ceci! B. De Mille; l’érotisme comique, mis au point
sinon inventé par Mack Sennett, où le plaisant n ’est pas forcément dépourvu
de grossièreté ni le cocasse d’insolite ; l’érotisme freudien, depuis les belles
années de l’expressionnisme berlinois puis le fameux Montreur d’Ombres
jusqu’aux hypocrites analyses cliniques de criminels anormaux actuellement
à la mode ; l’érotisme réaliste, généralement sanglant, que le film ait été
tourné à Hollywood, à Rome, à Londres ou même à Paris: l’érotisme
poétique, dont les effets ne sont guère heureux que s’ils sont dûs
au hasard ; enfin l’érotisme familier, typiquement américain et le plus répandu,
qui consiste à ne pas avoir l’air de savoir que l’on m ontre ce que l’on montre
et, par exemple, à insister aimablement sur la jalousie d’une sœur qui ne peut
pas supporter que sa cadette regarde un homme. Les saines histoires d’amitié
entre deux rudes compagnons qu’une perverse sirène ne réussira pas à faire
s’entreUter sont également à double sens-
On atteint parfois l’érotisme à l’écran par d’autres voies sur lesquelles il
serait facile de s’égarer mais il est plus im portant d’établir qu’il s’offre au
cinéma deux moyens d’évoquer l’amour, deux moyens entre lesquels, selon
le code de la morale utilisé dans les années à venir, il devra choisir : le prem ier
est de raffiner toujours plus délicatement la suggestion par l’image et d’arriver
progressivement à faire haleter un public sensibilisé rien qu’en faisant baisser

10
« L ’érotisme réaliste, généralement sanglant... » : Jean Giibiii et Blanchettu lirunoy
dans La Bête Humaine do Jean Eenoir (19BS ).

les yeux d’une femme dont un costaud romantique fixe non pas le corsage ni
même les lèvres mais les perles ijui luisent à son cou; le second est d’aller
d’audace en audace, de laisser les évanouies retroussées jusqu’aux hanches
dans la boue du chemin, de placer la caméra toujours plus près du sol pour
avoir un point de vue résolument animal de la baigneuse en short et du
fringant cavalier qui enfourclie sa monture. Mais bientôt, de ce côté, on
arriverait à l’impasse de la pornographie.

**
L’Arabe qui vit tourné vers l’intérieur réagit soudain avec beaucoup plus
de vivacité devant l’attrait d’une Vivien Leigh en robe du soir, par exemple,
que l’occidental curieux avant tout des apparences, dont il se nourrit mais
aussi" se défie ; et les coupures des curés de Bretagne sont des prélèvements
insignifiants en comparaison des suppressions, non seulement de scènes de
chaude passion et d’çbats de girls mais de vues apparemment indifférentes de
dames occupées à se coiffer ou obligées de courir sous la pluie, pratiquées par
les fonctionnaires de pays d’Asie méridionale soucieux de protéger la popu­
lation contre des provocations si immédiates à l’hommage physique.
Là les femmes n ’étaient pas admises, non plus que les aveugles, mais il
serait, par ailleurs, puéril de nier que la consommation d’images et de traits
érotiques est au moins aussi nécessaire à la femme qu’à l’homme dans le monde
moderne.
H n’y a pas lieu de s’étendre longuement sur ce sujet mais il apparaît
évident que, d’une part, le spectacle de l’homme, qu’il boxe, qu’il peine, qu’il
muse ou qu’il fasse le beau, rude ou suave, vaut le dérangement quotidien

II
A ntre exemple d’érotisme réaliste du genre vulgaire : Nathalie ïJattier dans
Porte d’Orient,.

de millions de spectatrices ; et à moins de se sentir si soumise au mâle qu’elle


souhaite rester sur terre seule de son sexe, une femme n’a pas besoin d’être
pervertie pour éprouver émulation et sympathie devant telle belle fille qu’elle
voudrait non caresser mais simplement être, ou avoir été, ou devenir (si elle
n’est encore qu’une fillette) ou tout naturellement à imiter, soit qu’elle appar- -
tienne au même type physique, soit qu’elle songe à se comporter, s’habiller,
parler de la même manière, tendant à s’identifier — traitem ent de beauté
très tonique et coquetterie fréquente — avec les stars les plus désirables (1).
Il faut que les actrices deviennent trop obsédantes et à la fois insouciantes
et trop sûres de leur ascendant sur les hommes et, apparemment, trop au-dessus
des servitudes de la vie quotidienne pour s’attirer la haine fanatique des
femmes, et partant l’impopularité. Ainsi m oururent en pleine jeunesse, décla­
rées « trop belles pour vivre » la brune Barbara La Marr et plus récemment, la
blonde Jeanne Harlow.
$

Un des rôles sociaux de l’érotisme cinématographique, auxiliaire de la mode


et colonisateur des journaux illustrés, de la publicité pour les gorgerettes, les
parfums, les bas, etc. et de la propagande de l’armée (2), est de revaloriser
l’attrait du corps hum ain et ses différents appas.

(1) Les beautés professionnelles ne sont pas les seules à se surnom m er G reta ou
Danielle et à chercher à se faire dire q u’elles « font penser » aux étoiles les plus célèbres.
L ’adolescente (ou la dame mûre) qui se coiffe comme telle v edette et sait ou s’im a­
gine q u ’elle lui ressemble, se dit qu'elle s’a ttire ra les mêmes aventures et les mêmes
a m a n ts qu’elle lui a ura vus dans les films.
(2) On se m oque ou s’indigne volontiers en France de la mobilisation des pin-up
girîs destinées à soutenir, à distance, le moral des troupes américaines. Mais il n ’y a
p as si longtemps que le Ministère de la Guerre offrait, su r affiche, une tonki-ki, une
tonkinoise à ceux qu’il in vitait à s’engager dans la « coloniale ».

12
Que ce soit pour effacer la relative austérité du XIXe siècle ou pour des
motifs historiques, biologiques ou diaboliques, il est évident que notre époque
•est celle de l’aimantation du sexe et celle où l’on, nie le plus volontiers
l’autorité et même le pouvoir de l’esprit, où l’on attribue au contraire toute
puissance au subconscient, donc à ce qui est non pas au-dessus ou au niveau
du conscient mais au-dessous. Il est d’autant plus amusant de voir faire
constamment appel au conscient et à l’imagination en éveil pour multiplier
la valeur physique de l’être humain et pour offrir aux gens des moyens, décents
de manifester directement ou indirectement leur instinct sexuel, voire le
.stimuler.
Il y a quelque chose de trouble, de puéril, de touchant et tragique tout
à la fois dans cette publicité. En tout cas, n’est-il pas significatif qu’il existe,
depuis près de vingt ans et pas seulement en Amérique, une production spé­
ciale de films de la jungle avec hercules apollinisés mais seulement capables
•de s’exprimer par cris et par gestes et sauvagesses vêtues de peaux de bêtes,
prêtes à devenir bêtes apprivoisées sous de liliales mais illusoires toilettes
blanches ? On sait que Dorothy L amour, par exemple, ne joue guère d’autres
rôles que la dryade moderne, la Cxrcé sans le savoir, la guenon épilée et que
des aventures pour enfants comme celles de Tarzan contiennent toujours des
morceaux de choix pour collectionneurs. Le cinéma pourrait lim iter sa mission
au lancement d’incubes et de succubes, demi-déités aux apparitions démocra­
tiquement accessibles à tous les fidèîes des salles obscures. Cette mission, il
l ’accomplit d’ailleurs avec le plus estimable souci de convenances et des goûts

Erotisme poétique : Louise Bi'ooks dans The Ca.na.ry Murder Case (1929) qu’Auriol
citait comme « exemple d'idéalisation érotique dû à l’a r t d u costumier
Travis Banton ».

13
changeants de masses, enclines à s’assoupir et qu’il faut pratiquem ent réveiller
à coups de poings dans les yevix. En revoyant des films des années 20, nous
constatons que la mise en valeur des idoles de la foule y était plus directe
qu’aujourd’hui. Les vamps — espèce en voie de disparition — avaient une
grande liberté d ’action et Valentino n’était pas un de ces apprentis séduc­
teurs qui prennent la précaution de verrouiller la porte que la vierge ou
l’aventurière n ’entend pas se fermer sans un frisson d’impatience. Dans les
images silencieuses, ce sont les lèvres, les yeux, les mains qui parlent aux yeux,
puis au cœur. Lèvres humides des Poîa Negri et des Nita Naldi qu’un filet
de salive, brillant comme un fil de la vierge, reliait encore un instant à la
bouche du jeune premier après le baiser lentement savoure. Paupières lui­
santes battant sur des yeux de velours ; narines palpitantes ; mains sombres
des. beaux vagabonds à la face cuite par le soleil des quatre hémisphères,
mains de feu sur la main de ueige ou le dos ployant de la tendre proie vêtue
de linon immaculé.
Du brocard borgiaque, traînant voluptueusement jusqu’au1delà des talons
de neuf centimètres ou des franges de perles, point le pied cambré dans un
soulier clouté de diamants ; et la cuisse, généreuse, et la croupe, harm o­
nieuse, attirent la lumière sur la soie chatoyante qui les moule. La chair
au-dessus des'bas n’apparaît, doux éclair, qu’à la faveur d’un hasard étudié.
Sur l’écran muet tout parle aux yeux ; et les dents blanches comme des
amandes ou la souriante commissure d’un genou ont plus de prix que les
naïves exhibitions de mannequin des Folies-Bergère. Pourquoi le metteur
en scène dévêtirait-il grossièrement la dame (Gloria Swanson, Vera Reynolds,

A gaucho : érotisme pseudo-freudien, Vcra Molnar dfins Une Fille d u Tonnerre (19 51). A droite : la
scène célèbre du bain de Popée (Claudette Colbert) dans le de fa Croix do Cecïl B. de Mille (1932).

14
« Trop belles pour vivre » la vamp platinée Jeanne Harlow (à gaucho) et la spirituelle et exquise
Carole Lombard (à droite), >

Evelyn Brent, etc.) qu’il sait faire asseoir en repliant une jambe, pour faire
saillir la cuisse et laisser briller une jambe, souple comme un bras, au pied
gante comme une main, dont on voudrait baiser les doigts polis. A l’époque
de la poitrine plate, l'épaule et l’aisselle ont un lyrisme accentué et le bras est,
plus que jamais, lisse et vivant collier.
Bâtie comme un damoiseau, la lointaine Garbo s’est toujours modestement
découverte. C’est dans un regard perdu, les lèvres entr’ouvertes et la respiration
coupée, prête à défaillir, qu’elle nous révélait le sublime éclat de la m inute
où elle devenait plus belle que belle, — dans quelle étreinte ?

Les costumes de plage des bathing beauties paraissent à présent ridicule­


ment décents. Mack Sennett n ’en est pas moins l’auteur d’une espèce de code de
l’érotisme comique et ne m anquait pas de faire pincer dans une portière
d’auto maladroitement claquée telle robe trop longue pour en dépouiller la
pure jeune fille ou la faiseuse d’embarras qui, naturellement, s’apercevait
qu’elle était en combinaison seulement lorsque l’excentrîqùe tombait à ses
pieds, aveuglé, mort... Dans ses comédies, Mack savait aussi très ingénieusement
jouer des effets de vent dans les voiles, de vagues renversantes et de rayons de
soleil indiscrets.
« On n’a fait aucun progrès depuis le bon vieux temps » pourrait-il dire
aujourd’hui, « si ce n ’est l’invention du sein, déconsidéré après l’époque 1900
et généralement artificiel d’ailleurs, étalé comme à la boucherie sur la cou-

15
Auriol définit ainsi J’érotisme familier : « il consiste à 11e pas avoir l’air do savoir que l’on montra
ce que l’on m o ntre». Aurait-il accepté pour l’illustrer cette image-clef d ’A spkalt Jungle do
John Huston (1950) 1

vertnre de toutes les publications illustrées du monde entier, à croire que les
Hommes sont retombés à l’état de petite enfance ».
Après la disparition d’Olive Bord en, Billie Dové et autres merveilles à
la ligne explosive, c’est à partir de Jeanne Harlow et pour sa courte gloire que
l’on prit l’habitude de photographier de profil les actrices particulièrement
avantagées — les cinéastes sachant que le manque de chaleur persuasive d’une
diction maladroite ou d’une récitation monotone ou l’impassibilité du visage
pourtant aimable d’une actrice est parfaitem ent compensable par son air angé­
lique d’oublier qu’elle apparaît comme une véritable provocation au viol. Les
apparitions de Jeanne" Harlow, Hedy Lamarr, Rita Haywortli, etc., ne sont-elles
pas toujours saluées d’un concert de sifflements admiratifs ? De même, tant de
costumes trop savants ou de trop simples robes, excessifs ou laids selon le
goût, des couturiers parisiens, sont des déguisements non déguisés qui appellent
le pillage et la mise à sac de ces satins trop travaillés ou de ces déshabillés
trop surchargés. -
La lim ite de l’indécence est officiellement tracée aux Ktats-XJnis et en
d ’autres pays, et tacitement acceptée ailleurs ; mais peu im porte que la jupe
ne doive pas être retroussée même dans la bagarre, même dans la tempête, mêmé
en cas de légitime défense plus haut qu’à tel centimètre frontière quand une
personne aussi « comme-il-faut » que, par exemple, Claudette Colbert (qui
fû t cependant Poppée et Cléopâtre et que Cecil B. De Mille, qui s’y connaît,
plongeait dans de voluptueux bains de lait d’ânesse) apparaît tellem ent plus

16
affriolante en simple costume tailleur ou en robe du soir déjà amoureusement
collée, à son corps menu, exquis ayant les yeux considérant sa fuite échevelée,
ses efforts à se dégager d’un torrent ou simplement des bras du garçon qu’elle
n’embrassera que vingt ou quarante minutes plus tard ; qu’importe quand la
diablesse à la chasse au m arin en permission s’échine, aidée de' peu galants
excentriques, à sauter un m ur où elle grimpe de toutes les façons et d’où elle
choit dans toutes les positions.
Apparemment froids, les personnages du cinéma anglais savent laisser
deviner une chaleur que ceux du cinéma italien, moins patients, révèlent tantôt
avec une liberté, tantôt une réserve également éloquentes. Et, nouvelle incar­
nation de là passion nordique fleurissant sous les tropiques dès lampes à
incandescence, Ingrid Bergman est-elle plus émouvante lorsqu’elle m eurt du
désir de dévorer l’oreille de Cary Grant (Notorious) , ou quand lé Dr J ekyll
devenu le monstrueux M. Hyde la torture, l’abêtit, l’affole de paroles de mépris
et de menaces et lui arrache un gémissement de m artyre en lui jetant pour
finir une grappe de raisins qui souille' simplement sa joue fraîche.
L’instant est plus poignant que s’il la traînait par les cheveux et la pié­
tinait. E t il serait dérisoire, sans doute, de voir des àctëurs faire l’amour au
cinéma lorsqu’on a contemplé l’admirable geste de la Femme au corbeau
(Mary Duncan) écartant son manteau pour se coucher chaude sur le corps
glacé du grand gars qu’elle ram enait à la vie en lui donnant son souffle,
flamme vivante qui brûlait la toile blanche de l’écran.

J ean George A u r io l

« L ’érotisme, poétique, dont les effets ne sont guère heureux que s’ils sont dus au h asard »... Qui
croirait en effet que cette gracieuse apparition d’Odile Versois, nue dans un payasage à la Tanguy,
imisse être tirée de la consternante Domenica do Maurice Cloche?

17
NAISSANCE
D ’UN
FI LM

par

S. M. Eisenstein

E n donnant cette photo de lui à J. G. Aurioï,


Eisenstein J» dédicaça de cette spirituelle façon :
« A l’Auriol du cinéma. »

Ce te x te est constitué p a r des extraits de Naissance du F ilm f u n article


posthum e et inédit de S. M. Eisenstein écrit en 1945 et p a ru dans la revue soviétique
A rt K in o (N° 4, juillet-août 1950), à l’occasion de la ’sortie d e là version sonorisée de
Cuirassé Potemkine.

L ’histoire de la naissance du Cuirasse Potemkine est suffisamment


connue (1). Ce film est sorti d’une demi-page d’un immense scénario
«L’année 1905 » écrit par nous, en collaboration avec Nina Ferdinandow na
Agadzhanova au cours de l’été 1925. De temps en temps, en cherchant
dans les fonds de tiroirs des « Archives de la Création » on tom be sur ce
travail gigantesque dont les pages innombrables ont absorbé le foisonnement
des événements de Tannée « cinq ». Nous y en avons mis des choses — né
fut-ce qu’en passant — en deux mots, sous forme d’allusions ! Auj ourd’hui,
quand on parcourt ces pages, on se demande comment deux personnes
raisonnables et douées d ’une certaine expérience professionnelle ont pu
supposer un instant que to u t cela- était susceptible d’être tourné, et en
un seul film encore 1 Puis on se prend à considérer les choses sous un autre
(1) L E CUIRASSE P O T E M K IN E , film de S e r g e i M i k h a i l o v x t c h E i s e n s t e i n .
Scénario : Nina Agadzhanova-Shutko et S. M. Eisenstein, Images : E d o u ard Tissé.
Assistant-Réalisateur : Gregory Alexandrov. Adjoints : A ntonov, Gomarov, Shtraukh*
Kriounkoiî. Direction des figurants : Y akov Bliokh. Sous-titres : Nicolas Asseiev.
Interprétation : Equipages de la flotte de la Mer Noire, la population d ’Odessa, quel­
ques acteurs du Prolekult Theatre, A ntonov (Vakoulintcliouk), A lexandrov Gilarow-
ski), Barski (Golikov), Levchin (le contremaître), Gomarov (un marin). Le film
fu t tourné dans les villes et ports d’Odessa et de Sêbastopol. Production : Goskino,.
Moscou, 1925. Métrage : 1740 mètres.

18
S, M. Eisenstein : Le Cuirassé PotemJcvne. La scène -îu quartier de viande pourri
qui déclenchera la révolte.

jour. E t soudain il devient évident que « les choses » ne forment pas du


to u t un scénario. C’est un gros cahier de brouillon, le gigantesque résumé
d ’un travail attentif et minutieux sur l’époque, ses rythmes, le lien intérieur
entre les divers événements.
Bref c'est le vaste résumé d ’un travail préliminaire sans lequel le
frémissement de l’année «cinq» n ’aurait pu passer to u t entier dans l’épisode
particulier du Potemkine. Ce n ’est qu’en s’imprégnant, en se gorgeant de
to u t cela, en le vivant que le m etteur en scène pouvait p ar exemple prendre
sans hésiter dans son scénario cette simple indication « le cuirassé passe
à travers l’escadre sans coup férir » ou « Brérent choisit ceux qui seront
fusillés » et à partir de ces quelques mots tourner pour la plus grande
surprise des historiens du cinéma des scènes étrangement émouvantes.
C’est ainsi que, ligne après ligne, chaque allusion du scénario à des événe­
ments, avec lesquels on était familiarisé d’avance, se transform ait en
images parce que to u t ce complexe de sentiments portait une plénitude
émotionnelle telle que les images vivantes en sortaient naturellem ent
— images qui n ’étaient nullement impliquées dans les notes fugitives du
livret. Nous pouvions dès lors, sans porter atteinte à la vérité, nous
perm ettre toutes les improvisations et accueillir tou te idée de scène qui
se présentait, sans qu ’elle eut fait pour cela partie du manuscrit (par
exemple l’escalier d ’Odessa) ou to u t autre détail im prévu (le brouillard
dans la scène funèbre). P o u rtan t Agadjanowa fit encore beaucoup plus
pour moi : à partir du passé révolutionnaire, elle me conduisit jusqu’au
présent révolutionnaire.
L ’intellectuel ayant rallié la révolution après 1917'passait par l ’étape
inévitable du « moi et eux » av ant de parvenir à une conception soviétique

19
de la fusion du « nous » révolutionnaire. C’est ce passage qui me fut grande­
m ent facilité par la timide, infiniment modeste et gentille petite Nouné
Agadjamnva aux yeux bleus (Nouné, ainsi sonne Nina en Américain). E t
pour cela, elle a droit à une plus chaleureuse reconnaissance.
I
Pour faire un film sur un cuirassé, il faut ...un cuirassé. E t pour retracer
l’histoire d’un cuirassé de l’année 1905, il faut notam m ent que le cuirassé
soit du type 1905. E n vingt ans — nous étions alors dans l’été 1925 — les
silhouettes des bateaux de guerre avaient changé du to u t au tout. Ni
dans la baie de Louga, du Golfe de Finlande, — c’est-à-dire dans la flotte
de la mer Baltique —, ni dans la flotte de la Mer Noire, il n ’existait plus
de cuirassé du type ancien. Voici un cuirassé qui danse gaiement sur les
eaux de Sébastopol. Mais ce n ’est pas du to u t celui qu’il nous faut. Il n ’a
pas cette croupe large, si particulière, il lui manque le pont arrière, théâtre
du céièbre drame que nous avons à reconstituer. Quant au véritable
« Potemkine » il est mis à la, ferraille depuis des années. Impossible même
de retrouver la trace de l’histoire dont le tourbillon a dispersé et balayé
la lourde cuirasse de tôle qui recouvrait autrefois les flancs robustes du
bateau. Toutefois les limiers de la recherche nous firent savoir que si
le « Prince Potemkine de Tauride » lui-même n ’était plus, son ami et parent,
du même type, autrefois puissant et glorieux, le cuirassé « Douze Apôtres »
était encore en vie. Enchaîné à la côte rocheuse, rivé par des ancres de fer
au fond sablonneux de la mer, sa carcasse jadis héroïque, se dressait au
fond d’une des anfractuosités les plus lointaines de la baie. Là, dans des
souterrains profonds qui prolongent les criques - du Golfe de Sébastopol
jusque sous les montagnes, sont déposés des milliers de mines. A l’entrée
du souterrain, enchaîné comme un cerbère vigilant, s’allonge le grand corps
gris taché de rouille du « Douze Apôtres ». Mais sur l’énorme dos du gardien
— cette baleine somnolente — on ne distingue plus guère les tourelles
des canons, les mâts de flèches ni le po.nt du capitaine.
Le temps les a emportés. E t seul le ventre d ’acier creusé des nombreuses
galeries répond par un grondement au roulement des wagonnets qui
em portent le contenu lourd et meurtrier de ces voûtes métalliques : des
mines, des mines, des mines... Le corps du « Douze Apôtres » est devenu
lui aussi un entrepôt de mines. C/est pourquoi on l’a si soigneusement
enchaîné, fixé et rivé à la terre ferme : la mine n ’aime pas les secousses,
la mine évite les chocs, la mine exige l ’immobilité et le calme.
* ‘
Il semblait que le «Douze Apôtres» fût figé à jamais, immergé jusq u’à
la taille dans les eaux silencieuses de la baie de Sébastopol. Mais la baleine
d’acier allait se réveiller : une fois encore ses flancs allaient bouger. Une
fois encore elle allait pointer vers le large son nez q u’on aurait cru pour
toujours braqué sur les falaises. Le cuirassé est to u t contre la côte rocheuse,
orienté parallèlement à elle. Or le drame sur la plage arrière doit se passer
en pleine mer. Impossible de prendre les vues, soit de côté, soit de la proue
du cuirassé, si l’on veut éviter les noirs abruptes rocheux qui entreraient
dans le champ. P o u rtan t l'œil vigilant de Locha Kriounkov, l’assistant
m etteur en scène, qui a déjà découvert le grand vieillard d’acier dans les

20
S. M. Eisenstein : Le Cuirassé Potemkine. Les préparatifs do l’exécution (à gauchs) puis la révolta
parvenue à son paroxj-sme (à droite).

creux de la rade, a trouvé le moyen de vaincre encore cet obstacle. En


virant de bord de 90 degrés le corps puissant du vaisseau se place perpen­
diculairement à la côte ; il se trouve ainsi exactem ent face à une crevasse et
se dessine dans toute son ampleur sur le fond net du ciel pur. La caméra opé­
ran t devant la proue, le cuirassé donne l’impression d ’être en pleine mer.
(Dans le film, il est vrai, on voit une image du cuirassé pris de côté. Elle a été
tournée dans le palais mauresque des établissements de Bains Sandounofï
à Moscou où se balançait sur les eaux tièdes du bassin le petit corps gris
d ’un modèle réduit.) Les mouettes volent alentour, toutes surprises,
habituées qu ’elles sont à le considérer comme une partie de la montagne...
E t leur présence renforce encore l’illusion. Dans un silence attentif la
baleine d ’acier se balance. P ar ordre spécial du commandement de la
flotte de la Mer Noire, la proue du géant d’acier, pour la dernière fois,
est tournée face â la mer. E t après avoir connu l’odeur stagnante et fangeuse
de la côte, il semble humer l’air de l’étendue uniforme du large. Les mines
qui somnolent dans ses flancs n’ont vraisemblablement rien su de l’élé­
gante manœuvre du mastodonte. Mais Je martèlement des haches ne
pouvait pas ne pas déranger leur sommeil car c’est sur le pont du vrai
cuirassé qu’on construit une super-structure en contreplaqué. Avec des
lattes, des poutres et du contre-plaqué, d ’après les dessins conservés par
F Amirauté on a reconstitué l’exacte silhouette du cuirassé « Potemkine »
A partir de l’histoire véridique, recréer le passé au moyen de l’art, c’est
presque to u t le symbole du film. Mais surtout pas de secousses. Pas un
centimètre de trop à droite ou à gauche, sinon l’illusion du large sera perdue,
sinon les rochers vont glisser malicieusement un œil dans l’objectif.
Les œillères de l’espace nous imposent des limites absolues. Les œillères
du tem ps aussi : l’obligation de sortir le film pour un anniversaire interdit
to u t écart d ’imagination. Chaînes et ancres m aintiennent le vieux corps
du cuirassé qui tire vers le large. Les chaînes de l’espace et les ancres du
temps rétiennent les débordements de l’imagination. E t c’est cela, peut-
être, qui donne au film sa rigueur d’écriture et sa justesse de proportion.
*
Des mines, des mines, des mines....

2!
Ce n ’est pas pour rien qu’elles reviennent dans ces pages. C’est sous
le signe des mines que to u t le travail s’accomplit. Défense de fumer. Défense
■de courir. Défense même d’aller sur le pont, sans nécessité absolue. Plus
redoutable encore que les mines est leur gardien, le camarade Glazastikov,
qui nous est spécialement adjoint. Glazastikov n ’est point un jeu de
m ots (1).
P o u rtan t hélas ! il exprime le regard même de cet œil d’argus qui
protège des flammes et des secousses superflues les galeries de mines sous
nos pieds. Il eût fallut des mois pour décharger les mines et nous n ’avons
que quinze jours pour achever le film avan t l’anniversaire. Essayez un
peu de tourner une révolte dans de pareilles conditions ! Mais « les obstacles
n’existent pas pour les Russes », et la révolte fut tournée 1 Ce n ’est pas en
vain que les mines ont remué dans le ventre du vieux cuirassé et frémi du
fracas des événements historiques qui reprenaient vie sur le pont. Le
rejeton' cinématographique a emporté dans son to u r du monde quelque
chose de leur puissance explosive. L ’image du vieillard révolté a causé bien
des inquiétudes à beaucoup de censures et de polices d’Europe. Il n’y eût
pas moins de remous dans l’esthétique cinématographique.

II

Une des silhouettes les plus im portantes du scénario était le docteur.


On chercha longtemps, désespérément, un interprète pour se résigner enfin
à accepter un quelconque acteur. C’était un demi-compromis. Nous voici
donc, mon équipe et moi, avec le candidat si peu satisfaisant à bord d ’une
petite vedette en direction du croiseur « K om intern » où sera tournée la
scène de la viande avariée. Je boude. J e suis assis à une extrémité de la
vedette, le plus loin possible du « docteur », évitant exprès de regarder de
son côté.
Les détails du port de Sébastopol me sont connus jusqu’à la nausée.
Les visages de l’équipe aussi. J ’observe les têtes des machinistes qui au
cours des prises de vues tiendront les écrans-réflecteurs. J ’avise un petit
bonhomme fluet. Dans l’hôtel froid et plein de courants d’air de Sébastopol
où nous tuons le tem ps entre les prises de vues c’est lui qui s’occupe du
chauffage. « Quelle idée d’engager de pareils maigrichons pour ballader
de lourds réflecteurs » — mes pensées flânent paresseusement. — « Il est
capable de faire tomber le réflecteur à l’eau. Où même de le casser et ça
porte malheur ». Ma pensée s’immobilise et le chauffeur maigrichon passe
sur un autre plan -— ses capacités physiques font place à ses possibilités
d’expression : une petite moustache, une barbiche pointue... des yeux mali­
cieux. E n imagination, je place devant ses yeux les verres d’un pince-nez
à chaînettes. En imagination j ’échange sa casquette crasseuse contre le
képi d ’un médecin de marine. E t au mom ent où nous arrivons sur le pont
pour les prises de vues ma pensée s’est faite réalité : à travers les verres
de son pince-nez, le médecin de marine du cuirassé « Potem kine », le machi­
niste de to u t à l’heure regarde la viande grouillante de vers et cligne lâche­
m ent des yeux.

(1) En russe, glaza signifie : les yeux.

22
S. M. Eisenstein : Le Cuirassé Potemlcine.. La procession, dans Odessa. On remarque
la décomposition en trois « lignes » du passage de la foule.

Une légende veut que ce soit moi qui aie interprété le rôle du pope dans
3e film. C’est faux. Il fût confié à un vieux jardinier des vergers de la ban­
lieue de Sébastopol. Celui-ci le joua avec sa vraie barbe blanche, vaguem ent
peignée pour la circonstance, et de faux cheveux blancs. À l’origine de la
légende se trouve une photo de travail : on m ’y voit avec une fausse barbe,
affublé de la perruque et de la soutane dans laquelle avait tourné le vieux
jardinier. Je suis maquillé pour le doubler car ce vénérable vieillard devait
dégringoler un escalier. II était pris de dos : je ne voulais pas me priver du
plaisir d’accomplir personnellement cette dégringolade.
Le troisième protagoniste im portant est resté lui aussi anonyme —
bien mieux —, il est resté même hors-champ. Heureusement, car c’était
moins un collaborateur qu’un ennemi enragé des prises de vues. C’était
le gardien du parc du Palais d’Àlompka. Un instant de plus et ses souliers
fatigués, son pantalon avachi apparaissaient sur l’écran. On le trouvait
toujours assis en effet sur la tête d’un des lions de marbre pour nous empê­
cher de le tourner et à chaque lion il réclamait une permission spéciale.
Ce qui nous sauvait c’est q u ’il y a en tout six lions sous cet escalier. E n
courant avec la caméra d’un lion à l’autre, nous sommes parvenus à si
bien embrouiller ce rigoureux gardien de l’ordre qu’en fin de compte il
nous ficha la paix et nous réussîmes à prendre trois des fauves en gros plan.
« Les lions cabrés » furent donc encore une « trouvaille sur place », un jour
que nous étions allés nous reposer à Alompka parce qu ’on ne tournait pas.
Autre trouvaille sur place : les fameux brouillards. Une matinée
brumeuse sur le port. Le coton recouvre le miroir du golfe : c’est le « Lac
du Cygne » tel qu’on pourrait le voir au théâtre d’Odessa, mais cette fois
parmi les grues et les débarcadères du port. On eût dit que des jeunes filles

23
envolées au loin telles des cygnes blancs avaient abandonné leurs voiles
blancs sur les eaux. La réalité fut plus prosaïque ; les brouillards sur les
golfes signifiaient' un jour chômé, un vendredi noir sur le plan du travail
du film. Il y eût jusqu’à sept vendredis noirs dans une semaine. Nous voilà
en dépit de la blancheur vaporeuse face à face avec un de ces vendredis
noirs. Les squelettes noirs des grues qui se dessinent à travers la blancheur
de fleur d ’oranger des voiles de brume nous le rappellent d’une façon lugu­
bre, ainsi que les corps noirs des bateaux, des péniches et des navires
marchands, semblables à des hippopotames se, d éb attan t dans la mousse­
line. Ça et là, la charpie brumeuse et échevelée est traversée par de rares
fils de soleil. Le brouillard prend des taches de rose et de roussi et devient
chaud et vivant. Mais voici que le soleil à son to u r s’enveloppe de nuages
comme s’il était jaloux de sa propre image vêtue d ’un duvet de cygne dans
les eaux. « E t pourquoi pas moi ? » dit-il. Bref, pas de prises deTvues.
Chômage. La location d’un bateau coûte 3 roubles 50. E n compagnié^de
Tissé et d’Alexandrov je me promène sur les eaux du port brumeux comme
dans d’infinis vergers de pommiers en fleurs. « Trois hommes dans un
bateau... ». Notre caméra, chien fidèle, nous accompagne. Elle comptait*—
comme nous — se reposer aujourd’hui. Mais l’ardeur inlassable des trois
promeneurs l’oblige à manger du brouillard. Le brouillard s’accroche à
l’œil de l’objectif comme du coton aux dents. « Ces choses-là ne se tournent
pas » semble chuchoter le pignon de l’appareil. Son point de vue est
confirmé par un rire moqueur jailli d ’un bateau que nous croisons. «Des
rigolos». Celui qui se moque ainsi de nous, c’est un opérateur, qui se trouve
là lui aussi pour un autre film. Son corps décharné de Don Quichottè est
allongé dans l’autre bateau comme une perche. Surgissant p ar éclair, puis
s’enfonçant dans le brouillard, comme derrière un camouflage, il nous jette
au vol des souhaits ironiques de réussite. Les souhaits se sont réalisés.
A ttrapée par hasard et interprétée d’emblée, sous le coup de l’émotion,
la rencontre des brouillards devint im médiatement, dans le choix des
détails et les ébauches du cadrage, une matière première, un thème funèbre
d’accords plastiques. E t plus, au montage, des enchevêtrements ingénieux
composeront la symphonie funèbre à la mémoire de Valvoulintchouk. Ce
fût la prise de vues la plus économique du film : la location du bateau dans
la baie avait coûté en to u t 3 roubles 50. _ ^
III
La troisième trouvaille sur place fu t l’escalier d ’Odessa, J ’estime que
la nature et l’ambiance et le décor au m om ent de la prise de vues, aussi
bien que la totalité de la pellicule filmée au m om ent du montage sont sou­
ven t plus « intelligents » que le scénariste et le m etteu r en scène.
Savoir discerner et comprendre ce que suggère la nature ou les angles
imprévus d’un décor conçu p ar votre imagination, savoir prêter l’oreille
à ce que disent « les rushes » unis bout à bout et les scènes qui vivent sur
l’écran leur propre vie, débordant quelquefois l’idée qui les a engendrées,
c’est là le souverain bien, le grand art. Mais to u t ceci exige une extraor­
dinaire précision de la ligne créatrice d ’ensemble, q u’il s’agisse d ’une scène
particulière ou de toute une phase du film. E n revanche, il fau t au tan t de
souplesse dans le choix des moyens appropriés à la réalisation de ce qui
a .été conçu. Il fau t assez de rigueur pour savoir exactem ent la qualité de
S. M. Eiscnstein. Le Cuirassé Potemkino : l'hommage muet des citoyens d’Odessa
défilant devant le corps du Vakoulintchouk.

la sonorité qu’on désire donner et assez d ’indépendance pour accueillir


les possibilités qui se présentent à l’improviste et qui sont susceptibles de
créer cette sonorité. Dans les notes de mise en scène figure le degré exact
d’intensité que doit atteindre la fusillade sur l’escalier d’Odessa à l’instant
où on la coupe. Ce degré est donné par le coup de feu parti du cuirassé.
Quant aux moyens, ils ne sont q u’ébauchés. Le hasard oblige à des solu­
tions tranchantes. La clé musicale devant rester la même, l’accident entre
alors dans la chair du fdm selon une loi imprescriptible. Des dizaines de
pages de notes sont consacrées à l’élaboration de la scène funèbre de
Vakoulintchouk qui fut décidée à mesure que les images du port lente­
ment s’ébranlaient. Mais à travers l’image du port glissent rêveusement
les détails dûs au hasard d ’une journée de brume ; la sonorité émotionnelle
s’est accordée parfaitement à la conception initiale de la scène funèbre et
voici que les brouillards inattendus pénétraient au cœur même du projet.
E t to u t aussi exactement se rassemblent mille petits épisodes, qui s’élèvent
graduellement en même temps que la cruauté cosaque (dans la rue, dans
la cour de l’imprimerie, dans la banlieue, devant la boulangerie) jusqu’à
former un seul escalier monumental dont les marches servent pour ainsi
dire d’unité de mesure rythm ique et dram atique aux actes de la tragédie
qui s’y déroule. La scène de la fusillade sur l’escalier d’Odessa ne figurait
sur aucun scénario préliminaire, sur aucune des notes préparatoires au
montage. C’est la rencontre même de l’escalier qui la fit naître. L ’anecdote
selon laquelle l’idée de cette scène me serait venue, à la vue de noyaux
de cerises que je crachais et que je vis rebondir jusqu’au bas des marches
alors que je me trouvais to u t en hau t au pied de la statue du duc de Riche­
lieu, est un m ythe pittoresque, je l’admets, mais un m ythe évident.
C’est l’élan même de ces marches qui fit jaillir l’idée de la scène.
Son mouvement irrésistible poussa l’imagination du m etteur en scène à
créer lui aussi un autre élan. On pourrait dire que la terreur de la foule se
précipitant jusqu’au bas des marches d ’un seul mouvement n ’est rien
autre que l’incarnation de cette première émotion, ressentie à la vue de
l’escalier lui-même. E t peut-être aussi joua son rôle une illustration parue
dans un journal de 1905 dont l’esquisse était demeurée quelque p art au
fond de ma mémoire et où, sur un escalier estompé par la fumée, on voyait

2S
u n cavalier brandir son sabre. Bref, l’escalier d’Odessa est le m om ent
essentiel dans le déroulement du film. L ’homme de la chaufferie, les brouil­
lards et F escalier sont une répétition de l’histoire du film lui-même, ce
film qui fut tiré d’une côte de l’interminable scénario « L ’année 1905 »
em brassant une quantité d’événements. J ’avoue que le soleil n ’a pas l’habi­
tu d e de prendre un verre chez moi fl) comme chez Vladimir Vladimirovitch
Maïakowsky. Néanmoins il me rend de temps à autre des services in a tte n ­
dus. Ainsi, en 1938, il se m ontra gracieusement pendant quarante jours
consécutifs tandis que nous tournions la bataille sur la glace aux environs
des Studios de Mossfilm pour Alexandre Newski. C’est encore lui qui força
impérieusement à plier bagage notre expédition cinématographique à
Léningrad en 1925, alors que nous avions commencé les prises de vues
retardées du film L ’année 1905. C’est lui qui nous envoya à Odessa puis à
Sébastopol à la poursuite de ses derniers rayons, nous obligeant ainsi à
■choisir parmi les nombreux épisodes du scénario l’unique qui pouvait être
tourné dans le midi. E t voici que cet épisode particulier incarne l’émotion
<le l’épopée de 1905 to u t entière. La partie a pris la place du tout. E t la
partie s’est imprégnée de l’émotion du toul. Comment la chose fut-elle
possible ? La revalorisation du gros plan qui transforme un détail d ’infor­
m ation en une particularité susceptible d’évoquer to u t un ensemble dans
l’esprit et le cœur du spectateur y est pour beaucoup. Ainsi le pince-nez
du médecin au moment voulu prend la place de l’homme : le pince-nez
balancé par les vagues remplace le médecin en train de se débattre dans
les algues, après le jugement sommaire des marins. J ’ai comparé dans un
article cette méthode d’utilisation du gros plan à ce qu’on nomme en
poétique synecdoque. Les deux procédés relèvent directement de notre
capacité intellectuelle et affective d’assimiler le to u t à la partie. Mais quand
•donc ce phé nomène deviènt-il possible dans une œuvre d’art ? Quand donc
une partie , une particularité, un épisode sont-ils susceptibles de prendre la
place du to u t selon une véritable nécessité et d’une manière exhaustive ?
Bien entendu seulement au cas où la partie, la particularité, l’épisode sont
carac téristiques. C’est-à-dire lorsqu’ils contiennent effectivement le prin­
cipe d u tout, comme le fait une goutte d’eau. L ’image du médecin avec
sa ba rbiche pointue, ses yeux de taupe, sa vue bornée répondent parfai-
te m e n t au pince-nez du modèle 1905 attaché tel un fox-terrier par une chaî­
nette métallique, qui se glisse dërrière l’oreille. C’est exactement ainsi que
l’épisode de la révolte a rassemblé en lui, historiquement parlant, une
q u a n tité innombrable d’événements, profondément caractéristiques de
cette année 1905 « répétition générale d ’Octobre ». Le morceau de viande
-avariée grandit jusqu’à' devenir le symbole des conditions inhumaines de
vie, imposées à l’armée et à la flotte, aussi bien qu ’aux exploités de « la
gra nde armée du travail ». La scène de la plage arrière a absorbe les traits
de cruauté caractéristique de la répression tzariste contre tou te ten tativ e
<de0révoIte. Cette scène symbolise également le mouvement de riposte non
m ins caractéristique de ceux qui reçurent en 1905 l’ordre de sévir contre
les révoltés. Le refus de tirer sur la foule, sur la masse, sur le peuple, sur
le s frères, c’est un élément propre à l’atmosphère de l’année « cinq » ; il illustre
le passé de plusieurs unités de l’armée que la réaction. lâchait contre les
révoltés. La scène funèbre devant la dépouille mortelle de V akoulintchouk
(1) Allusion au célèbre poème de Maïakowsky : “ Le Soleil” .

26
S. M. Eisenstein : Le Cuirassé Potemkine. La scène de l’escalier d'Odessa dont
son autour dit qu’elle est « le moment essentiel dans le déroulement, du fllm ».

fait écho à toutes les obsèques de victimes de la révolution, qui se trans­


formaient en manifestations ardentes, provoquant bagarres e t massacres.
Cette scène incarne à la fois les sentiments et le sort de ceux qui ont porté
sur leurs épaules le corps de Bauman à travers Moscou. L ’image de l’esca­
lier symbolise le _massacre de Bakou, symbolise la journée du 9 Janvier.
Ce jour-là, l’élan du peuple débonnaire ravi par ce printemps de la liberté
q u ’était l’année « cinq » fut écrasé sous la botte impitoyable de la réaction,
aussi sauvage que les instigateurs déchaînés de pogroms de « Cents Noirs »
qui incendièrent le théâtre de Tomsk au cours d’un meeting. Enfin la
dernière image du film, le passage victorieux du cuirassé à travers l’escadre
de l’Amirauté, cet accord majeur qui met fin aux événements, porte en
elle, cette fois encore, la vision entière de la révolution de l’année «cinq».
Nous connaissons la suite de l’histoire du cuirassé. Il fut interné à Cons-
tanza puis rendu au gouvernement tzariste. Une partie des marins échappa.
Mais Matinchenko tom bé aux mains des bourreaux tzaristes fut exécuté.
Toutefois l’histoire filmée du cuirassé se clôt avec raison sur une victoire.
Car du point de vue purem ent historique la révolution de l’année « cinq »,
noyée elle-même dans le sang, figure dans le Cours des événements révolu­
tionnaires, avant to u t comme un fait victorieux. Elle annonce la victoire
finale d’Octobre. . . . . . .
Derrière cette série de défaites qui s’achèvent en victoire transparaît
dans to u t son pathétique le sens des grands événements de l’année «cinq»
entre lesquels l’épisode historique du « Potemkine » n ’est qu’un fait parti­
culier mais un fait digne de réfléter la grandeur du tout.

IV
Revenons aux protagonistes et aux anonymes. Presque tous sont
anonymes, excepté fa c te u r Antonov qui joua le rôle de Vakoulintchouk,
Grégory Aîexandrov — Gilarovski, feu le m etteur en scène Barski,

27
S. i l . Eisenstoin : Le Cuirassé Potemkine. Scènes de la répression des manifestations de sympathie des
citadins d ’Odessa & T ê ta r d ^des m utins du « P o tem k in e» .

k . ^
Golikov et le m aître d ’équipage Levchin dont le sifflet nous fut si utile
au cours du travail. Que sont devenus ces centaines d’anonymes qui accou­
rurent à nous avec enthousiasme, qui sans jamais relâcher leur zèle mon­
tèrent et descendirent l’escalier du h au t en bas par une chaleur torride»
qui suivirent sur la jetée le cortège funèbre en une file interminable. Celui
que j ’aimerais rencontrer par dessus tout est cet enfant anonyme qui
pleurait dans la petite voiture tandis qu’elïe dégringolait l’escalier en
sautant d ’une marche sur l’autre. Il a vingt ans aujourd’hui. Où est-il ?
Que fait-il ? A-t-il défendu Odessa ? Reposë-t-il dans une fosse commune
quelque p art dans le lointain Liman ? Où bien travaille-t-il à cette heure
à faire revivre Odessa ?

Toujours est-il que je me souviens de quelques noms et prénoms des


figurants des scènes de masse sur l’escalier. E t pour cause. Le recours au
« procédé » de Bonaparte fait partie des trucs du m etteur en scène. On
sait que Napoléon s’informait auprès de ses soldats d’un de leur camarade
de régiment pour ensuite étonner celui-ci par sa science de ses affaires
privées. « Comment va Louison, ta fiancée ? Comment von t tes parents
de Saint-Tropez, la bonne vieille Rosalie et Thibaut qui n ’a pas peur du
travail ? E t la tan te Justine, elle est guérie de sa goutte ? ».
La foule se précipite-au bas de l’escalier. Plus de deux mille jambes
dévalent les marches en courant. La première fois pas mal, la seconde fois
c’est déjà moins énergique. La troisième fois c’est presque la flemme. E t
soudain du h au t de l’échafaudage à travers le porte-voix scintillant, cou­
vran t le b ruit des pas et le martèlem ent des chaussures et des sandales,
retentit, telle la trom pette de Jéricho, un rappel à l’ordre du m etteur en
scène.
« Camarade Prokopenko, vous ne pourriez pas y m ettre plus d’éner­
gie ? »

28
La l'oule un instant demeure figée : « Est-ce qu’il nous voit tous du haut
de cette maudite guérite ? Est-ce qu’il poursuit chacun de ceux qui courent
de son œil d’argus ? » « Connaît-il notre tête et notre nom à tous ? » La
foule fonce cette fois à une allure folle, absolument convaincue que personne
ne peut se soustraire au regard vigilant du démiurge m ètteur en scène.
Dans sa trom pette étincelante le metteur, en scène avait crié le nom.- du
seul figurant de la scène de masse qu’il connut par hasard.
Le moment est venu de rendre justice au principal anonyme non pas
cette fois l'anonyme protagoniste mais l’anonyme créateur. A notre grand
peuple russe, à son glorieux'passé révolutionnaire et à'son immense inspi­
ration créatrice qui intarissablement nourrit le génie créateur de nos artistes
et de nos maîtres. Que soit offert ici à ce grand inspirateur composé de
millions et de millions d’individus, au véritable créateur de nos œuvres
la gratitude chaleureuse de tous ceux qui créent dans ce pays.
Cette gratitude profonde pour le peuple c’est le Grand Staline qui nous
l’enseigne.
- S ergei M ikhailovitch E isenstein
(Traduction de Colette A udry et Marina Stalio)

BIOGRAPHIE ABRÉGÉE DE S. M. EISENSTEIN


Né en 1898 à Riga, fils d’un ingénieur.
1919-1920 : à Moscou, travaille’avec le Théâtre de l’Armée- Rouge et fait
la connaissance de ses deux futurs collaborateurs, Gregory Alexan-
drov et Édouard Tissé.
1924 : Après avoir participé au montage du Docteur M abuse de Fritz
Lang, il réalise son premier film L a grève.
1925 : Le 31 mars, Eisenstein commence Le Cuirassé Poiemkine. Le film
sera présenté le 25 décembre au Bolchoi Theâtre de Moscou pour la
commémoration du X X e anniversaire de la Révolution d e '1905.
1926 : Eisenstein entreprend La ligne générale.
1927 : Réalisation à’Octobre, commémoration de la Révolution de 1917.
1929 : Publication avec Alexandrov et Poudovkine de la « Déclaration sur
le lilm parlant ».
Eisenstein p art ensuite avec Alexandrov et Tissé à Hollywood
où ils sont engagés par la Param ount. Sur le chemin du voyage,
séjour de plusieurs mois en France. Eisenstein collabore à Romance
Sentimentale de G. Alexandrov.
1930 : A Hollywood, Eisenstein tente de réaliser Arms and The Man,
Napoléon noir, Glass Iiouse, Sutter’s Gold. II s’intéresse également à
A n American Tragedy de Théodore Dreiser dont il écrit une adap­
tation.
1931-1932 : Tous ces projets ayant échoué, Eisenstein p art au Mexique
avec Alexandrov et Tissé pour y réaliser Que Viva Mexico ! vaste
fresque mexicaine composée d’un prologue, de quatre parties
(Sandunga, Maguey, Fiesta, Soldadera) et d ’un épilogue. Il tourne
près de 50.000 mètres de film.
Il revient à Moscou en 1932.

29
1933 : Sol Lesser utilise les fragments tournés de Que Viva Mexico ! et m onte
Tonnerre sur le Mexique, Kermesse funèbre et Eisenstein à Mexico
(inédit en France).
1933-1936 : Eisenstein enseigne la mise en scène à l’UniversIté du film de
Moscou.
1937 : Eisenstein commence puis abandonne Le pré de Béjine. Il se consacre
à Alexandre Newsky.
1938 : Alexandre Newsky achevé le 3 novembre est présenté le 23 novembre.
1939 : Aux U. S. A., Mary Seaton monte Time in the Sun avec des passages
inutilisés de Que Viva Mexico !
Eisenstein prépare- La bataille de Perekop.
1940 : Retour d’Eisenstein au théâtre. A Moscou, au Bolchoi Theatre, il
m et en scène La Walkyrie dont il dessine costumes et décors,
1941 : Eisenstein prépare Ivan le Terrible. Réalisation en novembre d’un
court métrage d’actualité Moscou se défend.
1943 : Le 22 avril, premier tour de manivelle à Alma-Ata d’Ivan le Ter­
rible.
1944 : Ivan le Terrible est terminé.
1945 : Présentation à Moscou en janvier d'Ivan le Terrible.
1947 : Eisenstein a l'intention de faire un montage de Que Viva Mexico !
avec Tonnerre sur le Mexique et Time in the Sun (qu’il voit en
décembre 1946 pour la première fois), mais il tombe malade...
1948 : Le 11 février, m ort de Sergei Mikhailovitch Eisenstein.

S. M. Eisenstein : L e Cuirassé Potemkine, L ’apothéose finale : le


passage victorieux du cuirassé à travers l'escadre de l’Amirauté.

30
UN BOVARYSTE A HOLLYWOOD
(M ly W ilie r )

par
Jean Myrsine

En voyant, l ’autre soir, un couple exhubérant de guitaristes lors


d ’un en tr’acte au café-concert, je réfléchissais que l’a rt contem porain
tend d e plus en plus, s’il veut vivre, à flatter chez les spectateurs les
idées q u ’il im agine les moins rebelles aux sollicitations du quotidien^
J e crois bien que F lau b e rt est le grand-responsable de cet état de chose,,
et q u ’il inventa (ce en quoi il est le prem ier rom ancier m oderne d o n t
nos prosateurs se peuvent réclam er, tout comme nos poètes se réclam ent
de Baudelaire) l ’état d’esprit qui présida à son établissem ent. On com­
p ren d que n o tre litté ra tu re applau dit si h au t le génie (car, disons-le, il
fallut une force rem arq u ab le pour renverser ce que trois siècles
d ’inspiration classique m iren t d ’honneur à exprim er) qui introduisit
su r scène les personnages inintéressants, et, refu san t d ’ex alter des-
sentim ents aussi nobles que la vertu, la prudence ou la pitié, se com plait
chaque jo u r d avantage de calquer chez lui la pein tu re de l’indigence»
du désespoir ou de l’ennui. Je sais peu de lectures aussi déprim antes
que celles de « B ouvard et Pécuchet » et de « L ’E ducation Sentim en­
tale », P eu t-être s’étonnera-t-on que j ’aille m aintenant com parer urt
Ci-dessus, Billy "Wilder so faisant couper les cheveux p ar K rk Douglas, son interprète de The B ig Carnival^
jltenschen Am S o nn tag (1929 ). Double l'n d e m n ity ( 1 94 4 ).

cinéaste com me Billy Wilcler à Fillustre au teu r de « M adam e B ovary »,


mais c’est que je veux en faire u n exemple. Il est vrai que m ieux
vaudrait, alors, en faire l’équivalent de nos Sartres, de nos Kessels, dont
ce cinéaste est l’exacte réplique hollywoodienne plu tô t que celle du
citoyen de Rouen, si je n’avais trouvé dans le caractère d’E m m a Bovary
m atière à étayer m a thèse. Il est, en effet, du devoir des C a h i e r s d u
C i n é m a , p our une fois, de ne pas p a rle r des oeuvres q u’ils aim ent p a r ­
dessus tout, q u ’ils trouvent pour le moins attachantes, où l’éloge est
toujours sous-entendu, et de porter le débat assez h a u t pour ne pas être
ensuite accusés de se com plaire dans la médisance.

Sans doute fîmes-nous autrefois un trop vif accueil aux films de


l’école « noire » am éricaine p o u r ne pas en ressentir au jo u rd ’hui
quelque honte. Sans doute encore, un heureux concours d’événements,
les conséquences de l’après-guerre, ne fu re n t pas p o u r peu dans les
erreurs qui transparaissent toujours, de nos jours, dans les contra­
dictions de nos critiques, tant littéraires que ciném atographiques. Mais
c’est ce rem ords que je veux analyser. Je ne fais pas aïlusioii ici à des

The Lost Wceck-End (1945). Sunset Boulevard (1949).

32
cinéastes com me H ow ard H awks ou F ritz Lang sinon à certains, tels
que Dm ytryk, et justem ent ce Billÿ W ilder, ' lesquels derniers m isent
surtout sur le succès que suscite la représentation de m anières scan­
daleuses. Ils sont conduits ainsi à l’exagération, à laquelle toute cette
génération française de la L iberation fut si sensible (quand sortit The
Lost W eek-E nd, quelqu’un ne p ari à-t-il pas de « pureté racinienne » ?),
qui p etit à petit se pique de se pouvoir calculer elle-même. Nous leur
reprocherons cela : trop d’intelligence et trop de naïveté dans l ’auto­
critique; L eur mise en scène est bâtie sur une si grande volonté de
« typisation » q u ’elle plaît singulièrem ent à ce que chez beaucoup
elle eM eure d’écœ urem ent. Yoye.z l’image qui orne la couverlure de
ce Cahier, et considérez ce souci de ne dégager du réel que ce q u ’il
offre de moins pur, de nous loucher que p a r excès.

Il faut voir dans ce goût du sensationnel, et celle précaution à


ne m ontrer d ’une scène non ce qu’elle a de plus osé, m ais ce q u ’elle
laisse supposer d ’incertitude, il fa u t voir là, dis-je, des principes de
journaliste. C’est dans un périodique autrichien que Billy W ilder,
d’ailleurs, com m ença sa carrière, et c’est probablem ent à son inexpé­
rience que nous devons la fraîche ingénuité de son x>remier film, mis
en scène p ar R obert Siodihak, Menschen A m Sonntag. N otre hom m e
ne s’éternisa guère dans son pays, ni en France, et s’en alla augm enter
là brillante cohorte des cinéastes allemands en Californie. E ric von
Stroheim raconte à ce propos une plaisante anecdote qui p ein d ra comme
je l’espère le m etteu r en scène de Sunset Boulevard ; débarqué sans ün
sou vaillant à New York, erra n t sans travail, Billv W ild er faisait
parvenir a sa vieille mère, restée en Allemagne, les livres de l’écrivain
Tliornton W ilder, en lui faisan t croire q u’il les avait écrits, ju sq u ’au
jo u r où la plaisanterie fu t découverte. Je ne sais si l’histoire est vraie,
mais elle est significative. Ce qui. nous frappe à revoir The Lost W eek-
End et Double Indem nity, c’est là négation des héros. Trop de choses
nous sont m ontrées qui ne sont pas sans fadeur. Certes je ne veux pas
dire que les « trouvailles » contenues dans le scénario sont objet encom ­
bran t sur le plan de la mise en scène, mais je rem arque que le désir,
si légitime soit-il, de ren d re une idée valable littérairem ent parlant,
devient ensuite néfaste si l ’on ne se soucie, au préalable, d ’ôter en elle
tout ce dont il sera impossible d ’extraire, au m inim um , un renseigne­
ment, c’est-à-dire tout ce dont la fin dernière est l’im itation et non la
signification.
On voit que je reproche à Billy W ilder, tout comme à son ami
Charles Brackett, d’être trop n aïf pour être roublard en m êm e temps
que trop intelligent p o u r se targuer de sincérité. La critique univer­
sitaire de la fin du siècle dernier donna un nom à cette am bition
entachée de m aladroite duplicité : le bovarysme. Si, encore une fois,
j ’en reviens à F laubert, c’est que je crois le problèm e assez im portant,
puisqu’il perm et de faire le point sur les exigences du spectacle ciné­
matographique.

33
Rem arquons d’abord combien .Billy W ilder est aussi agréable à
suivre lorsqu’il nous conte les heurs et bonheurs d ’uiie fausse p etite
fille dans un pensionnat de soldats (The Major and the Minor), les
intrigues d’une chanteuse dans un Berlin p o u r m ilitaires en civil
(Â F oreign A (fa ir), que lo rs qu’il affiche une si vive insolence à l'égard
du ciném a qui le fait vivre; L’éloquence..n’est ja m ais si dure que
quand elle raille ce dont elle s’inspire. J ’avoue, dans Sunset Boulevard,
avoir aimé au tant les scènes d ’am our entre le scénariste et l’intrigante
secrétaire de production que celle de la triste apparition de Bus ter
Keaton, ou celle de Cecil B. De Mille refusant d’engager l’anciënne étoile
du m uet N orm an Desmond (qui fut tournée telle quelle, sans nul doute,
parce que, Gloria Swanson faisait réellem ent sa rentrée dans ces
mêmes studios). Il est toujours dangereux et m alhabile de raco n ter à
la troisième personne ses propres aventures ( 1 ) F laubert, jadis, s’avisa
dé tricher pareillem ent ; on m e dira que c’est une question de g ra m ­
maire, m ais je répondrai que j ’im agine d’abord (pour un tel form aliste)
q u ’il n ’en dut pas dorm ir, puis qiï’i i s ’en tira par un procès : « M adam e.
Bovary >> est plein d’irritantes" confusions p a r le fait que son a u te u r
n’osa se résoudre de l’écrire en disant « je ». Voyez pour plus de
preuve lé d ernier film de n o tre,tandeïxi, The Big' Carnival, anciennem ent
Ace In The Hole, et baj>tisé en français Le Gouffre aux Chimères,
voyez sur quoi repose ce film couronné il y a m oins d’un an à la
Biennale de Venise : uii joiirnalisté, en m at de copie, retarde à dessein
le sauvetage d’un hom m e enseveli sous une colline. Il n ’est point m êm e
im m oral mais seulem ent am oral en agissant -'des cette façon.

Voilà le bovarysme, l’évasion de l’ennui p a r la plongée dans la


m ythom anie. .Te dirai volontiers, p a r celà, que Billy W ilder est le plus
français des m etteurs en scène d’outre-Atlantique..' Un boVaryste ne
s’intéresse évidem m ent q u ’à des personnages bovarÿstes eux-mêmes.
A utant dans Assurance sur la Mort que dans Le Foison, il tend à
négliger les acteurs, tant i f semble pris p a r un scénario grâce auquel
il éblouit le spectateur aussi fort que les m anchettes.des gros jou rn au x .
Çà [ c’est du cinéma, dira m a logeuse. Faut-il croire/qu’elle en sait plus
long que les: théoriciens ? Ce sont ces gcns-là qui em plissent les salles.
Et puis, E m m a Bovary n ’était pas si vilaine.

J ean M yrsink

(1) Faisons rem arquer aux am ateurs de théories littéraires qu’il est im pos­
sible d’écrire un rom an d-amour à plus de deux personnages, de sexe opposé, et
sans dialogues, sans y m êler le n a rra te u r à la prem ière personne. Essayez plutôt t

34
BIOGRAPHIE ABRÉGÉE DE BILL Y WILDER 1

Billy W ilder est né le 22 Juin 19U(3 à Vienne (Autriche). - v .


Il débuta dans le journalisme comme critique 'ciném atographique au journal
viennois D ie S tu n d e, puis devint reporter à Berlin au N achtausgahe.
Il ren co n tra Robert Sibdmak et écrivit pour lui Meuschen Ain Sonhtag '( L e s .
iHommes le Dimanche). Ensuite, il collabora au scénario d ’Em ile und die
D etektive (Emile et les détectives) de Gerhard Lamprccht, '
II; vint à P a ris en 1933, écrivit le sujet, original (VAdorable. En .1934, il.
réalisa Mauvaise Graine, un des p rem ie rs films de Danielle D a rrie u x .,
Il se ren d it ensuite aux Etats-Unis. Son prem ier scénario am éricain fut
Music in the A ir (1935), puis Champagne Walz (1936) en collaboration avec
II.A. Kraft. ;;
En 1937, il rentré à la Param ount. Début d’une fructueuse période de colla­
boration avec Charles Brackett : Bluebeard’s Eight W ife (La huitièm e fe m m e 'd e
Barbe-Bleue) d’E rnst Lubitscli, Midiiight, 1938, Wîud A Life, Bhijtm ou The "River,
N inoichka d’E rn st Lubitsch, 1939, Arise My Love, 1940, Bail of Fire, Hold Back
The Dawn, 1941.
Toujours scénariste avec Charles Brackett, en 1942 il réalisa The Major and
the Minor (Uniforme et jupons courts, Ginger Rogersy Ray Milland., Joan F on­
taine), en 1948, Five Graves To Cdiro (Les cinq secrets du désert, E ric Von
Strolieim, Anne Baxter, Peter Lorre, Francliot Tone).
En 1944, scénario avec Raym ond'Cliandler„:et réalisation de Double Indem-
niiij (Assurance sur la mort, Barbara Stanwyçk, E dw ard _G. Robinson, F red
Mac Murray). ; : . . ' ,
En 1945, scénario avec Charles Brackett d ’après un rom an de Charles Jackson
e l réalisation de The Lost W eek-End (Le Poison, Ray Milland, Jane Wyman).
The Lost W eek-End reçoit trois O scars’ : scénario, ' réalisation, interprétation
(Ray Milland).
En 1947, scénario avec. Charles Brackett et réalisation de The E m peror Walz
■(La' valse de l’Em pereur,. Bing Crosby, Joan Fontaine), puis scénario avec
R ichard Breen et réalisation de . A Forcing Affair (La scandaleuse de Berlin,
Marlène D iétrich, Joan Arthur, John Lund).
En 1949, scénario avec D.M. M arshm an1 et Charles Brackett et réalisation
' de S nnset Boulevard (Boulevard du Crépuscule, Gloria Swanson, W illiam Holden,
E ric Von Strolieim). x
En 1950, scé n a rio ’ avec Lesser Samuels et Walter Newmann, p roduction et
réalisation de The Big Carnival, ex-Acc In the Hole (Le gouffre aux Chimères,
K irk Douglas, Jan Sterling). The Big. Carnivul a reçu le Grand P rix International
à la Biennale de Venise de 1951.
•Actuellement, scénario avec Charles Brackett d ’après une pièce de Donald
Bevan et litïmund Trcinski et réalisation de Stalag 17 (William Holden, Cliarlton
I lésion, Don Taylor).

35
Réflexions sur le Referendum (Suite et fin).

Voici les recettes d’exclusivité réali­ 13. Sans'■ laisser d ’adresse (4) :
sées à P aris durant l’année 1951 p a r 24.805.404 fr.
quelques-uns des films cités à notre 14. Sous le ciel de Paris (3) :
referendum publié dans notre dernier 23.361.243 fr.
numéro. Il est utile de souligner que lés 15. Le voleur ,de Venise (1) :
recettes de Paris form ent généralement 22.356.325 fr.
2/3 des recettes globales sur l’ensemble 16. Rio Grande (2) 21.476.764 fr. ..
de la France. 17. Midi, gare centrale - (2) :
Le chiffre placé entre parenthèses 18.641.561 fr.
après le titre du film indique le nombre 18. L ’ombre d ’un hom m e (8) :
' d e points obtenus à notre référendum, 17.164.460. fr.
19. Le voyage en A m é r iq u e -{2) :
1. Samson el ■Üulilu ((5) : 88.857.961 fr. 15.i39.232 fr.
2. Les mines du R o i S a l o m o n ■■ (14) f20. Deux sous de violettes (5) :
60.791.312 fr. . ' 14.068.326 fr.
' 3. Barbe-Bleue (5) : 48.838.246 fr. 21. Seul dans Paris (2)' 13.801.046 fr.
4. Boulevard du Crépuscule (29) : 22. La nuit est m on Roi/aume (5) :
46.560.000 fr. 12.803.635 fr.
5. Le garçon sauvage (7) : 42.691.048 fr.
6. La poison (4) : 41.520.530 fr. Sur The- River, Miracolo a Miltino,
7. Le Journal d ’un Curé de Campagne Los Olvidudos non.s ne savons rien
(53) : 37.787.957 fr. encore de définitif, ces films continuent
8. Eve (35) : 37.000.000 fr. une seconde; exclusivité. Signalons que
9. Une Histoire d ’A m our (2) : les recettes dé Sam son et Dalila et des
-v 34.356.198 fr. Mines du Roi Salomon sont, celles uni­
10. L ’auberge Rouge (7) : 30.199.000 fr. quement de prem ière exclusivité.
11. E douard et Caroline (25) ' Au sujet de The R iver, nous ra p p e ­
29.800.819 fr.. lons que ce film a perm is aux salles
12. Les Contes d fHoffm ann (7) : d’exclusivité qui l’ont program m é de
28.646.303 fr. ' réaliser des recettes-records.
“ Les Temps Modernes” et le cinéma

Sans bénéficier du-foisonnem ent des parution de cette publication de curieu­


talents, sans atteindre à la diversité de ses et spasmodiques relations avec le
ton et à la plénitude harmonieuse: de cinéma. E n prin cip e ils .veulent lui
La. Nouvelle Revue Française à sa donner une place dans. la revue et le
grande époque, Les Tem ps Modernes problèm e a été soulevé plusieurs fois
sont actuellement, .avec Esprit, la meil­ dans leurs conseils de rédaction où il
leure revue littéraire française. Dans uu a été reconnu que la ru b riq u e cinéma
paysage intellectuel que bornent à dem eurait insuffisante. E n pratique _
gauche La Nouvelle Critique (très quelque chose les relien t de résoudre
engagée et peu critique mais dont il'n e le problème de façon définitivement
faut pas sons e s tim e r, la portée indi­ sérieuse. Tout se passe comme s’ils ne
catrice d’une « lig n e » et où on peut pouvaient se décider à inclure le
lire de temps en temps les études du cinéma dans les « problèmes, passions
meilleur penseur marxiste français et rêves de notre époque » cités plus
H. Lefebvre) et à droite La Table Ronde h a u t Merleau-Ponty p o u rta n t a publié
(débordée il est vrai sur cette droite dans le n° 26 de Novembre 47 une
p a r la désuète R evue de Paris où les étude sur « L e ciném a et la nouvelle
m aurassiens E crits de Paris), la revue psychologie» que l ’on p e u t relire avec
personnaliste et la revue existentialiste le plus vif intérêt et qui annonçait
se partagent le public litté ra ire 1le plus presque une « collaboration » : « le
vivant, qui n ’oublie pas non plus Le cinéaste et le philosophe, disait-il, ont
Mercure de France, intelligemment en commun une certaine m anière de
renouvelé. Les rap p o rts qu’entretien­ p rendre position en face du m onde qui
nent ces publications avec le cinéma est celle de notre génération. > Albert
sont le plus souvent sommaires : une LafTay a écrit aussi quelques bonnes
revue cursive et plus ou moins régulière études mais trop dictatiques et se réfé­
de quelques films en lin de numéro. rant à une conception critique du film
Il y a bien sûr des exceptions et parm i assez périm ée (cela était également
elles Esprit est la plus m arquante ; flagrant dans « Les grands thèmes de
bien avant la. g uerre le ciném a y tenait l’écran », publié dans La. Revue du
une place im portante et Roger Cinéma n a 12, où il distinguait les
Leenliardt y rédigeait d ’une plume thèmes « p ro p rem en t » ciném atogra­
stibtile quelques-uns des meilleurs a rti­ phiques de ceux qui ne le sont pas, ce
cles que l’on', ait écrit sur le cinéma. qui est p re n d re le contre-pied exact
C’est à ces lectures que beaucoup, dont <Ve la théorie « le ciiiéma-moycn-
André Bazin, p rire n t le goût de l’écran. d’expression-comme-un-autre », clef de
A ujourd’hui le ciném a est toujours à l’école critique actuelle,- et sous-enten­
Esprit un objet de considération : a rti­ dre que le ciném a a des limitations de
cles de fond, critiques et paragraphes pouvoir p a r r a p p o rt à la littérature
réguliers dans « Le journal à plusieurs à propos de laquelle personne ne son­
voix » lui font la p a rt belle. C’est en gerait à dire qu’il y a des thèmes qui
référence à cette attitude et j)olu‘. en ne sont pas littéraires). La parole fut
venir à l’objet de cette note que nous aussi donnée à Jean Epstein (« Le
nous étonnons de la façon dont est Monde fluide au c in é m a » ), à Astruc,
traité le septième art dans Les Temps à Bazin, à Sclierer enfin dont le p e rti­
Modernes. n ent « nous n ’aimons plus 3e cinéma »
Jean-Paul S artre et Maurice Merleau- devait être tellement à l ’opposé de ce
Ponty, anim ateurs d’une revue qui qu’on pense dans la maison que l’étude
affirme elle-même « vouloir donner suivante qu’il écrivit p o u r Les Tem ps
l’exemple d’une littérature actuelle, p ro ­ Modernes (« V anité que la p e in tu re » )
fondém ent engagée dans notre époque, dût p a raître autre part.
soucieuse d’e xprim er cette époque Après cette énum ération d ’articles —
toute entière avec scs problèmes, ses tous intéressants — on ne p eut pas dire
passions, ses rêves... », ont depuis la que Les Tem ps Modernes aient négligé

37
le cinéma mais plutôt qu’ils ne sont pas liîiiit : Michelle Vian, comme Merleau-
arrivés à s’entendre avec lui, mésen­ Ponty, comme Latfay, s’intéresse' plus
tente qui se retrouve sur le plan de la aux « en marge du ciném a q u ’au
production entre Sartre et les films cinéma lui-même dont il ne semble pas
tirés de son oeuvre, La question est prouvé pour ces auteurs qu’il soit
8Etna doute très exactement là : Sartre digne d’en p a rler autrem ent, que sur
ini-iiiènie n’y « croit » pas tout à fait. le ton du badinage ou celui hautem ent
Là boutade, qüi lui est attribuée, lors détaché et pseudo-scientifique de la
de. la décision de confier la réalisation conférence en Sorhonne. On a beaucoup
des Mains Sales à Rivers : «A u moins écrit sur le cinéma mais il m anque
ça ne sera pas du cinéma » caractérise encore une «Défense et illustration >
bien ce conflit qui est d ’autant çlus ' qui convaincrait l’état-niajor des T.M.
c u rie u x - qu’il existe, en dehors inemé Leenhardt devrait,: s’en charger, ' qui
de la volonté de ses auteurs, nombre dém ontrait un jour à M. F lam and ’
de ■; collusions internes entre ! l’a rt du qu’aujoiird’hui une revue « d’o rd re
film et la pensée existentialiste. général » devrait être axée sur le
(Pagliero est celui qui trahit le mieux cinéma (comme la NRF l’était sur la
ces collusions : on trouve sous-jacents littérature) et p a r ta n t de là s ’étendre
dans scs films des thèmes courants aux autres arts..
chea Sartre et ses amis). On continue Après l’article de Michelle Vian,
donc. ■—• s’y est-on résigné ? aux comme auparavant après celui de
Temps Modernes à traiter ; le cinéma Merleau-Ponty, on était tout de; même
un peu par-dessous la jambe. J. H. Roy, en droit d’attendre u n dialogue plus
Jean Pouillon, B. Dort, H. Robillot, intime, plus satisfaisant entre les T.M.
Louis Ménard se voient attrib u er de et le cinéma. C’est le contraire qui se
temps en temps la corvée de service. produit dans le num éro suivant et
Relégués dans les pages finales, ils le Jean Cau — p ro c h e collaborateur du.,
font sans grande conviction. Le moins, « p atron » dont il n’est guère plausible
qu’on puisse dire c’est qu’ils ne m ani­ qu’il enfreigne les directives — signe
festent pas d’un enthousiasme débor­ J.C. deux articulets. dont le ton et la
dant à se pen cher sur les problèmes pensée sont indignes de la revue et
du cinéma. Ce ne sont d ’ailleurs pas de ses lecteurs. Jea n Cau donne dans
, eux qui sont en cause, ici mais plutôt le même numéro d ’excellentes « Notes
la politique générale de la revue en sur un voyage en Grèce » où l ’hum our
cette matière. Jean Gau vient de ii’exclut pas le souci d’objectivité p r é ­
prendre le relai et nous a llo n s 'v o ir cise Voire de respect à l’égard de la
plus loin de cruelle stupéfiante façon. Grèce éternelle. Dans le m êm e'n u m é ro
Avant d ’en arriv e r là il faut redire un donc, un même auteur fait preuve; de
mot de «T oto ou du m alheur d’être talent à propos de ceci et de niaiserie
objet » . de Michelle Léglise-Vian, b ril­ à propos de c e la ,, qui bien sûr est Je
lant pam phlet à propos de Miracle à cinéma auquel une fois de plus les T.M.
Milan p a ru dans le n° .75 desiT.M. E n refusent le bénéfice d’être traité sur un
réalité il ne s’agit pas d ’un article sur pied d’égalité avec les autres m atières.
le filni.de' De Sica mais de variations sur Pourquoi cette note sur Le Quai des
les gens qui ont parlé du film. A cet ; Brumes si elle n ’est que' l ’occasion de
égard, l’article est un des plus lucides, faire quelques « m ots » ? Ce film en
des plus éblouissants publiés depuis très., effet « classique ■ % a peut-être vieilli
longtemps, com parable seulement à mais il a joué un rôle trop im p ortant
' Bucéphale bicéphale de Nino F ra n k dans l’établissement à l’écran d’une
(Revue du Cinéma n° 8). . Mais après sorte de réalisme poétique (d’ailleurs
avoir plus ou moins ridiculisé discutable) p o u r qu’on puisse le liqui­
MM. Cllalais, . Magnan, Boussinot, Mau­ der en quelques plaisanteries sur le
riac, Braspart, Bazin... etc., Michelle slierif Gabin. et le traître Brasseur
Vian ne conclut pas g rân d’chose sur déguisé en indien apachè (sic)1. P o u r '
le film. Elle à tellement brouillé les quoi, Seigneur ! P ou rquoi aller tire r de
cartes, joué avec toutes les opinions son glorieux jiassé Le Quai des Brum es
que l’on est presque su rp ris de son pour en dire du niai,.. sans même évov
avis personnel : « poésie profonde.:, quer le problème ?— celui-là très inté^
film surprenant... à demi raté, plus ressant — des « reprises ». Comme T a
émouvant qu’une réussite... optimisme dit Sclierer en p en sa n t précisém ent aux
désolé... (le) film n’est qu’un mot (ami­ ■ Temps Modernes i • « Si l’on, p arco u rt
tié), pas même une p h ra s e » . Et l’on la rubrique de ciném a des revues litté­
retombe d a n si l’impasse évoquée plus raires de ces dernières années, toutes

38
soucieuses de m arquer l’intérêt fort vif 10 ■ km.i en Italie, c’est le plus court
qu'un esprit cultivé sc d o i t , aujour­ ch cmin pour regagner San-Fran cisco
d’hui, d’accorder au cinéma, on les et Neiv York » et retrouver t a douce,
rem arquera plus empressées à rendre si enveloppante béatitude de /’American
des films « dont on parle » un compte way of lile... etc. » (G). ■ . ■
justement sévère que de déceler, .les
œuvres ou leur adm iration p o u r cet art
.aurait tout le loisir de s’exercer. »
{Cahiers, du Cinéma n° 8. Sclierer est
encore trop indulgent car vous allez
voir ce qu’il est dit p a r Jean Cau d'une
de ces œ uvras sur lesquelles l’adm ira­
tion .pourrait justement s’exercer.
Comme il faut juger sur pièces et
comme nous l’avons fait dans notre
dernier numéro po ur l ’opinion de
■ Klcber Iiacdens sur Le Fleuve voici
d’abord de. larges extraits ; de cet' arti­
c le :
« Il est entendu que les Américains
réalisent des film s de guerre pour
prouver an m onde : i u leur amour de
paix ;. 2 ° leur volonté de. se battre et
de triom pher lorsqu’u n e 'ju s te cause
les sollicite (1). Commando de la mort,
éfomianf navet {2), est remarquable ‘à
cet égard. Une vingtaine de soldats Notes
américains vont débarquer sur une
petite plage italienne. Le « C o m ­
m a n d o » , à lui seul, est évidem m ent un
condensé des différents caractères de
VAmérique. Je dis bien caractères (3) (1) Jean Cau fait allusion ici aux war-
et non pas individus, races ou membres training /de 42-44 ou aux récents films
de clauses sociales. Il y a là : VIntellcc- américains de prop agande inspirés de
tnel-poète (pour les Américains nn intel­ la campagne contre le Japon ou, main-
lectuel.est toujours plus ou moins poète) tenant, de la guerre des Corée. Ce genre
'le ■■'Nerveux, le Calme, le Gouilleur, le de film est en effet in supportable et
Chef, etc... Ils sont tons possédés d ’une aucun d ’entre nous ici ne songerait à
merveilleuse frousse qui se traduit chez les défendre, mais A W alk in the Sun
lln lellectu el par un redoublement de (stupidement: tra d u it p a r -Commando de
poésie, chez le N erveux par un redou­ la mort) n’a absolument rien à voir
blement de nervosité, etc. (4). avec ce genre. Jean. Cau croit sans doute
Frousse ou - pas frousse, ils débar­ qu’il s’agit d’un film récent, or comme
quent et prenn en t p ied sur le sable nous l’avons déjà indiqué ici (n° 9) le
italien... Il s’agit m aintenant de prendre film est une production indépendante
la Ferme. Du coup, le chef du com- datant de 1945 qui a été plus ou moins
m ando a un nervous break down, autre­ boycottée et a attendu sept ans p o u r
m ent dit une terrible attaque de frousse. sortir en F rance avec un titre idiot,
Il en pleure et en m ord les aiguilles vingt-trois m inutes de coupures et une
de pin. Rassemblés discrètement autour publicité Pendant à faire erpire qu’il
de lui, l Am érique (c’est-à-dire te Poète, était du genre que justem ent Jean Cau
le Calme, etc.) ne juge, ni ne condamne, croit pouvoir lui attribuer. T ourné à la
n i ne rigole, mais com prend. A^orSj un belle époque de l'am itié américano-
hom m e surgit du rang et s’improvise russe, le film est un peu « pacifiste »
«chef% . Ça n ’est pas qu’il soit insen- comme A /’oues/ rien de nouveau (le
sible_ à la frousse, ce nouveau respon­ film) du môme Milestone et en tout cas
sable, mais il se domine, serre les contre la guerre qui y est ouvertement
mâchoires, parle peu et tire sur sa ciga­ considérée comme un phénom ène ab­
rette. Bref : la ferm e est prise -(a).. surde. L’une des qualités du film est
Moralité : Les Américains ont la d’être justement le seul film am éricain
frousse, respectent la frousse du copain, de guerre anti-héroïque, ce qui explique
s’arrangent tout de m êm e pour gagner qu’il soit mal vu aux ■■U.S. A. Le contre
les guerres. Parce que «, progresser de sens de Jean Cau est donc total.

39
(2). Les 'p lu s mauvais critiques de est courant dans les quotidiens mais
ciném a n’ont pas osé esquinter ce film indigne d’une revue comme Les Tem ps
exceptionnel. On peut ne pas l'aimer,, Mode ruse. ..
mais déclarer que c'est un « navet » (G) Personne n’est l’apôtre aux
passe. l’entendement, Le simple parti- Cahiers du Cinéma de Yam erican way
pris de la structure du film (l’action of life. La p lu p art des « credos » amé­
e s t'c o n té e toute entière sous le seul ricains n’y sont guère l’objet de sym ­
angle de vision du scddat à qui l’en­ pathie ce qui ne nous empêche pas
semble de la bataille échappe) devrait d’accorder au cinéma am éricain sa juste
retenir l’intérêt. place, qui est im portante. A W alk in the
(3) Que Milestone ait choisi l’aspect Sa n ' est le type même du film am éri­
« caractère. » (qui est celui de l'excel­ cain anti-conformiste et à contre-cou-
lente nouvelle d’H arry Brown) fait p a r ­ ra n t qu’il faut signaler et p roposer à
tie du libre choix de l'artiste. Jean Cau l’adm iration. Jean Cau pense à juste
veut-il condam ner l’écran à^notis ne titre beaucoup de m al du film am éri­
savons tro p.quel « réalisme » m odeste ? cain de propagande guerrière ; il aurait
Le néo-réalisme italien décrit aussi des pu le dire à propos de vingt autres
caractères (cf. Païsa). films ; choisir A Walk in the Sun pour
ce faire en ignorant tout de son his­
(4) A W a lk in the Sun est en effet toire et de ses intentions témoigne d ’une
assez « littéraire » et là n’est pas sa navrante légèreté à l’égard d ’un art qui
m oindre qualité. Un livre sur la guerre vaut les autres et est, comme eux, bon
peut dépasser les faits et aboutir à une ou mauvais suivant les auteurs et non
certaine stylisation, pourquoi pas un p a r nature. Aucun critique de ciném a
film ? La présence dans cette p ro d u c ­ sérieux s’il se mêlait de littérature n’ose­
tion d’une sorte de chœ ur « off » et ra it p a r exemple choisir Steinbeck ou
d’un monologue in térieu r est peu coût Faulkner p our dauber sur la mauvaise
rante et originale. littérature de « com portem ent ». De
(5) On p eut raconter n’im porte quelle cette dérisoire façon on peut faire rire
histoire de cette façon et la re n d re n’im porte qui en lisant sur un certain
ridicule. Il y a de l’escroquerie à défor­ ton n ’im porte quel passage de Sthen-
mer ainsi un réc it à la fois sanglant et dhal ou de Joyce. Dans ses re m a r­
à-guerrier que son auteur résume quables « Situations », Sartre faisait
ainsi : « T out cela n’a été qu’une preuve d’une méthode plus rigoureuse.
petite prom enade au soleil, dérisoire- Mais nous allions oublier que le cinéma
ment facile ». Le procédé de Jean Gau ce n’est pas sérieux...
NOUVELLES DU CINEMA
FRANCE

8 H enri Dcçoin réaliserait en cou­


leurs Le coffre et le revenant d’après
Stendhal, avec Alida Yalli.
9 Les producteurs français font
preuve d’imagination : R ichard Pottier
va to u rn er la troisième version de Vio­
lettes Impériales, avec Luis Mariano.
9 Huis-Clos serait porté à l’écran p a r
Jacqueline Audry, avec Arletty, Jean
Marais et Gaby Sylvia.
© Dans Adorables Créatures, la nou­
velle oeuvre de Christian-Jaque, Edwige
Feuillèrc prend la place de Marlène Roger Lieenliardt assisté d’Yvonne Gorbor, a
D iétrich qui n’a pu s’entendre avec les tçmmé « sur documenta » 1111 passionnant Victor
Su ffo . Presque entièrement raconté p ar lui-même
producteurs. . II1 poète y revit sa LurnuJtueu.se existence. Le
• Geza Radvanyi, définitivement fixé mérite, parmi d'autres, de Lcenhardt est d'avoir
« joué le jeu » franchement sans tenter de paro­
en France, a trois projets de films en die ni travestir le visage de Véwivaiiv et d®
préparation. Le p rem ier serait une co­ l’honmie public. Sur noire document : Bonnat
production franco-germano-italienne in ­ en train d ’exécuter le portrait d ’Hugo.
titulée Les passagers de l’in fin i, il s’agit
de l’exposition et du dénouem ent du 0 P ierre Renoir ne tournait presque
destin de quarante personnes p endant plus. Sa morf. prive p o u rtan t le cinéma
français d’un de ses interprètes les
un voyage en avion. Le deuxième, Vivre plus * singuliers. Que Jean et Claude
sans peur, se com poserait de c inq sket- R enoir trouvent ici l’expression de
ches sur la jeunesse d’Europe tournés notre respectueuse sympathie.
p a r cinq réalisateurs différents : un • Pierre Kast tourne un court
Hongrois, un Allemand, un Tchèque, métrage sur le Larousse illustré dont
un Italien et un Français. Le dernier il a établi le « scénario » avec François
film exposerait la physionomie de l’E u­ Chalais. Les éléments les plus divers
rope d ’après-guerre. de notre civilisation y seront passés
G 25 pays ont déjà envoyé leur adhé­ en revue sur un même plan objectif
sion officielle au Festival de Cannes qui p a r l’interm édiaire des planches illus­
se déroulera du 23 avril au 10 mai. trées du célèbre dictionnaire.

A gauc.he, une scène de travail du Rideau Cramoisi. On reconnaît Alexandre Astruc on train de donner
des conseils à son interprète Anouk Aimée. A droite, Daniello Delonne et Olivier Hussenot dan-j
La jeune jolie que tourne Yves AJlégret.

41
Voici la première photographie arrivée en France de Vivo, Zapata la dernières
oeuvre d’Elia Kazan, Avec Détective S tory (William Wylcr) et l u Amêrican in
Paris (Vincente Minelli), Viva Zapata représentera le cinéma américain an
Festival de Cannes qui anrft lie u . à la fin de ce mois.

ETATS-UNIS
• John Brahm tourne The Miracle of Stendhal et une vie de Van Gogh.
L ady of Fatima avec Virginia Gibson, Marlon Brando et Micheline Presle
Gilbert Roland, Sherry Jackson, seraient les vedettes de ces deux films.
• Le dernier rom an d’Hemingway, • John Huston, actuellem ent en
Across the Hiver and into the tree ne F rance p o u r p ré p a re r un Toulouse-
serait plus porté à r é c r a n p a r Dmy- Lautrec avec José Ferrer, au ra it un
try k comme nous l’avions annoncé, nouveau projet : il s’intéresse à une
mais p a r King Vidor. nouvelle d'A lfred Mayes, « The Wit-
• Après Le complexe de P hüêm on, ness » et songe à Ingrid Bergman et
line antre pièce française sera tournée Marlon B rando pour en in c a rn e r les
héros.
à Hollywood. Il s’agit de La Cuisine des • Lewis Milestone vient de te rm in e r
Anges d ’Albert Husson, la révélation les prises de vues de la nouvelle v er­
comique de la saison parisienne. Ni le sion du rom an de Victor Hugo, Les
réalisateur, ni les interprètes ne sont Misérables. Aux côtés de Michael Ren-
encore désignés. nie, Louis .Tourdan, D ebra Paget, R obert
• Rappelons que les Oscars 1952 ont Newton, Sylvia Sidney fait sa ren trée
été décernés comme suit. Meilleur film : à l’écran dans le personnage de F antine.
An American in Paris (Vincente Mi­ • H enry H athaw ay v ien d ra it en
nelli). Meilleurs interprètes : Vivien F rance to u rn er Sept petites croix dans
Leigh (A Streelcar N am ed Désir) et un carnet d’après Georges Sim enon,
H um phrey Bogart (The African Queen). avec R ic h a rd W idm ark.
Meilleure mise en scène : George Ste- • Le scénariste-réalisateur Gregory
vens (A Place in the Sim). Meilleur film La Cava (Mg Man Godfrey, Stage Door,
étranger : Rashom on (Akira Kurosawa). That E very W om an Knows) est décédé
• Une fois term iné Androclès et le à Hollywood à l’âge de 60 ans.
lion d’après B ernard Shaw, avec Jean • Byron Haskin commence La Guer­
Simmons et Victor Mature, Gabriel P as­ re des Mondes d ’après le ro m an de
cal réaliserait u n film sur Gandhi. H.-G. Wells, avec Gene B arry, A nn
• Le pro d u cte u r Paul Graetz vou­ Robinson et P ie rre Cressoy p o u r ve­
d ra it tourner Le Rouge et le N oir de dettes.

42
Une intéressante scène de travail de La Métamorphose tournée d’après K afka p a r
un groupe d'étudiants de l'université de MiclÛE&ïU

• On annonce d'Hollywood la p ré ­ est professeur de littérature à l’Univer-


paration de The Mack Sennett Story. sité de Michigan. La nouvelle fut adap­
L’interprétation com prendra d’une p art tée et dialoguée p a r W illiam Wegand'
des inconnus, d’autre p a rt des vétérans et R ichard Kraus, Les images sont
du ciném a, contem porains de Mack de Paul W. Meagher et la musique
Sennett : Chester Conklinj Iîank Mann d’Edouard ChudacofT,
et James Finlayson.
• Voici les films en tête des recettes ITALIE
p our les deux prem iers mois de l’an­ • .Lucliino Visconti vient de passer
née : 1. Quo Vadis (Mervyn Le Roy), quelques jours à P a ris pen d an t lesquels
2. The Greatest S h o w On Earth (Ceci! il a commencé à travailler à son p ro ­
B. De Mille), 3. Sailor Beware (Hal chain film, Marche Nuptiale. Gérard
W alker), 4. B end of the R iver (Anthony Philipe serait le p re m ie r interprète
Mann), 5. Lone Star (Vincent Sherman). engagé. Il aurait p o u r partenaires
• Mary Pickford reparaî Lrait à Valentine Tessier et Madeleine Robin-
l’écran dans une p roduction de Stanley son. '
Kramer, The Library. • Une fois achevé le film avec Toto
• C’est Donald O’Conor qui sera le dont nous avons déjà annoncé Pétude,
pa rte n a ire de Betty Iîutton, dans Look Rossellini réaliserait Duo de Colette,
ma, I ’m Dancin, le p rochain film de avec Ingrid Bergman p o u r vedette.
Preston Sturges. $ U Anglo-Saxon B ernard Vorhaus.
• Chaplin term ine Limelight. tourne Fillettes de luxe avec Gina Lollo-
• Un groupe d’étudiants de l’Uni- brigida, Anna-Maria F erre ro et Jacques
versité de Michigan vient de réaliser Sernas.
La Métamorphose d’après la nouvelle • Alessandro Blassetti a term iné
de F ra n k Kafka- Cette intéressante ten­ Autrefois (ex-Zibaldone Ar<> 1). On sait
tative constitue la prem ière adaptation que le film se compose de huit épisodes
ciném atographique aux Etats-Unis de qui se déroulent à la fin du siècle der­
Kafka qui n ’avait encore tenté ni les nier et qui sont reliés entre eux p a r
amateurs ni les professionnels. Le film Aldo Fabrizi.
est en 16 mm. sonore et se présente sous • On parle à Rome de Sex-Appeal,
l ’aspect d’un long métrage de 70 mi­ un film qui serait mis en scène p a r
nutes. II a coûté 5.000 dollars. Le pro- Michelangelo Antonioni avec Jean Ma­
ducteur-réalisateur William J. Hamplon rais.

43
Après Rashomon à Venise, Le Rornan de Genji sera-t-il la révélation du festival de
Cannes T

• Claude Autant-Lara reprendra-t-il • Mario Soldati qui s’intéresse de


son projet de tourner Stazione Term ini, moins en moins an ciném a va tout de
avec Marlon Brando et Jennifer Jones ? même mettre en scène deux films de
On le dit. cape et d’épée : Les trois corsaires et
• En avril, Giuseppe de Santis se La fille du Corsaire Noir.
re n d ra en Calabre to u rn er Notre pain
quotidien, avec Massimo Girotti, Paolo ANGLETERRE
Stoppa, Caria del Poggio, Lea Pado- - 6 The S ound Barrier (David Lean),
vani, Gina Lollobrigida et Folco LuIIi. Encore (d’après Somerset Maugham),
Après ce film, il réaliserait Adieu Cry the Belove C ountry (Zoltan K orda),
Europe. The Card (Ronald Neame et John
• L’Italie va nous envoyer p ro ­ Bryan), / Betieve in You (Basil Dear-
chainem ent un nouveau Carùso, dont den) form eraient la sélection b rita n ­
l’authenticité, paraît-il, est absolument nique p ou r le Festival de Cannes.
évidente. ® Le film su r Louis II de Bavière,
• D’une lettre que Jean R enoir .nous clont nous avons déjà parlé dans un
envoie de Rome nous extrayons le p as­ p récéd en t num éro, serait réalisé p a r
sage suivant concernant le tournage du Brian Desmond H urst sous le titre The
Carosse d ’or : « ...Le travail m arche Last Borhantic.
bien. Les prem iers résultats sont très
beaux au po int de vue couleur. J ’ai eu SUÈDE
la chance d ’avoir des assistants (Giuîio • La Suède ne sera rep résentée au
Macchi et Marc Maurette) qui ont réuni Festival de Cannes que p a r un seul
itne troupe extraordinaire de comédiens film, H on Dansade en Sommar.
dell’Arte. Ces comédiens viennent du
cirque, du Café-Concert, de l’Opera. Un ALLEMAGNE
jeune homme qui s’est spécialisé dans
l’étude de cette ancienne forme du théâ­ • Le Festival de Berlin a ura lieu du
tre, M. Pandolfi, les a entraînés et grâce 12 au 25 juin.
à bien des efforts réunis cette partie • Après Orson Welles, "Veit H arlan
du film présentera p robab lem ent un a u ra it envie de to u rn er son Othello
certain intérêt. P o u r le reste je ne sais en Espagne et au Maroc (à Mogador).
pas. Ce sera tellement différent de cette W crner Krauss en sera it l ’interprète
prem ière partie... » principal.

44
ARGENTINE C H IL I. CUBA
• Justice est faite, sorti à Buenos- © Rendez-vous de Juillet a également
Aires en janvier 1952, a été extrêm e­ été bien accueilli à Santiago du Chili,
m ent bien accueilli p a r la critique. Le cep en d a n t que l’Association des Cri­
public lui a fait également bon accueil, tiques de Théâtre et de Cinéma de La
mais non aussi chaleureux que p ré cé ­ Havane (ARTYC) déclare La Ronde le
demment à Manon et au Diable au meilleur filin présenté à Cuba en 1951.
corps, qui ont été les best-sellers du Viennent ensuite : R iz Amer, Le Diable
ciném a français en Amérique latine... boiteux de Sacha Guitry, Cyrano de
quand les censures nationales ou locales, Bergerac, Gioe Us this Day, La Maffia
très intolérantes dans ces pays tr a d i­ (présenté en F rance sous le titre Giu-
tionnellem ent catholiques, ne les ont lono, bandit sicilien), Uïi Américain à
pas interdits. Manon qui, avec Dédé Paris, Strangers on À Train, B o n i
d ’Anvers, a particulièrem ent attiré les Yesterday, et Les Maudits de René Clé­
foudres des censeurs., n’a jamais été ment.
autorisé p a r la censure m unicipale de
Buenos-Aires, mais l’était dans le reste VENEZUELA
du pays. Présenté d’abord à Mar del $ A Caracas,, La Ronde vient d’être
Plata, le Deauville argentin, les aficio­ autorisé p a r la censure, mais avec la
nados faisaient 400 km. p o u r ,l ’y aller m ention « P our hommes seulement »■.
voir, ce qui était quand même moins Cette seule mention, assure l’agent local
long que lorsque, pen d an t la guerre, ils du distributeur, prom et une. excellente
traversaient le rio de la Plata (une nuit recette.
de bateau) p our aller voir à Montevideo
Le Dictateur, in terdit en Argentine... BRÉSIL
Depuis, Manon s’cst ra p p ro ch é de la & Justice est faite, présenté en exclu­
capitale, et installé dans plusieurs sivité à Rio-de-Janeiro en juin 1951, a
salles de banlieue. été jugé « le meilleur film français
P arm i les films étrangers projetés en depuis Le Diable au Corps » (Correo
1951 à Buenos-Aires, le journal corpo­ da Manha). II vient en tête du classe­
ra tif P rojeccionks classe deuxième m ent des meilleurs films présentés à
Rendez-vous de juillet, après Demain il Rio en 1951, selon A Cena Muda (jan­
sera trop tard (on se souvient que le vier 1952). Quatre films français sont
film de Léonide Moguy avait obtenu le dans les Iiuits prem iers : Justice est
G rand P rix au Festival de P u n ta del faite, Dieu a besoin des Hommes, R en ­
Este en 1951). dez-vous de Juillet, La Ronde. •

La bataille de Guernica
L ’attribution du p rix du « film à Or, une fois arrivé, le film fût in te rd it :
sujet » du Festival de P unta del Este le Comité Exécutif du Festival, au
a Umberto D de Vittorio de Sica n’a m épris de la lettre et de l’esprit du
surpris personne, et il satisfait b e a u ­ règlem ent officiel, avait décidé d’en
coup de monde. En revanche, c ’est une su p p rim e r la projection. Im m édiate­
véritable bataille qui s’est déroulée ment, l ’Association des Critiques et un
autour de Guernica d’Alain Resnais, certain nombre de personnalités ciné­
dans la catégorie «film d’a r t » . Nous m atographiques e n tre p rire n t de faire
recevons d ’Uruguay à ce sujet les x^i’é- lever cette interdiction. Une prem ière
cisions suivantes : dém arche auprès des responsables de
Guernica était annoncé depuis long­ la Délégation française ne donna aucun
temps en Uruguay. La secrétaire de résultat. Une campagne de presse,
l’Association des Critiques de Cinéma menée p a r la bouillante Giselda, fit
d ’Uruguay, Giselda Zani, qui l’avait vu appel à l’opinion. Des membres des
projeter en Allemagne, était devenue délégations françaises et étrangères,
son plus enthousiaste supporter, et avait connaissant le film, adm irateurs de
obtenu, tant en F rance qu’en Uruguay, Resnais ou amateurs de la liberté
que le film de Resnais figure dans la d ’expression, entrèrent en lice. Deux
sélection française p o u r P u n ta del Este. jours avant la fin du Festival, alors que

45
des rum eurs selon lesquelles le Comité
aurait décidé d’em pêcher la projection
du film Gnernica d ’Alain Resnais, c o u rt
métrage d’a rt officiellement inclus dans
la sélection française de ce Festival.
Du fait de ces rum eurs, con sidérant
q u’elles constituent une atteinte à l’im ­
p artialité dont à fait preuve ju sq u’ici
le Comité E xécutif du IIe Festival de
P u n ta del Este, les soussignés d e m an­
dent à M. le Président de faire en sorte
que la projection de ce film ait bien
heu, et qu'on en annonce la date,
com ptant ainsi couper court à ces
rum eurs qui portent atteinte au bon
renom des institutions dém ocratiques
uruguayennes, et dont la confirm ation
p o rterait atteinte à la Délégation fr a n ­
çaise elle-même.
Les soussignés, forts d ’antécédents
qui garantissent la plus haute qualité
artistique du lilra, considèrent que la
Délégation française, en le co m p ren an t
dans sa sélection p o u r le Festival de
P unta del Este, a honoré l’Uruguay.
Alain Resnais pilote lui-même son avion. N’ayant rien à ajouter, les soussignés
saluent M. le Président de leu r consi­
nulle réponse n’était encore parvenue, dération la plus distinguée.
57 personnes de ces différentes catégo­ Ont signé :
ries rédigèrent une lettre au P résident H ank F ine (journaliste am éricain),
d u Festival, le p ria n t de couper court Daniel Gélin, Ernesto P aravis jr. Julio
aux « rum eurs » selon quoi Gnernica C. Ponce de Léon (journ. urug.), Dome-
n e serait pas projeté. Le dernier jour nico Méccoli (journ, ital.), Annette
du Festival, le jury convoqua une W adem ant, Pierpaolo P ineschi (journ.
réu n io n extraordinaire et décida de ne ital.), Jacques Becker, B ernardo Gier-
p a s décerner le p rix du film d 'a rt (le covsky (j. ur.) Luciana Vedovelli, Ann
ju ry de l’ACCU ne décernait que quatre Todd, P. Pedragosa Sierra, Jaim e F r a n ­
p rix , un p our le meilleur film et trois cisco Botet (jury de l ’ACCU), Maruja
p o u r les courts métrages : dessin animé, P ereda de Castillo, Beatriz P ereda de
docum entaire et film d’art) si Gnernica Salaberry, R.M. Arlaud, Michel Auclair,
n ’était pas m ontré au public. La séance Ramon Gonzalez Almeida, Esteban Sala­
de clôture était prévue pour 23 h. 15. berry, Mauricio Muller (j. ur.), T re v o r
A neuf heures du soir, on ap p ren ait H ow ard, Carlos Borche (jour, ur,),
que le film était finalement autorisé, M.S. Jacoby (j. arg.)> Luis Alemany,
A dix heures, on le projetait. A onze Maruja Echegoyen, Maria Julia Quadros,
heures, Gnernica rem portait le p r ix du Jorge A. Arteaga, E. Rodriguez Monegal,
m eilleur film d’a rt du IIe Festival Ciné­ Hugo R. Alfaro, H. Alsina Thevenet,
m atographique de P unta del Este. Augusto Bonardo (Radio ur.), H ector
Voici le texte de la lettre adressée Payssé Reyes., Giselda Zani, Lars E ric
à M. Alberto Dominguez Campora, Kjellgren (réal. suédois), P ed ro Beretche
P ré sid e n t du Comité E xécutif du Gutierres, Antonio Grompone, E d u ard o
IF Festival Cinématographique In te r­ Alvariza, Aldo Persano (j. arg.), Nicolas
national de P unta del Este. Mancera (j. arg.), Sergio Ciurich, Gual-
berto Fernandez, Amalia R. de Giacosa
Monsieur le Président, (j. cubaine), Alberto Ugalde (secrétaire
du Comité Exécutif du Festival), Vini~
Les soussignés, indépendam m ent de cius de Moraes (j. brés.), José Levgoy
le u r qualité de membres des Délé­ (act. brés.), P épita Payssé de Christie,
gations E trangères ou de toutes autres Hermenegildo Sabat (peintre ur.), Carlos
institutions étrangères ou nationales, de Léon Caprario, A ndré Ruszkow sky
déclarent que : (Sec. Gai. OCIC), Oscar Falchetti,
E n ta n t que personnes intéressées Dalmiro Robledo, Carlos Mezzera, J a c k
au développement de l’art ciném ato­ C. Chamberlain, Antonio L arreta, Wal-
graphique, ils ont entendu avec surprise dem ar J. Tachauer.

46
LIS FILMS

Bill3' Wilder, The B ig Carnival K irk Douglas et Richard Bcnediet.

LE ROMAN D ’UN TRICHEUR


T H E B IG CARNIVAL, ex-ACE IN T H E HO LE (LE G O U F F R E A U X CHI-
M ERES), film de B i l l y W i l d e r . Scénario, adaptation, dialogues ; Billy Wilder,
Lesser Samuels, W alter Newmann. Images : Charles Lang. Décors : E arl Hedrick.
Musique : Kugo Friedh-Oser. Interprétation. : K irk Douglas (Charles Tatum ), J a n
Sterling (Lorraine), Bob A rth u r (Herbie). Production : Billy W ilder-Param ount, 1950.
Ce lîlm va donner une certaine acuité devenu en français Le Gouffre aux
an problèm e de la critique actuelle, chimères) agacera les tenants d’un
partagée entre le souci exclusif de la écran détaché des souillures d’une
forme et du contenu; et je néglige à réalité moyenne et am oureux des beaux
dessein le problèm e plus général de poncifs du style, fût-il ciném atogra­
l'incom pétence p u re et simple qui va phique ; et m écontentera les épris du
du b rilla n t « à côté » à la pédanterie contenu qui ne trouveron t pas le récit
« im p re ssio n n iste » . T he Big Carnival du film assez explicite à leur goût.
(qui était encore à Venise Ace in the L’im portance de The Big Carnival ne
Hofe, véritable rom an d’u n tricheur devrait pas é c happer aux uns et aux
ay ant un as dans la m anche, et qui est autres. D ’ailleurs, il s’agit d’une

47
BilJy Wilder, Th e B iff C ar n iv a l : K irk Doublas et Ja n Sterling1.

variante du thème' de Citizen Kane. Tatum, un de ces disciples de l'in fo r­


L’homme, dans The Big Carnival, est mation â la une, en vient à tomber, de
petit par ra p p o rt à l’éïéphantiasig de chien écrasé à serpen t à sonnettes, su r
Kane ; mais tous deux sont enfantés un m alheur pittoresque : le p ro p rié ta ire
p a r la société américaine, à m oins qu’ils d ’un bazar-café aux lisières du désert,
n'en soient les auteurs. Les moyens en p ro fan an t d'anciennes sépultures,
de technique et de style déployés p ar indiennes dans la « Montagne aux sept
Orson Welles étaient parfaitem ent ad a p ­ vautours » (huit après l’arrivée d&
tés à son personnage ; la construction Tatum ) est resté em m uré p a r un
de Billy "Wilder autour de T atum est éboulis. E n te rré Vivant, Sept Vautours,
aussi cohérente, c'est-à-dire qu’elle ne se Tombeaux Indiens, E sprits Vengeurs,.
rem arque pas, elle adhère ail récit Veuve Eplorée, tous les titres sont là
comme une peau, où grain de beauté sous la main, fauteurs de sensations et
ou taches de rousseur ne sont pas la de gloire. L’argent en plus, b ie n
règle. Depuis Assurance sur la mort, entendu. Mais il faut surtou t que cela
The Lost W eek-End et même Sunset dure. La m achine est consciencieuse*
Boulevard, W ilder ne nous a jamais m ent montée, le battage organisé,
déçu. Les risques d'involution qui l’épouse bien dressée, le shériff acquis.
affleuraient dans Sunset B oulevard ont Une consolidation des galeries q u i
disparu tout à fait dans The B ig Car- m ènent à l’en terré vivant suffirait à
nival, où bravoure com plaisante et le sauver ; ce serait terne. On m onte
analyse européenne sont éliminées à une foreuse spectaculaire qui percera
l’avantage de la substance filmique. la m ontagne de h a u t en bas. La foule
The Big Carnival observe un m onde arrive, p a r tous les moyens, jusqu’au
obsédé p a r la sensation et le « sensa­ train ’ spécial ; et, avec la foule, u n
tionnel ». C’est un constat : après « luna p a r k » qui p erm e ttra de tro m ­
trente ans de « g ra n d e p r e s s e » , de p e r l’attente. Les dollars affluent a u
« c in é m a » , de « r a d i o » et de « té lé ­ « drug-store » et rem plissent d ’aise ie
vision », la foule am éricaine est atteinte cœ u r de la garce L orraine, dont l’effort
d’un sadisme frénétique qui ne se refuse p o u r jouer la veuve avant la lettre com ­
plus rien, même pas la vie des autres. mence à peser. Dans cette orgie d e
Billy Wilder, The Bi'j Carnival : Kirlc Douglas et Ja n Sterling.

bruit, de curiosité, d’excitation, de D, c ar la misère des retraités jetterait


jalousie, de business et de jobs, il n’y une ombre sur son prestige. J ’espère
a qu’une m ère qui pleure et u n homme ne jamais lire un article de Trum an
qui se meurt, c ’est-à-dire moins que désavouant Billy W ilder p ou r p ré ­
rien. La foreuse géante n ’est qu’à trois tendue atteinte à la dém ocratie amé­
m ètres de l’emmuré quant celui-ci ricaine.
m eurt pour de bon. Tatum a enfin h o r ­ The Big Carnival, qui était de très
re u r de son œuvre. C’est ici d’ailleurs loin le meilleur film am éricain de
que commence l'invraisem blable, qui va Venise, honore le cinéma de Hollywood.
jusqu’au m eurtre aux ciseaux du jou r­ C’est la preuve qu’il p eut sortir de
naliste trop épris de ses lecteurs. Le l’ornière (lire : conformisme et édul­
film est déjà fini dans la cohue et dans coration béate). C’est la preuve que le
la poussière des spectateurs qui r e n ­ langage ciném atographique est p a rti­
tre n t chez eux, furieux de ne pas avoir culièrement apte à la transfiguration
vu ou touché la m oindre goutte de de la réalité.
sang, l’âme toujours très chrétienne et W ilder a obtenu de ses interprètes
parfaitem ent en paix. l’esprit même des personnages qu’il
Il convient de saluer très bas un souhaitait. K irk Douglas a un jeune
pays capable d’avouer une telle plaie. cynism e assez naturel ; Jan Sterling
Le courage est la preuve d ’une bonne utilise sa laideur avec intelligence dans
santé. Aucun pays civilisé n ’oserait le rôle de la femme qui vendrait n’im­
présenter un tel témoignage contre lui- p orte quoi ; R ichard Benedict est un
même, sous prétexte de décorum, de entei’ré de bon aloi. Connaissant à peine
dignité nationale, de discrétion p a trio ­ le visage de ces acteurs, nous avons fini
tique. On ne d ira jamais assez combien p a r croire qu’ils n’en sont pas. On ne
u n de Sica, un Zavattini, u n Rossellini p o u rra it faire d’eux meilleur éloge.
prem ière m anière, un Visconti, sont
des isolés. L’Italie officielle vient de se
désolidariser, p a r exemple, d 'Umberto Lo D uca

49
ET CŒTERA..

AVEC ANDRE GIDE, film de Marc àllegret . Images ; P ie rre P etit et


Roger Fleytoux. Trucages : Arcady. Montage : F ra n cœ u r. Commentaire d it p a r
Jean Desailly. Textes d’André Gide lus p a r Gérard Philipe. Production :
P ie rre Braunberger, Panthéon, 1951.

Le journaliste gnangnan : -— De voir là-dedans - c’est le balancem ent entre


le grand écrivain ressusciter par l’écran, avant et après, le franchissem ent du
j’en avais les larmes aux yeux... m u r de la m ort : le film commence p a r
Le critique pérem ptoire : — Marc les obsèques, et les photos de l’album
Allégret nous donne un document qui dé famille, qui p a r leur fixité même se
en ric h it les archives de la pensée fra n ­ situent dans l’outre-tombe ; aussitôt
çaise, que dis-je, universelle. après, c ’est le vivant, et le vivant non
F rançois Mauriac : — Cette pieuse p ris p a r hasard, mais qui se prête avec
hagiographie, ce m onum ent sur pelli­ complaisance à l’opération : l’éclairage
cule est élevé à la mémoire de l’auteur change, on se retrouve dans I’avant-
d ’un Cortjdon, que l’on passe sous tomhe, et, p a r contre-coup, on a vague­
silence. m ent l’im pression que les obsèques
Un insolent : — La pellicule lui étaient truquées, que Gide gigotait en
pousse comme les ongles. Est-ce qu’on ric an an t dans son cercueil, qu’il avait
va nous ennuyer longtemps avec les voulu, à l’in star de P hilippe II, faire
jeux d’allumettes de ce vieux gâteux ? une répétition* P o u r term iner, l’infra-
Un jugement sur le film de Marc tombe, comme dit l’autre : Gide, vivant,
Allégret ne peut qu'établir une honnête prononce quelques paroles définitives,
moyenne entre ces quatre opinions. se plaçant déjà à la frontière entre vie
Voilà pour la partie strictem ent critique et mort, dans l ’attitude du cadavre
de ce compte-rendu. Maintenant am u­ illustre visuel. De ces changements
sons-nous. d’éclairage naît comme un malaise, et
Et d’abord une glose d’ordre gram ­ le vague sentim ent qu’à la base de l ’en­
matical. On a tort de méconnaître treprise se trouve l’immense cabotinage
l’im portance des prépositions. Ce film d’un homme, de qui, si nous en croyons
ne s’intitule pas André Gide tout court, Roger Martin du Gard, l’existence et
m ais Avec André Gide. Puisque nous l’œ uvre s’expliquent continuellem ent
sommes au pays de la nuance, p a r son goût de l ’opinion d ’autrui, la
nuançons. Le propos de Marc Allégret hantise d’intéresser autrui, l’incapacité
n ’est po int de donner, par son film, une d’être autrem ent que p a r ra p p o rt à
description complète et exhaustive de autrui. E n tre parenthèses, c’est le trait
la p ersonnalité de feu Gide ; ainsi que psychologique capital, qui révèle la
le m arque bien son titre, il nous p ré ­ nature foncièrem ent passive de l’in ­
sente un reportage concernant quel­ verti.
ques-uns de ses aspects, au moyen de Cabotin donc, ou vedette. A ndré Gide
docum ents anciens ou filmés récem ­ dans L ’art d ’être grand-père (cela vaut
ment, qu’il relie au moyen d’une tram e Berthomieu, avec, en plus, la c h a r­
discursive. Ne confondons pas autour m ante gentillesse naturelle des gosses).
et alentour, et ne reprochons pas au André Gide dans Voyage autour de ma
cinéaste d ’avoir laissé quoique ce soit chambre (le sketch le meilleur, paroles
dans l’ombre. et images, pro bablem ent p a rce que Gide
Le caractère de la bande est on ne n’y a p p a raît pas). A ndré Gide dans
p eut plus hétéroclite : d ’abord quan­ Un scherzo de C hopin (on p la in t la
tité de vues fixes, puis des bouts de jeune pianiste, sur des charbons
film d’avant 1930 (Gide avec Valéry, ardents, à qui Gide parle ta n t p o u r ne
au Luxembourg), d’autres d’après 1930 rie n dire). A ndré Gide dans Les débuts
(Gide avec Curtius ou chez Martin du de la N.R.F. (désopilant ! le p auvre petit
Gard), des extraits du Voyage an Congo, m onsieur Schlum berger, à qui Gide ne
le reportage p ro p re m en t dit chez Gide, laisse pas p lac er u n m ot et qui p o u rra it
ru e Vaneau, enfin des images des obsè­ jouer assez bien les Sinoël à l’écran),
ques à Cuverville. Le plus déroutant dans R etour de l'U.R.S.S. (avec P ie rre

50
Marc Allegrêt, Avec André Gide l'a rt d’être grand-pore...

H erbart, bien embêté), dans Une lecture plus ravi que Mare Allégret de le tour­
(chez Martin du Gard : le seul passage ner ; avec les jeux> charades et anec­
où Gide consente à être naturel et à dotes consignées hâtivem ent dans son
ne pas jouer les grands hommes, ■— le calepin suprême, quand il avait déjà
seul où il ait l’air véritablem ent supé­ un pied et demi dans la tombe, et p a ru
rieur,. peut-être p arce qu’il n’y a pas ces jours-ci sous le titre A insi soit-il,
de son...) ; enfin, A ndré Gide dans cela lui faisait deux précautions qui
E t cætera. valent m ieux qu’une p o u r con tinuer à
Voilà bien le titre qui eut convenu occuper le public, même après les d er­
le mieux à cette pom pe funèbre ciné­ nières pelletées de terre. Graphomane,
m atographique : A ndré Gide dans va !...
E t cætera. Car il s’agit effectivement Reste la fameuse pédérastie. François
de broutilles, qui ne nous appren nent Mauriac a to rt de croire que l’on a
rien m ais qui paraissent parfois saisis­ éludé la difficulté. A p a rt l ’image du
santes. Il est vain de repro cher son p etit Arabe qui charm ait les loisirs de
cabotinage à un homme qui avait réussi, Gide, lors de son p rem ier voyage en
petit à petit, à se débarrasser du poids Afrique du Nord, — quand les Ouled-
lourd et ennuyeux de ses fictions poé­ Naïles fa illirent lui faire tr a h ir la
tiques ou romanesques, ee fatras où il confrérie, -— Marc Allégret a p ris soin
devient de plus en plus ard u de péné­ de m o n tre r une poignée de morxcauds
tre r (les Am yntas, Le voyage d’Urien, plongeant tout nus dans un oued.
Caves, et jusqu’à ces maigres Nourri­ L’écran dit bien ce q u’il veut dire, et
tures, ouvrage de riche amateur, dont l’on peut se réfé re r à ce passage célè­
les invocations à Nathanaël prennent bre, où Gide, établissant une discrim i­
un ton des plus comiques, à la lumière nation entre pédérastes, sodomites et
des révélations p a r Gide lui-même invertis, s’in sc rit gravem ent dans la
consignées de ses travers et manies : prem ière catégorie, celle des am ateurs
cf. ses démêlés avec le fameux Victor de petits garçons. On d ira que l’allu­
au sujet des W.C., ou l’anecdote, racon­ sion du film n ’est claire que p our ceux
tée p a r Martin du Gard, du cinéma de qui savent, et qu’en fait, les autres
Nice où Gide voulait ôter l’un des deux spectateurs, les non prévenus...
caleçons de laine qu’il avait mis, p ar Justement, nous voici à l’objection
crainte du froid), — afin de se consa­ capitale. Il y a, de p a r le monde, quel­
c re r à l’œ uvre qui était sa vie et le ques centaines de m illiers de gens
ré cit qu’il en faisait continuellement, cultivés, que ce film fait de b ric et de
dans l’éclairage flatteur d’un style p a r­ broc ne peut qu’intéresser, voire pas­
fait. Ce film, Gide a dû être encore sionner, et qui le com m enteront longue­

5!
ment, — on s’en aperçoit p a r cet article tinage, — un Cocteau, un Jouhandeau,
même. Mais les autres, le grand public ? et que l’on ait fabriqué avec tous les
Acceptera-t-il line image fausse de trois une histoire de gens de lettres,
l'écrivain de « Familles, je vous hais ! », comme on disait au tem ps de Paîndes,
de la révolte contre tous les confor­ nul doute que le p rem ie r venu ait p ris
mismes, de « Les extrêmes me tou­ goût à la chose, — à cette chose d ’un
chent », des m éandres et contradictions autre m onde !...
incessantes, — ce caméléon de la p e n ­
sée et du sentiment, le continuel deve­
nir fait homme ? Je ne suis pas abso­
lum ent sûr que, je ne dis pas le ferm ier P a r ailleurs, " il dem eure qu ’A ndré
du W isconsin ou l ’ouvrier d’Oslo, mais Gide est un grand écrivain, — mais la
simplement le ferm ier de Seine-et- question ti ’entrait pas dans notre p r o ­
Marne et ,l’ouvrier de Saint-Denis pos d ’aujourd’hui,
consacrent une soirée à ce spectacle
tout de même austère, quasi corporatif, Nino F rank
et en tout cas plutôt funèbre.
S’ils le voient, ils seront peut-être P.S. — Il se trouvera peut-être des
touchés p ar la singularité du comé­ entrepreneurs de pom pes funèbres et
dien : ses reniflements ; sa façon de autres nécrolàtres qui, lisant ce qui
bafouiller ou de s’a rrê te r au milieu précède, seront choqués p a r le ton
d’une phrase ; l’étrangetc p a r moments adopté en présence « d’une tombe
de son regard ; d ’autres tics, surtout encore fraîche ». Le fait d’A ndré Gide
oraux. Ils devineront peut-être le p itto­ soit décédé ne m ’inspire aucune consi­
resque de cette existence, à travers la dération supplém entaire p o u r lui, car
visite de son appartem ent commentée il s’agit d’un but que tôt ou ta rd j’atte in ­
p a r lui-même... Mais c’est bien peu de d ra i aussi bien que lui. Et les m orts
chose p o u r app âter le spectateur non viennent assez souvent nous tire r p a r
prévenu. Ce qu’il m anque à Gide, ici, les pieds, pour qu'à notre tour il nous
c’est des partenaires et une intrigue : soit perm is de les tire r un peu p a r la
s’il en avait eus, du même talent p a r ­ barbe, cette barbe qui a dû leur pousser
ticulier que lui, — j’entends le cabo­ à l’heure qu’il est.

LES CHARMES DE L’INSOLITE


I K N O W W H E R E l ’M GOING ( J E SAIS OU J E VAIS), film de M ichael
P owell et E meric P r essburger . Scénario, dialogues : Michael Powell et Emeric
Pressburger. Images : E nvin Hillier. Musique : Allan Gray. Interprétation : W endy
Hiller (Joan W ebster), Roger Livesey (Torquil Mac Neil), P am ela Brown (Catriona),
George Carney (Mr Webster), Finlay Currie (Ruairidh Mor), P e tu la Clark (Cheril).
Production : The Archers, 1944. Distribution : Dismage.

La très rem uante héro ïn e de cette vieux. Du m oins prit-elle, p o u r aller


aventure curieuse p a ra îtra it au specta­ retro u v er son insulaire fiancé, à Man-
teur mal prévenu des pièges du rom a­ chester-Station le Scotland-Express, à
nesque anglo-saxon fort peu encline moins que ce ne fut le Fog A rro w , et
aux rêveries romantiques, niai désignée s’endormit-elle dans le sleeping retenu
p our les aventures sentimentales. Elle- p o u r elle p a r le ric h e hom m e en rêv an t
même, peut-être, cette grande fille à l’hym énée, après avoir, en jeune fille
décidée, cette enfant objective de la soigneuse, suspendu au filet sa robe de
froide Manchester, se croyait sans doute m ariée enveloppée de nylon. Mais à la
bien préservée de tous enchantem ents, dernière étape du voyage, les éch arp es
ayant choisi d’être seule m aîtresse de de brum es nouées et dénouées su r la
son destin. Elle abandonna joyeusement lande et les lochs, un donjon en ru in e s,
son L ancashire natal, un p ère brave une m alédiction ancienne et le ra u q u e
homme et direc teu r de banque, et p a rle r gaëlique u n iren t leurs c h arm es
quelque modeste emploi de sténo-dac­ p o u r changer un e destinée tro p bien
tylo, p o u r s’en aller aux confins de la calculée aux b ords de la Mersey. U n e
brum euse Ecosse épouser,, dans une île tem pête retint su r la côte d’Ecosse la
des Hébrides, un hom m e ric h e mais vierge héroïne de ce conte. Un jeune

52
Michael Poweü et E me rie Pressuarger, I Know TYhere J'AI &oing : derrière les
joueurs de cornemuse, Wendy Hiller; . . .

hom m e en kilt, dernier descendant d’un auteurs du film n ’ont-ils pas vu que
clan fameux, émut un coeur plein de tout ceci, qui était à la fois le cœ ur
passion mais trop longtemps p riso n n ie r du sujet et son cadre, imposait une
d ’une volonté toute anglaise. Ainsi unité de style et de récit ? Est-ce, bien
advient-il que d’abord on compte les à tort, crainte de lasser l’attention, ou
po u tres du plafond p o u r fièrement m an q u e de confiance en eux-mêmes ?
contraindre le sort à se plier à ses Ils ont cru nécessaire de rajouter des
décisions, puis enfin p o u r im plorer passages d’un tout autre ton, et dont
l ’aide du ciel. Futilité échappe : ici des chants et des
Le meilleur de I K now W here FM danses écossais dans la plus ennuyeuse
Going consiste en son atm osphère m anière docum entaire, auxquels miss
d^étrangetè précise qui rappelle le I See Hiller assiste, perchée sur une échelle,
a Dark S (ranger de F ran k L aunder et p en d an t une sorte d’e n tr’acte du récit.
Sydney Gilliat. Les héroïnes des deux, Là une très longue e t tout à fait gra­
films appartienn ent d’ailleurs à la même tuite tempête en mer, qui secoue comme
famille de secrètes jeunes filles à la coque de noix sur un bassin de
tendresse fort exaltante. W endv Hiller, studio la barque désemparée de nos
c ré a tu re sortie jadis des mains de. personnages. Cette séquence dram a­
Leslie H ow ard (Pgc/malion, 1937), mé­ tique détonne et rompt; le charme. Elle
rite un prix d’excellence. A utour d ’ellè, procède paradoxalem ent de la même
l ’Ecosse est cette p atrie brum euse et tim idité devant le .mystère, du même
ventée des aventures insolites qu’affec­ recul vers la banalité dont témoignait
tionnen t les conteurs anglais, littéraires un autre film anglais, Pandora, tour à
ou cinéastes. Quelques personnages tour attiré p a r les replis"' d ’un songe
secondaires ont ce côté à la fois débon­ légendaire, et comme honteux d’y
naires et mystérieux des histoires de croire.
fantômes écossais : un m ilitaire en ' Un sentim ent du même ordre, ou
retraite éleveur de rapaces, et ce fiancé peut-être un simple m anque d ’imagina­
q u ’on ne voit pas mais d o n t on entend tion, donne à / Knoiv W here FM Going
une fois la voix, comme évoquée depuis un dénouement assez plat, et l’empêche
son île p a r une vieille postière un peu d ’être un très bon film.
sorcière.
P a r quelle curieuse aberration les Michel. Mayoux

53
Julien Duvivier, JPêpé le Mako.
REMADE IN USA
« M » (« M » L E MAUDIT) film de J oseph L osey . Scénario : N orm an Reilly
R aine et Léo K atcher. Images : E rn est Laszlo, Musique : Michel Michelet. Interpré­
tation : David W ayne (« M » le m audit), H ow ard Da Silva (Carncy), L uther Adler
(Langley), M artin Gabel (Marshall), Steve Brodie (Lieutenant Becker), N orm an Lloyd
(Satro), R aym on d B urr (Pottsy). Production : Columbia, 1951.

La pratiq u e du « rem ake » fait contre taném ent le com portem ent historique
elle l’unanim ité de la critique. Mais des autres arts. Les véritables chefs-
l ’indignation qu’on manifeste à son d’œ uvre y sont rares, les lois du succès
égard n’est pas sans être fondée d ’abord et l’échelle des valeurs encore toutes
su r quelque confusion et elle recèle un pragm atiques. Le p ro d u cte u r qui a
paradoxe esthétique qui m ériterait une l’idée d’acheter les droits de Pêpê le
analyse détaillée. Le « rem ake » en Mako ou du Jour se lève pour faire
effet est une constante de l’histoire de copier lé film p a r un de ses scribes se
l ’art. La notion de plagiat est relative­ com porte fondam entalem ent comme un
m ent récente et plus encore la honte copiste du Moyen-Age ou un p h a ra o n
qui s’y attache. C’est Edm ond R ostand de la troisième dynastie.
qui reproche à Molière le « qu’allait-il Malheureusement il faut bien conve­
faire dans cette galère » non le vrai n ir que les résultats ne sont pas les
Cyrano de Bergerac. La lente évolution mêmes. E ncore q u ’en ce qui concerne
des arts plastiques ou littéraires est la peinture et la littérature nous ayons
établie sur la copie autant que sur depuis longtemps pro c éd é à u n choix
l’invention. Combien d ’œuvres fonda­ exclusif dans un m atériel h istorique
mentales ne nous, sont connues que p a r infiniment plus vaste. Statistiquem ent
l ’état d ’une de ces copies et à travers les échecs du « rem ake ■» n ’y sont peut-
les variantes qu’elle a fait su b ir â être pas moins fréquents. Mais enfin il
l’original (si tan t est que la notion d’ori­ est vrai qu’il n ’existe pas dans le ciné­
ginal conserve encore un sens dans ma un seul juste p o u r sauver la Gomor-
ce système d’avatars). Art absolum ent rh e Hollywoodienne. -
récent, m ais qu ’on peut considérer Encore faut-il distinguer. On confond
dans son ontogenèse esthétique comme trop souvent sous le vocable de
encore prim itif, le cinéma répète spon­ « rem ake » des procédés très difFé-

54
John Cromwel], Algïers. S ur cet unique document (dont nous déplorons la m au­
vaise qualité) on aperçoit aisément les ressemblances avec Pépê le Moîco ?
cadrage, attitudes des personnages et surtout similitude des costumes.

rents. Certains scénarios ont fait ou dérer que la scène traitée à fresque
font l'objet d’adaptations périodiques. n’est p as « inférieure au même thème
Doniol-Valcroze signalait les multiples pe in t à l’huile. L’application de la p ers­
Derniers jours de Pompéi. Combien pective ou du clair-obscur ne nous
y a-t-il eu de Quo Vadis ? La version semble plus une supériorité intrinsèque.
japonaise qu’on est en train de tourner Mais c’est là un éclectisme dont nous
sera, si mes calculs sont exacts, la ne sommes guère capables que depuis
dixième des Misérables, depuis celle u n siècle. Même Violet-Le-Duc, sous
de Capellani en 1912. Or cette p r a ­ couvert de restauration, contraignait le
tique est parfaitem ent justifiée et les Moyen-Age au romantisme. P our les
résultats le prouvent. Les Misérables vrais contem porains d'un a rt en évolu­
d’H enri F escourt (1925) sont certai­ tion, l'éclectisme est un luxe impossible
nem ent meilleurs que ceux de Capel­ de l’esprit. Une œ uvre techniquem ent
lani et si la version parlante de périm ée se vide naturellem ent de sa
Raymond B ernard (1935) ne vaut pas valeur esthétique un tableau h ’est plus
celle de Fescourt (ce que j’ignore), qu'une toile bien encollée sur laquelle
c ’est là un fait accidentel. Les valeurs on peut repeindre. Un film : un certain
comparées de L ’Atlantide de Feyder et poids de celluloïd qui ferait plus
de Pabst n ’ont rien à voir au fond avec d ’usage sous forme de talons de chaus­
leur chronologie ; il est vrai que la sures ou de démêloirs. Or le ciném a est
dernière version de je ne sais plus qui le seul art dont nous soyons réellement
avec Maria Montez, leur est probable­ contem porains, qui se développe et
ment inférieure. Mais serait-elle meil­ vieillisse avec nous. Il est donc vain
leure si les deux prem ières n'existaient de nous étonner que le public se désin­
pas ? téresse d’un film — fut-il un chef-
C’est que cette variété de remake est d ’œ uvre —- quand son vieillissement
fondée, d'une p a r t sur la copie des lui devient perceptible. E t les signes
sources et non pas des œuvres, de de caducité sont multiples. Outre les
l ’autre sur l'évolution de la technique plus évidents, comme le passage du
ciném atographique. De la fresque à la m uet au sonore, de l’orthoebrom atique
peinture à l’huile la répétition d’un à la pancliro et, actuellement, du n oir
sujet suppose la transform ation p ro ­ et blanc à la couleur, avec toutes les
fonde de sa mise en valeur. Nous avons nuances interm édiaires du perfection­
p o u r les arts traditionnels un jugement nem ent technique, il faut tenir compte
historique qui nous perm et de consi­ du m ode de récit (histoire du mon-

55
Dans M. Le Maudit (à droite) et dans- Le Maudit (à gauche), les ressemblances
sont encore pins frappantes, Tout commentaire serait inutile.

fagc), du style photographique et, enfin, facultatif dans l’adap tation du film o ri­
des innombrables références tem po­ ginal. Pépé le Moko n ’avait p as encore
relles de l’objet même de l’image : mode vieilli quand on en a fait AIgiers non
vestimentaire, type de maquillage, style plus que Le Jour se lève ni même plus
de l’interprétation, etc... P ar ra p p o rt à récem m ent Le Corbeau. D’ailleurs, et.
ces derniers agents de vieillissement, le c’est .la différence fondam entale avec
ciném a n ’est pas dans une autre situa­ l’autre pratique, ce n ’est pas le scénario
tion que le, théâtre où le fait de rem on­ qui est rep ris mais le film lui-même
ter une pièce constitue en somme une qu’on s’efforce de copier et comme de
adaptation au goût du jour d’un texte décalquer au pochoir. T out se passe
immuable mais que la mise en scène comme si le p ro d u c te u r pensait que le
modernise. succès de l’original, de son excellence
Il est vrai que cette conjoncture a à la fois artistique et com m erciale, rési­
évolué rapidem ent depuis quelques an­ dait dans l’aspect final de l’œ uvre et
nées, nous en avons ren d u compte ici qu’en se tenant aussi p rê t que possible
môme (« A propos des reprises », de cet aspect il re p ro d u ira logiquement
Numéro 5). Avec la création des Ciné­ et autom atiquem ent sa réussite. L’in fa n ­
mathèques, la multiplication des Ciné- tilisme d’un tel raisonnem ent, du point
Clubs et la formation d’un « public de vue esthétique, n ’éch ap p erait pas à
d ’élite », phénomène qui diffuse de plus un crétin des Hurdes. A p rio ri il p ro ­
en plus largement dans le public tout cède d ’une mentalité prélogique encore
court, lés oeuvres cinématographiques déterm inée p a r les analogismes m agi­
anciennes reprennent de la valeur. Un ques. Quoiqu’on pense des producteurs,
éclectisme dans le temps est en train même hollywoodiens, il est difficile de
de naître, qui perm et déjà â certains les en tenir su bjectivem ent p o u r entiè­
films de ne plus vieillir et leur confère rem ent responsables. Il faut qu’ils ne
Téternité conquise p a r les produits des soient eux-mêmes que les agents passifs
arts traditionnels. Il resterait à déter­ d’un phénom ène sociologique. Mais je
m iner dans quelle mesure cette évolu­ ne distingue pas exactem ent lequel.
tion du public intéressera l’industrie Peut-être de l’am éricanisation du ciné­
ciném atographique, si elle constitue un ma. Prenons p a r exemple Le Jour se
phénom ène commercial d ’appoint mais lève. Son succès com m ercial a été h o n ­
marginal, ou si elle s’intégrera vrai­ nête mais non p o in t satisfaisant, p a r
m ent à l’économie générale de la p ro ­ contre son succès d’estime a été
duction comme c’est le cas en peinture immense à l’étranger plus encore q u ’en
p a r exemple où l ’ancienneté des œuvres F rance, p articulièrem ent en Suède, en
n ’en déprécie nullement la valeur éco­ Italie e t‘ en Angleterre. La pénétration
nomique. du film français aux U.S.A. étant insi­
Mais de ce procédé admissible et gnifiante, on*assiste donc à ce ph én o ­
aussi vieux que le cinéma il faut dis­ mène économ iquem ent absurde : un
tinguer une modalité très spéciale et film prestigieux dont le prestige ne paie
particulière à Hollywood. Dans ce sens pas. En somme tout se passe comme si
restreint, le « remake » n ’est pas tem­ Le Jour se lève ouvrait un m arché qu'il
porel mais géographique. Le vieillisse­ était incapable d ’àlim enter non seule­
m ent ne joue aucun rôle accidentel et m ent parce que le film français est mal

56
distribué à l ’étranger, mais plus encore Gaston Modoti dont la manie du bilbo­
parce qu’il n ’est vraim ent app récié que quet est repris du tic de Georges Raft
p a r uné élite internationale, lia grande jouant sans cesse avec un dollar. Mais
masse du public étant conditionnée p ar Pépé le Moko est l’exemple /même de
sic style américain. C’est alors q u ’inter- l'influence bénéfique profondém ent assi­
vient le produ cteur de Hollywood : il milée et transposée. De la .mythologie
constate objectivement le form idable sociale am éricaine .Duvivier n ’a’ retenu
m anque à gagner de l’exploitation p a r que les schémas universels, lin certain
rap p o rt au prestige acquis et il se dit rom antism e tragique du b andit dans la
que la cause en 1est seulement que le cité. Le scénario, le. dialogue et les p e r­
film n’est poin t américain. Il en achète sonnages sont repensés dans lé. contexte
donc la licence de . fabrication, refait sociologique français. Plus précisém ent
l’objet dans ses usines et le relance sur nord-africain, mais d’une Afrique du
le m arché en contre-m arque U.S.A., Nord conventionnelle, stylisée, qui com­
m ultipliant ainsi le prestige du proto­ bine le dépaysement exotique, la tra d i­
type initial p a r la force de pénétration tion du banditism e marseillais et , la
sociologique du film am éricain auquel mythologie parisienne. Les inexacti­
la moitié du m onde — à commencer tudes de Pépé le Moko indignent les
évidemment p a r l ’Amérique — est h abi­ Algérois, mais c ’est bon signe, il s’agit
tuée. C’est un peu ce qui se passe pour du contraire d'un film néo-réaliste sur
la mode quand un g ra n d couturier la Casbah.
parisien cède les droits de rep roduction Or reprenant Pépé le Moko dont la
d'un modèle à une maison de confec­ source est américaine, Hollywood s’in ­
tion New Yorkaise. M alheureusement génie à lui garder ses alibis algériens.
l ’analogie" s’arrête au plan sociologique. Dans la version de John Cromwell avec
Esthétiquem ent et économ iquem ent la Charles Boyer et Heddy Lam arr (puis­
copie d’une robe pose de tous autres qu’il y en a une troisième de John
problèmes que celle d ’un film. Cette Berry avec Tony Martin et Yvonne de
explication vaut ce qu'elle vaut, elle Carlo) nombre de plans sont, copiés
me pa raît cependant avoir l ’avantage exactement et tous , les effets soigneu­
de résoudre trois (juestions irritantes : sement conservés, Mieux, on a trouvé
1°) L'impossibilité de cro ire qu’il p our l e , personnage de Gaston Modot
existe des producteurs assez stupides une m aniéré de sosie, costumé presque
p o u r être mus p a r l’idée de décalquer . de la même façon et qui joue aussi du
Ja qualité d’un film en p a rta n t des bilboquet. Ainsi l'homm e au dollar de
images et non du scénario. L ’existence Scarface, librement interprété p ar Duvi­
de cet individu devenant imaginable, vier, se retrouve dans Algiers sous les .
sinon tolérable, dès l’in sta n t qu’on avatars d’un grotesque plagiat de film
suppose qu’il se borne à tire r les ; français. Ce détail donne la mesure de
conséquences économiques du privilège la valeur esthétique du « rem ake 2>
sociologique dont jo u ît le film am éri­ dans le sens restreint où le pratique
cain. '■*>' seul Hollywood.
2°) La fidélité fétichiste à 1 original
qu’on va jusqu'à copier plan p a r plan
et dont on rep ro d u it autant que p o s ­
sible les détails caractéristiques. C’est Joseph Lûsey en illustre tristem ent
qu’il s’agit de donner au public l'illu­ une fois de plus les méfaits avec M Le
sion de la copie. Illusion qu’il vient Maudit, d’après le célèbre chef-d’œuvre
justement chercher dans la contre- de Fritz: Lang. Ce nouvel exemple p ré ­
m arque américaine. sente cependant p a r ra p p o rt à Algiers
3°) Le fait que le rem ake ne soit quelques variantes instructives.
pratiqué sous cette forme qu'à Holly­ D’abord le processus d'am éricanisa­
wood. Il n'est en effet concevable que tion est explicite puisque l’action est
dans le sens du qualitatif à T extensif. transportée en Amérique, dans une
On saisira nettem ent la forme des ville q u ’on ne homme pas mais qui est
échanges entre le cinéma, français et évidemment Los Angeles. On en a usé
am éricain dans le cas de Pépé le Moko de même avec Le Jour s'e lève et . Le
p a r exemple. Corbeau. Ce serait là à p rio ri une
A l’origine du film de Du vivier; il y mesure louable et de bon sens, L ’équi­
a évidemment les films de gangster valent du réalisme social allemand ou
am éricains et précisém ent Scarface de français ne peut être, en Amérique,
H ow ard Hawks. On p re n d cette influen­ q u ’un réalisme américain. .Malheureu­
ce sur ; le fait dans le personnage de sement elle est en contradiction ra d i­

57
cale avec la fidélité formelle à laquelle pittoresques et rom antiques deviennent
s'efforcent d’autre p a rt la mise en scène des gangsters et des cireurs de souliers
et le scénario (fidélité qui n’est cepen­ et tout s’effondre. Les personnages de
dant pas sans limite comme nous le D. Haminett ou de J.H. Chase ne sont
verrons). Le film n ’est pas exactement p as de ceux qui s’indignent du viol des
copié p lan p ar plan, m ais séquence p a r petites filles [ D’ailleurs le héros lui-
séquence avec cliaque fois qu’on le peut même p erd dans ce contéxte toute son
le rappel précis des plans originaux, horrible vraisemblance. Chez Fritz Lang
p a r exemple celui du ballon dans les sa-c a u tio n était l’authentique histoire
.fils télégraphiques. Le développement, du vam pire de Düsseldorf. Le sadism e
de l’intrigue et les personnages sont am éricain n’est pas le sadisme allem and 1
les mêmes (le, m arch an d de ballons ou anglais. ; Même s’il existe à Los
rouges), tontes lés scènes capitales s’y Angelès des satyres sanguinaires, leurs
retrouvent avec leurs incidents (la crim es n’y acquièrent pas l’a ura exem ­
chasse à l’homme dans le building.avec plaire, là résonnance mythique q u i jus­
le coup du veilleur de nuit, l’affolement tifiait chez Fritz ;Lang l'épouvante de
de l’assassin qui s’est enfermé dans une toute une ville. ' ’
sorte de grenier et lé casseur de pla­ Mais où l’am éricanisation des détails
fond qu’on a oublié dans son trou). achève de désintégrer le film c'est p a r
Mais voyons les différences. De forme l’intrusion, de la psychanalyse. L’en-
d ’abotd. Elles sont curieuses. Joseph ' quête de la police, en effet, et su rto u t
Losey semble avoir voulu m oderniser la parodie de procès final, dans le
le style selon la mode néo-réaliste. garage> sont l’occasion d’expliquer ces
Alors que Fritz Lang avait tout fait en crim es p ar un ,em barras du com plexe
studio, Losey utilise largem ent les exté­ d’Œ dipe: On ■ aurait tort de se b o r n e r
rieurs. Ce sont d’ailleurs, quand on les à en sourire. Si F reud est devenu le ■
isole de l’ensemble, les bons éléments deus ex machina p a r excellence des
du film, par. lesquels ce jeune et vigou­ films américains; même de ceux qui
reux m etteur en scène témoigne qu'il p o u rraien t être bons comme Quatorze
m érita it un meilleur sort ; on sent que Heures, c ’est beaucoup plus q u ’une
si le scénario, le lui perm ettait, i l . ne mode un peu puérile. L’explication p sy ­
dem anderait qu'à faire un bon film èt chanalytique . s’impose m a in te n an t à
d'un ton assez personnel. Mais en même Hollywood aussi im pérativem ent q u ’un
temps les im pératifs du remake lui article du code Hays-Johriston. Nous
im posent d'absiirdes retours à l’expres­ savions déjà que le crim inel ne p o u v ait
sionnisme, un style faussement alle­ échapper à la justice (c’est p o u rq u o i
m and dii décor et de la photographie, en p articu lie r dans Algiers Pépé est tué
parfaitem en t hétérogènes au néo-réalis­ p a r lès policiers c a r lé suicide serait
me : p a r exemple dans le débarras où une façon de leur échapper). P lus ta r d
l’assassin est enfermé avec des m anne­ il fallut que le héros crim inel fût tom bé
quins et une forêt de jambes de cire. sur la tête. Je ne plaisante pas ; entre
Passons su r la musique dont le rôle les années 40-45 on ne sau rait guère
chez Fritz Lang était essentiel — on a trouver d ’assassin dont on ne p ré cise
préte n d u la conserver en noyant cepen­ au détour d ’uné réplique qu’il a fait
d ant le célèbre motif d ans un patlios une chute de bicyclette à l ’age de
m usical qui le prive évidemment de c inq ans (cf. par. exemple un film
toute efficacité dram atique — et venons- d ’autre’ p a rt sans concession ; L ’Ombre
en aux modifications du scénario qui d ’un doute, de Hitchcock). Cette p r é ­
perm ettent de saisir à plein l’absurde caution rép o n d au souci de c o n sid é re r
processus du « rem ake ». On se souvient à p rio ri les;instincts crim inels et plus
du rôle, capital dans l'histoire, des généralem ent asociaux comme p a th o lo ­
bandits et de leurs chefs qui décident giques. Plus le crim inels sera séd uisant
la mobilisation de toute la pègre de ; et apparem m ent normal, plus il sera
la ville p o u r se substituer à la policé indispensable d’affirmer l’existence
impuissante. C e tte /c o u r des miracles d’une fêlure cachée. Mais affirmer n ’est
transform ée en cour de justice jugera pas , encore expliquer.' La psych analyse
à la fin l’ig n o b le -P e te r Lorre.. Chez propose au scénariste la p anacée u n i­
Fritz Lang l’idée et son développement verselle généralement utilisée ,au jo u r­
étaient adm irables et s’inscrivaient à d’hui. La vérité psychologique de F re u d
la fois dans une poésie très particulière n ’est pas en cause, seulement le sens de
du banditism e,, à la suite de L ’Opéra de son em ploi-perm anent et systém atique
Quat’Sous et dans l’histoire, sociale de dans le dénouem ent dë neuf films am é­
l'Allemagne de 1930. Que les truands ric ain s siir dix. Plus encore,, aujour-
d’hui, que le triom phe de la justice, Ainsi le film de Joseph Losey révèle
im porte la négation au mystère hum ain clairem ent le mécanisme • absurde du
posé p a r le crime. Le vrai crim e du « rem ake . ■» qui consiste à copier le
criminel, celui qu’il faut par-dessus 'détail en trahissant l'essentiel. Cette
tout juguler, c’est sa différence avec fidélité formelle toute extérieure est
l’homme am éricain norm al et moyen, l ’alibi qui perm et de relancer su r le
Avant même le bon sens, le complexe m arché un nouveau film présenté com-
d ’Œ dipé étant la chose du m onde me l’exacte réplique d’un original jpres-
lq mieux partagée, il' n’est pas de tigieux. Mais en même temps on
m onstres odieux qu’on ne puisse réd u ire s’efforce de rectifier dans le modèle
à une variante particulièrem ent fâ- tout ce qui se présente en saillie sur
cheusc du dit complexe. Ainsi tout, la mythologie cinématographique hollÿ-
rentre dans l’ordre, l ’univers m oral woodiennè. Ou va même jusqu’à chan-
redevient sans mystère, l’iiomo a m é - ' ger le contexte social sur lequel s’ins-
ricanus peut continuer de vivre dans crivent les événements. .Or il est évident
un monde mental où chacun a fon- que plus une œ uvre est bonne, plus les
damentalement les mêmes chances détails s’y trouvent chargés de sens et
de bonheur et d’intégration sociale, plus leur interdépendance est rigou-
Cette plipbië du mystère psychologique reuse. Le m obilier de la m ansarde de
est en train de faire plus de to rt peut- ' Gabin dans Le Jour se lève n ’est pas
être à la production am éricaine que la un décor interchangeable, la tragédie
constitution d ’une censure m inutieuse , s’y cache aussi intim em ent que dans le
à l ’érotisme. Aussi bien n ’est-ce que la, coeur du héros. On ne saurait y toucher
m anifestation d’une nouvelle censure : sans modifier aussi le drame, les p e r ­
le Diable n’est pas am éricain. sonnages. Le seul moyen de leur rester
■, Bon, j e me suis encore éloigné, de fidèle et d ’égaler éventuellement l’ori-
mon sujet ? Pas tant que cela. Je disais ginal serait de tout reprendre à la
que la psychanalyse du Maudit démo- source et d’en suivre le cours naturel
lirait tout s’il restait encore quelque dans un nouveau r e l i e f , historique et
chose debout de l’œ uvre de Fritz Lang. social.
Peter Lorre supplie ses jugés, il leur , Mais quoi, nous avons beau dire, en
tire même des larmes mais ce qu’il dépit de sa monstrueuse absurdité la
inspire alors c’est de la pitié, non une pratique du « rem ak e ^ se porte tou-
vaine com préhension psychologique jours bien,
qu’on peut acheter dans le1 p rem ie r ^
drug-store. , André B azin

LOINTAIN CONRAD
AN OUTCAST OF THE ISLANDS (LE BANNI DES ILES), film de Cahol ,Reed.
Scénario ; William F a irc h ild d’après le rom an de Joseph Conrad. Images :
John Wilcox et E dw ard Scaife. Décors : Vincent Korda. Musique .• Brian Easdale.
Interprétation [: Sir Ralph R ichardson (Capitaine Lingard), Trevor Howard
(Willems), Kerima (Aïs sa), Robert Morley (Almayer), W endy Hiller (Madame
Almayer), George Coulouris (Babalatchi). Production : London Films, 1951.
Distribution : Filmsonor.
J’ai toujours pensé que la réputation Bresson, mais à celles aussi d’un Welles
de Carol Reed était surfaite. Non pas — réalisateur baroque dont on l’a à
que ce cinéaste soit sans ta le n t; peut- to rt ra pproché à cause de là collusion
être même a-t-il trop de « talents s>. Ce du Troisième H om m e où Welles sauva
qui lui m anque c ’est le m épris de la faci- les meubles, sur le mode de la plaisan-
lité et le goût de la rigueur. Rien de terie, comme il l’aurait^ fait p our la
moins dépouillé que ses films, rien de revue annuelle d’un collège de jeunes
plus surchargé sans-jam ais atteindre à gens — Reed avait peut-être dans son
un style de la surcharge ; je veux dire jeu les atouts pour tenter une oeuvre
qu’il ne peut se proclam er « baroque rom antique mais, anglais et non alle-
car il est aussi loin des concerts paroxi- m and, il conserve dans le ton ce quant
ques de cette école que des géométries à sôi chronique de l’insupportable
palpitantes du classicisme, de Racine fle g m e britanniqu e qui lui interdit de
p a r exemple. Aux antipodes donc d ’un déboucher, s e r a i t - c e modestement, dans

59
C a r o ld ' Reed, Au O nt cas t of the Istan d s : Kerima et Trevor Howard.

les grandes clairières du romantisme perfection technique, est encore tro p


entre les ombres portées d’un W agner m aladroit, trop superficiel p o u r que les
ou d’un Chateaubriand, de p re n d re la pièces maîtresses ne soient pas plus ou
suite d’un Lang jeune ou d ’un M urnau moins boiteuses, plus ou moins a n ti- ^
trop tôt disparu. On en arrive à penser cinématographiques. Le signe de leu r
que seul le succès que. lui a fait un royauté est le plus souvent le dem i
p ublic heureux de se do nner à bon échec d e 'le u rs « formes » ou l ’a p p a ­
compte l’im pression flatteuse de penser rence déconcertante de leur message.
devant un écran, puisse expliquer - la Fallen Idol tourne trop rond, satisfait
place de choix qu’il occupe aujourd’hui trop tous les publics p o u r n ’être p o in t
à l’état-major international des cinéastes suspect de quelque concession p ré m é ­
L’éblouissante séquence d’ouverture ; ditée à la commercialité. Les très
d’Odd Man Ont autorisait tous les grands films ont presque toujours — à
espoirs et on aurait volontiers effacé prem ière vue quelque chose contre
de sa m ém oire les longueurs et les eux : Espoir son inachèvem ent comme
ridicules qui suivaient si l’avenir ne La Terra Tréma, Le Journal d'un Curé
nous avait révélé que les caractéris­ de Campagne la m onotonie de l’a rgu­
tiques de Reed étaient plus dans les ment comme Le Fleuve, Dernières
trémolos de cette suite que dans les Vacances les trous de l’inte rp réta tio n .
dures arabesques du début. Falletï Idol comme Les Dames du Bois de Boulogne,
est son meilleur film : véritable ç etit Jeanne d'Arc son silence comme les
rom an de cinéma, fidèle aux intentions Eisenstein muets, etc...
de Grecne en même temps que propice
aux effets de style mesuré de Reed, le L é Troisième H om m e fu t e n trep ris
tout au service d ’une psychologie assez p o u r profiter de fonds bloqués à Vienne.
fine, usuelle en littérature^ mais inhabi- Le problème était d’utiliser le te rra in
tuélle à ré c ra n . On a beaucoup dit de sans trop s’éloigner du m édiocre arg u ­
Falleir Idol que c’était un petit chef- m ent de Greene. Le film est l’œ uvre
d’œuvre, mais, outre qu’un chef-d’œuvre d’une équipe ou Cotten et Welles
ne p eut être petit, i l ' y a paradoxale-/ jouèrent un rôle im portant. Le ré su l­
m ent dans ce film quelque chose de tat passa toutes les espérances, du
trop plaisam m ent réussi^pour que l’on départ. Le « tru c » de la cythare (idée
puisse p arle r de chef-d’œ uvre ; le de Welles, je crois) fit le reste : un
langage de l’écran, quelque soit sa triom phe international. Brillant certes

60 m : " '■ - r:
mais^ d'an éclat factice qui ne peut Reed en tournant Le Banni des
trom per longtemps, fait d ’em prunts à lies (1) ? . Le résultat est tellement,
tous les genres Le Troisième H om m e incohérent qu’il est impossible de les
p o u rrait presque passer pour une m ysti­ déterm iner. P a r d’innombrables détails
fication ouverte comme Journeij into fort im portants il n ’est pas fidèle au
Fear ou une charge parodique comme rom an et avant tout en omettant tout
Pamusant Chicago-Digest La référence sim plem ent la. m ort du héros Willems,
à Greenc interdit pourtant cette Inter­ scène adm irable chez Conrad, que je
prétation, ce qui est dommage car, vus ne peux résister à citer. « Il vil devant'
sous cet angle, le sourire d e , Welles ses y e u x Véclat d'une flamme ronge,, et
dans la porte cochère ou la scène du fût assourdi par un bruit qui lui parut
« coucou-dock » dans la grande roue plus violent qiïnih coup de tonnerre. .
resteraient comme de jolis petits m or­ Quelque c/iose Purré fa .eonrf, ef il reslu
ceaux de cinéma. P our tout embrouiller . debout, aspirant dans ses narines
Reed term ine sur le très beau'passage l’odeur acre de la fumée bleue qui:lui]
du cimetière qui perm et d’im aginer ce passait devant les y eux comme un image
qu’aurait pu être un film similaire fait immense... Manqué, grâce au ciel....Il le
sérieusement. pensait... Et il la vit très loin, qui levai!
Qu’allail faire Reed après Le Troi­ les bras, tandis que le revolver, très
sième Homme.- T ourner au c om m erce? petit, gisait par terre entre eux. Man­
Essayer de se racheter ? Je pense que qué !... il allait le ramasser maintenant.'.
scs intentions en s’attaquant à Joseph Jamais comme alors il n ’avait compris
Conrad étaient pures. Hélas ! ce n'est la joie, le délice trio m p h a it du soleil
pas le résultat qu’on nous p résen te/ et de la vie. Sa bouche était pleine
aujourd’hui qui, nous fera changer de quelque chose de chaud et de salé.
d'avis sur ce décevant réalisateur. II Il essaya de tousser ; il _■cracha... Qui
est en effet difficile dé m anquer un donc crie Au nom de Dieu, il meurl 1
film plus complètement que Le Banni — il meurt. — qui meurt ? — Il faut
des lies. 11 serait trop long d’évoquer se relever... Il fait nuit... Quoi ? Déjà
ici les multiples problèmes posés p a r nuit... » ;
l’adaptation de Conrad à l'écran, d ’au­ Reed abandonne son héros, loque
tant plus que nous publierons p ro c h a i­ hum aine, mais vivant sur une plage et
nement une étude de P ie rre Kast sur laisse sous-entendre’ que tout peut
ce sujet. Disons simplement que l’œuvre encore s ’arranger, continuer... etc., alors
toute entière de Conrad semble une que la conclusion de Conrad est sans
‘ m atière de choix p ou r le cinéma. équivoque : la mort, le désespoir, la
Impression peut-être trompeuse : le nuit... ce n'est que plus tard, qu’une
plus précieux de Conrad à fixer sur fois Willems mort, dans une autre nuit, '
• la pellicule c’est peut-être son « cli­ celle pacifiée de la nature; que l’écho"
m a t» ,, son mode de récit et non le de la forêt, de la rivière et de la colline
détail de ses récits. Il serait peut-être répond : « j’espère ». On ne peut
plus intéressant de trouver une façon im aginer trahison plus complète. P o u r­
Conradienne de faire des films que" de quoi dans ce cas se réclam er de Conrad,
tire r des scénarios précis de son œuvre. ne pas im aginer un scénario quelconque
Quoiqu’il en soit et quel que soit le se passant du côté de Cej’lan (où a été
procédé adopté,, le-problèm e .est pas­ tourné le film). -Pourquoi d o n n e r a u
sionnant, au même titre que la rec h er­ public qui ne connaît pas Conrad une
che, pour .Pccran, d'équivalences Sten- fausse idée d ’un des plus grand écri­
dhalicnnes ou Kafkaïennes. Ayant opté vains du xx* ? Car le reste est à Pave-
pour un livre déterm iné Reed se devait -liant. Reed est aussi infidèle à l’esprit
d ’être fidèle et à l’œuvre et au climat qu’à la lettre. Comme chacun sait, Jcs
ce que fit Bresson p our Le Journal d ’un récits de Conrad sont équivoques, inso­
Curé de Campagne. On eut même lites, m ystérieux, une captivante ambi-
accepté cette « seconde x fidélité d ’Oli-
! vier pour Henri/ F, replaçant sa re p ré ­ (1) L’excellente traduction française
sentation dans ïe cadre de sa création, de-An. Outcast of the Island p a r G. Jean
ou même cette « tro isièm e » fidélité Aubry porte le titre : Un paria des Iles,
■de Welles p our Macbeth, rem plaçant peut-être moins littéral mais plus fidèle
lu scène p a r le paysage lunaire" du à l’esprit de l’œuvre où-W illems n’est
subconscient de son héros mais rec h e r­ jamais, légalement, un banni, mais bien,
chant à faire non pas du cinéma mais m oralem ent, un paria. Il le dit d’ailleurs
du Shakespeare. lui-même (page 81, Ed. N.R.F., 1937) :
Quelles ont été les intentions de « Je suis le p aria de mon peuple. »

61
guïté pèse sur des personnages et la à son crédit d’avoir tenté l'aventure
structure de ses récits. Louis Willem s Conrad sans chercher avant tout à
le héros du Paria des Iles n’est pas la ’ plaire au public qui sefa sans doute
moins complexe de ses créations, il déconcerté p a r le film qui n ’est pas
n ’est jamais ni tout à fait bon, ni tout sans retenir quelque chose du
à fait mauvais, il se débat d u ra n t trois « b iz a r re » de l’original. D e u x p a i sage s
cent vingt pages contre un destin p ris à p a r t sont bons : W illem s en
désespérant et qui le dépasse et vit canoë à la recherche d’Aïssa ; et Je
avec Aïssa une des aventures a mou- réveil de Willems et d’Aïssa au m ilieu
reuses les plus étranges de la littérature des rires des enfants. Et il faut surtout
. contemporaine. Reed s’est bien m o q u é 1 féliciter Reed d’avoir découvert K érim a
de tout cela. Après c inq minutes de qui correspond parfaitem ent à l’Aïssa
projection on est fixé : Willems. est un de Conrad : «A travers le réseau des
chenapan, un déchet d’humanité... etc... cheveux en désordre, son visage sem-
/ Son bienfaiteur Lingard un capitaine blait celui d ’une statue d ’or aux y e u x - '
à la Jules Verne pittoresque mais anti- vivants. Les lourdes paupières s’abais-
conradien, seul • peut-çtre Almayer sèrent légèrement, et entre ses longs
quoique caricatural a quelque vraisem- cils elle jeta un regard dur, pénétrant,
blance. A. quoi bon insister ? Même en étroit comme un éclair d’acier.\ Ses
oubliant Conrad le film est difficile à lèvres étaient ferm es et leur courbe
défendre et techniquem ent les tnm spa- ^mcieiise ; mais les narines dé te n d u e s,.
rences disproportionnées de la navi- la posé levée de la tête à dem i détour-
galion dans f la passe dangereuse sont née, donnaient à toute sa personne une
indignes de Reed. expression de défi farouche chargée de.
Mon propos n’est absolument /pas ressentiment. » -
d ’accabler Carol Reed, seulement d ’indi- i 1
quer pourquoi il s’est trompé. II reste J acques Ù oniol -Valcroze

BÉBÉ LA JUSTICE
LA V É R IT É SUR B É B Ë DONGE, film d’HENRY D eco in . Adaptation, dialo­
gues : Maurice Au h erg é, d’ap fè s le rom an de Georges Simenon. Images : L.-H. Burel.
Décors : J e a n D o u a rin o u . Musique ; Jean-Jacques Grünenwald. Interprétation :
Danielle Dàrrieux (Élizabeth Donge), Jea n Gabin (François Donge), Daniel Lecour-
tois (Georges Donge), Claude Genia ( Jeanne), Gabrielle Dorziat (Madame Or té-
mont), IVlarcel André (Monsieur Drouin), Jacqueline Pore! (Françoise), Meg Lemon-
nier (la secrétaire), G aby Bruyère (la belle fille), Juliette F aber (Finfirmière). Pro­
duction : Union Générale Cinématographique, 1 9 5 1 .Distribution : Alliance Générale
de Distribution Cinématographique.
Lorsque la dernière image du film de flashes de plans brefs et de longues
vient rem plir l’écran- d ’une nuit grise séquences du plus curieux effet. Cette
et floue a peine diluée autour des dém arche irrégulière, qui témoigne sou-
p h ares d e ' l’automobile5, de la police, vent d’une désinvolture ra re à l’égard
l’on se sent graduellement 'émerger; des transpositions, n’ajoute rie n au
d’un lent et profond ensablement. On répertoire acrobatique dont le ciném a
a l i t t é r a l e m e n t / l ’impression d’avoir dispose p our l’exposition et la.co n d u ite
passé avec lui les dix ans de vie com- d’une action quelconque : retours, en
m une de ce couple, enserrés, [revécus arrière, ellipses, incidences..., elle ne
dans une agonie de quelques jours, - fait que le m ettre au pillage en émiet-.
épuisante p o u r toiit le monde, et qui tant le récit au maximum. Cependant,
contribue largement, pour sa part, à cette architecture,- qui: n’a rie n de très
( distendre le temps. Cette sensation do- original et que de très a rb itra ire p a r
m inante de longueur ' e t de lenteur elle-même, a exercé line influence cer-
extrêmes s ’installe nettem ent chez le taine quoiqu’apparem m ent peu p e rce p -
i spectateur en dépit de la forme du tible sur les éléments constitutifs die
ré cit qui, ch erchant à éviter la mono- l'œuvre : la forme a réagi s u r le fond,
tonie, ne parvient pas p our autant à am enant les auteurs à choisir et compo-
conjurer le statisme fondam ental de ser les épisodes autrem ent que s’il
l ’œuvre. s’était agi d’une classique adaptation
i Le découpage du scénario épouse un linéaire respectant l’ordre chronolor
rythnie pour le moins insolite, biscornu, gique. ' J
saccadé, su r lequel s’organise un ballet - L’œuvre, p a r sa construction et son

62
'H enri Decoin, L u vérité sur Béhê Timuje, ~ Jean fialnn ' et Danielle Darrieux.

c lim a t/ ressortit beaucoup plus à la d’un, m alentendu congénital. 11 n ’y a


te c h n iq u e . du rom an qu’à celle de Fac­ pas de progression. (A noter la place
tion dram atique telle qu’on la conçoit parfaitem ent a rb itra ire du crime dont
depuis le théâtre antique. A p a rtir de il n ’y a aucune raison qu’il soit différé
chaque séquence, se reconstruit en p ro ­ de .quatre ou cinq ans du jour où les
fondeur, p a r touches successives, le jeux sont faits : scène de la gifle).
caractère des personnages, leurs h a b i­ « Tout dépend de là profondeur à la­
tudes, leur passé. Chaque scène pousse quelle les choses éclatent en nous », dit
ses p ro lo n g e m e n ts. dans la 'vie entière Bébé. Dans le film, rien n ’éclate com­
de ceux-ci et les situations sont moins ment deux êtres de races aussi étran­
choisies en fonction de la nécessité gères .s'affronter aient-ils réellem ent ? Ils*
dram atique que p o u r leur valeur d’évo­ ne sont pas aù même niveau. Ils ne sont
cation ou leur pouvoir de suggestion. même pas contem porains. Cette espèce
Il faut ren d re cette justice au film et d ’im possibilité p o u r deux êtres de
spécialem ent à la réalisation que p re s­ jamais s’atteindre, l’im puissance de leur
que jamais lé contenu ni le style des entourage et de l ’univers entier, spec­
scènes né sont ceux des « scènes à tateurs compris, a les ra p p ro ch e r ou
faire ». Là réside une originalité qui même à susciter une issue réellement
n ’est pas négligeable et qui va parfois concluante conduit à un fatalisme bien
jusque dans le détail : à la surface de reposant p o u r ces derniers. Et c’est,
certaines images, rares il est vrai, le après la sensation de longueur, celle
réalisateur a trouvé le moyen, p a r de ne pas être vraim ent touché lp a r
éclairs, de faire affleurer en termes p u ­ cette histoire. L’esprit reste parfaite­
rem ent visuels le thèm e de l’isolement m ent libre ; si l’émotion n’est pas sus­
de ces êtres. Et nous voici amenés à citée, l’intérêt se m aintient p o u rta n t :
la véritable prise de position du film. mais c’est celui qu’on p o rte à une
On n ’a pas « cadré » su r la progression analyse tantôt bien orchestrée, tantôt
dram atique d’un conflit conjugal ju s-: ... sommaire, ta n tô t surchargée d’éléments
qu’au term e fatal du meurtre, comme, étrangers. Cela a ses avantages : l’ab­
dans une courante bande « psycholo­ sence d’effets m élodram atiques préserve
gique ». L’œ uvre n ’est pas davantage de chatouillements inopportuns la sen­
centrée sur la peinture d’un milieu ou siblerie du public. i
la comédie de m œ urs ; en fait la vérité La conception inhabituelle de l’œ u­
qui s’impose, dès le début, et qui de­ vre témoigne donc d’une audace cer­
m eurera inchangée jusqu’à la dernière taine : m alheureusem ent, cette audace
image, est celle d’un conflit insoluble, s’est arrêtée à mi-chemin. Je pense que

63
les auteurs ne se sont pas suffisamment contraire comme u n heureux choix. Il
dégagés des influences combinées de faut s’entendre sur le personnage de
Simenon et d’u n certain côté du con­ Bébé : si F rançois est entier, elle est
formisme cinématographique français. absolue, ce qui ne veut pas dire senti­
Je veux bien q u’une adaptation de mentale. Elle « engage » le couple à
Simenon où l’on eut complètement fond vers un idéal étincelant et d u r :
sacrifié « l’atmosphère » peut sembler du jour où elle p r e n d conscience de
une gageure ; en tout cas, il était tout l’incapacité définitive de François, elle
indiqué d’aller jusqu’au bout de l’au- ; décide de le « liquider ». C’est une
dace en réd u isan t au minimum le. nom­ fanatique. Pas p l u s que l’action, la
bre et l’im portance des comparses nature de Bébé n ’évolue. Elle reste
conventionnels que "le cinéma français logique avec elle-même; vivante ou
s’est fait une règle trop générale d’im­ <s morte Une fois subie l’épreuve de
poser jusque dans les films où leur la lucidité, qui l’a aveuglée, elle a sauté,
présence n e correspond qu’à un « rem ­ mais si h au t et si loin par-dessus la
plissage » oiseux. La province s’anime tête des autres qu’elle s’est tuée à l’a r­
ainsi sous les apparences de ces gui­ rivée. Jusqu’à la fin, on p o u rra la
gnols poussiéreux que sont une vieille contempler, glacée, transform ée en
marieuse intelligente et cynique, une m onstre immobile de tragédie antique
veuve de diplomate ramollie au soleil sur fond de clinique 1952. -
de T urquie, le frère du mari, pas t r è s / Cette version simplifiée des héroïnes
futc, ni plus ni moins lâche que les d’Anouilh n’a de com m un avec elles
autres, un médecin qui l’est1 un peu qu’un irrésistible élan vers l’absolu :
plus, u n juge intègre et obstiné, un les aspirations^ de son c œ u r sont les
vieux colonel solidement abruti... mêmes, identique son x*efus en face de
Hors des sentiers battus, la direction l’impuretéj mais sa pensée est quelque
donnée à l’œuvre est intéressante, mais peu inconsistante et elle s’em pêtre dans
le p ropos était ambitieux et l'exécution ses grands mots. Son intelligence n ’est
périlleuse, car la fatalité intérieure qui ipas du tout « intellectuelle ». Noyée
isole et conduit les êtres est une réalité dans un océan de notions vagues et
bien difficile à capter i et à anim er à inéprouvées, elle énOnce m aladroite­
l’écran, à laquelle il semble qu’eût ment ce qui fait l’essence de son p ro p re
m ieux convenu plus de dépouillement drame et qui-passe, aux yeux des autres,
et un assujettissement exclusif au dévo­ p o u r les dadas tenaces d’une adoles­
ra n t thème central. Malheureusement, cence, demeurée. Elle agite des ques­
MM. Aubergé et Decoin ne sont pas tions immenses et puériles : Qu’est-ce
M. Bresson. . qu’un couple ?...
La direction des acteurs et l’in terp ré­ Le rôle, tel que le scénario et les
tation sont excellentes. Madame Dorziat, dialogues le définissaient exactement
dans un rôle fait p our Madame Moreno,. appelait une interprétation sobre, nuan­
soutient la comparaison. Jean Gabin cée, simple, comme l’est celle de Da-
— homme d’affaires m ari autori­ nielle Darrieux, plutôt que, p a r exem­
taire, prête à François un équilibre ple, le jeu tout ensemble passionné et
strict, une assurance sans défaillance, intellectuel d ’une Maria Casarès ou
rares chez ce « du r » presque toujours ■ noir, d’une Andrée Clément. Elles se fus­
m iné p a r, n n désespoir profond ou un sent trouvées décalées p a r r a p p o rt à
sentimentalisme plein de nostalgie. Sa l’esthétique générale du film. C’estvpeut-
sobriété le tire de ce pas inhabituel, être celle-ci qu’il fallait décaler..."'on1a
mais il est plus à l’aise dans l’agonie. d it plus haut ce qu’on pouvait én penser.
iSa personnalité de comédien faisait
plus 011 moins obscurément pressentir, La musique de .Tean-Jacques Gru-
dès le début, le revirem ent de François. nen'svald ra re et sans emphase e n rich it
Comment p arv en ir à abstraire com plè­ certains passages d’une dim ension sup­
tement Gabin de son contexte tra d i­ plémentaire, m ystérieuse co m m e un
tionnel ? De La Bandera, de Qùai des destin discret mais inexorable : ainsi
Brumes, de La Bête Humaine ? Incon­ le m orceau qui accom pagne la dernière
vénient inh ére n t au choix d’une « na­ soirée de Bébé à la Châtaigneraie, celle
ture > aussi caractérisée. de son arrestation, et dont la pâte
musicale, continue et compacte, fait
La prétendue e r r e u r de distribution songer aux pièces p o u r piano de Bach.
que Decoin aurait commise, d’après
certains, en confiant à^ Danielle Dar- J èan-J osé R icher .
rieux le rôle de Bébé, m’apparaît au
UN FILM SUR LA MUSIQUE

OF MEN AND MUSIC (ENCHANTEMENT MUSICAL), filin u ’Ikvim; Reis,


avec A rthur R ub insteiii,. Ellen Dosia, Jascha Heifetz, D im itri Mitropoulos, et le
P hilarm onic Symphony Orchestra de New York. Commentaire : Roland Manuel.
Production : 20th Century Fox, 1951.

E nchantem ent Musical n ’est pas un c’est aussi que la prc.sence.de Tinter-
Jihn. parfait. R ne s’agit d ’ailleurs pas prête rend plus vivante la musique,
d’un film, mais de quatre courts métra- . Air concert, l’auditeur-se-sent en cqni-
gcs; d’inégale -valeur, réalisés p a r Irving nnm ication plus étroite avec l’exécutant,
Reis avec des collaborateurs différents. et, a travers lui, participe a 1 execution.
Le titre français sacrifie au vocabulaire \ Le: film restitue sans doute quelque
précieux et em phatique que certains chose de cette présence de ^interprète
croient de mise p our parler- musique, mais il reste en deçà de la réalité. 11
mais le contenu correspond bien au perm et -pourtant une identification plus
titre, anglais, Of Men and Music : Fau­ . complète.de l’auditeur avec le'niusicien.
teur a voulu se bo rn er à m ontrer des On retrouve ici le paradoxe de l’inter­
musiciens en. action. Les seules in c u r­ prétation ciném atographique : le ciné­
sions qui soient faites dans leur vie ma reste bien en deçà du théâtre quant
privée ont un ra p p o rt explicite avec à la présence de l’acteur, mais suscite,
leur métier. P o u r la prem ière fois sans beaucoup m ieux que le théâtre, rid e n -
doute, — et plus complètement que tification du spectateur avec le person­
dans Carnegie Hall — voici une œuvre nage. Dans les m eilleurs moments d ’Of
consacrée à la musique sans histoire Men and Music l’exécutant devient p o u r
d’amour, sans histoire de coulisse et ainsi dire transparent, de cette tran s­
sans histoire à dorm ir debout sur parence particulière de l’acteur de
« l’inspiration » et la « vie d’artiste ». cinéma qui n’est qu ’un m édium irréel
C’est sans doute la raison p o u r laquelle entre le spectateur et le personnage.
Of Men and Music n ’est pas une oeuvre
m ineure : elle ouvre au cinéma une Esl-ce à dire qu’un film sur la--musi­
voie aussi neuve que celle du film sur que condam ne l’exécutant à ce cabo­
la pein tu re ; voilà dix ans, après les tinage dont on co nnaît d’illustres exem­
prem iers essais de Luciano Emmer et ples ? Le mérite d ’Of Men and Music
Enrico Gras. c’est d’avoir su. l’éviter, tout au moins
dans le cas de Jascha Heifetz et —■
D’autres, plus compétents, appré­ quoique l’on en ai ,dit — dans celui
cieront les qualités de l’interprétation de Dimitri Mitro])oulos. Car la com pa­
de. m orceaux célèbres qui nous est p ro ­ raison avec l’acteur ne signifie pas que
posée j^ar le chef d’orchestre Dimitri, l'exécutant doive jouer son person­
Mitropoulos, le pianiste Arthur Rubins- nage : il joue de la musique. Mais il
tein, la cantatrice Ellen Dosia et le interprète la m usique comme un acteur
violoniste Jascha ; Heifetz. Une fois interprète un personnage. Grâce au
notée la rem arquable pureté de l’enre- cinéma, c’est la musique même qui
gistrem ent m usical L(qui s’imposait ici) devient personnage du film. Dans la
nous voudrions seulement nous inter­ salle de concert le virtuose ou le chef
roger sur les possibilités nouvelles d’orchestre se trouvent dans le cas du
qu’ouvre au ciném a la réalisation comédien -ail . théâtre : on souligne
d’Irving Reis. toujours ce qu’a d ’irrem plaçable sa p r é ­
L’am ateur de . m usique préfère aller sence ; mais cette présence s’interpose
au concert plutôt qu’entendre un disque. entre le spectateur et l ’œ uvre . dont
C’est sans doute à cause de l’im per­ l ’exécutant ne devrait être que l ’inter­
fection inévitable de toute reproduction prète. Il bénéficie à l ’écran du privilège
et-sur ce terrain le ciném a ne-présente de l’acteùr de ciném a opposé au comé­
qu’un léger et discutable avantage. Mais die ni Comme l’acteur il n ’est question

65
—■ et non comédie comme le comédien. n’a pas osé renouvelé la hardiesse de
La confusion entre l’acteur et le p erson ­ Carnegie Hall qui m o n trait les cordes
nage, si souvent dénoncée comme créa-; vocales de Lili P ons ? C’eut pou rtan t
trice du (regrettable) m ythe de la été dans sa ligne. V'
- vedette sert aussi la musique — person­
nage qui est mythe, elle aussi. La direction d’un orchestre se prêtait
mieux à l’analyse ciném atographique.
L’interprète dépersonnalisé perm et On a reproché à to rt à Diniitri Mitro-
qu’à travers lui l’auditeur découvre la poulos (et à bien d ’autres) 'ses m im i­
musique, non là musique abstraite ou ques. Un chef d’orchestre ne dirige pas
passivement entendue mais jouée et avec sa; baguette ou ses mains. Son
agie. Comme l’am ateur de w esterns est regard et toute son attitude contribuent
le cow-boy, l'am ateur de musique à l’anim ation de cet instrum ent géant et
devient devant l’écran virtuose et m usi­ multiple qu’est l’orchestre ; ici, comme
cien ; il participe à la musique au lieu dans le cas de Jasch a Heifetz, le film
de l’entendre.seulement. ; crée une réalité nouvelle fondée sur la
liaison de cet in strum ent et de celui
A cette métam orphose le montage du qui en joue. La séquence consacrée à
111m contribue p a r l’analyse d’une tota­ une répétition et le passage insensible
lité qui s’impose en bloc à l’auditeur à la salle de concert rendent plus con­
d’un concert. La technique et sa v ir­ vaincante encore cette génèse de la
tuosité deviennent des entités indépen­ m u siq u e / i
dantes de la personne du virtuose. Au
lieu de cet homme suant ou. dé ce dos
d’habit que l ’on voit au concert su rg it
sur l’écran une réalité nouvelle : celle,
que forme l’instrum ent mêlé aux doigts
qui ran im en t. L’exécution est liée à la L’expression' « filni d’Art » est, on le
musique comme le corps à l’âme. Le sait, profondém ent ambiguë. L’expres­
violon d’Heifetz et ses mains p ro d i­ s i o n '« film musical l’est plus encore.
gieuses, la cam éra ne les isole que pour Elle p o u rra it désigner, outre les opé­
permettre au film de, m ieux m arquer rettes filmées de tout poil, des essais
leur indissoluble unité. On en vient à . comme Images, p o u r Debussy ou Mitry
oublier que ces mains a p p a rtien n en t à construit sur'la? m usique lin contrepoint
, un corps et que ce corps a un visage. plastique d’images ou ceux de Mac La-
Le film va plus loin dans cette création ren dont parlait ici même Jean Quéval.
. d ’une n o u v e lle , réalité : il m ontre ce
que l’œil ne peut voir, le ralenti des Le domaine des «films sur l’Art »
doigts de la m ain gauche au cours de est plus limité mais sans doute plus
leur dansé éblouissante. Ce ralenti, neuf. S’essayer à « rivaliser avec la-
comme celui de Yst m ain de Matissé, musique » ou, à la suite de l’expres-
livre quélque chose du secret de l’ar- sionnisme, p réten d re « rivaliser avec
- tiste. .- la peinture » a p p a ra îtra sans doute
comme une des nom breuses" maladies
On était en droit d’attendre autant infantiles du cinéma. Les films sur les
du passage consacré au p ianiste Rubins- arts ne se proposent pas- de rivaliser
tein. La liaison que pou v ait établir le -avec leurs modèles mais p ren n e n t ces
film entre ses mains, le clavier et peut- modèles comme la matière, d’une œ uvre
être les touches nous aurait apporté ciném atographique originale. Ils p ré ­
une révélation aussi valable. Est-de p a r sentent au spectateur une interprétation,
fidélité au cachage traditionnel des singulière' de l’œ uvre et l’invitent à
films de fiction qu’on vous m ontre écouter. ,bu à regarder p a r les oreilles
} Rubinstein de face et de trois quarts, ou les yeux de Fauteutr du film.- j ,
les mains ou le clavier cachés p a r le
/“piano ? Le réalisateur a-t-il sacrifié à Le. film sur la-musique qu’est E ncha n­
cette routine qui s’impose dans les films tem ent Musical fait écouter une œ uyre
où un acteur qui ne sa it pas jouer du ' au lieu de la donner seulement à enten­
p ian o 'In te rp rète le rôle d’u n musicien. dre au même titre qu ’Alain Resnais fait
regarder le Guernica de Picasso p a r un
Le passage consacré à la cantatrice public qui ne savait que voir un tableau.
Ellen Dôssia est aussi bien décevant:
On nous présente de l’opéra filmé com­ ., , J ean-Louis T allenay
parable au p ire théâtre iilmé ; celui qui
respecte l’optique théâtrale. L ’auteur
URANIUM A GOGO
Mr. DRAKE’S DUCK (LE CANARD ATOMIQUE), film de V a l Gukst. Scéna­
rio : Val Guest, d’après le rom an de Ian Messiter. Images : Jack Cox. Musique :
Philip Martell. Décors : Maurice Carter. Interprétation : Douglas F a irb an k s Jr.
(Don Drake), "Yolande Donlan (Penny Drake), H ow ard Marion-GrawTord (Major
Travers), Reginald Beckwitli (Mr. Bôotliby), John Pertw ee (Reuben), W ilfrid
Hyde-'White (Mr./May), A.E. Mattliews (le brigadier). Production ; Danile M. Angel,
1051. Distribution : Gaumont.

Un nouvel ouvrage du cycle hurno- après avoir volé la P ie rre du Couron-


ristique du ciném a anglais : peut-être 'ncinént, ira voir Churchill à Downing-
■ un peu plus facile que les précédents, Street ; quand le D octeur Malan et le
mais non moins oh armant.,...et dont la* Prem ier Canadien se tro u v e ro n t” en
partie médiane, pittoresque et animée, concurrence à cause d’une histoire de
rachète la lenteur et même la 'vulgarité' femmes; et quand T.E.B. Clarke fera,
d u début. Il s'agit d ’une cane qui pond un scénario à clef se déroulant à
des œufs contenant de l’uranium : d’o ù Buckingham Palace, et où Ton verra
les cnmiis qui pleuyent sur les proprié- une souveraine de -26'ans. et son char-
taires du palm ipède, lequel tombe sous ma ut oncle. f
le contrôle m artial et bureaucratique Cela dit, je vous propose un cauclie-
de l’armée anglaise. Douglas Fairbanks m ar ; l ’un de nos p ropres scénaristes
junior et les ganaches de second plan ' fabrique une histoire du genre de ce
sont bien plaisants. Canard Atomique, où il en trep ren d avec
31 im porte de rem arquer ceci : .que ce autant d’hum our nos généraux, nos
cycle commence à p re n d re tournure, et consignes militaires, notre discipline...
que l'on voit désormais clairem ent que Vous imaginez ce qui arrive : la Cen-
son succès, sa consistance, viennent de sure en feu, la Préfecture de Police
ce qu’à chaque fois l’on y, met en cause mobilisée, la Surveillance du T erritoire
l’une des grandes institutions du, pays : bouclant scénariste, producteur, acteurs,
aujourd’hui, l’armée, com m e/hier Taris- etc... C’est que la liberté de pensée
tocratie (Noblesse oblige), la citoyen- (cinématographique) en F rance va dans
neté londonienne (Passeport p our Pim- le sens des poitrines à nu et des cuisses
lico), la banque (De Tor en barres), le en état d’extase : on p eut m o n tre r tant
w isky ou le Grand National (W isky ù que l’on veut Odile Versois se to rd a n t
gogo et Le Major •galopant), etc... On sur son lit .d’am our corse et des tonus ,
peut ra p p ro ch er ces satires affectueuses * en salle de garde ou ailleurs, c’est licite
mais explicites des rom ans' p arfa ite -: et même recommandé, com m erciale­
m ent im pertinents qu’une Evelyn Waugh m ent parlant, mais F e y d er moque-t-il
publiait avant sa conversion, et où il nos députés, on in te rd it ses N ouveaux
persiflait les assises mêmes de la Messieurs, et Cayatte prcsente-t-il un
nation. Le cycle atteindra son apogée m ilitaire scrogneugneu, cm supprim e
quand il osera s’attaquer à : l ü) La des répliques de son Justice est faite.
Chambre des Communes, 2°) L e’ Com- La France est un bien curieux p a y s.'
monwealth, 3U) La famille Royale ; en
d’autres mots, quand Alec Guiness, N.F.

67
LA REVUE DES REVUES

ÉTATS-UNIS

, FILMS IN REVIEW (31 Union Square West, New Y o rk '3, N.Y.) février .1951
— Ce numéro contient un article humoristique, dans la veine des livres de
Georges Mikes, sur la façon d ’être — sans penser — un « movie executive »,
p a r Max E. Youngstein, vice-président de U nited Artists au départem ent de là
publicité. . ■
Richard Brooks, qui considère l’adaptation des. rom ans à l’écran, n’appo rte
rien de nouveau à ce sujet.
Sous le nom de Xantippe, des notes sur la présentation au Muséum of M odem
Art, p a r M. Edw. Steichen (lequel à 72 ans vn ’a rie n p erdu , paraît-il, de .sa
passion pour le film e x p é rim e n ta l)/d e films abstraits, de Ricliter et Eggeling à
Francis T hom pson. (N.Y., jV.Y. 1951).
Dans la même livraison Manfred George relate les débuts de Marlène D ietrich
et 'sa rencontre avec Sternberg. '• - ,
Henry H art, dans la critique des. films, donne une analyse de The African
Queen qui nous, fait attendre sa présentation en F ra n c e avec impatience.

THEATRE ARTS (130 W est 56 Street, New Vork 19, N.Y.) Vol. XXXVÏ,
N‘>s t et 2. — On lira avec intérêt, dans la livraison de janvier, un article, de
Laslo Benedek su r l’adaptation ciném atographique de Deatli of A Salesmair
(L’auteur, « film editor » à Hollywood, a été successivement cam eram an, scénariste,
et pro d u cte u r associé. Il a assuré la mise en scène du film p ro d u it p a r Stanley
Kram er et adapté p a r Stanley Roberts.) -
Au som m aire du numéro de février, plusieurs articles su r la T.V., dont un
Vie Sam Leve, décorateur imaginatif, et un ré c it^ p a r Jo h n Huston du tournage
de The African Queen, dont là plus curieuse illustration est U ne photo de travail
où l’on voit un radeau p o rta n t l’équipe des 34 techniciens rem onter le Congo
sous un jour très conradien. • ’ '. . .

68
FRANCE
.ESPRIT. (27, rue Jacob, ■ Paris-6C), ■ N ” 188, mars 1952. — Signalons/ dans
ceLle livraison, une étude d’André Bazin sur « Les deux époques de Jean Renoir ».
analyse complémentaire au « Renoir F rançais » que nos lecteurs oui pu lire
ici m ê m e (CAincns d u cin éma , Numéro . 8)1

1 LES CAHIERS DES ALPES (G bis, rue de la Paix, Annecy. Ilaute-Savoie),


num éro' 4, jan v ier-fév rier. 1952. — . Une étude, de René Wintzen : « Situation
du Cinéma allemand », objective, bien documentée. Après un bref rappel de
ce que fut le cinéma germanique depuis 1895 jusqu’à son effondrement à
ravènem ent au pouvoir dés nazis, l’auteur accorde une égale attention aux.
différents aspects du problème que pose la volonté de résurrection, aujourd’hui,
du cinéma allemand : situation de la production, coût des films, concurrence,
sollicitations politiques, crise financière, position des m etteurs en scène... Solu­
tions, enfin, apportées p a r l’Ouest et p a r l’Est, œuvres produites, goût du public.
MESSIEURS (8, rue de Richelieu, P a r is - lcr), num éro 14, février 1952. —
Une grande partie de cette livraison est consacrée au cinéma de la dernière
décade. André B azin'parle des .-films sur l’Art, Nino F rank considère le cinéma
italien,' Jean Quéval le britannique, F réd éric Laclos l’américain, Michel jVJayoux
le français. Le numéro est présenté p a r Jacques Doniol-Valcroze.

HONGRIE '
BULLETIN DE LA CÏNEMATOGRAPHIE HONGROISE (Edition de l’Enlrc-
prise d ’Etat Hongrois de D istribution Cinématographique, Budapest, VU, Lenin-
Korut 45), N" 25. — Le sous-titre de cette publication en indique clairement
le but. Au surplus, son caractère dp simple propagande la situe en dehors même
de ce faux-semblant d’esprit critique, que reflètent les citations qu’elle fait
d ’articles de la PuavdA ou des IsVÉstia. Nous n ’en parlerions donc pas, si ce
numéro 25 ne contenait, en prem ière page, un . article de Georges Sadoul que
nous ne pouvons pas ne pas relever. Le meilleur film hongrois réalisé depuis
1945, Un Lopin de Terre, a été présenté en 1949 à Marianské Lazné. Ses qua­
lités sont suffisantes pour que nous applaudissions à tout encouragement donné
à un jeune cinéma en plein essor. Mais nous déplorons, jjar contre, qu’un
critique ausi qualifié que Georges Sadoul estime nécessaire de p ren d re le ton
hyperbolique habituel en régime soviétique, et d ’aban donner toute objectivité,
au point de déclarer « très populaire en F ran ce » un certain Ludas Matt/i,
que bien peu connaissent, et, chose plus grave, le cinéma hongrois le prem ier
d’Europe et plus encore, pu isque/ écrit-il, « il a suffi de quelques années pour
q u’un cinéma presque inconnu en F rance jusqu’en 1945 prenne dans le monde
une place de prem ier rang, x-
-: _ M.M. cl J.A. -

BIANCO E NERO (Rome, via dei Gracchi). — Ce n’est pas à nous d ’in ter­
v enir dans ce qu’on appelait jadis les e révolutions de palais ». Le lait est que
Luigi Cliiarini, qui a fondé en 1937 et dirigé jusqu’à ce jour B i a n c o h Neho se
trouve « déposé » et privé de sa revue, avec cette soudairieLé qui fit la force
des dictateurs. Quoi qu’il en soit, nous saluons en lui un des meilleurs doctri­
naires du cinéma, dont l’œuvre constructive va du Centre Expérim ental à
l'ensemble des publications de Bianco e N e ro qui form ent un des plus beaux
rayons de la bibliothèque ciném atographique du m onde entier. Ce dernier numéro
qii’il a dirigé (XII, 11-12) est consacré à Billy W ild e r-e t publie en o u t r e le
scénario complet de Simset Boulevard. . " ' "
‘ . ' . L.I).

69
LIVRES DE CINÉMA
Vkudonk ( M a r i o ) : GLI INTELLEGTUALI E IL CINEMA (Editions de Bianco
e Nero, Rome). — Des écrivains de cinéma italiens, Mario Verdone était piarfai-
tem ent désigné, par son goût, sa curiosité encyclopédique, sà connaissance des
filmographies, p ou r en trep ren d re cet ouvrage, où sont rassemblés quelques-uns
des textes les plus im portants composés par .des poètes, des rom anciers, des
auteurs dramatiques, ou encore des penseurs et des artistes, au sujet des images,
mouvantes ou, non. Non mouvantes étaient celles que Baudelaire, an seuil du
recueil, attaquait,, en des pages fameuses sur la photographie. P a r la suite, on
rencontre Tolstoï, Rolland, Shaw, Croce, et ainsi de suite, jusqu’à nos contem ­
porains ; parm i eux, des hommes d’arts voisins, tels que Fregoli, M eierhold,
Pctrolini. Cette anthologie (qui s’annonce comme un p rem ier tome) '.est p r o d i­
gieusement intéressante, complète et documentée à la perfection. Voilà un livre
que l’on voudrait lire très vite en version française, car il est destiné à d e v e n ir
classique ; on ne pourra plus écrire sur le cinéma sans le consulter. Rem ercions-
en l’auteur et son éditeur, — celui-là même qui édite la plus im p o rtan te des
revues de c in é m a ‘italiennes. '
/. ■, ■. v !i " . N. F . . . -

Publié par notre confrère La . CiNÉMAxobRAPHiE F ra n ç a ise , L’Index 1952


vient de paraître. Cette livraison encore considérablem ent améliorée sur" les
éditions, précédentes constitue un ouvrage précieux, non seulement p o u r les
professionnels du cinéma mais aussi p our tous les amateurs. En plus des re n se i­
gnements habituels (analyse des films présentés du rant l’année), L’Index 1952
contient la1 filmographie dés réalisateurs, opérateurs^et interprètes fran çais et
étrangers depuis 1946. Il renferm e également la liste complète des films de long
et court métrage français e t/étran g ers présentés en F rance depuis 1946. Tous
ces renseignements font de T /In d e x 1952 un ouvrage indispensable à tous les
amis du cinéma. ,
r. l. . -

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Cl Ni;VIA
COLLECTION
EN MARCHE
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ANNUAIRE DU^

C I N E MA
par Roger R égent 1952
présenté par Alexandre Arnoux A PARAITRE EN MAI

-Avec les témoignages de ; Prix de la Souscription : 1.800 frs

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70
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A v ril 1 9 5 2

4 Avril : Pour gagner sa vie (Lehrman, 1914).


liid Auto Races at Venice (M. Sennett, 1914). !
Tango Tangle (M. Sennett, 1914).
La folle aventure de Chariot et hulotte (M, Sennett, 1914).
5 Avril : Les mgstères de N ew York (L. Gasnier, 1914).
(j Avril : La conscience vengeresse (D. \Y. Griffith, 1914).
7 Avril : Caught in a Cabaret. (C. Chaplin, 1914).
Caught in the R ain (C. Chaplin, 1914). 1
The Fatal Mallet (C. Chaplin, 1914). ,
The N ew Janitor (C. Chaplin, 1914).
- Pate el D gnam üe (C. Chaplin, 1914). .)
His Musical Career (C. Chaplin, 1914). /
Gclting Acquainted (C, Chaplin, 1914).
Son Passé Historique (C. Chaplin, 1914). . -
8 Avril : Assunta S piua {Martiglio, 1914).
9 Avril : Les Bas Fonds de Moscou (Garinne, 1915). .
Le Mystère de la Rue Donskaia (Gansen, 1915). 1
Drame sur la Volga (1915).
10 Avril : Les Vampires (Fi;uillade, 1915).
11 Avril : Maciste Alpin (Pastronè, 1915).
12 Avril Le Sous-Marin Piraté (M. Sennett, 1915). V
La Noce à Boursoufle (M. Sennett, 1916). \
Casimir et les Lions (M. Sennett, 1916). r
13 Avril : Les Loups (Barker, 191 G).
14 Avril : Une Aventure à N ew York (Dwann, 1916). ■
15 Avril : C hef de Rayon (C. Chaplin, 1916).
One A J L (C. CÏiaplin, 19J6). '
'The Count (C. Chaplin, 191(5).
ïG Avril : Fattg au Théâtre (1918). ;
Zigotto et le collier de la Duchesse (1918).
a- L ui au Paradis (1918).
Beaucitron Gratte Ciel (1918). ~
Dudule : les d eux Clochards ' ( 1918).
17 Avril : La Folie du Docteur Tube (A. Gance, 1915).
La dixièm e Sym p h on ie (extraits, À. Gance, 1917).
. Mater Dolorosa (A. Gance, 1919).
La Fête Espagnole {G. Dnlac, 1919). 1
18 Avril : Le Gardénia pourpre (Barker, 1919):
19 Avril : Love, Honor and Behave (M. Sennett, 1920).
20 Avril : Schloss Vogelod (Murnau, 1920).
21 Avril : The Toll Gâte (Hillyer, 1920).
22 Avril : Le Signe de Zorro (F. Niblo, 1920).
23 Avril : L ’Enfant du Hoang-Hoe (Campbell, 1921). '
24 Avril : La Nuit Mystérieuse (D.W. Griffith, 1922). X ;■
25 Avril : Sept ans de Malheur (Max Linder, 1922).
26 Avril : Le Talisman de Grand’Mcre (Newmeyer, 1922).
27 Avril : La Sorcellerie à travers les âges (Christiansen, 1923).
28 Avril : Le Brasier ardent (Mosjoukine, 1923).
29 Avril : Paris qui dort (R. Clair, 1923). 1- '
30 Avril : L à Belle Nivernaise (J. Epstein, 1923).
1 Mai : Feu. Mathias Pascal (M. L'H erbier, 1924).
2 Mai : La Femme de 40 ans (C. Brown, 1924).
j 3 Mai : Le Club des Trois (C. O. Brow ning, 1925).
4 Mai : Le Voyage Imaginaire (R, Clair, 1925).
5 Mai : L ’Eventail de Lady W in dherm ere (Lubitsch, 1925).
6 Mai : Le Procès des trois millions (Protozanoff, 1925).
7 Mai : Le Pirate N oir (D. Fairbanks et Barker, 1926).
8 Mai : Bonanzo Bncharo (Taurog, 1926).

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