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Cet article témoigne de la façon dont les champs respectifs de la mobilité et de l’urbanisme se
sont ouverts et entrecroisés dans la période récente, comment ils se heurtent aux mêmes
difficultés, et comment cette rencontre oblige à repenser l’urbanisme.
Le texte se compose de trois parties. La première rend compte de cette ouverture réciproque
de l’urbanisme et de la mobilité. La seconde situe la portée des politiques locales d’urbanisme
et de mobilité dans le nouveau contexte de l’action publique territoriale. La dernière partie
examine deux questions mises en exergue par les nouveaux rapports entre ville et mobilité, les
choix de localisation de l’habitat d’une part, puis de la notion de ville multipolaire d’autre
part.
L’urbanisme a agrégé à lui, les uns après les autres, tous les problèmes de la société.
L’intérêt de l’urbanisme pour la mobilité est le signe d’une ouverture en même temps que le
reflet d’une explosion dans laquelle l’urbanisme, comme la mobilité, transforment leurs
repères. Pour s’en rendre compte, il faut se reporter quelques décennies en arrière. Avec la
Loi d’Orientation Foncière de 1967, l’urbanisme avait atteint une sorte d’accomplissement.
Les outils de planification urbaine cernaient clairement son champ. Celui-ci se limitait
essentiellement à la prévision des équipements et à l’affectation des espaces urbanisables.
Cette époque a symbolisé l’aboutissement d’une pensée de la modernité dans laquelle la
production des villes semblait pouvoir être taylorisée. L’urbaniste s’occupait de ses plans et
de ses règlements, l’ingénieur transport de ses ponts et de ses routes. Chacun pouvait vaquer à
ses occupations. Le tout était sensé s’emboîter dans un ensemble de procédures, d’autant plus
facilement qu’elles étaient mises en oeuvre sous la houlette d’un pouvoir centralisé.
Même si la réalité fut plus complexe, cette période est restée dans les mémoires comme celle
d’une capacité exceptionnelle d’instrumentalisation de l’urbanisation. Par contraste, depuis
lors, le contexte laisse la place à un sentiment de déprise. Le développement urbain ne fait que
répercuter les mutations de l’économie et l’accroissement de l’autonomie politique des
territoires. Face à cela, l’urbanisme a été maintes fois sommé de se réformer, pour recouvrer
1
Chef de groupe Observation urbaine au Centre d’Etudes sur les Réseaux, les Transports, l’Urbanisme et les
constructions publiques (CERTU)
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Cette ouverture a commencé à la fin des années soixante-dix avec l’intégration des enjeux de
protection de la nature et de préservation contre les risques2. Puis, à partir de la Loi
d’Orientation pour la Ville3, la planification urbaine a pris en charge de plus en plus de
préoccupations sociales. Maintenant elle est tenue d’intégrer aussi les problèmes d’économie
d’énergie, de déplacements4 et ainsi de suite. L’urbanisme est devenu un « trou noir » qui a
essayé de tout avaler, au risque d’éclater. Plus il s’ouvre au monde, plus il se dilue, plus il
dissout sa portée instrumentale. Il risque de n’être plus guère qu’un espace de communication
et de débat de société, comme l’illustrent les récents « Projets d’Aménagement et de
Développement Durable ».
L’urbanisme n’est plus l’art de « faire » l’urbanisation, mais l’art de « faire avec ».
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Les urbanistes ont tenté de saisir l’enjeu de maîtrise des déplacements dans le nouveau
contexte de la ville en mouvement. L’évolution contemporaine réside dans la façon
d’appréhender le rapport entre les espaces et la mobilité comme une interaction. Ce rapport
est dynamique, instable. Il échappe en grande partie à la saisie par les plans et les règlements,
mais il s’agit néanmoins de le canaliser ou d’en limiter les dérives et les effets pervers.
L’attirail traditionnel de l’urbaniste est fait pour une ville statique, définie par son contenant,
c’est à dire ses formes urbaines et ses infrastructures constituant un artefact, qu’il s’agirait de
façonner une fois pour toutes. Mais les outils de l’urbaniste atteignent leurs limites quand il
s’agit de gérer le contenu de la ville, c’est à dire ses activités économiques, ses emplois, ses
habitants, qui se déplacent comme un fluide au gré de l’évolution des enchères immobilières,
de l’attractivité et de la concurrence entre espaces.
7
LACAZE J-P. La formation des prix fonciers et immobiliers. in Annales des Ponts et Chaussées - Nouvelle
série, n° 95 et n° 96, 2000.
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Le drame de l’urbanisme réside en ce qu’il tente de produire un discours sur le contenu alors
qu’il ne maîtrise au mieux que les contenants, c’est à dire le cadre bâti. L’urbanisme n’agit
que sur des coquilles vides. Non seulement il n’agit que sur les espaces, mais essentiellement
sur les espaces futurs, c’est à dire sur l’immobilier neuf qui se construit chaque année, soit à
peu près l’équivalent de 1 à 2% du poids du parc existant. Or la population est fluide. Les
nouveaux arrivants ne sont pas assignés à résidence. Ils sont libres de déménager. Du moins,
ceux qui le peuvent, et c’est bien là le problème ! En France, la mobilité résidentielle est de
l’ordre de 9% par an. Ce n’est pas au moment de l’inauguration des nouveaux immeubles que
l’on peut mesurer la réussite d’une opération, mais au moment de la revente sur le marché de
l’occasion. Ce que les urbanistes essaient de faire, lorsqu’ils veulent introduire de la mixité
sociale, le marché tend à le redéfaire aussitôt.
Pourtant, il n’y a pas si longtemps, la mobilité était quasiment ignorée des enjeux socio-
urbains. Elle était réduite à un problème technique de capacité de réseaux. Voila que, en
quelques années, elle a été mise en avant comme l’alpha et l’oméga des ressorts de l’action
urbaine. Elle est chargée d’entraîner dans son sillage les recompositions sociales espérées et
doit assurer la relève de défis environnementaux planétaires. Pour témoigner de cet
engouement, un vaste programme d’études appliquées, intitulé « Programme Interface
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Urbanisme Déplacements », a mobilisé le Centre d’Etudes sur les Réseaux, les Transports et
l’Urbanisme (CERTU) et ses partenaires8, pendant quatre ans, depuis 2002. Il a été co-signé
par huit directions d’administrations centrales, fait exceptionnel qui montre l’intérêt porté de
toutes parts aux ressorts de la mobilité.
L’intérêt suscité par la mobilité s’explique parce que les questions soulevées dépassent de loin
le seul champ de la conception des infrastructures. D’ailleurs les termes employés sont allés
en s’élargissant. Des questions de « transports », on est passé aux « déplacements », puis
enfin à la « mobilité ». Le mot revêt plusieurs acceptions. Il est utilisé aussi bien dans le
monde des transports que chez les démographes, chez les spécialistes de l’habitat ou de
l’emploi. C’est que, précisément, les différentes mobilités des uns et des autres apparaissent
comme reliées.
L’étude de la mobilité témoigne du grand défi contemporain que constitue la sortie d’une
époque synchronisée par le travail salarié stable et à horaires réguliers. Elle rend compte de la
montée en force d’un monde fait de parcours différenciés, désynchronisés, d’emplois du
temps plus libres pour les retraités et plus instables pour les actifs. Les répercussions vont
bien au delà des seules questions de transport. Elles interrogent la construction des liens
sociaux traditionnellement construits essentiellement par la sphère du travail.
La question du lien entre mobilité et construction des liens sociaux a modifié la conception
même de la mobilité. Celle-ci n’est plus seulement une affaire de technicien. Ce n’est plus la
mobilité pour la mobilité, étudiée comme un objet en soi. On se déplace toujours pour un but
qui est d’entrer en interaction physique avec quelqu’un situé quelque part9. Jusqu’à présent la
mobilité était vue à partir des flux réels, comme la résultante d’arbitrages de localisations liés
à des contraintes diverses (économiques, démographiques, géographiques…) Aujourd’hui,
elle est également regardée de plus en plus à travers le potentiel dont chacun dispose pour se
déplacer, comme une aptitude, un capital, voire un droit ou, corrélativement, un facteur de
discrimination.
A l’opposé de l’évolution vers une société totalement fluide10, la place de la mobilité dans la
construction des liens sociaux amène à s’intéresser aux laissés pour compte de la mobilité 11.
Nous sommes dans une société où cohabitent les peu mobiles ou immobiles à côté des
hypermobiles. Avec l’instabilité et la flexibilité du temps de travail, l’individualisation des
modes de vie nécessite de s’organiser davantage pour développer ses interactions sociales et
se synchroniser avec ses relations. La capacité de chacun à exister dans la société dépend de
son potentiel d’interactions sociales. Plus les individus ont un réseau de relations étendu, plus
leur capital augmente en capacités à trouver un emploi et à s’adapter.
8
Les travaux du programme Interface Urbanisme Déplacements (IUD) sont consultables en ligne sur
http://www.certu.fr
9
Voir notamment Marc Wiel « Ville et mobilité, deux résultantes d’un même système d’interactions sociales »
in WIEL M. Ville et mobilité, un couple infernal ? Ed. de l’Aube, Paris, 2005. 91p.
10
Voir notamment URRY J. Sociologie des mobilités. Ed. Armand Colin, Paris, 2005. 252p.
11
Voir le numéro de la revue Urbanisme : Mobilité(s)/Exclusion(s), Revue Urbanisme, n° 347, mars-avril 2006.
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Voilà posé l’enjeu élargi de la mobilité. Le rêve d’une société uniformément de plus en plus
mobile, assimilée à plus de liberté, est fini. L’offre croissante en moyens de déplacement se
traduit en exigence d’aptitude à la mobilité, à laquelle chaque individu répond de façon
différenciée selon ses capacités culturelles, sociales et économiques. La capacité individuelle
à la mobilité devient totalement intégrée à la capacité à se former et à travailler 12, ce qui ne se
résume pas à construire une route ou amener une ligne de bus dans un quartier.
Une autre prise de conscience majeure a été le poids de la mobilité dans les enjeux
environnementaux13, depuis les pollutions locales, les conséquences sur l’asthme et la
mortalité, jusqu’à l’effet de serre. La croissance de la mobilité correspondait, depuis le XVIIe
siècle, à un objectif de développement économique, en même temps qu’elle devait permettre
d’aérer et d’assainir la ville. La vision économique était cohérente avec le souci hygiéniste.
Tout s’est renversé dans la période contemporaine. De tout temps, les mesures de santé
publique font partie des motivations les plus structurantes des décisions d’urbanisme. Dès lors
que les scientifiques ont mis en évidence les impacts négatifs de certains transports sur la
santé publique, dès lors que, de surcroît, une partie du développement économique devient
davantage immatériel et moins dépendant des transports, la mobilité est devenue un objet de
débat pour tenter de discerner celle qui serait vertueuse de celle qui serait nuisible, et afin de
mettre en place des politiques pour l’une et contre l’autre.
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vis à vis de la politique de déplacements, dans sa capacité à conditionner les modes de vie et
les rapports humains, davantage que les experts en transport eux-mêmes15. Chacun déploie ses
attentes sur le terrain de l’autre, en espérant y trouver des solutions qui suscitent un
engouement d’autant plus fort qu’il explore un nouveau terrain. Nous allons montrer que cette
rencontre est aussi celle de deux mythes de la manipulation de l’espace qui ont fait long feu.
Le volontarisme affiché par les documents politiques, la communication qui est organisée
autour de ces dossiers, sont sans commune mesure avec leur portée réelle. Mais on peut
s’étonner que jamais ne soit posée la question de leur efficience. La réalité de leur portée est
passée sous silence derrière l’emphase de la rhétorique urbanistique et ses injonctions
moralisatrices. Telle agglomération qui n’a pas son Schéma de Cohérence Territoriale, son
Plan des Déplacements Urbains et son tramway à la mode, est immédiatement pointée du
15
WIEL M. Ville et mobilité, un couple infernal ? Op. Cit.
16
Pourcentage de voyageurs-kilomètre réalisé en transport en commun en agglomération, au sens de
l’agglomération ou unité urbaine définie par l’Insee. (Source Enquête Nationale Transport Insee-Inrets, 1993-
94).
17
Ces voyageurs-kilomètres annuels sont effectués à 80% par la route.
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doigt comme le mauvais élève du « développement durable ». Nul doute qu’il existe quelque
part, dans l’exécutif ou dans l’opposition, un élu pour s’emparer immédiatement du sujet afin
d’exister politiquement et occuper le terrain médiatique. Les services des administrations ne
demandent que ça, pour réajuster leurs rapports d’influence. Les projets de territoire servent
d’étendard aux joutes idéologiques et politiques, même si on sait bien qu’ils ne planifient pas
grand chose en réalité.
La faiblesse relative de l’urbanisme est le reflet de la mobilité, de tous les types de mobilités.
Pourtant, face à cela, plus les outils de planification ont été inefficients, plus les lois ont
recommandé de les développer. Les nouveaux documents d’urbanisme issus de la loi SRU ont
même été présentés comme un « renouveau de la planification ». En réalité, l’inflation des
procédures et des règlements constitue une réponse de crise à leur affaiblissement. La
planification urbaine donne l’illusion qu’elle se renforce alors même qu’elle devient de plus
en plus suiviste des mouvements. La volonté de maîtrise des déplacements appelée à la
rescousse de l’urbanisme n’y a rien changé. Elle a surtout bien fonctionné en centre-ville,
c’est à dire là où il y avait une demande de valorisation résidentielle. En fait, elle a
accompagné le mouvement de gentrification reflété par le marché immobilier et a renforcé la
captation de la redistribution de l’investissement public par les propriétaires d’immeubles.
Les formes de villes dépendent d’histoires longues qui ne seront pas réécrites. A court terme,
l’impact de l’urbanisme est marginal sur les comportements et les localisations des acteurs.
Les politiques de densification, souvent mises en avant aujourd’hui dans les PLU, sont un
phantasme qui n’a que peu d’effet sur la tendance historique à la dédensification, entendue
comme l’augmentation du nombre de mètres-carrés par habitant. Celle-ci résulte des
évolutions démographiques et des revenus. De plus, la dynamique globale de la construction
va dans le sens de la dédensification 18 du bâti. D’une façon générale, l’idée que la
densification permettrait de réduire la mobilité n’est pas si évidente que les urbanistes le
laissent croire, parce que cette relation est sensible aux effets de taille des agglomérations et
aux caractéristiques socio-économiques19. Pour ces raisons, il ne faut pas trop compter sur
l’urbanisme pour peser sur la mobilité. Cela ne contredit pas l’observation selon laquelle, à
long terme, la conformation de l’urbanisation joue un rôle sur l’organisation des localisations
et des déplacements. Mais il ne faut pas confondre l’urbanisation, résultante historique et
géographique, qui constitue le « stock accumulé » de la ville, avec l’urbanisme. Ce dernier
traduit, à chaque instant, l’action publique localisée et délimitée dans ses moyens, ses
périmètres et ses temporalités, lesquels, bien sûr, sont forcément surévalués par les discours
politiques et les documents de planification qui en font l’écho.
18
Une étude déjà ancienne (Bigot et Lecoin, 1974) a permis de réaliser une simulation de l’impact de la
densification sur l’expansion urbaine. Une multiplication du coefficient d’occupation du sol par 10 entraînerait
une division de la surface bâtie seulement par 2,5. Ce faible rapport s’explique parce que les effets de la
densification portent surtout sur l’habitat et dans une moindre mesure sur les bureaux. Pendant que l’on densifie
ces fonctions, tous les autres espaces continuent de s’écarter sous l’effet des anticipations foncières et des
normes. C’est le cas des espaces d’activités et des équipements, lesquels représentent la moitié des mètres carrés
bâtis chaque année, comptés en surface hors œuvre nette, et davantage si on compte les surfaces brutes occupées.
19
La corrélation entre densité urbaine et réduction de la mobilité a été rendue célèbre par Newman et
Kenworthy. NEWMAN P-W-G, KENWORTHY J-R. Cities and automobile dependence. An international
sourcebok, Brookfield, Gower Technicals, 1989. Cette corrélation concerne des métropoles millionnaires. Elle
ne saurait être généralisée à toutes les tailles de villes. On se référera utilement à la thèse de G Pouyanne, pour
apprécier comment le lien entre densité et mobilité est sensible à des effets de seuil et aux caractéristiques socio-
économiques. Cette recherche montre que la densité et le choix modal sont indépendants pour 80% des
communes étudiées, ce qui tend à signifier que les mesures de compacification ont un effet limité. L’effet avéré
dans les zones densément peuplées, devient nul à mesure que l’on vise des communes plus éloignées.
POUYANEE G. Forme urbaine et mobilité quotidienne. Thèse de doctorat. Université de Bordeaux, 2004.
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Certes, la forme de l’espace pourrait être mieux conçue et avoir le souci d’économiser le
foncier et de minimiser les déplacements. Mais cela ne doit pas occulter que la qualité
urbaine ne résout ni les problèmes de quantité d’offre, ni les problèmes d’inégalité d’accès à
la mobilité et au logement, qui sont primordiaux. Dans une économie de marché, il faut
s’attendre logiquement à ce que les personnes les plus modestes ne puissent s’offrir que
l’immobilier le moins valorisé et le moins accessible22. La qualité de l’organisation de
l’espace ne saurait pallier à la réduction des inégalités. Au contraire, lorsque les enjeux
quantitatifs ne sont pas atteints, les politiques de qualité architecturale et urbaine en ville
favorisent la gentrification et la sélection sociale. L’organisation urbaine est autant un
problème d’agencement qu’un problème de quantité d’offre et de réduction des inégalités.
Face à cet enjeu, au lieu d’agir avec les outils de l’urbanisme, une approche complémentaire
consiste à peser sur les forces qui façonnent la ville. Il s’agit d’influencer les conditions
d’arbitrage des agents en modifiant ceux-ci par le biais de l’impôt et la redistribution. Ces
mesures ont l’avantage d’avoir une portée immédiate et générale. Des exemples comme le
prêt à taux zéro ou l’aide à l’investissement locatif De Robien l’attestent. En revanche, les
objectifs de ces outils ne correspondent pas en général aux enjeux d’urbanisme. En effet, les
politiques visant les ressources des personnes résultent de compromis qui combinent des
20
Voir notamment : MIALET F. Le renouveau de l’habitat intermédiaire. Ed. Puca-Certu, Lyon, 2006. 391p.
21
Sur le problème de la reproductibilité, voir par exemple l’étude de cas : CASTEL J-C. « Le marché favorise t-
il la densification ? Peut-il produire de l’habitat alternatif à la maison individuelle ? » in ADEF. Production
foncière. Ed. ADEF, Paris, 2006. 154p. pp. 63-85.
22
Ce point constitue une des clés de compréhension de l’urbanisation diffuse, pour ce qui relève de l’explication
économique par les coûts d’aménagement et de construction. Pour un exposé de cette problématique, voir :
CASTEL J-C « Les coûts de la ville dense ou étalée ». In Etudes Foncières, n° 119, janvier-février 2006. pp.
18-21.
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Les politiques d’urbanisme avaient pour objet de permettre la mobilité à la fois physique et
résidentielle, synonyme de développement économique, par les actions sur le foncier, la
construction, et l’offre routière. Le moins qu’on puisse dire est qu’elles ont réussi ! Les
difficultés de l’urbanisme d’aujourd’hui résultent en partie du succès de l’urbanisme d’hier.
Celui-ci a d’autant mieux fonctionné qu’il était en phase avec les aspirations individuelles.
Les outils de planification urbaine fonctionnent mieux lorsqu’ils répondent à la demande des
habitants. Dans ce cas, l’urbanisme et le marché ont fonctionné de concert. Il en va tout
autrement, lorsque l’urbanisme, découvrant avec inquiétude les effets ségrégatifs de la
concurrence entre territoires, se positionne en politique de résistance et de réorientation par
rapport aux dynamiques en cours. La machine à planifier qui avait si bien fonctionné pour
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alimenter la demande latente de mobilité semble avoir bien du mal à agir en sens inverse. Les
politiques contemporaines font le grand écart. Elles cherchent à continuer à fluidifier les
marchés de biens, notamment immobiliers, pour des raisons économiques, tout en voulant
maîtriser la mobilité des personnes pour des raisons environnementales, voire sociales.
L’enjeu contemporain consiste à conjuguer ces objectifs contradictoires.
La tension actuelle a été en partie alimentée par le comportement malthusien des communes
de nombreuses agglomérations, qui, après avoir regagné des habitants, ont adopté une
politique de croissance réduite. Les arguments de protection des paysages ont servi à favoriser
les politiques de freinage démographique, d’autonomie communale et de sélection sociale. La
lutte contre l’étalement urbain, lorsqu’elle se contente de réduire les zones à urbaniser dans
les documents d’urbanisme communaux, est inefficace et contre-productive sur les
déplacements. Elle a surtout pour effet d’alimenter la crise immobilière, de renforcer le tri
social et de reporter plus loin la périurbanisation.
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Les politiques locales mettent l’accent sur la protection des centres et le souci de contrôle de
l’étalement urbain, c'est-à-dire sur les effets perceptibles des nuisances en ville et des
bouchons aux heures de pointe. Il y a un décalage entre la perception des problèmes qui est
souvent très localiste et la taille des enjeux non maîtrisés aujourd’hui. D’un point de vue
politique les problèmes de déplacements sont partout, tant le sujet est sensible, depuis les rues
piétonnes jusqu’aux contournements d’agglo. Les politiques d’agglomération ont leur
légitimité, parce que c’est là que se concentrent les nuisances, l’encombrement de l’espace
public et les pollutions. Mais leur portée est limitée. Les problèmes de saturation des
transports, demain, se situent d’abord dans les grands corridors et les grands noeuds. C’est là
que se pose le problème de la cohabitation des flux de personnes avec le fret de marchandises.
C’est là que se posent les problèmes d’harmonisation européenne des péages des poids lourds
et des politiques de ferroutage. Un autre enjeu croissant est celui de la réduction des émissions
de CO2, et, là aussi, on découvre que la plus forte croissance des véhicules-kilomètres
concerne les déplacements de longue distance (soit de plus de 100km), à l’échelle
internationale, nationale et régionale.
En transférant la compétence d’urbanisme aux communes, l’Etat a sous estimé la place des
enjeux d’urbanisation à l’échelle des bassins d’emploi, d’habitat, de mobilité quotidienne et
de week-end, alors même que les institutions régionales et départementales ne se sont pas
saisies des compétences pour y faire face, à l’exception de l’émergence du niveau régional
dans les transports ferroviaires. Après la publication récente de rapports critiques sur
l’intercommunalité26, le temps d’une réflexion sur un troisième temps de la décentralisation
intégrant toutes les échelles territoriales semble devoir s’ouvrir.
différents ont augmenté de plus de 65%. (Source Enquête Nationale Transport Insee-Inrets, 1993-94). Les enjeux
de régulation des véhicules-kilomètres se jouent en grande partie au niveau des périphéries et des échanges entre
aires urbaines voisines pour lesquels il n’existe pas d’autorité locale à cette échelle.
26
Voir notamment : Rapport sur l’évolution de la fiscalité locale, rapport de l’Assemblée Nationale n° 2436,
rédigé par Hervé Mariton. 5 juillet 2005.474p. En ligne sur : http://www. assemblee-nationale.fr
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Il est toujours plus gratifiant de prétendre aménager l’espace, plutôt que de rendre
possible les conditions de l’équité.
Il existe des localisations à la fois plus diffuses et structurantes ; l’habitat en fait partie.
Autrefois la structuration du domicile-travail s’organisait à partir du travail. Aujourd’hui le
travail devient plus instable et corrélativement le logement apparaît plus stable. La sphère de
vie de la famille contemporaine, qui peut être recomposée et répartie entre plusieurs lieux de
résidence, s’organise d’abord autour de l’habitat. Le logement devient le lieu de
rassemblement de la tribu à partir duquel s’organisent les programmes d’activités quotidiens.
Sa localisation constitue aussi un potentiel de mobilité, mesurable en temps d’accès au réseau
de voirie rapide et au centre-ville. D’ailleurs son prix intègre parfaitement ce potentiel.
Autrefois les statisticiens faisaient des cartes pour mesurer le nombre de logements existant à
une distance donnée autour d’un pôle d’emplois. Aujourd’hui on calcule le nombre d’emplois
existants à moins d’un temps donné à partir de chaque logement.
Dans un monde où tout semble bouger plus vite, cette stabilité du logement s’explique de
plusieurs façons. D’abord, cela vaut moins le coup de déménager pour se rapprocher d’un
emploi qui risque de ne pas être durable ou pour un travail qui, de toute façon, impose de
nombreux déplacements27. En second, l’amélioration incessante du réseau de transports
permet de se rendre toujours plus loin dans un même temps, ce qui fait que les autres
variables, comme les aménités de voisinage, prennent plus d’importance dans le choix de
l’habitat. Enfin, l’accès à l’immobilier devient un investissement de plus en plus lourd et il est
coûteux et difficile d’en changer. Plus les personnes ont des revenus modestes, moins elles
ont la capacité de déménager.
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Ce n’est pas parce que la mobilité devient plus individualisée qu’elle n’est plus structurable,
du moins en partie. Il existe des effets de polarisation, de nœuds de communications, de
centralité. L’étalement urbain qui s’est produit depuis des décennies n’a pas créé une ville
uniformément diffuse. Si l’habitat a tendance à se diffuser un peu partout, en revanche
l’économie se déconcentre, tout en restant davantage groupée dans la première couronne et le
long des axes routiers. Le rôle du lien au travail, dans l’organisation des déplacements
quotidiens, fait ressortir le dessin d’une ville structurée par ces polarisations. A partir de ce
constat, s’est répandue l’idée que la conception monocentrique du développement urbain était
plus ou moins dépassée, et qu’il fallait désormais appréhender l’organisation spatiale selon un
schéma multipolaire.
28
Voir notamment : CERTU La mobilité urbaine en France : les années 90. Ed. Certu, Lyon, 2002. 104p.
29
AGUILERA A., MIGNOT D. Polycentrisme et mobilité domicile-travail. Communication au 39e colloque
de l’ASDRLF, 2003.
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Pour éclaircir cette contradiction, il faut distinguer la multi polarisation physique de l’espace,
par apport au fonctionnement des déplacements. En s’étalant, l’urbanisation fait ressortir le
rôle de bourgs anciens de périphérie qui, du fait de la présence de services, attirent la
population et les emplois. La multipolarisation des constructions, de la population et encore
davantage de l’emploi est tout à fait visible. Pour autant, les emplois d’une commune sont
relativement faiblement occupés par les habitants de cette commune, de même que les
entreprises ne travaillent pas forcément avec les services situés au même endroit. Cette
déconnexion porte le nom de « spatial mismatch », terme inventé par les premières recherches
qui ont constaté ce phénomène aux Etats Unis30. L’allongement des déplacements quotidiens
laisse penser que cette déconnexion s’accroît. La réalité du fonctionnement est que toutes
agglomérations françaises fonctionnent chacune comme un seul bassin d’emplois, à
l’exception de l’Ile de France, qui en raison de sa taille, se subdivise en sous-bassins.
Lorsqu’on se situe au sein d’une aire urbaine, on est dans une aire économique déjà intégrée.
Par conséquent rien ne permet d’affirmer que l’organisation multipolaire aurait un effet sur la
réduction de la mobilité. Au contraire, l’amélioration des liaisons de pôle à pôle ne fait que
renforcer le fonctionnement global du bassin d’emplois. L’augmentation de performance d’un
moyen de transport entre deux pôles permet de convertir le gain de temps réalisé en distance
supplémentaire, par exemple pour aller se loger plus loin.
Conclusion
Nous avons montré comment les politiques de mobilité et d’urbanisme désignent des champs
professionnels qui s’élargissent et se recouvrent de plus en plus. L’une et l’autre ont une
emprise réduite sur les mutations urbaines, pour des raisons économiques et politiques.
30
KAIN J. Housing segregation, negro employment, and metropolitan decentralization. Quaterly Jounal of
Economics, 82, 2. 1968.
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Les outils de l’urbanisme sont relativement inefficients face à ces évolutions en raison de leur
application limitée dans l’espace et dans le temps. Du point de vue spatial, les périmètres de
régulation territoriale (à l’exemple des PLU, PDU ou SCOT) sont toujours plus petits que les
aires dans lesquelles se régulent les problèmes qu’ils prétendent traiter (aires urbaines, bassins
d’emploi). Du point de vue temporel, la durée des plans et normes se réduit à mesure
qu’accélèrent les mutations, et partant, les révisions et modifications en chaîne passent leur
temps à courir derrière la réalité.
Au final, l’urbanisme ne maîtrise guère l’urbanisation. Il manipule des coquilles vides, mais a
peu de prise sur les contenants des immeubles, à savoir peu dans le neuf et très peu dans
l’ancien. Cette déprise de l’action publique s’est traduite ces dernières années par deux types
de politiques.
- L’une est la politique du déni, illustrée typiquement la loi SRU. Elle alimente la fuite
en avant dans un urbanisme incantatoire, qui scande de plus en plus fort son ambition de
maîtriser des territoires et des problématiques de plus en plus vastes, alors même que sa
capacité d’instrumentalisation des mutations spatiales va en se réduisant.
- L’autre est la politique de l’exemplarité. Celle-ci consiste à discerner des labels et
des prix et à communiquer autour d’opérations considérées comme exemplaires, avec l’idée
que les bons exemples sont sensés se répandre par imitation à tout le territoire. Ce faisant, elle
a tendance à troquer les enjeux quantitatifs contre le qualitatif, sans se préoccuper du poids
réel de ces actions et de leurs conditions de reproductibilité économique.
Ces politiques n’ont d’intérêt qu’à condition d’en mesurer la portée et de ne pas tout en
attendre. Les questions d’organisation de l’espace et des déplacements, de même que les
enjeux de qualité urbaine, restent de mise, à condition de ne pas en faire l’arbre qui cache la
forêt du renforcement des ségrégations socio-spatiales.
Pour l’essentiel, la question de savoir si la ville fait la mobilité ou si la mobilité fait la ville, ne
se pose plus en ces termes. L’action de la planification et de l’aménagement urbain, depuis
l’après guerre, a contribué avec succès à fluidifier les marchés immobiliers et a fait que la
ville elle-même est devenue davantage mobile dans ses composantes de population et
d’activités. Il est temps maintenant de tirer les conséquences de ces mutations. Les politiques
urbaines et de mobilité ne peuvent plus se penser selon un paradigme constructioniste
appliqué à une espace qu’il s’agirait d’édifier. La prise en compte des enjeux globaux par
l’urbanisme ne doit plus consister à essayer de les instrumentaliser dans une perspective
d’édification d’un territoire. Il faut sortir de la quête permanente de la ville idéale qui sert de
visée référentielle pour la production des discours. Il faut sortir de la production de l’action
publique territoriale à coups de visées statiques (plans, normes) et périmétriques, alors que les
mutations socio-économiques des territoires sont devenues plus fluides et sortent des
périmètres. L’outillage des plans et des normes renforce surtout la captation des externalités
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JCC 07/01/07
Si les politiques d’aménagement spatial localisées ont peu de prise sur les enjeux globaux, en
revanche les politiques socio-économiques ont des effets considérables sur l’urbanisation.
Ainsi par exemple, la politique de redistribution des richesses par les retraites a des effets
majeurs sur l’aménagement du territoire, bien plus que n’importe quelle loi d’urbanisme. De
même la loi SRU n’a pas eu des effets tangibles sur l’urbanisation, alors que la loi De Robien
ou le prêt à taux zéro ont eu des effets indéniables, quand bien même ils n’étaient pas pensés
dans une finalité d’urbanisme. On peut dire la même chose des politiques fiscales.
L’action sur l’urbanisme et la mobilité doivent désormais se penser comme une activité
consistant à rendre l’accessibilité au marché du travail et du savoir, aux populations sans cesse
éjectées par l’immense pompe aspirante-refoulante de la métropolisation. Les politiques
urbaines et de mobilité doivent faire partie complètement des politiques socio-économiques. Il
faut appréhender l’urbanisme non pas comme un facteur structurant des mutations socio-
économiques, mais au contraire comme un réceptacle de ces mutations. C’est toute la
perspective de la profession, depuis son origine, qu’il faut désormais renverser ! Il s’agit de
s’inviter à la table des politiques socio-économiques pour y déceler les effets sur
l’urbanisation. Ce n’est plus seulement l’urbanisme qui doit prendre en compte les objectifs
globaux. Ce sont les politiques « aveugles » au territoire qui doivent anticiper leurs effets
territoriaux.
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