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Giraud Michel. Races, classes et colonialisme à la Martinique. In: L'Homme et la société, N. 55-58, 1980. Modes de production
et de consommation. pp. 199-214.
doi : 10.3406/homso.1980.2052
http://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1980_num_55_1_2052
à la martinique
MICHEL GIRAUD
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Cette hiérarchisation va du plus foncé au plus clair, des Noirs qu'on dit
«bleus» aux Blancs de la nuance «lait d'iris» en passant par les Métis de toutes
nuances car, comme l'écrit OUver Cox :
«a premium is put upon the degree of whiteness among the people of color, the degree
of color tends to become a determinant of status in a continuous social grading with
whites at his upper reaches» (Cox, 3, p. 360).
«C'est donc en référence à l'essence du Blanc que l'Antillais est appelé à être perçu
par son congénère» (Fanon, 4, p. 1 52).
Blancs métropolitains
26
202 MICHEL GIRAUD
inférieur à celui des Békés, que les Syriens sont placés" entre les Blancs et les
Mulâtres et les Coulis tout en bas de la pyramide raciale, après les Noirs.
La position d'infériorité ou de supériorité que chaque groupe occupe sur
l'écheUe de couleur trouve sa légitimation dans des jugements de valeur ou des
stéréotypes, qui attribuent, de manière caricaturale, des caractéristiques tant
physiques que morales à l'ensemble des membres de ce groupe, sans tenir
compte des différences individuelles (2). Dans l'immense majorité des cas, ces
stéréotypes associent Blanc à Beau et Bien (3), Noir à Laid et Mal (4). Ils ne
sont, en dernière analyse, que des rationalisations du préjugé racial, produites
par l'idéologie dominante, ceUe du colonisateur ; leur origine remonte au temps
de l'esclavage (ce qui témoigne du caractère traditionnel de la typologie raciale
à la Martinique). Le caractère dominant de cette idéologie est attesté par le
fait qu'Us sont, pour l'essentiel, identiques dans les différents groupes : U
n'existe pas en effet de différences profondes entre la façon dont chaque groupe
ethnique se perçoit (auto-stéréotypes) et la façon dont il est perçu par les autres
groupes (hétéro-stéréotypes). Les valeurs et les idéaux discriminatoires de
l'idéologie raciale dominante à la Martinique, qui est celle des groupes raciaux
dominants, sont largement intériorisés par l'ensemble' des Martiniquais, y
compris ceux qui en sont les principales victimes. Ainsi, la forte conscience de leur
identité dont témoignent les Blancs et, dans une moindre mesure, les Mulâtres,
ainsi que la fierté qu'Us tirent de cette appartenance contrastent avec le refus de
soi qu'expriment, souvent, les Noirs. Les manifestations de ce refus ou de
cette «haine» de soi abondent. Nous ne pouvons ici qu'en donner un bref
aperçu. Ainsi, une peau jugée trop foncée est souvent cause de souffrance, de
honte et de ressentiment pour la personne qui la porte ; dans la mesure du
possible et même parfois de l'impossible, elle tente alors fantasmatiquement
de la refuser, comme ce Martiniquais qui racontait que, piqué par des
moustiques, il s'était gratté et avait vu sa peau «blanchir», espérant pouvoir par ce
moyen changer de couleur, U avait continué désespérément à se gratter. De
même, c'est ce refus de soi qui explique qu'un des principaux aspects de la
stratégie matrimoniale aux AntiUes réside dans la recherche d'un conjoint que
l'on souhaite le plus clair possible et de toutes façons plus clair que soi, car il
s'agit d'échapper à la malédiction du «grand trou noir» (d'où l'expression
de «peau chappée» pour désigner une peau claire), et qui conduit une
Martiniquaise à s'écrier à propos de sa grand-mère blanche :
«comment une Canadienne pouvait-elle aimer un Martiniquais ? Moi je décidais que ie ne
pourrais aimer qu'un Blanc, un blond avec des yeux bleus, un Français» (Fanon, 4,
pp. 57-58).
les convaincre que le Blanc appartient aux catégories de l'Idéal et qu'U convient
de s'identifier à lui si on veut monter dans l'ordre social. Dès l'enfance, le jeune
Martiniquais est invité par les bandes dessinées qu'U lit, les films qu'U regarde,
-etc.. (5); à une teUe identification dont nous avons pu recueUlir de nombreux
témoignages lors d'une enquête que nous avons menée auprès d'enfants
martiniquais scolarisés, ainsi l'auto-portrait d'une de ces enfants :
«quand j'étais plus jeune, j'avais des cheveux blonds. Que ma mère me les caressait
chaque fois... Mon teint était très clair ; je souriais, mes yeux devenaient bleus et
limpides..., une petite bouche en cur».
p. 43), et ceci par le processus même qui conduit les acteurs sociaux à les
considérer à tort comme une réaUté en soi, transcendante aux conditions
historiques et sociales qui les constituent dans leur spécificité. La réification de
rapports de classes historiquement définis dans l'ordre naturel des relations de
races a pour fonction d'occulter aux yeux des acteurs sociaux les véritables
fondements des conflits qui les opposent et ainsi de préserver l'ordre social
en place. Aussi pouvons nous reprendre à notre compte l'affirmation d'Octâvio
Ianni selon laqueUe :
les différenciations entre les groupes qui se définissent comme racialement différents
sont des manifestations servant à exprimer, en les mystifiant, les relations de
domination subordination reposant à l'origine sur les conditions d'appropriation des produits
du travail et des propres hommes en tant que producteurs de marchandises r- et en
les cristallisant au niveau de relations sociales destinées à légitimer une certaine
distribution hiérarchique des hommes» (Ianni, 8, p. 1 19).
rales ainsi que des moyens propriétaires agricoles n'employant pas de salariés
et des petits et moyens commerçants ; les hommes de couleur, en particulier
les Mulâtres, y dominent. Leurs membres jouissent dans leur activité profession-
neUe de nombreux avantages (stabiUté de l'emploi, revenus et salaires
relativement élevés, indemnités diverses... ) qui contrastent avec les conditions souvent
misérables dans lesqueUes vivent les masses populaires, le fossé qui les sépare de
ceUes-ci est, de ce fait, nettement plus important que dans les sociétés
industrieUes. Principales reproductrices de l'idéologie assimilationniste, elles prirent
la direction du combat qui triompha en 1946 avec le vote de la loi de départe-
mentaUsation des AntUles françaises, dont elles furent les principaux
bénéficiaires. Ces classes qui, selon une expression de l'écrivain martiniquais Edouard
Glissant (vok Glissant 12), sont de représentation avant d'être d'exploitation
ont un vif sentiment de leur position. Si on les dénomme parfois V élite c'est
qu'eUes aiment à se présenter comme teUe. La classe des producteurs,
travaUleurs agricoles et prolétaires de l'industrie, constitue la base de la pyramide
sociale ; eUe regroupe plus des 2/3 de la population active martiniquaise et est
composée d'hommes de couleur, dans leur immense majorité des Noirs. Vu
l'importance du chômage qui sévit à la Martinique (les chômeurs représentent
environ 40% de la population active) et le caractère saisonnier des activités
de l'agriculture d'exportation, qui ne donne du travaU que cinq mois par an,
ce groupe social est caractérisé par une très grande instabilité de l'emploi de
ses membres, qui entraîne de nombreux cumuls ou alternances d'occupation,
et par un niveau de vie qui est de trois à quatre fois inférieur à celui de la
population métropolitaine. Ce ne sont pas là des conditions favorables à
l'émergence d'une forte conscience de classe.
Le maintien de la confusion relative de l'ordre social et de l'ordre racial à
la Martinique, dans le cadre du processus de la reproduction des rapports de
classes de cette société et de la perpétuation de la relation de dépendance
coloniale qui fonde ces rapports, permet la continuation de lliypostase des
relations de classes en relations de races. Les différences raciales continuent,
en effet, dans la Martinique d'aujourd'hui, à être utiUsées pour indiquer les
différences de condition sociale. C'est ainsi, par exemple, que le terme de
Béké qui désigne au sens strict un Blanc créole sert parfois à désigner un
employeur (nous avons entendu à plusieurs reprises des Martiniquais se plaindre
des salaires de misère que leur versait «le Béké», patron dont nous avons pu
constater par la suite qu'U était un homme de couleur) ou un homme riche
(un commerçant de Fort-de-France, après nous avoir confié que sa clientèle
se recrutait principalement dans les classes populaires, ajoutait : «ce ne sont
pas les Békés qui me font travaUler»). Le qualificatif de Blanc peut être à la
Umite également attribué à une personne de couleur, pourvu qu'elle ait une
position sociale en vue. Par -exemple, un de nos amis martiniquais, noir et
marié à une Mulâtresse qui est médecin, annonce la naissance de son fils à sa do-.
RACES, CLASSES ET COLONIALISME A LA MARTINIQUE 209
mestique, ceUe-ci lui répond qu'eUe aurait préféré une petite fiUe blanche ;
notre ami étonné lui réplique sous forme de boutade : «je n'aime pas les Blancs»
et se voit rétorquer par sa servante «Ah oui ! Et c'est pour cela que vous avez
épousé Madame !». Cette même Mulâtresse est appelée «la petite doctoresse
blanche» dans la commune où eUe exerce sa profession. De même le terme de
Mulâtre tend à signifier un homme instruit ayant socialement «réussi» ; ainsi
un Non", bien habUlé, parlant un français recherché, ayant beaucoup voyagé,
si possible en Métropole, peut être appelé Mulâtre. Enfin, le terme «nègre» vise
non seulement l'aspect physique mais aussi les conditions de vie. Les
observateurs privUégie s de la réalité antillaise que sont les écrivains martiniquais ont
été très sensibles à ce phénomène, ainsi Zobel écrit : «à la Martinique on était
pauvre, cela se voyait à la couleur, noir comme la misère» (Zobel, 13, p.
104) et Césaire : «le Blanc symboUse le Capital comme le Nègre le TravaU»
(Fanon, 4, p. 127).
Il est aisé de comprendre que, dans ces conditions, le préjugé social ne puisse
le plus souvent se manifester dans les exclusives qu'il entraîne indépendamment
du préjugé racial qui est comme le langage dans lequel U s'exprime. C'est ainsi
que les résultats d'une enquête sociométrique que nous avons menée auprès
d'élèves de l'enseignement secondaire à la Martinique (voir Giraud, 5) ont
montré que les cUvages au sein des classes scolaires se font aussi bien sur la base
de l'appartenance raciale que de la position sociale des enfants testés, avec une
prédominance relative de la première sur la seconde (10).
Il est particulièrement significatif pour notre analyse de lTiypostase du
social en racial de noter que, dans le cas où la variable raciale prune dans la
formation des cUvages au sein des classes scolaires, on assiste à une bipolarisation
de la hiérarchie sociale, les sujets issus de la classe moyenne s'identifiant,
sur la base de leur appartenance raciale, soit à leurs camarades de la classe
supérieure, pour l'essentiel blancs ou. clairs, soit à ceux de la classe populaire,
noirs dans leur immense majorité. Il est également intéressant, du même point
de vue, de constater que les enfants mulâtres mais appartenant à la classe
inférieure ont tendance à privUégier dans la détermination de leurs volitions socio-
métriques leur appartenance raciale, ce qui les conduit à ce que les sociomé-
triciens appeUent des illusions perceptives (ils se croient choisis par des
condisciples clairs qui les rejettent du fait de leur condition sociale modeste ou ils ont
tendance à rejeter des élèves foncés de même d'origine sociale qu'eux parce
qu'Us croient, souvent à tort, que ces derniers les rejettent du fait de leur
couleur) ou des dyades tragiques (ils choisissent des élèves blancs ou clairs dont ils
savent qu'ils ne les choisiront pas du fait de leur position sociale), comme les
enfants noirs de condition sociale aisée ont souvent tendance à choisir des
élèves foncés comme eux mais pauvres, qui ne les choisissent pas en retour du
fait de la différence de milieu social qui les sépare. L'analyse des justifications
que les. enfants testés présentent de leurs choix et de leurs rejets sociométriques
nous a permis de démonter les mécanismes de cette hypostase des relations de
27
210 MICHEL GIRAUD
classes en relations de races. En effet, eUe a révélé que, pour produire ces
justifications, leurs auteurs sont souvent conduits à faire de certaines
caractéristiques individueUes, physiques ou morales, l'attribut de tel ou tel groupe
ethnique. Une teUe attribution consiste en fait à transformer des spécificités
socialement déterminées et historiquement définies en données natureUes,
nécessaires et éterneUes, c'est-à-dire à les hypostasier. Là aussi, U s'agit de justifier
l'ordre social existant en occultant le fondement de classe de l'inégale
répartition des pouvoirs et des savoirs au sein de la société. Ainsi, faire, comme c'est
le cas de nombreux sujets de notre enquête, de l'inteUigence et de l'aptitude
au travaU scolaire des quaUtés blanches ou mulâtres et de leurs contraires des
défauts nègres, en s'appuyant sur le fait que souvent les bons élèves sont blancs
ou mulâtres et les mauvais élèves nous, c'est dissimuler que ce. fait n'est pas le
signe d'une quelconque inégalité raciale mais l'effet d'un double déterminisme
social : celui qui fait que le système d'enseignement d'une société inégaUtaire
est «taillé à la mesure» des enfants des classes sociales dominantes et celui qui,
de par la relative confusion de l'ordre social et de l'ordre racial à la Martinique,
impUque que la plupart des enfants de ces classes sont blancs ou mulâtres et
ceux de la classe populaire noirs dans leur immense majorité, c'est transformer
des dons sociaux en dons naturels. En inscrivant le mérite et la valeur, tels que
l'école bourgeoise et assimilationniste de la Martinique les mesure, dans une
constitution biologique, on pose abusivement leur appréciation et leur
définition comme étant transcendantes aux rapports de classes et on cache par là la
vérité objective des mécanismes et des attendus sociaux qui déterminent la
sélection scolaire. Ceux contre qui ce phénomène de racialisation est dirigé,
l'ayant souvent intériorisé, se voient ainsi contraints de reconnaître la
légitimité d Vine teUe sélection.
A l'écheUe de la société globale, la raciaUsation des cUvages sociaux est tout
aussi évidente. C'est ainsi que la lutte des classes qui oppose traditionneUement
dans la société martiniquaise les planteurs békés aux petits paysans et aux
prolétaires ruraux continue d'être aujourd'hui vécue par bon nombre de ceux
qui en sont les acteurs comme un affrontement racial. De même, les conflits
qui dressent, de plus en plus souvent depuis la départementaUsation de l'île,
une partie de la population martiniquaise contre les représentants du pouvoir
métropoUtain, prennent réguUèrement la forme d'émeutes raciales. Ainsi ce
qui est connu à la Martinique comme étant «l'affaire Marny». La manière dont
Marny, un hors-la-loi récemment évadé de prison, fut arrêté le 20.10.1965 par
des gendarmes métropoUtains U reçut une rafale de mitraiUette lors de cette
arrestation alors quîl était désarmé provoqua une émeute dans le quartier
populaire de Fort-de-France, Sainte-Thérèse, qui' dura trois jours et au cours
de laqueUe une violente animosité s'éleva contre les MétropoUtains dont cer- '
tains furent pris à partie alors que leurs voitures étaient incendiées ; bUan :
un mort, dix-sept blessés. Dès lors Marny, comme «symbole de l'injustice
coloniale», prit aux yeux de bon nombre de Martiniquais la figure du brigand
RACES, CLASSES ET COLONIAUSME A LA MARTINIQUE 211
bien aimé. Il faut dire qu'U fit tout pour souUgner cette valeur symboUque
de son destin ; ainsi U se présenta à ses juges en France avec sur sa chemise
l'inscription suivante : Panthère noire contre Justice blanche» et s'écria :
«Envoyez-moi dans mon pays pour que je sois jugé par la justice des Noirs».
En dehors d'incidents de ce type, d'une certaine ampleur, les MétropoUtains
sont de plus en plus fréquemment pris à partie dans la vie quotidienne. Ne
nous y trompons pas, ces passions raciales ne sont que l'expression déformée
d'un refus politique plus bu moins clairement formulé, celui de la situation
néo-coloniale que la Martinique continue de connaître à travers les vicissitudes
de la départementaUsation (appUcation partielle et partiale des lois sociales
métropoUtaines, régression économique et croissance du chômage, émigration
massive dénoncée par l'opposition politique comme une nouvelle traite des
Nègres, échec de la réforme foncière, médiocrité des résultats scolaires, etc.)
et qui nourrit les prétentions raciales de certains MétropoUtains en les faisant
bénéficier d'un certain nombre de privilèges, en particulier au niveau de
l'embauche, qui sont perçus par les Martiniquais comme autant dé discriminations.
Il ne faudrait pas conclure de la force de ces affrontements raciaux que la
raciaUsation des conflits sociaux et des luttes poUtiques dans la Martinique
d'aujourd'hui constitue la suprême menace pour l'ordre néo-colonial et que
partant lliypostase des relations de classes en relations de races ne rempUt
pas la fonction de contrôle social qu'elle jouait naguère dans la société
esclavagiste. En fait, en continuant de «dévoyer» les antagonismes de classes qui
menacent effectivement cet ordre, cette raciaUsation contribue à le maintenir
à l'être. En effet, la permanence du préjugé racial contribue, en premier Ueu,
à freiner l'émergence d'une soUdarité de classe chez les travaUleurs en les
divisant sur la base de leur couleur. Nous avons pu constater, par exemple,
au niveau particuUer des enfants, que certains élèves clairs issus des mUieux
populaires refusaient souvent de s'identifier, au nom de leur couleur, à leurs
camarades foncés de même condition sociale qu'eux. La rivaUté traditionneUe
entre ouvriers agricoles d'origine indienne et ouvriers agricoles d'origine
africaine, quoique moins forte que par le passé, relève de la même analyse (11).
Le préjugé de couleur aboutit également à limiter la portée sociale
«exemplaire» de la promotion économique d'individus de couleur, qui menace le
système social existant dans la mesure où elle est antagonique à la confusion
de l'ordre social et de l'ordre racial sur laquelle ce système repose, puisqu'U
fait que ceux-ci ne sont pas totalement acceptés par la minorité dominante
blanche (12). Par ailleurs, il provoque l'isolement et la marginalisation de ces
gens de couleur de condition aisée qui, désireux de voir légitimer leur réussite
sociale par le groupe dominant blanc, ne se reconnaissent déjà plus dans les
problèmes et les aspirations des masses populaires sans qu'Us puissent pour
autant obtenir une teUe légitimation. Ce qui a pour résultat de «décapiter»
la population de couleur en la coupant de l'éUte qui pourrait, dans un sursaut
de nationaUsme, fournir les cadres d'une lutte politique d'émancipation. C'est
212 MICHEL GIRAUD
Notes
(1) Les Békés sont les Blancs créoles de la Martinique. Ils sont les descendants des colons venus
d'Europe sous l'Ancien Régime.
(2) Nous avons analysé, à partir des matériaux d'une enquête réalisée auprès d'élèves de renseignement
secondaire, l'ensemble de ces stéréotypes dans notre thèse «Races et Classes à la Martinique. Les relations
sociales entre enfants de différentes couleurs à l'école» (voir GIRAUD, 5, pp. 79-93 et pp. 175-181).
Nous ne pouvons pas dans le cadre limité de cet article reproduire une telle analyse.
(3) «On est Blanc comme on est riche, comme on est beau, comme on est intelligent» (BASTIDE, 6,
p. 203). ¦ t
(4) «Le Loup, te Diable, le Mauvais Génie, te MaL te Sauvage, sont toujours représentés par un Nègre,
ou un Indien» (FANON, 4, p. 139).
(5) Les mass media ne sont pas les seuls responsables de la transmission du préjugé de couleur. La
famille et l'école jouent également un rôle important dans cette transmission (voir GIRAUD, 5, pp. 181-
187 et pp. 197-200).
(6) «Le colonialiste sortira te fait de l'Histoire, du temps et d'une évolution possible. Le fait
sociologique est baptisé biologique ou mieux métaphysique. Il est déclaré appartenir à l'essence du colonisé.
Non seulement il établit la discrimination fondamentale entre colonisateur et colonisé, condition sine
qua non de la vie coloniale, mais en fonde l'immutabilité, seul te racisme autorise à poser pour l'éternité,
en la substantivant, une relation historique ayant un commencement daté» (MEMMI, 9, p. 109).
' tes (7) Négresses,
Dès 1664,
à laundeuxième
édit punissait
récidive
du ils
fouet
étaient
les commandeurs
marqués à la joue
et tesdevalets
la fleur
de de
cases
lys.blancs
Le Code
qui Noir,
débauchaient
sorte de
droit de l'esclavage, édicté par te ministre de Louis XTV, Colbert, instituait des amendes en cas de concubi-
' nage fécond entre maîtres et esclaves et décidait que tes enfants nés de ces relations resteraient esclaves.
L'ordonnance de 1778 interdisait purement et simplement tes mariages mixtes.
(8) Ainsi, les nombreux stéréotypes qui attribuent aux Nègres une sexualité sauvage ou ceux qui
font des Mulâtres «des gens à qui on ne peut se fier, intelligents mais sans principes, avides de promotion
sociale, jaloux de ceux que leur origine sociale place plus haut qu'eux dans la hiérarchie et s'efforçanf de
copier leurs usages» (LEIRIS, 2, p. 23) et qui ont pour objectif d'empêcher tes Métis de submerger par
leur nombre croissant les Blancs et d'être ainsi en mesure de leur ravir tes clefs du pouvoir.
(9) Pour cette raison, nous nous refusons i assimiler la société martiniquaise à un système de castes,
comme de nombreux auteurs te font, à tort selon nous, pour d'autres sociétés de la Caraïbe, en
particulier, et de 1' «Amérique des plantations», en général, qu'ils qualifient de plurales.
(10) Cette prédominance est d'autant plus marquée que des élèves blancs sont présents dans ces classe*,
présence qui est génératrice de conflits raciaux ouverts provoquant chez les enfants une nette prise de
conscience de l'existence des barrières ethniques. Ceci ne signifie pas que les Blancs sont les seuls à faire
preuve de préjugés raciaux il existe en effet un préjugé des Mulâtres à rencontre des Noirs et de tous
ces groupes à rencontre des Coulis - mais que la relation qui tes oppose à l'ensemble des Non-Blancs,
relation qui reste la principale contradiction raciale à la Martinique, sert en quelque sorte de catalyseur
à toutes les autres oppositions. ^
(1 1) Voir l'analyse que Charles Henfrey a consacré à cette rivalité dans te cas de la Guyane
anciennement britannique (HENFREY, 14).
(12) «The Negro may have found spiritual salvation in the white Man's faith, he may have acqired
the white Man's culture and learnt to speak his language with the tongue of an angel, he may Jiave become
adept in the white Man's economic technique and yet it profits him nothing if he has not changed his
skin» (TOYNBEE, 15, p. 224).
(13) Nous avons enregistré tes manifestations de ce phénomène dans tes résultats de l'enquête menée
auprès d'enfants, dont nous avons déjà parlé, ainsi les élèves noirs issus de la couche supérieure de la
clas e moyenne ont un statut sociométrique d'isolé.
(14) Voir sur ce point LUCRECE, 16.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES CITÉES
I. WAGLEY (Charles) ed.,Races et classes dans le Brésil rural, Paris UN.E.S.C.0 ./Gallimard,
1952.
214 MICHEL GIRAUD