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Bulletin de la Société Paul Claudel
Ce n'est sans doute pas, se dit-on pendant qu'on les lit, les premières lignes
des pages de Maurice Merleau-Ponty sur Paul Claudel par lesquelles il faudrait
commencer la lecture de cette brève étude. « Si le génie, dit Merleau-Ponty, est
celui dont les paroles ont plus de sens qu'il ne pouvait leur en donner lui-même... »
est-ce vrai ? Cela n'implique-t-il pas une séparation entre les paroles et celui qui
les prononce, et leur donne le premier un sens ? L'homme animal de mots, Mer-
leau-Ponty citait cette définition claudélienne dans une autre étude du même
volume, et il rappelle dans « Signes » aussi l'expression de Claudel : le mot
n< bouchée intelligible ». S'il est vrai qu'il y a, ce sont les paroles de Merleau-
Ponty « une parole opérante, une opération métaphysique de la chair, un échange
où le visible et l'invisible sont simultanés », tournons-nous vers l'origine plutôt
encore que vers ce surplus de sens que des générations futures ajouteront aux
vocables. Et puis que savons-nous du sens que l'auteur donnait « lui-même » ?
Et ce « lui-même » est sans doute, mais en même temps il s'irradie, il est présent
à tant de choses, et tant de choses, de milieux, de circonstances, de traditions,
de besoins, lui sont présentes.
« Celui qui, décrivant les reliefs de son univers privé ». Peut-être à d'autres
moments Merleau-Ponty eût-il mis en discussion cette expression même d'univers
privé. Et il y a quelque chance d'autre part pour que cet univers privé, s'il existe,
soit plus riche, plus dense, plus plein que ces reliefs que le génie nous sert.
Et parfois aussi « l'univers privé » est plus riche pour l'expression même ; et
Merleau-Ponty eût été le premier à reconnaître cette force enrichissante, éclair-
cissante, dans certains cas même lumineusement obscurcissante, de l'expression.
e Eveille dans les hommes les plus différents de lui une sorte de ressouvenir
de ce qu'il est en train de dire ». Ce ressouvenir rappelle à son tour l'étude de
Bergson sur le souvenir du présent, et une certaine hypothèse d'un historien
anglais de la théorie platonicienne qui voyait en elle la description du phéno-
mène esthétique, du dédoublement de l'image, nous donnant pour Stewart comme
pour Bergson une certaine idée d'éternité.
(1) A propos de : Sûr Claudel - Signes (éd. Gallimard 1960), pp. 391-397.
Or, telle est la conclusion, tel est le jugement. Si tout cela est vrai, « Claudel
est quelquefois un génie ». Mais le génie, s'il existe, mettons pour le moment que
nous ne le sachions pas, est une structure d'ensemble. Claudel est un génie, ou
n'en est pas un. Et quand on sait, et Merleau-Ponty le savait admirablement,
que la critique ne fait pas toujours justice aux phénomènes, pourquoi nous con-
seiller en quelque sorte de soumettre à la critique une notion comme celle de
génie ? Pourquoi ne pas découvrir ce qu'elle veut, ce qu'elle voulait, ce qu'elle
voudra peut-être encore signifier ?
« Parler de génie, c'est postuler qu'un homme peut être de la même étoffe
que ce qu'il a écrit. » Non pas, bien plutôt pourrait-on dire que c'est le contraire.
L'affirmation du génie, l'affirmation d'un génie implique que ce qu'il écrit sorte,
jaillisse d'un tourbillon intérieur plus intense encore que ce qu'il écrit.
*
* *
La contradiction, dite plus générale, c'est celle qui fait « qu'aucun homme
n'est l'équivalent de ce qu'il écrit, qu'aucun homme n'est un génie (mais enfin,
d'où vient cette négation du génie ?). Il n'y a pas, pour qui croit au génie, équi-
valence de l'homme avec ce qu'il écrit ; il y a dépassement de l'homme par
ce qu'il écrit et dépassement de ce qu'il écrit par l'homme. Voilà ce que dirait,
il me semble, la pensée de l'existence même si elle admet qu'il y a une part
de mythe dans ce qu'on appelle ici l'homme. 11 y a des moments où ma parole
va plus loin que moi, et dans d'autres moments, et parfois dans les mêmes et
comme à l'autre pôle, je vais plus loin que ma parole. Si c'était vrai pour moi,
je serais un génie. C'est précisément quand il n'y a pas cette équivalence, et
parce qu'il n'y a pas cette équivalence, qu'il y a des génies. De quelle profondeur
est sortie et vers quelle ampleur ira tel vers de Shakespeare, telle image de
Dostoievsky, nous ne pouvons sonder cette profondeur, mesurer cette ampleur.
Personne ne voudrait dire que l'homme est « en mieux » ce que sont ses
œuvres. Mais l'expérience dont elles sortent peut être quelque chose de plus
intense, de plus « tremblement de terre » que ce qui nous est donné.
« L'écrivain lui, écrit Merleau-Ponty, sait bien qu'il n'y a aucune mesure
entre la rumination de sa vie et ce qu'elle a pu produire de plus clair et de plus
lisible ». Mais n'est-ce pas là une façon de dire que chacun de ces « éléments »
dépasse l'autre.
*
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« Des empires aux continents, aux races, aux maladies et aux constellations,
rien n'est fait à première vue pour inspirer la révérence » dans ce théâtre. Et
pourtant, c'est un univers révérentiel, auguste bien que bizarre, hardiment posé,
bien que déséquilibré qui est devant nous.
*
♦ *
Jean WAHL.
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