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S
ituée au cœur du Delta égyptien, la ville de Bouto fut un centre urbain important dès l’époque
prédynastique et conserva tout au long de l’époque pharaonique un rôle religieux majeur 2 : on
y vénérait en effet la déesse Ouadjet, déesse tutélaire de Basse-Égypte. À l’époque hellénistique
puis à l’époque romaine, la ville vit se développer de nombreux ateliers de potiers qui firent de Bouto
l’un des grands centres de production de céramiques d’Égypte.
Le site de Tell el-Faraʿin est actuellement fouillé par une mission allemande du DAIK dirigée
par Ulrich Hartung 3. Depuis 2001, il accueille également une mission française, sous la conduite
de Pascale Ballet (université de Poitiers, MAÉE), qui a entrepris l’étude de l’activité de production
céramique d’époque hellénistique et romaine et son insertion dans le tissu urbain tardif 4.
La reprise des recherches dans la partie nord-est du site, où des bains avaient été identifiés par des
archéologues de l’Egypt Exploration Society dans les années soixante 5, entre dans le programme
de l’équipe française sur l’occupation spatiale des différentes fonctions urbaines du site 6. À ce jour,
deux campagnes ont été menées sur le kôm dit « des Anglais », qui ont permis de faire un premier
état des lieux des vestiges 7 (fig. 1).
1. Les bains de Bouto feront l’objet d’une monographie, publiée par les auteurs de cet article, responsables de son étude
archéologique et architecturale.
2. Sur la ville et les travaux archéologiques qui s’y sont succédé, voir Leclère 2008, p. 197-232.
3. Voir les rapports annuels 1-9 parus dans les volumes 42-45, 52, 56, 58-59 et 63 des MDAIK entre 1986 et 2009.
4. Voir notamment Ballet et al. 2003, 2006, 2009.
5. D’autres bains ont été repérés sur le site : trois baignoires découvertes par la mission anglaise au sud-ouest du temple,
voir Seton-Williams 1966, p. 166 et pl. XXXIX. Dans un sondage à l’extrémité du kôm C, l’équipe allemande a cru
pouvoir identifier des vestiges de bains remontant au iie s. av. J.-C. comportant un pavement maçonné de fragments de
quartzite et des canalisations composées de col d’amphores emboîtés, voir Faltings et al. 2000, p. 131, 169-175, fig. 17-19
et pl. 8. Plus récemment, les archéologues du CSA ont identifié deux installations balnéaires sur la frange sud du kôm :
une cuve plate appartenant sans doute à une maison et un bain public avec une tholos. En 2011, un autre bain collectif, à
deux tholoi, a été découvert (Abd el-Rafa Fadl, Lecuyot, Redon 2012, Abd el-Rafa Fadl et al. à paraître).
6. Cette étude rejoint également les thèmes de recherche du programme Balnéorient auquel participe B. Redon, voir Boussac,
Fournet, Redon 2009.
7. La première mission a été effectuée par Guy Lecuyot du 28 mai au 6 juin 2008, la seconde du 9 mai au 1er juin 2009,
sous la responsabilité de Guy Lecuyot et Bérangère Redon.
282 Guy LECUYOT – Bérangère REDON
Problématique
Cette première exploration a été courte et seuls des rapports de fouille ont été publiés dans le
JEA. Or, ces travaux ont laissé de nombreuses interrogations sans réponse : le plan de chaque phase
est largement incomplet, en raison de la superposition des trois édifices au même endroit, ce qui ne
permet pas de comprendre l’organisation des bains, la circulation des baigneurs, de l’eau, ou encore
de restituer d’hypothétiques systèmes de chauffage. Par ailleurs, les fouilles anglaises n’ont pas établi
clairement la relation stratigraphique entre les bains et les fours de potiers trouvés à leurs abords 13.
Même si la chronologie proposée par nos prédécesseurs semble assise sur des données fiables 14, il
nous appartient de le vérifier, en fonction des recherches récentes sur la céramique, notamment celles
effectuées sur le site. De même, les études balnéaires se sont renouvelées dans le domaine des bains
grecs d’Égypte 15, et la particularité du site de Bouto, où se succèdent trois bains de l’époque ptolé-
maïque à l’époque impériale, en fait l’un des édifices clés pour cerner les mécanismes du passage du
bain grec au bain romain en Égypte. Enfin, la dégradation des vestiges et la menace des destructions
sont telles qu’une intervention pour évaluer la nature des ruines restantes, afin de compléter l’étude
anglaise, devait être rapidement engagée (fig. 3).
8. Charlesworth 1969, 1970. Une première mission avait permis de découvrir les bains l’année précédente, alors que
l’équipe anglaise avait entrepris de fouiller les fours de la zone artisanale (Charlesworth 1967).
9. Voir, pour le détail de ces phases, Charlesworth 1969, fig. 1-4 et Fournet, Redon 2007, fig. 4.
10. Fournet, Redon 2009, p. 114-115.
11. Pour cet état 3, nous renvoyons aux rapports de fouille de l’EES. Cet article sera centré sur les deux premiers états de
l’édifice, sur lesquels nos données sont plus nombreuses et assurées.
12. Charlesworth 1969.
13. Les fours ont été datés uniquement par le matériel trouvé dans leur remplissage. Or, ce remplissage est sans aucun
doute postérieur au fonctionnement des fours et ne peut constituer qu’un terminus ante quem à leur phase d’activité.
14. Pour chaque phase architecturale, les archéologues se sont appuyés sur la datation du matériel céramique (dont des
anses timbrées et des productions locales bien connues) et numismatique. Le matériel est, à chaque fois, clairement décrit
et son contexte de découverte est indiqué (voir par exemple, pour la datation de la phase 2, Charlesworth 1970, p. 24).
15. Fournet, Redon 2009.
Les bains de Tell el-Faraʿin / Bouto (Égypte). Rapport préliminaire (2008-2009) 283
La reprise des fouilles des bains de Bouto vise à : 1) affiner la datation des reconstructions et
aménagements successifs ; 2) expliquer les raisons de la première reconstruction du bain à tholos ;
3) replacer les bains dans leur environnement urbain, notamment dans le quartier artisanal de
production de céramique.
S’il est désormais difficile de reconstituer l’état tardif (état 3) à hypocauste, du fait de la dispari-
tion des vestiges, il n’en est pas de même pour les états à tholos dont une partie des aménagements a
subsisté (fig. 4). De nouvelles salles – appartenant aux deux premiers états – que les fouilles anglaises
n’avaient pas atteintes, ont été dégagées. Le but des recherches engagées actuellement dans le secteur
des bains est donc à la fois un réexamen architectural des structures mises au jour par les chercheurs
anglais et une étude archéologique, puisque de nouveaux vestiges sont apparus à la fouille.
Premiers résultats 16
Les résultats présentés ici sont évidemment préliminaires. Les deux premières campagnes ont eu,
en effet, pour objectif de dégager à nouveau les aménagements nord de la zone balnéaire, notamment
les tholoi des états 1 et 2, ainsi que la zone technique nord-est. Deux sondages nord et ouest ont par
ailleurs été ouverts à l’extérieur des bains. Le secteur de fouille 2008-2009 représente environ 50%
de la zone dégagée en 1968-1969.
16. Nous remercions Peter French, membre de la mission de l’EES, pour nous avoir communiqué les fichiers numérisés
des photos des fouilles anglaises en sa possession.
17. Charlesworth 1970, p. 19 : la plus ancienne anse timbrée découverte contre le mur externe du bain dans sa phase 1
est datée de 180 av. J.-C. La construction des bains est donc plus ancienne.
18. La mission anglaise n’avait pas, apparemment, entièrement dégagé le vestibule 18, ce qui les a empêchés de constater
que le puits 7 est probablement attribuable à la première phase des bains, et non à la seconde, comme ils le proposaient
(Charlesworth 1970, p. 24).
19. Pour l’Égypte hellénistique, cf. Guimiers-Sorbet 2009, p. 103.
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L’ensemble ne semble pas se poursuivre au nord-est, où un puits (7) a été mis au jour par l’équipe
de l’EES. Cette zone a probablement servi, dès le premier état des bains, de zone d’approvisionne-
ment et de stockage de l’eau 20. En revanche, les bains devaient s’étendre côté sud 21, avec peut-être
même une seconde tholos comme c’est fréquemment le cas dans les bains égyptiens 22.
L’abandon du bâtiment est sans doute dû à un tassement du terrain au nord-est, probablement
causé par des infiltrations d’eau (fig. 5), et qui explique la construction d’un deuxième édifice à
tholos (état 2) rehaussé et éloigné de la zone fragilisée du terrain.
Sondages
Deux sondages ont été engagés en 2009 à l’ouest et au nord de l’édifice afin d’entreprendre l’étude
de l’insertion des bains dans leur environnement et pour affiner la chronologie de l’édifice.
Le sondage ouest a démontré la présence, adossée à l’angle nord-ouest du bain du premier état,
d’une solide construction de briques cuites. Après son arasement, elle a été surmontée de murs de
briques crues où des fours de potiers ont été installés (fig. 6). La poursuite des recherches dans ce
secteur devrait nous permettre d’affiner la chronologie relative de ces éléments 24.
20. Elle n’a, pour le moment, pas été totalement dégagée. Les fouilles anglaises avaient permis de mettre au jour un sys-
tème de citernes et bassins dont il s’agira de déterminer la chronologie relative.
21. La limite méridionale de l’édifice n’a pas été mise au jour par la mission anglaise, cette partie de l’édifice étant recou-
verte par les vestiges des deux états postérieurs (états 2 et 3).
22. Des édifices à une seule tholos ont toutefois été mis au jour à Qasr Qarun/Dionysias (Schwartz, Wild 1950, p. 60),
Kôm Ganady (Sedky 1968), Kôm en-Negileh (Breccia 1923) ou encore Athribis (Michalowski 1962), pour ne citer que
des exemples égyptiens.
23. Charlesworth 1970, p. 24.
24. Si les fours semblent postérieurs au premier état des bains, leur relation stratigraphique directe avec la deuxième phase
des bains n’est actuellement pas assurée.
Les bains de Tell el-Faraʿin / Bouto (Égypte). Rapport préliminaire (2008-2009) 285
Le sondage nord a permis de mettre au jour deux épaisses strates littéralement remplies de céra-
mique et, dans une moindre mesure, de divers matériaux de construction (briques cuites, mortier),
matérialisant sans doute un vaste dépotoir-remblai. Il fait plus d’un mètre de haut et contient de
nombreux tessons parmi lesquels des fragments d’imitations de céramiques à vernis noir (dont des
ratés de cuisson) et d’amphores égyptiennes, le tout d’époque ptolémaïque (seconde moitié du iie s.
av. J.-C., voire début du ier s. av. J.-C.). Au vu de sa localisation (il s’appuie sur le mur nord commun
aux états 1 et 2 des bains), de sa constitution (présence notamment de matériaux de construction
venant sans doute des bains) et de sa datation préliminaire, il semble être en lien avec l’état 1 des
bains 25.
Conclusion
Beaucoup de questions restent encore en suspens, concernant notamment la datation des diffé-
rentes phases architecturales et leurs transformations, les limites de l’édifice dans son premier état,
la présence ou non d’autres pièces des bains vers le sud. La poursuite du réexamen engagé devrait
permettre de répondre à certaines de ces interrogations.
Toutefois, les deux récentes missions consacrées aux bains de Bouto ont permis d’effectuer de
nombreuses observations, qui viennent affiner bien des points évoqués dans les rapports prélimi-
naires des fouilles anglaises. Nous avons ainsi pu étudier plus précisément la succession des deux
premières constructions, et leur mise en œuvre respective. De ce point de vue, la mission anglaise
avait fait des observations qui restent valables, même en terme de chronologie. Un nouvel espace est
toutefois apparu lors des fouilles, au débouché de la tholos I, et il semble plausible de faire remon-
ter l’installation d’un secteur technique au nord-est dès le premier état, et non au deuxième état,
comme l’avaient proposé nos prédécesseurs. Nous connaissons également mieux l’environnement
immédiat des bains et avons pu appréhender la complexité de l’occupation de la zone à l’ouest de
l’édifice, avec la découverte notamment d’un nouvel édifice en briques cuites jouxtant le bain de
l’état 1. Enfin, nous avons également découvert les raisons – remontée des eaux et affaissement du
sol des bains – qui ont poussé les architectes à rebâtir les bains plus à l’ouest, peut-être au début de
l’époque impériale.
La reconstruction de l’édifice au même endroit, après son affaissement partiel, alors qu’ont évo-
lué les technologies balnéaires 26, et probablement aussi le contexte urbain 27, est frappante. Cette
localisation s’explique sans doute aussi par les avantages de la situation occupée par l’édifice, à
proximité d’une source d’approvisionnement en eau, qui a vraisemblablement incité aussi les potiers
à s’installer dans ce secteur.
25. Le matériel trouvé par l’équipe de l’EES semble indiquer, en effet, que la date de construction de l’état 2 « cannot be
earlier than about the beginning of the Christian era » (Charlesworth 1970, p. 22).
26. On passe du bain de type grec à tholos et bain d’hygiène dans les cuves plates aux thermes de type romain à hypo-
causte. On observe le même type de situation, par exemple, à Athènes ou à Pergame, où des thermes de type romain sont
construits sur des édifices plus anciens de type grec (Nielsen 1990, p. 101).
27. Bouto change sans doute de physionomie au cours des siècles : c’est ainsi que le grand temple d’Ouadjet est progres-
sivement abandonné, tandis que la production céramique semble trouver son apogée au début de l’époque impériale.
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Ce type d’édifice à tholos qui, à la fin de l’époque hellénistique, a presque disparu en Méditerranée,
pose la question du décalage, dans l’Égypte ptolémaïque, de l’évolution des pratiques balnéaires. Les
colons gréco-macédoniens installés en Égypte après la conquête d’Alexandre ont importé avec eux
leurs traditions et leurs usages. Les bains répondaient ainsi à leur besoin de disposer de lieux d’hygiène,
mais aussi de sociabilité, en l’absence des structures civiques traditionnelles (agora, assemblée, etc.).
Ces installations ont rapidement été fréquentées par de nombreux Égyptiens et cette vaste adhésion
explique peut-être l’attachement des populations gréco-égyptiennes au modèle balnéaire grec, atta-
chement dont les bains de Bouto pourraient être la parfaite illustration, si la datation proposée par
les fouilleurs anglais pour leur reconstruction s’avère exacte, ce que les premières données issues de
nos travaux semblent indiquer.
28. L’édifice de Bouto ressemble d’ailleurs beaucoup aux bains de Tell el-Herr, eux aussi organisés en deux circuits indé-
pendants, comprenant chacun des latrines à proximité de l’entrée (Fournet, Redon 2007, p. 123-124).
Les bains de Tell el-Faraʿin / Bouto (Égypte). Rapport préliminaire (2008-2009) 287
Les structures de l’état 3 ont presque complètement disparu, notamment pour les salles chaudes.
En revanche, les substrats des sols de trois salles froides qui devaient être dallées ont été dégagés à
nouveau, à l’extrême sud de la zone fouillée (nos prédécesseurs les avaient déjà en partie observées).
Enfin, deux fours à céramique construits au nord des salles chaudes des bains de l’état 3 ont été
mis au jour. L’un d’eux, vu par les chercheurs anglais en 1969, avait visiblement profité de l’empla-
cement d’un ancien conduit de cheminée pour s’installer. Deux cols d’amphores romaines tardives
(amphores égyptiennes à placer au iie-iiie s. apr. J.-C), se dressaient sur le fond défoncé de l’un des
fours 29. Elles ne sont pas en place, mais donnent un terminus post quem pour l’abandon des bains
dans leur troisième état, et donc de l’abandon définitif de l’activité balnéaire dans la zone.
Les prochaines missions se concentreront sur la fouille de la zone sud-est des bains, où se trouvent
les nouvelles salles de l’état 1 et une salle encore mal comprise de l’état 2. Par ailleurs, le lien entre
les fours de potiers et les bains devra être fait, à l’ouest. Enfin, les sols des salles froides de l’état 3,
qui n’ont visiblement pas été entièrement fouillées par la mission anglaise, seront dégagés 30.
Fig. 1. Relevé des tholoi (phases architecturales 1 et 2) retrouvées au cours des fouilles 2008-2009 (G. Lecuyot 2009).
Fig. 2. Vue vers le sud-ouest des vestiges dégagés par la mission anglaise dans les années soixante avec
au centre les pilettes de l’hypocauste des thermes romains aujourd’hui disparus (Photo P. French).
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