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possessions en Terre sainte. Dans le cas des templiers, nous possédons des
sources confirmant l’exportation de plus de 14 000 hectolitres de froment
et de 5 500 hectolitres d’orge entre 1269 et 1274 4, soit en tout presque
deux millions de litres de grain 5, une bonne quantité, dans un temps rela-
tivement bref.
Il est nécessaire de donner quelques précisions sur la nature des sources
dont nous disposons et sur leur interprétation. Les chiffres sont fournis
par les licences d’exportation, les franchises concédées par la cour de
Charles Ier d’Anjou aux ordres religieux de Terre sainte et aux ambassa-
deurs des autres États 6, sans oublier les exonérations de nature
commerciale, octroyées par les Hohenstaufen et les Anjou périodiquement
aux Génois, Vénitiens et autres 7.
En réalité, il s’agit de sources incomplètes, car les registres de la cour sici-
lienne ne sont conservés qu’à partir de l’époque angevine, à de rares excep-
tions près. Nous ignorons tout de ce qui précéda la prise du pouvoir par
Charles Ier en 1266 8. En théorie, les ordres militaires bénéficiaient tous de
privilèges et d’exemptions leur permettant de transporter à volonté des
biens et des personnes vers l’Orient, mais à une date inconnue, peut-être
dans les années 1220, au plus tard avec les réformes de 1231, Frédéric II
semble les avoir soumis au régime fiscal du royaume, dans lequel le grain
4. Les sources à notre disposition sont issues des registres de la chancellerie angevine, détruits
en 1943, mais reconstitués par les historiens napolitains. Il y est question de l’enregistrement
des mandats royaux suivants : 8 avril 1269, I registri della cancelleria angioina ricostruiti da
Riccardo Filangieri con la collaborazione degli archivisti napoletani, 2, 1265-1281, éd. Riccardo
FILANGIERI, Naples, 1951 ( Testi e documenti di storia napoletana pubblicati dall’Accademia
Pontaniana, Serie I, 2 ), p. 58, n° 206 ; 30 juin 1269, Ibid., p. 124, n° 473 ; 22 janvier 1270,
I registri della cancelleria angioina…, 3, 1269-1270, éd. R. FILANGIERI, Naples, 1951 ( Testi…,
3 ), p. 239, n° 715 ; 31 janvier 1271, I registri della cancelleria angioina…, 7, 1269-1272,
éd. Iole MAZZOLENI, Naples, 1955 ( Testi…, 7 ), p. 45, n° 198 ; 18 mars 1271, I registri della
cancelleria angioina…, 6, 1270-1271, éd. R. FILANGIERI, Naples, 1954 ( Testi…, 6 ), p. 140,
n° 706 ; 1271 ( ? ), Ibid., p. 199, n° 99 ; 22 janvier 1274, I registri della cancelleria angioina…,
11, 1273-1277, éd. R. FILANGIERI, Naples, 1958 ( Testi…, 11 ), p. 122, n° 145.
5. Par ailleurs, le 31 janvier 1271 ( cité dans la note précédente ), le templier frère Sabin obtient
le droit d’exporter pendant 4 mois à Acre des vivres dont on ne précise pas la quantité.
6. Gian Luca BORGHESE, Carlo I d’Angiò e il Mediterraneo. Politica, diplomazia e commercio inter-
nazionale prima dei Vespri, Rome, 2008 ( Collection de l’École française de Rome, 411 ), p. 150.
7. Voir à ce sujet la récente étude de Georges JEHEL, Charles d’Anjou ( 1226-1285 ), comte d’Anjou
et de Provence, roi de Sicile et de Jérusalem. Un capétien en Méditerranée, Amiens, 2005
( CAHMER, 18 ).
8. Sur les registres angevins : Stefano PALMIERI, La cancelleria del Regno di Sicilia in età angioina,
Naples, 2006 ( Quaderni dell’Accademia Pontaniana, 48 ).
Les possessions et l’économie de l’Ordre dans la Capitanate et en Sicile 95
9. Raffaele MORGHEN, L’età degli Svevi in Italia, Palerme, 1974 ( Storia, 1 ), p. 213.
10. En 1265-1266, l’office du secret et maître portulan de la Sicile ( sans Messine ) obtenait envi-
ron 90 % de ses revenus de la vente et de la taxation du grain : Helene ARNDT, Studien zur
inneren Regierungsgeschichte Manfreds. Mit einem Regestenanhang als Ergänzung zu Regesta
Imperii, Heidelberg, 1911 ( Heidelberger Abhandlungen zur mittleren und neueren Geschichte,
31 ), p. 177-187.
11. À ce sujet, voir : Eduard STHAMER, « Aus der Vorgeschichte der Sizilischen Vesper », dans
Quellen und Forschungen aus italienischen Archiven und Bibliotheken, t. 19, 1927, p. 262-372
( rééd. dans Eduard STHAMER, Beiträge zur Verfassungs- und Verwaltungsgeschichte des
Königreichs Sizilien im Mittelalter, éd. Hubert HOUBEN, Aalen, 1994, p. 325-436 ).
12. Michel BALARD, « Carlo I d’Angiò e lo spazio mediterraneo », dans Le eredità normanno-sveve
nell’età angioina. Persistenze e mutamenti nel Mezzogiorno. Atti delle quindicesime giornate
normanno-sveve, Bari, 22-25 ottobre 2002, éd. Giosuè MUSCA, Bari, 2004 ( Centro di studi
normanno-svevi. Università degli Studi di Bari. Atti, 15 ), p. 85-100 ; Kristjan TOOMASPOEG,
96 Kristjan Toomaspoeg
« Charles Ier d’Anjou, les ordres militaires et la Terre Sainte », dans As Ordens Militares. Freires,
Guerreiros,Cavaleiros. Actas do VI Encontro sobre Ordens Militares. Palmela, 10 a 14 de março de
2010, éd. Isabel Cristina FERREIRA FERNANDES, Palmela, 2012, II, p. 761-777.
13. Une exception est constituée par l’autorisation, donnée en 1282-1283 aux hospitaliers de
Capou, d’exporter des chevaux ( provisio pro extractione equorum ) : I registri della cancelleria
angioina…, 26, 1282-1283, éd. I. MAZZOLENI et Renata OREFICE, Naples, 1979 ( Testi…,
26 ), p. 14, n° 97.
14. K. TOOMASPOEG, Le ravitaillement…, p. 153-154.
15. 30 juin 1269, I registri della cancelleria angioina…, 2, 1265-1281, éd. R. FILANGIERI, Naples,
1951 ( Testi…, 2 ) p. 124, n° 473.
16. La destination finale des exportations de l’ordre du Temple comme des autres ordres militaires
était en général la ville d’Acre. Nous connaissons cependant quelques rares exceptions : ainsi,
Les possessions et l’économie de l’Ordre dans la Capitanate et en Sicile 97
en 1272-1273, les hospitaliers envoyèrent des vivres vers l’Achaïe : I registri della cancelleria
angioina…, 9, 1272-1273, éd. R. FILANGIERI, Naples, 1957 ( Testi…, 9 ), p. 30, n° 47.
17. Il existe, bien sûr, des exceptions, ainsi les possessions des hospitaliers en Campanie et
ailleurs : Mariarosaria SALERNO, Gli ospedalieri di San Giovanni di Gerusalemme nel
Mezzogiorno d’Italia ( secc. XII-XV ), Tarante, 2001 ( Melitensia, 8 ).
18. Fulvio BRAMATO, Storia dell’Ordine dei Templari in Italia, I, Le fondazioni, Rome, 1991 ;
Hubert HOUBEN, « Templari e Teutonici nel Mezzogiorno normanno-svevo », dans Il
Mezzogiorno normanno-svevo e le Crociate. Atti delle quattordicesime giornate normanno-sveve,
Bari, 17-20 ottobre 2000, éd. Giosuè MUSCA, Bari, 2002 ( Centro di studi normanno-svevi.
Università di Bari. Atti, 14 ), p. 251-288 ; Litterio VILLARI, Templari in Sicilia, Latina, 1993 ;
K. TOOMASPOEG, Templari e Ospitalieri nella Sicilia Medievale, Tarante, 2003 ( Melitensia,
11 ) ; Id., « Gli insediamenti templari, giovanniti e teutonici nell’economia della Capitanata
medievale », dans Gli insediamenti templari, giovanniti e teutonici nell’economia della
Capitanata medievale. Recenti ricerche storiche e archeologiche. Atti del Convegno internazionale
( Foggia-Lucera-Pietra Montecorvino, 10-13 giugno 2009 ), éd. P. FAVIA, H. HOUBEN et
K. TOOMASPOEG, Galatina, 2012 ( Acta Theutonica, 7 ), p. 183-214.
19. H. HOUBEN, Templari e Teutonici nel Mezzogiorno…, p. 257-258.
20. 9 janvier 1144, Milites Templi Ierosolimitani, répétée mot pour mot par Eugène III le 13 novem-
bre 1145 ou 1146 : Cartulaire général de l’Ordre du Temple ( 1119-1150 ). Recueil des chartes et
des bulles relatives à l’Ordre du Temple formé par le Marquis d’Albon, Paris, 1913, n° XIV, p. 383.
98 Kristjan Toomaspoeg
21. Juillet 1146, Carlo Alberto GARUFI, I documenti inediti dell’epoca normanna in Sicilia, I,
Palerme, 1899, n° 23, p. 54-56.
22. Sabino LOFFREDO, Storia della Città di Barletta con corredo di documenti, Trani, 1893, I, p. 184.
23. Abbazia di Montevergine. Regesto delle pergamene, éd. Giovanni MONGELLI, I, Rome, 1956,
n° 520, p. 151.
24. Le cartulaire de S. Mattero di Sculgola en Capitanate ( Registro d’Istrumenti di S. Marie del
Gualdo ) ( 1177-1239 ), éd. Jean-Marie MARTIN, Bari, 1987 ( Codice Diplomatico Pugliese,
30 ), I, n° 2, p. 7-8.
25. Les chartes de Troia. Édition et étude critique des plus anciens documents conservés à l’Archivio
Capitolare, I, ( 1024-1266 ), éd. J.-M. MARTIN, Bari, 1976 ( Codice Diplomatico Pugliese, 21 ),
p. 49 et n° 88, p. 265-270.
Les possessions et l’économie de l’Ordre dans la Capitanate et en Sicile 99
26. 4 septembre 1209, Giuseppina PECORELLA, I Templari nei manoscritti di Antonino Amico,
Palerme, 1921, p. 50.
27. Marie-Luise BULST-THIELE, « Templer in königlichen und päpstlichen Dienste », dans
Festschrift Percy Ernst Schramm, éd. Peter CLASSEN et Peter SCHEIBERT, Wiesbaden, 1964, I,
p. 289-308, ici p. 293.
28. 29 avril 1195, Acta Imperii inde ab Heinrico I. ad Heinricum VI. usque adhuc inedita, éd. Karl
Friedrich STUMPF-BRENTANO, Innsbruck, 1865-1881, n° 510, p. 711-712 ; Johann Friedrich
BÖHMER et Julius FICKER, Regesta Imperii, IV, 3, 1, éd. Gerhard BAAKEN, Cologne-Vienne,
1972, n° 433.
29. H. HOUBEN, Templari e Teutonici nel Mezzogiorno…, p. 262.
30. Michele GATTINI, I priorati, i baliaggi e le commende del sovrano militare ordine di s. Giovanni
di Gerusalemme nelle provincie meridionali d’Italia prima della caduta di Malta, Naples, 1928,
p. 6 ; F. BRAMATO, Storia dell’Ordine…, p. 139.
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38. Ibid.
39. Sur l’installation des templiers dans le sud-est de l’île, voir L. VILLARI, Templari… ;
K. TOOMASPOEG, Templari e Ospitalieri…, p. 61-62 ; Id., « Le patrimoine des grands ordres
militaires en Sicile, 1145-1492 », dans Mélanges de l’École française de Rome, Moyen Âge,
t. 113-1, 2001, p. 313-341.
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part les terrains que la cour avait loués aux templiers et dont les baux ont
été révoqués, d’autre part, les biens acquis de manière illégale. La plus
importante des propriétés saisies est le fief d’Alberona pour lequel il
n’existe en effet aucun document relatant les circonstances de son acquisi-
tion par les templiers. Plus tard, Charles Ier remit le Temple en possession
d’Alberona, sans se soucier de vérifier ses droits 45.
L’étendue des biens séquestrés du Temple dans la Capitanate a été
surévaluée par l’historiographie 46, ce qui oblige à présenter ici une liste
synthétique des sites et catégories de biens concernés. À part Alberona, le
patrimoine séquestré était essentiellement concentré à Foggia, avec 88
casalina, petites parcelles uniformes de terres agricoles, 2 maisons, 9 vignes
et 14 autres terrains, avec un revenu d’ensemble d’au moins 13,4 onces
d’or 47. À Siponto, il y avait 6 casalina, 12,5 maisons, 3 salines, 2,5 jardins,
une vigne et un autre terrain, avec des revenus aussi bien en argent
comptant ( environ 3 onces d’or ) qu’en produits agricoles 48. Dans des
localités mineures, on trouvait des biens jadis templiers à Montecorvino
( 4 terrains, une vigne, une maison ) 49, San Chirico ( 3 maisons, une
vigne, 2 oliveraies et 2 autres terrains ) 50, Montesantangelo ( une maison
et un quart d’une autre ) 51, Villa Nova ( 2 terrains ) 52, Castelfiorentino
( une vigne ) 53, Casalnuovo ( plusieurs terrains dédiés à une agriculture
mixte de vigne, fruits et oliviers, 2 maisons et 2 autres terrains ) 54, Civitate
( 2 jardins et 2 vignes ) 55.
Le Quaternus reste une source utile mais ne peut suffire à donner l’état
complet du patrimoine du Temple dans la Capitanate au milieu du
XIIIe siècle. Si les biens séquestrés y sont énumérés avec quelque précision,
45. L’étendue du fief, situé à environ 40 km de Foggia et 20 de Lucera, fut évaluée plus tard par
Michele Gattini à environ 3 360 hectares : M. GATTINI, I priorati, i baliaggi e le commende…,
p. 5.
46. Ainsi les chiffres fournis par F. BRAMATO, Storia dell’Ordine…, I, p. 171-172, sont sans fonde-
ment.
47. Quaternus de excadenciis…, p. 19-31.
48. Ibid., p. 49-50. Ibid., p. 31-32.
50. Ibid., p. 51.
51. Ibid., p. 52-53.
52. Ibid., p. 60-62.
53. Ibid., p. 65.
54. Ibid., p. 67-74.
55. Ibid., p. 74-79.
104 Kristjan Toomaspoeg
56. Ainsi à Termoli ( le Quaternus sort quelquefois des frontières de la Capitanate proprement
dite ), on ne mentionne pas de biens séquestrés du Temple, mais, dans le même temps, on
trouve dans les descriptions des confins d’autres territoires des indices sur la présence d’un
patrimoine templier : ibid., p. 79-83.
57. Vladimír J. KOUDELKA, « Pergamene del convento domenicano di Messina ( 1218-1397 ) », dans
Archivum Fratrum Praedicatorum, t. 44, 1974, p. 61-92, ici n° 26, p. 83-84.
58. K. TOOMASPOEG, « La fine dei Templari in Sicilia ( 1305-1327 ) », dans Religiones Militares.
Contributi alla storia degli Ordini religioso-militari nel Medioevo, éd. Anthony LUTTRELL et Francesco
TOMMASI, Città di Castello, 2008 ( Biblioteca di Militia Sacra, 2 ), p. 155-170, ici n° 1, p. 163.
59. Ainsi, le Temple posséda avant 1210 des ressouces aquatiques sur le fleuve Lentini, avec une
barque de pêche : J. L. A. HUILLARD-BRÉHOLLES, Historia diplomatica…, I, p. 168-169.
Les possessions et l’économie de l’Ordre dans la Capitanate et en Sicile 105
( Testi…, 3 ), p. 239, n° 715 ). Dans les deux cas cités, le point de départ est Barletta, alors que
le 22 janvier 1274 ( I registri della cancelleria angioina…, 11, 1273-1277, éd. R. FILANGIERI,
Naples, 1958 ( Testi…, 11 ), p. 122, n° 145 ) il est question du grain provenant de portu Baroli
seu Manfridonie.
64. Codice diplomatico sui rapporti Veneto-Napoletani durante il regno di Carlo I d’Angiò, éd. Nicola
NICOLINI, Rome, 1965 ( Regesta Chartarum Italiae, 36 ), p. 47-48, n° 59.
65. Sur l’histoire de la Capitanate, voir avant tout J.-M. MARTIN, La Pouille du VIe au XIIe siècle,
Rome, 1993 ( Collection de l’École française de Rome, 179 ), maintenant aussi Federico II e i
cavalieri teutonici in Capitanata .
Les possessions et l’économie de l’Ordre dans la Capitanate et en Sicile 107
peuplés par les Byzantins et munis en général d’un siège épiscopal, qui se
trouvent sur les collines préapennines et entourent une vaste plaine, à
l’origine peu habitée. Au nord, la Capitanate englobe la haute plaine de
Gargano et, au sud-est, elle jouxte la côte adriatique dans une zone maré-
cageuse près de Canne et Barletta. Au XIIe siècle, la plaine fut mise en
valeur par les habitants des collines, avec pour conséquence la formation
de nouveaux centres de peuplement comme à Foggia 66. Sous Frédéric II,
la réalité géographique de la Capitanate était suffisamment réelle pour
justifier le statut d’unité administrative, d’un iustitieratus. À partir des
années 1220, la région joua un rôle central dans la vie du royaume lorsque
Frédéric II y accomplit de fréquents séjours, amenant avec lui les fonc-
tionnaires et les institutions de la cour 67.
La plaine de la Capitanate est particulièrement bien adaptée pour
l’agriculture, car – fait rare en Italie méridionale – il s’agit d’une zone très
bien irriguée par une série de fleuves et de ruisseaux provenant de la
montagne. Au début du XIIe siècle, on assiste à une véritable ruée sur
les terres de la part des grands établissements monastiques des collines,
à l’image de la Sainte-Trinité de Venosa qui fit une guerre sans merci à
l’abbaye Sainte-Sophie de Bénévent 68. Les bénédictins, les cisterciens, les
chanoines augustins de Saint-Léonard de Siponto, tous participèrent à la
colonisation des terres, bientôt rejoints par les ordres militaires.
Prenons un seul exemple. Peu avant 1149, les hospitaliers reçurent de
l’évêque d’Ascoli, Satriano, une église et des terrains à Corneto. Ils débutè-
rent aussitôt des activités économiques très intenses, en défrichant des
terrains et en peuplant le territoire. Ils entrèrent alors en conflit avec
l’abbaye de Venosa, qui possédait la juridiction sur ces terres, et furent
condamnés à cesser le peuplement de la zone 69. Mais, avec le temps,
le monachisme traditionnel ne put résister au dynamisme des ordres mili-
taires.
70. Regesto di S. Leonardo di Siponto, éd. Fortunato CAMOBRECO, Rome, 1913 ( Regesta
Chartarum Italiae, 10 ), n° 158, p. 100 ; H. HOUBEN, « “Iuxta stratam peregrinorum” : la cano-
nica di S. Leonardo di Siponto ( 1127-1260 ) », dans Rivista di Storia della Chiesa in Italia,
t. 56, 2002, p. 323–348, ici p. 338-339.
71. 20 novembre 1219, Documenti vaticani relativi alla Puglia, I, Documenti tratti dai registri vati-
cani ( da Innocenzo III a Nicola IV ), éd. Domenico VENDOLA, Trani, 1940, n° 111, p. 101-102.
72. Le cartulaire de S. Mattero di Sculgola…, p. 490.
73. 16 juin 1226, Documenti vaticani relativi alla Puglia, I, n° 160, p. 139-140.
74. San Leonardo di Siponto. Cella monastica, canonica, domus Theutonicorum. Atti del Convegno
internazionale ( Manfredonia, 18-19 marzo 2005 ), éd. H. HOUBEN, Galatina, 2006 ( Acta
Theutonica, 3 ).
Les possessions et l’économie de l’Ordre dans la Capitanate et en Sicile 109
concédé en juillet 1295 par Boniface VIII aux templiers 75. Dans sa lettre
Superni roris ordo vester, le pape motiva son aide au Temple, qui avait tant
souffert de la chute de Saint-Jean-d’Acre, en relatant les mérites de l’Ordre
et la tragique défaite en Terre sainte.
Les ordres militaires finirent par mettre la main sur une partie impor-
tante du patrimoine monastique de la Capitanate à la fin du XIIIe et au
début du XIVe siècle. Deux autres monastères concédés par la papauté aux
hospitaliers, Sainte-Trinité de Venosa 76 et Saint-Ange de Palazzo 77, situés
en dehors de la région, y possédaient de nombreux biens. Les concessions
papales soulignent chaque fois le mauvais état des institutions monas-
tiques données aux ordres militaires, totalement ruinées sur le plan
économique et spirituel. Par ailleurs, il semble que la population se
montra favorable à ce transfert de propriété. En 1288 déjà, les habitants
d’un centre voisin avaient eux-mêmes demandé au pape la concession de
Saint-Pierre de Torremaggiore aux templiers 78. Les difficultés de
Torremaggiore étaient surtout dues à un déficit monétaire tel que le
prieuré avait contracté plusieurs dettes auprès de banquiers romains 79.
Le succès des templiers était certes basé sur une organisation centralisée
et sur une disponibilité de fonds monétaires qui pouvaient être transférés
d’une partie du réseau templier à l’autre, mais aussi sur des stratégies
économiques agricoles. Dans la Capitanate, nous sommes mieux docu-
mentés sur leurs activités qu’en Sicile, surtout grâce au Quaternus de
Excadenciis et aux matériaux du procès du Temple – car dans les Pouilles
75. 9 juillet 1295, Les registres de Boniface VIII ( 1294-1303 ), éd. Georges DIGARD, Maurice
FAUCON, Antoine THOMAS et Robert FAWTIER, Rome, 1884-1939 ( Bibliothèque des Écoles
françaises d’Athènes et de Rome, IIe série : Registres et lettres des papes du XIIIe siècle, 14 ), I, n° 264,
p. 97 ; Documenti vaticani relativi alla Puglia, II, Documenti tratti dai registri vaticani
( da Bonifacio VIII a Clemente V ), éd. Domenico VENDOLA, Trani, 1963, n° 2, p. 4-5 ;
Tommaso LECCISOTTI, Il “Monasterium Terrae Maioris”, Mont-Cassin, 1942, n° 68, p. 100-
102.
76. 22 septembre 1297, Cartulaire général de l’Ordre des Hospitaliers de S. Jean de Jérusalem,
éd. Joseph Marie Antoine DELAVILLE LE ROULX, Paris, 1894-1904, III, n° 4386, p. 721-722.
77. 22 septembre 1297, ibid., III, n° 4387, p. 722-723.
78. 8 août 1288, T. LECCISOTTI, Il “Monasterium…, n° 63, p. 97-98.
79. Riccardo BEVERE, « Notizie storiche tratte dai documenti conosciuti con il nome di Arche in
carta bambagina », dans Archivio storico per le provincie napoletane, t. 25, 1900, p. 241-275 et
389-407, ici p. 406.
110 Kristjan Toomaspoeg
80. Sur le procès dans les Pouilles, voir Giovanni GUERRIERI, I Cavalieri Templari nel Regno di
Sicilia, Trani, 1909, et Syllabus membranarum ad Regiae Siclae archivum pertinentium, II,
A Caroli II ad Roberti regnum, éd. Antonio DE APREA, Naples, 1832-1845, 2, p. 204. Sur le
contexte général du procès dans l’Italie méridionale, voir K. TOOMASPOEG, « The Templars and
Their Trial in Sicily », dans The Debate on the Trial of the Templars ( 1307-1314 ), éd. Jochen
BURGTORF, Paul F. CRAWFORD et Helen J. NICHOLSON, Farnham-Burlington, 2010, p. 273-
283.
81. Voir par exemple Raffaele LICINIO, Masserie medievali. Masserie, massari e carestie da Federico II
alla Dogana delle pecore, Bari, 1989.
82. Pergamene di Barletta del R. Archivio di Napoli ( 1075-1309 ), éd. R. FILANGIERI DI CANDIDA,
Bari, 1927 ( Codice Diplomatico Barese, 10 ), n°155, p. 271-272.
83. Codice diplomatico dei Saraceni di Lucera, éd. Pietro EGIDI, Naples, 1917, n° 211, p. 80.
84. G. GUERRIERI, I Cavalieri, n° XIV, p. 108-109.
Les possessions et l’économie de l’Ordre dans la Capitanate et en Sicile 111
85. Francesco VIOLANTE, « Da Siponto a Manfredonia : note sulla ‘fondazione’ », dans Storia di
Manfredonia, I, Il Medioevo, éd. Raffaele LICINIO, Bari, 2008, p. 9-24.
86. Sur cette problématique, voir Norbert KAMP, Kirche und Monarchie im Staufischen Königreich
Sizilien, I, Prosopographische Grundlegung : Bistümer und Bischöfe des Königreichs 1194-1266,
Munich, 1973-1982 ( Münstersche Mittelalter-Schriften, 10/I, 1-4 ) et K. TOOMASPOEG,
« La pauvreté du clergé : le cas exemplaire des diocèses-cités du royaume de Sicile ( XIe-XVe siè-
cle ) », dans Puer Apuliae. Mélanges offerts à Jean-Marie Martin, éd. Errico CUOZZO, Vincent
DÉROCHE, Annick PETERS-CUSTOT et Vivien PRIGENT, Paris, 2008 ( Collège de France-CNRS.
Centre de recherche d’Histoire et Civilisation de Byzance, Monographies, 30 ), II, p. 661-689.
87. Sur ce conflit : Decimae. Il sostegno economico dei sovrani alla Chiesa del Mezzogiorno nel
XIII secolo. Dai lasciti di Eduard Sthamer e Norbert Kamp, éd. K. TOOMASPOEG, Rome, 2009
( Ricerche dell’Istituto Storico Germanico di Roma, 4 ), p. 242-254.
88. Raffaele IORIO, « Uomini e sedi a Barletta di Ospedalieri e Templari come soggetti di organiz-
zazione storica », dans Barletta crocevia degli Ordini religioso-cavallereschi medioevali. Seminario
di Studio, Barletta 16 giugno 1996, Tarante, 1997 ( Melitensia, 2 ), p. 71-119, ici p. 81.
89. F. BRAMATO, Storia dell’Ordine…, p. 131.
90. Quaternus de excadenciis et revocatis Capitinatae, p. 19.
112 Kristjan Toomaspoeg
mais l’Ordre était présent au moins dans une vingtaine d’autres villes et
bourgs. Alors qu’en Sicile les ordres militaires s’étaient partagé le territoire
– Val di Mazzara ( Sicile occidentale ) aux teutoniques, Val Demona ( nord-
est ) aux hospitaliers, Val di Noto ( sud-est ) aux templiers –, ils peuplaient
tout le territoire de la Capitanate de manière assez homogène. Dans les
deux cas, il nous manque des informations sur un éventuel conflit entre les
templiers et les autres ordres militaires. Les ennemis communs furent les
évêques, les autres grands propriétaires terriens et les autorités citadines,
parfois aussi la cour royale, mais jamais les autres ordres militaires dont on
prenait garde de se tenir à distance en Sicile et avec lesquels on cohabitait
dans la Capitanate.
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Les informations à notre disposition sont relativement éparpillées et ne
permettent pas une analyse complète et exhaustive de l’économie templière
dans le Midi italien. Toutefois, il apparaît de façon évidente que les templiers
firent des choix très précis, dans la seconde moitié du XIIe siècle, autour de
deux zones d’installation – qui seront par ailleurs les principaux noyaux de
leur patrimoine dans toute l’Italie du Sud – : la Capitanate et le sud-est de la
Sicile. Comme les autres ordres militaires, ils parvinrent à briser l’économie
traditionnelle, représentée par les ensembles monastiques bénédictins,
cisterciens et augustins.
La stratégie économique des templiers était d’investir dans l’agriculture
expansive du grain et du bétail, en suivant et quelquefois en anticipant
l’action des autres grands propriétaires terriens, à commencer par la cour
royale. Il est peu probable que les domaines du Temple aient été en gestion
directe et tout porte à croire que les chevaliers les confiaient aux soins des
entrepreneurs locaux.
Les denrées envoyées en Terre sainte provenaient donc des fiefs du
Temple dans la Capitanate et étaient acheminées vers les grands ports de
la côte adriatique, dans un premier temps à Barletta et Manfredonia, puis
à Brindisi d’où on embarquait pour Acre.
La rareté des sources laisse deux grandes questions sans réponse.
D’abord, on constate une différence entre la Capitanate et la Sicile
sud-orientale. Dans l’île, bien que les templiers aient investi beaucoup
d’énergie pour l’élaboration de leur patrimoine, aucun envoi de vivres vers
la Terre sainte n’est documenté. On pourrait expliquer ce point par le
Les possessions et l’économie de l’Ordre dans la Capitanate et en Sicile 113