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18 juin 1940:
"Les chefs qui, depuis de nombreuses années, sont à la tête des armées
françaises, ont formé un gouvernement.
Certes, nous avons été, nous sommes, submergés par la force mécanique,
terrestre et aérienne, de l'ennemi.
Infiniment plus que leur nombre, ce sont les chars, les avions, la tactique des
Allemands qui nous font reculer. Ce sont les chars, les avions, la tactique des
Allemands qui ont surpris nos chefs au point de les amener là où ils en sont
aujourd'hui.
Croyez-moi, moi qui vous parle en connaissance de cause et vous dis que rien
n'est perdu pour la France. Les mêmes moyens qui nous ont vaincus peuvent
faire venir un jour la victoire.
Car la France n'est pas seule ! Elle n'est pas seule ! Elle n'est pas seule ! Elle
a un vaste Empire derrière elle. Elle peut faire bloc avec l'Empire britannique
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qui tient la mer et continue la lutte. Elle peut, comme l'Angleterre, utiliser
sans limites l'immense industrie des Etats-Unis.
Cette guerre n'est pas limitée au territoire malheureux de notre pays. Cette
guerre n'est pas tranchée par la bataille de France. Cette guerre est une guerre
mondiale. Toutes les fautes, tous les retards, toutes les souffrances,
n'empêchent pas qu'il y a, dans l'univers, tous les moyens nécessaires pour
écraser un jour nos ennemis. Foudroyés aujourd'hui par la force mécanique,
nous pourrons vaincre dans l'avenir par une force mécanique supérieure. Le
destin du monde est là.
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Elle se redresse, et le bas de sa robe de chambre frotte le sol. À 22 heures,
habituellement, elle est couchée. Mais depuis un peu plus d'un mois, le 10
mai, en fait, elle a du mal à dormir. Alors, elle reste là, sur sa chaise, avec le
lourd engin posé sur la table, et elle écoute les nouvelles, à toute heure. Voir
si les Allemands ont encore arraché un bout de France aux Français...
Elle l'a perdu de vue. Il doit encore être dans les environs de Lyon, en zone
libre... enfin du moins pour l'instant.
Leur père est décédé à Bourg, en décembre, et deux mois après son
enterrement, le notaire a appelé pour que sa famille puisse venir récupérer
son testament. Sa famille s'était résumée à elle et son frère, leur mère étant
morte sous les derniers assauts de la grippe espagnole, il y a une vingtaine
d'années, alors qu'ils étaient encore petits.
En effet, avec l'offensive allemande et les millions de réfugiés sur les routes,
elle avait dû, contrainte et forcée, rester là pour un temps. De plus, elle avait
assez peu de nouvelles de son frère, le courrier circulant très mal.
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Elle avait appris il y a peu que le maréchal Pétain était en train de négocier un
armistice avec les Allemands. Mais elle ne voulait pas que la France se laisse
faire ! Elle se doit de défendre ses valeurs, la République, la liberté !
Catherine en avait assez de tous ces gens qui en avaient assez, tous ces lâches
qui abandonnaient leur pays !
Elle avait d'ailleurs très clairement dit ce qu'elle en pensait à son frère ; mais
lui était plutôt pétainiste, et comprenait la lassitude des civils vis à vis de la
guerre, et d'ailleurs la partageait plus ou moins. Contrairement à Catherine
qui elle, sentait son sang bouillir dès qu'on prononçait les mots "reddition" ou
"armistice".
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Chapitre 1 : Henri, 1940
Drrrring !
Une fois tous les élèves partis, Henri sortit à son tour de la classe. C'était sa
dernière heure de cours de la journée mais les conseils de classe
approchaient, et le directeur avait eu la bonne idée de faire une réunion
préparatoire.
Mais Henri devait avouer que rester au lycée, avec ce beau temps de juin,
plutôt que de flâner dans les rues ensoleillées de Bourg ne l'enchantait pas.
Henri s'en prépara une tasse et s'installa à la table de la salle des profs pour
corriger des interrogations sur les verbes irréguliers.
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Une heure plus tard, le professeur d'éducation sportive entra à son tour.
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professeur de sport, en essayant de couvrir le son de la bouilloire. Dieu, cette
bouilloire fait un boucan de tous les diables.
19 juin
- To be or–
- Oh non, ça suffit ! fit Henri, coupant l'élève en train de réciter. Les deux du
fond, vous viendrez me voir à la fin du cours, je ne tolère pas que l'on ne
respecte pas le travail des autres. Et ne recommencez pas ou vous aurez des
heures de permanences. Start again, Mister Gabin.
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Henri regardait sévèrement les deux garçons debout devant son bureau.
- C'est passé hier sur la BBC, fit l'autre d'un air gêné.
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- Oui, il s'est enfuit à Londres avec d'autres officiers français.
- Il a déserté ? Enfin, pourquoi aurait-il fait cela, alors que l'armistice est
bientôt signé ?
- Oui monsieur.
- Bien monsieur.
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Et les réfugiés passaient, s'arrêtaient parfois pour mendier et s'installer pour
la nuit.
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- Henri !
- Vous restez manger ? Venez plutôt avec moi en ville, je vous emmène au
Français !
Ils entrèrent dans la brasserie, Henri n'était venu que quelques fois et les
plafonds peints le charmaient toujours autant.
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Ils s'installèrent à une table isolée. La conversation allait bon train depuis
l'entrée.
- Mais ce type est un lâche à la solde des anglais ! Il quitte l'armée française
pour ensuite se retourner contre nous, je n'aime pas cet homme. Pétain vaut
mieux.
- Sans doute, mais j'ai bien peur qu'il ne négocie pas un bon armistice. Vu la
situation ce ne sera pas très avantageux pour la France.
22 juin
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Dans son appartement de la rue Charles–Robin, Henri était sidéré. Le
maréchal Pétain venait de finir son annonce de l'armistice avec l'Allemagne.
Le bilan était décevant: une moitié de la France occupée, tous les prisonniers
restaient en captivité et la France devait verser 400 millions de francs par
jour. Certes, la paix n’a pas de prix, mais tant de pénalités...
Il se demande quand il reverra sa sœur, ils seront maintenant séparés par une
frontière, en plus de la distance...
1er juillet
Deuxième heure de cours du matin, Henri rentre dans une classe surexcitée.
3 juillet
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- Bonjour, Monsieur Berthaud, le salua le buraliste.
L'article continuait ainsi : « Une tempête de feu anglais s'est abattue sur les
navires français. 1297 marins morts ! »
Henri pensa aux familles, aux compagnes, aux frères et sœurs des morts. Que
ressentaient-ils ? Comment se sentirait-t-il, lui, si Catherine était tuée ? Il
espérait qu'elle était en sécurité, au nord. Que les Allemands ne brutalisaient
pas la population.
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Henri se demandait pourquoi cet armistice ne pouvait pas être général. «
Armistice entre la France et le reste du monde », voilà l'idéal.
10 juillet
« ... L'assemblée a déclaré les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain. Les rares
opposants dénoncent le totalitarisme qui risque de s'en suivre ... grésilla la
radio. »
Henri se leva pour mettre sa tasse dans l'évier. Tout cela allait mal se
terminer. Il n'était pas professeur d'histoire, mais donner les pleins pouvoirs à
un seul homme n'a jamais été une bonne idée.
11 juillet
7 août
- Ah ça, non !
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Henri entra dans le café où retentissaient des exclamations. La situation avait
évolué, mais les vacances étaient arrivées et les gens ne pensaient plus à
compatir ou à s'énerver des récents événements. Henri était resté à Bourg,
travaillant sur la traduction d'un roman policier anglais, une affaire de
meurtre pendant une croisière sur le Nil.
Dans le bar quelque peu vide, il y avait tout de même une table remplie et
agitée. Henri y reconnut son voisin de palier, un ancien combattant de la
guerre 14-18, revenu indemne mais avec une légère tendance à s'emporter
quand on abordait le sujet militaire. Les dernières nouvelles ne lui plaisaient
pas, visiblement.
- On ne peut pas dire, mon p'tit, les Boches ont récupéré l'Alsace et la
Lorraine !
- Pardon ?
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- Après tout ce qu'on a fait pour les récupérer ! On est allé les leur arracher et
ils nous les reprennent ! Oh, c'est la fin ! La France est morte mon petit ! Elle
est morte !
8 août
- Oh, merci Henri, de l'aide est bienvenue, dit le père Michel en arrivant.
- C'est normal, de nos jours, on doit s'entraider, répondit Henri, Vous avez
vu ? Léon Blum et d'autres politiques ont été arrêtés.
- Oui, j'avoue que je regrette ce Blum, il avait fait des choses plutôt bien.
- Oui, je trouve que les 40 heures étaient une bonne idée, mais je n'ai pas su
pourquoi il était arrêté.
- J'ai bien l'impression que notre gouvernement ne fait pas beaucoup attention
aux raisons, on verra ce qu'il adviendra.
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13 août
Depuis ce matin, Henri voyait des affiches bleues blanches et rouges. Il s'était
approché de l'une d'elles et avait lu les slogans.
Cet antisémitisme affiché ne lui plaisait pas non plus, la République était
laïque mais cet « Etat » ne semblait pas apprécier les religions.
La rentrée approchait et Henri espérait que tout se passerait bien pour lui et
ses élèves.
26 août
Berlin avait été bombardée par les Anglais, en réponse aux bombardements
de Londres, deux jours plus tôt.
Ceux de Londres l'avait inquiété, autant pour sa sœur, à Dunkerque, que pour
ses amis de Londres, anciens camarades d'université. Mais Berlin ne l'avait
quasiment pas choqué.
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Jusqu'où irait cette banalisation de la violence et de la mort ? Henri ne savait
pas...
12 septembre
Qu'il était bon de retrouver sa classe, ses élèves et ses collègues ! Des élèves
étaient partis, d'autres arrivaient juste.
N'était-il pas un peu narcissique d'avoir fait mettre son propre portrait dans
toutes les classes ?
Tout le monde avait remarqué que certains, voix indécelables dans la foule,
remplaçaient « Maréchal nous voilà » par « Général nous voilà » et que «
Liberté, Liberté chérie » avait été remplacé par « miss Berthet, miss Berthet
chérie ».
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Mais cela n'était pas grand-chose face aux graffitis qui commençaient à
fleurir dans le lycée. Ce n'était pas une nouveauté, mais la nature politique de
ces graffitis rendait la chose plus gênante, au grand déplaisir du proviseur.
Celui-ci s'était illustré par son zèle à l'égard de Pétain, ainsi que celui du
professeur de mathématiques.
Henri de son côté, ne savait pas quoi penser. Il s'était mis à écouter la BBC et
avait dû se rendre à l'évidence que cet armistice le protégeait mais que
beaucoup d'autres en souffraient.
Encore une fois, il ne savait pas s'il voudrait se battre comme d'autres le
faisait. Se battre pour un idéal ou la liberté n'est pas pour lui mais la paix
pour tous est une chose à laquelle Henri tenait.
15 octobre
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Des lois antisémites, puis l'interdiction des syndicats. Oh, cela avait plu aux
vichystes comme le professeur de mathématiques de Lalande, qui n'avait pas
manqué de clamer haut et fort que le nouveau traitement accordé aux juifs lui
paraissait juste et que les "vrais français" devraient s'en réjouir. Le proviseur
s'était tu cette fois ci, mais personne n'avait manqué le sourire quasiment
vainqueur qu'il arborait.
21 octobre
La violence avait dépassé les paroles. Hier, un élève juif s'était fait agresser.
Thomas était allé le voir, au matin. L'élève n'avait aucune marque sur la tête,
mais on lisait la douleur de ses muscles sur son visage à chaque mouvement.
Thomas ne voulait plus de cette guerre, ne voulait plus de cette haine, nourrie
par un Etat irresponsable, à la botte d'un empire de terreur.
30 octobre
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- Oui, on verra ce qu'il en adviendra...
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Chapitre 2 : Catherine, 1940
Catherine souleva le rideau. Encore des soldats qui passaient. Des Allemands,
qui surveillaient.
Elle soupira. Elle avait une formation d'infirmière, elle pourrait aider De
Gaulle ! Mais elle se voyait mal se présenter à l'armée et demander cela...
D'autant plus qu'il faudrait voyager jusqu'à Londres, ce qui était quasiment
impossible par les temps qui courent...
Tant pis, elle allait essayer. Elle attrapa son manteau, sur un coup de tête, et
sortit dans la rue. Les pavés étaient déchaussés par les chars, et elle manqua
de tomber plusieurs fois. Elle ne savait pas vraiment où elle allait et le coup
de sang qui l'avait poussée dehors commençait à s'estomper. Peu à peu elle
ralentit, et s'arrêta. Toute la ville était grise et humide. L'allée ou elle se
trouvait était vide et silencieuse. D'un coup, elle se sentait terriblement seule,
loin de sa famille, de ses amis. Immobilisée à Dunkerque pour une histoire de
testament.
Catherine se laissa tomber sous le porche d'une vieille maison, voûtée sous le
poids de ses propres pierres. Un rat traversa la ruelle en couinant et se faufila
dans les égouts. Le soir tombait, à présent, et la ville devenait vraiment
lugubre. Elle savait qu'elle aurait dû se lever, et rentrer chez elle, tant qu'il y
avait suffisamment de lumière pour qu'elle puisse se diriger. Mais elle n'en
avait pas le courage.
Soudain, une des fenêtres encrassées de la maison sur laquelle elle était
appuyée s'éclaira d'une lueur vacillante, et des voix lui parvinrent, étouffées.
Elle se redressa, et secoua légèrement son manteau alourdit d'humidité.
Catherine colla l'oreille contre le battant suintant.
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-...plus de place sur le sous-marin de demain.
- Il me semble que oui. J'ai entendu des gens en parler à la brasserie, ce midi.
Demain, à 11 heures du soir.
Catherine sursauta. C'était une femme qui venait de parler ! Elle se pressa de
plus belle contre la porte. La voix de Robert reprit:
- Très bien. On ira voir. Mais il faudra se méfier, c'est peut-être un piège...
Elle entendit des pas se diriger vers la porte. Elle recula précipitamment, mais
ses chaussures aux semelles lisses glissèrent et elle tomba violemment sur les
pavés pointus. Un cri de douleur lui échappa.
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- C'est bon. C'est juste une jeune femme perdue...
Elle hocha la tête en signe de dénégation. Ils étaient arrivés dans la pièce
éclairée par quelques bougies. On la fit s'asseoir face à leur groupe. La scène
prenait des airs d'interrogatoires policiers.
- Mais vous êtes folle ! s'exclama la femme. On ne vous connaît pas, vous
nous avez espionnés et on devrait vous faire confiance ?!
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- J'ai une formation d'infirmière et un vif désir de participer à la reconquête
de la France ! lança Catherine avec ferveur.
- Le notaire qui s'occupe du testament de mon père se trouve ici, mais je suis
arrivée dans cette ville il y a environ trois semaines. Depuis je loge chez mon
notaire qui me prête un petit appartement jouxtant sa maison; mon père a en
effet demandé que son testament ne soit pas ouvert avant le 25 juin. Je suis
venue plus tôt car je pensais pouvoir revoir quelques amis de famille pendant
mon séjour, mais ils ne sont plus ici...
Surprise, Catherine lui serra néanmoins la main avec chaleur. La tension qui
régnait auparavant dans la pièce s'était dissipée.
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- Robert, déclara le grand blond aux yeux bleus qui avait parlé un peu plus
tôt.
Ce dernier avait des yeux marrons au regard captivant, et des mèches brunes
qui partaient en tous sens. Il devait être à peine en-dessous du mètre quatre-
vingts, et il était joliment musclé. Tous avait une vingtaine d'années, comme
elle.
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Les vagues crénelées d'argent se brisaient sur la coque du navire dans un bruit
léger et régulier qui la détendait. Les derniers nuages s'étaient dissipés dans la
matinée, et on pouvait observer les astres qui luisaient doucement. Des
embruns lui fouettèrent le visage.
C'était la première fois que la jeune femme prenait le bateau, et elle adorait
ça.
La veille, après que les quatre gaullistes se furent présentés, elle fut intégrée à
une vitesse stupéfiante. On lui donna tous les renseignements nécessaires, en
lui intimant de prendre une valise.
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Catherine avait donc remercié le notaire pour son hospitalité, avait remballé
ses affaires et s'était rendue sur le quai à l'heure dite.
Ses nouveaux compagnons étaient déjà là, et ils embarquèrent dix minutes
plus tard. Le capitaine leur avait dit que la traversée durerait un peu plus
d'une heure.
Plongée dans ses pensées, Catherine ne fit pas attention au vent qui avait
forci, et son chapeau s'envola dans une rafale.
Il lui tendit son chapeau, qu'elle garda en main. Puis elle retourna s'accouder
au bastingage. Thomas la suivit.
Il y eut un silence. Elle lui jeta un coup d'œil. Son visage était creusé par les
ombres nocturnes.
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- Qu'est-ce qui t'as décidé à rejoindre l'Angleterre ?
Elle se sentait à l'aise avec lui; elle le tutoyait naturellement. Il lui rappelait
un peu son frère...
- J'étais en service militaire dans les colonies. Moïse était un aide de camp,
embauché pour sa bonne connaissance de la région. On s'entendait bien. Tous
les soirs, on écoutait la radio. Les nouvelles de la France, qui se faisait
envahir à une vitesse fulgurante...
- Un jour, Moïse est venu en me disant qu'il serait prêt à embarquer pour
l'Angleterre, pour aider le général De Gaulle. J'étais tout à fait d'accord, et
nous avons pris un bateau, qui devait nous emmener jusqu'à Londres, mais
lors de son escale à Dunkerque, on ne le laissa pas repartir car il avait des
produits illégaux dans ses cales. Nous errions, désemparés, dans la ville
lorsque nous rencontrâmes Jeanne et Robert. Ils venaient juste de se marier,
et eux aussi cherchait à joindre l'Angleterre. Nous étions en train de chercher
un moyen de transport lorsque tu es arrivée...
- Tu est moins froussarde que d'autres. Tu n'as même pas frémi en voyant
Moïse, et pourtant Dieu sait qu'il est impressionnant !
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- J'admets que j'étais impressionnée. Mais je ne sais pas pourquoi, j'avais
l'intuition qu'il ne me ferait pas le moindre mal...
- Tu ne serais pas un peu téméraire, des fois ? Enfin... Tu sais tout ce qu'il y a
à savoir sur moi, maintenant.
- C'est... il est mon cadet de trois ans. Et il est fou d'Hitler. Il était ravi quand
l'armée allemande a débarqué... C'est ce que disait sa dernière lettre. Si tu
l'avais lue... Je lui ai répondu aussitôt, un billet rageur disant que je ne voulais
plus lui parler jusqu'à ce qu'il change d'avis. Il ne m'a pas répondu. Je n'ai
plus de nouvelles depuis plusieurs mois.
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Peu après leur conversation, le froid se fit plus intense, et ils réintégrèrent
leurs cabines.
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L'armistice avec les Allemands avait été signé. Cela faisait d'ailleurs la une
des journaux londoniens...
À dire vrai, on ne pouvait pas dire que ce fût un événement inattendu: tout le
monde se doutait que la France allait capituler... Mais Adolf Hitler avait pris
un malin plaisir à reconstituer la scène de l'armistice de 1918: à Montoire,
dans le même wagon, sauf que les Allemands cette fois se trouvaient à la
table des vainqueurs...
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- Oui, c'est cela, répondit Robert. Mais ma femme et mademoiselle Berthaud
aimeraient rejoindre vos rangs en tant qu'infirmière.
- Oui, ça nous serait très utile... Nous en manquons cruellement. Nous avons
déjà tant de blessés...
Elle eut une expression mélancolique durant un instant, mais se reprit très
vite.
- Vos noms et votre profession, je vous prie ? J'aurais également besoin que
vous me montriez votre pièce d'identité.
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D'un professionnalisme à toute épreuve, la secrétaire lui jeta à peine un coup
d'œil surpris, avant de taper ce qu'il venait de lui dire. Jeanne s'approcha à
son tour, et dit:
- Jeanne Lechevallier, avec deux L. Infirmière. J'ai quitté mon travail pour
soutenir le général De Gaulle.
La secrétaire jeta un coup d'œil à ses papiers, puis se tourna vers Catherine:
- Et vous, mademoiselle?
- Je suis Catherine Berthaud. J'ai fait une formation d'infirmière, et j’ai déjà
exercé.
- Effectivement, acquiesça-t-elle, après avoir jeté un coup d'oeil sur son année
de naissance.
Il y eut un silence.
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- Et, euh... Que fait-on maintenant ? demanda Robert.
Aussitôt dit, aussitôt fait, il abattit le poing sur la porte, puis l'ouvrit.
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- Excusez-nous, dit Robert en attrapant le bras d'un petit homme barbu. Nous
cherchons l'officier qui dirige cet endroit.
Les cinq amis se frayèrent donc un chemin dans les escaliers encombrés
jusqu'au lieu indiqué. Jeanne toqua poliment sur le battant de chêne et tourna
le bouton en laiton quand lui parvint un "Entrez!" énergique.
Il se retourna et leur fit face. Il ne devait pas avoir beaucoup plus de trente-
cinq ans, mais avec ses sourcils froncés et le pli soucieux de sa bouche, il en
paraissait plus.
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- Le médecin et les infirmières, à l'hôpital au coin de la rue, je vous prie.
Soldats Dashner et Mbengue, vous irez à la surveillance de l'hôpital, il nous
manque des hommes.
Après avoir enfilé leur uniforme, les jeunes gens échangèrent un sourire ravi.
Il fit la moue, puis se tourna vers Jeanne et Robert qui échangeaient des
regards tendres qui se passaient de mots dans un coin de la salle.
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Ils sursautèrent et leur joues se colorèrent comme des amants pris en faute.
Voir la Jeanne si cynique rougir comme une collégienne attendrit beaucoup
Catherine. Mais elle ne s'attarda pas et emboîta le pas à Thomas qui
dégringolait déjà les escaliers.
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Les unes se succèdent, dans les bureaux de presse de Londres. La BBC lance
des nouvelles toujours plus tristes pour les français exilés en Angleterre:
l'interruption des relations diplomatiques entre les deux pays, la destruction
de la flotte française par la Royal Navy le 3 juillet...
Depuis que De Gaulle avait été nommé chef des Français libres et qu'il avait
établi son QG au 4, Carlton Gardens, peu de raisons de se réjouir avait éclairé
le coeur de Catherine. Cela faisait plus d'un mois qu'elle n'avait pas de
nouvelles de son frère, et en plus, maintenant, le maréchal Pétain avait les
pleins pouvoirs !
Elle abattit rageusement son poing sur la première page du journal, qui titrait
cela. Ce corrompu, ce soumis aux Boches, chef de la France! Elle avait du
mal à l'admettre. Comment ce héros de la première guerre avait pu tomber si
bas? Elle se laissa choir sur son lit et fixa le plafond de la petite chambre
qu'elle avait la chance d'habiter seule. Elle en avait assez. Elle devait
s'occuper. Catherine remit sa coiffe, et descendit au deuxième étage, où elle
prenait soin des blessés graves. On avait toujours besoin d'un coup de main,
de toute façon.
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Après avoir changé les pansements de plusieurs soldats français qui avait été
blessés lors de l'évacuation de Dunkerque, elle décida de se prendre une
pause, et après avoir prévenu sa collègue, elle sortit boire un café dans le bar
d'en face. Depuis le temps, le patron s'était habitué à voir des infirmières et
des soldats en uniforme à l'air épuisé vaquer dans son établissement. Le
nombre de commandes de cafés avait doublé, depuis un mois... Du moins,
c'est ce qu'il avait confié à Catherine.
Elle eut la joie de tomber sur Thomas, les yeux rougis de fatigue, qui faisait
tourner un verre de gin entre ses mains. Même s'ils ne se voyaient pas très
souvent du fait de la différence dans leurs horaires de travail, ils arrivaient
toujours à se dégoter une heure à passer ensemble. Leur amitié s'était
confirmée au cours des dernières semaines.
Elle se laissa tomber sur un tabouret à côté de lui. Il lui adressa un pauvre
sourire.
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Il jeta un coup d'oeil à sa montre et sursauta.
Il finit son verre cul sec, et sortit d'un pas vif de l'établissement.
Quelques minutes plus tard, Catherine sortit à son tour du petit café, et reprit
son service.
Mais un jour, - le 1er août - alors que Thomas aidait à la rééducation d'un
patient avec Catherine, Robert arriva, sa blouse blanche tachée de sang. Il
demanda à ce qu'on fasse asseoir l'homme duquel ils s'occupaient. Catherine
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commençait à connaître ce pli entre les sourcils du médecin: un malade ou un
blessé était sans doute mort.
Thomas et elle aidèrent donc l'homme - qui venait tout juste de retrouver
l'usage de ses jambes après un gros choc sur la colonne vertébrale - à prendre
place dans un fauteuil et s'écartèrent un peu.
- Vous avez bien une fille qui s'appelle Anne et qui était hospitalisée ici ?
- Oui... souffla-t-il.
Lui comme les deux autres avaient noté l'emploi du passé. Catherine pinça
les lèvres. Voilà que la guerre frappait encore...
- Votre fille est morte des suites d'une hémorragie interne généralisée...
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- Ma petite fille... Je...
- Et elle est morte, reprit le docteur, en disant de ne pas vous inquiéter pour
elle, qu'elle allait retrouver sa mamie au paradis!
Robert semblait aussi profondément choqué que le père. C'était une des
premières enfants qui se retrouvait ici, et c'était aussi la première qui mourait
là. On sentait que les paroles de la fillette allait le hanter toute sa vie.
M. Dorin crispa les poings sur les accoudoirs du fauteuil, si fort que ses
jointures blanchirent. Il semblait faire un énorme effort sur lui-même pour se
contrôler. Et d'un coup, il se plia en deux comme si on l'avait frappé, la
bouche grande ouverte et les yeux écarquillés.
Il était en état de choc. Catherine recula d'un pas, horrifiée, et buta sur le pied
de Thomas. Il lui attrapa les poignets et les serra dans ses mains. Elle leva la
tête vers lui. Il regardait droit devant lui, la mâchoire, tout le corps crispé par
une fureur immense.
- Elle s'appelait Anne, elle avait 6 ans, et Hitler l'a tuée. Hitler l'a tuée !
Il serra ses doigts à lui en faire des bleus. Puis d'un coup, il la lâcha et s'en fut
comme une furie hors de la salle. Catherine avait les oreilles qui sifflaient.
Elle entendait M. Dorin qui s'était finalement mis à pleurer dans son fauteuil,
elle voyait Robert qui tentait de le réconforter et finalement Jeanne qui
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arrivait pour le prendre en charge et qui l'emmenait dans une salle au calme,
mais tout lui passait au-dessus.
Les sens de Catherine reprirent d'un coup leur netteté, et elle se redressa, le
regard dur. Elle ne se battait plus seulement pour la France. Elle se battait
aussi pour les Français. Pour tous ceux qui souffraient de la guerre. Elle se
battait pour l'ultime remède à tout cela: la paix. Et la paix passait par la
destruction de l'idéologie nazie.
La fleur de son fusil était tombée, et elle regardait la guerre dans les yeux.
- Nous savions que ça arriverait tôt ou tard... Que tu finirais par prendre
conscience de ce qu'était réellement la guerre... La guerre ne devrait exister
que pour ramener la paix. Tu t'en es rendue compte à présent.
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Catherine réfléchit un instant à ces paroles.
Elle sentit une détermination bien plus solide se couler dans ses veines, et elle
reconnut soudain le regard de ses amis, c'était le même que celui qu'elle avait
vu dans son miroir ce matin-là. Le sien.
Un mois plus tard, l'horreur s'abattit sur Londres sous forme de bombes
allemandes. C'était le début du Blitz. Le début des sirènes et des alertes, de la
peur permanente et des nuits éclairées de rouge, des hôpitaux qui ne
désemplissaient pas, le début de l'épouvante et de la mort qui tombait du ciel.
Aussi, quelle ne fut pas sa surprise lorsque le caporal surgit dans la pièce, et
lui dit sur un ton calme au milieu du brouhaha et des pleurs:
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- Poursuivez votre travail, mademoiselle Berthaud. Je vais vous expliquer
votre nouvelle mission pendant que vous vous occupez de ce jeune homme.
Catherine déglutit.
- Non, bien sûr que non! Ce sera notre passeport pour nous infiltrer en
France! Nous dirons qu'ils sont atteints d'une maladie contagieuse, comme la
tuberculose, afin que les Allemands n'y regardent pas de trop près, puis vous
serez envoyés à Paris dans votre famille, qui est constituée de deux
sympathisants à la retraite. Nous vous ferons des faux papiers en béton,
évidemment.
- A Paris?
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nous fournir des informations, par radio. Mbengue sera votre relayeur.
Mais…
- Qu’y a-t-il ?
Il acquiesça.
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Chapitre 3 : Henri, 1941
Dans son petit appartement, Henri avait froid et son moral était au plus bas. Il
avait passé Noël sans sa sœur, mais chez une voisine dont le seul fils est
prisonnier en Allemagne. Ils ont partagé un repas, et des souvenirs.
Les avancées militaires de cette guerre mondiale sont retransmises dans les
communiqués nationaux et sur la BBC.
Ce n'est pas faux. Et des croix de Lorraine un peu partout. Henri se demande
si ce Général de Gaulle n'est pas le futur de la France, lui aussi. Rien que d'y
croire est déjà rassurant.
Le pouvoir de l'espoir. Cet espoir qui pousse ses élèves à se révolter. Henri a
bien vu que la plupart d'entre eux n'aimaient pas cette nouvelle vie. La fougue
de la jeunesse peut-être.
Mais c'est fort comme sentiment, c'est beau. Ça fait prendre des risques.
Risquer de se faire prendre quand on distribue des tracts. Henri en a vu un,
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dans une corbeille, il l'a caché, pour ne pas que le Proviseur, Le Pingouin
comme l'appelle les élèves, le voit. Il ne sait pas pourquoi il a fait ça. Pour ses
élèves ? Pour l'espoir ? Peu importe.
Quelque part, ça le satisfait d'aider ses élèves dans leur lutte, qui n'est pas
celle de Henri.
15 juin
Les nouvelles sont agitées, les forces de De Gaulle, les FFL, se battent aux
côtés des Britanniques contre le régime de Vichy. Ils sont entrés en Syrie il y
a quelques semaines et les combats continuent de faire rage.
De Gaulle recrute dans les colonies depuis qu'il est parti à Londres. Allié aux
Anglais, il est extrêmement craint par Vichy, mais le pire pour eux, ce sont
les rébellions.
Les gens en ont assez de Pétain. Le rationnement s'est durci. Dans le Nord,
les mineurs ont fait la grève. Entre le froid, la faim et l'oppression des
Allemands, ils avaient de bonnes raisons, se dit Henri.
Cette grève s'était rapidement politisée et plus de 200 grévistes étaient partis
on ne sait où.
Mais la plupart des gens s'indignaient, contre le traitement des Juifs, des
étrangers.
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Henri ne comptait plus les fois où il avait entendu quelqu'un à l'épicerie les
plaindre. Il était bien d'accord. En mars, Vichy avait créé le Commissariat
Général aux questions juives. Puis, un mois plus tard, le port de l'étoile jaune
avait été imposé aux juifs de la zone occupée et leur accès à différents
métiers avait été interdit.
Cela avait provoqué une vague de départ vers la zone libre. Les gens
hésitaient à aider les Juifs, ils avaient peur car la Préfecture et la police avait
déjà sanctionné des actes anti pétainistes, alors aider un Juif devait être
encore plus dangereux. Néanmoins, Henri voyait des actes gaullistes un peu
partout ; mais la prudence restait de mise.
31 août
Les deux mois de vacances avaient été agités ! Henri avait d'abord reçu une
lettre de sa sœur. Il n'y croyait plus. Il savait que sa sœur était intelligente et
débrouillarde mais qu'aurait-elle pu faire contre des bombardements ?
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Il savait bien que le système postal devait être chamboulé. Mais tout de
même, presque un an sans nouvelles. Un frère ne peut le supporter. Elle
devait avoir mûri, peut-être était-elle plus réfléchie maintenant...
Sa sœur était une vraie tête brûlée, prête à prendre des risques insensés pour
tout, mais elle s'en sortait toujours. Pas comme lui, l'enfant sage qui lisait
dans son coin. Enfin, si quelque chose lui déplaisait, il n'hésitait pas à se lever
pour faire changer la situation.
Cher Henri,
Cela fait longtemps que tu n'as pas eu des mes nouvelles et je me doute que
tu t'es fait un sang d'encre. Si tu m'as précédemment envoyé des lettres, je ne
les ai pas reçues. Je suis partie précipitamment de Dunkerque pour rejoindre
Paris, afin de soigner mon amie parisienne, Madeleine qui a attrapé le
cancer.
Quelle amie ? Il y avait quelque chose de pas net, mais Henri ne s'en
formalisa pas. Elle n'avait sans doute pas pu mettre des informations
détaillées dans sa lettre et il le comprenait.
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Qui était ce Thomas ? Il n'en savait rien non plus...
Nous sommes tous les deux logés chez Madeleine. D'ailleurs Édouard – tu
sais, son mari – est en pleine forme. J'espère que mon Tommy et moi
pourront venir te voir – mais nous n'y croyons pas trop, le voyage coûte cher,
et nous n'avons pas les moyens.
Tommy ? Mais que se passait-il ? Sa sœur allait bien, c'était l'essentiel, et elle
avait probablement dû glisser des informations fausses dans sa lettre... Il ne
devrait pas trop s'en inquiéter. Mais tout de même... Ce Tommy... Qui
pouvait-il bien être ?
Bien à toi,
Catherine
Mon dieu, cela faisait tellement de bien de savoir ce que faisait sa sœur,
malgré tout, elle était en sécurité.
Mais ce n'est pas le cas de tout le monde. Les combats sont partout. A
l'étranger, en zone occupée, dans le rues de Bourg.
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Si Henri ne nourrit pas une haine féroce, comme d'autres, à l'égard de Pétain,
il ne peut pas supporter Laval. De plus en plus, Henri n'arrive plus à
cautionner les actes de Vichy. Partout, on parle de rafles et Henri aimerait
fermer les yeux, et dormir tranquille, mais ce n'est pas possible. Que faire ?
22 septembre
Henri est revenu chez Pioda pour récupérer son miroir. Sa première
conversation avec lui avait été agréable. Paul Pioda était un gaulliste
convaincu et Henri était content de trouver quelqu'un pensant comme lui. Les
derniers événements avaient convaincu Henri de se détourner totalement de
Pétain pour De Gaulle. Pioda paraissait vraiment engagé derrière le Général.
A l'abri des regards indiscrets, ils avaient échangé réellement leurs opinions,
sans la méfiance habituelle. Henri avait par ailleurs croisé un élève, chargé de
sacs.
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Pioda vendait également des livres scolaires d'occasions, bienvenus dans ces
temps difficiles.
Henri avait laissé le cadre de son ancien miroir chez Pioda. Il tenait à y
remettre un miroir intact, l'objet étant un souvenir de sa grand-mère.
Quand il était revenu chez Pioda, après la rentrée, il était tombé sur le même
élève, aujourd'hui accompagné d'un camarade plus âgé. Henri passait de plus
en plus de temps à discuter avec le vendeur gaulliste. Il repartit près d'une
heure plus tard, avec la promesse de revenir boire un café dans le mois.
25 octobre
Le 17, Pioda lui parla de cette Résistance qui s'organisait, de ses journaux, de
ses fidèles. Mais surtout, il lui avait demandé de l'intégrer, cette Résistance,
d'intégrer une sizaine.
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Henri lut le Libération et réfléchit. Fallait-il qu'il entre dans la résistance ? Et
il y avait eu l'assassinat d'un soldat allemand, dans une ville occupée. 48
otages furent tués en représailles. S'il entrait dans une sizaine, quelles seraient
ses actions, et surtout, leurs conséquences sur la population?
Mais pour sa sœur, ses parents, la France, et les hommes morts pour elle, il
allait le faire.
8 décembre
Henri s'était rendu chez Pioda pour confirmer son engagement. Pioda lui
avait donné le contact d'un chef de sizaine, Zip. Il fallait utiliser des
pseudonymes ; Henri choisi Poirot, comme le célèbre détective à moustaches
d'Agatha Christie.
Au rendez-vous, Henri s'est rendu compte que Zip était un élève du lycée,
qu'il n'avait pas en cours.
Les premières actions de Henri furent de faire des tracts pour que le reste de
la sizaine les distribue ensuite.
Ce n'était pas grand-chose pour Henri mais il se rendit compte que du papier
pouvait avoir une importance énorme.
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Au retour des vacances, un élève, Paul Millet, était revenu avec une demi-
douzaine de feuilles de texte. C'était un extrait des mémoires du Maréchal
Foch. L'extrait traitait de Pétain, et de la lâcheté dont il avait fait preuve en
14-18.
L'affaire parvint aux oreilles du Préfet. C'est ainsi qu'un soir, vers 17h30, Paul
Millet fut arrêté à la sortie du lycée. Henri apprit par la suite que des
inspecteurs l'avaient interrogé et lui avait mis une « rouste ». C'était
seulement un élève de seconde dont le seul crime était d'avoir en sa
possession des extraits d'un livre disponible dans toutes les bibliothèques
municipales. L'hypocrisie de cette arrestation révulsait Henri...
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Chapitre 4 : Catherine, 1941
Les bombes tombaient sans arrêt à l'autre bout de Londres. Elle les entendait.
Elle sentait le sol vibrer sous ses semelles. Et elle voyait la nuit illuminée de
rouge. Catherine ferma les yeux un instant. Toutes ses horreurs...
Elle se reprit et poussa à nouveau la civière sur laquelle était allongé son
"mari". Je m'appelle Catherine Dashner, je me suis mariée il y a trois ans, ju
ste après ma majorité avec cet aspirant sous-lieutenant. Je retourne auprès
de ma belle-famille, car il a attrapé la tuberculose. J'ai eu l'autorisation de
la Croix-Rouge... Sous réserve de m'occuper de ce second tuberculeux
africain.
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médicaments et de matériel pour les hôpitaux. Une passerelle avait été
déployée, sûrement pour eux. Une unique ampoule éclairait leur chemin.
- Quel langage fleuri ! fit une voix sarcastique provenant de sous le drap.
Lorsqu'elle posa ses semelles sur le pont pour la seconde fois, un homme les
attendait, le visage masqué par les ombres.
- Bienvenue sur le bateau. Je suis le capitaine Hugon. Comptez sur moi pour
vous amener à bon port. Je ne suis pas militaire, mais quand même compétent
! Tenez, voilà vos papiers.
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Il fit volte-face, et son visage fut brièvement éclairé par l'ampoule. Une
moitié de son visage avait été emporté par des éclats d'obus, sûrement de la
guerre de 14.
Et, d'un coup, Jeanne l'inébranlable, la cynique, la saisit dans ses bras.
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- Compte sur moi, répondit-elle.
-----------------
- Terre en vue !
Elle lui tendit une petite bille en plastique, qui contenait un liquide rouge.
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Puis elle indiqua la table de toilette.
Elle sortit donner les mêmes billes à Moïse, qui était dans la cabine d'à-côté.
Quant elle revint, Thomas étalait avec application du fond de teint blanc sur
son visage. Il s'était déjà dessiné des cernes très convaincants.
Elle buta sur le dernier mot. Elle avait déjà été meilleure actrice que ça...
Peu de temps après, elle entendit des bottes claquer sur les marches qui
menaient à leur niveau, puis la porte de la cabine s'ouvrir.
Un Allemand sanglé dans son uniforme et se tenant bien droit fit son entrée et
lui jeta un regard dur.
Elle sortit les siens de sa poche et les lui tendit. Il s'en saisit, y jeta un œil puis
lui lança un regard soupçonneux. Mais il pinça les lèvres. Tout était en règle.
Bien malgré elle, Catherine sentit son cœur battre contre ses côtes.
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Juste à ce moment, Thomas toussa, d'une horrible toux grasse très
convaincante.
- Qui est-ce ?
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Catherine avait conscience que leur histoire était bancale, qu'il avait un
million de raisons de les interroger plus avant... Ses nerfs étaient au bord du
point de rupture.
----------------------------
- Bonjour, Catherine ! Mon fils va bien ? fit la vieille dame avec un naturel
qui la surprit.
59
Une fois la porte refermée, ils se présentèrent.
Ils hochèrent la tête, et se présentèrent à leur tour, même s'ils avaient l'air de
déjà les connaître. Madeleine leur montra leur chambre, en disant qu'elle était
désolée, mais qu'elle et Thomas devraient encore dormir dans le même lit, au
cas où les Allemands fouilleraient.
Mais Catherine ne se plaint pas: Moïse était encore plus mal logé, dans un
cagibi caché dans le grenier. Le caporal leur avait dit qu'il était sensé se faire
passer pour mort une fois arrivé à Paris. Sa couleur de peau était bien trop
repérable… Enfin, les autorités devaient rester dans le flou, au cas où on lui
demanderait ses papiers.
Cher Henri,
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Cela fait longtemps que tu n'as pas eu de mes nouvelles, et je me doute que tu
t'es fait un sang d'encre. Je m'en excuse. Si tu m'as précédemment envoyé des
lettres, je ne les ai pas reçues. Je suis partie précipitamment de Dunkerque
pour rejoindre Paris, afin de soigner mon amie parisienne, Madeleine, qui a
attrapé le cancer. Tu sais, une vieille amie de la famille. Je devrais y rester
encore longtemps. Ne t'inquiète pas pour Thomas, il va mieux. Nous sommes
logés tous les deux chez Madeleine. D'ailleurs Édouard - tu sais son mari -
est en pleine forme. J'espère que mon Tommy et moi pourront bientôt venir te
voir - mais nous n'y croyons pas trop. Le voyage coûte cher, et nous n'avons
pas les moyens. J'espère tout de même te voir bientôt,
Bien à toi,
Catherine.
Elle glissa le feuillet dans l'enveloppe et y apposa un timbre. Elle espérait que
son frère saisirait toutes les allusions et qu'il comprendrait qu'elle n'était pas
vraiment mariée... Mais elle ne pouvait pas faire autrement. Si son courrier
était ouvert et qu'elle y avait noté des informations vitales, elle préférait ne
pas imaginer le résultat... Elle savait qu'elle avait pris un gros risque en
révélant son adresse, mais elle voulait pouvoir communiquer avec son frère,
coûte que coûte. Sa décision était prise.
-----------------
61
Au cours des mois qui suivirent, les lois contre les Juifs se durcirent encore
plus. Le 29 mars, le Commissariat général aux questions juives, qui servait à
appliquer la politique discriminatoire du régime de Vichy fut créé. Jusqu'à ce
jour de 14 mai. La police effectua la première rafle de Juifs, des Juifs
étrangers, principalement des Polonais, qui pour beaucoup avaient cherché à
fuir l'Allemagne en trouvant refuge en France... Mais l'antisémitisme les avait
rattrapé, et à présent on les parquait dans des ghettos. A Pithiviers, ou à
Beaune-la-Rolande, quelle était la différence ? Le génocide avait commencé
en France...
Catherine les vit, tous ces Parisiens, avec leur billet de convocation vert à la
main, se rendre aux autorités. La plupart pensaient que ce n'était qu'une
simple formalité... Et puis on demandait à celui qui les accompagnait d'aller
chercher un sac de vivres et de vêtements, et les sourcils commençaient à se
froncer, mais il était trop tard, le piège s'était déjà refermé...
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De plus, elle avait entendu dire que le parti communiste français se rangeait
du côté des résistants. C'est ce qu'avait rapporté Thomas de son expédition au
café du bas de la rue, et c'est ce qu'elle avait confirmé avec ses propres
informateurs, ailleurs dans la ville. Ils feraient passer l'information à Londres
ce soir.
Alors que Thomas et Catherine disputaient avec férocité une partie d'échec -
que malgré tous ses efforts, Thomas était en train de gagner - la radio du
grenier se mit à grésiller. Ils se dressèrent aussitôt sur leurs pieds, et
appelèrent Moïse qui descendit en quatrième vitesse pour régler l'appareil.
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à Londres, et le nombre de blessés diminue. On a connu des jours difficiles,
et j'espère qu'ils sont derrière nous... En tout cas, il paraît que vous avez
réussi à construire un véritable réseau d'informations?! C'est vous qui êtes les
plus efficaces ! Et dit moi, Moïse, ils en sont où, nos deux tourtereaux ?
- Nous aussi, Jeanne, on est heureux d'avoir de tes nouvelles ! fit Catherine,
légèrement ironique. Et puis, quant au réseau d'informations, c'est un peu
exagéré: on n'a fait que s'intégrer aux structures déjà existantes... C'était assez
dur d'y entrer, c'est vrai. Mais maintenant, on a chacun un nom de code
fabuleux!
- Tu ne perds toujours pas ton côté enfantin, dit Jeanne. Mais c'est aussi pour
ta fraîcheur qu'on t'aime !
- Ça y est, vous avez fini ? fit Thomas dans un soupir. Jeanne, je suis désolé
de crever ce nuage de bonheur, mais nous devons faire notre rapport.
Quelques instants plus tard, une voix masculine retentit dans les écouteurs.
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- Allô, ici le caporal Martin. J'attends votre rapport.
Il était songeur.
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La radio s'éteignit dans un ultime grésillement.
- Je suis juste... Heureuse de vivre... Mais je ne sais pas si j'en ai le droit avec
tout ces gens qui souffrent là-dehors: si je suis heureuse, c'est parce que je
prends le temps de boire un café le matin, de savourer le soleil sur ma peau...
Tout ce temps où je ne fais rien pour eux.
Le silence retomba sur la chambre, et fut bientôt rompu par les légers
ronflements de Thomas, qui s'était endormi. Sa présence, sa façon de lui
remonter le moral... Il lui faisait souvent penser à son frère, à Bourg. Dieu
seul savait ce qu'il faisait en ce moment...
66
-------------------
Quinze jours plus tard, le 2 juin, Catherine et Thomas furent témoins d'une
scène terrible. Ce jour-là entrait en vigueur une nouvelle loi sur le statut juif,
et les autorités redoublaient de vigueur pour arrêter les Juifs. Ils passaient les
menottes à celui qui avait le malheur de porter un nom de famille à
consonance juive, sans plus de vérifications.
Alors que Catherine et Thomas se rendaient à leur café favori pour leur pêche
aux informations matinale, ils virent un groupe de badauds rassemblé devant
les grilles d'une école primaire.
Un homme d’âge mur était traîné par sa veste par deux hommes. L'un était un
soldat allemand, et l'autre un policier français.
Il n'y avait aucun doute à avoir, l'homme traîné dans la cour était un
professeur. On voyait de petits visages surpris se presser aux carreaux pour
voir ce qu'il se passait, des élèves devant lesquels on humiliait leur maître.
- Je ne suis pas juif ! Vous n'avez qu'à regarder mes papiers, ma mère et mon
père sont chrétiens comme je le suis ! Ma femme et mes enfants le sont !
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- C'est cela, bien sûr... Tu ne sais pas le nombre de fois que j'ai entendu ce
discours...
- Impossible...
Il resta figé quelques instants, fixant l'homme qui venait d'apparaître devant
eux.
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- Thomas. Qui est ton frère ?
- Non.
- Tu ne peux pas l'attaquer en pleine rue, ce serait aller en prison pour rien.
Par contre, tu peux te battre pour que ce soit ton idéologie de liberté qui
triomphe de la sienne, et ce serait la plus belle leçon que tu puisses lui donner
! Tu peux faire en sorte que ce frère qui te pèse devienne une motivation de
plus pour avancer !
Le jeune homme planta son regard sombre dans le sien. La rage s'était calmée
au fond de ses prunelles.
- Merci. D'être là. Et de m'empêcher de faire des bêtises par des tas
d'arguments sensés...
Elle lui balança un petit coup dans le bras pour sa dernière phrase. Il afficha
son sourire en coin.
Puis le jeune homme se tourna vers Catherine et la serra dans ses bras, dans
une étreinte étouffante.
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- Vraiment, merci... murmura-t-il à son oreille.
Et elle lui emboîta le pas, la tête pleine malgré tout du visage cruel de Harry
Dashner.
La cruauté des nazis envers les Juifs ne s'arrêta pas là: le 21, 22 et 23 août
eurent lieu de nouvelles rafles. Dans le 11ème arrondissement tout d'abord,
puis dans le 20ème. Tous les jours, cela se déroula de la même façon : la
police française et les soldats allemands bouclaient les arrondissements, les
stations de métro, puis fouillaient tout le monde. Tous ceux qui étaient allés
se déclarer comme juifs furent arrêtés. Il y eut également des descentes dans
des immeubles où des Juifs déclarés résidaient.
En trois jours, plus de quatre mille Juifs furent arrêtés, dont mille cinq cents
Français.
Catherine, comme pour la rafle des billets verts, vit tout : Thomas lui-même
se fit contrôler au sortir d'une brasserie. Des autobus passaient, chargés de
personnes, pleins à craquer de prisonniers...
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-----------------
Le 24 septembre, enfin, ils reçurent une bonne nouvelle. Ils apprirent par la
radio qu'on avait créé à Londres le Comité National Français, qui, pour la
France Libre, tenait lieu de gouvernement en exil.
Ce fut pour eux l'occasion de fêter quelque chose, car l'été avait été bien
sombre...
Et, deux mois plus tard, ils apprirent qu’après le bombardement de la base
américaine Pearl Harbor par les Japonais, le 7 décembre, les États-Unis
entraient en guerre contre l'Allemagne.
-------------------
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Le pilote lui indiqua soudain qu'ils étaient au-dessus du lieu d'atterrissage
prévu, et qu'il fallait sauter.
Sans frémir, Jean Moulin se jeta hors de l'appareil. Les ennemis de la France
Libre n'avaient qu'à bien se tenir !
72
Chapitre 5 : Henri, 1942
13 juin
Les actions des sizaines de Bourg portent leurs fruits, car de plus en plus de
gens rejoignent des mouvements de résistances.
En mai, le port de l’étoile jaune fut rendu obligatoire pour les Juifs.
Mais les élèves ne sont pas dupes, fous rires et regards ironiques de leur part.
La propagande ne les atteint pas ! Henri qui assistait à la séance peinait à
reprendre ses élèves, comme il aurait dû le faire, car voir que la jeunesse se
rebellait contre le système imposé le mettait en joie. Il eut même du mal à se
retenir de siffler avec les élèves quand le visage du « bien-aimé Führer »
apparut à l'écran.
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15 novembre
Les filles du lycée Carriat ont rejoint les Forces Unies de la Jeunesse (FUJ) et
il y a à présent 2 trentaines de FUJ qui agissent dans Bourg.
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Au lycée, le professeur de sport, que Henri a découvert résistant, est allé au
stade Verchère avec ses élèves, pour un cours de sport.
Mais heureusement, au grand plaisir des FUJ et de Henri, inquiet pour ses
élèves, il n'y eut pas de répercussions fâcheuses, si ce n'est que
l'administration du lycée et la préfecture étaient hors d'elles.
Mais raviver l'espoir des habitants et de ces jeunes était sans prix.
75
Chapitre 6 : Catherine, 1942
Un nouvel hiver se passa, sans évènements importants, sinon qu'on les avait
informé que Jean Moulin avait bien atterri, et que la tentative de réunification
des maquisards avait commencé.
Cependant elle reçut une lettre de son frère lui annonçant qu'il allait bien.
Même s'il était visiblement secoué par la nouvelle de son vrai-faux mariage
(ça se voyait dans son style d'écriture, il se perdait dans des phrases sans
queue ni tête, lui qui était plutôt concis habituellement), il avait lui aussi fait
attention à ne pas divulguer d'informations. Il ne posait pas de questions
étranges, ni rien qui puisse les compromettre.
Thomas, lui, s'était un peu plus ouvert à Catherine après l'altercation avec son
frère. Ils étaient devenus vraiment proches, et cette proximité avait également
permis à la jeune femme d'en apprendre plus et de resserrer ses liens avec
l'Africain.
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Ils recevaient une fois par semaine environ l'appel par radio de Jeanne et
Robert, toujours à Londres.
Les Parisiens faisaient de leur mieux pour garder la tête haute, mais l'hiver fut
difficile et réveilla des tensions qui couvaient envers les Allemands.
Un mois plus tard, le 18 avril, Laval fut imposé à la tête du gouvernement par
les Allemands, remplaçant Darlan.
Puis, le 29 mai, le port de l'étoile jaune fut rendu obligatoire pour les Juifs de
plus de six ans.
Catherine vit, au fur et à mesure des jours, les étoiles fleurirent sur les
vêtements, sur le cœur de tous ces gens, telle une cible. Il suffisait de porter
ce bout de tissu jaune pour devenir l'homme à abattre. Des descentes
régulières se faisaient dans les immeubles, arrêtant des Juifs pour des motifs
aberrants et bien souvent complètement inventés...
Catherine savait qu'elle ne pouvait pas accueillir de Juifs chez eux, ce serait
condamner encore plus gravement leurs hôtes s'ils étaient pris, et ils ne
pourraient plus transmettre leurs rapports sur la situation dans Paris...
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Mais cela l'éprouvait tous les jours de voir ces hommes et ces femmes
fatigués, humiliés, qui se traînaient comme des ombres dans la rue, en rasant
les murs, de voir ces enfants rejetés par leurs camarades de jeux pour une
tache jaune sur leur poitrine...
S'il est vrai que certains Juifs se comportaient presque comme s'ils faisaient
partie d'une secte, repoussant tout étranger loin de leur cercle, ils n'étaient pas
tous comme cela ! Au nom de l'amertume d'un seul homme, qui a fait les
mauvaises rencontres, et qui a fait d'une minorité une généralité, des milliers
- des millions ! - de vies partaient en cendres ! Hitler, bourreau aveugle à
l'esprit fermé !
Catherine avait l'impression parfois que son cœur allait éclater, mais il fallait
se retenir, contenir ses pulsions meurtrières envers ces nazis cruels...
Ils en discutaient souvent dans le petit appartement rue Bouloi, dans des
discours enflammés contre les nazis.
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leur pain quotidien, et les queues s'allongeaient devant les épiceries et
boulangeries.
Des rumeurs courent dans les cafés: une grande manifestation aura lieu le 31
mai dans la rue de Buci, contre le rationnement. Le but était de piller les
épiceries et de distribuer de la nourriture à tout le monde.
Quand elle apprit cela, Catherine sut ce qu'elle allait faire. Que ses amis le
veuille ou non, elle avait besoin de s'exprimer autrement qu'en missions
furtives. Tant pis si cela allait à l'encontre de la prudence ! Elle irait.
- Je n'en sais rien, répondit Thomas. J'espère simplement que les Allemands
ne vont pas faire trop de dégâts dans la foule...
- Oui, ce serait désastreux, tous ces pauvres gens... soupira Édouard. Malgré
tout, quel courage ils doivent avoir ! Parce qu'il en faut, des tripes pour oser
faire ça... Défier l'envahisseur...
- Mais c'est ce que vous faites déjà, fit Thomas. Nous accueillir chez vous,
c'est déjà un gros risque que vous prenez !
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- Pas tant que ça... Vous avez des faux papiers en béton, et on ne doit pas
vous cacher, si ce n'est vous, Moïse...
Moïse, toujours aussi perspicace, sentait que la jeune femme mijotait quelque
chose. À un moment où la conversation retombait, il dit doucement :
Elle sursauta :
- Rien de particulier !
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- Ho ho! fit Édouard. Tu sais quoi, tu n'as qu'à y aller.
Il vit rouge.
- On est un groupe, alors oui, il faut qu'on se mette d'accord ! On ne peut pas
perdre l'un des nôtres pour une chose aussi bête !
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Le silence était retombé sur l'appartement, mais Catherine était toujours
furieuse. Après avoir fixé le jeune homme quelques secondes, elle sortit à
grand pas de la pièce, et on l'entendit enfiler son manteau. Une minute plus
tard, la porte d'entrée claqua.
Moïse se tourna lentement vers son ami. Il était toujours figé dans la même
position, son regard furieux braqué droit devant lui. Son poing se serrait
convulsivement sous la table.
- Oui, mais elle l'a dit. C'est qu'elle devait bien le penser, au moins un peu.
- Lorsque les gens sont en colère, ils choisissent la façon la plus dure de dire
les choses, souffla Madeleine.
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Et, même s'il avait conscience que c'était idiot, il ne pouvait pas s'empêcher
de se dire que, peut-être, il y avait un fond de vérité dans ce qu'elle avait dit.
Que ce qui avait au départ éloigné son frère, c'est le fait qu'il l'étouffait.
Mais soudain, son pied buta dans la valise de la jeune femme, qui s'ouvrit
sous le choc. Au-dessus des vêtements, il y avait un petit cadre dans lequel se
trouvait une photo d'elle avec un jeune homme, qu'il reconnut comme étant
son frère. Ils s'entendaient bien, encore aujourd'hui, il le savait. Si sa sœur
devait mourir, ce jeune homme serait sans doute détruit...
Comme il était encore tôt, il laissa un mot sur la table de la cuisine disant
qu'il était sorti chercher Catherine, puis il empoigna sa veste et ferma
discrètement la porte derrière lui.
---------------
83
s'avouer que sur ce coup-là, c'était elle qui avait tort. Elle était tout de suite
montée sur ses grands chevaux...
- La police !
Elle tituba en direction des immeubles qui bordaient la rue, tant bien que mal,
quand soudain, un homme à la veste noire lui saisit le bras. Catherine se
retourna affolée, et envoya son poing dans la mâchoire de son agresseur.
Celui-ci poussa un grognement et l'attira dans une rue transversale en lui
coinçant les bras dans le dos.
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- Catherine ! C'est moi ! Arrête de te débattre !
- T-Thomas?!
- D'accord...
- Encore ? Tu m'as donc déjà vu ? fit Harry Dashner, qui ne semblait pas le
moins du monde surpris de voir son frère devant lui.
- Oooooh, mais j'ai cassé l'image de ton petit frère idéal, ma parole !
- Cela faisait bien longtemps que j'avais perdu mes illusions à ton sujet,
rétorqua sourdement Thomas.
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- En attendant, j'en connais une paire qui va finir au poste pour avoir défié
l'autorité !
Ce fut ce moment que choisit Catherine pour tomber dans les pommes.
Thomas, inquiet, lui tâta le pouls. Quand il vit qu'elle n'était pas en danger, il
l'allongea sur le côté, puis fit de nouveau face à son frère, qui arborait une
moue méprisante.
- Si je suis espion depuis si longtemps, pourquoi ne pas m'avoir arrêté plus tôt
?
- Vous communiquiez forcément par radio, puisque votre courrier était fouillé
et qu'il n'y avait rien, en plus de vos lignes téléphoniques sur écoute qui n'ont
rien donné non plus... Mais nous ne captions aucune fréquence... Nous
cherchions à résoudre ce problème, mais puisque tu te présentes toi et ta
copine sur un plateau d'argent, je ne vais pas refuser un ou deux prisonniers !
86
Thomas fit un pas vers Harry.
- Elle n'a rien fait ! J'ai simplement sorti cette jeune femme qui se sentait mal
hors de la foule !
- Je vais te tuer !
Et il sauta sur son frère avant qu'il ait pu dégainer son arme, chevelure brune
contre chevelure blonde, yeux bruns contre yeux bleus, jour contre nuit.
Thomas se releva d'un bond en jetant un regard méfiant sur le corps inanimé
devant lui. Puis il retourna près de Catherine, et lui asséna une série de petites
tapes sur les joues qui servirent à la réveiller.
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- Catherine, vite, il faut filer d'ici !
Il lui attrapa la main et l'entraîna dans les rues de Paris en courant. Ils
arrivèrent devant l'immeuble où ils habitaient à bout de souffle.
Tandis qu'ils montaient les escaliers, il lui expliqua la situation, ses yeux
sombres pleins d'anxiété.
- La police sait depuis longtemps que nous sommes des espions, mais elle ne
nous a pas arrêté tout de suite car ils voulaient comprendre comment
fonctionnaient les fréquences de notre radio, car ils n'arrivent pas à les
détecter... Mais maintenant que je me suis battu contre mon frère, nous
pouvons être arrêtés d'une minute à l'autre, il n'aura aucun scrupule à donner
l'ordre. Nous devons fuir tout de suite !
88
Catherine, elle, fila dans leur chambre, et commença à fourrer en catastrophe
leurs affaires dans les valises. Puis elle partit comme une flèche prévenir
Moïse qu'il devait faire ses bagages au plus vite.
Quand ils redescendirent dans la cuisine, Madeleine leur tendit un sac marin
remplit de vivres à chacun. Eux qui savaient la valeur de cette quantité de
nourriture étaient infiniment reconnaissants envers leur famille d'accueil.
- Madeleine, Édouard, merci pour tout, vous avez tant fait pour nous...
- Ce n'est rien, les enfants, vous nous remercierez après la fin de la guerre !
Maintenant, filez !
89
- J'ai veillé à ce qu'il ne reste plus trace de notre passage, dit Thomas. On ne
pourra rien vous reprocher.
L'un comme l'autre savait que l'absence de preuves n'était pas ce qui allait
empêcher les Allemands de les arrêter si c'était ce qu'ils voulaient, mais ils
avaient besoin de se rassurer.
Puis le contrecoup de ce qu'ils avaient vécu les rattrapa, et ils se rangèrent sur
le bas-côté de la route pour se reposer.
Le lendemain, alors que le soleil levant faisait luire les gouttes de rosées sur
l'herbe, il repartirent.
90
Au cours du trajet, ils discutèrent de ce qui s'était passé la veille, et Thomas
comme Catherine racontèrent leurs aventures mutuelles, puis la conversation
se rejoignit sur leur départ précipité de Paris.
- Qu'allons nous faire ? Il faut prévenir le caporal que nous avons dû fuir ! dit
Catherine.
- Non, il faut avant tout trouver un endroit où se loger, ne serait-ce que pour
pouvoir faire passer le message à Londres, rétorqua Moïse.
- Un de mes contacts m'a parlé d'un village en zone libre... Il y a pas mal de
résistants, là-bas.
91
- Eh si ! J'ai fait fabriquer des faux laissez-passer exprès au cas où on en
aurait besoin !
Ils roulèrent encore un peu, puis s'arrêtèrent pour passer une nouvelle nuit
(inconfortable) dans la voiture. À eux trois, ils avaient mis un coup aux
provisions que leur avait donné Madeleine, il faudra qu'ils s'arrêtent bientôt
pour trouver à manger...
Le lendemain matin, ils firent une courte halte pour remplir leur réservoir,
puis repartirent. À midi, ils avaient atteint le village indiqué par Thomas.
Les habitants leur jetèrent des regards méfiants alors qu'ils cherchaient
l'auberge où était sensé se trouver l'ami du contact du jeune homme.
92
- Un café latte, avec trois sucres, et n'oubliez pas le biscuit !
Moïse et Catherine, qui étaient entrés juste après lui, le regardèrent avec
stupéfaction.
Avec autant d'étonnement, le patron fixa cet homme aux cheveux bruns et
aux yeux sombres qu'il ne connaissait pas et qui savait le mot de passe. Il
bégaya cependant :
Ils entrèrent dans une petite pièce sombre. Le patron ferma la porte derrière
eux.
- Un de vos amis à Paris m'a dit que si j'avais besoin d'aide dans les environs
de Lyon, c'est vous qu'il fallait aller voir. Il s'est trouvé que moi, ma femme et
mon ami avons justement besoin de cette aide. Si vous voulez tout savoir,
nous sommes des espions à la solde de De Gaulle. Nous avons du matériel
radio qu'il nous faut brancher pour faire notre rapport et recevoir nos
instructions. Auriez-vous une pièce discrète où on puisse installer ce poste ?
Un peu assommé, l'autre acquiesça, et les emmena dans une cave humide.
Une fois là, il tira sur une pierre bien précise dans le mur, qui se détacha,
révélant une poignée de porte. Il l'actionna, et une ouverture se fit.
93
- Incroyable... souffla Moïse.
- Ce passage secret existe depuis longtemps, mais je l'ai fait réparer lorsque
les Allemands sont arrivés en France. Je peux vous dire qu'il nous sert bien, à
présent !
Ils s'engagèrent dans un couloir assez court, puis l'homme ouvrit une
nouvelle porte dérobée.
- C'est normal : si Adrien vous a donné le mot de passe, c'est qu'il vous fait
confiance, alors il en est de même pour moi.
-----------------
94
À partir de ce moment, ils reprirent leurs anciennes activités, à cette
différence près qu'ils ne renseignaient plus la France Libre sur les
agissements de l’armée allemande, mais sur ceux de la Résistance.
Les semaines passaient, et le trio s'intégra bien dans le bourg, solidaire avec
les maquis, même si Moïse, une nouvelle fois, dut rester caché la journée, de
part sa couleur de peau, assez peu discrète au milieu de tous ces Blancs.
Ils sabotèrent ainsi des voies ferrées, détournèrent des convois, récupérèrent
des armes... Le trio était à présent plus sous les ordres de Jean Moulin (qu'ils
avaient d'ailleurs rencontré une fois!) que du caporal Martin. Cette nouvelle
sorte de résistance leur plaisait beaucoup, leur donnait davantage l'impression
d'être actifs et de faire avancer les choses...
95
Le calvaire est loin d'être fini pour les Juifs, puisqu'en août, Catherine vit des
gens, des étrangers venus se réfugier dans la zone sud se faire arrêter avant
d'être remis aux mains mortelles des Allemands.
Après cet été meurtrier pour les Juifs et les étrangers, les choses se calmèrent
pour deux mois. À la radio, Catherine entendit parler d'une action menée par
les Alliés qui voulaient débarquer en Afrique du Nord.
Un immense vent d'espoir courut sur les résistants. Peut-être que l'occupation
allait enfin se terminer !
Mais la riposte de l’armée allemande ne se fit pas attendre, et elle fut terrible.
Le 11 novembre, ils franchirent la ligne de démarcation et occupèrent la zone
libre, qui s’appelait maintenant « zone sud ». À présent, la totalité de la
France est envahie.
Catherine n'y fit pas attention, trop occupée à broyer du noir dans son coin,
en songeant à son frère. Elle regardait par la fenêtre les lumières s'allumer
progressivement dans la ville, comme les étoiles dans le ciel.
96
Elle pensait à Henri, à l'absence de réponse à sa précédente lettre. Elle avait
peur pour lui, comme lui devait avoir peur pour elle... Son frère... Comme il
lui manquait…
Le ciel était complètement noir à présent, et elle était toute ankylosée. Alors
qu'elle commençait à s'étirer, Thomas ouvrit brusquement la porte. Il avait le
teint rouge, et le regard dans le vague. Il vacillait sur place. Quand il la vit un
sourire trop grand déchira son visage, et il dit, parlant fort :
Il ricana. Catherine le regarda, la bouche pincée. Elle ne pensait pas qu'il était
descendu pour boire... Et visiblement, il y était allé un peu fort. Thomas
tituba jusqu'à elle, manqua de tomber, mais se rattrapa au dossier du fauteuil
sur lequel elle était assise. Il se pencha vers elle, son visage tout prêt du sien:
- Mais entre n-nous, je suis sûre qu'elle est déjà sous mon ch-charme !
97
Catherine rougit. Elle savait qu'il était soûl, mais il paraissait terriblement
sérieux en disant ça... Thomas la regardait sans vraiment la voir, puis lui
caressa doucement la joue de sa main. Une douce chaleur se répandit dans le
corps de Catherine, tout à fait indépendamment de sa volonté.
Et puis d'un coup, il la tira brusquement hors du fauteuil, la prit par la taille et
la serra contre lui, fort, trop fort.
Enfin, elle reprit suffisamment de contrôle sur elle-même pour lui donner un
violent coup de genou dans l'entre-jambe. Puis elle appela, la peur
l'envahissant après coup :
- Moïse ! Moïse !
98
Moïse se tourna vers son ami.
- Elle était s-si belle dans s-son faut-teuil, avec les joues rouges... J-je ne sais
pas ce qu'il m'a p-pris... Je suis complètement perdu, Moïse. Je ne sais plus
quoi faire ! Avec cette sale guerre...
Et il éclata en sanglots.
Jeanne, à qui Catherine avait demandé conseil sur cette affaire, lui avait dit
que si elle pensait que ce qu'avait fait Thomas pouvait être pardonné, elle
devait le faire.
Au début, leur nouvelle amitié toute rafistolée était très fragile, jusqu'au jour
où Catherine se rendit compte qu'il ne s'était pas transformé en monstre, qu'il
regrettait sincèrement son geste, et qu'au final, il était toujours égal à lui-
même. À partir de là, elle réussit de nouveau à lui faire confiance, et ils
retrouvèrent la chaleur de leur amitié.
99
Ce fut ainsi que se passa le mois de décembre 1942 pour le trio, les missions
données par le caporal Martin reconsolidant la bonne entente du groupe. Rien
de tel que les épreuves de la vie pour savoir à qui on peut réellement faire
confiance !
100
Chapitre 7 : Henri, 1943
13 mai
Henri n'avait pas été appelé mais ses activités étaient quand même impactées
par ce changement. Car les hommes ne voulant pas partir étaient des hors-la-
loi que la résistance française se devait de protéger.
Et cela était d'autant plus difficile que les Allemands étaient présents. Ces
réfractaires au STO s'étaient réfugiés dans les fermes du Bugey favorables à
la Résistance. Plus le nombre d'hommes augmentait, plus le besoin d'une
organisation était pressant. Les maquis avaient finis par s'organiser, grâce à
Romans, maintenant chef des maquis du Bugey. En parallèle, les maquisards
s'entraînaient, participaient à des actions de résistance, où les FUJ les
aidaient, d'autant plus que de nombreux FUJ avaient dû prendre le maquis.
Une des premières actions du maquis fut la destruction des dossiers d'appel
du STO. Henri n'avait pas participé à ce sabotage mais l'avait suivi de près.
Pour cela, son rôle d'agent de liaison était très utile.
Cela s'était passé en février, les maquisards savaient que deux FUJ
travaillaient dans les bureaux où se trouvait ces dossiers et avaient mis en
place une action pour les récupérer.
101
L'opération fut reportée une première fois, la police avait été prévenue. La
seconde fois, ce fut réussi, et les fiches furent récupérées. Mais deux des
quatre FUJ ayant participé furent par la suite arrêtés. Le lendemain, les deux
autres qui avaient eu le temps de brûler les fiches furent également arrêtés.
Des pertes, mais du temps supplémentaire pour les jeunes de l'Ain et les
maquis, qui s'étaient concentrés dans le Bugey.
22 juin
Résistants ou non, les élèves de terminale avaient fini avec joie leur année,
bien que certains aient sacrifié un peu de leur temps d'étude pour la
Résistance.
C'était le cas de Marcel Thenon. Il fut arrêté le lendemain des épreuves. Peu
après, Marcel Cochet, le prof de sport résistant, qui laissait ses élèves chanter
fut arrêté et à son tour, et interrogé. Henri était ennuyé, il venait de perdre un
bon élève, un collègue agréable et deux complices.
102
Les supérieurs des maquis le connaissaient par ses actions chez les FUJ, aussi
y entra-t-il facilement. Les autres devaient passer par « un camp de triage »
qui permettait d'identifier les Allemands infiltrés.
Vichy considérait les maquisards comme des terroristes, bien que les
gendarmes et policiers de la région en soient plutôt proches.
Henri avait longuement réfléchi mais il voulait agir plus directement. C'était
risqué et l'idée de peut-être devoir tuer le révulsait, mais cette guerre devait se
terminer et il y contribuerait, coûte que coûte.
Les premiers attentas sur des rails avaient commencés grâce à des explosifs
fournis par les FFL. Romans, le chef des maquis avait ouvert une école de
cadre du maquis, encadrée par des officiers gaullistes, et on avait proposé à
Henri de l'intégrer. Son zèle et sa maîtrise des travaux délicats l'avait
démarqué des autres maquisards.
29 septembre
103
Pour un ex-professeur, c'est un poste de rêve. La routine confortable lui
manque un peu, mais il lutte pour ce en quoi il croit.
Mais tout n'est pas rose, les réfractaires aux STO sont recherchés par les
forces françaises, guidées par les gendarmes. Ces derniers étant solidaires aux
maquis ne les aident pas beaucoup.
Il y a quand même quelques arrestations mais ce qui est le plus craint, c'est
les descentes allemandes, beaucoup plus efficaces que les françaises.
11 novembre
Les maquis de l'Ain étaient toujours considérés comme terroristes par Vichy
et Londres .
104
La visite de plusieurs dignitaires gaullistes dans le maquis fut bénéfique. Ils
furent impressionné par la tenue exemplaire de leur camps.
-------------------
Henri un peu en arrière, dans les rangs avec les autres, lisait l' inscription sur
la gerbe de fleurs que les trois maquisards venait de poser au pied du
monument aux morts de la première guerre mondiale: « Les vainqueurs de
demain à ceux de 14-18 ».
Les gens sont aux fenêtres, dans la rue, silencieux comme eux, conscients de
la gravité du moment.
17 décembre
105
Trois jours plus tôt une rafle a eu lieu à Nantua. 150 hommes ont été déportés
et le médecin, dénoncé comme le chef de la résistance, est exécuté. Les
soldats allemands de la rafle ont ensuite remonté la route de Moillat jusqu'à
Oyonnax et ont assassiné le maire et son adjoint.
Tout ça pour mater les habitants d'Oyonnax. Leur montrer qui contrôle la
situation. Ces méthodes horrifient Henri et le font se remettre en question sur
les siennes...
106
Chapitre 8 : Catherine, 1943
Le mois de janvier de cette nouvelle année marqua une grande victoire pour
Jean Moulin. Tous les principaux mouvements de résistance fusionnèrent
pour former le MUR (Mouvements Unis de Résistance), à la plus grande
satisfaction de De Gaulle. Ce fut d'ailleurs Moïse qui en fit l'annonce à
Londres le premier, via sa radio-valise. Cette victoire se traduisit chez les
résistants par une détermination encore plus forte à mettre des bâtons dans les
roues de l'envahisseur.
Cette décision prise par l'Allemagne se révéla être une bénédiction pour la
Résistance : énormément de jeunes rejoignaient leurs rangs pour échapper
aux STO.
Rien que dans la petite ville où ils étaient logés, Catherine vit de plus en plus
d'hommes se présenter à l'Auberge du Cheval Blanc, le mot de passe sur les
lèvres.
107
Moïse leur apprenait à utiliser une radio convenablement (et aussi à utiliser
certains de ses gadgets).
Quant à Catherine, elle les formait aux premiers secours. Elle était d'ailleurs
heureuse de voir que parmi toutes ses recrues figuraient quelques femmes.
Nombre d'entre elles transmettaient des messages aux autres sizaines de
résistants car elles étaient rarement fouillées.
Les hommes, eux, avaient un peu plus à craindre car les réfractaires au STO
étaient activement recherchés.
Le printemps passa, et avec lui son lot de sabotages, d'otages pris par les
Allemands en représailles, exécutés, et toujours plus de travailleurs envoyés
en Allemagne.
Le mois de mai arriva et apporta une excellente nouvelle. Jean Moulin avait
réussi à unifier les différents mouvements de Résistance entre eux pour de
bon, et avait créé le Conseil National de Résistance, qui n'était ni plus ni
moins que la tête pensante des résistants, celui qui envoyait des directives
pour des opérations stratégiques et qui commençait même à élaborer des lois
pour l'après-guerre.
108
quant à l'issue de la guerre. Déjà, disaient-ils, l'Allemagne montrait des
signes de faiblesse. Et Catherine notait avec espoir que c'était vrai.
Quinze jours plus tard, Thomas et elle furent envoyés en mission à Lyon afin
d'y rencontrer Jean Moulin pour qu'il leur donne les directives à propos de la
réorganisation de l'Armée Secrète, dont leur groupe de résistance faisait
partie.
Ils arrivèrent à Lyon le 20 juin, un jour avant la réunion. Logés dans un petit
hôtel en centre-ville, ils n'étaient pas très loin du Rhône.
Le soleil brillait, et enflammait les tuiles rouges des toits lyonnais. Ils
marchaient dans les rues, faisaient des arrêts dans des parcs. Dans l'après-
midi, ils s'assirent à l'ombre d'un grand marronnier, sur un carré de pelouse.
Thomas était allongé dans l'herbe et elle était adossée contre le tronc.
109
- ...Si on pouvait garder contact.
- Bien sûr ! Après tout ce qu'on a vécu, il ne manquerait plus qu'on se perde
de vue !
- E-en fait ce n'est pas ça que je voulais dire. Ce que je voulais te demander,
c'est... Si après la guerre... Tu voudrais bien... M'épouser.
Voilà. Il l'avait dit. Maintenant, il était là, tout fébrile et rougissant devant
elle, toujours tranquillement adossée à son arbre, et qui souriait, les yeux mi-
clos.
Elle ouvrit grand les yeux et fixa son regard sur son visage. Et elle rougit à
son tour.
- C'est oui !
- Quoi ?! Vraiment ?!
110
- Tu me dois dix ans de vaisselle !
Il s'esclaffa, incrédule.
Cette fois Catherine était rouge pivoine ; elle se sentait redevenir la jeune fille
fleur bleue qu'elle était autrefois.
Elle se leva, et lui fit de même. Ils n'ajoutèrent rien, savourant simplement ce
moment merveilleux. Le soleil brillait, et enflammait les tuiles rouges des
toits lyonnais. Ils marchaient dans les rues, main dans la main.
Ce fut comme si une bougie s'allumait dans le cœur de la jeune femme. Une
bougie, qui allumerait un brasier. Tout son corps vibrait, son ventre rempli de
chaleur, son bas-ventre si sensible qu'il en devenait presque douloureux, ses
doigts sur les épaules de Thomas, son odeur dans les narines, son souffle dans
sa bouche. Elle sentait son sang pulser dans les moindres recoins de son
corps, comme elle ne l'avait jamais senti. Tout cela était si nouveau, si fort, si
puissant... Et puis leur condition humaine les rattrapa, plus d'air, et ils durent
111
s'écarter l'un de l'autre. Ils se contemplèrent à nouveau, sans un mot. Leurs
sentiments passaient mieux par le silence...
Ils se couchèrent peu après et s'endormirent, blottis l'un contre l'autre. Leur
ultime journée à Lyon avant leur départ pour Caluire, ils la passèrent à peu
près comme la veille, à cette différence près que cette fois, ils ne cessaient de
parler et de rire. À midi, ils rentrèrent à l'hôtel récupérer leurs sacs, puis
partirent à pied en direction du lieu de rendez-vous.
Ils arrivèrent à l'heure, mais les autres personnes qui devaient assister à la
réunion n'étaient pas encore arrivées. Mais attendre ne les gênaient pas plus
que ça... Tant qu'ils étaient ensemble !
Enfin, une demi-heure après l'heure dite, tout le monde était enfin là, et ils
entrèrent dans la maison qui devait les abriter pendant quelques heures.
À peine quelques minutes après leur entrée, des fourgons surgirent de toutes
parts. Thomas, qui passait devant une fenêtre à ce moment-là vit des soldats
allemands se précipiter vers la maison. Aussitôt, il hurla :
112
Toute la troupe se précipita à sa suite. Mais la maison était encerclée, et des
hommes les attendaient à l'extérieur.
Jean Moulin ne s'arrêta pas et percuta de plein fouet un soldat qu'il plaqua au
sol. Immédiatement les autres se mirent à tirer. C'était une confusion de feu et
de coups de poings. La seule chose tangible pour Catherine dans tout ce
chaos, c'était la main de Thomas, qui la tirait et l'exhortait à avancer.
Enfin, une rue dégagée s'offrit à eux. Thomas se mit à courir, en rasant le
mur.
Soudain, Catherine entendit des semelles claquer sur l'asphalte, droit dans
leur direction. Des renforts, attirés là par le coup de feu.
113
Le visage de Thomas se durcit.
- Encore d'autres...
Et, incongru dans un moment pareil, un sourire fleuri sur son visage.
C'est cette supplique murmurée qui fit réagir Catherine. Elle fit quelques pas
en arrière, en trébuchant. Ses oreilles sifflaient. Elle vit les lèvres de Thomas
former des mots, mais elle ne les entendit pas. Puis son corps se détendit d'un
coup et il s'effondra sur la chaussée, dans une mare de sang.
Elle ne savait pas où elle allait, et s'en fichait. Elle courait. C'était ce que
Thomas lui avait demandé. Court court court court court court...
114
Elle sortit de Caluire. Et marcha toute la nuit. Avant d'arriver. Et de
s'effondrer devant le comptoir.
Douleur. Ça ne pouvait pas être vrai. Ça faisait trop mal pour ça. Qu'est-ce
qui faisait trop mal ? Cette douleur, ou sa mort ? Ça vous déchiquette la
poitrine. Ça ne devrait pas exister. La guerre. Lui a. Arraché. Le cœur.
Moïse pleure. Elle ne l'a jamais vu pleurer… C'est étrange de voir ce roc,
d'habitude si calme, céder. Elle est détachée de tout. Là sans l'être. Du coton
dans les oreilles, du coton dans la tête, et du chagrin dans les veines. Plus rien
ne la fait réagir…
Qu'a-t-il dit ? Elle est sûre que c'est important. Mais les jours passent, elle ne
voit pas ce que ça peut être. Et toujours sont corps et son esprit sont
déconnectés de la réalité, inertes…
On suppose que Jean Moulin est mort, ou encore en train d'être torturé. On
est en juillet. Elle s'en fiche. Seule chose importante: ce qu'il a dit et qu'elle
n'a pas entendu.
115
Catherine dort seule, maintenant. Elle est presque sûre d'avoir retrouvé son
odeur dans la taie d'oreiller. Elle tire le coussin à elle, et s'endort dessus. Elle
rêve.
Le coton s'est enlevé. Les sons lui reviennent, plus nets. Elle entend.
"J'ai besoin que tu vives ! Et sache que je t'aime, quoi que tu feras."
Mare de sang. Corps sans vie. Quelqu'un crie. Il n'y a plus de coton... Ça fait
mal. C'est elle qui crie...
Sa voix est toute enrouée, comme si cela faisait des semaines qu’elle n’avait
pas parlé. Elle se rendait compte seulement maintenant que c’était peut-être
le cas… Moïse lui répondit doucement :
- Merci d'être là, Moïse. J'ai moins mal quand tu es près de moi.
- Il m'a demandée en mariage, tu sais. Quand on était tout les deux à Lyon.
116
Des larmes coulaient le long de ses joues. Elle les sentait.
- Je... Je me doutais qu'il allait le faire. Il m'en avait parlé avant de partir...
- Essaie de dormir. Garde espoir. Le temps adoucit les blessures les plus
vives.
--------------------
Août. Septembre. Octobre...
Depuis que le coton s'en est allé, elle a beaucoup souffert. Chaque battement
de cœur faisait circuler du poison dans ses veines. Seul remède, comme l'a dit
Moïse : le temps. Et l'amitié, aussi, tous ces sentiments chauds qui lui
envoient un peu de bonheur dans le sang...
Jeanne a pleuré, quand elle a appris. Des pleurs quasi inaudibles, bien loin de
la tempête intérieure qui rugissait dans la tête et le cœur de Catherine. On
ressent tous le chagrin différemment. Robert, lui, s'est mis en colère...
La Corse a été libérée ! C'est ce que les journaux clandestins disent. Nous
allons bientôt être libérés ! C'est ce que les gens disent. L'espoir fait vivre,
Catherine le sait mieux que personne.
117
Maintenant, elle a peur pour toutes ses connaissances, et en premier lieu,
pour son frère. Cela fait plus de trois ans qu'elle ne l'a pas vu... Et elle n'a
reçu qu'une lettre de lui. Elle est à Lyon, vraiment pas loin de Bourg, elle
pourrait...
Elle fait son deuil et se remet du traumatisme, très lentement. Elle avance sur
ce chemin pas à pas, avec Moïse. Il faut du temps...
Les Allemands sont en train de perdre. C'est clair et net. Mais ça ne lui
apporte pas un grand réconfort : ils ont réussi à lui retirer ce qu'elle avait de
plus cher.
Alors elle subit chaque seconde qui passe sans lui, et elle espère que la
seconde suivante sera meilleure que la précédente. On le lui dit, en tout cas...
118
Chapitre 9 : Henri, 1944
27 mars
Henri était penché sur une radio, avec trois autres hommes dont Romans,
chef des maquis de l'Ain.
Tout cela, les quatre hommes réunis le savait et l'avait transmis à l'état-major
britannique.
8 mai
119
Et surtout, Henri et les autres officiers de maquis ont reçu ce message de
Londres : « réduire tous les aiguillages principaux, sinon enverrons avions
pour exécuter ce travail ».
Les sabotages de train sont les principales activités des maquisards. Et ils
sont passés maîtres dans cet art.
28 juin
Tout fut rapide et efficace, et en très peu de temps le Bugey fut libéré.
Les Allemands ont reculé et dans toute la France l'espoir renaît grâce au
Débarquement. Tout le monde prie pour la victoire de la France et Henri est
prêt à tout pour y parvenir.
4 septembre
Henri est devant la mairie de Bourg. Un drapeau a été dressé sur la façade.
Ces dernières semaines, tout est allé très vite.
120
La Wehrmacht était revenue avec des renforts pour reprendre la région. Il y a
eu des morts. Beaucoup. Chaque action que les maquisards faisaient pour
libérer la région, était vengée par des exécutions de masse. Plus de 450
personnes, dont énormément de civils furent tués. Mais le 21 juillet, les
troupes allemandes finissent par se replier.
Dans la hiérarchie des maquis, beaucoup de choses bougent, Romans est sur
la sellette. La population ne leur fait plus confiance, depuis le juillet rouge.
Une partie du maquis s'était replié dans les montagnes, ce qui fut considéré
comme un abandon par la population.
Fin juillet, beaucoup d'entre eux se sont déplacés pour aller vers les francs-
tireurs et partisans.
Mais aujourd'hui, 4 septembre, les Américains sont là, Bourg est libérée.
Henri marchait dans la large rue, devant la mairie. Les gens couraient, mais
plus de peur, plus jamais. Henri aperçut dans un coin, des maquisards assis
avec des Américains. Et ici Anne Berthet qui enlace son fiancé résistant…
Elle a quitté le lycée pour la Résistance quelques mois après Henri.
Tout autour les gens sont heureux, libres, et Henri est fier d'avoir participé à
leur bonheur.Ce n'est pas fini, mais pour l'instant, l'heure est à la fête. Quand
soudain, il entendit:
- Henri ! HENRI !
121
Chapitre 10 : Catherine, 1944
Moïse et elle passaient leurs rares temps libres ensemble. Ils se racontaient
leurs déboires journaliers pour ne pas à avoir à penser au passé. Et puis, au fil
des jours, les cauchemars de Catherine se firent moins fréquents, elle souriait
plus souvent, et comme son ami le lui avait dit, le temps continuait à faire son
oeuvre, à cicatriser les plaies à vif de son coeur.
122
Résistance de l'Armée, plus d'autres groupes plus petits dont elle avait oublié
les noms.
Un mois et demi plus tard, le 15 mars, le caporal Martin leur annonça que le
CNR avait créé un petit programme comprenant ce qu'il y avait à faire
immédiatement en vue de la Libération, et aussi des mesures à plus long
terme, comme la création de la sécurité sociale et le rétablissement du
suffrage universel. Catherine arrondit des yeux grands comme des soucoupes
lorsqu'on lui dit que ce programme avait été adopté à l'unanimité. Cela faisait
une belle promesse pour l'après-guerre... Les partis différents étaient donc
bien capables de s'unir afin de se battre pour une cause...
123
Le coeur de la jeune femme se serra un peu: elle s'éloignait à nouveau de son
frère... Mais un ordre était un ordre, et il fallait obéir, comme aurait dit
Thomas. La douleur provoquée par se souvenir fut extrêmement violente, et
elle souffla un grand coup pour s'éclaircir les idées. Elle détestait quand ce
genre de réminiscences surgissaient à l'improviste...
Après plusieurs jours de route, ils atteignirent enfin les vertes plaines de
Normandie. Le caporal leur avait dit que, comme lorsqu'ils étaient Paris, une
personne avait accepté de les loger.
Le grand jour approchait, ils le sentait. Tous les soirs, Catherine, Moïse et la
jeune veuve de guerre qui les hébergeait collaient l'oreille au poste de radio
pour entendre la Radio Londres faire ses annonces. Et ce soir là, après
l'habituel "Les français parlent aux français" eut lieu le message tant attendu.
"Les sanglots longs des violons de l'automne, je répète, les sanglots longs des
violons de l'automne, blessent mon cœur d'une langueur monotone, je répète,
blessent mon cœur d'une langueur monotone".
Un grand frisson les parcourut. L'opération Overlord sera lancée d'ici deux
jours environ. 48 heures avant la plus grande opération militaire jamais
organisée, et elle, Catherine, ainsi que Moïse, en faisaient partie. C'était
l'aboutissement de quelque chose, elle le sentait.
124
Les deux journées passèrent avec une lenteur exaspérante, trop pleines
d'inactivités, alors que dans d'autres régions de l'Hexagone on multipliait les
sabotages pour attirer les troupes allemandes ailleurs. La radio, à l'intérieur
de la maison, était perpétuellement allumée sur les ondes de la BBC, au
mépris de la prudence. Claire, leur hôte, disait que de toute façon les
Allemands ne s'aventuraient jamais jusqu'ici car le chemin était trop mauvais.
Et puis, au beau milieu de la nuit, aux environs de trois heures du matin, les
bombardiers lâchent leur cargaison sur les plages choisies. Même si le lieu où
ils logeaient était distant d'une trentaine de kilomètres de la plage sur laquelle
les Alliés allaient débarquer, ils entendirent les avions, dont certains qui ne
passaient pas loin de chez eux.
Et, au petit matin, après les parachutistes et les aviateurs, le gros de l'armée
arriva.
Des hommes et des hommes et des hommes affluaient sur les plages, sans
discontinuer, des Britanniques, des Canadiens, des Américains, des Français.
Et en face, les Allemands débordés qui emportaient tout de même de
nombreuses vies avec eux.
Catherine fut très vite appelée au front, accompagnée de Moïse qui devait la
protéger. Des corps jonchaient les plages, teintant le sable de rouge. Des
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scènes d'horreur... Mais à présent, elle était là pour soigner les blessés, et pas
pour s'appesantir sur ce qu'elle voyait. Et elle se mit au travail.
Les jours passaient, et les Alliés progressaient, mais beaucoup plus lentement
que prévu. C'était au tour des Allemands de faire de la résistance... Et ils y
réussissaient plutôt bien. Avec cela les bocages normands qui rendait difficile
la circulation des gros engins de guerre...
Catherine, elle, avait du sang jusqu'aux coudes. Que se soit des Allemands ou
des Français, elle soignait, soignait encore et toujours, jusqu'à en avoir le
tournis. Elle changeait sans cesse d'hôpital. Son seul réconfort résidait dans le
fait que Moïse l'accompagnait partout où elle allait.
Jusqu'au jour où elle entra dans une salle de classe remplie de blessés. Une
voix familière lui ordonna, tendue, de se dépêcher de changer les pansements
des soldats allongés le long des fenêtres.
Le médecin, qui lui avait à peine jeté un coup d'oeil lorsqu'elle était entrée, la
regarda plus attentivement.
- Catherine ?!
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Et un grand sourire sincère éclaira son visage, le premier depuis fort
longtemps. Elle ne s'était pas rendue compte d'à quel point il lui avait
manqué, d'à quel point elle s'était inquiétée pour lui et... Pour Jeanne.
Pour toute réponse, le grand blond tendit le doigt vers un coin de la pièce.
Jeanne était effectivement là, l'air fatigué, en train de donner à manger à un
soldat.
- Moïse est avec toi ? interrogea Robert, qui lui aussi souriait, même si son
expression était teintée de mélancolie. Il y avait une personne, un ami, qu'il
ne reverrait plus jamais...
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Catherine eut un petit sourire, reconnaissant l'humour pince-sans-rire de
Robert.
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- C'est pour ça que nous devons terminer cette guerre le plus vite possible: il
faut protéger toutes ses familles qui ont envoyé des hommes et des femmes
au loin... Les protéger de la tristesse insoutenable que représente la perte d'un
proche.
Quelques heures plus tard, ils s'en retournèrent tous dans leurs chambres
respectives, leurs heureuses retrouvailles encore en tête.
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Ils arrivèrent le 25 août dans une ville en liesse. Des milliers de parisiens
étaient dans les rues pour voir les chars défiler triomphalement. Catherine
n'avait jamais rien vu de tel. Cela faisait un bien fou de voir tous ces sourires
après quatre années de grise-mine...
Cependant que les soldats s'arrêtaient pour la nuit dans Paris, Moïse proposa
d'aller voir Madeleine et Édouard. La jeune femme approuva vivement l'idée,
et Jeanne et Robert se montrèrent curieux d'en savoir plus sur ce couple qui
avait accueilli leurs amis.
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Ils montèrent, de plus en plus vite à mesure qu'ils s'approchaient, et enfin,
Jeanne frappa trois petits coups vifs à la porte.
Ce fut Madeleine qui leur ouvrit, son visage ridé un peu plus fatigué que dans
les souvenirs de Catherine.
Elle les fit asseoir vivement autour d'un bol de soupe, et leur fit raconter leurs
péripéties depuis leur départ précipité de chez eux. Ils furent tous deux
extrêmement choqués en apprenant la mort de Thomas, mais leur tristesse fut
contrebalancée par leur joie de faire enfin connaissance avec Robert et
Jeanne, dont ils avaient tant entendu parler. Ils discutèrent jusque tard dans la
nuit, et Madeleine et Édouard insistèrent pour qu'ils restent tous dormir chez
eux. Le lendemain, le quatuor repartit avec une fournée de petits gâteaux et
les promesses mutuelles de s'écrire souvent.
Deux jours plus tard, le caporal Martin leur annonça qu'ils devaient partir en
éclaireurs dans la zone de Lyon, mission que Catherine accepta avec joie
puisqu'elle pourrait ainsi se rapprocher de son frère, qu'elle voulait revoir
depuis longtemps.
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Épilogue
Une foule incroyable était dans les rues. Même en fouillant dans ses plus
lointains souvenirs, jamais l’avenue Alsace-Lorraine n'avait été si animée et
pleine de monde. Catherine, perchée sur son tank, scrutait les visages,
désespérément. Pourvu que son frère aille bien... Nez trop long, pas la bonne
couleur de cheveux... Suivant. Yeux marrons, grand corps dégingandé... Pas
lui.
Son coeur battait. Elle n'osait pas y croire. Est-ce que c'était une illusion
produite par son esprit ?
- Où vas-tu ?!
- Henri ! HENRI !
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Il se retourna, les sourcils froncés. Cette voix... Il la connaissait... Celle de sa
soeur ?
C'était bien elle. Il la vit s'avancer, un grand sourire aux lèvres. Était-ce une
vision ? Une vision bien tangible alors, puisqu'elle le serra dans ses bras.
- Tu ne m'as pas vue depuis quatre ans, et c'est tout ce que tu trouves à me
dire ?! Tu n'as pas changé... soupira-t-elle.
Et il craqua.
- C'est vrai...
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- Alors c'est lui, ton frère ? C'est un bel étalon ! s'exclama Jeanne, avec sa
sans-gêne habituelle.
- Hum-hum !
C'était Robert, qui se tenait juste derrière elle. Elle se tourna vers son mari,
avec un sourire éclatant:
Il soupira, exaspéré.
Catherine rit:
- Qui sont ces gens ? interrogea son frère, qui avait rougi à la remarque de
Jeanne.
Il vit qu'il n'avait visiblement pas choisi la bonne question quand le visage de
sa soeur s'assombrit.
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- Non, c'est Robert, le mari de Jeanne, dit-elle en désignant la jeune femme.
Thomas est mort... Lors de la capture de Jean Moulin, il y a plus d'un an...
A présent que la guerre était terminée, ils pouvaient enfin faire tous les
projets d’avenir qu’ils désiraient…
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Sitographie :
Personnages réels :
Charles De Gaulle
Jean Moulin
Marcel Thénon
Paul Pioda
Henri Romans-Petit
Miss Berthet
Général Leclerc
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Lieux :
Toutes les villes nommées et toutes les habitations avec une adresse précise
donnée (numéro, rue) ont réellement existé. La ville de Bourg correspond
aujourd’hui à la ville de Bourg-en-Bresse, qui ne prit ce nom qu’un peu plus
tard.
Note :
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