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Le Trésor de l’ancienne

cathédrale de Milan :
objets liturgiques et mémoire de la
« sancta mediolanensis ecclesia »
* Merci à Marco Rossi et Marco Petoletti pour la
Chiara Maggioni sympathie avec laquelle ont suivi mon travail.
Université de Milan 1. Sur les sacristies du Dôme : A. M. Romanini,
« Architettura », Il Duomo di Milano, I, Milano 1973,
p. 161‑162, 164‑166, 170, 179‑180 ; F. Ruggeri,
G. B. Sannazaro, « Sacrestie », Il Duomo di Milano.
Dizionario storico, artistico e religioso, Milano 1986,
p. 520‑523. Sur l’identité et les fonctions de chaque
ordre : E. Cattaneo, « Istituzioni ecclesiastiche
Au cœur de la ville de Milan, sur la grande place vers où converge tout le milanesi », Storia di Milano, IV, Dalle lotte contro
réseau viaire, se dresse le Dôme, imposante construction du gothique tar‑ il Barbarossa al primo signore (1152‑1310),
Milano 1954, p. 620‑622, 658‑682, 689‑703 ;
dif promue par le duc Jean‑Galéas Visconti et fondée en 1386. Des deux A. Majo, « Capitolo metropolitano », Il Duomo di
côtés du presbyterium étaient prévues, à l’origine du projet, deux sacristies, Milano, 1986, p. 139‑142.
2. L’armoire est l’oeuvre de Paolo Gaza (1569‑1571),
la Sacrestia Aquilonare (sacristie septentrionale), au service des chanoines de- auquel on doit, probablement, le dessin des
macarons léonins et des festons de fruits, et de
cumani, le clergé de la ville, et la Sacrestia Meridionale o Capitolare (sacristie Giovan Battista Mangone (1585‑1604), cf. M. Cinotti,
méridionale ou capitulaire) au service des chanoines ordinari, le clergé de la « Tesoro e arti minori », Il Duomo di Milano, II,
Milano 1973, p. 281, 302.
cathédrale1. Dans cette dernière sacristie étaient conservés les objets liturgi‑ 3. Le contenu actuel du Trésor est enregistré dans :
ques les plus précieux, employés au maître‑autel, qui constituaient le trésor A. Majo (dir.), Inventario dei paramenti e delle
suppellettili sacre del Duomo di Milano, Milano 1976
de la cathédrale, et aussi les livres liturgiques et les parements. C’est saint (Archivio ambrosiano, XXX).
Charles Borromée, archevêque de Milan entre 1560 et 1584, qui décide de 4. Le choix se porta d’abord sur la sacristie à droite
du Scurolo di San Carlo, adaptée à sa nouvelle
transformer la sacristie en reliquiarium magnum, lieu de garde des reliquaires, destination d‘usage par l’architecte de la Veneranda
Fabbrica, Adolfo Zacchi. Dans un second temps on
exposés à la vénération des fidèles dans des « armari di noce intagliati », aux opta pour la plus vaste sacristie à gauche, aménagée
portes tournantes : un seul survit, sur la paroi ouest2. Dans cette armoire on par le Directeur du Musée du Dôme, l’architecte
Ernesto Brivio, et inaugurée le 6 janvier 1966
conserve encore la plupart du trésor3, tandis qu’une cinquantaine d’objets li‑ (M. Cinotti, « Tesoro e arti suntuarie », Tesoro e
turgiques et d’ornements – les vestiges les plus insignes par la valeur artistique Museo del Duomo, I, Milano 1978 Musei e gallerie di
Milano, p. 44, 46).
et l’importance historique – sont exposés au public, depuis le 6 janvier 1961, 5. Le vicedominus était membre de l’ordo maior
dans une petite salle muséale aménagée dans une des sacristies du Scurolo di et administrateur du patrimoine archiépiscopal
(Cattaneo, « Istituzioni ecclesiastiche milanesi »,
San Carlo, dans la crypte du Dôme4. op. cit., p. 664).
6. « In nomine domini amen. Hoc est Repertorium
Le plus ancien inventaire de la Sacristie Capitulaire conservé jusqu’à nos jours seu Inventarium auri et argenti et aliarum Rerum
remonte à janvier 1400, c’est‑à‑dire qu’il est contemporain du début de l’activité sacrastie sancte Mediolanensis ecclesie Inceptum
per venerabilem virum dominum Paganum de
liturgique du nouveau Dôme et a été rédigé sur ordre du Chapitre par le chanoi‑ Besozero ordinarium et vicedominum prefate
ne Pagano de Bizzozzero, ordinarius et vicedominus de la cathédrale5. Il rapporte ecclesie in presentia domini presbiteri Leonardi
de Massatijs lectoris, Augustini de Curtis, Antonini
les pièces divisées par classes (capitula) en commençant par les objets liturgiques dicti Serafini de Dulcebonis, Mirani de Besusgio
pour l’autel (subdivisés entre capitulum crosarum, 15 ; calicum, 30 ; orzolo- custodum prefate ecclesie et Beltramoli de la Cruce
notarij capituli ecclesie suprascripte de voluntate
rum, 16 ; candelabrorum, 17 ; bochalium, baziletarum et aliorum vaxorum, 27 et consensu dominorum ordinariorum MCCCC0 de
mense Januarij » (Milano, Archivio del Capitolo
et enfin diversarum rerum, 45), en tout 135 objets, et continue avec les manus‑ Metropolitano, fondo Sagrestia Meridionale, cart. 2,
crits de la bibliothèque, 28, les livres liturgiques, 56, et les ornements, 2656. n. 1, f. 4 r).

Les Cahiers de Saint-Michel de Cuxa, XLI, 2010 Chiara Maggioni 219


Malheureusement, de cet imposant ensemble, que nous pouvons imaginer ex‑
traordinairement précieux et tout aussi extraordinaire par sa valeur artistique,
n’ont survécu que cinq pièces antérieures à l’époque des Visconti. D’après leur
examen et les informations qu’on peut tirer des sources d’inventaire, liturgi‑
ques et historiques, on peut essayer, tout de même, de reconstruire quelques
moments‑clés de l’histoire ancienne du trésor7.
On sait que le bâtiment de Jean‑Galéas Visconti avait remplacé un groupe
épiscopal qui s’était accru dans les siècles, en commençant dès l’époque
paléochrétienne, quand avait été construite la première cathédrale, dé‑
diée au Sauveur et à la martyre Thècle (de la fin du Xe siècle au moins :
Stes Thècle et Pélagie), jusqu’à l’époque carolingienne, quand elle fut
flanquée du siège hivernal de Sainte‑Marie Theotokos, fondé probable‑
ment par l’archevêque Angilbert I (822‑824), le premier évêque à y être
enterré (Presvl in orbe fui, tegor hic svb matre creantis. Angel‑
berte vale ! Dicere qvosqve precor, disait son épitaphe) ; l’église Sain‑
Dôme de Milan, sacristie capitulaire, armoire te‑Marie fut ensuite consacrée – ou dédiée – en 836 par son successeur
des reliques.
Angilbert II (824‑859), selon le récit des Annales Mediolanenses minores,
compilés à la fin du XIIIe siècle : « A. D. 836. edificata fuit ecclesia sancte
Marie maioris de Mediolano »8.
Les objets liturgiques de la cathédrale étaient gardés dans le secretarium, qui
se trouvait, d’après quelques indices que nous fournissent deux des plus
anciens chroniqueurs des choses milanaises, Arnulf (Liber gestorum recen-
tium, environ 1072‑1077) et Landulf le Vieux (Historia Mediolanensis, en‑
viron 1075‑1085)9, à proximité de l’église hivernale et en communication
7. La reconstruction du rangement du maître‑autel
de Sainte‑Marie Theotokos et de ses objets
directe avec elle (Landulf Senior, historia mediolanensis, I, 13) ; dans le
liturgiques entre la fondation et l’archevêché même endroit protégé on gardait aussi les archives capitulaires (Arnulf, Li-
d’Aribert d’Intimiano (1018‑1045) avait déjà été
décite par l’auteur dans « “Fulgeat ecclesie” : le ber gestorum, I, 1). La surveillance s’y exerçait même la nuit : « ebdomadarius
committenze orafe di Ariberto », Ariberto da subdiaconus semper jacet in secretario » prescrit le plus ancien livre cérémo‑
Intimiano. Fede, potere e cultura nel secolo XI,
Milano 2007, p. 269‑271, 275‑278. niel ambroisien, compilé peu après 1126 par un custos et cicendelarius de la
8. Sur le groupe cathédral de Milan : C. Cattaneo, cathédrale, Beroldus. Le cérémoniel de Beroldus représente le point d’arri‑
Terra di Sant’Ambrogio. La Chiesa milanese
nel primo millennio, Milano 1989 (Cultura e vée d’un long procès de mise en ordre disciplinaire de l’Église milanaise et
storia, 1), p. 159, 166, 212 ; P. Piva, Le cattedrali
lombarde. Ricerche sulle « cattedrali doppie » da
pourtant – grâce aussi à l’expérience directe de son auteur et à sa familiarité
sant’Ambrogio all’età romanica, Quistello 1990, avec les textes liturgiques précédents – il constitue notre première source pour
p. 17‑34 ; A. Pracchi, La cattedrale antica di Milano.
Il problema delle chiese doppie fra tarda antichità la connaissance de l’ancienne liturgie ambroisienne10. C’est exactement sur
e alto medioevo, Bari‑Roma 1996, p. 336‑370 ; la base des indications qu’on tire de différents passages du Beroldus qu’on
M. Rossi, « Le cattedrali perdute : il caso di
Milano », Medioevo. L’ Europa delle cattedrali. Atti a proposé récemment de reconnaître la localisation du secretarium dans la
del IX Convegno internazionale di studi (Parma, pièce du rez‑de‑chaussée du campanile, qui se trouvait près de la façade de
19‑23 settembre 2006), Milano 2007, p. 228‑236
(I convegni di Parma ; 9). Sainte‑Marie, sur le côté septentrional, non loin de l’ancienne résidence des
9. Landulphi Senioris, Historia Mediolanensis, ed.
L. C. Bethmann, W. Wattenbach, MGH, Scriptores,
chanoines11.
VIII, Hannoverae 1848, p. 32‑100 ; Arnulf von D’après le Beroldus on connaît les différentes dignités ecclésiastiques liées à la
Mailand, Liber gestorum recentium, hrsg. von C. Zey,
MGH, Scriptores rerum germanicarum in usum liturgie et, parmi elles, les fonctions liées au trésor. Celui‑ci était confié à la
scholarum separatim editi, LXVII, Hannover 1994. responsabilité du cimiliarcha, qui devait être choisi entre les chanoines ordi‑
Arnulf est le porte‑parole des maiores nobilium
(C. Violante, « Arnolfo », Dizionario Biografico naires et devait appartenir à une famille de l’ancienne aristocratie milanaise :
degli Italiani, IV, Roma 1962, p. 281‑282), Landulf le sa tâche ne consistait pas seulement à pourvoir à la garde du trésor et au
Vieux celui du clergé milanais (P. Chiesa, « Landolfo
Seniore », DBI, LXIII, Roma 2004, p. 497‑501). fonctionnement de la sacristie, mais aussi à l’entretien et à la restauration des
10. Beroldus sive Ecclesiae Ambrosianae
Mediolanensis kalendarium et ordines. Saec. XII,
objets liturgiques et des parements, en administrant, dans ce but, les biens de
ed. M. Magistretti, Mediolani 1894 ; G. Scalia, la sacristie elle‑même. Le cimiliarcha rendait compte au Chapitre une fois par
« Beroldo », DBI, IX, Roma 1967, p. 391.
11. T. Tassini, « Il Duomo Vecchio di Brescia e la an, la première semaine après l’Octave de Pâques, du trésor et des biens de la
funzione della sua torre : la stanza del tesoro della sacristie, et aussi de toutes les rentrées et les dépenses. Le cimiliarcha présidait,
cattedrale », Arte medievale, III (2004/2), p. 21‑22 ;
l’identification présuppose, toutefois, qu’au moment à son tour, le collège des custodes, d’extraction laïque : huit majeurs, divisés
de la première reconstruction de Sainte‑Marie entre ostiarii, préposés au soin de la sacristie et à la garde du trésor, et cicen-
(post 1075), la localisation du secretarium soit resté
inchangée. delarii, ayant la charge d’allumer les cierges dans le chœur dans les occasions
12. Sur les responsabilités liés au Trésor : Cattaneo,
« Istituzioni ecclesiastiche milanesi », 1954, p. 665,
plus importantes, et huit mineurs, qui stationnaient autour du presbyterium
678‑682. pour garder le maître‑autel12.

220 Chiara Maggioni Les Cahiers de Saint-Michel de Cuxa, XLI, 2010


À propos du maître‑autel de la basilique carolingienne dédiée à la Mère de
Dieu, une seule mention – tirée d’un passage de la chronique d’Arnulf – le sau‑
ve de l’oubli le plus complet, même si, malheureusement, au moment même
où il va être perdu pour toujours. Revêtu d’un antependium en lames d’or, il a
fondu quand un incendie destructeur, qui s’était propagé en ville l’après‑midi
du Lundi Saint de 1075 (30 mars), atteint l’ancienne cathédrale estivale de
Sainte‑Thècle et, plus encore, le siège hivernal, qui s’écroule en ruines sous
l’énorme chaleur : « Hoc tamen crudelior, quod multo plures ac maiores
combussit ecclesias, illam scilicet estivam ac mirabilem sancte virginis Tegle,
beati quoque Nazarii, necnon protomartyris Stephani, ceteras quamplures,
quarum parietine annis apparebunt ut reor plus mille. Inter quas aliarum
mater sancte dei genitricis hyemalis basilica, o dolor iterum iterumque dolor,
exuri permittitur collapsis funditus parietibus. Cuius sacrosanctum altare non Basilique de Saint-Ambroise, Autel d’Or, façade
vers l’abside.
apparet, quantum fuerit aut quale, lamine vero auree liquefacte sunt nimio
pro caumate. Set mille talenta auri librorum dampno nequeunt comparari »
(Arnulf, Liber gestorum, IV, 8). Nous manquons cependant d’éléments pour
imaginer l’antependium commandité en même temps que le siège hivernal ou
fruit d’un enrichissement successif, même si la première hypothèse semble 13. Sur l’Autel d’Or de la basilique
particulièrement suggestive parce que Angilbert II aurait aussi commandé le saint‑ambroisienne : C. Bertelli, « Sant’Ambrogio
da Angilberto a Gotofredo », Il millennio
somptueux Autel d’Or de la basilique de Saint‑Ambroise, heureusement très ambrosiano, II, La città del vescovo dai Carolingi
bien conservé, sur lequel il se fait représenter – sur le côté postérieur – tandis al Barbarossa, Milano 1988, p. 16‑81 ; S. Gavinelli,
« Il gallo di Ramperto : potere, simboli e scritture
qu’il offre le maître‑autel lui‑même au saint titulaire13. a Brescia nel secolo IX », Margarita amicorum.
Parmi les objets liturgiques du maître‑autel carolingien se trouvait un calice Studi di cultura euopea per Agostino Sottili, Milano
2005, p. 414‑421. À propos du maître‑autel de
en or et pierres précieuses, perdu ensuite, pour lequel le poète irlandais Sedule Sainte‑Marie, Mia Cinotti (Cinotti, « Tesoro e arti
Scotus avait composé une épigramme métrique : « Hoc agni cratere sancto suntuarie », 1978, p. 43) reprend l’affirmation d’un
historiographe milanais du XVIIIe siècle, Giorgio
potantur et haedi, / Sed haurit digne crimine quique caret. / Hunc Angel‑ Giulini (G. Giulini, Memorie spettanti alla storia, al
governo, ed alla descrizione della città, e campagna
bertus renovans insignis et auro / Praesul et en magnis gemmis vernantibus di Milano, ne’ secoli bassi, I, Milano 1760) selon
auxit »14. La teneur de l’inscription en vers, qui s’adresse aux utilisateurs du laquelle à l’occasion de la consécration (822)
l’archevêque Angilbert I aurait donné à la Cathédrale
calice en les invitant à une réflexion sur le sens profond de l’objet et, en même l’antependium en or et l’empereur Louis le Pieux,
temps, en célébrant sa valeur matérielle et le rôle du commanditaire, est tout fils de Charlemagne, une croix gemmée : Giulini ne
spécifie pas, pourtant, la source de cette information.
à fait identique à celle de l’inscription en hexamètres qui se déroule sur la face 14. Sedulii Scotti carmina, ed. L. Traube, MGH,
postérieure de l’Autel d’Or15. L’une et l’autre plongent leurs racines dans la Poetae Latini Aevi Carolini, III, Berolini 1896, p. 236
(G. Biscaro, « Note e documenti santambrosiani »,
tradition initiée par saint Ambroise lui‑même, premier archevêque comman‑ Archivio storico lombardo, XXXII (1905/5), p. 78
et F. Savio, Gli antichi vescovi d’Italia dalle origini
ditaire à Milan, qui avait composé vingt‑et‑un distiques en hexamètres expli‑ al 1300 descritti per regioni, La Lombardia, I, Milano
quant des scènes de l’Ancien et du Nouveau Testament sur les parois de l’an‑ ‑ Firenze 1913, p. 320‑321).
15. « aemicat alma foris rvtiloqve decore venvsta
cienne Basylica Martyrum, fondée par lui‑même sur les sépultures des martyrs / arca metallorvm gemmis qvae compta corvscat
Gervais et Protais, précédant l’actuelle basilique saint‑ambroisienne16. / thesavro tamen haec cvncto potiore metallo /
ossibvs interivs pollet donata sacratis / aegregivs
Au milieu du Xe siècle au moins, le maître‑autel était surmonté par un cibo- qvod praesvl opvs svb honore beati / iclitvs ambrosii
templo recvbantis in isto / optvlit angilbertvs
rium, auquel étaient suspendus des objets précieux donnés par Hugues, comte ovans dominoqve dictavit / tempore qvo nitidae
de Provence et roi d’Italie (926‑947), en réparation pour la tentative d’assas‑ servabat cvlmina sedis / aspice svmme pater famvlo
miserere benigno / te miserante devs donvm svblime
sinat de l’archevêque Ardérique (941‑946) : « Factum est autem, ut conven‑ reportet » ; M. Ferrari, « Le iscrizioni », L’Altare
tione digne satisfactionis concederet ecclesie (...) capellam auream cum cruce, d’Oro di Sant’Ambrogio, Milano 1996, p. 145‑155 ;
M. Petoletti, « Testimoni d’arte : epigrafi e monumenti
que super altare in yemalis ecclesie sunt collocata tegurio » (Arnulf, Liber nel Medioevo lombardo (sec. VIII‑XII) », I « Magistri
gestorum, I, 3). La brève allusion du chroniqueur ne permet pas d’éclaircir s’il commacini ». Mito e realtà del medioevo lombardo.
Atti del XIX Congresso internazionale del Centro
s’agissait d’une petite châsse (capsellam ?) en or, faisant fonction de reliquaire italiano di studio sull’alto medioevo (Varese‑Como,
ou de tabernacle suspendu, couronnée d’une croix, ou bien de deux éléments 23‑25 ottobre 2008), I, Spoleto, CISAM, 2009,
p. 297‑299.
distincts, une croix et une sorte de petit baldaquin ou couronne votive qui 16. La città e la sua memoria. Milano e la tradizione
di Sant’Ambrogio, catalogo della mostra, Museo
devait protéger et, en même temps, honorer les saintes espèces placées sur la Diocesano, Milano 1997.
table d’autel17. L’image d’ensemble qu’on en déduit trouve une suggestive 17. C. Pisoni, « Tabernacolo », Enciclopedia dell’arte
medioevale, XI, Roma 2000, p. 55.
correspondance dans un fragment de la décoration de la chapelle de saint 18. Sur la datation des fresques de l’abbaye de
Eldrade à l’abbaye de la Novalesa, réalisée sur commande de l’abbé Adrald de Novalesa : C. Segre Montel, « I percorsi delle
reliquie, tra « thece dignissime », « libri miraculorum »
Brême par un atelier de culture milanaise dans les années 1096‑1097, quand e « imagines depicte », Uomo e spazio nell’alto
le souvenir de la basilique carolingienne de Sainte‑Marie Theotokos et de son medioevo. Atti delle settimane di studio del Centro
Italiano di Studi sull’Alto Medioevo, L (2002), 2,
tragique écroulement devait être encore très vif 18. Spoleto 2003, p. 894‑912.

Les Cahiers de Saint-Michel de Cuxa, XLI, 2010 Chiara Maggioni 221


À la mort de l’archevêque Ardérique (946) s’ouvrit une âpre querelle, qui se
prolongea cinq ans, entre deux prétendants à sa succession, Manasse, évêque
d’Arles, et Adelmannus, prêtre milanais : « Quorum execrabili iurgio iactu‑
ram pergrandem sustinuit ecclesia, precipue in thesauris et cymiliis omnibus,
quibus incomparabiliter affluebat » (Arnulf, Liber gestorum, I, 4), première
confirmation par une source historique de la grande quantité d’objets pré‑
cieux qui affluaient à la cathédrale19 mais aussi première mention des pertes
considérables subies par le trésor.
On ne sait rien, au contraire, du maître‑autel du siège estival de Sainte‑Thècle
mais une trace importante de sa dotation d’objets liturgiques pourrait venir
des dispositions testamentaires rédigées par Charlemagne trois ans avant sa
mort, en 811, et transcrites par son biographe Eginhard dans sa conclusion
de la Vita Karoli Magni. Le souverain, qui dispose de son trésor personnel
(« omnem substantiam atque suppellectilem suam, quae in auro et argento
gemmisque et ornatu regio »), assigne les deux tiers des objets précieux aux
vingt‑et‑une églises métropolitaines de l’Empire, parmi lesquelles celle de Mi‑
lan, qui figure à la troisième place de la liste juste après Rome et Ravenne20.
On a avancé l’hypothèse que parmi ces donations étaient compris deux des
objets qui sont encore conservés dans le trésor du Dôme : la reliure en ivoire
de l’Antiquité tardive appelée Diptyque des cinq plaques, probablement réalisé
à Ravenne selon l’iconographie de plusieurs scènes très proches de celles des
mosaïques de Ravenne du début du VIe siècle, et le Diptyque, lui aussi en ivoi‑
re mais remontant à l’époque carolingienne, dit des Histoires de la Passion21.
La reliure est constituée par deux plats semblables, composés chacun par la som‑
me de cinq éléments travaillés en relief séparément, et devait sans doute renfer‑
mer un Évangéliaire. Au centre du plat antérieur est l’Agneau mystique, réalisé en
grenats almandins et pâtes de verre cloisonnés, dans une couronne de fruits qui
fait allusion aux quatre saisons de l’année et donc à la seigneurie du Christ sur le
temps. Autour se disposent les Histoires de l’Enfance et de la Vie Publique, tirées
des évangiles de Mathieu (et de l’apocryphe pseudo‑Mathieu) et de Luc : leurs
symboles apparaissent au sommet du plat tandis que leurs portraits occupent
19. Voir Cinotti, « Tesoro e arti minori », 1973, p. 235.
20. « Hac igitur intentione atque proposito omnem
la même place en bas ; le choix des épisodes veut illustrer la nature humaine du
substantiam atque suppellectilem suam, quae in auro Christ. Au centre du plat postérieur, au contraire, il y a une Croix gemmée, elle
et argento gemmisque et ornatu regio in illa, ut dictum
est, die in camera eius poterat inveniri, primo quidem aussi en grenats almandins et pâtes de verre cloisonnés, autour de laquelle sont
trina divisione partitus est. Deinde easdem partes mises en page les Histoires de la Vie Publique – surtout les miracles – et de la Glo-
subdividendo de duabus partibus XX et unam partem
fecit, tertiam integram reservavit. Et duarum quidem rification du Christ, tirées des évangiles de Marc et de Jean – rappelés de la même
partium in XX et unam partem facta divisio tali façon qu’au plat antérieur – pour représenter sa nature divine22.
ratione consistit, ut, quia in regno illius metropolitanae
civitates XX et una esse noscuntur, unaquaeque Il n’est pas à exclure que la reliure d’évangéliaire soit parvenue à Sainte‑Thècle
illarum partium ad unamquamque metropolim per
manus heredum et amicorum suorum eleimosinae
dans une circonstance très antérieure, c’est‑à‑dire au moment du renouvèle‑
nomine perveniat, et archiepiscopus, qui tunc illius ment du groupe cathédral après la dévastation des Burgondes (491) promue
ecclesiae rector extiterit, partem quae ad suam
ecclesiam data est suscipiens cum suis suffraganeis par l’archevêque Laurent I (489‑511), qui entretenait d’intenses relations
partiatur, eo scilicet modo, ut pars tertia suae sit avec Ravenne, en soutenant Théodoric, roi des Goths. Dans cette perspective
ecclesiae, duae vero partes inter suffraganeos
dividantur. Harum divisionum, quae ex duabus primis la seule donation de Charlemagne serait le diptyque carolingien ; sans doute
partibus factae sunt et iuxta metropoleorum civitatum l’objet était‑il déjà à Milan à l’époque ottonienne, quand ses scènes furent
numerum XX et una esse noscuntur, unaquaeque
ab altera sequestrata semotim in suo repositorio prises comme modèle par l’auteur de la Situla Basilwesky (London, Victoria
cum superscriptione civitatis, ad quam perferenda
est, recondita iacet. Nomina metropoleorum, ad
& Albert Museum).
quas eadem eleimosina sive largitio facienda est, Sur les volets se déroulent, selon une narration continue, les Scènes de la Pas-
haec sunt : Roma, Ravenna, Mediolanum, Forum
Iulii, Gradus, Colonia, Mogontiacus, Iuvavum quae sion et de la Résurrection, en commençant par le lavement des pieds de Pierre,
et Salzburc, Treveri, Senones, Vesontio, Lugdunum, puis le procès devant Pilate qui se lave les mains, la tentative de Judas de
Ratumagus, Remi, Arelas, Vienna, Darantasia,
Ebrodunum, Burdigala, Turones, Bituriges ». rendre les trente deniers de la trahison suivie par son suicide, et enfin le sépul‑
21. Cinotti, « Tesoro e arti minori », 1973, p. 235. cre du Christ entouré des gardes ; sur l’autre volet, la narration reprend avec
22. Cinotti, notice 1 a‑b, « Tesoro e arti suntuarie »,
1978, p. 49‑50 ; J. Spier, notice 76, Picturing the l’ange qui rassure les femmes au sépulcre, l’apparition de Jésus lui‑même aux
Bible. The earliest christian art, catalogue of the
exposition, Forth Worth ‑ Kimbell Art Museum, New
femmes, l’apparition du Ressuscité aux douze apôtres dans le Cénacle et enfin
Haven and London 2007, p. 256‑258. l’incrédulité de Thomas.

222 Chiara Maggioni Les Cahiers de Saint-Michel de Cuxa, XLI, 2010


À l’origine l’objet était peut‑être destiné à renfermer une Passio Christi, à
lire lors de certains rituels de la Semaine Sainte23, ou, plus probablement, le
cantatorius, livre liturgique qui contenait les textes et mélodies des psaumes
des répons et les versets de l’alléluia, selon le témoignage du grand liturgiste
Amalaire de Metz (De ecclesiasticis officiis, III, 16 ; environ 830). Le chanteur,
bien qui n’ait pas eu besoin de lire parce qu’il connaissait psaumes et alléluia
par cœur, montait quand même à l’ambon en tenant en main de petites ta‑
bles : « Tabulas quas cantor in manu tenet solent fieri ex osse ». Le Beroldus
confirme que l’usage était encore vivant à l’époque romane : quand la lecture
était terminée le puer (le petit chanteur) les jours fériés, le notarius (le ministre
de grade supérieur) les jours festifs, ou bien le diacre dans les solennités plus
importantes prenaient les « tabulas eburneas » qui se trouvaient sur le maî‑
tre‑autel et montaient sur le pupitre pour chanter l’alléluia24.
Dans la deuxième moitié du Xe siècle parviennent au trésor deux autres ivoi‑
res très précieux qui n’étaient pas à l’origine destinés à la cathédrale milanai‑
se : un diptyque byzantin et la situle de l’archevêque Godefroy (974‑979).
Le diptyque, qu’on peut mettre en relation avec l’importation d’ivoires by‑
zantins en Occident promue par la dynastie impériale ottonienne, repré‑
sente huit scènes christologiques qu’on peut rapporter au cycle des douze
fêtes liturgiques les plus solennelles de l’Église d’Orient : l’Annonciation et
la Visitation, la Nativité, le Baptême du Christ et la Présentation au Temple
sur le premier volet, la Crucifixion, les Femmes au sépulcre, la Descente
aux Limbes et la Rencontre du Christ avec les femmes sur le deuxième25.
Même si l’objet fut créé pour la dévotion privée – ce serait ce qui reste d’un
petit autel de dévotion portable –, son emploi dans la cathédrale devait
être semblable à celui du diptyque carolingien, si le plus ancien inventaire
de la sacristie capitulaire mentionne les deux ensemble : « quatuor tabulle
eburnee »26. Page de gauche : évangéliaire dit Diptyque des
La situle de l’archevêque Godefroy, par contre, avait été confectionnée en pré‑ Cinq Plaques, plats antérieur et postérieur.
vision de la venue à Milan d’Othon II, pour verser l’eau lustrale sur l’empe‑ Ci-dessus : Diptyque carolingien et Diptyque
bysantin.
reur, et offerte à la basilique saint‑ambrosienne où le souverain aurait été reçu,
selon l’inscription qui court autour de l’embouchure du récipient : « vates
ambrosi gotfredvs dat tibi sancte ‑ vas veniente sacram spargendvm
cesare lympham ». Sur les flancs, dans des arcades classiques – sur lesquelles
sont gravées des inscriptions tirées du Carmen Paschale de Sedule Scotus – se
dresse la Vierge Marie avec l’Enfant sur le trône († virgo fovet natvm geni‑
tricem nvtrit et ipse) entre deux anges, entourée par les quatre évangélistes
au travail (ora gerens hominis mathevs terrestria narrat ; ore bovis 23. Cinotti, notice 2 a‑b , « Tesoro e arti suntuarie »,
1978, p. 50‑51.
lvcas divinvm dogma remvgit ; christi dicta fremit marcvs svb fronte 24. M. Navoni, « I dittici eburnei nella liturgia »,
leonis ; celsa petens aquile vvltvm gerit astra iohannes). Puisque Go‑ Eburnea Diptycha. I dittici d’avorio tra Antichità
e Medioevo, Bari 2007 (Studi storici sulla Tarda
defroy mourut (septembre 979) avant la visite de l’empereur (automne 980), Antichità, 26) p. 309‑310.
l’objet finit dans le trésor de la cathédrale27. 25. Cinotti, notice 4 a‑b, « Tesoro e arti suntuarie »,
1978, p. 52‑53.
L’âge d’or des commandes épiscopales d’objets liturgiques pour la cathédrale 26. « Item quatuor tabulle eburnee et ligni orlate
se renouvelle avec les épiscopats d’Arnulf II (998‑1018) et d’Aribert d’Inti‑ de argenteo circumquaque laborate ad figuras
que vocantur livelli quas portant in manibus diaconi,
miano (1018‑1045). Une fastueuse croix processionnelle fut commandée par et subdiaconi notarij primicerius et lectores (...) »
(Archivio del Capitolo Metropolitano, fondo
Arnulf pour mettre fin à une âpre querelle qui l’avait opposé à l’empereur à Sagrestia Meridionale, cart. 2, n. 1, f. 14 v).
propos des ordinations épiscopales des suffragants, quand Henry II décida de 27. Cinotti, n. 3, « Tesoro e arti suntuarie »,
1978, p. 51‑52 ; H. Fillitz, II 29, Bernward von
déposer l’évêque d’Asti Pierre (992‑1005), pour investir de son siège Alrique, Hildesheim und das Zeitalter der Ottonen, Katalog
frère d’un fidèle allié, le marquis de Turin Olderique Manfredi. La situation der Ausstellung, Hildesheim 1993, p. 74‑75 ;
F. Tasso, IV‑9, Matilde di Canossa, il papato,
très tendue s’était résolue durant l’été 1008 avec l’imposition aux frères d’une l’impero. Storia, arte, cultura alle origini del
pénitence publique qui se conclut à la basilique saint‑ambroisienne : « Frater romanico, catalogo della mostra, Mantova ‑ Casa
del Mantegna, Milano 2008, p. 314‑315 ; Petoletti,
vero illius Mainfredus marchio donavit ecclesie [beati Ambrosii] auri talenta « Testimoni d’arte », 2009, p. 337‑39.
28. P. Tomea, Tradizione apostolica e coscienza
quamplurima, unde producta est crux illa pulcherima, que usque hodie pre‑ cittadina a Milano nel medioevo. La leggenda di san
cipuis tantum geritur in diebus » (Arnulf, Liber gestorum, I, 18‑19)28. Barnaba, Milano 1993, p. 422‑424.

Les Cahiers de Saint-Michel de Cuxa, XLI, 2010 Chiara Maggioni 223


La crux pulcherima était encore en usage au Dôme au XVe siècle, selon les
inventaires de la Sacristie Capitulaire : « Im primis Crux una magna auri que
utitur in processionibus cum quinque smaldis magnis pro utraque parte, et
viginti smaldis parvis ab una parte, et ab alia decemnovem, et cum pluribus
lapidibus bonis, et gemis diversorum collorum, et cum manica argenti albi »29.
Les inventaires du 1442 et du 1445 porte une référence explicite à l’éminent
commendataire :« quam crucem fieri fecit quondam bone memorie dominus
Arnulfus de Capitaneis de Arzago in Seprio Archiepiscopus Sancte Mediola‑
nensis Ecclesie »30.
Avec les inventaires est conservé un petit feuillet de la fin du XVe siècle, où
une main anonyme a transcrit une inscription retrouvée dans la croix elle‑mê‑
me ou sur la croix, de laquelle on déduit que sur la base de l’objet figuraient
les images de la Sainte Vierge et du commanditaire agenouillé aux pieds de
saint Ambroise, qui reçoit la croix : « Scriptura Reperta in Cruce Aurea de
Ordinariorum ecclesie maioris Mediolani in pede. Arnulufus huius sedis Ar‑
chiepiscopus sacrae Dei Genetricis de suo sibi. Imago Dei Genitricis In una
Situle de Godefroy, la Vierge et l’enfant. parte pedis. In Alia parte est imago sancti Ambrosij cum Imagine Arnulphui
genibus flexis et littera. Et Sanctus Ambrosius Arnulphis tenens in manu
† »31. Il n’est pas clair, toutefois, si c’étaient des éléments contemporains à
l’objet, peut‑être deux émaux, ou s’ils faisaient partie d’une base adjointe
dans un second temps. Dans le premier cas on peut constater la proximité de
la croix d’Arnulf avec deux œuvres presque contemporaines, les deux croix
processionnelles de Mathilde, abbesse de Essen (973‑1011 ; Essen, Münsters‑
chatzmuseum) et membre importante de la famille impériale parce que sœur
de Othon Ier et tante de l’empereur régnant Othon II. À la base de la première
croix, reçue en don par le frère Othon, duc de Souabe et de Bavière († 982),
un émail fixe le moment de la donation ; à la base de la deuxième, de peu
postérieure, un autre émail montre l’abbesse agenouillée, sa croix aux mains,
aux pieds de la Vierge trônant avec l’Enfant32.
Cependant, comme dans le cas des objets précieux offerts par Hugues de Pro‑
vence quelques décennies auparavant, la donation de la fastueuse croix pro‑
cessionnelle venait sanctionner le renouvellement des hommages du pouvoir
temporel – ou d’une autorité ecclésiastique inférieure – à la suprême autorité
Croix processionnelle, Bibliothèque apostolique
vaticane, Menologius de Basile II (ms.gr.1613), du métropolite milanais. De la même façon se conduisit, quand il fut ar‑
f. 142. chevêque, Aribert d’Intimiano, au moment de la réalisation de la croix de
sous‑diacre de la cathédrale – si on fait crédit au récit de Landulf le Vieux, pas
très précis dans ses détails circonstanciels –, lors d’une diète convoquée à Ron‑
caglia pour appuyer Henri II, en présence de l’empereur lui‑même, pendant
29. Archivio del Capitolo Metropolitano, fondo
laquelle Aribert aurait condamné l’usage de l’évêque de Pavie de se faire précé‑
Sagrestia Meridionale, cart. 2 , n. 1 (gennaio 1400), der d’une croix processionnelle comme s’il était métropolite ; à la soumission
f. 5r. ; n. 2 (maggio 1406), f. 5r ; n. 3 (marzo 1413), f. 5r.
30. Archivio del Capitolo Metropolitano, fondo de l’évêque de Pavie l’objet précieux aurait été déposé, à titre mémoriel, dans
Sagrestia Meridionale, cart. 3, n. 1 (1442), f. 6r ; le secretarium de Sainte‑Marie : « Ea tempestate Eusebius Papiensis episcopus
l’inventaire du 7 mai 1445 publié en 1909 par
Magistretti se trouvait à ce moment là dans une crucem tamquam metropolitanus ante portari faciens... Crux quam Euxe‑
collection privée (M. Magistretti, « Due inventari del bius sibi anteferri fastu superbiae praemittebat, ab ipso summa humilitate ac
Duomo di Milano del secolo XV », Archivio storico
lombardo, 36 (1909), p. 325). devotione coram omni multitudine debita, refutata est ; quae usque hodie,
31. Archivio del Capitolo Metropolitano, fondo
Sagrestia Meridionale, cart. 1, n. 3 : Memoria di una
plurimum crystalli habens, in sanctae Mariae secretario in testimonio poste‑
Scrittura trovata nel piede della Croce d’Oro. rorum decenter custoditur » (Landulphi Senioris, Historia, II, 21)33.
32. U. Bergmann, n. B 1, Ornamenta ecclesiae. Kunst
und Künstler der Romanik, I, Katalog zur Ausstellung, Dans ce climat de force signifiante retrouvée des objets liturgiques, la connais‑
Köln ‑ Josef‑Haubrich‑Kunsthalle, Köln 1985, sance directe par Arnulf du fastueux cérémoniel de la cour de Byzance ne doit
p. 149‑150.
33. L’épisode n’est pas rapporté par d’autres pas avoir été sans conséquences : quand l’archevêque était allé à Constantino‑
sources et l’évêque de Pavie dans les années ple sur ordre de l’empereur Othon III pour préparer le mariage du souverain
d’Aribert ne s’appelait pas Eusèbe mais
Rainald (1015‑45). avec une princesse byzantine (automne‑hiver 1001‑1002), il était resté au
34. Arnulf, Liber gestorum, I, 13 ; Landulphi Senioris
Historia, II, 18‑19. (Tomea, Tradizione apostolica e
palais impérial plusieurs mois34. Le voyage de la légation avait été marqué
coscienza cittadina, p. 420‑421). par d’exceptionnels échanges de cadeaux précieux : Arnulf avait pris congé

224 Chiara Maggioni Les Cahiers de Saint-Michel de Cuxa, XLI, 2010


d’Othon III « ineffabili thesauri argentique pondere honustum » et avait reçu
à son tour du basileus « multis et magnis donis ex auro et gemmis » destinés à
l’empereur et à sa cour, cadeaux qui, au moment où le cortège rentra au pays
à cause de la mort inattendue d’Othon (24 janvier 1002), restèrent proba‑
blement, au moins en partie, en possession de l’archevêque milanais35. Sur la
route du retour, Arnulf aurait fait étape à Rome, en repartant « diversarum
multarumque rerum in auro et argento ac palliorum diversorum mobilibus
honustus » pour offrir, à son rentrée à Milan, « sanctae Mariae ac sancti Am‑
brosii in auro et argento pallis et gemmis diversis [...] ecclesiis »36.
Point d’arrivée et climax absolu de ce parcours est la reliure d’évangéliaire
commandée par Aribert d’Intimiano, dont les plats ont été réalisés probable‑
ment à deux moments différents de son épiscopat37. Le plus ancien, en argent
repoussé et doré, paraît exécuté à l’ouverture de son mandat, peut‑être pour la
cérémonie même de l’ordination épiscopale (mars 1018), à laquelle renvoie le
programme iconographique basé sur l’accession d’Aribert à la chaire qui avait
été celle d’Ambroise. À une datation précoce s’accorde le langage stylistique,
qui recompose des modèles de l’enluminure contemporaine à destination im‑
périale dans la sobre rigueur du dessin propre aux ateliers qui avaient travaillé
sous son prédécesseur Arnulf.
Le deuxième plat, somptueusement revêtu de lames d’or, filigranes, pierres
précieuses et émaux, serait un peu postérieur et aurait été réalisé pour enrichir
l’objet déjà en usage à l’occasion de la cérémonie de couronnement comme
roi d’Italie de Conrad II (printemps 1026), en prévision de laquelle Aribert
restaure aussi l’Autel d’Or saint‑ambroisien. Autour d’un Crucifix en or s’arti‑
cule un exceptionnel cycle d’émaux, le plus vaste du cloisonné occidental. Les
personnages présents aux derniers instants de la vie du Christ se découpent
– en senkschmelz – sur la lame d’or du fond, en se portant en avant, en tant
que dramatis personae, sur l’avant‑scène du Calvaire, au‑dessous de la croix
les Dolents (maria et filivs tvvs et apostole ece mater tva), Longin et
Stephaton, au ciel le Soleil et la Lune, aux quatre coins de l’espace les Quatre
Vivants. Aux extrémités de la croix prennent origine, au contraire, les épiso‑
des pascals – en vollschmelz – riches des soulignements propres à l’ancienne li‑
turgique ambroisienne : la Descente aux Limbes, Jésus et le Bon Larron (latro), Essen, Trésor de la Cathédrale, première et
l’Apparition de l’ange à Marie Madeleine près du sépulcre (sepvl[chrvm]), et deuxième croix de Mathilde.
l’Ascension, à laquelle assistent les Apôtres sur deux rangs (discipvli regem
/ mirantvr svmma petentem) ; des deux côtés de l’Anastasis saint Ambroise
et son frère Satyres.
Si l’une des pièces les plus anciennes du trésor a survécu au désastreux in‑
cendie du 30 mars 1075 ce fut probablement à cause d’une heureuse coïnci‑
dence liée au caractère processionnel particulier de la liturgie ambrosienne.
Le Lundi Saint était prévu un rite solennel présidé par l’archevêque, en com‑
mémoration de la guérison miraculeuse d’un lépreux par saint Ambroise, qui
se concluait à la basilique de Saint‑Laurent par la célébration de la Messe38 :
ainsi, quand les flammes s’étaient propagées, « cellebratis itaque missarum
solempniis », la partie des objets liturgiques qui y était employée se trouvait
loin de son lieu de conservation habituel.
Quant à l’époque romane, les pages du cérémoniel de Beroldus mettent
35. C. Bertelli, « Introduzione », Il Millennio
sous nos yeux non seulement les gestes de l’action liturgique dans la ca‑ Ambrosiano, II, La città del vescovo dai carolingi al
thédrale mais aussi ses objets : pour citer le cas le plus éclatant, quand il Barbarossa, Milano 1988, p. 8.
36. P. Toesca, La pittura e la miniatura nella
décrit les transmigrationes du siège hivernal au siège estival, à Pâques et de Lombardia, dai più antichi monumenti alla metà del
celui d’été à celui d’hiver, lors de la fête de la Dédicace (troisième diman‑ Quattrocento, Milano 1912, p. 60.
37. Cinotti, « Tesoro e arti suntuarie », 1978,
che d’octobre) : « In die sancto paschae resurrectionis, sonito signo, et tertia p. 55‑57 ; M. Petoletti, « Voci immobili : le iscrizioni di
Ariberto » et Maggioni, « Fulgeat ecclesie », Ariberto
cantata, presbyter observator canit missam in ecclesia hyemali cum diacono da Intimiano, 2007, p. 123‑155 ; 271‑273, 278‑287.
et subdiacono observatore. Pueri magistri scholarum canunt ambas Alleluja. 38. Beroldus sive Ecclesiae Ambrosianae, p. 98‑101.

Les Cahiers de Saint-Michel de Cuxa, XLI, 2010 Chiara Maggioni 225


Sed finito evangelio, congregato clero in ecclesia hyemali, archiepiscopus
indutus sacris vestibus, sicut ad missam celebrandam, cum diaconibus indu‑
tis dalmaticis, et subdiaconibus indutis albis cum thuribolo et candelabris
accensis, datis et porrectis a quatuor cicendelariis, et cum presbyteris cardi‑
nalibus indutis pluvialibis, et cum primicerio lectorum induto pluviali, cum
tabulis eburneis et colurna virgulta intus cum foliis, et magistri scholarum
quatuor, et ostiarius ebdomadarius qui portat crucem auream, et qui fert tex‑
tum evangeliorum, et qui fert scuticam s. Ambrosii, omnes isti induti pluvia‑
libus, et primicerius presbyterorum indutus planeta, omnes isti praecedant
arca testamenti, in qua sunt libri veteris testamenti et novi, quam coopertam
pallio portant duodecim sacerdotes centeni ordinis induti tantum camisio et
stola. Ante quam etiam, et iuxta, primicerius presbyterorum fert thuribulum
accensum cum incenso dato de camera pontificis. Et in capitibus hujus ar‑
Reliure de l’évangéliaire d’Aribert, plat antérieur.
cae duo lectores portant duas cruces. Et hoc ordine procedunt ad ecclesiam
estivam ». Dans les rôles‑clefs on peut reconnaître les objets précieux entrés
dans le trésor aux siècles précédents : la crux aurea (celle d’Arnulf ), le textus
evangeliorum (celui d’Aribert), les tabulae eburnee (les Diptyques) et la co-
lurna virgulta (la reliure paléochrétienne)39. Pas de nouveaux objets, donc,
39. « Item tabulle due magne eburnee laborate ad
figuras que apellant(ur) colurne in una quar(um) est au goût du jour du nouveau langage expressif et des nouvelles techniques et
una crux de auro cum decem lapidib(us) bonis cum matériaux, et pas de reliquaires des saints, auxquels lier l’identité de la com‑
nove(m) p(er)lis et alia est agnus dei argenti deaurati,
et smaldati p(ro) dando pace(m) in eccl(es)ia et sunt munauté citoyenne, mais les vestiges insignes de la séculaire histoire de la
march(arum ?) viginti, et onz(arum ?) sex » (Archivio cathédrale, eux‑mêmes mémoires et « reliques » de la « sancta mediolanensis
del Capitolo Metropolitano, fondo Sagrestia
Meridionale, cart. 2, n. 1, f. 14v). ecclesia ».

Milan, l’ensemble épiscopal (à droite l’église du Dôme) :


A - Baptistère de S. Stefano alle Fonti
B - Façade de S. Maria hiemalis
C - Baptistère de S. Giovanni in Fonte
D - S. Tecla
E - Fondations du campanile de S. Maria
F, G - Structures de délimitation de l’ensemble épiscopal

226 Chiara Maggioni Les Cahiers de Saint-Michel de Cuxa, XLI, 2010

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