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Le juste et le sacré Les territoires de la faute ROIT {;ULTURES Revue internationale interdisciplinaire 1 Fiematan Revurrupnier avectecoxcovespucnrs 71 2016/1 Bernard Legras La répression des violences envers les animaux sacrés dans Egypte ptolémaique Résumé : Les sanctusires égyptiens accueilaient des animaax sacrés « uniques» et des animaux sactabsés « multiples». L'ensemble du dossier concernant la sépression des Molences envers ees animaux saeraisés dans ’Fgypte prolémaique, comporte des sources Intémaines gréco-latines et des sources documentaires grecques et égyptennes. Il ne permet pas de conclue 4 Fesstence de le peine de mort pour le meurtre des animaux Frcralisés « multiples ». Le témoignage de Dicdore, tés souvent invogué, lustre en fait tune affsie de Iynchage par une foul déchainge 3 Alexandr, et non le résutat d'une hypothédique sanction judicaire. Les témoignages documentaires papyrologiques, grees cet démotiques, n'en font pas mention. Mots-clés : animaux sacrés, animaux sscralisés, peine de mort, sanction judiciaie, violence. ‘The Punishment of Violence against the Sacralised Animal in Ptolemaic Egypt ‘Abstract: «Single» sacred animals and «multiple» sacaised animals were a feature of Egyptian sanctuais. All of the evidence for the punishment of violence against these savzlised animals in Ptolemaic Egypt comes from Greek and Latin literary sources and Greek and Egyptian documentary sources, These sources do not allow us to conclude that the ling Of such ammuliple saraised animals was punishable by death. An account by Diodorus, fequently quoted ia this context, refers to a lynching by an angry mob in ‘Nexandaa, rather than the enforcement of & hypothetical judicial punishment. Such ponishments ae not mentioned in Greck or demoric papyrological documentary accouats. Keywords: Sacred animals, Sacealsed animals, Capital punishment, Judicial punishment, Violence ret et Cals, 7, 2016/1 a Bernard Lagrs Pour Sache de VEgypte ancienne!, Leur entretien dans le cadre des temples, attesté depuis le régne d’Amenhotep TIT, bien connu d’Hérodote, se perpémse dans "Egypte ptolémaique et au-dela?, dans Egypte romaine jusqu’a la fin du paganisme®. Ces animaus, taureaux, crocodiles, béliers, faucons ou lions, choisis ct uniques, bénéficiant de rituels étaient considérés comme des intermédiaires entre les dieux et les hommes. Les animaux sacralisés constituent tune seconde catégorie danimaux dits sacrés : babouins, béliers, canidés, chats, crocodiles, faucons, ibis, musaraignes, oies, poissons (en particulier Yoxyrhynque), scarabées, serpents, singes, varans...* I faut les distinguer comme les précédents des animaux domestiques et des animaux de compagnie. Leur spécificité par apport aux animaux sacrés est de ne pas étre uniques, de ne bénéficier d'aucun situel propre, et de ne pouvoir servi de lien avec le divinité que morts et momifiés. Si la mise & mort de animal sacé « unique » tel PApis de Memphis, le Maévis @'Héliopolis ou le Bouc de Mendés était bien considéré comme un sactilége intolérable passible de la peine de mort, la question se pose du sort des auteurs d’atteintes physiques envers les animaux sacralisés « multiples». La wie et la mort des animaux sacralisés sont Pobjet Pune interrogation depuis le début du XX¢ siécle, car les découvertes archéologiques de momies animales ont pu étre interprétées comme une infirmation du témoignage des | cs animaux sacrés oecupent une place essentielle dans la vie religieuse “Je remerceculeateoserens Beate ens et Spey Aufte pour leur etre de aril t lu ‘ree. 2 Le adcopole des vahessacées Ah (Apotopots) fe un exemple de décomveteseeentes pour un ate ce uege dumat Pepoque poli: Mision éypo-fngae At (MEFS), « A, TeSiae cence TYléaneum one A Trvaur dine a arople der vachesssceés (), ENIM 3 (QOD, pe 137148; Chane Castes, «Fouls Aeth au debard XX sile », ENIMS (2011), p20. 3 rangese Danan et Roper Lettenberg, «anna nae vane du deo», dans Frangise Demand Roger Lichtenberg ae Ie collaboration ¢Alan Charon, De anima fds frme, Use ami ‘Gpising Monaco, Pa, Edison da Rocher, 28, . 149.168 Blsbographiep. 241-242) CE. ass ‘Septum Perce, «animal set en Egypte anciene, md ene es vant les mons: uncle ‘beam Renconze satus de Taal tn comtetefnéri, (Sine Gemaso-en-Laye, 3031 mats 2013), GAAP, 2014, p. 97-101, 4 atin Charon, «Les anima sacs», dae Frangoie Dunand et Roger Lichtenberg avec Is liberation Alan Carton i, p, 165300 (BSopaphp. 242-247. 5 Sue es armas ses t sacs ef, aus Poti F. Heian, The Animal World of hu Paros, Londres New York, Thames snd Hudson, 196 fee p. 9 et Dies Keser, Die bie Tem wad der Ken Wiesbaden, Harasowite Ved 198 “4 Date Cares 71, 2006/9 Lc ripen dikes esr anima ats dans FE ye pikimaigae auteurs geecs et latins®, L’objet de la présente communication est de mesurer la portée d'une source juridique démotique, P. Bern P. 23757 A recto, colonne 2, lignes 25-28. Sources littéraires gréco-romaines et analyse des momies Les sources littéraires grecque et latine convergent pour affirmer le respect absolu de la vie des animaux sacrés ou sacralisés. Diodore de Sicile (A, 83, 8-9) rapporte les conséquences du meurtre d'un chat par un visiteur romain, a une date que Ton peut fixer au début de la 180¢ olympiade, en 60/59 av. n.2. Le coupable fut mis 4 mort: «la foule (Egyprienne) se précipita vers la demeure du coupable et ai les magistrats envoyés pat le roi Dour le protéger ai la peur inspirée par Rome n’eurent assez de force pour empécher le chitiment de Phomme, bien que son acte ait été involontaite >”. Tl ajoute (1, 84, 2) que la protection religieuse pour les animaux est plus grande que pour la vie humaine : « On affirme en effet qu’un jour, sous la pression d'une famine, nombre d'Egyptiens portérent la main sur leurs semblables, poussés par le besoin, mais que pas un seul ne put étre accusé @avoir touché aux animaux sacrés». Cette mise 4 mort est conforme & ce aque disent d'autres sources gréco-romaines, Hérodote (2, 65) :» Si quelqu'un tue Tun de ces animaux, si c'est volontairement, sa punition est la mort; si c'est involontairement, il paie une amende telle que la fixent les prétres. Mais quicongue tue un ibis ou un faucon, volontairement ou involontairement, doit moutis 8. Cicéron, Tuscwlaner 5, 27, 78: « Qui ne connait Ia coutume des Egyptiens ? Ces gens dont esprit est imbu de superstitions bizarres affronteraient les pires tortures plut6t que de porter une main sacrilege sur tun ibis, un aspic, un chat, un chien, un crocodile, et méme s'il leur artivait pat mégarde de commettze rien de tel, il n’est point de chatiment quis ne econnaitraient égitime ». Le témoignage de Diodore ne peut guére étre mis ‘en doute. Crest le seul témoignage vivant qu'il apporte de son séjour © C& Dimi Meet, « Zoomrpieeimage des dca dans "Egypte ancien », Le Temp eds Rion ‘Gi (1005, p 1725, qu conse que Tapleur 6 «ete porté aux animaux vives.) marqute {ca xeptie da papas) peooadement es espers des orapeas cs eon»). Jan Qucgebrr, «Aspects ducal de Base en Expt gpéco-tomsne» Let Chad Pharer4000 7 odin, Caaleguc de Tespoiion (etre 1989 fener 199), roel, eitons de Ftine Royal der Sceaces Neteles de Belgigue, 1969, p, 28°31; ek Beard Legos, «Explsiences omaines dant le foynume lide sous Prolemée XI et Capice VII, J. Duboulox,S. Pita et (Crean (08), Lmperan Romana npr Pci, 26-28 novembre 2012, Besangon,Preses \SotUstene de Franche-Comté, leit des Scenes de FAnsqu 2014, p. 276 Heodoe ne mesioane pi les chats. CE. Typhsine Hai, L hale hai, mae pete gp deve 1 Pld, Pans, Les Belles Lets, 2008, p- 234-276, en past pam ret et Cals, 71, 2096) 45 Berard Lg Alexandrie. Mais ce qu’il nous donne & voir est un Iynchage, et non le sésultat d'une sanction judicaire, Les magistrats ont de fait cherché & protéger le ‘malheurcux Romain victime de la vindicte de la foule. Depuis les découvertes de Louis Lortet et C. Gaillard, dans le cadre de leurs travaux sur les animaux momifiés du Muséum d'histoire naturelle de Lyon’, on sait que des animaux sacralisés momifiés portent des traces de coups, de blessures et de mutilations ayant probablement entrainé une mort violente!®, Des crocodiles du site de Kom Ombo ont eu le museau amputé par un instrument tranchant ; des corps de rapaces découverts & Kom Ombo, a Touna el-Gebel ou & Giza portent des traces de coups qui sont sans doute la cause de leur mort ; des canidés d’Assiout portent les traces de strangulation ; une momie de veau du Musée da Louvre présente une fracture du crine probablement mortelle ; les chats du Boubasteion de Saqgara ont le plus souvent la téte fracturée ou le cou étranglé". Les analyses menées montrent que sur 53 monies de chats conservées au British ‘Museum, venues pour la plupart de Dendera et Abydos, la mort intervient principalement a deux ages, entre un et quatre mois, et entre neuf et douze ‘mois, ce qui indique clairement une mort prématurée!”, Aucun des 23 chats trouvés Balat, dans oasis de Dakhla, n’a dépassé deux ans! Les momies de jeunes ibis figurent également en grand nombre Abydos et Touna el- Gebel. Les causes de la mort ne peuvent pas toujours étre mises en évidence par Pétude des corps momifiés. L’asphysie des poissons sortis de Yeau ne haisse pas de trace. Le grand nombre d’ccufs de crocodile ou d'bis setrouvés haisse penser & des campagnes de « ramassage » qui portent un coup fatal la rnaissance des bébés crocodile ou ibis. L’étude synthétique menée par Alain Charron conclut qu’e il n'est pas absurde Padmettre une telle fin (violente), pour les animaux sacralisés uniquement » alors que «longtemps la notion Giune mort donnée volontaizement n’a pas été retenue, les études étant trop 9 Les remies soot dormais conserves dan le Made des Confvenes de Lyon. 10 E Lone et € Galle, «La fae more de Fanceane pee 1, Het HIV, Vo Ania oe mai ii nat eo 8,9 10,1803, OTe 10. 11 ‘Asn Chzson et Léonard Gin, «Les woes de chats» Ley Chat ds Pharr: 4000 ote init fis 20-26, CL nas Span once et Regs Lihteber, «Les hus dx Dubsateion de Sagara (Gaye): nowele Ende achéocouogyue ct Perpecires»J-Ph Braga J-Ph. Garden et A. Locker (et), Pitre dew tu aes as. Esti, Bidens Ate, Sprols (Antibes Jonnie Pi, 21-25 octobte 2010, Anti, édidoas APDCA, 2011, p. 230-251. Cl. wnt Alain CChactn, Let anima sat dan pence, Focton iat, acy, Tse BPE Sciences reigecres, 1996 12 Ph Aamiage & Jit Caton toc, «A Radbloge and Histol Invsption inn the Muiction lof Cas fom Ancet Egyp orale Aral Sone (191), p 185196 13 Léonard Gincbatg, «Fels linen batnss: les chats dv masabs TE de Bast», BIFAO 95 (1995), 250-260, 46 Drs t Ca, 71, 2016/1

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