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CARRIÈRES SALARIALES
Abstract – This paper examines how organisational changes and ICT adoption affect
workers’ wages and wages progression. We use the 1997 French survey on organisa-
tional change and ICT use (COI 1997), which is a matched employer/employee survey
describing both changes occurring in the life of manufacturing firms between 1994 and
1997, and labour market history of employees that are present in those firms in 1996.
We develop three indicators for this study: wages in 1996, wage differentials over the
1994-1996 period, and wage differentials related to the last change of employer. We
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* Marc-Arthur Diaye est chercheur au Centre d’Études de l’Emploi et maître de conférences à l’Uni-
versité d’Évry (laboratoire EPEE - centre d’Études des Politiques Économiques d’Évry). Courriel :
marc-arthur.diaye@cee.enpc.fr.
** Nathalie Greenan est chercheur au CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique), et re-
sponsable de l’unité « Travailleurs et Organisations » du Centre d’Études de l’Emploi. Courriel :
nathalie.greenan@cee.enpc.fr.
*** Stéphane Robin est maître de conférences à l’Université de Strasbourg 1 (laboratoire BETA - Bureau
d’Économie Théorique et Appliquée). Il est également membre associé externe du département
d’économie de l’Université Catholique de Louvain. Courriel : robin@cournot.u-strasbg.fr.
1 INTRODUCTION
Les travaux récents en économie des ressources humaines qui mobilisent des
données couplées employeurs/salariés ont fait progresser les connaissances sur
la formation des salaires et la mobilité des salariés. Les travaux d’Abowd et al.
(1999), s’appuyant sur des fichiers administratifs volumineux décrivant les transi-
tions des salariés entre entreprises ont montré que la majeure partie de la variabi-
lité des salaires était liée à des différences de caractéristiques des salariés plutôt
qu’à des différences de caractéristiques des employeurs. Ainsi les pratiques de sé-
lection de la main-d’œuvre auraient une part prépondérante dans les politiques sa-
lariales des entreprises. À partir d’un fichier apparié suédois, Lazear et Oyer (2004)
montrent que si la profession exercée par le salarié explique une très grande part
de la variabilité des salaires en niveau, la variabilité des évolutions salariales est
beaucoup plus difficile à expliquer, au-delà de l’effet de la conjoncture. Lazear et
Shaw (2006) viennent compléter ce tableau en montrant une variabilité plus grande
des évolutions salariales en France comparée aux pays scandinaves.
Dans cet article, nous nous intéressons aux carrières salariales en examinant
les conséquences des changements organisationnels et technologiques des en-
treprises. Cette question n’est pas abordée dans la littérature que nous venons
d’évoquer, faute de données décrivant la vie de l’entreprise. En revanche, elle a
été examinée par la littérature sur le biais technologique. Un des résultats les plus
discutés est celui de Krueger (1993), obtenu sur un échantillon de salariés et selon
lequel les utilisateurs d’ordinateurs bénéficieraient d’une prime salariale de 20 %.
Les travaux consécutifs ont montré que cette prime salariale diminuait substantiel-
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L’article est organisé comme suit : la section 2 présente les données appariées
employés-employeurs utilisées pour cette recherche, la section 3 expose notre mé-
thodologie empirique, et la section 4 résume nos résultats. Nous donnons nos con-
clusions dans une dernière section.
L’enquête COI 1997 a été réalisée conjointement par la DARES (Direction de l’Ani-
mation, de la Recherche et des Études Statistiques – Ministère du Travail), le SESSI
(Service des statistiques industrielles – Ministère de l’Industrie), le SCEES (Service
Central des Enquêtes et Études Statistiques – Ministère de l’Agriculture) et l’INSEE
(Institut National de la Statistique et des Études Économiques). Elle a été conçue et
coordonnée par le Centre d’études de l’emploi (pour plus d’informations sur l’en-
quête, consulter www.enquetecoi.net). Cette enquête présente la particularité de
coupler une interrogation auprès des employeurs à une interrogation auprès de
petits échantillons de salariés (deux ou trois) sélectionnés au hasard dans les en-
treprises. Cette enquête a été réalisée en France auprès d’un échantillon de 8812
salariés rattachés à 4025 entreprises au moyen d’un double échantillonnage dans
les Enquêtes annuelles d’entreprises (COI « entreprises ») et dans les Déclarations
annuelles de données sociales (COI « salariés »). Nous allons restreindre notre tra-
vail au champ des entreprises industrielles (y compris industries agro-alimentaires)
de plus de 50 salariés où l’enquête a obtenu un taux de réponse élevé aux deux ni-
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3 MÉTHODOLOGIE
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Enfin, la troisième et dernière estimation porte sur les variations de salaire sur-
venant lors d’un changement d’entreprise. Plus précisément, nous observons le
salaire net annualisé perçu par le salarié dans l’entreprise où il se trouve au
moment de l’enquête COI (« entreprise COI ») ainsi que le salaire perçu dans la
dernière entreprise où il s’est trouvé avant l’entreprise COI (« entreprise AVC »),
quelle que soit la date à laquelle cette mobilité a eu lieu. Le modèle linéaire estimé
vise à expliquer la différence entre les logarithmes de ces deux salaires :
(3) ln wCOI – ln wAVC = ξ0 + ξ1.Z1 + ξ2.Z2 + ξ3.Tc + ν.
Les vecteurs de variables explicatives Z1 et Z2 sont les mêmes que ceux uti-
lisés dans l’équation (2), alors que la variable Tc indique si le changement d’entre-
prise a eu lieu avant 1994, ou à partir de 1994.
Les variables individuelles utilisées dans l’analyse viennent de deux sources : le
volet « salariés » de l’enquête COI qui porte sur l’année 1997 et comporte quelques
questions rétrospectives et le panel DADS qui porte sur la période 1976-1996. Elles
peuvent être regroupées en trois catégories. La première rassemble des variables
sociodémographiques telles que l’âge, le genre, et la nationalité (français ou étranger)
de l’individu, ainsi que son origine sociale (mesurée par la profession de son père).
Cette catégorie inclut aussi un indicateur de la mobilité géographique antérieure,
mesurée par le nombre de changements de départements entre 1976 et 1996
(nous rappelons ici que la France métropolitaine est divisée en 22 régions adminis-
tratives, subdivisées en 95 départements). La deuxième catégorie regroupe les
variables caractérisant le parcours professionnel de l’individu : le nombre d’entre-
prises dans lesquelles il a occupé un emploi au cours de sa carrière, le nombre de
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Lors de nos estimations, nous avons également tenté d’introduire des variables
mettant en interaction pratiques organisationnelles et informatisation. L’introduc-
tion de ces variables ne modifiait pas sensiblement les résultats de notre analyse,
et nous les avons donc abandonnées. Nous tenons à la disposition du lecteur des
tableaux de statistiques descriptives détaillées sur l’ensemble des variables (indivi-
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départ de certains salariés. Néanmoins, nous observons soit des salariés qui
demeurent dans l’entreprise pendant une phase de changements, soit des sala-
riés qui entrent dans l’entreprise pendant cette phase. Ces deux catégories sont
certes « sélectionnées » par l’entreprise, mais il est peu probable que les nouveaux
entrants aient complètement anticipé – avant leur entrée dans l’entreprise – les
changements en train de survenir. Il conviendra néanmoins d’interpréter nos résul-
tats avec prudence, dans la mesure où nous ne corrigeons pas pour ces éventuels
« biais d’endogénéité ». Notons que la question de l’endogénéité est un problème
commun à toutes les approches de type différences simples, ou même différences
en différences (Besley et Case, 2000), et reste difficile à corriger en l’absence d’ins-
truments adéquats.
4 RÉSULTATS
Les résultats de notre analyse sont présentés dans les tableaux 1 et 2. Le tableau 1
présente les coefficients estimés et les erreurs standard des trois modèles décrits
dans la section précédente ; le tableau 2 donne les statistiques d’ajustement et les
résultats des tests. Chaque modèle a été estimé trois fois, comme il a été dit dans la
section 3. Les coefficients étant robustes d’une estimation à l’autre, nous présentons
uniquement, pour chaque modèle, les résultats de l’estimation comprenant l’ensem-
ble des variables explicatives, c’est-à-dire : indicatrice de date d’entrée dans l’entre-
prise, indicateurs de changements organisationnels et d’informatisation, et termes en
interaction. De plus, dans un souci de concision, nous présentons et commentons
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Variable (1) : ln w96 (2) : ln w96 – ln w94 (3) : ln wCOI – ln wAVC
Coeff. Erreur Std Coeff. Erreur Std Coeff. Erreur Std
Âge ≤ 35 ans -0,121 [0,012]** 0,017 [0,013] 0,100 [0,032]**
(réf. : ] 35 ; 50 ans]) > 50 ans 0,006 [0,016] -0,086 [0,021]** 0,022 [0,057]
Genre (réf. : Homme) Femme -0,179 [0,013]** -0,049 [0,013]** 0,009 [0,035]
Étranger Oui -0,084 [0,020]** -0,017 [0,022] -0,038 [0,058]
PCS du père (réf. : OQ) Inactif/chômeur -0,004 [0,027] 0,009 [0,030] 0,002 [0,075]
Agriculteur -0,010 [0,018] -0,028 [0,019] -0,132 [0,050]**
Indépendant 0,016 [0,020] -0,020 [0,022] -0,010 [0,056]
Cadre 0,017 [0,025] -0,031 [0,027] -0,018 [0,067]
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Champs : Salariés stables (au moins un an d’ancienneté) des entreprises industrielles (y compris IAA), de 50 salariés et plus.
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5 DISCUSSION ET CONCLUSION
Nos résultats (qui ne concernent que l’industrie) suggèrent que les changements des
entreprises sont source d’hétérogénéité dans les carrières salariales : hétérogénéité
entre entreprises en fonction de la nature des changements adoptés, et hétérogé-
néité entre salariés en fonction de leur date d’entrée dans l’entreprise. Ainsi, disposer
d’une information plus riche sur les choix managériaux et les trajectoires des entre-
prises peut permettre d’expliquer une part de la très grande variabilité des hausses
de salaires que l’on observe en France. Il conviendrait, dans une étude ultérieure,
de consolider ces résultats en tentant de corriger pour d’éventuels biais d’endogé-
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néité ; une telle étude pourrait être menée à l’aide de la prochaine enquête COI, qui
contiendra davantage de variables susceptibles d’être utilisées comme instruments.
La nature asymétrique de nos résultats en fonction des types de changement
appelle à un retour vers la littérature théorique. Dans la théorie économique, l’im-
pact des changements organisationnels sur les salaires ne conduit pas à des ré-
sultats tranchés, tandis que l’effet de l’informatique s’explique en général par une
causalité inverse. Cependant, il est possible de montrer, dans le cadre d’un modè-
le principal-agent, qu’un changement technologique qui conduit au passage d’une
fonction de production sous-modulaire à une fonction de production super-modu-
laire, peut générer une baisse de salaire (Che et Yoo, 2001 ; Diaye et al. 2007). Il est
possible que la mise en réseau permise par les technologies de l’information des
années 1990 ait produit ce type d’effet. Si par ailleurs, les nouvelles formes d’orga-
nisation demandent une implication plus forte des salariés, alors l’entreprise peut
être amenée à mettre en place des dispositifs incitatifs particuliers, notamment à
destination des nouveaux entrants.
Favoriser les changements organisationnels des entreprises pourrait mener,
par l’augmentation salariale qu’elles semblent permettre, et en négligeant des dif-
férences dans la pénibilité des tâches (qui demandent encore à être documentées),
à une amélioration du bien-être des offreurs et partant contribuer potentiellement
au développement de la population active. On sait par ailleurs que la diffusion des
technologies de l’information a contribué à augmenter les rythmes de travail. Si par
ailleurs, l’informatisation des entreprises s’accompagne de rémunération et de car-
rières moins favorables pour les salariés mobiles, alors, les répercussions de la dif-
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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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DIAYE, M.A., GREENAN, N. & URDANIVIA, M. (2007), “Subjective Evaluation of Performance
through Individual Evaluation Interview: Empirical Evidence from France”, NBER
Working Paper, n° 12979.
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