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ISSN: 0043-7956 (Print) 2373-5112 (Online) Journal homepage: http://www.tandfonline.com/loi/rwrd20

Glossématique, linguistique fonctionnelle,


grammaire génerative et stratification du langage

Bjarne Westring Christensen

To cite this article: Bjarne Westring Christensen (1967) Glossématique, linguistique


fonctionnelle, grammaire génerative et stratification du langage, Word, 23:1-3, 57-73, DOI:
10.1080/00437956.1967.11435467

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Published online: 16 Jun 2015.

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BJARNE WESTRING CHRISTENSEN-----

Glossématique, linguistique
fonctionnelle, grammaire génerative
et stratification du langage

1 Deux articulations, trois composantes, quatre strata


La glossématique de Hjelmslev, la linguistique fonctionnelle de
Martinet et la grammaire générative de Chomsky s'accordent du moins sur
un point: le langage associe des sons à des significations. 1 Apparemment
l'accord s'arrête là.
Pour Martinet, "les faits linguistiques s'ordonnent dans le cadre
d'articulations successives, une première en unités minima à deux faces
(nos monèmes, les "morphèmes" de la plupart des structuralistes), une
seconde en unités successives minima de fonction uniquement distinctive
(les phonèmes)."2
Selon Chomsky, la grammaire d'une langue comprend trois compo-
santes: "A grammar consists of a syntactic component, which generates
strings of formatives and specifies their structural features and inter-
relations; a phonological component, which converts a string of formatives
with a specified (surface) syntactic structure into a phonetic representation;
and a semantic component, which assigns a semantic interpretation to a
string of formatives with a specified (deep) syntactic structure." 3
Hjelmslev propose un représentation quadripartite de la relation entre
son et sens. Il distingue deux plans: le plan de l'expression et Je plan du
1 Pour faciliter l'exposé, je ne tiendrai compte que de la langue parlée, quoique
l'expression graphique puisse être soumise à une analyse qui, dans une certaine mesure,
correspond à l'étude de l'expression phonique, cf. B. Westring Christensen, "Phonèmes
et graphèmes en français moderne, Quelques réflexions typologiques," Acta linguistica
ha/niensia, X (1967), 217-240. Pour une tentative de réduire les lettres de l'alphabet à
des traits distinctifs graphiques, voir Murray Eden, "On the Formalization of Hand-
writing," Proceedings of Symposia in Applied Mathematics, XII (Providence, R.I., 1961),
83-88.
2 La Linguistique synchronique (Paris, 1965), 26.
3 Current Issues in Linguistic Theory (La Haye, 1964), 26.
57
58 BJARNE WESTRING CHRISTENSEN

contenu, et à l'intérieur de chaque plan entre une forme et une substance,


de sorte que le modèle glossématique comprend quatre strata: la sub-
stance de l'expression, la forme de l'expression, la forme du contenu et la
substance du contenu.4
Pour comparer les deux articulations de Martinet aux trois composantes
de Chomsky et aux quatre strata de Hjelmslev, il faut se référer à une
"grille" générale. Je prendrai pour grille le modèle glossématique en le
changeant un peu pour qu'il convienne mieux à une typologie des
linguistiques. Ce choix n'implique pas que la glossématique soit
nécessairement supérieure aux autres théories, mais cette représentation
à compartiments symétriques me permettra de situer les trois modèles. 5
Dans ce qui suit, il ne sera qu_estion que de synchronie et de langue
(schéma dans la terminologie de Hjelmslev et compétence dans celle de
Chomsky).

2 Révision du modèle glossématique de stratification


Bien que la distinction entre forme et substance soit importante,
l'opposition fondamentale à l'intérieur des deux plans paraît, comme l'a
indiqué Ruwet,6 être entre forme et matière. 7 La distinction-que
Hjelmslev ne respecte pas toujours-entre substance et matière implique
deux points importants: 1) La substance-avec la forme-relève des
langues particulières, tandis que la matière est générale ou universelle; si
4 Ici je ne tiendrai pas compte des récents modèles stratificationnels proposés par
Hockett, ("Linguistic Elements and their Relations," Language, XXXVII (1961), 29-
53), S. M. Lamb, "On Altemation, Transformation, Realization and Stratification,"
Monograph Series on Languages and Linguistics XVII (Georgetown University Institute
of Language and Linguistics, 1964), 105-122; "Linguistic Structure and the Production
and Decoding of Discourse," Brain Function, 111: Speech, Language and Communication
(Los Angeles, 1966), 173-196; etH. A. Gleason, Jr., "The Organization of Language: a
Stratificational View," Monograph Series on Languages and Linguistics, XVII (1964),
75-95.
s Ainsi, N. Ruwet a donné un aperçu de "La linguistique générale aujourd'hui,"
Archives européennes de sociologie, V (1964), 277-310, en prenant pour cadre "les
concepts de base posés par Saussure et élaborés par Hjelmslev." Dans Introduction à la
grammaire générative (Paris, 1967), parue après la rédaction du présent article, Ruwet
juge la glossématique d'un point de vue transformationnel (cf. pp. 53-54 et 344-346).
6 "La linguistique générale aujourd'hui," 289, note 38.
7 Cf. Hjelmslev, Omkring sprogteoriens grundlœgelse (Copenhague, 1943), pp. 46-52;
abréviation: OSG; la pagination de l'original danois est marquée dans les marges des
deux éditions anglaises (1953 et 1961); je citerai la dernière version anglaise tout en
donnant la pagination danoise. Voir aussi Hjelmslev, "La stratification du langage,"
in Essais linguistiques (Copenhague, 1959), 60, Eli Fischer-J0rgensen, "Form and
Substance in Glossematics," Acta linguistica hafniensia, X (1966), 7-8.
GRAMMAIRE GÉNÉRATIVE ET STRATIFICATION DU LANGAGE 59
une forme peut être manifestée par plusieurs substances (la forme phono-
logique du français, par exemple, et sa transcription phonématique) et si
une substance ne peut manifester qu'une forme, une même matière (par
exemple, phonique ou graphique) correspond à plusieurs formes (celles du
français, de l'anglais, du chinois, etc.).S 2) Les matières-et les formes-
de l'expression et du contenu constituent les strata primitifs; les sub-
stances sont des strata dérivés étant des "matières formées."9
Il est d'autant plus nécessaire d'introduire les matières dans le modèle
stratificationnel qu'une phonétique et une sémantique universelles font
partie de la grammaire générative. Pour représenter les modèles de
Martinet et de Chomsky de manière adéquate, il faut admettre encore un
stratum: celui des signes, qui chevauche les plans, ou plus précisément les
formes, de l'expression et du contenu.9"
Pour établir une typologie des linguistiques, il faut donc distinguer au
moins sept strata: quatre strata primitifs dont deux périphériques et
universels: les matières de l'expression et du contenu, et deux centraux et
particuliers: les formes de l'expression et du contenu; trois strata dérivés
dont deux périphériques et particuliers: les substances de l'expression et du
contenu, et un central et particulier: celui des signes.
Les sept strata peuvent être représentés graphiquement dans le dia-
gramme à deux dimensions que voici:

strata strata
primitifs dérivés

universel ME
expression SE
{
particulier FE
Signes
particulier FC
contenu
{ sc
universel MC

FIGURE 1
s Hjelmslev, "La Stratification du langage," p. 50.
9 OSG, p. 48. Il semble que les notions hjelmsléviennes de matière, de forme et de
substance correspondent, dans une certaine mesure, aux concepts aristotéliens de
ü>.'l/, de Eiaos ou p.op<f.~ et de ooola, cf. La Métaphysique 1028al0-1030b6.
9K D'après une autre interprétation, le stratum des signes chevauche les formes et les
substances de l'expression et du contenu. Cf le présent article, §3.1.3 et la Figure 5.
60 BJARNE WESTRING CHRISTENSEN

Dans la première colonne sont entrés les quatre strata primitifs:


matière de l'expression (ME), forme de l'expression (FE), forme du con-
tenu (FC), matère du contenu (MC). La deuxième colonne comprend les
trois strata dérivés: substance de l'expression (SE), signes, substance du
contenu (SC).
La matière de l'expression relève d'une phonétique générale ou uni-
verselle qui établit l'ensemble des dimensions phoniques susceptibles
d'être pertinentes dans les langues particulières 1o ou qui "dresse la
carte des éléments susceptibles de jouer un rôle pertinent dans les langues
humaines, ainsi que les lois générales de leurs combinaisons possibles." 11
La théorie des traits distinctifs élaborée par Jakobson, Fant et Halle
fournit un alphabet de telles dimensions, parmi lesquelles chaque langue
en choisit un certain nombre pour constituer son système phonologique.
La matière du contenu relève d'une sémantique générale ou universelle
qui repère les dimensions sémantiques pertinentes, ou, comme le dit
Chomsky, détermine "the universal, language-independent constraints on
semantic features-in traditional terms, the system of possible concepts." 12
La forme de l'expression comprend, entre autres choses, une com-
binatoire des syllabes, phonèmes, tons et accents.
La forme du contenu comprend des traits syntaxiques (par exemple
[±transitivité], des éléments (nombre, temps, aspects, etc.), des unités telles
que les groupes nominaux et verbaux, des règles telles que les règles syn-
tagmatiques et certaines règles transformationnelles 'abstraites' (par
exemple, la transformation passive) de la grammaire générative.
Le stratum des signes comprend toutes les entrées lexicales et une com-
binatoire des racines (à part, peut-être, certains pronoms relevant de la
forme du contenu), des dérivatifs et des particules, de même que certaines
règles transformationnelles 'concrètes' qui engendreront des suites de signes
actuels (ainsi, en anglais, la combinaison de la racine pronominale wh-
avec le trait [±humain] donnera, dans les propositions relatives, who,
which et that13). Aussi les expressions de signe telles que les alternances
(conjugaisons verbales régulières et irrégulières, etc.) relèvent de ce
stratum.
La substance de l'expression peut d'une part être soumise à une analyse
de phonétique articulatoire, physique ou psychologique. D'autre part, les

to Cf. Fischer-Jorgensen, "Die Bedeutung der funktionelleo Sprachbeschreibung für


die Phonetik," Supplément à Phonetica, IV (1959), 15.
Il Ruwet, Introduction à "La Grammaire générative," Languages, IV (Paris, 1966),
14; les italiques sont nôtres.
12 Aspects of the Theory of Syntax (Cambridge, Mass., 1965), 160; abréviation: ATS.
tl ATS 226, note 17.
GRAMMAIRE GÉNÉRATIVE ET STRATIFICATION DU LANGAGE 61
phonèmes sont analysables en faisceaux de qualités distinctives de sub-
stance, les traits pertinents de Martinet ou les traits distinctifs de Roman
Jakobson.
La substance du contenu peut être analysée en traits distinctifs séman-
tiques tels que les sèmes de Greimas.14 L'analyse sémantique ne s'applique
pas qu'aux signes 15 mais aux éléments relevant de la forme du contenu.16
Les règles de projection élaborées par J. J. Katz et J. A. Fodor17 relèvent
en partie de la substance du contenu.

3 Pertinence des sept strata


A l'aide du modèle stratificationnel on peut comparer les théories de
Hjelmslev, de Martinet et de Chomsky. Faute de place, je me bornerai à
répondre à deux questions: Quels strata sont reconnus comme ayant une
pertinence linguistique par quels savants? Tous les sept strata sont-ils
pertinents? De plus, dans la section 4, je traduirai en strata les com-
posantes de la théorie chomskyenne pour démontrer que le modèle
stratificationncl ne s'applique pas qu'à une linguistique plutôt taxi-
nomique et statique telle que la glossématique, qui veut d'abord établir la
structure interne de chaque stratum pour analyser après les relations
interstratiques: 18 le modèle peut caractériser aussi la grammaire générative
dynamique, qui "mélange" les strata.
En se fiant à "La stratification du langage" de Hjelmslev, à La linguis-
tique synchronique de Martinet, à Current issues in /inguistics, ATS et

Hjelmslev Martinet Chomsky

ME ME + ME +

~SE ~SE
~
-- SE
FE + FE + FE
S1gnes S1gnes Signes
FC + FC FC +
sc sc sc
MC MC MC +
FIGURE 2 FIGURE 3 FIGURE4

14 Sémantique strucwrale (Paris, 1966).


15 Cf. l'analyse componentielle chez les anthropologues américains, par exemple, F. G.
Lounsbury, "The Structural Analysis of Kinship Semantics," Proceedings of the Nin th
International Congress of Linguistics (La Haye, 1964), 1073-1090.
16 Cf. Hjelmslev, "La catégorie des cas, Etude de grammaire générale," Acta
jutland/ca, VII 1 (1935), et Actajutlandica, IX 2 (1937).
17 "The Structure of a Semantic Theory," Language, XXXIX (1963), 170-210.
18 "La Stratification du bngagc.'' 1\4.
62 BJARNE WESTRING CHRISTENSEN

"Topics in the theory of generative grammar" 19 de Chomsky, on peut


représenter les trois théories par les diagrammes suivants, où + signifie
que le linguiste en cause reconnaît la pertinence du stratum envisagé.
On voit qu'un seul stratum n'est contesté par personne: la substance de
l'expression.
3.1 Les formes et les signes
Comme le font voir les figures 2, 3 et 4, les trois linguistes ne s'accordent
pas sur les trois strata centraux. Hjelmslev exclue les signes du schéma;
Martinet conteste la forme du contenu et Chomsky celle de l'expression.
3.11 La forme de l'expression
Dans "La stratification du langage,"20 Hjelmslev préconise une analyse
des relations relevant de la seule forme de l'expression sans faire intervenir
de relations extrinsèques entre forme de l'expression et forme du contenu:
"il ne faut pas penser que les figures" (par exemple, les phonèmes) "se
dégagent par une analyse du signe: elles se dégagent au contraire unique-
ment par une analyse des unités extrinsèques" (par exemple, les syllabes).
De même, Martinet 21 ne veut pas "sacrifier les résultats de l'analyse
phonologique afin de simplifier la présentation des unités significatives."
Il distingue "catégoriquement deux plans:" "le plan des conditionnements
exclusivement phoniques" et "le plan où, parmi les unités distinctives
possibles dans le contexte phonique considéré, le locuteur en choisit une,
conditionné en cela par le besoin d'employer tel monème (par exemple
celui de pluriel en anglais)." 22 A l'intérieur du "plan des conditionne-
ments exclusivement phoniques," c'est-à-dire du plan de l'expression,
Martinet veut rendre compte non seulement des oppositions paradigma-
tiques en termes de traits pertinents de substance, mais des contrastes
syntagmatiques, donc des latitudes combinatoires des phonèmes.23
Chomsky, par contre, ne veut pas introduire de transcription notant les
seules unités distinctives entre sa transcription (morpho) phonologique ou
"systematic phonemic representation" et sa transcription phonétique
étroite ou "systematic phonetic representation." 24 La représentation de
phonématique systématique qu'on trouve à la sortie de la composante
transformationnelle et à l'entrée de la composante phonologique com-
prend des suites de matrices classificatoires ou phonologiques, dont les
In T. A. Sebok, éd., Current Trends in Linguistics, III (La Haye, 1966), 1-60.
19
P. 64.
20
21 "De la morphologie" La Linguistique, I (1965), 20.
22 Op. cit. 27 s.
23 "Substance phonique et traits distinctifs" in La Linguistique synchronique, 124-
127.
24 Cf. Current Issues, 65-110.
GRAMMAIRE GÉNÉRATIVE ET STRATIFICATION DU LANGAGE 63
lignes définissent des traits distinctifs binaires et non redondants, et dont
les colonnes indiquent des segments ou (morpho)phonèmes. La repré-
sentation de phonétique systématique qu'on trouve à la sortie de la com-
posante phonologique comprend des matrices phonétiques, dont les
colonnes représentent des segments ou "phones," et dont les lignes
définissent des traits, qui peuvent être redondants ou non; dans la matrice
phonétique, les dimensions-le long desquelles se situent les traits-
peuvent très bien compter plus de deux termes.
Fait capital, les segments tels que les (morpho)phonèmes notés par des
lettres sont considérés comme des ensembles de traits distinctifs. Au fond,
on pourrait se dispenser des phonèmes:" ... segments (e.g., phonemes or
morphophonemes) have no general independent linguistic status and are
simply to be regarded as sets of features. More generally, a lexical item
cao be represented phonologically as a certain set of features, indexed as
to position. Th us the lexical item bee cao be represented by the feature set
[Consonantalh Voicedh non-Continuanth ... , Vocalic 2, non-Grave 2, ••• ]
indicating that its first 'segment' is consonantal, voiced, a non-continuant,
... , and that its second 'segment' is vocalic, non-grave, .... " 25
La représentation (morpho-)phonologique se distingue donc à deux
égards de la forme de l'expression glossématique: 1) La représentation
(morpho-)phonologique est en partie déterminée par des propriétés
relevant de la composante syntaxique, c'est-à-dire de la forme du contenu
et des signes: "Sorne phonetic processes depend on syntactic and morpho-
logical structure so that phonology as a whole cannot be studied, without
distortion, in total independence of higher level structure." 26 2) Cette
representation s'exprime en termes de substance, à savoir les traits dis-
tinctifs.
A première vue, la forme de l'expression semble avoir tout à fait disparu.
Il est vrai que la forme de l'expression ne possède pas de statut indépendant
dans la grammaire générative, où elle semble être absorbée par les strata
avoisinants, mais elle est toujours pertinente dans la mesure où la com-
binatoire des phonèmes est incorporée dans les matrices classificatoires
par les "morpheme structure rules." Si, par exemple, en anglais un mot
commence par une séquence de deux consonnes véritables (c'est-à-dire
deux segments qui comportent les traits consonantique et non-vocalique), la
première est toujours /s/: /st/, fspj, /sk/, /sm/, /sn/. Dans le dictionnaire
2s "Topics," 43; cf. M. Halle, "Phonology in a Generative Gramrnar" in J. A. Fodor
et J. A. Katz, éd., The Structure of Language, Readlngs in the Philosophy of Language
(Englewood Cliffs, N.J., 1964), 336: "Ali references bclow to segments as "/s/" or as
"labial stops" are to be understood as unofficial circumlocutions introduced only to
facilitate the exposition, but lacking ali systematic import."
26 Current Issues, 106.
64 BJARNE WESTRING CHRISTENSEN

on représente le premier segment en ne notant que deux traits [-vocalique,


+consonantique]; les traits omis parce que redondants sont introduits par
la règle suivante: [-vocalique, +consonantique]~[ +strident, -com-
pact, -grave, +tendu, +continu] dans le contexte[--] [-vocalique,
+consonantique]. En recourant ainsi au principe de simplicité définie ici
comme ''the principle of minimizing feature specification," on a en même
temps exclu les expressions inadmissibles telles que /vnig/, /tsaymf,
/gnayt/.27
Si l'on veut critiquer la grammaire générative, on ne peut recourir au
principe à priori de la séparation des strata que refuse Chomsky. D'ail-
leurs en décrivant la forme de l'expression, tout le monde tient plus ou
moins compte du stratum des signes et peut-être de la forme du contenu.
Ainsi Martinet parle de la phonogogie du mot et des pauses virtuelles qui
séparent des segments qui en pratique correspondent aux mots.2s Dans
ses analyses du français et du danois antérieures à "La stratification du
langage," qui établit nettement la séparation des strata, Hjelmslev recourt
aux phonèmes latents pour réduire l'inventaire des phonèmes et des ex-
pressions de signe.29 Puisque Hjelmslev ne tient pas assez compte de la
substance, les règles de manifestation seront extrêmement compliquées.
Chez Chomsky, le passage de la représentation phonologique à la repré-
sentation phonétique se fait beaucoup plus facilement parce que celle-là
est "deeply determined by porperties of both the syntactic and the phono-
logical component." 30
Par contre on peut exiger d'une grammaire générative qu'elle rende
compte de tous les aspects de la capacité combinatoire, de la "créativité
qui est gouvernée par des règles," 31 non seulement des règles récursives
relevant de la composante syntaxique, plus précisément de la sous-
composante "catégorielle." 32 Ainsi il faut démontrer comment l'ensemble
des possibilités qui permettent de combiner les phonèmes en syllabes, de
manière à constituer des expressions de signe, n'est jamais complètement
exploité. On n'arrive à rendre compte du domaine non exploité mais
27 Halle, "Phonology in a Generative Grarnmar," 340 s.; cf. aussi Chomsky, Current
Issues, p. 31.
28 La Phonologie du mot en danois (Copenhague, 1937); Éléments de linguistique
générale (Paris, 1961), p. 56.
29 "Det franske udtrykssystem" (1947; non publié), "Udtrykssystemct i moderne
fransk" (1948-49; non publié), "Grundtrrek af dct danske udtrykssystem med srerligt
henblik pâ stedet," Selskab for nordisk filologi, drsberetning 1948-49-50 (Copenhague,
1951), pp. 12-24.
30 Current Issues, p. 68.
31 Current Issues, p. 22.
32 "Topics," p. 41.
GRAMMAIRE GÉNÉRATIVE ET STRATIF! CATION DU LANGAGE 65
exploitable que si J'on refuse de postuler plus d'unités commutables
observées-syllabes, expressions de mot-qu'on a de fait enregistrées.
Par exemple, il faut noter les mots allemands "Rat" et "Rad" de
manière identique avec un phonème ft/ ou peut-être un archiphonème /T/
à la fin du mot puisque les deux se prononcent [ra:t]. Il est vrai que l'on
peut simplifier la description des signes en notant ft/ et /d/ pour prédire
les unités commutables [ra:t~] "Rate" et [ra:d~] "Rade," et que l'on peut
facilement arriver à la prononciation identique en établissant la règle
générale selon laquelle les occlusives voisées sont dévoisées à la finale.
Néanmoins on s'abstiendra de cette simplification pour expliciter de manière
aussi exacte et claire que possible l'inventaire généralisé des expressions
de mot. Il me semble que les règles (morpho )phonologiques de la grammaire
générative voilent quelque peu l'étendu du domaine exploitable des
expressions de mot, parce que nulle part dans la composante phonologique
on ne sait très bien combien d'unités commutables sont possibles.33
Il faut donc essayer d'expliciter et partant de délimiter et d'épuiser des
inventaires généralisés en établissant hors du lexique des formules à l'aide
desquelles on peut engendrer toutes les expressions de mot qui peuvent
être distinctives et grammaticales. Ces règles n'excluraient pas que l'on
utilise une notation morphophonologique dans le lexique-en termes de
segments ou de traits distinctifs.
Ici je ne discuterai pas s'il faut établir en termes de segments ou en
termes de traits les règles à engendrer les inventaires généralisés d'expres-
sions de mot-pour résoudre, par exemple, Je problème de distinguer
entre "accidentai" et "non-accidentai gaps." 34 En tout cas, il faut

33 La définition que donne Henning Spang-Hanssen du test de conunutation cor-


respond à l'objectif pronostique de la description: "The classes (as many) necessary to
this test as a criterion in a prognostic description ... , are formed by generalized types of
monovocalic root-word expressions: If within such a type, the interchange of an element
with another leads to combinations which are empirically connected with sign contents
(root-word contents) other than those connected with the first combinations, the inter-
changed elements cannot adequately be described as variants of the same invariant
(grapheme)" (Probability and Structural Classification in Language Description [Copen-
hague, 1959), p. 195).
34 Pour une discussion de ce problème en termes de phonèmes/graphèmes, voir
Spang-Hanssen: op. cit.; Westring Christensen, "Les combinaisons du vocalisme
simple avec la finale simple en français parlé," Acta /inguistica hafniensia, IX (1965), 77-
101, et "Les combinaisons consonantiques finales en français parlé," Revue romane, 1
(1966), 24-45. La notion de phonème/graphème utilisée dans les trois ouvrages cor-
respond à l'objectif pronostique de la description: "Phonemes/graphemes are defined
as the largest possibly mutually irreducible and structurally classifiable parts of expres-
sion, by means of which a generalized in ven tory of syllables can be set up" (Spang-
Hanssen, op. cit., p. 126).
3+F. 1
66 BJARNE WESTRING CHRISTENSEN

élaborer les règles en termes de phonèmes, si l'on veut comparer la langue


écrite à la langue parlée. 35

3.12 La forme du contenu


Un trait caractéristique de la glossématique est "celui de vouloir com-
prendre dans la forme linguistique celle du contenu, et non seulement
celle de l'expression." 36 Au cours de l'analyse du contenu, on descend
au-dessous de la limite du signe. Ainsi un groupe de flexifs n'est souvent
représenté que par un seul signe: "-us, dans le lat. longus, est à la fois
masculin, singulier, nominatif et positif, ce qu'on peut prouver par la
commutation: -us fait partie d'un paradigme casuel où il s'oppose à -um,
-i, -o, d'un paradigme de genre (cf. -a, -um), d'un paradigme de nombre
(cf. -i) et d'un paradigme de comparaison."37
De même, la grammaire générative dépasse la limite du signe au cours
des règles syntagmatiques. Les suites pré-terminales de la base, c'est-à-dire
les suites qu'on trouve à la sortie de la composante "catégorielle," com-
prennent d'une part des morphèmes grammaticaux tels le présent, donc
des éléments de pur contenu, d'autre part des constituants vides ou "dummy
symbols" !:::,. Les constituants vides indiquent les places où il faut insérer
les signes du lexique définis comme des ensembles de traits: traits phono-
logiques, traits syntaxiques inhérents et contextuels, traits sémantiques.
On convertit les suites pré-terminales en suites terminales en insérant les
unités lexicales dans les positions indiquées par !:::,.38
Les suites terminales de la base et le lexique comprennent aussi des
entités relevant de la forme du contenu. Pous insérer correctement les
unités lexicales, on indique leurs capacités combinatoires en leur attachant
des traits syntaxiques. Par exemple, les "traits de sous-catégorisation
stricte," tel [±transitif] ou [±syntagme nominal] du verbe anglais
frighten, spécifient "categorial frames in which items may appear," tandis
que les "traits sélectifs" d'une unité lexicale spécifient les traits inhérents
des unités avec lesquelles elle se combine: "the selectional features for
'frighten' will indicate that its Object must be specified as [ +Animate], the
selectional features for 'elapse' will indicate that its Subject cannot be
( +Human]."39
35 Pour la comparaison d'une combinatoire graphématique à une combinatoire
phonématique, voir Westring Christensen: "Phonèmes et graphèmes en français
moderne."
36 "La Stratification du langage," 37-38.
37 K. Togeby, Structure immanente de la langue française, 2• éd., (Paris, 1965), p. 93.
38 "Topics," 44; ATS, 122.
39 "Topics," 45.
GRAMMAIRE GÉNÉRATIVE ET STRATIFICATION DU LANGAGE 67
Selon Martinet, les monèmes ou unités minima à deux faces (signifiant
et signifié) s'articulent de manière asymétrique, à savoir en seuls sig-
nifiants. Cependant, à plusieurs endroits, Martinet traite en pratique les
monèmes comme de purs signifiés, puisqu'il est obligé de descendre au-
dessous de la limite du signe: "Dans lat. malorum 'des pommes,' -orum
sert de signifiant aux deux signifiés 'génitif' et 'pluriel' sans qu'on puisse
préciser ce qui correspond au génitif et ce qui correspond au pluriel. Dans
tous ces cas on dira que des signifiants différents sont amalgamés." 40 La
notion même d'amalgame implique une articulation en purs signifiés.
puisqu'à un signe minimum correspondent au moins deux éléments de
contenu qui n'ont pas de signifiant indépendant. En fait, dans une langue
comme le français, la plupart des monèmes au sens de signes minima com-
portent plus d'un signifié: ainsi tous les adjectifs dans leur forme "non
marquée" comprennent, sans compter la racine, du moins deux éléments
de contenu: "masculin" et "singulier."
L'analyse en éléments de la forme du contenu-assez facile dans le
domaine des ftexifs tels que les temps, les modes et les nombres-est plus
épineuse dans le domaine des racines, des particules et des dérivatifs. Les
racines, par exemple, sont souvent regardées comme des signes. C'est
pourquoi les grammaires formulent les règles en termes relevant du
stratum des signes er de la forme du contenu: en français, le verbe Jkrèdr/
'craindre' et la préposition /pur/ 'pour' (forme du contenu +signes)
régissent le subjonctif (forme du contenu).
Néanmoins les dictionnaires traditionnels décomposent les signes
minima que sont les racines en entités de pur contenu-ou plus précisé-
ment, leur attachent des traits syntaxiques. En donnant l'entrée proposer,
v.t., Le Petit Larousse a esquissé une analyse de la racine propos-, qui donc
comporte au moins le trait "catégoriel" [+verbe] et le trait "de sous-
catégorisation stricte" [+transitivité]. Ces descriptions des racines seront
d'autant plus complexes que le dictionnaire sera explicite; cf. l'ensemble de
traits syntaxiques qui caractérise l'entrée du verbe anglaisfrighten: "[+V,
+--NP, +[ +Abstract]Aux - - Det [ +Animate], +Object-dele-
tion, ... ]. " 41
Ces considérations non seulement sur la possibilité ou la nécessité mais
sur le fait de descendre sous la limite du signe suffisent pour démontrer la
pertinence de la forme du contenu, mais n'implique pas qu'il faille décrire
ce stratum indépendamment de celui des signes. Cette pertinence ressort
aussi du caractère abstrait non seulement de la composante "catégorielle"
toute entière mais de certaines règles transformationnelles-telle la
40 Éléments de linguistique générale, p. 98.
41 ATS, p. 107.
68 BJARNE WESTRING CHRISTENSEN

transformation passive ou la suppression d'un sujet non spécifié-qui


opèrent non sur des phrases actuelles, mais sur leur structures sous-
jacentes.42

3.13 Les signes


Pour Martinet la notion de monème ou de signe minimum est capital.
Dans la grammaire générative, les signes jouent aussi un rôle important,
puisque chaque entrée dans le lexique, qui fait partie de la composante
syntaxique, est un signe comportant trois ensembles de traits: des traits
phonologiques (relevant de la forme et de la substance de l'expression), des
traits syntaxiques (relevant de la forme du conte-nu) et des traits séman-
tiques (relevant de la substance du .contenu).
D'après "La stratification du langage" (p. 64), les signes ne relèvent pas
du schéma, qui comprend les relations internes des formes et des sub-
stances, mais appartiennent à la parole définie comme l'ensemble des
relations interstratiques effectivement exécutées et plus précisément à
l'usage qui étant ce qu'il y a de stabilisé dans la parole se définit comme
l'ensemble des connexions, c'est-à-dire des dépendances et interdépen-
dances, effectivement exécutées: "la relation interstratique (en l'espèce, la
relation sémiotique) relève de l'usage. Puisqu'elle ne présente en principe
aucun rapport avec les fonctions intrinsèques, la relation interstratique n'a
pas d'emprise sur le schéma, si bien que les signes d'une langue peuvent
changer du tout au tout sans que la structure interne de la langue en soit
affectée." Cependant Hjelmslev considère toujours la relation entre
contenu et expression comme capitale: "Encore c'est la commutation qui
fait voir que cette relation constitutive du signe, cette fonction sémiotique
qui est constitutive de la langue même, change d'un état de langue à
l'autre, et que par conséquent la structure du contenu ainsi que celle de
l'expression diffère selon les états de langue qui s'observent."43
En fait, toute syntaxe comporte une combinatoire d'entités de pur
contenu et de signes. Quand Hjelmslev décompose le verbe anglais am en
cinq éléments de contenu, le premier n'en est qu'une répétition du signe
minimum qu'est la racine verbale: "Tout comme le signe anglais am se
compose de deux éléments d'expression a et m, il se compose de cinq
éléments de contenu: 'be' ('être')+ 'Ire personne'+ 'singulier'+ 'présent'+
'indicatif"'44. Evidemment tous les cinq "éléments" sont des signes au
niveau du métalangage, mais au niveau du langage-objet les quatre
42 "Topics," p. 32.
43 "Pour une sémantique structurale," in Essais linguistiques, p. 105; cf. Fischer-
J"'rgensen in Acta linguistica hafniensia, X, 22.
44 "Pour une sémantique structurale," Ill.
GRAMMAIRE GÉNÉRATIVE ET STRATIFICATION DU LANGAGE 69
derniers sont des entités à une face, de purs signifiés, et le premier est
synonyme (au sens absolu du terme) de la racine-signe. Si l'on prend un
verbe régulier tel "(/) recognize," le premier "élément de contenu" sera
absolument identique à la racine-signe.
Il apparaît donc que ni l'isomorphisme glossématique ni le modèle
asymétrique de Martinet ne tiennent. La pratique des deux linguistes
révèlent un compromis, un parallèle chevauchant à demi les deux plans:
aux éléments de la forme de l'expression (tels que les phonèmes) cor-
respondent tant des éléments de la forme du contenu (les fiexifs) que des
signes minima (par exemple, les racines). Ainsi on peut interpréter les
signes et les éléments de la forme du contenu à l'aide de traits sémantiques
comme on peut représenter les phonèmes par des traits phonologiques. 45
Si l'on se réfère au modèle glossématique, il paraît donc raisonnable de
comprendre dans la forme non seulement les formes de l'expression et du
contenu, mais les signes. Les "expressions de signe" telles que les alter-
nances en feront partie aussi.
La notion de signe importe fort à la description de la substance du
contenu. Si l'on ne tenait pas compte des signes, on arriverait au résultat
bizarre que beaucoup de substances particulières du contenu seraient
identiques les unes aux autres et à la matière universelle du contenu. 46
Hjelmslev a lui-même démontré comment deux substances différemment
structurées viennent à se confondre, si l'on ne respecte pas les signes:
" ... à ne considérer que les signes non composés, les quatre grandeurs
sémantiques 'frère aîné,' 'frère cadet,' 'sœur aînée' et 'sœur cadette' sont
toutes mutuellement commutables en hongrois" (cf. béztya, aces, néne, hug)
"tandis que dans la plupart des langues européennes il y a dans ces signes
substitution entre 'aîné' et 'cadet'" (cf. français frère, sœur).41
Si l'on ne respectait pas les différences de signes, on dirait que toutes les
quatre grandeurs sémantiques commutent aussi en français; si l'on rem-
plaçait 'ainé' par 'cadet' dans le contenu, on changerait l'expression
/frr:.r r:.ne/ en /frr:.r kadr:./. Autrement dit, toute substance du contenu tend
à avoir la même étendue que la matière du contenu, de sorte que toutes les
substances du contenu sont potentiellement identiques. 4 8 Si elles le sont
ou non dépend de facteurs extralinguistiques tels que les différences de
civilisation. Ce sont les signes qui sauvegardent les structurations dif-
férentes de la matière.
4S Les choses se compliquent encore, si l'on avec Chomsky fait intervenir les traits
syntaxiques inhérents et contextuels relevant de la forme du contenu.
46 Cf. Fischer-J~rgensen in Acta linguistica hafniensia, X (1966), 27-32.
47 "Pour une sémantique structurale," 104.
48 Cf. OSG, p. 97.
70 BJARNE WESTRING CHRISTENSEN

Ceci dit, il ne faut pas oublier que l'arbitraire du signe permet des com-
binaisons imprévues de grandeurs de contenu et de grandeurs d'expres-
sion. Cet aspect de la capacité combinatoire ne relève peut-être ni de la
"créativité qui change les règles" ni de la "créativité qui est gouvernée par
les règles."49 Par exemple, personne ne pouvait prévoir que le mot
danois fi/ au sens de lime (outil) viendrait à signifier la même chose que le
mot anglaisfile=set ofrecords.5o

3.2 Les substances et les matières


Hjelmslev, Martinet et Chomsky reconnaissent tous la pertinence de la
substance de l'expression. 51 La substance du contenu fait partie des
modèles de Hjelmslev et de Chomsky, comme le font voir les figure du
contenu de la glossématique-cf. la fameuse décomposition du signe
étalon en cheval+ lui 5~t les traits sémantiques et les règles de projection
de la grammaire générative. 53 Il semble que Martinet ne considère comme
pertinentes ni la substance ni la matière du contenu: "il n'y a, bien entendu,
aucune discipline paralinguistique qui corresponde à la "phonétique"
(par opposition à la "phonologie") et qui nous permette de traiter d'une
réalité psychique antérieure à toute intégration aux cadres linguistiques.
Mais, même en matière d'examen de la réalité psychique intégrée à la
structure linguistique, on n'a rien ... qui soit le pendant de ce qu'est la
phonologie sur le plan des sons." 54 En tout cas, on ne trouve aucun
chapitre sur la sémantique dans les Éléments de linguistique générale.
Aujourd'hui, toute théorie qui essaie d'expliquer le fonctionnement du
langage sans présenter une description de son mécanisme sémantique ne
peut se prétendre adéquate. Qui plus est, les travaux récents de Greimas,

Chomsky: Current Issues, p. 41.


49
so H. Spang-Hanssen: "Fini et infini dans le vocabulaire," Langages, VI (1967),
104-105.
SI "La Stratification du langage," "Substance phonique et traits distinctifs" in La
Linguistique synchronique, 124-140; Current Issues, pp. 65-110.
S2 OSG, 63.
S3 Selon, J. J. Katz, The Philosophy of Language (New York & Londres, 1966), p. 154,
le modèle de la composante sémantique comprend trois parties: le dictionnaire, les
règles de projection et l'interprétation sémantique: "Roughly, the dictionary stores basic
semantic information about the language, the projection rules apply this information in
the interpretation of syntactic objects, and semantic interpretations are full repre-
sentations of the semantic structures of sentences given by the operation of the pro-
jection ru!es." La composante sémantique relève donc tant de la substance que de la
forme du contenu et du stratum des signes.
S4 "Arbitraire linguistique et double articulation," La Linguistique synchronique,
24.
GRAMMAIRE GÉNÉRATIVE ET STRATIFICATION DU LANGAGE 71
de Katz et Fodor, de Weinreich, etc., donnent un bon point de départ pour
la sémantique, qui pendant longtemps a été la parente pauvre des sciences
linguistiques. 55
Si l'on veut comparer des substances relevant de langues différentes, il
faut se référer à une grille phonétique ou sémantique neutre, indépendante
du découpage particulier opéré par chaque langue dans les matières de
l'expression et du contenu. En fournissant une telle grille on construit un
modèle des latitudes de la matière, on établit une phonétique ou une
sémantique universelles, dont Chomsky a souligné l'importance.56
Bien que Martinet ait critiqué "l'apriorisme" de Jakobson, il croit à la
possibilité de repérer des tendances phonétiques générales mais ne veut pas
"les durcir sous forme de loi." 57 S'il s'inscrit en faux contre une séman-
tique générale, il veut établir les "latitudes offertes par les organes de la
parole"-relevant de la matière de l'expression-pour "reconnaître quels
usages les langues individuelles font de ses modalités." 58
Hjelmslev ne s'exprime pas très clairement sur le problème de recon-
naître la matière "en soi" ou plutôt indépendamment de sa "formation"
par une langue particulière. Dans OSG 59 il considère que la matière est
amorphe et par là non connaissable. Mais dans "La stratification du
langage" 60 il reconnaît que "sous peine d'échapper à la connaissance,
cette matière doit être scientifiquement formée, du moins à un degré qui
permette de la distinguer d'autres matières." Bien que Hjelmslev définisse
la matière comme ce qui est commun à toutes les langues à part le principe
structural, 61 il refuse nettement de tenir compte de la matière en linguis-
tique. Il conteste toute phonétique ou sémantique universelle, parce que
des types phonétiques universellement valides ou un schème éternel
d'idées ne pourraient pas être établis. 62 Autrement dit, Hjelmslev admet
bien l'existence des universaux formels tels que les fonctions glosséma-
tiques, mais non les universaux substantiels tels que les traits distinctifs de
Jakobson ou les concepts généraux de parenté.63

ss Greimas, Sémantique structurale; J. J. Katz et J. A. Fodor, "The Structure of a


SemanticTheory," 170-210; U. Weinreich, "Explorations in Semantic Theory," Current
Trends inLinguistics, III, 394-477. Cf. T. Todorov, éd., Recherches sémantiques,Langages
1 (1966).
S6 Cf. ATS, 27-30; 160.
S1 La Linguistique synchronique, p. 105.
ss La Description phonologique (Genève, 1956), 16.
S9 P. 68 s.
60 P. 50.
61 OSG, 49.
62 OSG, 69; cf. "Pour une sémantique structurale," 98 s.
63 ATS, 27-30.
72 BJARNE WESTRING CHRISTENSEN

Néanmoins Hjelmslev recourt, de manière implicite, dans son manuel de


phonétique, à la matière de l'expression. 64 Ainsi il situe les voyelles
danoises dans le diagramme des voyelles cardinales établi par Daniel
Jones: Donc il montre comment des phonèmes (relevant de ·la forme
de l'expression) structurent une partie de la matière de l'expression
représentée par le diagramme entier, de sorte qu'une substance de
l'expression est établie comme le résultat de la projection d'une forme sur
la matière. 65
Ailleurs 66 quelques exemples classiques font voir comment un même
champ partiel de la matière de l'expression ou du contenu peut être
structuré différemment par des langues différentes. Pour comparer les
mots de couleur anglais et gallois,. ou les mots 'forestiers' français: arbre,
bois, forêt aux termes correspondants en allemand: Baum, Holz, Wald et
en danois: trœ, skov, il faut avoir défini indépendamment des langues
particulières le champ partiel de la matière qui fournit le cadre à l'intérieur
duquel se passe la comparaison. 67 Aucune étude sérieuse sur une sub-
stance phonétique ou sémantique ne peut se faire sans élaboration d'un
modèle de la matière.

4 Strata et composantes
Le fait que tous les sept strata sont pertinents n'implique nullement
qu'il faille, avec la glossématique, décrire d'abord la structure interne de
chaque stratum pour analyser après les relations interstratiques. Mais le
modèle des sept strata me permettra de situer la grammaire générative,
qui mélange les strata, par rapport à la glossématique et la linguistique
fonctionnelle, qui veulent les séparer.
La Figure 5 traduit en termes du modèle stratificationnel les com-
posantes de la grammaires générative. Les strata entre parenthèses de la
composante phonologique, à savoir la forme du contenu et les signes, con-
tribuent à déterminer les règles qu'il faut appliquer pour donner à une
séquence quelconque de formants syntaxiques une interprétation en termes
de substances d'expression. Les strata entre parenthèses de la composante
transformationnelle, c'est-à-dire la forme et la substance de l'expression,
indiquent que l'expression des signes qu'on trouve à la sortie de cette

64 "Almindelig fonetik"=chapitre XIV de Nordisk lœrebog for ta/epœdagoger


(Copenhague, 1954).
6S Op. cit., 296.
66 OSG, 46-54; "Pour une sémantique structurale," 104.
67 Cf. Fischer-Jergensen in Acta linguistica ha[nie11sia, X (1966), 8.
GRAMMAIRE GÉNÉRATIVE ET STRATIFICATION DU LANGAGE 73
composante se fait en termes de matrices phonologiques où est incorporée
la combinatoire des phonèmes:

Composantes Strata
phonétique universelle: ME
composante phonologique:
sortie: représentation phonétique: SE
entrée: représentation phonologique: FE+ SE (FC+Signes)
composante syntaxique:
composante transformationnelle: FC + Signes (FE+ SE)
base: composante catégorielle: FC
/FE+SE
lexique: Signes-Fe
"sc
composante sémantique:
entrée: suites terminales de la base: FC+Signes
mécanisme: lexique+ règles de projection: SC+ FC +Signes
sortie: interprétation sémantique: sc
sémantique universelle: MC
FIGURE 5

Copenhague

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