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RI CINÉMA
Une scène de THE BIG CARNIVAL, le fiIm incisif et courageux de Billy Wi(cfer (Paramoun
CAHIERS DU CINÉMA
REVUE MENSUELLE DU CINÉMA ET DU TÉLÉCINÉMA
T O M E II N ° 11 A V R IL 1952
SOMMAIRE
Anniversaires
Le Congrès de La S a r r a z ............................................. 6
Jean George A u rio l L'amour au c in é m a ............................................................... 7
Sergeî M, Elsenstein Naissance d'un f i l m ................................................................ 18
Jean Myrsîne ...................... Un bovaryste à Hollywood (B illy W ü d e r ) .................. 31
* * * .................................... Nouvelles du C in é m a .............. ......................................... 41
* * * ............................... , , Le pour et le contre ....................................................... 36
LES FILMS
Lo Duca ............................ Le roman d'un tricheur (The fi/g Carnival) ..................... 47
Nino F r a n k ........................ Et caetera (.Avec André Gide) ........................................ .....50
Michel M a y o u x ................. Les charmes de l'insolite ( I Know Where l'M Going). 52
André B a z i n ............. Remade U.S.A. ( k M » ) ...................................................... .....54'
Jacques Doniol-Valcroze Lointain Conrad (An Oufcasf af fhe tslands)......................59
Jean-José R i c h e r ............ Bébé la Justice (La vérité sur Bébé D o n g e ) ............ .... 62
Jean-Louis Tallenay . . . . Un film sur la musique ( O f Men and Music) ............ .....65
N. F. ................................. Uranium à gogo (Mr. Drakes Duck) ..................... .....67
M. M. et J. A ................ . La Revue des Revues ................................. .................... .... 68
N.F. et R. L.......... ........... Livres de Cinéma ............................................................... .... 70
Les photographies qui illustrent ce numéro sont dues à l’obligeance de : Paramount, Panthéon, London Films
Filmsonor, Dismage, The Archers, United A rtists, Columbia, Hoche Productions, les Films Corona, les Films
Maurice Cloche, A, G. D. C., Fox, !es Films du Compas, Union Générale Cinématographique, Stéra Films
C. C. F. C., Métro Goldwyn Mayer, Les photographies du Montreur d ’ Ombres (p. 10) et de Menschen A m
Sonntag (p. 31), proviennent de la Cinémathèque Française.
Tous droits réservés-Copyright by LES ÉDITIONS DE L'ÉTOILE, 25, Bd Bonne-Nouvelle, PARIS (2°) - R. G, Sein^ 326.525 fl
Notre Couverture : Kirk Douglas et Jan Sterling dans THE BIG C A R N IV A L de Biily Wilcjer.
Oi'son Welfes, 2Yi« M a$iiîficent Amljersons.
ANNIVERSAIRES
Le mois d*Avril 1952 marque à l'a fois pour nous le deuxième anniversaire
de la mort de Jean George Auriol et le premier anniversaire de la naissance
des C a h i e r s d u C i n é m a dont nous avons dès le début affirmé qu’ils étaient
placés sous l’égide du fondateur de La R e v u e d u C i n é m a et dédiés à sa mémoire.
Jean George Auriol n’a pas été remplacé et le plus grave c’est q u il ne
semble pas qu’il puisse l’être. Il existe des critiques de qualité mais aucun ne
réussit l’ensemble de qualités qui autoriseraient à la succession de cet animateur.
Quand S. M. Eisenstein dédicaçait une photographie « à l’Auriol du Cinéma » (1)
croyait-il si bien dire et ÿue vingt ans plus tard la position de son ami
dans la critique française serait à ce point singulière et exemplaire? Jean
George croyait. aux intersignes dont sa biographie est étrangement étoilée.
Pourquoi faut-il qu’un accident stupide l’ait aussi brutalement ravi quelques
jours après la disparition non m oins imprévue d ’un homme de sa génération,
Emmanuel Mounier, disparition qui affecta aussi certains d’entre nous. Si nous
rapprochons ces deux noms c’est qu’ils ont peut-être un autre commun déno
minateur que l’anniversaire de leur mort au pirintemps du demi-siècle. Dans
deux domaines bien différents la mort de Mounier et celle de Jean George sym
bolisent la fin, à la plénitude de l’âge d’homme, d’un certain humanisme de la
pensée dont ils étaient deux témoins particulièrement efficaces. S ’ils ne sont
pas morts de vieillesse, comme un Gide ou un Léon Blum, c’est peut-être parce
que ce qu’ils incarnaient est destiné aussi à la mort violente.
L’irremplaçable mérite de Jean George n’était pas tant pour nous dans le
contenu de sa pensée critique, avec laquelle nous pouvions n’être pas toujours
d ’accord, que dans le témoignage irrécusable qu’elle apportait en faveur tTune
4
■critique cinématographie intelligente et libre. Tant qu’il était là, une certaine
unité existait entre les tendances les plus opposées de la réflexion sur le cinéma.
Unité non point de fond mais essentielle : la conviction que nous parlions tous-
de la même chose, que donc notre critique avait un objet. Jean George en était
— il faut le dire très, haut — le seul garant.
Héritier ou plutôt survivant de la grande époque critique des années 30
qu illustre la première R e v u e d u C i n é m a , il avait conservé Vamitié, la confiance
et Vestime de ses confrères d’alors dont la plupart sont passés depuis à d’autres
travaux. C est en fait par lui et lui seul que l’esprit de cet âge d’or de lo- jpen
sée cinématographique a passé le cap de la guerre. C’est autour de lui que la
jeune génération critique s’est agrégée dans la seconde R e v u e d u C i n é m a . Ainsi
Jean George était le trait d’union vivant entre deux générations intellectuelles.
Les temps ne sont guère aux traits d’union. Sa p erso n n e té m o ig n a it pour
la pensée contre l’Iiistoire : le destin Va pris à revers pour le jeter hors du
chemin.
Nous sommes fiers des C a h i e r s d u C i n é m a . S’ils ne sont point encore ce
que nous voudrions qu’ils soient, du moins croyons-nous pouvoir dire sans
vanité qu’ils n’en- sont pas indignes. Quand on sait ce que représente dans la
conjoncture actuelle de la. presse française Vexistence d ’une revue de cinéma
maintenant certaines exigences de pensée et de présentation il n’y a pas lieu
d ’être faussement modeste. Mais le souvenir de notre ami disparu sera toujours
assez vivant ici pour que nous gardions la conscience active de nos lacunes et
de nos insuffisances.
Nous espérons que cette première année à’expérience aura été utile et
constructive ne serait-ce que par le rassemblement dont les C a h i e r s furent la
cause et deviennent la tribune. On y chercherait sans doute encore en vain la
permanence de critères esthétiques indiscutables. Mais est-ce bien notre but?
S i cette unité se fait ce sera par surcroît.
Ca h ie r s du C in é m a
5
LE CONGRÈS DE LA SARRAZ
(1929)
Sur cette photographie prise au Congrès International du Cinématographe
Indépendant, qui se tint au Château de la Sarraz (Suisse) du 2 au 7 septem bre
1929, sous la présidence d ’honneur de Bruno Barilli, Ventura Garcia Calderon,
Waldo Frank, A nd ré Gide, Marinetli, Gonzagne de Reynolds, Luigi P irandello,
R am on Gomez de la Serra, Stefan Zweig et où vingt-quatre pays étaient repré
sentés et les revues suivantes Film-Liga {Hollande), Ciné-Club (Espagne), Ciné-
Club {Suède), Film Society {Angleterre), La Revue du Cinéma et Film Club
(France), on reconnaît : assis, de gauche à droite, Waller R uttm a n n (Allemagne),
R obert Arori, Léon Moussinac (France), E douard Tissé, Sergei M. Eisenstein
(U.R.S.S.), Jeanine Bouissounnouse (France), Hans Richter, Bela Balac’s (Alle
magne) ; a u 'p r e m ie r rang, derrière le banc : Enrtco Prampolini (Italie), ?,
H iroshi Higo (Japon), Jean George Auriol (France), Gregory Alexandrov (TJ.R.S.S.),
Ivor Montaigu, Isaacs (Angleterre), ?, ?, Moito Tsntga (Japon), puis, à Vextrême
droite, Kohler (Suisse), le délégué debout derrière Jeanine Bouissounnouse avec
des lunettes est Montgomerij Evans (U.S.A.), celui qui est à sa gauche est A lfred
Masset (Suisse). Les autres délégués étaient : Fritz R osenfeld (A utriche), G im enez
Cabarello (Espagne), Cavalcanti (France), H.K. Franken (Hollande), Docteur
S chm idt, R obert Guye (Suisse).
Léon Moussinac présent rï ce Congrès où Jean George Auriol se lia avec
Sergei M. "Eisenstein et qui a aim ablem ent identifié les congressistes p h o to
graphiés ci-dessus nous com m unique les renseignem ents suivants p o u r lesquels
nous lui exprim ons notre gratitude.
Le but de ce Congrès était de lutter contre le cinéma « com m ercial » :
1°) E n organisant une .sorte de F édération Internationale des Ciné-Clubs et o rga
nisations similaires ; 2° E n organisant une Coopérative de P roduction.
I l y fu t décidé d eux choses : d’abord la création d ’une Ligue Inte rn a tio n a le
du Film Indépendant, « association ayant p o u r but d ’assurer un lien p e rm a n e n t
entre les ciné-clubs et organisations similaires en vue de faciliter Vexécution de
leur tâche et Vextension de leur activité. Le siège de cette association était
fixé, à Genève. » E n second lieu on créa une Société Coopérative Internationale
du Film Indépendant, Le siège en serait situé à Paris. La coopérative c o m p re n
drait 10 à 50 membres, à raison de 2 par nationalité (pour la France : Alberto
Cavalcanti et Léon Moussinac). L e capital social était de 200.000 francs.
La mise en exploitation du film parlant empêcha l’entreprise de fo n c tion n er
et de prospérer. La Coopérative fu t liquidée en 1930-31 après avoir assuré la
distribution d’un certain nom bre de film s dans les ciné-clubs.
6
L ’AMOUR
AU C I N É M A
Film inconnu.
par
(1) Les éclairs fugitifs que l’on trouve dans certains films anciens apparaissent
comme des ornements discrètem ent ajoutés. Il fa u t attendre les films de R o bert
Bresson pour trouver la présence de la passion dans des images françaises.
« L’êrotismo classique-, pratiqué il l'origine p a r les artistes italiens.,, » : Macisle
s aux enfùrs (1926) do Gnido Brignogne.
d’un peuple satisfait. L’érotisme émane d’un excès de réserve (soit dit pour
les pays protestants, par exemple) ou d’un excès de passion (pays latins).
En ce qui concerne le film américain, sa valeur érotique fait partie de
sa mission même. Avant la presse et la radio, le cinéma aide peut-être les
Etats-Unis à rëster unis. Tout le monde a entendu parler des spectacles de
burlesques. II y a dans tout film fabriqué à Hollywood une ration de bur
lesque dosée tant au point de vue commercial que moral, sentimental et
social. La vulgarisation érotique est une relativement saine conséquence du
puritanism e : religion de gens obligés autrefois de déifier la femme trop
rare et précieuse à l’époque de la grande immigration ; religion de gens
forts qui ont, social ement, peur de femmes armées par la loi de m itraillettes
et quasi-assermentées ; religion de gens qui ont à leur façon refait un mystère
de l’amour.
S’il y a en revanche un pays où l’amour n’est guère un mystère, c’est bien
la France. Peu rêveur, peu excessif, poète verbal quand il est poète, le Fran
çais ne déteste pas payer de mots son désir, sa vanité, sa déception, sa faim.
L’aptitude à se soulager de paroles n ’est pas le fait des nordiques, le goût
d’appeler les choses par leur nom pas souvent celui des Anglo-Saxons. De là
un penchant à se soûler d’images que le Français, même ému ou en admiration,
dépouillera de toute magie par des commentaires, alors que l’étranger s’en
imprègne et les absorbe en silence, avide, arrivant à trouver tout ce qu’il
cherche dans tout ce qu’il fouille et pique du regard.
Le nu est l’ennemi de l’érotisme, surtout dans la lumière du studio, cruelle,
fausse, indiscrète. L’érotisme au cinéma fleurit dans l’allégorie, le détail
fugitif, la promesse, la feinte et le rêve, car le lyrisme est rarem ent atteint ou
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rarem ent accepté et le cynisme difficile à étaler. Ce n ’est guère que dans
L’Ange bleu que le ventre de la vedette occupe aussi souvent le centre de
l’écran que sa tête. Ainsi la morale conventionnelle à la mode favorise-t-elle la
fabrication des images érotiques de consommation courante, et ce ne sont
pas souvent les films farcis de filles en maillot de bain, qui font venir et re
et re et revenir certains spectateurs capables d’extraire d’actrices aussi peu
effrontées que Gene Tierney ou Claudette Colbert dont ils savent peu à peu
percer toute l’intimité en inventoriant et collectionnant avec amour leurs
attitudes, leurs gestes, leurs inflexions de voix sans parler de chaque détail
de leur joli corps à la faveur d’une succession de toilettes composées selon
de savants dosages. La censure favorise avec une innocence admirable cette
élégante tricherie où tout le monde trouve son compte. Rien de moins excitant
que le déballage dansant d’une jeune péronnelle avantagée mais raide qui
croit prendre le genre émoustillant d’une cocotte fin de (xixe) siècle. Rien de
plus attachant que le soupir d’une poitrine souple et discrète sous le satin
lisse parce que nette de toute fortification fallacieuse.
La valeur érotique d’un film dépend d’un certain illusionnisme poétique.
La valeur commerciale de l’érotisme au cinéma est lié à l’entretien d’un cer
tain appétit dans le public, à l’offre de plaisirs à la fois proches et d’une
qualité introuvable, à un appel à l’action tempéré par de folles ou tendres
invitations au rêve. L’oriental sait que ce qui est achevé est fini, passé, mort.
L’artisan hindou laisse volontiers quelque chose à term iner dans l’objet qu’il
a patiemment exécuté.
9
« L ’érotisme freudien, depuis les "belles armées de l’exprès s ion nisme "berlinois puis le fameux M ontreur
d’Ombres... ». JT. G. Auriol avait, fait spécialement tire r cette photo de R n th Weyher dans Le M ontreur
d ’Ombres de Robin son (1922) pour illustrer son essai sur l’amour au cinéma.
10
« L ’érotisme réaliste, généralement sanglant... » : Jean Giibiii et Blanchettu lirunoy
dans La Bête Humaine do Jean Eenoir (19BS ).
les yeux d’une femme dont un costaud romantique fixe non pas le corsage ni
même les lèvres mais les perles ijui luisent à son cou; le second est d’aller
d’audace en audace, de laisser les évanouies retroussées jusqu’aux hanches
dans la boue du chemin, de placer la caméra toujours plus près du sol pour
avoir un point de vue résolument animal de la baigneuse en short et du
fringant cavalier qui enfourclie sa monture. Mais bientôt, de ce côté, on
arriverait à l’impasse de la pornographie.
**
L’Arabe qui vit tourné vers l’intérieur réagit soudain avec beaucoup plus
de vivacité devant l’attrait d’une Vivien Leigh en robe du soir, par exemple,
que l’occidental curieux avant tout des apparences, dont il se nourrit mais
aussi" se défie ; et les coupures des curés de Bretagne sont des prélèvements
insignifiants en comparaison des suppressions, non seulement de scènes de
chaude passion et d’çbats de girls mais de vues apparemment indifférentes de
dames occupées à se coiffer ou obligées de courir sous la pluie, pratiquées par
les fonctionnaires de pays d’Asie méridionale soucieux de protéger la popu
lation contre des provocations si immédiates à l’hommage physique.
Là les femmes n ’étaient pas admises, non plus que les aveugles, mais il
serait, par ailleurs, puéril de nier que la consommation d’images et de traits
érotiques est au moins aussi nécessaire à la femme qu’à l’homme dans le monde
moderne.
H n’y a pas lieu de s’étendre longuement sur ce sujet mais il apparaît
évident que, d’une part, le spectacle de l’homme, qu’il boxe, qu’il peine, qu’il
muse ou qu’il fasse le beau, rude ou suave, vaut le dérangement quotidien
II
A ntre exemple d’érotisme réaliste du genre vulgaire : Nathalie ïJattier dans
Porte d’Orient,.
(1) Les beautés professionnelles ne sont pas les seules à se surnom m er G reta ou
Danielle et à chercher à se faire dire q u’elles « font penser » aux étoiles les plus célèbres.
L ’adolescente (ou la dame mûre) qui se coiffe comme telle v edette et sait ou s’im a
gine q u ’elle lui ressemble, se dit qu'elle s’a ttire ra les mêmes aventures et les mêmes
a m a n ts qu’elle lui a ura vus dans les films.
(2) On se m oque ou s’indigne volontiers en France de la mobilisation des pin-up
girîs destinées à soutenir, à distance, le moral des troupes américaines. Mais il n ’y a
p as si longtemps que le Ministère de la Guerre offrait, su r affiche, une tonki-ki, une
tonkinoise à ceux qu’il in vitait à s’engager dans la « coloniale ».
12
Que ce soit pour effacer la relative austérité du XIXe siècle ou pour des
motifs historiques, biologiques ou diaboliques, il est évident que notre époque
•est celle de l’aimantation du sexe et celle où l’on, nie le plus volontiers
l’autorité et même le pouvoir de l’esprit, où l’on attribue au contraire toute
puissance au subconscient, donc à ce qui est non pas au-dessus ou au niveau
du conscient mais au-dessous. Il est d’autant plus amusant de voir faire
constamment appel au conscient et à l’imagination en éveil pour multiplier
la valeur physique de l’être humain et pour offrir aux gens des moyens, décents
de manifester directement ou indirectement leur instinct sexuel, voire le
.stimuler.
Il y a quelque chose de trouble, de puéril, de touchant et tragique tout
à la fois dans cette publicité. En tout cas, n’est-il pas significatif qu’il existe,
depuis près de vingt ans et pas seulement en Amérique, une production spé
ciale de films de la jungle avec hercules apollinisés mais seulement capables
•de s’exprimer par cris et par gestes et sauvagesses vêtues de peaux de bêtes,
prêtes à devenir bêtes apprivoisées sous de liliales mais illusoires toilettes
blanches ? On sait que Dorothy L amour, par exemple, ne joue guère d’autres
rôles que la dryade moderne, la Cxrcé sans le savoir, la guenon épilée et que
des aventures pour enfants comme celles de Tarzan contiennent toujours des
morceaux de choix pour collectionneurs. Le cinéma pourrait lim iter sa mission
au lancement d’incubes et de succubes, demi-déités aux apparitions démocra
tiquement accessibles à tous les fidèîes des salles obscures. Cette mission, il
l ’accomplit d’ailleurs avec le plus estimable souci de convenances et des goûts
Erotisme poétique : Louise Bi'ooks dans The Ca.na.ry Murder Case (1929) qu’Auriol
citait comme « exemple d'idéalisation érotique dû à l’a r t d u costumier
Travis Banton ».
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changeants de masses, enclines à s’assoupir et qu’il faut pratiquem ent réveiller
à coups de poings dans les yevix. En revoyant des films des années 20, nous
constatons que la mise en valeur des idoles de la foule y était plus directe
qu’aujourd’hui. Les vamps — espèce en voie de disparition — avaient une
grande liberté d ’action et Valentino n’était pas un de ces apprentis séduc
teurs qui prennent la précaution de verrouiller la porte que la vierge ou
l’aventurière n ’entend pas se fermer sans un frisson d’impatience. Dans les
images silencieuses, ce sont les lèvres, les yeux, les mains qui parlent aux yeux,
puis au cœur. Lèvres humides des Poîa Negri et des Nita Naldi qu’un filet
de salive, brillant comme un fil de la vierge, reliait encore un instant à la
bouche du jeune premier après le baiser lentement savoure. Paupières lui
santes battant sur des yeux de velours ; narines palpitantes ; mains sombres
des. beaux vagabonds à la face cuite par le soleil des quatre hémisphères,
mains de feu sur la main de ueige ou le dos ployant de la tendre proie vêtue
de linon immaculé.
Du brocard borgiaque, traînant voluptueusement jusqu’au1delà des talons
de neuf centimètres ou des franges de perles, point le pied cambré dans un
soulier clouté de diamants ; et la cuisse, généreuse, et la croupe, harm o
nieuse, attirent la lumière sur la soie chatoyante qui les moule. La chair
au-dessus des'bas n’apparaît, doux éclair, qu’à la faveur d’un hasard étudié.
Sur l’écran muet tout parle aux yeux ; et les dents blanches comme des
amandes ou la souriante commissure d’un genou ont plus de prix que les
naïves exhibitions de mannequin des Folies-Bergère. Pourquoi le metteur
en scène dévêtirait-il grossièrement la dame (Gloria Swanson, Vera Reynolds,
A gaucho : érotisme pseudo-freudien, Vcra Molnar dfins Une Fille d u Tonnerre (19 51). A droite : la
scène célèbre du bain de Popée (Claudette Colbert) dans le de fa Croix do Cecïl B. de Mille (1932).
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« Trop belles pour vivre » la vamp platinée Jeanne Harlow (à gaucho) et la spirituelle et exquise
Carole Lombard (à droite), >
Evelyn Brent, etc.) qu’il sait faire asseoir en repliant une jambe, pour faire
saillir la cuisse et laisser briller une jambe, souple comme un bras, au pied
gante comme une main, dont on voudrait baiser les doigts polis. A l’époque
de la poitrine plate, l'épaule et l’aisselle ont un lyrisme accentué et le bras est,
plus que jamais, lisse et vivant collier.
Bâtie comme un damoiseau, la lointaine Garbo s’est toujours modestement
découverte. C’est dans un regard perdu, les lèvres entr’ouvertes et la respiration
coupée, prête à défaillir, qu’elle nous révélait le sublime éclat de la m inute
où elle devenait plus belle que belle, — dans quelle étreinte ?
15
Auriol définit ainsi J’érotisme familier : « il consiste à 11e pas avoir l’air do savoir que l’on montra
ce que l’on m o ntre». Aurait-il accepté pour l’illustrer cette image-clef d ’A spkalt Jungle do
John Huston (1950) 1
vertnre de toutes les publications illustrées du monde entier, à croire que les
Hommes sont retombés à l’état de petite enfance ».
Après la disparition d’Olive Bord en, Billie Dové et autres merveilles à
la ligne explosive, c’est à partir de Jeanne Harlow et pour sa courte gloire que
l’on prit l’habitude de photographier de profil les actrices particulièrement
avantagées — les cinéastes sachant que le manque de chaleur persuasive d’une
diction maladroite ou d’une récitation monotone ou l’impassibilité du visage
pourtant aimable d’une actrice est parfaitem ent compensable par son air angé
lique d’oublier qu’elle apparaît comme une véritable provocation au viol. Les
apparitions de Jeanne" Harlow, Hedy Lamarr, Rita Haywortli, etc., ne sont-elles
pas toujours saluées d’un concert de sifflements admiratifs ? De même, tant de
costumes trop savants ou de trop simples robes, excessifs ou laids selon le
goût, des couturiers parisiens, sont des déguisements non déguisés qui appellent
le pillage et la mise à sac de ces satins trop travaillés ou de ces déshabillés
trop surchargés. -
La lim ite de l’indécence est officiellement tracée aux Ktats-XJnis et en
d ’autres pays, et tacitement acceptée ailleurs ; mais peu im porte que la jupe
ne doive pas être retroussée même dans la bagarre, même dans la tempête, mêmé
en cas de légitime défense plus haut qu’à tel centimètre frontière quand une
personne aussi « comme-il-faut » que, par exemple, Claudette Colbert (qui
fû t cependant Poppée et Cléopâtre et que Cecil B. De Mille, qui s’y connaît,
plongeait dans de voluptueux bains de lait d’ânesse) apparaît tellem ent plus
16
affriolante en simple costume tailleur ou en robe du soir déjà amoureusement
collée, à son corps menu, exquis ayant les yeux considérant sa fuite échevelée,
ses efforts à se dégager d’un torrent ou simplement des bras du garçon qu’elle
n’embrassera que vingt ou quarante minutes plus tard ; qu’importe quand la
diablesse à la chasse au m arin en permission s’échine, aidée de' peu galants
excentriques, à sauter un m ur où elle grimpe de toutes les façons et d’où elle
choit dans toutes les positions.
Apparemment froids, les personnages du cinéma anglais savent laisser
deviner une chaleur que ceux du cinéma italien, moins patients, révèlent tantôt
avec une liberté, tantôt une réserve également éloquentes. Et, nouvelle incar
nation de là passion nordique fleurissant sous les tropiques dès lampes à
incandescence, Ingrid Bergman est-elle plus émouvante lorsqu’elle m eurt du
désir de dévorer l’oreille de Cary Grant (Notorious) , ou quand lé Dr J ekyll
devenu le monstrueux M. Hyde la torture, l’abêtit, l’affole de paroles de mépris
et de menaces et lui arrache un gémissement de m artyre en lui jetant pour
finir une grappe de raisins qui souille' simplement sa joue fraîche.
L’instant est plus poignant que s’il la traînait par les cheveux et la pié
tinait. E t il serait dérisoire, sans doute, de voir des àctëurs faire l’amour au
cinéma lorsqu’on a contemplé l’admirable geste de la Femme au corbeau
(Mary Duncan) écartant son manteau pour se coucher chaude sur le corps
glacé du grand gars qu’elle ram enait à la vie en lui donnant son souffle,
flamme vivante qui brûlait la toile blanche de l’écran.
J ean George A u r io l
« L ’érotisme, poétique, dont les effets ne sont guère heureux que s’ils sont dus au h asard »... Qui
croirait en effet que cette gracieuse apparition d’Odile Versois, nue dans un payasage à la Tanguy,
imisse être tirée de la consternante Domenica do Maurice Cloche?
17
NAISSANCE
D ’UN
FI LM
par
S. M. Eisenstein
18
S, M. Eisenstein : Le Cuirassé PotemJcvne. La scène -îu quartier de viande pourri
qui déclenchera la révolte.
19
de la fusion du « nous » révolutionnaire. C’est ce passage qui me fut grande
m ent facilité par la timide, infiniment modeste et gentille petite Nouné
Agadjamnva aux yeux bleus (Nouné, ainsi sonne Nina en Américain). E t
pour cela, elle a droit à une plus chaleureuse reconnaissance.
I
Pour faire un film sur un cuirassé, il faut ...un cuirassé. E t pour retracer
l’histoire d’un cuirassé de l’année 1905, il faut notam m ent que le cuirassé
soit du type 1905. E n vingt ans — nous étions alors dans l’été 1925 — les
silhouettes des bateaux de guerre avaient changé du to u t au tout. Ni
dans la baie de Louga, du Golfe de Finlande, — c’est-à-dire dans la flotte
de la mer Baltique —, ni dans la flotte de la Mer Noire, il n ’existait plus
de cuirassé du type ancien. Voici un cuirassé qui danse gaiement sur les
eaux de Sébastopol. Mais ce n ’est pas du to u t celui qu’il nous faut. Il n ’a
pas cette croupe large, si particulière, il lui manque le pont arrière, théâtre
du céièbre drame que nous avons à reconstituer. Quant au véritable
« Potemkine » il est mis à la, ferraille depuis des années. Impossible même
de retrouver la trace de l’histoire dont le tourbillon a dispersé et balayé
la lourde cuirasse de tôle qui recouvrait autrefois les flancs robustes du
bateau. Toutefois les limiers de la recherche nous firent savoir que si
le « Prince Potemkine de Tauride » lui-même n ’était plus, son ami et parent,
du même type, autrefois puissant et glorieux, le cuirassé « Douze Apôtres »
était encore en vie. Enchaîné à la côte rocheuse, rivé par des ancres de fer
au fond sablonneux de la mer, sa carcasse jadis héroïque, se dressait au
fond d’une des anfractuosités les plus lointaines de la baie. Là, dans des
souterrains profonds qui prolongent les criques - du Golfe de Sébastopol
jusque sous les montagnes, sont déposés des milliers de mines. A l’entrée
du souterrain, enchaîné comme un cerbère vigilant, s’allonge le grand corps
gris taché de rouille du « Douze Apôtres ». Mais sur l’énorme dos du gardien
— cette baleine somnolente — on ne distingue plus guère les tourelles
des canons, les mâts de flèches ni le po.nt du capitaine.
Le temps les a emportés. E t seul le ventre d ’acier creusé des nombreuses
galeries répond par un grondement au roulement des wagonnets qui
em portent le contenu lourd et meurtrier de ces voûtes métalliques : des
mines, des mines, des mines... Le corps du « Douze Apôtres » est devenu
lui aussi un entrepôt de mines. C/est pourquoi on l’a si soigneusement
enchaîné, fixé et rivé à la terre ferme : la mine n ’aime pas les secousses,
la mine évite les chocs, la mine exige l ’immobilité et le calme.
* ‘
Il semblait que le «Douze Apôtres» fût figé à jamais, immergé jusq u’à
la taille dans les eaux silencieuses de la baie de Sébastopol. Mais la baleine
d’acier allait se réveiller : une fois encore ses flancs allaient bouger. Une
fois encore elle allait pointer vers le large son nez q u’on aurait cru pour
toujours braqué sur les falaises. Le cuirassé est to u t contre la côte rocheuse,
orienté parallèlement à elle. Or le drame sur la plage arrière doit se passer
en pleine mer. Impossible de prendre les vues, soit de côté, soit de la proue
du cuirassé, si l’on veut éviter les noirs abruptes rocheux qui entreraient
dans le champ. P o u rtan t l'œil vigilant de Locha Kriounkov, l’assistant
m etteur en scène, qui a déjà découvert le grand vieillard d’acier dans les
20
S. M. Eisenstein : Le Cuirassé Potemkine. Les préparatifs do l’exécution (à gauchs) puis la révolta
parvenue à son paroxj-sme (à droite).
2!
Ce n ’est pas pour rien qu’elles reviennent dans ces pages. C’est sous
le signe des mines que to u t le travail s’accomplit. Défense de fumer. Défense
■de courir. Défense même d’aller sur le pont, sans nécessité absolue. Plus
redoutable encore que les mines est leur gardien, le camarade Glazastikov,
qui nous est spécialement adjoint. Glazastikov n ’est point un jeu de
m ots (1).
P o u rtan t hélas ! il exprime le regard même de cet œil d’argus qui
protège des flammes et des secousses superflues les galeries de mines sous
nos pieds. Il eût fallut des mois pour décharger les mines et nous n ’avons
que quinze jours pour achever le film avan t l’anniversaire. Essayez un
peu de tourner une révolte dans de pareilles conditions ! Mais « les obstacles
n’existent pas pour les Russes », et la révolte fut tournée 1 Ce n ’est pas en
vain que les mines ont remué dans le ventre du vieux cuirassé et frémi du
fracas des événements historiques qui reprenaient vie sur le pont. Le
rejeton' cinématographique a emporté dans son to u r du monde quelque
chose de leur puissance explosive. L ’image du vieillard révolté a causé bien
des inquiétudes à beaucoup de censures et de polices d’Europe. Il n’y eût
pas moins de remous dans l’esthétique cinématographique.
II
22
S. M. Eisenstein : Le Cuirassé Potemlcine.. La procession, dans Odessa. On remarque
la décomposition en trois « lignes » du passage de la foule.
Une légende veut que ce soit moi qui aie interprété le rôle du pope dans
3e film. C’est faux. Il fût confié à un vieux jardinier des vergers de la ban
lieue de Sébastopol. Celui-ci le joua avec sa vraie barbe blanche, vaguem ent
peignée pour la circonstance, et de faux cheveux blancs. À l’origine de la
légende se trouve une photo de travail : on m ’y voit avec une fausse barbe,
affublé de la perruque et de la soutane dans laquelle avait tourné le vieux
jardinier. Je suis maquillé pour le doubler car ce vénérable vieillard devait
dégringoler un escalier. II était pris de dos : je ne voulais pas me priver du
plaisir d’accomplir personnellement cette dégringolade.
Le troisième protagoniste im portant est resté lui aussi anonyme —
bien mieux —, il est resté même hors-champ. Heureusement, car c’était
moins un collaborateur qu’un ennemi enragé des prises de vues. C’était
le gardien du parc du Palais d’Àlompka. Un instant de plus et ses souliers
fatigués, son pantalon avachi apparaissaient sur l’écran. On le trouvait
toujours assis en effet sur la tête d’un des lions de marbre pour nous empê
cher de le tourner et à chaque lion il réclamait une permission spéciale.
Ce qui nous sauvait c’est q u ’il y a en tout six lions sous cet escalier. E n
courant avec la caméra d’un lion à l’autre, nous sommes parvenus à si
bien embrouiller ce rigoureux gardien de l’ordre qu’en fin de compte il
nous ficha la paix et nous réussîmes à prendre trois des fauves en gros plan.
« Les lions cabrés » furent donc encore une « trouvaille sur place », un jour
que nous étions allés nous reposer à Alompka parce qu ’on ne tournait pas.
Autre trouvaille sur place : les fameux brouillards. Une matinée
brumeuse sur le port. Le coton recouvre le miroir du golfe : c’est le « Lac
du Cygne » tel qu’on pourrait le voir au théâtre d’Odessa, mais cette fois
parmi les grues et les débarcadères du port. On eût dit que des jeunes filles
23
envolées au loin telles des cygnes blancs avaient abandonné leurs voiles
blancs sur les eaux. La réalité fut plus prosaïque ; les brouillards sur les
golfes signifiaient' un jour chômé, un vendredi noir sur le plan du travail
du film. Il y eût jusqu’à sept vendredis noirs dans une semaine. Nous voilà
en dépit de la blancheur vaporeuse face à face avec un de ces vendredis
noirs. Les squelettes noirs des grues qui se dessinent à travers la blancheur
de fleur d ’oranger des voiles de brume nous le rappellent d’une façon lugu
bre, ainsi que les corps noirs des bateaux, des péniches et des navires
marchands, semblables à des hippopotames se, d éb attan t dans la mousse
line. Ça et là, la charpie brumeuse et échevelée est traversée par de rares
fils de soleil. Le brouillard prend des taches de rose et de roussi et devient
chaud et vivant. Mais voici que le soleil à son to u r s’enveloppe de nuages
comme s’il était jaloux de sa propre image vêtue d ’un duvet de cygne dans
les eaux. « E t pourquoi pas moi ? » dit-il. Bref, pas de prises deTvues.
Chômage. La location d’un bateau coûte 3 roubles 50. E n compagnié^de
Tissé et d’Alexandrov je me promène sur les eaux du port brumeux comme
dans d’infinis vergers de pommiers en fleurs. « Trois hommes dans un
bateau... ». Notre caméra, chien fidèle, nous accompagne. Elle comptait*—
comme nous — se reposer aujourd’hui. Mais l’ardeur inlassable des trois
promeneurs l’oblige à manger du brouillard. Le brouillard s’accroche à
l’œil de l’objectif comme du coton aux dents. « Ces choses-là ne se tournent
pas » semble chuchoter le pignon de l’appareil. Son point de vue est
confirmé par un rire moqueur jailli d ’un bateau que nous croisons. «Des
rigolos». Celui qui se moque ainsi de nous, c’est un opérateur, qui se trouve
là lui aussi pour un autre film. Son corps décharné de Don Quichottè est
allongé dans l’autre bateau comme une perche. Surgissant p ar éclair, puis
s’enfonçant dans le brouillard, comme derrière un camouflage, il nous jette
au vol des souhaits ironiques de réussite. Les souhaits se sont réalisés.
A ttrapée par hasard et interprétée d’emblée, sous le coup de l’émotion,
la rencontre des brouillards devint im médiatement, dans le choix des
détails et les ébauches du cadrage, une matière première, un thème funèbre
d’accords plastiques. E t plus, au montage, des enchevêtrements ingénieux
composeront la symphonie funèbre à la mémoire de Valvoulintchouk. Ce
fût la prise de vues la plus économique du film : la location du bateau dans
la baie avait coûté en to u t 3 roubles 50. _ ^
III
La troisième trouvaille sur place fu t l’escalier d ’Odessa, J ’estime que
la nature et l’ambiance et le décor au m om ent de la prise de vues, aussi
bien que la totalité de la pellicule filmée au m om ent du montage sont sou
ven t plus « intelligents » que le scénariste et le m etteu r en scène.
Savoir discerner et comprendre ce que suggère la nature ou les angles
imprévus d’un décor conçu p ar votre imagination, savoir prêter l’oreille
à ce que disent « les rushes » unis bout à bout et les scènes qui vivent sur
l’écran leur propre vie, débordant quelquefois l’idée qui les a engendrées,
c’est là le souverain bien, le grand art. Mais to u t ceci exige une extraor
dinaire précision de la ligne créatrice d ’ensemble, q u’il s’agisse d ’une scène
particulière ou de toute une phase du film. E n revanche, il fau t au tan t de
souplesse dans le choix des moyens appropriés à la réalisation de ce qui
a .été conçu. Il fau t assez de rigueur pour savoir exactem ent la qualité de
S. M. Eiscnstein. Le Cuirassé Potemkino : l'hommage muet des citoyens d’Odessa
défilant devant le corps du Vakoulintchouk.
2S
u n cavalier brandir son sabre. Bref, l’escalier d’Odessa est le m om ent
essentiel dans le déroulement du film. L ’homme de la chaufferie, les brouil
lards et F escalier sont une répétition de l’histoire du film lui-même, ce
film qui fut tiré d’une côte de l’interminable scénario « L ’année 1905 »
em brassant une quantité d’événements. J ’avoue que le soleil n ’a pas l’habi
tu d e de prendre un verre chez moi fl) comme chez Vladimir Vladimirovitch
Maïakowsky. Néanmoins il me rend de temps à autre des services in a tte n
dus. Ainsi, en 1938, il se m ontra gracieusement pendant quarante jours
consécutifs tandis que nous tournions la bataille sur la glace aux environs
des Studios de Mossfilm pour Alexandre Newski. C’est encore lui qui força
impérieusement à plier bagage notre expédition cinématographique à
Léningrad en 1925, alors que nous avions commencé les prises de vues
retardées du film L ’année 1905. C’est lui qui nous envoya à Odessa puis à
Sébastopol à la poursuite de ses derniers rayons, nous obligeant ainsi à
■choisir parmi les nombreux épisodes du scénario l’unique qui pouvait être
tourné dans le midi. E t voici que cet épisode particulier incarne l’émotion
<le l’épopée de 1905 to u t entière. La partie a pris la place du tout. E t la
partie s’est imprégnée de l’émotion du toul. Comment la chose fut-elle
possible ? La revalorisation du gros plan qui transforme un détail d ’infor
m ation en une particularité susceptible d’évoquer to u t un ensemble dans
l’esprit et le cœur du spectateur y est pour beaucoup. Ainsi le pince-nez
du médecin au moment voulu prend la place de l’homme : le pince-nez
balancé par les vagues remplace le médecin en train de se débattre dans
les algues, après le jugement sommaire des marins. J ’ai comparé dans un
article cette méthode d’utilisation du gros plan à ce qu’on nomme en
poétique synecdoque. Les deux procédés relèvent directement de notre
capacité intellectuelle et affective d’assimiler le to u t à la partie. Mais quand
•donc ce phé nomène deviènt-il possible dans une œuvre d’art ? Quand donc
une partie , une particularité, un épisode sont-ils susceptibles de prendre la
place du to u t selon une véritable nécessité et d’une manière exhaustive ?
Bien entendu seulement au cas où la partie, la particularité, l’épisode sont
carac téristiques. C’est-à-dire lorsqu’ils contiennent effectivement le prin
cipe d u tout, comme le fait une goutte d’eau. L ’image du médecin avec
sa ba rbiche pointue, ses yeux de taupe, sa vue bornée répondent parfai-
te m e n t au pince-nez du modèle 1905 attaché tel un fox-terrier par une chaî
nette métallique, qui se glisse dërrière l’oreille. C’est exactement ainsi que
l’épisode de la révolte a rassemblé en lui, historiquement parlant, une
q u a n tité innombrable d’événements, profondément caractéristiques de
cette année 1905 « répétition générale d ’Octobre ». Le morceau de viande
-avariée grandit jusqu’à' devenir le symbole des conditions inhumaines de
vie, imposées à l’armée et à la flotte, aussi bien qu ’aux exploités de « la
gra nde armée du travail ». La scène de la plage arrière a absorbe les traits
de cruauté caractéristique de la répression tzariste contre tou te ten tativ e
<de0révoIte. Cette scène symbolise également le mouvement de riposte non
m ins caractéristique de ceux qui reçurent en 1905 l’ordre de sévir contre
les révoltés. Le refus de tirer sur la foule, sur la masse, sur le peuple, sur
le s frères, c’est un élément propre à l’atmosphère de l’année « cinq » ; il illustre
le passé de plusieurs unités de l’armée que la réaction. lâchait contre les
révoltés. La scène funèbre devant la dépouille mortelle de V akoulintchouk
(1) Allusion au célèbre poème de Maïakowsky : “ Le Soleil” .
26
S. M. Eisenstein : Le Cuirassé Potemkine. La scène de l’escalier d'Odessa dont
son autour dit qu’elle est « le moment essentiel dans le déroulement, du fllm ».
IV
Revenons aux protagonistes et aux anonymes. Presque tous sont
anonymes, excepté fa c te u r Antonov qui joua le rôle de Vakoulintchouk,
Grégory Aîexandrov — Gilarovski, feu le m etteur en scène Barski,
27
S. i l . Eisenstoin : Le Cuirassé Potemkine. Scènes de la répression des manifestations de sympathie des
citadins d ’Odessa & T ê ta r d ^des m utins du « P o tem k in e» .
k . ^
Golikov et le m aître d ’équipage Levchin dont le sifflet nous fut si utile
au cours du travail. Que sont devenus ces centaines d’anonymes qui accou
rurent à nous avec enthousiasme, qui sans jamais relâcher leur zèle mon
tèrent et descendirent l’escalier du h au t en bas par une chaleur torride»
qui suivirent sur la jetée le cortège funèbre en une file interminable. Celui
que j ’aimerais rencontrer par dessus tout est cet enfant anonyme qui
pleurait dans la petite voiture tandis qu’elïe dégringolait l’escalier en
sautant d ’une marche sur l’autre. Il a vingt ans aujourd’hui. Où est-il ?
Que fait-il ? A-t-il défendu Odessa ? Reposë-t-il dans une fosse commune
quelque p art dans le lointain Liman ? Où bien travaille-t-il à cette heure
à faire revivre Odessa ?
28
La l'oule un instant demeure figée : « Est-ce qu’il nous voit tous du haut
de cette maudite guérite ? Est-ce qu’il poursuit chacun de ceux qui courent
de son œil d’argus ? » « Connaît-il notre tête et notre nom à tous ? » La
foule fonce cette fois à une allure folle, absolument convaincue que personne
ne peut se soustraire au regard vigilant du démiurge m ètteur en scène.
Dans sa trom pette étincelante le metteur, en scène avait crié le nom.- du
seul figurant de la scène de masse qu’il connut par hasard.
Le moment est venu de rendre justice au principal anonyme non pas
cette fois l'anonyme protagoniste mais l’anonyme créateur. A notre grand
peuple russe, à son glorieux'passé révolutionnaire et à'son immense inspi
ration créatrice qui intarissablement nourrit le génie créateur de nos artistes
et de nos maîtres. Que soit offert ici à ce grand inspirateur composé de
millions et de millions d’individus, au véritable créateur de nos œuvres
la gratitude chaleureuse de tous ceux qui créent dans ce pays.
Cette gratitude profonde pour le peuple c’est le Grand Staline qui nous
l’enseigne.
- S ergei M ikhailovitch E isenstein
(Traduction de Colette A udry et Marina Stalio)
29
1933 : Sol Lesser utilise les fragments tournés de Que Viva Mexico ! et m onte
Tonnerre sur le Mexique, Kermesse funèbre et Eisenstein à Mexico
(inédit en France).
1933-1936 : Eisenstein enseigne la mise en scène à l’UniversIté du film de
Moscou.
1937 : Eisenstein commence puis abandonne Le pré de Béjine. Il se consacre
à Alexandre Newsky.
1938 : Alexandre Newsky achevé le 3 novembre est présenté le 23 novembre.
1939 : Aux U. S. A., Mary Seaton monte Time in the Sun avec des passages
inutilisés de Que Viva Mexico !
Eisenstein prépare- La bataille de Perekop.
1940 : Retour d’Eisenstein au théâtre. A Moscou, au Bolchoi Theatre, il
m et en scène La Walkyrie dont il dessine costumes et décors,
1941 : Eisenstein prépare Ivan le Terrible. Réalisation en novembre d’un
court métrage d’actualité Moscou se défend.
1943 : Le 22 avril, premier tour de manivelle à Alma-Ata d’Ivan le Ter
rible.
1944 : Ivan le Terrible est terminé.
1945 : Présentation à Moscou en janvier d'Ivan le Terrible.
1947 : Eisenstein a l'intention de faire un montage de Que Viva Mexico !
avec Tonnerre sur le Mexique et Time in the Sun (qu’il voit en
décembre 1946 pour la première fois), mais il tombe malade...
1948 : Le 11 février, m ort de Sergei Mikhailovitch Eisenstein.
30
UN BOVARYSTE A HOLLYWOOD
(M ly W ilie r )
par
Jean Myrsine
32
cinéastes com me H ow ard H awks ou F ritz Lang sinon à certains, tels
que Dm ytryk, et justem ent ce Billÿ W ilder, ' lesquels derniers m isent
surtout sur le succès que suscite la représentation de m anières scan
daleuses. Ils sont conduits ainsi à l’exagération, à laquelle toute cette
génération française de la L iberation fut si sensible (quand sortit The
Lost W eek-E nd, quelqu’un ne p ari à-t-il pas de « pureté racinienne » ?),
qui p etit à petit se pique de se pouvoir calculer elle-même. Nous leur
reprocherons cela : trop d’intelligence et trop de naïveté dans l ’auto
critique; L eur mise en scène est bâtie sur une si grande volonté de
« typisation » q u ’elle plaît singulièrem ent à ce que chez beaucoup
elle eM eure d’écœ urem ent. Yoye.z l’image qui orne la couverlure de
ce Cahier, et considérez ce souci de ne dégager du réel que ce q u ’il
offre de moins pur, de nous loucher que p a r excès.
33
Rem arquons d’abord combien .Billy W ilder est aussi agréable à
suivre lorsqu’il nous conte les heurs et bonheurs d ’uiie fausse p etite
fille dans un pensionnat de soldats (The Major and the Minor), les
intrigues d’une chanteuse dans un Berlin p o u r m ilitaires en civil
(Â F oreign A (fa ir), que lo rs qu’il affiche une si vive insolence à l'égard
du ciném a qui le fait vivre; L’éloquence..n’est ja m ais si dure que
quand elle raille ce dont elle s’inspire. J ’avoue, dans Sunset Boulevard,
avoir aimé au tant les scènes d ’am our entre le scénariste et l’intrigante
secrétaire de production que celle de la triste apparition de Bus ter
Keaton, ou celle de Cecil B. De Mille refusant d’engager l’anciënne étoile
du m uet N orm an Desmond (qui fut tournée telle quelle, sans nul doute,
parce que, Gloria Swanson faisait réellem ent sa rentrée dans ces
mêmes studios). Il est toujours dangereux et m alhabile de raco n ter à
la troisième personne ses propres aventures ( 1 ) F laubert, jadis, s’avisa
dé tricher pareillem ent ; on m e dira que c’est une question de g ra m
maire, m ais je répondrai que j ’im agine d’abord (pour un tel form aliste)
q u ’il n ’en dut pas dorm ir, puis qiï’i i s ’en tira par un procès : « M adam e.
Bovary >> est plein d’irritantes" confusions p a r le fait que son a u te u r
n’osa se résoudre de l’écrire en disant « je ». Voyez pour plus de
preuve lé d ernier film de n o tre,tandeïxi, The Big' Carnival, anciennem ent
Ace In The Hole, et baj>tisé en français Le Gouffre aux Chimères,
voyez sur quoi repose ce film couronné il y a m oins d’un an à la
Biennale de Venise : uii joiirnalisté, en m at de copie, retarde à dessein
le sauvetage d’un hom m e enseveli sous une colline. Il n ’est point m êm e
im m oral mais seulem ent am oral en agissant -'des cette façon.
J ean M yrsink
(1) Faisons rem arquer aux am ateurs de théories littéraires qu’il est im pos
sible d’écrire un rom an d-amour à plus de deux personnages, de sexe opposé, et
sans dialogues, sans y m êler le n a rra te u r à la prem ière personne. Essayez plutôt t
34
BIOGRAPHIE ABRÉGÉE DE BILL Y WILDER 1
35
Réflexions sur le Referendum (Suite et fin).
Voici les recettes d’exclusivité réali 13. Sans'■ laisser d ’adresse (4) :
sées à P aris durant l’année 1951 p a r 24.805.404 fr.
quelques-uns des films cités à notre 14. Sous le ciel de Paris (3) :
referendum publié dans notre dernier 23.361.243 fr.
numéro. Il est utile de souligner que lés 15. Le voleur ,de Venise (1) :
recettes de Paris form ent généralement 22.356.325 fr.
2/3 des recettes globales sur l’ensemble 16. Rio Grande (2) 21.476.764 fr. ..
de la France. 17. Midi, gare centrale - (2) :
Le chiffre placé entre parenthèses 18.641.561 fr.
après le titre du film indique le nombre 18. L ’ombre d ’un hom m e (8) :
' d e points obtenus à notre référendum, 17.164.460. fr.
19. Le voyage en A m é r iq u e -{2) :
1. Samson el ■Üulilu ((5) : 88.857.961 fr. 15.i39.232 fr.
2. Les mines du R o i S a l o m o n ■■ (14) f20. Deux sous de violettes (5) :
60.791.312 fr. . ' 14.068.326 fr.
' 3. Barbe-Bleue (5) : 48.838.246 fr. 21. Seul dans Paris (2)' 13.801.046 fr.
4. Boulevard du Crépuscule (29) : 22. La nuit est m on Roi/aume (5) :
46.560.000 fr. 12.803.635 fr.
5. Le garçon sauvage (7) : 42.691.048 fr.
6. La poison (4) : 41.520.530 fr. Sur The- River, Miracolo a Miltino,
7. Le Journal d ’un Curé de Campagne Los Olvidudos non.s ne savons rien
(53) : 37.787.957 fr. encore de définitif, ces films continuent
8. Eve (35) : 37.000.000 fr. une seconde; exclusivité. Signalons que
9. Une Histoire d ’A m our (2) : les recettes dé Sam son et Dalila et des
-v 34.356.198 fr. Mines du Roi Salomon sont, celles uni
10. L ’auberge Rouge (7) : 30.199.000 fr. quement de prem ière exclusivité.
11. E douard et Caroline (25) ' Au sujet de The R iver, nous ra p p e
29.800.819 fr.. lons que ce film a perm is aux salles
12. Les Contes d fHoffm ann (7) : d’exclusivité qui l’ont program m é de
28.646.303 fr. ' réaliser des recettes-records.
“ Les Temps Modernes” et le cinéma
37
le cinéma mais plutôt qu’ils ne sont pas liîiiit : Michelle Vian, comme Merleau-
arrivés à s’entendre avec lui, mésen Ponty, comme Latfay, s’intéresse' plus
tente qui se retrouve sur le plan de la aux « en marge du ciném a q u ’au
production entre Sartre et les films cinéma lui-même dont il ne semble pas
tirés de son oeuvre, La question est prouvé pour ces auteurs qu’il soit
8Etna doute très exactement là : Sartre digne d’en p a rler autrem ent, que sur
ini-iiiènie n’y « croit » pas tout à fait. le ton du badinage ou celui hautem ent
Là boutade, qüi lui est attribuée, lors détaché et pseudo-scientifique de la
de. la décision de confier la réalisation conférence en Sorhonne. On a beaucoup
des Mains Sales à Rivers : «A u moins écrit sur le cinéma mais il m anque
ça ne sera pas du cinéma » caractérise encore une «Défense et illustration >
bien ce conflit qui est d ’autant çlus ' qui convaincrait l’état-niajor des T.M.
c u rie u x - qu’il existe, en dehors inemé Leenhardt devrait,: s’en charger, ' qui
de la volonté de ses auteurs, nombre dém ontrait un jour à M. F lam and ’
de ■; collusions internes entre ! l’a rt du qu’aujoiird’hui une revue « d’o rd re
film et la pensée existentialiste. général » devrait être axée sur le
(Pagliero est celui qui trahit le mieux cinéma (comme la NRF l’était sur la
ces collusions : on trouve sous-jacents littérature) et p a r ta n t de là s ’étendre
dans scs films des thèmes courants aux autres arts..
chea Sartre et ses amis). On continue Après l’article de Michelle Vian,
donc. ■—• s’y est-on résigné ? aux comme auparavant après celui de
Temps Modernes à traiter ; le cinéma Merleau-Ponty, on était tout de; même
un peu par-dessous la jambe. J. H. Roy, en droit d’attendre u n dialogue plus
Jean Pouillon, B. Dort, H. Robillot, intime, plus satisfaisant entre les T.M.
Louis Ménard se voient attrib u er de et le cinéma. C’est le contraire qui se
temps en temps la corvée de service. produit dans le num éro suivant et
Relégués dans les pages finales, ils le Jean Cau — p ro c h e collaborateur du.,
font sans grande conviction. Le moins, « p atron » dont il n’est guère plausible
qu’on puisse dire c’est qu’ils ne m ani qu’il enfreigne les directives — signe
festent pas d’un enthousiasme débor J.C. deux articulets. dont le ton et la
dant à se pen cher sur les problèmes pensée sont indignes de la revue et
du cinéma. Ce ne sont d ’ailleurs pas de ses lecteurs. Jea n Cau donne dans
, eux qui sont en cause, ici mais plutôt le même numéro d ’excellentes « Notes
la politique générale de la revue en sur un voyage en Grèce » où l ’hum our
cette matière. Jean Gau vient de ii’exclut pas le souci d’objectivité p r é
prendre le relai et nous a llo n s 'v o ir cise Voire de respect à l’égard de la
plus loin de cruelle stupéfiante façon. Grèce éternelle. Dans le m êm e'n u m é ro
Avant d ’en arriv e r là il faut redire un donc, un même auteur fait preuve; de
mot de «T oto ou du m alheur d’être talent à propos de ceci et de niaiserie
objet » . de Michelle Léglise-Vian, b ril à propos de c e la ,, qui bien sûr est Je
lant pam phlet à propos de Miracle à cinéma auquel une fois de plus les T.M.
Milan p a ru dans le n° .75 desiT.M. E n refusent le bénéfice d’être traité sur un
réalité il ne s’agit pas d ’un article sur pied d’égalité avec les autres m atières.
le filni.de' De Sica mais de variations sur Pourquoi cette note sur Le Quai des
les gens qui ont parlé du film. A cet ; Brumes si elle n ’est que' l ’occasion de
égard, l’article est un des plus lucides, faire quelques « m ots » ? Ce film en
des plus éblouissants publiés depuis très., effet « classique ■ % a peut-être vieilli
longtemps, com parable seulement à mais il a joué un rôle trop im p ortant
' Bucéphale bicéphale de Nino F ra n k dans l’établissement à l’écran d’une
(Revue du Cinéma n° 8). . Mais après sorte de réalisme poétique (d’ailleurs
avoir plus ou moins ridiculisé discutable) p o u r qu’on puisse le liqui
MM. Cllalais, . Magnan, Boussinot, Mau der en quelques plaisanteries sur le
riac, Braspart, Bazin... etc., Michelle slierif Gabin. et le traître Brasseur
Vian ne conclut pas g rân d’chose sur déguisé en indien apachè (sic)1. P o u r '
le film. Elle à tellement brouillé les quoi, Seigneur ! P ou rquoi aller tire r de
cartes, joué avec toutes les opinions son glorieux jiassé Le Quai des Brum es
que l’on est presque su rp ris de son pour en dire du niai,.. sans même évov
avis personnel : « poésie profonde.:, quer le problème ?— celui-là très inté^
film surprenant... à demi raté, plus ressant — des « reprises ». Comme T a
émouvant qu’une réussite... optimisme dit Sclierer en p en sa n t précisém ent aux
désolé... (le) film n’est qu’un mot (ami ■ Temps Modernes i • « Si l’on, p arco u rt
tié), pas même une p h ra s e » . Et l’on la rubrique de ciném a des revues litté
retombe d a n si l’impasse évoquée plus raires de ces dernières années, toutes
38
soucieuses de m arquer l’intérêt fort vif 10 ■ km.i en Italie, c’est le plus court
qu'un esprit cultivé sc d o i t , aujour ch cmin pour regagner San-Fran cisco
d’hui, d’accorder au cinéma, on les et Neiv York » et retrouver t a douce,
rem arquera plus empressées à rendre si enveloppante béatitude de /’American
des films « dont on parle » un compte way of lile... etc. » (G). ■ . ■
justement sévère que de déceler, .les
œuvres ou leur adm iration p o u r cet art
.aurait tout le loisir de s’exercer. »
{Cahiers, du Cinéma n° 8. Sclierer est
encore trop indulgent car vous allez
voir ce qu’il est dit p a r Jean Cau d'une
de ces œ uvras sur lesquelles l’adm ira
tion .pourrait justement s’exercer.
Comme il faut juger sur pièces et
comme nous l’avons fait dans notre
dernier numéro po ur l ’opinion de
■ Klcber Iiacdens sur Le Fleuve voici
d’abord de. larges extraits ; de cet' arti
c le :
« Il est entendu que les Américains
réalisent des film s de guerre pour
prouver an m onde : i u leur amour de
paix ;. 2 ° leur volonté de. se battre et
de triom pher lorsqu’u n e 'ju s te cause
les sollicite (1). Commando de la mort,
éfomianf navet {2), est remarquable ‘à
cet égard. Une vingtaine de soldats Notes
américains vont débarquer sur une
petite plage italienne. Le « C o m
m a n d o » , à lui seul, est évidem m ent un
condensé des différents caractères de
VAmérique. Je dis bien caractères (3) (1) Jean Cau fait allusion ici aux war-
et non pas individus, races ou membres training /de 42-44 ou aux récents films
de clauses sociales. Il y a là : VIntellcc- américains de prop agande inspirés de
tnel-poète (pour les Américains nn intel la campagne contre le Japon ou, main-
lectuel.est toujours plus ou moins poète) tenant, de la guerre des Corée. Ce genre
'le ■■'Nerveux, le Calme, le Gouilleur, le de film est en effet in supportable et
Chef, etc... Ils sont tons possédés d ’une aucun d ’entre nous ici ne songerait à
merveilleuse frousse qui se traduit chez les défendre, mais A W alk in the Sun
lln lellectu el par un redoublement de (stupidement: tra d u it p a r -Commando de
poésie, chez le N erveux par un redou la mort) n’a absolument rien à voir
blement de nervosité, etc. (4). avec ce genre. Jean. Cau croit sans doute
Frousse ou - pas frousse, ils débar qu’il s’agit d’un film récent, or comme
quent et prenn en t p ied sur le sable nous l’avons déjà indiqué ici (n° 9) le
italien... Il s’agit m aintenant de prendre film est une production indépendante
la Ferme. Du coup, le chef du com- datant de 1945 qui a été plus ou moins
m ando a un nervous break down, autre boycottée et a attendu sept ans p o u r
m ent dit une terrible attaque de frousse. sortir en F rance avec un titre idiot,
Il en pleure et en m ord les aiguilles vingt-trois m inutes de coupures et une
de pin. Rassemblés discrètement autour publicité Pendant à faire erpire qu’il
de lui, l Am érique (c’est-à-dire te Poète, était du genre que justem ent Jean Cau
le Calme, etc.) ne juge, ni ne condamne, croit pouvoir lui attribuer. T ourné à la
n i ne rigole, mais com prend. A^orSj un belle époque de l'am itié américano-
hom m e surgit du rang et s’improvise russe, le film est un peu « pacifiste »
«chef% . Ça n ’est pas qu’il soit insen- comme A /’oues/ rien de nouveau (le
sible_ à la frousse, ce nouveau respon film) du môme Milestone et en tout cas
sable, mais il se domine, serre les contre la guerre qui y est ouvertement
mâchoires, parle peu et tire sur sa ciga considérée comme un phénom ène ab
rette. Bref : la ferm e est prise -(a).. surde. L’une des qualités du film est
Moralité : Les Américains ont la d’être justement le seul film am éricain
frousse, respectent la frousse du copain, de guerre anti-héroïque, ce qui explique
s’arrangent tout de m êm e pour gagner qu’il soit mal vu aux ■■U.S. A. Le contre
les guerres. Parce que «, progresser de sens de Jean Cau est donc total.
39
(2). Les 'p lu s mauvais critiques de est courant dans les quotidiens mais
ciném a n’ont pas osé esquinter ce film indigne d’une revue comme Les Tem ps
exceptionnel. On peut ne pas l'aimer,, Mode ruse. ..
mais déclarer que c'est un « navet » (G) Personne n’est l’apôtre aux
passe. l’entendement, Le simple parti- Cahiers du Cinéma de Yam erican way
pris de la structure du film (l’action of life. La p lu p art des « credos » amé
e s t'c o n té e toute entière sous le seul ricains n’y sont guère l’objet de sym
angle de vision du scddat à qui l’en pathie ce qui ne nous empêche pas
semble de la bataille échappe) devrait d’accorder au cinéma am éricain sa juste
retenir l’intérêt. place, qui est im portante. A W alk in the
(3) Que Milestone ait choisi l’aspect Sa n ' est le type même du film am éri
« caractère. » (qui est celui de l'excel cain anti-conformiste et à contre-cou-
lente nouvelle d’H arry Brown) fait p a r ra n t qu’il faut signaler et p roposer à
tie du libre choix de l'artiste. Jean Cau l’adm iration. Jean Cau pense à juste
veut-il condam ner l’écran à^notis ne titre beaucoup de m al du film am éri
savons tro p.quel « réalisme » m odeste ? cain de propagande guerrière ; il aurait
Le néo-réalisme italien décrit aussi des pu le dire à propos de vingt autres
caractères (cf. Païsa). films ; choisir A Walk in the Sun pour
ce faire en ignorant tout de son his
(4) A W a lk in the Sun est en effet toire et de ses intentions témoigne d ’une
assez « littéraire » et là n’est pas sa navrante légèreté à l’égard d ’un art qui
m oindre qualité. Un livre sur la guerre vaut les autres et est, comme eux, bon
peut dépasser les faits et aboutir à une ou mauvais suivant les auteurs et non
certaine stylisation, pourquoi pas un p a r nature. Aucun critique de ciném a
film ? La présence dans cette p ro d u c sérieux s’il se mêlait de littérature n’ose
tion d’une sorte de chœ ur « off » et ra it p a r exemple choisir Steinbeck ou
d’un monologue in térieu r est peu coût Faulkner p our dauber sur la mauvaise
rante et originale. littérature de « com portem ent ». De
(5) On p eut raconter n’im porte quelle cette dérisoire façon on peut faire rire
histoire de cette façon et la re n d re n’im porte qui en lisant sur un certain
ridicule. Il y a de l’escroquerie à défor ton n ’im porte quel passage de Sthen-
mer ainsi un réc it à la fois sanglant et dhal ou de Joyce. Dans ses re m a r
à-guerrier que son auteur résume quables « Situations », Sartre faisait
ainsi : « T out cela n’a été qu’une preuve d’une méthode plus rigoureuse.
petite prom enade au soleil, dérisoire- Mais nous allions oublier que le cinéma
ment facile ». Le procédé de Jean Gau ce n’est pas sérieux...
NOUVELLES DU CINEMA
FRANCE
A gauc.he, une scène de travail du Rideau Cramoisi. On reconnaît Alexandre Astruc on train de donner
des conseils à son interprète Anouk Aimée. A droite, Daniello Delonne et Olivier Hussenot dan-j
La jeune jolie que tourne Yves AJlégret.
41
Voici la première photographie arrivée en France de Vivo, Zapata la dernières
oeuvre d’Elia Kazan, Avec Détective S tory (William Wylcr) et l u Amêrican in
Paris (Vincente Minelli), Viva Zapata représentera le cinéma américain an
Festival de Cannes qui anrft lie u . à la fin de ce mois.
ETATS-UNIS
• John Brahm tourne The Miracle of Stendhal et une vie de Van Gogh.
L ady of Fatima avec Virginia Gibson, Marlon Brando et Micheline Presle
Gilbert Roland, Sherry Jackson, seraient les vedettes de ces deux films.
• Le dernier rom an d’Hemingway, • John Huston, actuellem ent en
Across the Hiver and into the tree ne F rance p o u r p ré p a re r un Toulouse-
serait plus porté à r é c r a n p a r Dmy- Lautrec avec José Ferrer, au ra it un
try k comme nous l’avions annoncé, nouveau projet : il s’intéresse à une
mais p a r King Vidor. nouvelle d'A lfred Mayes, « The Wit-
• Après Le complexe de P hüêm on, ness » et songe à Ingrid Bergman et
line antre pièce française sera tournée Marlon B rando pour en in c a rn e r les
héros.
à Hollywood. Il s’agit de La Cuisine des • Lewis Milestone vient de te rm in e r
Anges d ’Albert Husson, la révélation les prises de vues de la nouvelle v er
comique de la saison parisienne. Ni le sion du rom an de Victor Hugo, Les
réalisateur, ni les interprètes ne sont Misérables. Aux côtés de Michael Ren-
encore désignés. nie, Louis .Tourdan, D ebra Paget, R obert
• Rappelons que les Oscars 1952 ont Newton, Sylvia Sidney fait sa ren trée
été décernés comme suit. Meilleur film : à l’écran dans le personnage de F antine.
An American in Paris (Vincente Mi • H enry H athaw ay v ien d ra it en
nelli). Meilleurs interprètes : Vivien F rance to u rn er Sept petites croix dans
Leigh (A Streelcar N am ed Désir) et un carnet d’après Georges Sim enon,
H um phrey Bogart (The African Queen). avec R ic h a rd W idm ark.
Meilleure mise en scène : George Ste- • Le scénariste-réalisateur Gregory
vens (A Place in the Sim). Meilleur film La Cava (Mg Man Godfrey, Stage Door,
étranger : Rashom on (Akira Kurosawa). That E very W om an Knows) est décédé
• Une fois term iné Androclès et le à Hollywood à l’âge de 60 ans.
lion d’après B ernard Shaw, avec Jean • Byron Haskin commence La Guer
Simmons et Victor Mature, Gabriel P as re des Mondes d ’après le ro m an de
cal réaliserait u n film sur Gandhi. H.-G. Wells, avec Gene B arry, A nn
• Le pro d u cte u r Paul Graetz vou Robinson et P ie rre Cressoy p o u r ve
d ra it tourner Le Rouge et le N oir de dettes.
42
Une intéressante scène de travail de La Métamorphose tournée d’après K afka p a r
un groupe d'étudiants de l'université de MiclÛE&ïU
43
Après Rashomon à Venise, Le Rornan de Genji sera-t-il la révélation du festival de
Cannes T
44
ARGENTINE C H IL I. CUBA
• Justice est faite, sorti à Buenos- © Rendez-vous de Juillet a également
Aires en janvier 1952, a été extrêm e été bien accueilli à Santiago du Chili,
m ent bien accueilli p a r la critique. Le cep en d a n t que l’Association des Cri
public lui a fait également bon accueil, tiques de Théâtre et de Cinéma de La
mais non aussi chaleureux que p ré cé Havane (ARTYC) déclare La Ronde le
demment à Manon et au Diable au meilleur filin présenté à Cuba en 1951.
corps, qui ont été les best-sellers du Viennent ensuite : R iz Amer, Le Diable
ciném a français en Amérique latine... boiteux de Sacha Guitry, Cyrano de
quand les censures nationales ou locales, Bergerac, Gioe Us this Day, La Maffia
très intolérantes dans ces pays tr a d i (présenté en F rance sous le titre Giu-
tionnellem ent catholiques, ne les ont lono, bandit sicilien), Uïi Américain à
pas interdits. Manon qui, avec Dédé Paris, Strangers on À Train, B o n i
d ’Anvers, a particulièrem ent attiré les Yesterday, et Les Maudits de René Clé
foudres des censeurs., n’a jamais été ment.
autorisé p a r la censure m unicipale de
Buenos-Aires, mais l’était dans le reste VENEZUELA
du pays. Présenté d’abord à Mar del $ A Caracas,, La Ronde vient d’être
Plata, le Deauville argentin, les aficio autorisé p a r la censure, mais avec la
nados faisaient 400 km. p o u r ,l ’y aller m ention « P our hommes seulement »■.
voir, ce qui était quand même moins Cette seule mention, assure l’agent local
long que lorsque, pen d an t la guerre, ils du distributeur, prom et une. excellente
traversaient le rio de la Plata (une nuit recette.
de bateau) p our aller voir à Montevideo
Le Dictateur, in terdit en Argentine... BRÉSIL
Depuis, Manon s’cst ra p p ro ch é de la & Justice est faite, présenté en exclu
capitale, et installé dans plusieurs sivité à Rio-de-Janeiro en juin 1951, a
salles de banlieue. été jugé « le meilleur film français
P arm i les films étrangers projetés en depuis Le Diable au Corps » (Correo
1951 à Buenos-Aires, le journal corpo da Manha). II vient en tête du classe
ra tif P rojeccionks classe deuxième m ent des meilleurs films présentés à
Rendez-vous de juillet, après Demain il Rio en 1951, selon A Cena Muda (jan
sera trop tard (on se souvient que le vier 1952). Quatre films français sont
film de Léonide Moguy avait obtenu le dans les Iiuits prem iers : Justice est
G rand P rix au Festival de P u n ta del faite, Dieu a besoin des Hommes, R en
Este en 1951). dez-vous de Juillet, La Ronde. •
La bataille de Guernica
L ’attribution du p rix du « film à Or, une fois arrivé, le film fût in te rd it :
sujet » du Festival de P unta del Este le Comité Exécutif du Festival, au
a Umberto D de Vittorio de Sica n’a m épris de la lettre et de l’esprit du
surpris personne, et il satisfait b e a u règlem ent officiel, avait décidé d’en
coup de monde. En revanche, c ’est une su p p rim e r la projection. Im m édiate
véritable bataille qui s’est déroulée ment, l ’Association des Critiques et un
autour de Guernica d’Alain Resnais, certain nombre de personnalités ciné
dans la catégorie «film d’a r t » . Nous m atographiques e n tre p rire n t de faire
recevons d ’Uruguay à ce sujet les x^i’é- lever cette interdiction. Une prem ière
cisions suivantes : dém arche auprès des responsables de
Guernica était annoncé depuis long la Délégation française ne donna aucun
temps en Uruguay. La secrétaire de résultat. Une campagne de presse,
l’Association des Critiques de Cinéma menée p a r la bouillante Giselda, fit
d ’Uruguay, Giselda Zani, qui l’avait vu appel à l’opinion. Des membres des
projeter en Allemagne, était devenue délégations françaises et étrangères,
son plus enthousiaste supporter, et avait connaissant le film, adm irateurs de
obtenu, tant en F rance qu’en Uruguay, Resnais ou amateurs de la liberté
que le film de Resnais figure dans la d ’expression, entrèrent en lice. Deux
sélection française p o u r P u n ta del Este. jours avant la fin du Festival, alors que
45
des rum eurs selon lesquelles le Comité
aurait décidé d’em pêcher la projection
du film Gnernica d ’Alain Resnais, c o u rt
métrage d’a rt officiellement inclus dans
la sélection française de ce Festival.
Du fait de ces rum eurs, con sidérant
q u’elles constituent une atteinte à l’im
p artialité dont à fait preuve ju sq u’ici
le Comité E xécutif du IIe Festival de
P u n ta del Este, les soussignés d e m an
dent à M. le Président de faire en sorte
que la projection de ce film ait bien
heu, et qu'on en annonce la date,
com ptant ainsi couper court à ces
rum eurs qui portent atteinte au bon
renom des institutions dém ocratiques
uruguayennes, et dont la confirm ation
p o rterait atteinte à la Délégation fr a n
çaise elle-même.
Les soussignés, forts d ’antécédents
qui garantissent la plus haute qualité
artistique du lilra, considèrent que la
Délégation française, en le co m p ren an t
dans sa sélection p o u r le Festival de
P unta del Este, a honoré l’Uruguay.
Alain Resnais pilote lui-même son avion. N’ayant rien à ajouter, les soussignés
saluent M. le Président de leu r consi
nulle réponse n’était encore parvenue, dération la plus distinguée.
57 personnes de ces différentes catégo Ont signé :
ries rédigèrent une lettre au P résident H ank F ine (journaliste am éricain),
d u Festival, le p ria n t de couper court Daniel Gélin, Ernesto P aravis jr. Julio
aux « rum eurs » selon quoi Gnernica C. Ponce de Léon (journ. urug.), Dome-
n e serait pas projeté. Le dernier jour nico Méccoli (journ, ital.), Annette
du Festival, le jury convoqua une W adem ant, Pierpaolo P ineschi (journ.
réu n io n extraordinaire et décida de ne ital.), Jacques Becker, B ernardo Gier-
p a s décerner le p rix du film d 'a rt (le covsky (j. ur.) Luciana Vedovelli, Ann
ju ry de l’ACCU ne décernait que quatre Todd, P. Pedragosa Sierra, Jaim e F r a n
p rix , un p our le meilleur film et trois cisco Botet (jury de l ’ACCU), Maruja
p o u r les courts métrages : dessin animé, P ereda de Castillo, Beatriz P ereda de
docum entaire et film d’art) si Gnernica Salaberry, R.M. Arlaud, Michel Auclair,
n ’était pas m ontré au public. La séance Ramon Gonzalez Almeida, Esteban Sala
de clôture était prévue pour 23 h. 15. berry, Mauricio Muller (j. ur.), T re v o r
A neuf heures du soir, on ap p ren ait H ow ard, Carlos Borche (jour, ur,),
que le film était finalement autorisé, M.S. Jacoby (j. arg.)> Luis Alemany,
A dix heures, on le projetait. A onze Maruja Echegoyen, Maria Julia Quadros,
heures, Gnernica rem portait le p r ix du Jorge A. Arteaga, E. Rodriguez Monegal,
m eilleur film d’a rt du IIe Festival Ciné Hugo R. Alfaro, H. Alsina Thevenet,
m atographique de P unta del Este. Augusto Bonardo (Radio ur.), H ector
Voici le texte de la lettre adressée Payssé Reyes., Giselda Zani, Lars E ric
à M. Alberto Dominguez Campora, Kjellgren (réal. suédois), P ed ro Beretche
P ré sid e n t du Comité E xécutif du Gutierres, Antonio Grompone, E d u ard o
IF Festival Cinématographique In te r Alvariza, Aldo Persano (j. arg.), Nicolas
national de P unta del Este. Mancera (j. arg.), Sergio Ciurich, Gual-
berto Fernandez, Amalia R. de Giacosa
Monsieur le Président, (j. cubaine), Alberto Ugalde (secrétaire
du Comité Exécutif du Festival), Vini~
Les soussignés, indépendam m ent de cius de Moraes (j. brés.), José Levgoy
le u r qualité de membres des Délé (act. brés.), P épita Payssé de Christie,
gations E trangères ou de toutes autres Hermenegildo Sabat (peintre ur.), Carlos
institutions étrangères ou nationales, de Léon Caprario, A ndré Ruszkow sky
déclarent que : (Sec. Gai. OCIC), Oscar Falchetti,
E n ta n t que personnes intéressées Dalmiro Robledo, Carlos Mezzera, J a c k
au développement de l’art ciném ato C. Chamberlain, Antonio L arreta, Wal-
graphique, ils ont entendu avec surprise dem ar J. Tachauer.
46
LIS FILMS
47
BilJy Wilder, Th e B iff C ar n iv a l : K irk Doublas et Ja n Sterling1.
49
ET CŒTERA..
50
Marc Allegrêt, Avec André Gide l'a rt d’être grand-pore...
H erbart, bien embêté), dans Une lecture plus ravi que Mare Allégret de le tour
(chez Martin du Gard : le seul passage ner ; avec les jeux> charades et anec
où Gide consente à être naturel et à dotes consignées hâtivem ent dans son
ne pas jouer les grands hommes, ■— le calepin suprême, quand il avait déjà
seul où il ait l’air véritablem ent supé un pied et demi dans la tombe, et p a ru
rieur,. peut-être p arce qu’il n’y a pas ces jours-ci sous le titre A insi soit-il,
de son...) ; enfin, A ndré Gide dans cela lui faisait deux précautions qui
E t cætera. valent m ieux qu’une p o u r con tinuer à
Voilà bien le titre qui eut convenu occuper le public, même après les d er
le mieux à cette pom pe funèbre ciné nières pelletées de terre. Graphomane,
m atographique : A ndré Gide dans va !...
E t cætera. Car il s’agit effectivement Reste la fameuse pédérastie. François
de broutilles, qui ne nous appren nent Mauriac a to rt de croire que l’on a
rien m ais qui paraissent parfois saisis éludé la difficulté. A p a rt l ’image du
santes. Il est vain de repro cher son p etit Arabe qui charm ait les loisirs de
cabotinage à un homme qui avait réussi, Gide, lors de son p rem ier voyage en
petit à petit, à se débarrasser du poids Afrique du Nord, — quand les Ouled-
lourd et ennuyeux de ses fictions poé Naïles fa illirent lui faire tr a h ir la
tiques ou romanesques, ee fatras où il confrérie, -— Marc Allégret a p ris soin
devient de plus en plus ard u de péné de m o n tre r une poignée de morxcauds
tre r (les Am yntas, Le voyage d’Urien, plongeant tout nus dans un oued.
Caves, et jusqu’à ces maigres Nourri L’écran dit bien ce q u’il veut dire, et
tures, ouvrage de riche amateur, dont l’on peut se réfé re r à ce passage célè
les invocations à Nathanaël prennent bre, où Gide, établissant une discrim i
un ton des plus comiques, à la lumière nation entre pédérastes, sodomites et
des révélations p a r Gide lui-même invertis, s’in sc rit gravem ent dans la
consignées de ses travers et manies : prem ière catégorie, celle des am ateurs
cf. ses démêlés avec le fameux Victor de petits garçons. On d ira que l’allu
au sujet des W.C., ou l’anecdote, racon sion du film n ’est claire que p our ceux
tée p a r Martin du Gard, du cinéma de qui savent, et qu’en fait, les autres
Nice où Gide voulait ôter l’un des deux spectateurs, les non prévenus...
caleçons de laine qu’il avait mis, p ar Justement, nous voici à l’objection
crainte du froid), — afin de se consa capitale. Il y a, de p a r le monde, quel
c re r à l’œ uvre qui était sa vie et le ques centaines de m illiers de gens
ré cit qu’il en faisait continuellement, cultivés, que ce film fait de b ric et de
dans l’éclairage flatteur d’un style p a r broc ne peut qu’intéresser, voire pas
fait. Ce film, Gide a dû être encore sionner, et qui le com m enteront longue
5!
ment, — on s’en aperçoit p a r cet article tinage, — un Cocteau, un Jouhandeau,
même. Mais les autres, le grand public ? et que l’on ait fabriqué avec tous les
Acceptera-t-il line image fausse de trois une histoire de gens de lettres,
l'écrivain de « Familles, je vous hais ! », comme on disait au tem ps de Paîndes,
de la révolte contre tous les confor nul doute que le p rem ie r venu ait p ris
mismes, de « Les extrêmes me tou goût à la chose, — à cette chose d ’un
chent », des m éandres et contradictions autre m onde !...
incessantes, — ce caméléon de la p e n
sée et du sentiment, le continuel deve
nir fait homme ? Je ne suis pas abso
lum ent sûr que, je ne dis pas le ferm ier P a r ailleurs, " il dem eure qu ’A ndré
du W isconsin ou l ’ouvrier d’Oslo, mais Gide est un grand écrivain, — mais la
simplement le ferm ier de Seine-et- question ti ’entrait pas dans notre p r o
Marne et ,l’ouvrier de Saint-Denis pos d ’aujourd’hui,
consacrent une soirée à ce spectacle
tout de même austère, quasi corporatif, Nino F rank
et en tout cas plutôt funèbre.
S’ils le voient, ils seront peut-être P.S. — Il se trouvera peut-être des
touchés p ar la singularité du comé entrepreneurs de pom pes funèbres et
dien : ses reniflements ; sa façon de autres nécrolàtres qui, lisant ce qui
bafouiller ou de s’a rrê te r au milieu précède, seront choqués p a r le ton
d’une phrase ; l’étrangetc p a r moments adopté en présence « d’une tombe
de son regard ; d ’autres tics, surtout encore fraîche ». Le fait d’A ndré Gide
oraux. Ils devineront peut-être le p itto soit décédé ne m ’inspire aucune consi
resque de cette existence, à travers la dération supplém entaire p o u r lui, car
visite de son appartem ent commentée il s’agit d’un but que tôt ou ta rd j’atte in
p a r lui-même... Mais c’est bien peu de d ra i aussi bien que lui. Et les m orts
chose p o u r app âter le spectateur non viennent assez souvent nous tire r p a r
prévenu. Ce qu’il m anque à Gide, ici, les pieds, pour qu'à notre tour il nous
c’est des partenaires et une intrigue : soit perm is de les tire r un peu p a r la
s’il en avait eus, du même talent p a r barbe, cette barbe qui a dû leur pousser
ticulier que lui, — j’entends le cabo à l’heure qu’il est.
52
Michael Poweü et E me rie Pressuarger, I Know TYhere J'AI &oing : derrière les
joueurs de cornemuse, Wendy Hiller; . . .
hom m e en kilt, dernier descendant d’un auteurs du film n ’ont-ils pas vu que
clan fameux, émut un coeur plein de tout ceci, qui était à la fois le cœ ur
passion mais trop longtemps p riso n n ie r du sujet et son cadre, imposait une
d ’une volonté toute anglaise. Ainsi unité de style et de récit ? Est-ce, bien
advient-il que d’abord on compte les à tort, crainte de lasser l’attention, ou
po u tres du plafond p o u r fièrement m an q u e de confiance en eux-mêmes ?
contraindre le sort à se plier à ses Ils ont cru nécessaire de rajouter des
décisions, puis enfin p o u r im plorer passages d’un tout autre ton, et dont
l ’aide du ciel. Futilité échappe : ici des chants et des
Le meilleur de I K now W here FM danses écossais dans la plus ennuyeuse
Going consiste en son atm osphère m anière docum entaire, auxquels miss
d^étrangetè précise qui rappelle le I See Hiller assiste, perchée sur une échelle,
a Dark S (ranger de F ran k L aunder et p en d an t une sorte d’e n tr’acte du récit.
Sydney Gilliat. Les héroïnes des deux, Là une très longue e t tout à fait gra
films appartienn ent d’ailleurs à la même tuite tempête en mer, qui secoue comme
famille de secrètes jeunes filles à la coque de noix sur un bassin de
tendresse fort exaltante. W endv Hiller, studio la barque désemparée de nos
c ré a tu re sortie jadis des mains de. personnages. Cette séquence dram a
Leslie H ow ard (Pgc/malion, 1937), mé tique détonne et rompt; le charme. Elle
rite un prix d’excellence. A utour d ’ellè, procède paradoxalem ent de la même
l ’Ecosse est cette p atrie brum euse et tim idité devant le .mystère, du même
ventée des aventures insolites qu’affec recul vers la banalité dont témoignait
tionnen t les conteurs anglais, littéraires un autre film anglais, Pandora, tour à
ou cinéastes. Quelques personnages tour attiré p a r les replis"' d ’un songe
secondaires ont ce côté à la fois débon légendaire, et comme honteux d’y
naires et mystérieux des histoires de croire.
fantômes écossais : un m ilitaire en ' Un sentim ent du même ordre, ou
retraite éleveur de rapaces, et ce fiancé peut-être un simple m anque d ’imagina
q u ’on ne voit pas mais d o n t on entend tion, donne à / Knoiv W here FM Going
une fois la voix, comme évoquée depuis un dénouement assez plat, et l’empêche
son île p a r une vieille postière un peu d ’être un très bon film.
sorcière.
P a r quelle curieuse aberration les Michel. Mayoux
53
Julien Duvivier, JPêpé le Mako.
REMADE IN USA
« M » (« M » L E MAUDIT) film de J oseph L osey . Scénario : N orm an Reilly
R aine et Léo K atcher. Images : E rn est Laszlo, Musique : Michel Michelet. Interpré
tation : David W ayne (« M » le m audit), H ow ard Da Silva (Carncy), L uther Adler
(Langley), M artin Gabel (Marshall), Steve Brodie (Lieutenant Becker), N orm an Lloyd
(Satro), R aym on d B urr (Pottsy). Production : Columbia, 1951.
La pratiq u e du « rem ake » fait contre taném ent le com portem ent historique
elle l’unanim ité de la critique. Mais des autres arts. Les véritables chefs-
l ’indignation qu’on manifeste à son d’œ uvre y sont rares, les lois du succès
égard n’est pas sans être fondée d ’abord et l’échelle des valeurs encore toutes
su r quelque confusion et elle recèle un pragm atiques. Le p ro d u cte u r qui a
paradoxe esthétique qui m ériterait une l’idée d’acheter les droits de Pêpê le
analyse détaillée. Le « rem ake » en Mako ou du Jour se lève pour faire
effet est une constante de l’histoire de copier lé film p a r un de ses scribes se
l ’art. La notion de plagiat est relative com porte fondam entalem ent comme un
m ent récente et plus encore la honte copiste du Moyen-Age ou un p h a ra o n
qui s’y attache. C’est Edm ond R ostand de la troisième dynastie.
qui reproche à Molière le « qu’allait-il Malheureusement il faut bien conve
faire dans cette galère » non le vrai n ir que les résultats ne sont pas les
Cyrano de Bergerac. La lente évolution mêmes. E ncore q u ’en ce qui concerne
des arts plastiques ou littéraires est la peinture et la littérature nous ayons
établie sur la copie autant que sur depuis longtemps pro c éd é à u n choix
l’invention. Combien d ’œuvres fonda exclusif dans un m atériel h istorique
mentales ne nous, sont connues que p a r infiniment plus vaste. Statistiquem ent
l ’état d ’une de ces copies et à travers les échecs du « rem ake ■» n ’y sont peut-
les variantes qu’elle a fait su b ir â être pas moins fréquents. Mais enfin il
l’original (si tan t est que la notion d’ori est vrai qu’il n ’existe pas dans le ciné
ginal conserve encore un sens dans ma un seul juste p o u r sauver la Gomor-
ce système d’avatars). Art absolum ent rh e Hollywoodienne. -
récent, m ais qu ’on peut considérer Encore faut-il distinguer. On confond
dans son ontogenèse esthétique comme trop souvent sous le vocable de
encore prim itif, le cinéma répète spon « rem ake » des procédés très difFé-
54
John Cromwel], Algïers. S ur cet unique document (dont nous déplorons la m au
vaise qualité) on aperçoit aisément les ressemblances avec Pépê le Moîco ?
cadrage, attitudes des personnages et surtout similitude des costumes.
rents. Certains scénarios ont fait ou dérer que la scène traitée à fresque
font l'objet d’adaptations périodiques. n’est p as « inférieure au même thème
Doniol-Valcroze signalait les multiples pe in t à l’huile. L’application de la p ers
Derniers jours de Pompéi. Combien pective ou du clair-obscur ne nous
y a-t-il eu de Quo Vadis ? La version semble plus une supériorité intrinsèque.
japonaise qu’on est en train de tourner Mais c’est là un éclectisme dont nous
sera, si mes calculs sont exacts, la ne sommes guère capables que depuis
dixième des Misérables, depuis celle u n siècle. Même Violet-Le-Duc, sous
de Capellani en 1912. Or cette p r a couvert de restauration, contraignait le
tique est parfaitem ent justifiée et les Moyen-Age au romantisme. P our les
résultats le prouvent. Les Misérables vrais contem porains d'un a rt en évolu
d’H enri F escourt (1925) sont certai tion, l'éclectisme est un luxe impossible
nem ent meilleurs que ceux de Capel de l’esprit. Une œ uvre techniquem ent
lani et si la version parlante de périm ée se vide naturellem ent de sa
Raymond B ernard (1935) ne vaut pas valeur esthétique un tableau h ’est plus
celle de Fescourt (ce que j’ignore), qu'une toile bien encollée sur laquelle
c ’est là un fait accidentel. Les valeurs on peut repeindre. Un film : un certain
comparées de L ’Atlantide de Feyder et poids de celluloïd qui ferait plus
de Pabst n ’ont rien à voir au fond avec d ’usage sous forme de talons de chaus
leur chronologie ; il est vrai que la sures ou de démêloirs. Or le ciném a est
dernière version de je ne sais plus qui le seul art dont nous soyons réellement
avec Maria Montez, leur est probable contem porains, qui se développe et
ment inférieure. Mais serait-elle meil vieillisse avec nous. Il est donc vain
leure si les deux prem ières n'existaient de nous étonner que le public se désin
pas ? téresse d’un film — fut-il un chef-
C’est que cette variété de remake est d ’œ uvre —- quand son vieillissement
fondée, d'une p a r t sur la copie des lui devient perceptible. E t les signes
sources et non pas des œuvres, de de caducité sont multiples. Outre les
l ’autre sur l'évolution de la technique plus évidents, comme le passage du
ciném atographique. De la fresque à la m uet au sonore, de l’orthoebrom atique
peinture à l’huile la répétition d’un à la pancliro et, actuellement, du n oir
sujet suppose la transform ation p ro et blanc à la couleur, avec toutes les
fonde de sa mise en valeur. Nous avons nuances interm édiaires du perfection
p o u r les arts traditionnels un jugement nem ent technique, il faut tenir compte
historique qui nous perm et de consi du m ode de récit (histoire du mon-
55
Dans M. Le Maudit (à droite) et dans- Le Maudit (à gauche), les ressemblances
sont encore pins frappantes, Tout commentaire serait inutile.
fagc), du style photographique et, enfin, facultatif dans l’adap tation du film o ri
des innombrables références tem po ginal. Pépé le Moko n ’avait p as encore
relles de l’objet même de l’image : mode vieilli quand on en a fait AIgiers non
vestimentaire, type de maquillage, style plus que Le Jour se lève ni même plus
de l’interprétation, etc... P ar ra p p o rt à récem m ent Le Corbeau. D’ailleurs, et.
ces derniers agents de vieillissement, le c’est .la différence fondam entale avec
ciném a n ’est pas dans une autre situa l’autre pratique, ce n ’est pas le scénario
tion que le, théâtre où le fait de rem on qui est rep ris mais le film lui-même
ter une pièce constitue en somme une qu’on s’efforce de copier et comme de
adaptation au goût du jour d’un texte décalquer au pochoir. T out se passe
immuable mais que la mise en scène comme si le p ro d u c te u r pensait que le
modernise. succès de l’original, de son excellence
Il est vrai que cette conjoncture a à la fois artistique et com m erciale, rési
évolué rapidem ent depuis quelques an dait dans l’aspect final de l’œ uvre et
nées, nous en avons ren d u compte ici qu’en se tenant aussi p rê t que possible
môme (« A propos des reprises », de cet aspect il re p ro d u ira logiquement
Numéro 5). Avec la création des Ciné et autom atiquem ent sa réussite. L’in fa n
mathèques, la multiplication des Ciné- tilisme d’un tel raisonnem ent, du point
Clubs et la formation d’un « public de vue esthétique, n ’éch ap p erait pas à
d ’élite », phénomène qui diffuse de plus un crétin des Hurdes. A p rio ri il p ro
en plus largement dans le public tout cède d ’une mentalité prélogique encore
court, lés oeuvres cinématographiques déterm inée p a r les analogismes m agi
anciennes reprennent de la valeur. Un ques. Quoiqu’on pense des producteurs,
éclectisme dans le temps est en train même hollywoodiens, il est difficile de
de naître, qui perm et déjà â certains les en tenir su bjectivem ent p o u r entiè
films de ne plus vieillir et leur confère rem ent responsables. Il faut qu’ils ne
Téternité conquise p a r les produits des soient eux-mêmes que les agents passifs
arts traditionnels. Il resterait à déter d’un phénom ène sociologique. Mais je
m iner dans quelle mesure cette évolu ne distingue pas exactem ent lequel.
tion du public intéressera l’industrie Peut-être de l’am éricanisation du ciné
ciném atographique, si elle constitue un ma. Prenons p a r exemple Le Jour se
phénom ène commercial d ’appoint mais lève. Son succès com m ercial a été h o n
marginal, ou si elle s’intégrera vrai nête mais non p o in t satisfaisant, p a r
m ent à l’économie générale de la p ro contre son succès d’estime a été
duction comme c’est le cas en peinture immense à l’étranger plus encore q u ’en
p a r exemple où l ’ancienneté des œuvres F rance, p articulièrem ent en Suède, en
n ’en déprécie nullement la valeur éco Italie e t‘ en Angleterre. La pénétration
nomique. du film français aux U.S.A. étant insi
Mais de ce procédé admissible et gnifiante, on*assiste donc à ce ph én o
aussi vieux que le cinéma il faut dis mène économ iquem ent absurde : un
tinguer une modalité très spéciale et film prestigieux dont le prestige ne paie
particulière à Hollywood. Dans ce sens pas. En somme tout se passe comme si
restreint, le « remake » n ’est pas tem Le Jour se lève ouvrait un m arché qu'il
porel mais géographique. Le vieillisse était incapable d ’àlim enter non seule
m ent ne joue aucun rôle accidentel et m ent parce que le film français est mal
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distribué à l ’étranger, mais plus encore Gaston Modoti dont la manie du bilbo
parce qu’il n ’est vraim ent app récié que quet est repris du tic de Georges Raft
p a r uné élite internationale, lia grande jouant sans cesse avec un dollar. Mais
masse du public étant conditionnée p ar Pépé le Moko est l’exemple /même de
sic style américain. C’est alors q u ’inter- l'influence bénéfique profondém ent assi
vient le produ cteur de Hollywood : il milée et transposée. De la .mythologie
constate objectivement le form idable sociale am éricaine .Duvivier n ’a’ retenu
m anque à gagner de l’exploitation p a r que les schémas universels, lin certain
rap p o rt au prestige acquis et il se dit rom antism e tragique du b andit dans la
que la cause en 1est seulement que le cité. Le scénario, le. dialogue et les p e r
film n’est poin t américain. Il en achète sonnages sont repensés dans lé. contexte
donc la licence de . fabrication, refait sociologique français. Plus précisém ent
l’objet dans ses usines et le relance sur nord-africain, mais d’une Afrique du
le m arché en contre-m arque U.S.A., Nord conventionnelle, stylisée, qui com
m ultipliant ainsi le prestige du proto bine le dépaysement exotique, la tra d i
type initial p a r la force de pénétration tion du banditism e marseillais et , la
sociologique du film am éricain auquel mythologie parisienne. Les inexacti
la moitié du m onde — à commencer tudes de Pépé le Moko indignent les
évidemment p a r l ’Amérique — est h abi Algérois, mais c ’est bon signe, il s’agit
tuée. C’est un peu ce qui se passe pour du contraire d'un film néo-réaliste sur
la mode quand un g ra n d couturier la Casbah.
parisien cède les droits de rep roduction Or reprenant Pépé le Moko dont la
d'un modèle à une maison de confec source est américaine, Hollywood s’in
tion New Yorkaise. M alheureusement génie à lui garder ses alibis algériens.
l ’analogie" s’arrête au plan sociologique. Dans la version de John Cromwell avec
Esthétiquem ent et économ iquem ent la Charles Boyer et Heddy Lam arr (puis
copie d’une robe pose de tous autres qu’il y en a une troisième de John
problèmes que celle d ’un film. Cette Berry avec Tony Martin et Yvonne de
explication vaut ce qu'elle vaut, elle Carlo) nombre de plans sont, copiés
me pa raît cependant avoir l ’avantage exactement et tous , les effets soigneu
de résoudre trois (juestions irritantes : sement conservés, Mieux, on a trouvé
1°) L'impossibilité de cro ire qu’il p our l e , personnage de Gaston Modot
existe des producteurs assez stupides une m aniéré de sosie, costumé presque
p o u r être mus p a r l’idée de décalquer . de la même façon et qui joue aussi du
Ja qualité d’un film en p a rta n t des bilboquet. Ainsi l'homm e au dollar de
images et non du scénario. L ’existence Scarface, librement interprété p ar Duvi
de cet individu devenant imaginable, vier, se retrouve dans Algiers sous les .
sinon tolérable, dès l’in sta n t qu’on avatars d’un grotesque plagiat de film
suppose qu’il se borne à tire r les ; français. Ce détail donne la mesure de
conséquences économiques du privilège la valeur esthétique du « rem ake 2>
sociologique dont jo u ît le film am éri dans le sens restreint où le pratique
cain. '■*>' seul Hollywood.
2°) La fidélité fétichiste à 1 original
qu’on va jusqu'à copier plan p a r plan
et dont on rep ro d u it autant que p o s
sible les détails caractéristiques. C’est Joseph Lûsey en illustre tristem ent
qu’il s’agit de donner au public l'illu une fois de plus les méfaits avec M Le
sion de la copie. Illusion qu’il vient Maudit, d’après le célèbre chef-d’œuvre
justement chercher dans la contre- de Fritz: Lang. Ce nouvel exemple p ré
m arque américaine. sente cependant p a r ra p p o rt à Algiers
3°) Le fait que le rem ake ne soit quelques variantes instructives.
pratiqué sous cette forme qu'à Holly D’abord le processus d'am éricanisa
wood. Il n'est en effet concevable que tion est explicite puisque l’action est
dans le sens du qualitatif à T extensif. transportée en Amérique, dans une
On saisira nettem ent la forme des ville q u ’on ne homme pas mais qui est
échanges entre le cinéma, français et évidemment Los Angeles. On en a usé
am éricain dans le cas de Pépé le Moko de même avec Le Jour s'e lève et . Le
p a r exemple. Corbeau. Ce serait là à p rio ri une
A l’origine du film de Du vivier; il y mesure louable et de bon sens, L ’équi
a évidemment les films de gangster valent du réalisme social allemand ou
am éricains et précisém ent Scarface de français ne peut être, en Amérique,
H ow ard Hawks. On p re n d cette influen q u ’un réalisme américain. .Malheureu
ce sur ; le fait dans le personnage de sement elle est en contradiction ra d i
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cale avec la fidélité formelle à laquelle pittoresques et rom antiques deviennent
s'efforcent d’autre p a rt la mise en scène des gangsters et des cireurs de souliers
et le scénario (fidélité qui n’est cepen et tout s’effondre. Les personnages de
dant pas sans limite comme nous le D. Haminett ou de J.H. Chase ne sont
verrons). Le film n ’est pas exactement p as de ceux qui s’indignent du viol des
copié p lan p ar plan, m ais séquence p a r petites filles [ D’ailleurs le héros lui-
séquence avec cliaque fois qu’on le peut même p erd dans ce contéxte toute son
le rappel précis des plans originaux, horrible vraisemblance. Chez Fritz Lang
p a r exemple celui du ballon dans les sa-c a u tio n était l’authentique histoire
.fils télégraphiques. Le développement, du vam pire de Düsseldorf. Le sadism e
de l’intrigue et les personnages sont am éricain n’est pas le sadisme allem and 1
les mêmes (le, m arch an d de ballons ou anglais. ; Même s’il existe à Los
rouges), tontes lés scènes capitales s’y Angelès des satyres sanguinaires, leurs
retrouvent avec leurs incidents (la crim es n’y acquièrent pas l’a ura exem
chasse à l’homme dans le building.avec plaire, là résonnance mythique q u i jus
le coup du veilleur de nuit, l’affolement tifiait chez Fritz ;Lang l'épouvante de
de l’assassin qui s’est enfermé dans une toute une ville. ' ’
sorte de grenier et lé casseur de pla Mais où l’am éricanisation des détails
fond qu’on a oublié dans son trou). achève de désintégrer le film c'est p a r
Mais voyons les différences. De forme l’intrusion, de la psychanalyse. L’en-
d ’abotd. Elles sont curieuses. Joseph ' quête de la police, en effet, et su rto u t
Losey semble avoir voulu m oderniser la parodie de procès final, dans le
le style selon la mode néo-réaliste. garage> sont l’occasion d’expliquer ces
Alors que Fritz Lang avait tout fait en crim es p ar un ,em barras du com plexe
studio, Losey utilise largem ent les exté d’Œ dipe: On ■ aurait tort de se b o r n e r
rieurs. Ce sont d’ailleurs, quand on les à en sourire. Si F reud est devenu le ■
isole de l’ensemble, les bons éléments deus ex machina p a r excellence des
du film, par. lesquels ce jeune et vigou films américains; même de ceux qui
reux m etteur en scène témoigne qu'il p o u rraien t être bons comme Quatorze
m érita it un meilleur sort ; on sent que Heures, c ’est beaucoup plus q u ’une
si le scénario, le lui perm ettait, i l . ne mode un peu puérile. L’explication p sy
dem anderait qu'à faire un bon film èt chanalytique . s’impose m a in te n an t à
d'un ton assez personnel. Mais en même Hollywood aussi im pérativem ent q u ’un
temps les im pératifs du remake lui article du code Hays-Johriston. Nous
im posent d'absiirdes retours à l’expres savions déjà que le crim inel ne p o u v ait
sionnisme, un style faussement alle échapper à la justice (c’est p o u rq u o i
m and dii décor et de la photographie, en p articu lie r dans Algiers Pépé est tué
parfaitem en t hétérogènes au néo-réalis p a r lès policiers c a r lé suicide serait
me : p a r exemple dans le débarras où une façon de leur échapper). P lus ta r d
l’assassin est enfermé avec des m anne il fallut que le héros crim inel fût tom bé
quins et une forêt de jambes de cire. sur la tête. Je ne plaisante pas ; entre
Passons su r la musique dont le rôle les années 40-45 on ne sau rait guère
chez Fritz Lang était essentiel — on a trouver d ’assassin dont on ne p ré cise
préte n d u la conserver en noyant cepen au détour d ’uné réplique qu’il a fait
d ant le célèbre motif d ans un patlios une chute de bicyclette à l ’age de
m usical qui le prive évidemment de c inq ans (cf. par. exemple un film
toute efficacité dram atique — et venons- d ’autre’ p a rt sans concession ; L ’Ombre
en aux modifications du scénario qui d ’un doute, de Hitchcock). Cette p r é
perm ettent de saisir à plein l’absurde caution rép o n d au souci de c o n sid é re r
processus du « rem ake ». On se souvient à p rio ri les;instincts crim inels et plus
du rôle, capital dans l'histoire, des généralem ent asociaux comme p a th o lo
bandits et de leurs chefs qui décident giques. Plus le crim inels sera séd uisant
la mobilisation de toute la pègre de ; et apparem m ent normal, plus il sera
la ville p o u r se substituer à la policé indispensable d’affirmer l’existence
impuissante. C e tte /c o u r des miracles d’une fêlure cachée. Mais affirmer n ’est
transform ée en cour de justice jugera pas , encore expliquer.' La psych analyse
à la fin l’ig n o b le -P e te r Lorre.. Chez propose au scénariste la p anacée u n i
Fritz Lang l’idée et son développement verselle généralement utilisée ,au jo u r
étaient adm irables et s’inscrivaient à d’hui. La vérité psychologique de F re u d
la fois dans une poésie très particulière n ’est pas en cause, seulement le sens de
du banditism e,, à la suite de L ’Opéra de son em ploi-perm anent et systém atique
Quat’Sous et dans l’histoire, sociale de dans le dénouem ent dë neuf films am é
l'Allemagne de 1930. Que les truands ric ain s siir dix. Plus encore,, aujour-
d’hui, que le triom phe de la justice, Ainsi le film de Joseph Losey révèle
im porte la négation au mystère hum ain clairem ent le mécanisme • absurde du
posé p a r le crime. Le vrai crim e du « rem ake . ■» qui consiste à copier le
criminel, celui qu’il faut par-dessus 'détail en trahissant l'essentiel. Cette
tout juguler, c’est sa différence avec fidélité formelle toute extérieure est
l’homme am éricain norm al et moyen, l ’alibi qui perm et de relancer su r le
Avant même le bon sens, le complexe m arché un nouveau film présenté com-
d ’Œ dipé étant la chose du m onde me l’exacte réplique d’un original jpres-
lq mieux partagée, il' n’est pas de tigieux. Mais en même temps on
m onstres odieux qu’on ne puisse réd u ire s’efforce de rectifier dans le modèle
à une variante particulièrem ent fâ- tout ce qui se présente en saillie sur
cheusc du dit complexe. Ainsi tout, la mythologie cinématographique hollÿ-
rentre dans l’ordre, l ’univers m oral woodiennè. Ou va même jusqu’à chan-
redevient sans mystère, l’iiomo a m é - ' ger le contexte social sur lequel s’ins-
ricanus peut continuer de vivre dans crivent les événements. .Or il est évident
un monde mental où chacun a fon- que plus une œ uvre est bonne, plus les
damentalement les mêmes chances détails s’y trouvent chargés de sens et
de bonheur et d’intégration sociale, plus leur interdépendance est rigou-
Cette plipbië du mystère psychologique reuse. Le m obilier de la m ansarde de
est en train de faire plus de to rt peut- ' Gabin dans Le Jour se lève n ’est pas
être à la production am éricaine que la un décor interchangeable, la tragédie
constitution d ’une censure m inutieuse , s’y cache aussi intim em ent que dans le
à l ’érotisme. Aussi bien n ’est-ce que la, coeur du héros. On ne saurait y toucher
m anifestation d’une nouvelle censure : sans modifier aussi le drame, les p e r
le Diable n’est pas am éricain. sonnages. Le seul moyen de leur rester
■, Bon, j e me suis encore éloigné, de fidèle et d ’égaler éventuellement l’ori-
mon sujet ? Pas tant que cela. Je disais ginal serait de tout reprendre à la
que la psychanalyse du Maudit démo- source et d’en suivre le cours naturel
lirait tout s’il restait encore quelque dans un nouveau r e l i e f , historique et
chose debout de l’œ uvre de Fritz Lang. social.
Peter Lorre supplie ses jugés, il leur , Mais quoi, nous avons beau dire, en
tire même des larmes mais ce qu’il dépit de sa monstrueuse absurdité la
inspire alors c’est de la pitié, non une pratique du « rem ak e ^ se porte tou-
vaine com préhension psychologique jours bien,
qu’on peut acheter dans le1 p rem ie r ^
drug-store. , André B azin
LOINTAIN CONRAD
AN OUTCAST OF THE ISLANDS (LE BANNI DES ILES), film de Cahol ,Reed.
Scénario ; William F a irc h ild d’après le rom an de Joseph Conrad. Images :
John Wilcox et E dw ard Scaife. Décors : Vincent Korda. Musique .• Brian Easdale.
Interprétation [: Sir Ralph R ichardson (Capitaine Lingard), Trevor Howard
(Willems), Kerima (Aïs sa), Robert Morley (Almayer), W endy Hiller (Madame
Almayer), George Coulouris (Babalatchi). Production : London Films, 1951.
Distribution : Filmsonor.
J’ai toujours pensé que la réputation Bresson, mais à celles aussi d’un Welles
de Carol Reed était surfaite. Non pas — réalisateur baroque dont on l’a à
que ce cinéaste soit sans ta le n t; peut- to rt ra pproché à cause de là collusion
être même a-t-il trop de « talents s>. Ce du Troisième H om m e où Welles sauva
qui lui m anque c ’est le m épris de la faci- les meubles, sur le mode de la plaisan-
lité et le goût de la rigueur. Rien de terie, comme il l’aurait^ fait p our la
moins dépouillé que ses films, rien de revue annuelle d’un collège de jeunes
plus surchargé sans-jam ais atteindre à gens — Reed avait peut-être dans son
un style de la surcharge ; je veux dire jeu les atouts pour tenter une oeuvre
qu’il ne peut se proclam er « baroque rom antique mais, anglais et non alle-
car il est aussi loin des concerts paroxi- m and, il conserve dans le ton ce quant
ques de cette école que des géométries à sôi chronique de l’insupportable
palpitantes du classicisme, de Racine fle g m e britanniqu e qui lui interdit de
p a r exemple. Aux antipodes donc d ’un déboucher, s e r a i t - c e modestement, dans
59
C a r o ld ' Reed, Au O nt cas t of the Istan d s : Kerima et Trevor Howard.
60 m : " '■ - r:
mais^ d'an éclat factice qui ne peut Reed en tournant Le Banni des
trom per longtemps, fait d ’em prunts à lies (1) ? . Le résultat est tellement,
tous les genres Le Troisième H om m e incohérent qu’il est impossible de les
p o u rrait presque passer pour une m ysti déterm iner. P a r d’innombrables détails
fication ouverte comme Journeij into fort im portants il n ’est pas fidèle au
Fear ou une charge parodique comme rom an et avant tout en omettant tout
Pamusant Chicago-Digest La référence sim plem ent la. m ort du héros Willems,
à Greenc interdit pourtant cette Inter scène adm irable chez Conrad, que je
prétation, ce qui est dommage car, vus ne peux résister à citer. « Il vil devant'
sous cet angle, le sourire d e , Welles ses y e u x Véclat d'une flamme ronge,, et
dans la porte cochère ou la scène du fût assourdi par un bruit qui lui parut
« coucou-dock » dans la grande roue plus violent qiïnih coup de tonnerre. .
resteraient comme de jolis petits m or Quelque c/iose Purré fa .eonrf, ef il reslu
ceaux de cinéma. P our tout embrouiller . debout, aspirant dans ses narines
Reed term ine sur le très beau'passage l’odeur acre de la fumée bleue qui:lui]
du cimetière qui perm et d’im aginer ce passait devant les y eux comme un image
qu’aurait pu être un film similaire fait immense... Manqué, grâce au ciel....Il le
sérieusement. pensait... Et il la vit très loin, qui levai!
Qu’allail faire Reed après Le Troi les bras, tandis que le revolver, très
sième Homme.- T ourner au c om m erce? petit, gisait par terre entre eux. Man
Essayer de se racheter ? Je pense que qué !... il allait le ramasser maintenant.'.
scs intentions en s’attaquant à Joseph Jamais comme alors il n ’avait compris
Conrad étaient pures. Hélas ! ce n'est la joie, le délice trio m p h a it du soleil
pas le résultat qu’on nous p résen te/ et de la vie. Sa bouche était pleine
aujourd’hui qui, nous fera changer de quelque chose de chaud et de salé.
d'avis sur ce décevant réalisateur. II Il essaya de tousser ; il _■cracha... Qui
est en effet difficile dé m anquer un donc crie Au nom de Dieu, il meurl 1
film plus complètement que Le Banni — il meurt. — qui meurt ? — Il faut
des lies. 11 serait trop long d’évoquer se relever... Il fait nuit... Quoi ? Déjà
ici les multiples problèmes posés p a r nuit... » ;
l’adaptation de Conrad à l'écran, d ’au Reed abandonne son héros, loque
tant plus que nous publierons p ro c h a i hum aine, mais vivant sur une plage et
nement une étude de P ie rre Kast sur laisse sous-entendre’ que tout peut
ce sujet. Disons simplement que l’œuvre encore s ’arranger, continuer... etc., alors
toute entière de Conrad semble une que la conclusion de Conrad est sans
‘ m atière de choix p ou r le cinéma. équivoque : la mort, le désespoir, la
Impression peut-être trompeuse : le nuit... ce n'est que plus tard, qu’une
plus précieux de Conrad à fixer sur fois Willems mort, dans une autre nuit, '
• la pellicule c’est peut-être son « cli celle pacifiée de la nature; que l’écho"
m a t» ,, son mode de récit et non le de la forêt, de la rivière et de la colline
détail de ses récits. Il serait peut-être répond : « j’espère ». On ne peut
plus intéressant de trouver une façon im aginer trahison plus complète. P o u r
Conradienne de faire des films que" de quoi dans ce cas se réclam er de Conrad,
tire r des scénarios précis de son œuvre. ne pas im aginer un scénario quelconque
Quoiqu’il en soit et quel que soit le se passant du côté de Cej’lan (où a été
procédé adopté,, le-problèm e .est pas tourné le film). -Pourquoi d o n n e r a u
sionnant, au même titre que la rec h er public qui ne connaît pas Conrad une
che, pour .Pccran, d'équivalences Sten- fausse idée d ’un des plus grand écri
dhalicnnes ou Kafkaïennes. Ayant opté vains du xx* ? Car le reste est à Pave-
pour un livre déterm iné Reed se devait -liant. Reed est aussi infidèle à l’esprit
d ’être fidèle et à l’œuvre et au climat qu’à la lettre. Comme chacun sait, Jcs
ce que fit Bresson p our Le Journal d ’un récits de Conrad sont équivoques, inso
Curé de Campagne. On eut même lites, m ystérieux, une captivante ambi-
accepté cette « seconde x fidélité d ’Oli-
! vier pour Henri/ F, replaçant sa re p ré (1) L’excellente traduction française
sentation dans ïe cadre de sa création, de-An. Outcast of the Island p a r G. Jean
ou même cette « tro isièm e » fidélité Aubry porte le titre : Un paria des Iles,
■de Welles p our Macbeth, rem plaçant peut-être moins littéral mais plus fidèle
lu scène p a r le paysage lunaire" du à l’esprit de l’œuvre où-W illems n’est
subconscient de son héros mais rec h e r jamais, légalement, un banni, mais bien,
chant à faire non pas du cinéma mais m oralem ent, un paria. Il le dit d’ailleurs
du Shakespeare. lui-même (page 81, Ed. N.R.F., 1937) :
Quelles ont été les intentions de « Je suis le p aria de mon peuple. »
61
guïté pèse sur des personnages et la à son crédit d’avoir tenté l'aventure
structure de ses récits. Louis Willem s Conrad sans chercher avant tout à
le héros du Paria des Iles n’est pas la ’ plaire au public qui sefa sans doute
moins complexe de ses créations, il déconcerté p a r le film qui n ’est pas
n ’est jamais ni tout à fait bon, ni tout sans retenir quelque chose du
à fait mauvais, il se débat d u ra n t trois « b iz a r re » de l’original. D e u x p a i sage s
cent vingt pages contre un destin p ris à p a r t sont bons : W illem s en
désespérant et qui le dépasse et vit canoë à la recherche d’Aïssa ; et Je
avec Aïssa une des aventures a mou- réveil de Willems et d’Aïssa au m ilieu
reuses les plus étranges de la littérature des rires des enfants. Et il faut surtout
. contemporaine. Reed s’est bien m o q u é 1 féliciter Reed d’avoir découvert K érim a
de tout cela. Après c inq minutes de qui correspond parfaitem ent à l’Aïssa
projection on est fixé : Willems. est un de Conrad : «A travers le réseau des
chenapan, un déchet d’humanité... etc... cheveux en désordre, son visage sem-
/ Son bienfaiteur Lingard un capitaine blait celui d ’une statue d ’or aux y e u x - '
à la Jules Verne pittoresque mais anti- vivants. Les lourdes paupières s’abais-
conradien, seul • peut-çtre Almayer sèrent légèrement, et entre ses longs
quoique caricatural a quelque vraisem- cils elle jeta un regard dur, pénétrant,
blance. A. quoi bon insister ? Même en étroit comme un éclair d’acier.\ Ses
oubliant Conrad le film est difficile à lèvres étaient ferm es et leur courbe
défendre et techniquem ent les tnm spa- ^mcieiise ; mais les narines dé te n d u e s,.
rences disproportionnées de la navi- la posé levée de la tête à dem i détour-
galion dans f la passe dangereuse sont née, donnaient à toute sa personne une
indignes de Reed. expression de défi farouche chargée de.
Mon propos n’est absolument /pas ressentiment. » -
d ’accabler Carol Reed, seulement d ’indi- i 1
quer pourquoi il s’est trompé. II reste J acques Ù oniol -Valcroze
BÉBÉ LA JUSTICE
LA V É R IT É SUR B É B Ë DONGE, film d’HENRY D eco in . Adaptation, dialo
gues : Maurice Au h erg é, d’ap fè s le rom an de Georges Simenon. Images : L.-H. Burel.
Décors : J e a n D o u a rin o u . Musique ; Jean-Jacques Grünenwald. Interprétation :
Danielle Dàrrieux (Élizabeth Donge), Jea n Gabin (François Donge), Daniel Lecour-
tois (Georges Donge), Claude Genia ( Jeanne), Gabrielle Dorziat (Madame Or té-
mont), IVlarcel André (Monsieur Drouin), Jacqueline Pore! (Françoise), Meg Lemon-
nier (la secrétaire), G aby Bruyère (la belle fille), Juliette F aber (Finfirmière). Pro
duction : Union Générale Cinématographique, 1 9 5 1 .Distribution : Alliance Générale
de Distribution Cinématographique.
Lorsque la dernière image du film de flashes de plans brefs et de longues
vient rem plir l’écran- d ’une nuit grise séquences du plus curieux effet. Cette
et floue a peine diluée autour des dém arche irrégulière, qui témoigne sou-
p h ares d e ' l’automobile5, de la police, vent d’une désinvolture ra re à l’égard
l’on se sent graduellement 'émerger; des transpositions, n’ajoute rie n au
d’un lent et profond ensablement. On répertoire acrobatique dont le ciném a
a l i t t é r a l e m e n t / l ’impression d’avoir dispose p our l’exposition et la.co n d u ite
passé avec lui les dix ans de vie com- d’une action quelconque : retours, en
m une de ce couple, enserrés, [revécus arrière, ellipses, incidences..., elle ne
dans une agonie de quelques jours, - fait que le m ettre au pillage en émiet-.
épuisante p o u r toiit le monde, et qui tant le récit au maximum. Cependant,
contribue largement, pour sa part, à cette architecture,- qui: n’a rie n de très
( distendre le temps. Cette sensation do- original et que de très a rb itra ire p a r
m inante de longueur ' e t de lenteur elle-même, a exercé line influence cer-
extrêmes s ’installe nettem ent chez le taine quoiqu’apparem m ent peu p e rce p -
i spectateur en dépit de la forme du tible sur les éléments constitutifs die
ré cit qui, ch erchant à éviter la mono- l'œuvre : la forme a réagi s u r le fond,
tonie, ne parvient pas p our autant à am enant les auteurs à choisir et compo-
conjurer le statisme fondam ental de ser les épisodes autrem ent que s’il
l ’œuvre. s’était agi d’une classique adaptation
i Le découpage du scénario épouse un linéaire respectant l’ordre chronolor
rythnie pour le moins insolite, biscornu, gique. ' J
saccadé, su r lequel s’organise un ballet - L’œuvre, p a r sa construction et son
62
'H enri Decoin, L u vérité sur Béhê Timuje, ~ Jean fialnn ' et Danielle Darrieux.
63
les auteurs ne se sont pas suffisamment contraire comme u n heureux choix. Il
dégagés des influences combinées de faut s’entendre sur le personnage de
Simenon et d’u n certain côté du con Bébé : si F rançois est entier, elle est
formisme cinématographique français. absolue, ce qui ne veut pas dire senti
Je veux bien q u’une adaptation de mentale. Elle « engage » le couple à
Simenon où l’on eut complètement fond vers un idéal étincelant et d u r :
sacrifié « l’atmosphère » peut sembler du jour où elle p r e n d conscience de
une gageure ; en tout cas, il était tout l’incapacité définitive de François, elle
indiqué d’aller jusqu’au bout de l’au- ; décide de le « liquider ». C’est une
dace en réd u isan t au minimum le. nom fanatique. Pas p l u s que l’action, la
bre et l’im portance des comparses nature de Bébé n ’évolue. Elle reste
conventionnels que "le cinéma français logique avec elle-même; vivante ou
s’est fait une règle trop générale d’im <s morte Une fois subie l’épreuve de
poser jusque dans les films où leur la lucidité, qui l’a aveuglée, elle a sauté,
présence n e correspond qu’à un « rem mais si h au t et si loin par-dessus la
plissage » oiseux. La province s’anime tête des autres qu’elle s’est tuée à l’a r
ainsi sous les apparences de ces gui rivée. Jusqu’à la fin, on p o u rra la
gnols poussiéreux que sont une vieille contempler, glacée, transform ée en
marieuse intelligente et cynique, une m onstre immobile de tragédie antique
veuve de diplomate ramollie au soleil sur fond de clinique 1952. -
de T urquie, le frère du mari, pas t r è s / Cette version simplifiée des héroïnes
futc, ni plus ni moins lâche que les d’Anouilh n’a de com m un avec elles
autres, un médecin qui l’est1 un peu qu’un irrésistible élan vers l’absolu :
plus, u n juge intègre et obstiné, un les aspirations^ de son c œ u r sont les
vieux colonel solidement abruti... mêmes, identique son x*efus en face de
Hors des sentiers battus, la direction l’impuretéj mais sa pensée est quelque
donnée à l’œuvre est intéressante, mais peu inconsistante et elle s’em pêtre dans
le p ropos était ambitieux et l'exécution ses grands mots. Son intelligence n ’est
périlleuse, car la fatalité intérieure qui ipas du tout « intellectuelle ». Noyée
isole et conduit les êtres est une réalité dans un océan de notions vagues et
bien difficile à capter i et à anim er à inéprouvées, elle énOnce m aladroite
l’écran, à laquelle il semble qu’eût ment ce qui fait l’essence de son p ro p re
m ieux convenu plus de dépouillement drame et qui-passe, aux yeux des autres,
et un assujettissement exclusif au dévo p o u r les dadas tenaces d’une adoles
ra n t thème central. Malheureusement, cence, demeurée. Elle agite des ques
MM. Aubergé et Decoin ne sont pas tions immenses et puériles : Qu’est-ce
M. Bresson. . qu’un couple ?...
La direction des acteurs et l’in terp ré Le rôle, tel que le scénario et les
tation sont excellentes. Madame Dorziat, dialogues le définissaient exactement
dans un rôle fait p our Madame Moreno,. appelait une interprétation sobre, nuan
soutient la comparaison. Jean Gabin cée, simple, comme l’est celle de Da-
— homme d’affaires m ari autori nielle Darrieux, plutôt que, p a r exem
taire, prête à François un équilibre ple, le jeu tout ensemble passionné et
strict, une assurance sans défaillance, intellectuel d ’une Maria Casarès ou
rares chez ce « du r » presque toujours ■ noir, d’une Andrée Clément. Elles se fus
m iné p a r, n n désespoir profond ou un sent trouvées décalées p a r r a p p o rt à
sentimentalisme plein de nostalgie. Sa l’esthétique générale du film. C’estvpeut-
sobriété le tire de ce pas inhabituel, être celle-ci qu’il fallait décaler..."'on1a
mais il est plus à l’aise dans l’agonie. d it plus haut ce qu’on pouvait én penser.
iSa personnalité de comédien faisait
plus 011 moins obscurément pressentir, La musique de .Tean-Jacques Gru-
dès le début, le revirem ent de François. nen'svald ra re et sans emphase e n rich it
Comment p arv en ir à abstraire com plè certains passages d’une dim ension sup
tement Gabin de son contexte tra d i plémentaire, m ystérieuse co m m e un
tionnel ? De La Bandera, de Qùai des destin discret mais inexorable : ainsi
Brumes, de La Bête Humaine ? Incon le m orceau qui accom pagne la dernière
vénient inh ére n t au choix d’une « na soirée de Bébé à la Châtaigneraie, celle
ture > aussi caractérisée. de son arrestation, et dont la pâte
musicale, continue et compacte, fait
La prétendue e r r e u r de distribution songer aux pièces p o u r piano de Bach.
que Decoin aurait commise, d’après
certains, en confiant à^ Danielle Dar- J èan-J osé R icher .
rieux le rôle de Bébé, m’apparaît au
UN FILM SUR LA MUSIQUE
E nchantem ent Musical n ’est pas un c’est aussi que la prc.sence.de Tinter-
Jihn. parfait. R ne s’agit d ’ailleurs pas prête rend plus vivante la musique,
d’un film, mais de quatre courts métra- . Air concert, l’auditeur-se-sent en cqni-
gcs; d’inégale -valeur, réalisés p a r Irving nnm ication plus étroite avec l’exécutant,
Reis avec des collaborateurs différents. et, a travers lui, participe a 1 execution.
Le titre français sacrifie au vocabulaire \ Le: film restitue sans doute quelque
précieux et em phatique que certains chose de cette présence de ^interprète
croient de mise p our parler- musique, mais il reste en deçà de la réalité. 11
mais le contenu correspond bien au perm et -pourtant une identification plus
titre, anglais, Of Men and Music : Fau . complète.de l’auditeur avec le'niusicien.
teur a voulu se bo rn er à m ontrer des On retrouve ici le paradoxe de l’inter
musiciens en. action. Les seules in c u r prétation ciném atographique : le ciné
sions qui soient faites dans leur vie ma reste bien en deçà du théâtre quant
privée ont un ra p p o rt explicite avec à la présence de l’acteur, mais suscite,
leur métier. P o u r la prem ière fois sans beaucoup m ieux que le théâtre, rid e n -
doute, — et plus complètement que tification du spectateur avec le person
dans Carnegie Hall — voici une œuvre nage. Dans les m eilleurs moments d ’Of
consacrée à la musique sans histoire Men and Music l’exécutant devient p o u r
d’amour, sans histoire de coulisse et ainsi dire transparent, de cette tran s
sans histoire à dorm ir debout sur parence particulière de l’acteur de
« l’inspiration » et la « vie d’artiste ». cinéma qui n’est qu ’un m édium irréel
C’est sans doute la raison p o u r laquelle entre le spectateur et le personnage.
Of Men and Music n ’est pas une oeuvre
m ineure : elle ouvre au cinéma une Esl-ce à dire qu’un film sur la--musi
voie aussi neuve que celle du film sur que condam ne l’exécutant à ce cabo
la pein tu re ; voilà dix ans, après les tinage dont on co nnaît d’illustres exem
prem iers essais de Luciano Emmer et ples ? Le mérite d ’Of Men and Music
Enrico Gras. c’est d’avoir su. l’éviter, tout au moins
dans le cas de Jascha Heifetz et —■
D’autres, plus compétents, appré quoique l’on en ai ,dit — dans celui
cieront les qualités de l’interprétation de Dimitri Mitro])oulos. Car la com pa
de. m orceaux célèbres qui nous est p ro raison avec l’acteur ne signifie pas que
posée j^ar le chef d’orchestre Dimitri, l'exécutant doive jouer son person
Mitropoulos, le pianiste Arthur Rubins- nage : il joue de la musique. Mais il
tein, la cantatrice Ellen Dosia et le interprète la m usique comme un acteur
violoniste Jascha ; Heifetz. Une fois interprète un personnage. Grâce au
notée la rem arquable pureté de l’enre- cinéma, c’est la musique même qui
gistrem ent m usical L(qui s’imposait ici) devient personnage du film. Dans la
nous voudrions seulement nous inter salle de concert le virtuose ou le chef
roger sur les possibilités nouvelles d’orchestre se trouvent dans le cas du
qu’ouvre au ciném a la réalisation comédien -ail . théâtre : on souligne
d’Irving Reis. toujours ce qu’a d ’irrem plaçable sa p r é
L’am ateur de . m usique préfère aller sence ; mais cette présence s’interpose
au concert plutôt qu’entendre un disque. entre le spectateur et l ’œ uvre . dont
C’est sans doute à cause de l’im per l ’exécutant ne devrait être que l ’inter
fection inévitable de toute reproduction prète. Il bénéficie à l ’écran du privilège
et-sur ce terrain le ciném a ne-présente de l’acteùr de ciném a opposé au comé
qu’un léger et discutable avantage. Mais die ni Comme l’acteur il n ’est question
65
—■ et non comédie comme le comédien. n’a pas osé renouvelé la hardiesse de
La confusion entre l’acteur et le p erson Carnegie Hall qui m o n trait les cordes
nage, si souvent dénoncée comme créa-; vocales de Lili P ons ? C’eut pou rtan t
trice du (regrettable) m ythe de la été dans sa ligne. V'
- vedette sert aussi la musique — person
nage qui est mythe, elle aussi. La direction d’un orchestre se prêtait
mieux à l’analyse ciném atographique.
L’interprète dépersonnalisé perm et On a reproché à to rt à Diniitri Mitro-
qu’à travers lui l’auditeur découvre la poulos (et à bien d ’autres) 'ses m im i
musique, non là musique abstraite ou ques. Un chef d’orchestre ne dirige pas
passivement entendue mais jouée et avec sa; baguette ou ses mains. Son
agie. Comme l’am ateur de w esterns est regard et toute son attitude contribuent
le cow-boy, l'am ateur de musique à l’anim ation de cet instrum ent géant et
devient devant l’écran virtuose et m usi multiple qu’est l’orchestre ; ici, comme
cien ; il participe à la musique au lieu dans le cas de Jasch a Heifetz, le film
de l’entendre.seulement. ; crée une réalité nouvelle fondée sur la
liaison de cet in strum ent et de celui
A cette métam orphose le montage du qui en joue. La séquence consacrée à
111m contribue p a r l’analyse d’une tota une répétition et le passage insensible
lité qui s’impose en bloc à l’auditeur à la salle de concert rendent plus con
d’un concert. La technique et sa v ir vaincante encore cette génèse de la
tuosité deviennent des entités indépen m u siq u e / i
dantes de la personne du virtuose. Au
lieu de cet homme suant ou. dé ce dos
d’habit que l ’on voit au concert su rg it
sur l’écran une réalité nouvelle : celle,
que forme l’instrum ent mêlé aux doigts
qui ran im en t. L’exécution est liée à la L’expression' « filni d’Art » est, on le
musique comme le corps à l’âme. Le sait, profondém ent ambiguë. L’expres
violon d’Heifetz et ses mains p ro d i s i o n '« film musical l’est plus encore.
gieuses, la cam éra ne les isole que pour Elle p o u rra it désigner, outre les opé
permettre au film de, m ieux m arquer rettes filmées de tout poil, des essais
leur indissoluble unité. On en vient à . comme Images, p o u r Debussy ou Mitry
oublier que ces mains a p p a rtien n en t à construit sur'la? m usique lin contrepoint
, un corps et que ce corps a un visage. plastique d’images ou ceux de Mac La-
Le film va plus loin dans cette création ren dont parlait ici même Jean Quéval.
. d ’une n o u v e lle , réalité : il m ontre ce
que l’œil ne peut voir, le ralenti des Le domaine des «films sur l’Art »
doigts de la m ain gauche au cours de est plus limité mais sans doute plus
leur dansé éblouissante. Ce ralenti, neuf. S’essayer à « rivaliser avec la-
comme celui de Yst m ain de Matissé, musique » ou, à la suite de l’expres-
livre quélque chose du secret de l’ar- sionnisme, p réten d re « rivaliser avec
- tiste. .- la peinture » a p p a ra îtra sans doute
comme une des nom breuses" maladies
On était en droit d’attendre autant infantiles du cinéma. Les films sur les
du passage consacré au p ianiste Rubins- arts ne se proposent pas- de rivaliser
tein. La liaison que pou v ait établir le -avec leurs modèles mais p ren n e n t ces
film entre ses mains, le clavier et peut- modèles comme la matière, d’une œ uvre
être les touches nous aurait apporté ciném atographique originale. Ils p ré
une révélation aussi valable. Est-de p a r sentent au spectateur une interprétation,
fidélité au cachage traditionnel des singulière' de l’œ uvre et l’invitent à
films de fiction qu’on vous m ontre écouter. ,bu à regarder p a r les oreilles
} Rubinstein de face et de trois quarts, ou les yeux de Fauteutr du film.- j ,
les mains ou le clavier cachés p a r le
/“piano ? Le réalisateur a-t-il sacrifié à Le. film sur la-musique qu’est E ncha n
cette routine qui s’impose dans les films tem ent Musical fait écouter une œ uyre
où un acteur qui ne sa it pas jouer du ' au lieu de la donner seulement à enten
p ian o 'In te rp rète le rôle d’u n musicien. dre au même titre qu ’Alain Resnais fait
regarder le Guernica de Picasso p a r un
Le passage consacré à la cantatrice public qui ne savait que voir un tableau.
Ellen Dôssia est aussi bien décevant:
On nous présente de l’opéra filmé com ., , J ean-Louis T allenay
parable au p ire théâtre iilmé ; celui qui
respecte l’optique théâtrale. L ’auteur
URANIUM A GOGO
Mr. DRAKE’S DUCK (LE CANARD ATOMIQUE), film de V a l Gukst. Scéna
rio : Val Guest, d’après le rom an de Ian Messiter. Images : Jack Cox. Musique :
Philip Martell. Décors : Maurice Carter. Interprétation : Douglas F a irb an k s Jr.
(Don Drake), "Yolande Donlan (Penny Drake), H ow ard Marion-GrawTord (Major
Travers), Reginald Beckwitli (Mr. Bôotliby), John Pertw ee (Reuben), W ilfrid
Hyde-'White (Mr./May), A.E. Mattliews (le brigadier). Production ; Danile M. Angel,
1051. Distribution : Gaumont.
67
LA REVUE DES REVUES
ÉTATS-UNIS
, FILMS IN REVIEW (31 Union Square West, New Y o rk '3, N.Y.) février .1951
— Ce numéro contient un article humoristique, dans la veine des livres de
Georges Mikes, sur la façon d ’être — sans penser — un « movie executive »,
p a r Max E. Youngstein, vice-président de U nited Artists au départem ent de là
publicité. . ■
Richard Brooks, qui considère l’adaptation des. rom ans à l’écran, n’appo rte
rien de nouveau à ce sujet.
Sous le nom de Xantippe, des notes sur la présentation au Muséum of M odem
Art, p a r M. Edw. Steichen (lequel à 72 ans vn ’a rie n p erdu , paraît-il, de .sa
passion pour le film e x p é rim e n ta l)/d e films abstraits, de Ricliter et Eggeling à
Francis T hom pson. (N.Y., jV.Y. 1951).
Dans la même livraison Manfred George relate les débuts de Marlène D ietrich
et 'sa rencontre avec Sternberg. '• - ,
Henry H art, dans la critique des. films, donne une analyse de The African
Queen qui nous, fait attendre sa présentation en F ra n c e avec impatience.
THEATRE ARTS (130 W est 56 Street, New Vork 19, N.Y.) Vol. XXXVÏ,
N‘>s t et 2. — On lira avec intérêt, dans la livraison de janvier, un article, de
Laslo Benedek su r l’adaptation ciném atographique de Deatli of A Salesmair
(L’auteur, « film editor » à Hollywood, a été successivement cam eram an, scénariste,
et pro d u cte u r associé. Il a assuré la mise en scène du film p ro d u it p a r Stanley
Kram er et adapté p a r Stanley Roberts.) -
Au som m aire du numéro de février, plusieurs articles su r la T.V., dont un
Vie Sam Leve, décorateur imaginatif, et un ré c it^ p a r Jo h n Huston du tournage
de The African Queen, dont là plus curieuse illustration est U ne photo de travail
où l’on voit un radeau p o rta n t l’équipe des 34 techniciens rem onter le Congo
sous un jour très conradien. • ’ '. . .
68
FRANCE
.ESPRIT. (27, rue Jacob, ■ Paris-6C), ■ N ” 188, mars 1952. — Signalons/ dans
ceLle livraison, une étude d’André Bazin sur « Les deux époques de Jean Renoir ».
analyse complémentaire au « Renoir F rançais » que nos lecteurs oui pu lire
ici m ê m e (CAincns d u cin éma , Numéro . 8)1
HONGRIE '
BULLETIN DE LA CÏNEMATOGRAPHIE HONGROISE (Edition de l’Enlrc-
prise d ’Etat Hongrois de D istribution Cinématographique, Budapest, VU, Lenin-
Korut 45), N" 25. — Le sous-titre de cette publication en indique clairement
le but. Au surplus, son caractère dp simple propagande la situe en dehors même
de ce faux-semblant d’esprit critique, que reflètent les citations qu’elle fait
d ’articles de la PuavdA ou des IsVÉstia. Nous n ’en parlerions donc pas, si ce
numéro 25 ne contenait, en prem ière page, un . article de Georges Sadoul que
nous ne pouvons pas ne pas relever. Le meilleur film hongrois réalisé depuis
1945, Un Lopin de Terre, a été présenté en 1949 à Marianské Lazné. Ses qua
lités sont suffisantes pour que nous applaudissions à tout encouragement donné
à un jeune cinéma en plein essor. Mais nous déplorons, jjar contre, qu’un
critique ausi qualifié que Georges Sadoul estime nécessaire de p ren d re le ton
hyperbolique habituel en régime soviétique, et d ’aban donner toute objectivité,
au point de déclarer « très populaire en F ran ce » un certain Ludas Matt/i,
que bien peu connaissent, et, chose plus grave, le cinéma hongrois le prem ier
d’Europe et plus encore, pu isque/ écrit-il, « il a suffi de quelques années pour
q u’un cinéma presque inconnu en F rance jusqu’en 1945 prenne dans le monde
une place de prem ier rang, x-
-: _ M.M. cl J.A. -
BIANCO E NERO (Rome, via dei Gracchi). — Ce n’est pas à nous d ’in ter
v enir dans ce qu’on appelait jadis les e révolutions de palais ». Le lait est que
Luigi Cliiarini, qui a fondé en 1937 et dirigé jusqu’à ce jour B i a n c o h Neho se
trouve « déposé » et privé de sa revue, avec cette soudairieLé qui fit la force
des dictateurs. Quoi qu’il en soit, nous saluons en lui un des meilleurs doctri
naires du cinéma, dont l’œuvre constructive va du Centre Expérim ental à
l'ensemble des publications de Bianco e N e ro qui form ent un des plus beaux
rayons de la bibliothèque ciném atographique du m onde entier. Ce dernier numéro
qii’il a dirigé (XII, 11-12) est consacré à Billy W ild e r-e t publie en o u t r e le
scénario complet de Simset Boulevard. . " ' "
‘ . ' . L.I).
69
LIVRES DE CINÉMA
Vkudonk ( M a r i o ) : GLI INTELLEGTUALI E IL CINEMA (Editions de Bianco
e Nero, Rome). — Des écrivains de cinéma italiens, Mario Verdone était piarfai-
tem ent désigné, par son goût, sa curiosité encyclopédique, sà connaissance des
filmographies, p ou r en trep ren d re cet ouvrage, où sont rassemblés quelques-uns
des textes les plus im portants composés par .des poètes, des rom anciers, des
auteurs dramatiques, ou encore des penseurs et des artistes, au sujet des images,
mouvantes ou, non. Non mouvantes étaient celles que Baudelaire, an seuil du
recueil, attaquait,, en des pages fameuses sur la photographie. P a r la suite, on
rencontre Tolstoï, Rolland, Shaw, Croce, et ainsi de suite, jusqu’à nos contem
porains ; parm i eux, des hommes d’arts voisins, tels que Fregoli, M eierhold,
Pctrolini. Cette anthologie (qui s’annonce comme un p rem ier tome) '.est p r o d i
gieusement intéressante, complète et documentée à la perfection. Voilà un livre
que l’on voudrait lire très vite en version française, car il est destiné à d e v e n ir
classique ; on ne pourra plus écrire sur le cinéma sans le consulter. Rem ercions-
en l’auteur et son éditeur, — celui-là même qui édite la plus im p o rtan te des
revues de c in é m a ‘italiennes. '
/. ■, ■. v !i " . N. F . . . -
:• ■ \ ;
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EN MARCHE
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par Roger R égent 1952
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