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Thierry.brugvin@free.fr
Sociologue
La Sem utilise des procédures de vérification trop limitées. La démarche générale du travail
d’audit de Mrs Rao, de la Sem, se base essentiellement sur le relevé des documents
administratifs quelques entretiens succincts et l’observation directe. “Les visites sont faites sans
prévenir. L'auditeur de Sem se présente à l'entrée, en montrant sa carte, et l’employeur doit lui
laisser libre accès à tout le site de production (Sem, 1998) . Mrs Rao décrit ainsi la première
2
phase de son travail d’inspection, en expliquant : “tout d’abord je regarde tout autour de moi,
pour vérifier que personne ne s’enfuit” (Rao, Tirupur, 11/08/1999). Compte tenu des
déclarations précédentes de Mr Genn, cela ne concerne donc que les entreprises qui en ont émis
l’accord, sinon ce serait, selon lui, “une forme de viol de leur intimité” (Vilvoorde,
19/05/1999). Selon Mr Stann “la grille de contrôle, la check-list du référentiel, est constituée
d’environ 5 pages” (Vilvoorde, 19/05/1999).
2 SEM Service Organisation for Compliance Audit Management, Annual Report, Monitoring and auditing the
Worldwide sourcing of merchandise for Cepa,1998.
1-1) Preuves du contrôle sur le travail des enfants par la Sem:
Quand Mrs Rao observe qu’une sortie de secours est bloquée ou qu’un salarié semble avoir
moins de 14 ans, elle prend une photo. Elle demande le certificat scolaire ou de naissance, mais
il est rarement disponible. Elle confie que “c’est de plus en plus facile d’obtenir des certificats,
parce que les dirigeants se préparent. Mais quand ce n’est pas le cas, on en demande un, en
l’envoyant voir un médecin” (Mrs Rao, Tirupur, 15/08/1999). Lorsque les médecins ne
disposent pas des moyens pour réaliser des radios des poignets des enfants, il est très difficile
de se prononcer avec précision sur leur âge. Néanmoins, compte tenu de ce que la question des
enfants est un point clé pour l’opinion occidentale et donc pour les bénéfices de Cepa, il semble
qu’une volonté réelle soit mise en oeuvre sur ce point. Du moins, chez les sous-traitants que la
Sem est en capacité d’inspecter. Enfin Mr Stan (Vilvoorde, 19/05/1999) nous a montré des
albums photos des enfants dont ils doutaient qu’ils aient plus de 14 ans.
2) Preuves concernant les salaires:
Le bulletin de salaire - Le formulaire signé et/ou avec les empreintes digitales du travailleur
attestant le versement du salaire - Le livre de compte de l’entreprise.
2-1) Preuves du versement et du niveau des salaires par la Sem:
Mrs Rao demande directement aux travailleurs s’ils ont été rémunérés et si nécessaire, elle
vérifie le registre des salaires. “Je ne demande pas à chaque fois car les registres sont bien
tenus grâce aux visites des inspecteurs du gouvernement, de plus les travailleurs doivent signer
les registres” précise Mrs Rao (Tirupur, 15/08/1999). Mr Aloysisus (Tirupur, 13/08/1999) de
l’association Save ne réalise pas de vérification, mais son ancienne expérience de salarié lui
permet de préciser que “tous les travailleurs peuvent être sur le registre mais ne pas être
déclarés. De plus, cela leur permet de ne pas être contraints par les lois relatives au nombre
de travailleurs (50 pour le syndicat, 20 pour le droit de licenciement)”. Et, selon Mrs Bella
Rosario, chercheuse à Bangalore, “certains inspecteurs du gouvernement sont peu scrupuleux.
Ils préfèrent recevoir de l'argent et ne pas vérifier” (Bengalore, 16/08/1999). Cependant Mrs
Rao (Tirupur, 15/08/1999), l’inspectrice de la Sem, reconnaît que souvent les travailleurs
temporaires ne sont pas inscrits sur les registres de salaires et qu’ils ne savent pas toujours lire
très précisément les feuilles de salaire. Selon Mrs Rao “les ouvriers sont payés entre 70 à 90
Rs pour 8 heures pour les tailleurs et les aides-tailleurs, mais qu’ils peuvent travailler jusqu’à
10h par jour. Par contre, si l'employeur ne paie pas les heures supplémentaires, les ouvriers
ne travaillent pas” (Tirupur, 15/08/1999). Or, contrairement à ce qu’elle avance, certains
salariés sous-traitants de Cepa déclarent parfois être payés moins de 51 Rs par jour.
3) Preuves concernant le temps de travail: Mrs Rao de la Sem affirme: “je n'interroge pas
les travailleurs, sauf si je décèle un problème. Le reste du temps je ne parle qu’aux dirigeants”
(Tirupur, 15/08/1999). En cas de suspicion, elle demande directement aux ouvriers le nombre
d'heures effectuées. Elle vérifie le registre des présences et des heures. Mais, elle admet qu’elle
ne vérifie pas toujours les registres, dans les petites entreprises, car parfois elles n’en possèdent
pas. Le fait de s’adresser directement aux ouvriers que ce soit pour les heures de travail ou pour
tout autre objet, pose directement le problème de la protection du travailleur. Dans la mesure où
la direction est présente ou bien sait souvent qui a parlé, le salarié peut difficilement dire la
vérité sans courir des risques potentiels, tant que les entretiens n’ont pas court en dehors de
l’entreprise.
4) Preuves concernant la santé et la sécurité: Il y a entre autres :
Les extincteurs- Les kits de sécurité-Les sorties de secours non bloquées- Les masques à
poussière et le niveau de la poussière dans l’air, la température - Les gants de protection pour la
découpe- La propreté et la vétusté des locaux... Il s’agit de la norme pour laquelle des preuves
concrètes sont le plus facilement relevées. Cependant, certaines ne le sont pas telle l’exposition
aux produits toxiques, les contraintes posturales et mentales...
5) Preuves concernant le travail forcé pour les prisonniers :
Contrat de travail, bulletin de salaire et niveau de la rémunération (en revanche, pour les
non-prisonniers, les éléments sont plus difficilement identifiables.)
6) Preuves concernant la discrimination au travail et à l’emploi: Existence de procédures
quant à la prévention de la discrimination, du harcèlement, des menaces.
7) Preuves concernant le droit d’association et de négociation syndicale: Documents signés
par les syndicats attestant qu’ils ont eu connaissance du code de conduite et que certaines
décisions sont prises en commun avec eux.
Les différents exemples qui précèdent, montrent qu’il est très difficile d’obtenir des preuves
solides de l’application des codes de conduite en matière de normes fondamentales du travail.
Le niveau de validité du recueil des données composant un indicateur peut être différencié
du seuil de validation d’une dimension (composée de plusieurs indicateurs) ou d’une norme
(composée de plusieurs dimensions). Chaque fois que le nombre d’informations recueillies est
insuffisant (par manque de temps, pour des raisons méthodologiques, relationnelles...) cela
entraîne une difficulté pour le vérificateur lorsqu’il doit se prononcer de manière fiable sur la
validation des normes. On observera qu’une validation rigoureuse devrait donc pouvoir
préciser le degré de fiabilité de ces observations. Cependant, pour des raisons de temps et de
crédibilité, les vérificateurs n’opèrent pas ainsi, comme nous l’avons montré par exemple dans
le cas de Ernst&Young pour les sous traitants de Nike en 1997. Le paradoxe réside dans le fait
que les vérificateurs seraient plus crédibles d’un point de vue scientifique mais moins crédible
du point de vue de l’opinion publique. S’ils avouent la fragilité de leur analyse, ils risquent de
perdre en crédibilité.
Concernant les limites des seuils de validité, il s’agit de trouver une juste milieu entre utopie
et réalisme. La vérification ne peut pas toujours s’appuyer sur des indicateurs quantitatifs. En
effet, une partie ne peut échapper à l’approche qualitative. Au plan quantitatif, pour chacune
des normes un ensemble d’indicateurs relativement important, s’avère nécessaire pour juger du
niveau de leur application. Plusieurs questions se posent ainsi au vérificateur :
-A partir de quel seuil (pourcentage) d’indicateurs validés (par exemple la présence
d’extincteurs), peut-on considérer qu’une norme (par exemple celle d’hygiène et sécurité) soit
considérée comme mise en oeuvre ?
- De même à partir de quel pourcentage un sous indicateur est-il validable (par exemple le
nombre d’éléments présents dans le kit de sécurité ou le pourcentage de masque à poussières
disponible) ?
-Doit-on considérer que chaque indicateur ou sous indicateur a la même valeur? Où doit-on
attribuer des pondérations différentes par indicateur? Dans ce cas, en fonction de quels critères,
considérer que la pondération est objective?
Élaborer d’une échelle d’évaluation objective, standardisée est une entreprise difficile. Il est
une chose d’évaluer finement les conditions de travail et il en est une autre de décider de
valider ou non la conformité à une norme. Or, c’est actuellement la tâche de l’inspection du
travail et des certificateurs (organismes d’audit, ONG). Faire le choix de se prononcer pour ou
contre la validation de chacune des normes est une démarche véritablement instructive. En effet
pour établir son jugement, non seulement un ensemble extrêmement important de paramètres
peut entrer en jeu : la convention de l’OIT, les conditions de travail décentes, la situation dans
les autres entreprises, les autres systèmes d’audit, le pourcentage d’indicateurs validés, la
pondération de certains par rapport à d’autres.... De plus, ils représentent des critères parfois
incomparables. Par conséquent, le jugement devient relativement subjectif.
Cette difficulté se renforce lorsqu’une certification est réalisée par des individus différents
ou que deux vérificateurs ne s’appuient pas sur la même méthodologie de vérification et de
certification (référentiel SA 8000 ou du collectif ESE). Pour parvenir à réaliser des vérifications
et des comparaisons les plus scientifiques possibles il s’agirait pour les vérificateurs de
standardiser : les grilles d’évaluation, les systèmes de passation et de pondération des
indicateurs. En l’absence de ce cadre relativement idéal, le travail repose plus sur les capacités
de synthèse, plus intuitives que réellement analytiques. Cela permet de comprendre très
concrètement subjectivité du vérificateur qui se révèle encore renforcée lorsqu’il manque de
temps et de connaissance des réalités locales.
Par ailleurs on relève une certaine subjectivité dans l’établissement des seuils de validation
et de la pondération des indicateurs. Les systèmes de notation qui ne dispose pas d’un barème
de pondération écrasent les différences de valeurs de chaque item, sous la dimension
quantitative. Par exemple la norme SA 8000 n’en dispose pas. Pour y remédier le réalisateur de
la norme de vérification devrait affecter à chacun des indicateurs et des normes un coefficient
particulier, afin d’en pondérer la valeur respective. La norme relative au travail forcé
obtiendrait par exemple un coefficient 5, la présence de syndicat un coefficient 4, le salaire et le
temps de travail un coefficient 3, la discrimination un coefficient 1. Cependant un tel exercice
de pondération s’avère de nouveau relativement subjectif. En effet, comment affirmer en toute
objectivité qu’un indicateur ou qu’une norme est plus fondamentale qu’une autre? Or c’est une
démarche normative (régulation d’orientation) nécessaire aux créateurs d’une norme de
vérification sur laquelle s’appuiera l’auditeur.
Au-delà de la rigueur des indicateurs liés à une norme, le certificateur peut procéder à la
délivrance de la validation, en fonction “d’étalons” très variés . 3
- Faire le choix de valider une norme simplement parce que dans les pays développés, elle
n’est pas mieux appliquée. Nous pouvons considérer que chacun des critères de validation de la
mise en oeuvre des normes fondamentales du travail peut être défendu en fonction des
approches différentes mais relativement légitimes de la réalité.
3 Sur ce point nous reprenons les éléments essentiels de notre propre méthodologie dans la mesure où les
questions qui se posent au chercheur sont comparables à celle du certificateur.
4 SOMOVIA Juan, DIRECTEUR GENERAL DE L'OIT, 87e Session, Un travail décent, Bureau International du
travail, Genève, 1999.