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Antoine de Tarlé

Trump, le mensonge au pouvoir


Fabrication numérique : Le vent se lève...

Conception de la couverture : Marie Pellaton

Tous droits réservés


© Les Éditions de l’Atelier/Éditions Ouvrières,
Ivry-sur-Seine, 2020
www.editionsatelier.com
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ISBN : 978-270-825452-7
Sommaire

Introduction

Chapitre 1. Un paysage de la communication profondément bouleversé


Le triomphe de Fox News
L’offensive numérique des Républicains
Publicité politique : le rôle ambigu des plateformes numériques
Données personnelles et messages ciblés
Images truquées et informations falsifiées

Chapitre 2. Un système politique fragile


Un système électoral héritier de l’esclavage
Un système électoral favorable aux Républicains
Une Cour suprême puissante et conservatrice
Crise des institutions : la procédure d’impeachment
Une Amérique qui change lentement

Chapitre 3. Renverser Trump ? Les Démocrates à la veille du scrutin


Un parti démocrate divisé
La gauche démocrate
Les Démocrates centristes
Les Démocrates face à de multiples obstacles
L’illusoire procédure d’impeachment
L’avantage du camp centriste

Chapitre 4. Un électorat captif ?


L’exemple de la crise sanitaire
Un parti républicain muselé, un électorat sous le charme
Le facteur économique
La crise sanitaire : changement de la donne ?

Chapitre 5. Une démocratie en péril


Vers un pouvoir de forme totalitaire
La fin de la démocratie ?
Introduction

Dans son livre Truth in our Times{1}, David Mc Craw, l’avocat-conseil du prestigieux quotidien le New York Times revient sur la journée
fatidique du 8 novembre 2016 : jusque tard dans la soirée, la rédaction du journal pensait que l’élection d’Hilary Clinton était acquise. La une
était prévue : ce serait « Madam President ». Mais, au fil des heures, la Floride et les États du Middle West basculèrent en faveur du candidat
républicain. Le lendemain, le New York Times, qui comptait vendre des milliers d’exemplaires du journal devant son immeuble, comme lors de
l’élection historique d’Obama en 2008, constata que la rue restait déserte. Le pays venait de vivre un séisme politique que personne n’avait
prévu et entrait dans une ère nouvelle, lourde d’incertitudes.
L’analyse de ce scrutin hors du commun faisait apparaître d’étonnantes disparités, conséquence d’un système électoral à bout de souffle et
aussi du malaise d’une partie importante des votants. En effet, Donald Trump avait été élu en obtenant la majorité du collège électoral alors que
nationalement, il avait obtenu 3 millions de voix de moins qu’Hillary Clinton. Il n’avait réussi son opération qu’en l’emportant de justesse en
Pennsylvanie, dans le Wisconsin et le Michigan, des États de sensibilité plutôt démocrate mais où la désindustrialisation avait entraîné un
chômage important et la désaffection d’une population de blancs non diplômés et sans espoir d’un quelconque avenir professionnel.
La personnalité de Trump suscitait aussi de sérieuses interrogations. La campagne avait été marquée par la violence de ses attaques, non
seulement contre son adversaire démocrate, Hillary Clinton, qu’il accusait des pires méfaits, mais aussi contre ses concurrents républicains. Au
surplus, beaucoup, y compris chez les Républicains, s’interrogeaient sur ses compétences. Est-ce que ce promoteur immobilier de Brooklyn qui
était devenu une vedette de la téléréalité allait s’instruire rapidement des réalités de la vie politique, et surtout des affaires internationales, alors
que le pays était englué dans de multiples conflits en Afghanistan et au Moyen-Orient ? Un groupe d’anciens conseillers de Bush père et fils,
baptisé les Never Trump, en doutait fortement et ne se priva pas de le faire savoir.
La suite de l’histoire a montré que ces craintes étaient largement fondées. Trump n’a pas changé de comportement. Il a continué à agir avec
une extraordinaire agressivité, accentuant les divisions d’un pays fracturé par les oppositions entre communautés et souffrant d’inégalités de plus
en plus massives au point qu’on a pu parler de risques de guerre civile. Il a aussi montré sa capacité à tirer le meilleur parti de la révolution des
modes de communication amorcée dès la fin du siècle précèdent et qui a atteint son apogée sous sa présidence. Il est le premier hôte de la
Maison-Blanche à communiquer directement et plusieurs fois par jour avec les 76 millions d’abonnés de son compte Twitter. Par ailleurs, ses
messages publicitaires se multiplient sur Facebook, tandis que Fox News, la plus importante chaîne d’information du pays, assure sa
propagande en direction de millions de téléspectateurs dont elle est la seule source d’information.
Cet état de choses, qui est dans une large mesure la conséquence de la révolution numérique, pose une question majeure : est-ce que
l’arrivée de Trump n’est qu’un épisode fugace de la longue histoire politique des États-Unis, ou est-ce que le changement fondamental dans les
échanges entre les électeurs et les dirigeants, qui entraîne la marginalisation des corps intermédiaires, élus et médias traditionnels, ne va pas
déboucher sur un regain des courants populistes qui affecteront de manière durable la vie politique américaine et, par contagion, les principaux
pays européens ?
Autrement dit, qui seront les successeurs de Trump et dans quelle mesure son aventure va-t-elle encourager ses nombreux émules sur le reste
de la planète ?
Le présent essai n’a pas la prétention d’apporter une réponse définitive à ces questions. Il vise simplement à en poser les termes et à
souligner l’importance des enjeux. De ce point de vue, le scrutin de novembre 2020 ne constituera qu’une étape et ne devrait pas modifier
fondamentalement un paysage politique bouleversé par l’influence majeure et durable des réseaux sociaux. Pour sauver le pluralisme
démocratique en Amérique comme sur notre continent, il faudra mettre en place des solutions de long terme qu’on commence tout juste à
esquisser et qui devront prendre en compte une régulation de la révolution numérique dont la responsabilité est essentielle.
Chapitre 1
Un paysage de la communication profondément bouleversé

En octobre 2019, Nancy Pelosi, la présidente démocrate de la Chambre des représentants, a officiellement lancé une procédure
d’impeachment contre le président Donald Trump. Cette procédure, inscrite dans la Constitution du pays en 1787, visait à empêcher un
président d’adopter un comportement despotique contraire aux règles démocratiques de la jeune République américaine qui voulait se
distinguer de la pratique des souverains absolus de la lointaine Europe{2}. Elle ne fut utilisée qu’une fois au XIXe siècle, en 1868, contre le
président Johnson qui avait remplacé Lincoln après l’assassinat de celui-ci.
Au cours du dernier demi-siècle, deux tentatives d’impeachment ont été engagées. La plus récente, en 1999, a concerné le président
Clinton accusé d’avoir menti au sujet de sa relation avec Monica Lewinski, une jeune stagiaire de la Maison-Blanche. Cette opération menée
par une opposition républicaine qui n’avait pas accepté sa défaite à la présidentielle tourna court en raison notamment de l’absence de soutien
de l’opinion publique (seulement 33 % d’opinions favorables à l’impeachment) pour une affaire que celle-ci jugeait tout à fait secondaire par
rapport aux défis qu’affrontait le pays et que Clinton relevait avec succès.
Il en alla très différemment en 1974 pour la mise en accusation du président Nixon. L’enquête menée par le Sénat, à majorité démocrate,
portait sur un scandale majeur, l’affaire du Watergate. Des agents payés par l’entourage du président avaient pénétré la nuit dans des bureaux
du parti démocrate installés dans l’immeuble du Watergate à Washington, pour dérober des documents confidentiels sur les projets de
campagne de ce parti.
Après avoir longtemps nié les faits, Nixon fut contraint de démissionner pour éviter le vote, devenu inéluctable, de sa destitution par le Sénat,
seule instance habilitée à se prononcer.
On a souvent souligné que ce qui causa la perte du président, ce fut la défection des élus de son parti républicain. D’éminents sénateurs
considérèrent que l’intérêt national et la sauvegarde des institutions avaient plus d’importance que les intérêts partisans. Ils joignirent donc leurs
voix à celles de leurs collègues démocrates pour condamner Nixon, ce qui laissait prévoir que la majorité des deux tiers des sénateurs,
nécessaire pour confirmer la destitution de Nixon, serait atteinte.
Ce qu’on n’a pas perçu à l’époque et ce qui contraste avec la situation d’aujourd’hui, c’est le rôle majeur joué par les médias. Dans les
années 1970, l’information des citoyens reposait sur deux piliers, la presse quotidienne riche et puissante car très lue et trois grands réseaux
privés de télévision nationale, un peu l’équivalent des trois chaînes françaises de la même époque. Or ces médias, dans leur grande majorité,
étaient animés par des journalistes libéraux, au sens américain du terme, très marqués par le traumatisme de la guerre du Vietnam qui avait
profondément divisé le pays et venait de déboucher sur un échec retentissant de la puissance américaine. Au surplus, toutes les rédactions se
souvenaient de l’affaire des Pentagon Papers, la publication par le New York Times en 1971 d’une masse de documents émanant de
l’administration américaine et dévoilant les dessous de l’aventure vietnamienne. Cet événement avait été un succès majeur pour la liberté de la
presse mais avait aussi accru la méfiance du public à l’encontre d’un pouvoir accusé de mensonge et de dissimulation de la vérité. Cette
méfiance était alimentée par une grande confiance dans les médias. En 1974, 69 % des Américains considéraient que les médias rendaient
compte de l’actualité de manière complète et honnête{3}.
L’incarnation de cette orientation libérale et de cette volonté d’investigation fut le Washington Post qui, grâce à des fuites venant du FBI,
multiplia les révélations sur le scandale du Watergate, reprises ensuite par les autres journaux et les chaînes de télévision sans qu’aucun média
important vienne à la défense de Nixon. Il est certain que l’isolement médiatique de celui-ci joua un rôle décisif dans le comportement des élus
et dans sa décision de démissionner.
La procédure engagée par les Démocrates de la Chambre des représentants contre Donald Trump s’est déroulée dans un contexte
radicalement différent. Quoi qu’on puisse penser de la valeur juridique de cette action, point qui sera abordé au chapitre suivant, on doit au
préalable souligner que le paysage médiatique d’aujourd’hui n’a plus grand rapport avec la situation à l’époque de Nixon. Il est le résultat à la
fois des leçons tirées par les milieux conservateurs des tourmentes des années 1970 et de l’irruption des plateformes numériques. Depuis le
début des années 1980, la droite républicaine a cherché à établir un rapport de forces en sa faveur dans un monde médiatique qu’elle jugeait
abusivement dominé par une élite libérale de la côte Est. Cependant, une étape décisive ne fut franchie qu’en 1996, avec la création de la
chaîne d’information continue Fox News.

Le triomphe de Fox News

Jusqu’alors, ce type d’information télévisée était assuré dans une large mesure par CNN qui fut la première à proposer un service permanent
d’informations sur le petit écran. Cette situation ne convenait pas au géant des médias, Rupert Murdoch, propriétaire d’un empire de journaux
et de télévision s’étendant sur trois continents et trois pays – l’Australie, le Royaume Uni et les États-Unis. Il fit donc appel à Roger Ailes, un
grand professionnel de l’audiovisuel connu pour ses positions ultra-conservatrices, pour lancer un concurrent de CNN. Dès le début, Fox
News afficha sa franche hostilité aux Démocrates. Elle exploita à fond l’affaire Lewinski en 1998-1999 et soutint la candidature à la présidence
de George W. Bush en 2000. Pendant le double mandat d’Obama (2008-2016), elle mena une campagne incessante contre le président
soupçonné des pires manœuvres et se fit l’écho du mouvement du Tea Party qui menait notamment la guerre contre la réforme de l’assurance
santé, le programme phare d’Obama. Roger Ailes était particulièrement hostile à ce dernier et déclara en 2012 qu’il voulait faire élire un
président conforme à ses vœux. Il ne put empêcher la réélection d’Obama mais prit sa revanche quatre ans plus tard.
Cet activisme au service de la droite républicaine s’est révélé extrêmement payant. Au fil des années, la chaîne n’a cessé de progresser,
devenant la première en audience des trois chaînes d’information continue et devançant largement CNN dès 2002, avec en moyenne trois
millions de téléspectateurs, ce qui représente beaucoup plus en audience cumulée. On estime au surplus que l’audience du site de Fox News
sur les réseaux sociaux est trente fois plus élevée que son audience télévisée et vingt fois supérieure à celle de ses concurrents, CNN et le New
York Times{4}. Son chiffre d’affaires annuel de 3 milliards de dollars lui permet de dégager de substantiels bénéfices et donc d’être un des plus
beaux fleurons de l’empire Murdoch. Désormais, une fraction non négligeable de la population, notamment dans le Middle West et le Sud,
considère Fox News comme sa seule référence et lui voue une confiance absolue, en dépit ou peut-être à cause de sa parfaite indifférence aux
règles les plus élémentaires de la déontologie de l’information et de ses appels incessants à la colère et à la peur de ses téléspectateurs{5}.
Cependant l’élection de Donald Trump en novembre 2016 a constitué le triomphe et l’apogée de l’influence de Fox News. Pour
comprendre cette situation totalement nouvelle dans l’histoire des rapports entre le monde politique et les médias aux États-Unis, il faut
remonter aux années 1970. C’est à cette époque que Trump, un obscur promoteur immobilier de New York, fit la connaissance de Murdoch
qui venait d’acquérir le grand quotidien New York Post. Le journal consacra de nombreux papiers au personnage pittoresque qu’était Trump,
lui accordant une notoriété sans proportion avec sa puissance réelle. Depuis, les deux hommes ne cessèrent de se fréquenter. Aujourd’hui
encore, ils se téléphonent plusieurs fois par semaine. De même, Jared Kushner, l’omniprésent gendre du président, a noué des liens étroits avec
Murdoch qui le considère comme plus sensé que son beau-père.
Le lancement de Fox News fournit de nouvelles occasions à Trump de se faire connaître, sur le plan politique, non plus cette fois à New
York mais à l’échelle du pays. Il avait certes acquis une forme de célébrité en animant sur le réseau de la NBC, à partir de 2004, une émission
de téléréalité extrêmement populaire, « The Apprentice », dans laquelle il jouait le rôle d’un grand patron, recrutant ou congédiant des
candidats. L’audience atteignit certains jours 20 millions de téléspectateurs mais il s’agissait avant tout d’un programme de divertissement.
En 2011, Roger Ailes demanda à Trump d’intervenir régulièrement dans l’une des émissions les plus populaires de la chaîne, « Fox and
Friends ». Le futur président en profita pour développer avec un grand succès sa thèse, orchestrée par les complotistes d’extrême droite, selon
laquelle Obama n’était pas né en Amérique mais au Kenya. Le public de Fox News, populaire et frustré d’être traité avec dédain par la classe
dirigeante, fit de Trump son héros et adhéra à ses affirmations complotistes et outrancières. Comme le remarque un observateur : « Murdoch
n’a pas inventé Trump mais il a inventé son public. Murdoch a rendu possible l’existence de Trump. Cela a permis à celui-ci d’arriver, de
regarder tous ces gens et de déclarer : je vais être l’animateur de votre cirque{6}. »
Personne cependant n’avait prévu l’ampleur du rôle joué par Fox News à la Maison-Blanche à la suite de l’élection de Trump. Cela tient
tout d’abord au mode de fonctionnement de ce dernier. Il ne lit rien, ne consulte pas les dossiers que lui soumettent ses conseillers et réduit au
minimum les réunions de travail dans son bureau, le fameux bureau ovale. En revanche, il passe quatre à cinq heures par jour à regarder la
télévision, essentiellement Fox News dont les affirmations sont pour lui des guides politiques beaucoup plus fiables que tout ce que peut lui dire
son état-major.
Paradoxalement, le départ forcé en 2016 de Roger Ailes, accusé de harcèlement sexuel (il décédera en 2017) renforça la polarisation de la
chaîne au profit de Trump. En effet, le créateur de Fox News, en dépit de ses options partisanes, était soucieux de sauvegarder un minimum de
pluralisme. Il veillait notamment à ce que ses collaborateurs ne se compromettent pas trop ouvertement avec le président. Après lui, toutes les
barrières sautèrent. La voie était libre pour le mentor de Trump, Sean Hannity, qui animait (et anime toujours) une émission quotidienne en fin de
journée. Fidèle soutien du président, celui-ci n’a pas hésité à apparaître dans la tribune d’un meeting électoral à l’occasion des midterms de
novembre 2018. Il parle au téléphone avec Trump presque chaque soir, devenant selon certains collaborateurs de la Maison-Blanche, qui ne
l’apprécient guère, le chef d’état-major officieux du président.
Cette relation entre les deux hommes a entraîné un profond malaise chez les journalistes de la chaîne, soucieux de faire leur travail
correctement et de critiquer le cas échéant la Maison-Blanche. Néanmoins, le mode de fonctionnement d’Hannity n’est pas isolé. D’autres
animateurs de Fox News n’hésitent pas à participer à des discussions politiques avec l’hôte de la Maison-Blanche qui les consulte par
téléphone au cours de réunions dans son bureau présidentiel, à la consternation de ses conseillers officiels dont l’expertise est une fois de plus
remise en cause.
La chaîne a joué un rôle encore plus décisif en fournissant au président un certain nombre de ses collaborateurs, qui ont été recrutés à la
Maison-Blanche uniquement parce qu’ils intervenaient régulièrement sur Fox News et que le président appréciait leurs prestations télévisées.
Ce fut le cas notamment de Bill Shine, un des dirigeants de la chaîne et un ami intime de Sean Hannity, devenu en 2018 responsable de la
communication de la Présidence, mais aussi de John Bolton, commentateur de Fox News, nommé conseiller diplomatique, et de Ben Carson,
autre commentateur devenu ministre du Logement. De même, Kimberley Guilfoyle, une collaboratrice de la chaîne, fait partie aujourd’hui de
l’équipe de campagne de 2020. À l’inverse, plusieurs conseillers de la Maison-Blanche ont été recrutés par Fox, confirmant une symbiose sans
précédent entre un opérateur audiovisuel et l’équipe d’un des hommes les plus puissants de la planète.
Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que Fox News ait, à travers ses éditorialistes, pris fait et cause pour Trump dans la procédure
d’impeachment. Comme le constatait déjà il y a quelques mois Jerry Taylor, responsable d’un centre de recherches de Washington, le
Niskanen Center : « Dans un monde imaginaire où Fox News n’existerait pas, si le président Trump était violemment mis en cause par le
rapport Mueller, c’en serait fini de lui. Or, grâce à Fox News, qui le protège vis-à-vis de sa base républicaine, il peut s’en sortir car il dispose
de quelque chose dont aucun de ses prédécesseurs n’a bénéficié : un service servile de propagande{7}. »
Il est évident que ce raisonnement qui se référait à la publication du fameux rapport Mueller, le document élaboré par une équipe
indépendante de juristes pour faire le point sur l’influence des services russes sur la présidentielle de 2016, est tout aussi valable pour la récente
procédure d’impeachment. John Dean, l’ancien conseiller de Nixon à l’époque du Watergate le confirme : « Nixon aurait pu s’en sortir s’il y
avait eu Fox News{8}. »
On a évoqué à maintes reprises la possibilité pour Fox News d’évoluer en douceur pour adopter un comportement plus conforme à celui
d’un moyen d’information professionnel dans une société démocratique. Il semble que Lachlan Murdoch, le fils de Rupert Murdoch, y ait pensé
après les départs de Roger Ailes et de Bill Shine. Toutefois, ces velléités n’ont pas eu de suite.
En effet, Fox News n’a pas intérêt à indisposer un public fidèle qui lui rapporte d’énormes recettes publicitaires et qui attend avec impatience
les imprécations quotidiennes de Sean Hannity ou de Jeanine Pirro, une autre fidèle du président. Au surplus, celui-ci est extrêmement vigilant
sur le respect par la chaîne de sa ligne politique. Lorsque celle-ci a mentionné des sondages montrant qu’une majorité des électeurs était
favorable à la procédure d’impeachment, Trump l’a attaquée furieusement par une rafale de tweets. Il joue aussi non sans un plaisir pervers sur
la concurrence. Il ne tarit pas d’éloges sur le réseau OANN (One America News Network), qui a moins d’audience, mais qui fait preuve à son
égard d’une flagornerie sans limites{9}. Ainsi, Trump dépend politiquement de Fox News, mais celle-ci dépend économiquement du président
qui lui garantit son public. Ce qui est nouveau dans l’histoire des médias, c’est l’évolution d’une chaîne d’information conservatrice qui s’est
transformée en porte-voix du président, ce qui, selon la formule prudente de Joe Peyronnin, ancien directeur de Fox, « est très malsain ».
Les études d’opinion montrent très clairement qu’on assiste à une forme d’osmose entre Trump, Fox News et le parti républicain. 65 % des
électeurs républicains déclarent que la chaîne est le média en qui ils ont le plus confiance et 60 % disent l’avoir regardée la semaine
précédente{10}. Par comparaison, la chaîne d’information que les électeurs démocrates regardent le plus est CNN, qui est la bête noire du
président. D’une manière plus générale, on constate que les sources d’information des électeurs républicains sont beaucoup plus limitées que
celles des électeurs indépendants et démocrates, ce qui renforce le sentiment d’isolement des partisans de Trump qui se comportent comme les
combattants d’une forteresse assiégée.
Ce qui a cependant bouleversé encore plus le paysage médiatique par rapport à la lointaine période où Nixon se battait pour sauver sa
présidence, c’est l’irruption massive du numérique dans les circuits de l’information{11}. Cela a changé de manière irréversible le fonctionnement
du monde politique et a fourni aux équipes de Trump des moyens d’influence qui étaient inimaginables il y a encore vingt ans.

L’offensive numérique des Républicains

La puissance des acteurs du numérique a été d’autant plus marquante que, parallèlement, la presse écrite s’est effondrée. Ses recettes
publicitaires ont baissé des deux tiers en dix ans sous l’effet de la concurrence des offres d’Internet. Les jeunes ont cessé d’acheter des
journaux et ont pris l’habitude de s’informer sur le Web. Cette crise a été particulièrement grave pour la presse régionale qui a vu son public
s’évanouir. En conséquence, de nombreuses villes américaines, petites ou moyennes, n’ont plus de journal. On estime que 200 comtés sur
3 000 sont dans cette situation. Les titres existants ont fortement réduit les équipes rédactionnelles puisque les effectifs de la presse régionale
sont passés de 70 000 à 40 000 entre 2008 et 2018. Le résultat est que l’actualité locale n’est plus suivie correctement, ce qui a d’évidentes
conséquences politiques{12}. Beaucoup d’élus, gouverneurs ou maires agissent désormais sans le contrôle civique d’une presse vigilante. Il
s’ensuit que le taux d’abstention lors des scrutins locaux est beaucoup plus élevé dans les zones où il n’existe plus de journaux. De ce fait, les
électeurs sont de plus en plus dépendants des réseaux nationaux, TV ou numériques, qui leur imposent leur propre problématique, c’est-à-dire
une information uniquement nationale insistant sur des débats polémiques qui alimentent l’inquiétude des citoyens.
Non seulement les plateformes numériques servent d’instruments utiles dans une campagne électorale difficile, mais elles favorisent aussi, plus
généralement, l’apparition d’un mode entièrement nouveau de gouvernement.
La campagne des présidentielles de 2016 a été auscultée de manière minutieuse par des travaux universitaires, des rapports des commissions
compétentes de la Chambre des représentants et du Sénat et surtout par le rapport Mueller{13}.
Ces différentes études ont montré la convergence des démarches entre les équipes du candidat Trump et diverses officines russes, dont la
plus connue est l’Internet Research Agency, basée à Saint-Pétersbourg. En utilisant à grande échelle les données des réseaux sociaux et surtout
de Facebook, de discrets opérateurs ont envoyé des centaines de milliers de messages ciblés à des électeurs susceptibles soit de voter pour
Trump, soit, s’ils lui étaient hostiles, de s’abstenir au lieu de voter démocrate. Le conseiller de Trump, Steve Bannon, fit notamment appel aux
services de la société Cambridge Analytica qui avait réussi à capter les données personnelles de 87 millions d’usagers de Facebook{14}. On
s’interroge encore sur l’influence réelle de ces manipulations, mais on peut penser qu’elles ont joué un rôle décisif dans des États comme la
Pennsylvanie ou le Michigan, où Trump ne l’a emporté que de quelques milliers de voix.
Cette offensive de l’équipe électorale de Trump sur les plateformes numériques en 2016 contrastait avec la relative négligence des
communicants d’Hillary Clinton. Une étude récente précise que la campagne de Trump avait investi 31 % de son budget dans le numérique
contre 6 % pour celle de Clinton{15}. C’est ainsi qu’en 2016, la bataille du numérique a été gagnée par l’équipe de campagne de Trump avec
des conséquences majeures sur l’issue du scrutin.
Parallèlement, des fausses nouvelles ont aussi été mises en circulation sans qu’on arrive toujours à en détecter l’origine. L’un des cas les plus
célèbres est l’information diffusée sur Facebook, quelques jours avant le scrutin présidentiel, selon laquelle le pape appelait à voter pour Trump.
Plusieurs millions d’électeurs eurent accès à cette fake news.
Une fois élu, Trump a poursuivi une politique de communication atypique mais très efficace. Il a choisi d’informer ses électeurs par son
compte Twitter, suivi par 76 millions d’abonnés. Tôt le matin, tard le soir, après l’émission d’Hannity, il envoie une multitude de messages. Leur
contenu est très révélateur des préoccupations d’un homme qui souffre manifestement d’un sentiment d’insécurité, mais qui sait aussi faire
preuve d’une grande efficacité pour mobiliser son électorat avec des affirmations simplistes et erronées, qui correspondent à l’attente de millions
d’individus dont il comprend les préoccupations.
Ce qui frappe dans ces tweets, c’est leur violence et leur volonté de diviser profondément la population entre « eux » et « nous ». Eux, ce
sont les médias traditionnels, qui ne cessent de mentir et de calomnier le président à coup de fake news ; le New York Times, le Washington
Post et CNN sont les cibles privilégiées. Ce sont, de même, les Démocrates, adeptes de chasse aux sorcières et du lynchage de l’infortuné
Donald Trump. Ce sont parfois aussi des Républicains qui osent émettre des critiques, tels que Mitt Romney, le sénateur de l’Utah, coupable
d’avoir voté au Sénat la destitution du président. Ce sont enfin les hauts fonctionnaires qui ont osé témoigner devant les commissions
parlementaires et qui sont des « traîtres », des « espions », des « pourris ».
Ajoutons que ces tweets vengeurs sont repris par une multitude de sites extrémistes comme QAnon, ou par des trolls russes qui profitent de
l’audience du compte du président pour aller encore plus loin dans l’injure et la provocation racistes, quitte à être eux-mêmes repris ensuite par
Trump qui les retweete et leur donne une notoriété mondiale. On assiste à une redoutable dialectique nourrie par la surenchère et dont les effets
peuvent être dévastateurs.
La journaliste Susan Glasser a examiné la production de tweets de Trump sur un même mois (en l’occurrence, le mois d’août), chaque
année{16}. Elle constate que le nombre de tweets ne cesse de progresser au fil des années : 287 tweets en août 2017, 680 en août 2019, et il
est certain que cette inflation s’est poursuivie depuis. De même, le ton, déjà violent deux ans plus tôt, est devenu encore plus agressif et les
cibles de la fureur présidentielle encore plus nombreuses. La journaliste a compté pour ce mois d’août 2019 cinquante-deux attaques directes,
surtout envers des journalistes de CNN ou de MSNBC, la chaîne libérale, mais aussi envers des politiques, notamment Joe Biden, le
dangereux candidat démocrate à la présidentielle, et envers la Réserve fédérale incarnée par son président, Jérôme Powell, accusé de ne pas
stimuler assez l’économie.
Plus généralement, et sans entrer dans les détails, Trump met en cause les « Corrupt and Fake News », un leitmotiv qui remonte à la
campagne de 2016 mais qui n’a cessé de s’amplifier, et qui donne une coloration fasciste à ses propos. Les dictateurs des années 1930,
experts en propagande, ne cessaient en effet d’accuser la presse des pays démocratiques de falsifications et de mensonges. Il est frappant de
retrouver la même démarche et les mêmes formules chez un président qui est à la tête d’une grande démocratie. L’impact sur l’opinion est
notable. La confiance dans les médias ne cesse de baisser, surtout dans l’électorat républicain, qui adhère aveuglément aux diatribes du
président.
Depuis ce mois d’août 2019, la vague des tweets a continué à être de plus en plus violente et de plus en plus ample. La procédure
d’impeachment a déclenché des rafales de déclarations, quelquefois quinze ou vingt en trente minutes. On estime que 500 tweets ont été
envoyés au cours des deux premières semaines d’octobre 2019. Dans une étude plus récente, le New York Times constate que Trump a
tweeté 11 000 fois entre janvier 2016 et octobre 2019{17}.
Cette gestion totalement nouvelle de la communication d’un président en direction des électeurs court-circuite les médias traditionnels et
permet à celui-ci d’éviter les conférences de presse classiques ou les entretiens télévisés, à l’exception de quelques échanges sur Fox News. Le
résultat est loin d’être défavorable à Donald Trump. Comme l’ont constaté avec dépit les grands quotidiens de la côte Est, les tweets du
président lancés en début de matinée ou en fin de soirée dominent l’actualité. Journaux et chaînes de télévision sont obligés de les citer et de les
commenter puisqu’ils annoncent des décisions ou des condamnations qui influencent de manière décisive la vie publique. En face, l’opposition
démocrate peine à se faire entendre. Les déclarations de ses dirigeants et des candidats à la présidentielle sont noyées dans le bruit et la fureur
venant de la Maison-Blanche. La couverture de la crise du coronavirus en offre un exemple parfait : tout au long de la crise, les messages de
Trump ont totalement dominé l’actualité sur le sujet.
Cette situation avait déjà suscité de nombreuses critiques à l’encontre des médias pendant la campagne électorale de 2016. On avait
reproché aux chaînes et, curieusement, à CNN, pourtant peu favorable au candidat républicain, d’accorder trop de place aux multiples
interventions et tweets du candidat Trump, au détriment de son adversaire, Hillary Clinton. Il était incontestable déjà que le promoteur de
Brooklyn, héros pendant dix ans de l’émission de téléréalité « The Apprentice » était à même d’attirer plus d’audience que la froide Hillary.
Depuis, rien n’a changé. Les chaînes, de même que Facebook, ont besoin de capter le maximum de public pour alimenter leur seule
ressource, la publicité. Or, toutes les études montrent que ce sont les propos les plus outranciers et les fausses nouvelles les plus extravagantes
qui remportent le plus de succès, surtout dans le public enclin à voter Trump, une population blanche peu diplômée et aux revenus modestes,
qui n’a ni les moyens, ni le désir de diversifier ses sources d’information et va donc vers les supports qui apportent les nouvelles les plus
excitantes et les plus conformes à ses préjugés.
La montée en puissance des excès de langage de Trump aurait dû, théoriquement, entraîner une désaffection du public. La réalité est plus
nuancée. Comme le souligne la sociologue Elisabeth Spiers, il s’est produit un phénomène d’accoutumance. Ce qui paraissait inacceptable en
2016 est devenu une simple routine en 2020{18}. Du coup, les réactions à ses comportements les plus discutables sont assez molles. Spiers cite
une série de sondages qui montrent qu’en 2016, 44 % des sondés considéraient que son comportement vis-à-vis des femmes le disqualifiait
comme président. En 2019, ce pourcentage était tombé à 40 %.
On assiste donc à une évolution qui modifie radicalement le paysage politique. Non seulement l’électorat de base du président, environ 40 %
de la population, accueille avec enthousiasme ses diatribes meurtrières, mais le reste de l’électorat semble blasé et n’est plus vraiment choqué
par ses outrances. Des propos qui auraient disqualifié ses prédécesseurs, George W. Bush et Obama, n’ont aucune conséquence sur l’image
publique du président. Au contraire, ces attaques contre les médias traditionnels ont eu un profond impact sur l’opinion. Aujourd’hui, seuls
41 % des électeurs font confiance aux médias, mais seulement 15 % des électeurs républicains. On est loin des scores de confiance enregistrés
dans les années 1970.
Ainsi, la décision de Trump de communiquer directement avec ses 76 millions d’abonnés à son compte Twitter lui permet de garder un
contact permanent avec ses électeurs, qui dominent désormais totalement les primaires du parti républicain (au détriment des responsables
locaux du parti), et d’habituer le public à un langage violent et injurieux qu’aucun de ses prédécesseurs n’aurait osé employer. Il n’est cependant
pas aisé d’évaluer avec précision la composition de cette masse énorme d’abonnés. D’après l’étude du New York Times, 22 millions d’entre
eux, soit près d’un tiers, ne sont pas identifiables et sont donc pour une part des machines. Seuls 11 millions sont des électeurs, soit 4 % du
corps électoral américain{19}. Ce sont pourtant des chiffres qui restent impressionnants et qui montrent la puissance de ce mode de
communication.

Publicité politique :
le rôle ambigu des plateformes numériques

Au demeurant, la méthode de l’hôte de la Maison-Blanche constitue un exemple que beaucoup d’autocrates de la planète observent avec
attention et s’efforcent d’imiter.
De ce fait, la campagne des présidentielles de 2020 prend une tournure totalement inédite, même par rapport à 2016. Comme il n’y a pas de
primaires du côté républicain, Trump a toute liberté pour utiliser de vastes ressources financières, dans un pays où, contrairement à la France, la
publicité politique est autorisée. Alors que les Démocrates ont continué à s’affronter jusqu’en avril 2020 dans une série de primaires, ce qui
limite leur capacité à s’attaquer au président, celui-ci n’a pas de concurrents dans son parti et peut consacrer la totalité de ses moyens à
défendre ses actions et ridiculiser ses adversaires.
Une longue étude du New York Times décrit l’offensive numérique menée par l’équipe électorale de Trump{20}. Sa stratégie repose sur deux
constatations : d’une part, Facebook et, dans une moindre mesure, YouTube représentent le meilleur moyen de toucher les électeurs, compte
tenu de l’évolution démographique des usagers. Alors que les jeunes adhèrent massivement à Instagram et aux messageries telles que
What’sApp, les personnes plus âgées, qui votent plutôt républicain, sont de plus en plus attachées à Facebook. D’autre part, les messages qui
ont le plus d’impact sont les plus agressifs. L’état-major de Trump n’a pas peur de diviser en mettant violemment en cause, tous les jours, les
migrants criminels et les journaux diffuseurs de mensonges et de fausses nouvelles. Enfin, comme l’argent coule à flots, il n’hésite pas à investir
encore plus quand c’est nécessaire. Le New York Times observe que la semaine où la procédure d’impeachment a été annoncée, 2,3 millions
de dollars ont été consacrés à l’achat de publicité sur Facebook.
D’autres messages proposent d’acheter par correspondance des objets ou T-shirts à la gloire du président. Cela présente le double avantage
de faire rentrer des fonds et d’obtenir l’adresse e-mail de millions d’électeurs qu’on pourra contacter par la suite.
Le dynamisme de la stratégie digitale de l’équipe électorale du président contraste avec la prudence des Démocrates. Ceux-ci investissent
beaucoup moins dans la publicité digitale et préfèrent envoyer des messages lénifiants, par crainte de vexer les électeurs centristes, oubliant
cette réalité soulignée par Elisabeth Spiers dans le même article du New York Times que ce qui intéresse et stimule les usagers du web, c’est
l’agressivité et la violence. Il est donc inutile de communiquer si cette communication n’intéresse pas grand monde en raison de sa tiédeur et de
son refus de la controverse. Au surplus, dans le climat conflictuel des primaires, l’équipe de Sanders, très active sur les plateformes, a été
surtout agressive à l’encontre de Biden et de ses partisans qui ont fait l’objet de milliers de messages accusateurs. En dépit du retrait du
sénateur du Vermont, ces attaques animées par des partisans déçus ont continué.
Les Démocrates se sont aussi engagés dans une bataille perdue d’avance sur la teneur de la publicité politique. Auditionné en octobre 2019
par le Congrès, Mark Zuckerberg a affirmé une fois de plus, en réponse aux questions de la députée du Bronx, la redoutable Alexandria
Ocasio-Cortez, qu’il n’était pas question de censurer les publicités politiques. L’objet du débat était un message publicitaire diffusé sur
Facebook par l’équipe électorale de Trump et vu par quatre millions de personnes. Il affirmait, contre toute évidence, que Joe Biden, à
l’époque où il était vice-président d’Obama, avait versé un milliard de dollars aux autorités ukrainiennes pour épargner des poursuites à son fils
Hunter, administrateur d’un important groupe industriel ukrainien. Cette publicité mensongère avait été rejetée par plusieurs chaînes de télévision
mais acceptée par Facebook.
L’argumentation de Zuckerberg, présentée aussi dans le cadre d’une conférence à l’université de Georgetown, consistait à affirmer que sa
plateforme n’avait pas le droit d’interdire des prises de position d’hommes politiques même si elles étaient fausses. Selon lui, il appartenait aux
internautes de s’informer et de faire le tri entre le vrai et le faux alors que la plateforme devait se contenter de diffuser les messages sans
s’interroger sur leur véracité{21}. Pour Zuckerberg, il n’est pas question de censurer les hommes politiques. Sa plateforme n’est pas un média et
n’a pas de légitimité pour agir de la sorte. Il a ainsi clairement confirmé sa décision d’appliquer pour cette forme de publicité les mêmes règles
qu’en 2016, ce qui laisse une large marge de manœuvre pour les attaques personnelles de candidats contre leurs adversaires. Une fois de plus,
Facebook domine la campagne électorale de 2020 mais ne manifeste pas la moindre velléité de l’assainir.
Il convient de rappeler que cette prise de position a été fortement contestée, y compris en interne, dans l’entreprise. Elle repose en effet sur
la discutable affirmation que Facebook ne joue qu’un simple rôle de diffuseur alors que, par la conception de ses algorithmes et le rôle de ses
30 000 médiateurs, il intervient en permanence sur le contenu de ce qu’il transmet. Comme le remarque Andrew Marantz : « Facebook
n’a jamais été une plateforme neutre. C’est une entreprise dont l’économie dépend de l’exploitation de ses usagers, de la modification et de la
manipulation de leur comportement, de la vente de leur attention à l’acheteur qui surenchérit le plus{22}. »
Pourquoi, dans ces conditions, faire une exception pour la publicité politique ? La réponse est double. Ce type de publicité est rentable. En
2016, Trump et Clinton ont dépensé 83 millions de dollars sur Facebook, et il est certain que ce chiffre sera largement dépassé et s’élèvera à
des centaines de millions en 2020, compte tenu des budgets dont dispose l’équipe de Trump, et des fonds colossaux investis par le milliardaire
Michael Bloomberg pour sa propre campagne. Par ailleurs, le souci de Mark Zuckerberg est de ménager ses relations avec l’occupant de la
Maison-Blanche dont le pouvoir de nuisance est considérable. Censurer ses messages pourrait déclencher non seulement des attaques verbales
mais aussi un encouragement aux autorités judiciaires qui examinent en ce moment le possible abus de position dominante du géant du
numérique. Ce n’est d’ailleurs pas une simple coïncidence si les dirigeants de Facebook ont multiplié, ces derniers mois, les contacts avec les
élus les plus conservateurs et ont accepté d’inclure le très droitier site Breitbart News dans leur projet de soutien aux médias, alors que ce site
n’hésite pas à diffuser des informations fausses ou biaisées. Zuckerberg a d’ailleurs admis avoir directement évoqué ces questions avec le
président.
Toutefois, les deux autres grands supports de publicité politique, Twitter et Google avec sa filiale YouTube, ont adopté une position
différente. Leurs responsables ont affirmé qu’ils n’étaient pas disposés à accepter n’importe quoi. Twitter est allé encore plus loin puisqu’il a
décidé de ne plus accepter de publicité politique.
La démarche de Google est particulièrement intéressante car elle s’attaque aux bases mêmes de ce type d’action sur les réseaux sociaux,
c’est-à-dire aux publicités étroitement ciblées qui visent des publics limités mais bien cernés, ce que Facebook, qui regorge de données sur ses
usagers, sait si bien faire : Google et YouTube vont désormais autoriser comme seuls critères de ciblage l’âge, le sexe et la localisation. Plus
question de tenir compte des orientations politiques des internautes telles qu’elles peuvent apparaître dans les données sur les sites qu’ils
consultent habituellement{23}.
Cette décision du géant du numérique a, paradoxalement, suscité des réactions très négatives d’un certain nombre de conseillers en stratégie
éléctorale, Démocrates comme Républicains. Ces derniers estiment qu’il est essentiel, pour toucher les électeurs, et notamment les
abstentionnistes, d’utiliser toutes les données disponibles. Ils font valoir que l’organisation des campagnes électorales a radicalement changé
depuis dix ans avec l’usage systématique des réseaux sociaux et l’exploitation des centaines d’informations dont on dispose sur chaque individu,
et qui permettent de leur envoyer des messages ciblés afin d’obtenir leur vote.
Faut-il aligner le fonctionnement d’Internet sur celui des médias traditionnels, presse et télévision, qui n’ont évidemment pas les moyens de
cibler les électeurs ? C’est ce qu’affirment les responsables de Google. C’est ce que contestent les conseillers en communication des partis et
Facebook. On notera au passage la divergence entre les élus démocrates du Congrès, qui ont publiquement critiqué Mark Zuckerberg pour
son soutien à la publicité politique, et les responsables de la communication du même parti démocrate qui défendent ce type de publicité ciblée
en raison de son efficacité.

Données personnelles et messages ciblés

Il faut aussi souligner que les techniques de ciblage ont beaucoup évolué depuis 2016, dépassant les pires cauchemars d’Orwell dans sa
description du meilleur des mondes. Désormais, les smartphones sont devenus un instrument majeur de repérage des futurs électeurs. On peut
maintenant capter, grâce aux signaux émis par ces appareils à l’insu de leurs propriétaires, plusieurs éléments d’information sur les personnes
qui assistent à des meetings électoraux. À partir de ces données de base, il est facile de faire appel à des entreprises spécialisées, des data
brokers, qui récoltent des centaines de données par individu, grâce notamment à Facebook, et les revendent au plus offrant. Au terme de cette
opération, les communicants disposent de dossiers très complets sur tous les sympathisants du candidat. Ils connaissent toutes leurs habitudes,
les lieux publics qu’ils fréquentent, les amis à qui ils parlent, leur vie familiale et même leurs préférences politiques estimées grâce aux sites qu’ils
consultent. Cela permet ensuite de leur adresser des messages très personnalisés et donc particulièrement crédibles{24}.
Dans son analyse de ce nouveau phénomène, Thomas Edsall cite le témoignage de Brad Parscale, le responsable de la campagne de Trump
pour 2020 après avoir dirigé avec succès la stratégie numérique du candidat en 2016. Celui-ci explique que lors d’un meeting en janvier 2020 à
Milwaukee dans le Wisconsin, un État clé, son équipe a pu identifier 20 000 électeurs potentiels grâce aux mobiles. Sur ce total, 57 % n’étaient
pas des électeurs habituels du parti républicain et 4 400 n’avaient pas voté en 2016. On imagine aisément le type de messages qu’on peut
adresser à ces recrues encore hésitantes mais intéressées par le candidat Trump. Dans ce cas, il n’est même plus nécessaire de payer une
publicité sur Facebook. Il est beaucoup plus efficace d’adresser directement un message s’appuyant sur divers éléments de sa vie privée pour
convaincre du bon choix la cible qu’on touchera par l’intermédiaire de tous les supports numériques qu’il possède.
Un portrait dans le New Yorker de Brad Parscale, un géant rouquin et barbu à l’aplomb inaltérable, permet de mieux cerner la personnalité
de ce personnage clé de la campagne de 2020{25}. Celui-ci n’était pas au départ un professionnel de la politique. C’est par un concours fortuit
de circonstances que ce grand professionnel du marketing digital est devenu l’atout maître de l’équipe de Donald Trump. En 2016, il appliqua
pour une campagne politique les recettes utilisées pour ses opérations commerciales, c’est-à-dire l’utilisation massive des données de
Facebook pour cibler les électeurs et leur adresser les messages adéquats. Il envoya 5,9 millions de messages publicitaires sur Facebook tandis
que 66 000 seulement étaient envoyés durant la campagne d’Hillary Clinton qui n’avait manifestement pas pris la mesure des bouleversements
des modes de communication.
En 2020, il est manifestement décidé à utiliser les mêmes méthodes en profitant du fait qu’il n’y a aucune réglementation officielle des
campagnes électorales sur les réseaux sociaux, et donc qu’à peu près tout est permis, comme c’est le cas pour les opérations purement
commerciales qui ont montré la voie dans l’exploitation des données personnelles de Facebook.
Pour améliorer encore l’efficacité de ses opérations, Parscale, qui travaille en liaison étroite avec Jared Kushner, le gendre du président, a
centralisé la collecte de fonds et l’exploitation des données autour d’une nouvelle société, WinRed, qui bénéficie de beaucoup plus de liberté
d’action que les instances officielles du parti républicain et qui a évincé d’autres organismes de collecte comme celui qu’anime la famille Koch,
ce richissime bailleur de fonds de la droite républicaine qui présente le défaut majeur de ne pas être un inconditionnel du président. Désormais
tout est contrôlé par les proches de Trump qui conforte ainsi sa totale prise en main du parti républicain. Win Red étant une société privée, elle
échappe aux réglementations qui pèsent sur les organisations politiques. C’est aussi une affaire fructueuse qui bénéficie de l’énorme budget de
campagne de Trump. La propre société de Parscale associée à Win Red a touché 35 millions de dollars de rémunérations depuis 2017.
Par comparaison, l’adversaire démocrate a été paralysé, nous l’avons vu, par d’interminables primaires, ce qui l’empêche de bâtir une
stratégie numérique efficace contre la candidature de Trump. Parscale ne cache pas son opinion selon laquelle le retard pris par les Démocrates
est rédhibitoire et ne leur donne aucune chance de gagner en novembre.
La crise du coronavirus complique encore plus la politique de communication du camp démocrate mais n’en change pas fondamentalement
les données. Comme on l’a souligné précédemment, dans ces périodes d’épreuve nationale majeure, le président, qui bénéficie déjà de
l’avantage de parler de la Maison-Blanche, peut profiter pleinement de son rôle de « chef de guerre » pour imposer ses messages. Son
intervention quotidienne à la télévision, au cours de laquelle il apparaît comme le grand ordonnateur de la campagne contre la pandémie,
entouré de ses collaborateurs, rassemble une audience considérable et conforte ses partisans. Ceux-ci sont apparemment insensibles à
ses changements brutaux de décision et à ses propos contradictoires sur la réalité et la maîtrise de la pandémie. Pour eux, le chef a toujours
raison.
Il tire parti au surplus du fait que le candidat des Démocrates, Joe Biden, peine avec son équipe à investir massivement dans le numérique
pour exister dans cette crise majeure. Les chiffres sont accablants : Biden a 4,6 millions d’abonnés à son compte Twitter contre 76 millions
pour Trump. Il en a 1,7 million sur sa page Facebook contre 28 millions pour le président. Il n’est pas étonnant que ses interventions sur la
pandémie soient peu perçues par le public.
Face à ce nouveau défi qui menace leur crédibilité, et même, pour certains, leur survie, les médias traditionnels essayent de réagir pour
revenir à une couverture normale de l’actualité alors qu’ils n’ont pas su résister ces dernières années à l’emprise fatale de Trump sur
l’information. Dans un éditorial retentissant, Margaret Sullivan, la journaliste en charge des médias pour le Washington Post, rappelle leurs
échecs et les conjure d’adopter une vision équilibrée en soulignant par des enquêtes approfondies les erreurs et les mensonges du président{26}.
Mais la communication politique en 2020 ne s’appuie pas que sur l’exploitation des données personnelles ou sur les tweets présidentiels. Elle
exploite aussi largement la diffusion massive d’informations inexactes ou falsifiées. De ce point de vue, la grande inquiétude des observateurs
porte sur l’efficacité croissante de la modification des images qui sont des instruments d’influence bien plus efficaces que des textes qu’on
parcourt trop rapidement.

Images truquées et informations falsifiées

Paul Barrett, enseignant au Center for Business and Human Rights de l’Université de New York, a publié un rapport exhaustif sur les
menaces pesant sur l’élection de 2020{27}. Dans ce document, il insiste particulièrement sur des risques qui étaient sous-estimés ou peu
apparents en 2016.
Il met en premier lieu l’accent sur l’exploitation de certains réseaux sociaux qui étaient négligés il y a quatre ans. Il s’agit d’abord de
What’sApp, la messagerie filiale de Facebook, immensément populaire et relativement protégée des observateurs extérieurs en raison d’un
cryptage efficace. Or cette messagerie sert de moyen de communication et de diffusion d’informations dans de nombreux pays émergeants,
notamment l’Inde, le Brésil, le Liban et une grande partie de l’Afrique. En Inde, les accusations portées sur des boucles What’sApp contre des
représentants de la communauté musulmane ont débouché sur de véritables massacres. Au Brésil, la dernière campagne présidentielle s’est
entièrement déroulée sur What’sApp. Il est à craindre que ces exemples inspirent des manipulateurs américains pour faire passer de fausses
informations, à l’abri du cryptage. On estime déjà que 10 % de la population s’informe à travers des boucles de la messagerie.
L’autre filiale de Facebook, Instagram, joue un rôle croissant. Son audience est forte auprès des jeunes avides de vidéos, et on s’est aperçu
qu’au-delà de son rôle ludique, la plateforme servait de plus en plus à diffuser des fausses informations, d’autant plus efficaces qu’elles
pouvaient utiliser des images truquées, faisant dire par exemple à un politique le contraire de son programme électoral. On arrive maintenant
grâce aux techniques de l’intelligence artificielle à truquer les images photo ou vidéo de manière indétectable. Un exemple récent a été la
manipulation sur Facebook d’une intervention de la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi. On avait ralenti le rythme de
ses paroles, ce qui la faisait apparaître confuse et indécise. De même, l’équipe électorale d’Elisabeth Warren a été obligée d’alerter le public à
propos d’une photo truquée diffusée par un troll sur Twitter et la faisant apparaître comme l’alliée d’extrémistes afro-américains{28}. Biden, le
candidat des Démocrates, est bien entendu une cible privilégiée. Une vidéo récente, qui le montre approuvant la réélection de Trump, a été
diffusée sur les réseaux sociaux par l’équipe du président et a été vue par 5 millions de personnes. Facebook a refusé de la censurer. La même
question se pose pour YouTube, filiale de Google, qui diffuse des centaines de milliers de vidéos chaque minute, ce qui rend évidemment très
malaisés les contrôles.
Enfin, Paul Barrett souligne qu’au-delà des interventions de puissances étrangères telles que la Russie, la Chine ou l’Iran, il existe aux États-
Unis, mais aussi en Europe, des dizaines de milliers d’individus ou de groupuscules extrémistes qui manipulent avec une grande efficacité tous
les instruments du numérique et sont donc à même d’inonder les plateformes de textes et d’images ayant pour objet de provoquer des réactions
de colère et de violence et de déclencher des manifestations troublant l’ordre public. La généralisation de la culture numérique et l’arrivée à
l’âge adulte d’une génération qui baigne dedans depuis l’enfance ne peuvent que faciliter cette multiplication d’interventions.
Il est évident qu’il est difficile de justifier juridiquement la surveillance permanente de tous ces acteurs du web qui vivent et votent dans le
pays, contrairement aux mystérieux manipulateurs russes, alors que le message fondamental d’Internet est que les réseaux sociaux ont comme
qualité première de donner la parole à tout le monde et de respecter la liberté d’expression. Le défi est particulièrement difficile à relever aux
États-Unis, où le premier amendement de la Constitution protège de manière très claire la liberté d’expression. Les tribunaux et la Cour
suprême ont toujours veillé au strict respect de cette règle. C’est ce qui explique la multiplication de sites négationnistes ou pronazis qui ne
seraient pas tolérés en Allemagne ou en France.
La conclusion qui s’impose à la lecture du rapport Barrett est que ses observations et préconisations sont tout aussi valables pour l’Europe
qui dépend tout autant des mêmes plateformes, Facebook, Instagram, Google et YouTube. Pour les Français, les présidentielles américaines de
2020 sont à observer comme un exemple et un avertissement pour les présidentielles de 2022. Il n’en demeure pas moins qu’aux États-
Unis comme en Europe, les solutions possibles pour réguler les campagnes électorales ne sont pas évidentes en raison de la puissance des
grands supports numériques qui gèrent mal des centaines de milliers de messages quotidiens. Faut-il leur laisser un pouvoir de censure
forcément discutable ? L’État a-t-il la volonté et les moyens de se substituer à eux ? Il n’existe pas aujourd’hui de réponse satisfaisante à ces
questions, et des dirigeants comme Mark Zuckerberg ont beau jeu de mettre les politiques en face de responsabilités qu’ils sont mal armés pour
exercer.
Néanmoins, les grandes plateformes se sentent obligées de manifester une certaine volonté de réforme, axée sur les images plus que sur les
textes, car tout le monde s’accorde sur le fait que c’est par ce canal que se multiplieront les manipulations. En janvier 2020, Facebook, fidèle à
sa stratégie de feindre d’agir pour faire oublier les scandales de 2016, a présenté un plan d’action contre les images truquées. Ce plan vise
essentiellement les vidéos qualifiées de « deepfakes », c’est-à-dire celles qui sont produites grâce à l’intelligence artificielle et à des technologies
informatiques de pointe, ce qui les rend indétectables. En revanche, la plateforme ne s’attaque pas aux formes plus rudimentaires de trucages
qui font pourtant des ravages sur les réseaux sociaux, au prétexte qu’elles sont plus faciles à repérer{29}. Enfin, cette intervention ne résout pas
la question difficile des vidéos à caractère satirique qui ridiculisent une personnalité politique mais qui sont souvent prises au premier degré par
un public crédule ou peu attentif.
La révolution de la communication change donc complètement la donne de l’élection de 2020. Toutefois, son impact est d’autant plus grand
que ce bouleversement majeur s’impose à un système politique gravement déficient, comme nous le verrons au chapitre suivant. Il est certes
malaisé de mesurer le rôle de cette crise de l’information sur ces déficiences institutionnelles. Cette dégradation s’est amorcée avant l’irruption
d’Internet mais la généralisation de l’usage du numérique a considérablement aggravé la situation. La perte de légitimité des intermédiaires
naturels de la démocratie pluraliste, élus et médias traditionnels, crée un vide que comble trop aisément un discours démagogique. Ce discours,
d’autant plus écouté qu’il est violent, introduit de nouvelles tensions et nourrit un scepticisme profond de la population à l’encontre de toutes les
institutions. Moins de 20 % des Américains font confiance au Congrès mais une majorité des électeurs républicains a une confiance absolue
dans Fox News.
Le débat prend évidemment une tournure particulière aux États-Unis dans la mesure où, désormais, le principal propagateur de
désinformation et mensonges sur les réseaux sociaux est le président sortant candidat à sa propre réélection. Twitter a créé la surprise le 26 mai
2020 en diffusant en annexe à deux tweets de Trump, qui accusaient de meurtre un producteur de télévision, ancien élu républicain, un message
rappelant les faits qui prouvaient la fausseté de l’accusation. La réaction du président fut de s’attaquer immédiatement à un privilège souvent
critiqué en Europe et selon lequel, en application du Decency Act de 1996, les plateformes numériques ne sont pas juridiquement responsables
du contenu des messages qu’elles transportent.
Le comportement de Trump a laissé perplexes les observateurs : il semble, sur un coup de tête, se rallier à la position des Européens qui
estiment que les plateformes doivent rendre des comptes sur le contenu qu’elles livrent aux internautes et donc être assimilées à des médias.
Pourtant, comme le souligne le New York Times, si sa directive entrait en vigueur, Twitter ou Facebook pourraient être poursuivis en
diffamation pour la diffusion des propos du président qui serait donc la première victime de sa décision. En tout cas, Twitter ne s’est pas laissé
intimider et a restreint l’usage et la diffusion d’autres tweets du président, encourageant la violence de la répression des émeutes de
Minneapolis. De son côté, Zuckerberg a enfin reconnu qu’il était nécessaire de corriger les messages de haine émis par Trump et les politiques.
Ainsi s’est ouverte de manière inattendue une discussion de fond sur le statut juridique des plateformes, un sujet qui intéresse l’Europe au plus
haut point{30}.
Là encore, les leçons de ces déboires doivent être retenues par les Européens, et particulièrement les Français. Nous sommes vulnérables,
comme le prouvent la perte de confiance dans le régime et les vagues populistes nourries par la crise du système qui déferlent sur le vieux
continent. Comme l’explique la politologue Chloé Morin : « Deux alternatives s’offrent aux acteurs politiques [...] se battre à armes égales avec
les forces antidémocratiques en utilisant les ressorts émotionnels pour promouvoir leurs contenus [...] ou bien chercher à modifier les règles du
jeu, par exemple en faisant en sorte que les algorithmes de YouTube ou Facebook cessent de favoriser les contenus complotistes{31}. »
Il reste à trancher sur la question de fond : qui est légitime pour mener l’action que préconise Chloé Morin ? Peut-on faire confiance aux
plateformes, qui promettent beaucoup et agissent peu ? Sur ces points, le débat se poursuit des deux côtés de l’Atlantique, alors que la
campagne électorale américaine bat son plein et qu’en France, on commence à se préoccuper des présidentielles de 2022.
Chapitre 2
Un système politique fragile

Quand Donald Trump fut proclamé élu en novembre 2016, il ne cessa d’affirmer, par ses tweets notamment, qu’il avait obtenu une majorité
de suffrages mais qu’Hilary Clinton ne l’avait emporté en nombre de voix que grâce au vote frauduleux de millions d’étrangers.
On comprend aisément l’embarras du nouvel élu face au dysfonctionnement évident du système électoral américain. Trump avait récolté, sur
le plan national, 3 millions de voix de moins que Clinton, mais il avait obtenu la majorité des membres du collège électoral, ce qui lui garantissait
l’investiture lors du vote symbolique du collège, en janvier 2017.
Pour expliquer cette curieuse situation, difficile à comprendre pour des Français habitués à élire directement leur président, il faut revenir aux
origines de la Constitution américaine{32}.

Un système électoral héritier de l’esclavage

Lors de l’élaboration de cette Constitution en 1787, de nombreux délégués et notamment Gouverneur Morris, en Pennsylvanie, proposèrent
une élection directe, sachant qu’à l’époque, seuls votaient les hommes libres, ce qui excluait les femmes et les esclaves.
Or cette proposition se heurta à l’opposition absolue des États sudistes, par la voix de George Mason, de Virginie. Leur argumentation était
claire. Comme les esclaves, qui constituaient près de la moitié de la population de ces États, ne pourraient pas voter, un État comme la Virginie,
qui était le plus peuplé au total, se serait trouvé en situation d’infériorité par rapport aux Nordistes comme la Pennsylvanie ou le Massachusetts
qui, eux, ne pratiquaient pas l’esclavage. Dans la suite du débat, un délégué de Caroline du Nord, Hugh Williamson, fut encore plus explicite :
« L’État le plus peuplé pourra s’imposer mais ce ne sera pas le cas de la Virginie puisque ses esclaves ne votent pas{33}. »
La Convention se mit finalement d’accord sur un compromis favorable en fait aux États esclavagistes. Elle mit en place un collège électoral au
sein duquel chaque État élirait une délégation dont le nombre serait la somme des sièges détenus à la Chambre des représentants et au Sénat.
Tous les États élisent deux sénateurs mais le nombre de représentants à la Chambre est fonction de la population et il fut décidé qu’un esclave
compterait pour trois cinquièmes d’une personne. Grâce à ce calcul habile, la Virginie put sauvegarder sa primauté numérique et fournir des
présidents successifs, notamment Washington et Jefferson.
Cette formule avait non seulement comme inconvénient de favoriser les esclavagistes mais présentait le risque d’une distorsion entre le vote
populaire et le vote du collège. C’est ce qui se produisit en effet à diverses reprises. En 1824, John Quincy Adams fut élu avec moins de voix
que son adversaire Andrew Jackson. Il en fut de même en 1876 et 1888. La fin de l’esclavage en 1864 et l’ouverture du scrutin aux femmes en
1920 ont permis l’instauration d’un suffrage vraiment universel mais n’ont pas complètement corrigé les écarts entre États puisque même les
moins peuplés d’entre eux comme les deux Dakota ont droit à deux sénateurs au même titre que la Californie ou le Texas. On a calculé que les
électeurs des dix États les moins peuplés ont un poids deux fois et demi supérieur à celui des électeurs des dix États les plus peuplés{34}.

Un système électoral favorable aux Républicains

Au XXIe siècle, on a constaté deux cas similaires : en 2000, quand George W. Bush fut élu face à Al Gore, qui avait obtenu 500 000 voix de
plus, et enfin en 2016. Chaque fois, ce fut un Républicain qui l’emporta. Une des questions qui se pose actuellement et qui est abondamment
commentée par les politologues est de savoir si ce phénomène peut se reproduire en 2020, toujours au profit des Républicains{35}.
Ce qui joue en défaveur des Démocrates, c’est que ceux-ci sont très largement majoritaires dans deux des trois États les plus peuplés –
New York et la Californie –, le troisième, le Texas, étant Républicain. De ce fait, dans un système de collège électoral, des millions de voix
récoltées dans ces deux États ne servent à rien puisqu’il suffit d’une voix de majorité pour emporter tous les postes de délégués. Inversement,
dans les États très peuplés du Middle West, Michigan, Wisconsin et Pennsylvanie, où Trump, en 2016, ne l’a emporté qu’avec une marge de
quelques milliers de voix, les suffrages républicains ont été employés avec une efficacité maximale.
Certains élus démocrates réclament depuis longtemps la suppression du collège électoral, une formule qui au surplus souffre d’être l’héritière
du temps de l’esclavage, mais les Républicains s’y opposent farouchement en raison de l’avantage qu’elle leur apporte. Au demeurant, cette
suppression ne pourrait se réaliser que par une modification de la Constitution, ce qui est une procédure longue et complexe puisqu’elle
implique un vote favorable des deux tiers des États.
Les études d’impact sur les présidentielles de novembre 2020 montrent que ce système électoral peut avoir une importance majeure et que
la réélection de Trump est possible même s’il reste très minoritaire dans le vote populaire.
On examinera plus loin les rapports de force électoraux pour l’élection de novembre 2020, mais il est incontestable que le système établi par
la Constitution fausse les règles du jeu et n’est pas digne d’une démocratie moderne. Cette situation devrait continuer à s’aggraver à l’avenir.
On estime qu’en 2040, 70 % des Américains vivront dans 15 États et seront donc représentés par 30 sénateurs, alors que les 30 % restants
seront représentés par 70 élus, puisque le Sénat a 100 membres.
Un autre facteur de déséquilibre est le découpage électoral au sein des États. Le Sénat n’est pas concerné puisque les sénateurs sont élus par
un vote à l’échelle de chaque État. Il n’en va pas de même pour la Chambre des représentants. Le nombre de représentants est calculé en
fonction de la population totale telle qu’elle est établie par un recensement qui intervient tous les dix ans. Or, une fois ce chiffre établi, il
appartient à l’assemblée locale, dans la plupart des États, de procéder au découpage. Il en résulte de multiples abus, baptisés gerrymandering,
du nom d’Elbridge Gerry, gouverneur du Massachusetts en 1812, qui fut accusé de procéder à un découpage contesté des circonscriptions de
son État pour favoriser ses partisans.
Les Démocrates y eurent recours à maintes reprises, notamment quand ils étaient encore majoritaires dans les États du Sud et qu’il fallait
isoler le vote des Noirs. Ils sont accusés d’y procéder encore au Maryland et en Illinois. Aujourd’hui, ce sont surtout les Républicains qui sont
soupçonnés de ces pratiques, dans la mesure où ils contrôlent depuis 2010 la majorité des législatures des États, soit 29 sur 50, ce qui leur a
permis d’exploiter à leur profit les résultats du dernier recensement décennal dans une dizaine de ces États.
La Cour suprême, saisie à plusieurs reprises, a toujours refusé de se prononcer sur ces affaires, estimant qu’il appartenait aux instances
politiques de prendre leurs responsabilités{36}. L’argument de la Cour est qu’il n’existe pas de critères indiscutables pour opérer une distinction
entre un découpage normal et un charcutage abusif. Selon la majorité conservatrice de la Cour, ce sont donc les instances locales et la Chambre
qui doivent trancher.
Une autre solution serait de confier le redécoupage décennal à une commission d’experts indépendants. Il existe actuellement un mouvement
aux États-Unis pour promouvoir cette réforme et plusieurs États examinent cette solution.
Il n’en demeure pas moins que dans des États comme le Wisconsin ou la Caroline du Nord, cette situation a empêché les Démocrates de
conquérir la majorité dans les assemblées locales et a permis aux Républicains de conforter leur position à la Chambre des représentants. On
estime en effet que lors de l’élection présidentielle, les Démocrates doivent obtenir au moins 6 % de voix de plus que leurs adversaires pour
compenser ce handicap et décrocher la majorité à la Chambre. Ce fut le cas en 2018.
Il ne faut donc pas compter sur la Cour suprême pour dire le droit sur cet élément. Le débat autour du gerrymandering a été un des
facteurs d’une controverse beaucoup plus vaste sur la composition de cette instance judiciaire.

Une Cour suprême puissante et conservatrice

Cette situation n’est pas nouvelle. Aux États-Unis, la Cour suprême joue un rôle beaucoup plus important que ses homologues des autres
démocraties et elle ne s’est pas privée dans le passé de prendre des décisions sur la conformité des lois avec les principes de la Constitution qui
ont eu un profond impact politique. Comme ses membres sont nommés à vie par le président, sous réserve de l’accord du Sénat, ils bénéficient
d’une grande indépendance, ce qui ne les empêche pas d’avoir des opinions. L’exemple de conflit le plus célèbre est celui qui opposa à partir
de 1933 le président Roosevelt nouvellement élu et la Cour très conservatrice de l’époque. Celle-ci annula les principales mesures du New
Deal. Il en résulta un long affrontement qui ne se termina qu’avec le départ volontaire de plusieurs juges remplacés par des hommes plus
favorables aux réformes.
En 2000, la Cour, qui déjà à l’époque était dominée par les conservateurs, prit une décision très controversée en ratifiant les résultats
électoraux de la Floride, ce qui permit à George W. Bush d’être proclamé président face au Démocrate Al Gore. Or, il n’était pas évident que
le décompte des bulletins dans cet État ait été opéré dans des conditions irréprochables. Le vote de la Cour, acquis par 5 voix contre 4, parut
donc davantage motivé par un choix politique que par une analyse juridique.
Depuis, la politisation de la Cour suprême s’est poursuivie, sous la pression notamment de la droite évangélique, qui cherche à obtenir de la
Cour qu’elle revienne sur un arrêt antérieur, l’arrêt Roe V. Wade, qui légalise l’avortement. Pour cette fraction très influente du parti républicain,
il faut à nouveau interdire l’avortement et donc faire rentrer à la Cour des juges favorables à cette position. C’est ce à quoi s’est employé le
parti républicain grâce à l’appui décisif de Donald Trump qui sait que sa réélection dépendra dans une large mesure des suffrages des
évangéliques.
La première étape de ce renforcement des conservateurs s’est jouée en 2016 lors du décès d’Antony Scalia, le juge le plus à droite de la
Cour. Obama était encore président pour quelques mois et il lui appartenait donc de nommer son successeur. C’était compter sans l’opposition
du Sénat à majorité républicaine dont les dirigeants déclarèrent qu’il fallait attendre l’arrivée d’un nouveau président pour procéder à cette
nomination. Cette décision, sans précédent dans l’histoire du pays, empêcha le président de faire aboutir la candidature du juge Garland
considéré pourtant comme parfaitement compétent{37}.
Dès son arrivée, Trump fit ratifier la nomination de Neil Gorsuch, un juge tout aussi conservateur que Scalia. En 2019, il remplaça dans les
mêmes conditions, et au prix d’une ample controverse, le membre démissionnaire Anthony Kennedy par Brett Kavanaugh, tout aussi marqué
politiquement. Dans les deux cas, les nouveaux membres de la Cour sont jeunes, ils ont moins de cinquante ans, ce qui leur garantit plusieurs
décennies de présence dans cette auguste institution. Cette frénésie de nominations s’est étendue aux autres catégories de magistrats. Battant
tous les records, Trump a nommé en trois ans 112 juges de district et, surtout, 50 juges de cour d’appel, tous jeunes et tous nommés à vie. Le
résultat est que 3 cours d’appel fédérales sur 13 ont désormais une majorité de juges nommés par Trump. Or, les cours d’appel fédérales ont
un pouvoir considérable et elles sont actuellement saisies de plusieurs plaintes importantes concernant le président{38}.
Un éventuel président démocrate devra, à l’instar de Roosevelt, gouverner avec une Cour très puissante et inamovible. S’il n’obtient pas la
majorité au Sénat, il lui sera impossible de faire appel à un candidat conforme à ses vœux en cas de vacance. Le système risque donc d’être
complètement bloqué. Ce blocage risque d’être d’autant plus dangereux qu’il entraînera un décalage croissant entre l’évolution de la société
américaine sur un certain nombre de questions de société comme le mariage pour tous, la peine de mort ou la réglementation des armes à feu,
et l’attitude de refus de la plus haute instance judiciaire. Il semble que le juge Roberts, président de la Cour, soit conscient de ce danger et
soucieux de sauvegarder une image d’indépendance par rapport aux politiques. Il est douteux qu’il soit écouté par ses collègues les plus
extrémistes.
Une solution préconisée par de nombreux juristes serait d’introduire une limite d’âge en prévoyant, par exemple, le départ à la retraite des
magistrats à 75 ans. Ce serait une décision logique car la nomination à vie fut décidée à la fin du XVIIIe siècle, à une époque où la longévité
n’était pas celle d’aujourd’hui. Cela permettrait aussi, et indépendamment de tout critère politique, d’avoir des juges plus en phase avec une
société civile qui change rapidement. C’est ainsi, par exemple, qu’une forte majorité des électeurs républicains de moins de 35 ans est favorable
au mariage pour tous, contrairement à l’opinion de leurs aînés. D’une façon plus générale, il existe un net clivage entre générations sur tous ces
sujets.
En l’occurrence, une réforme du système est exclue et l’appareil judiciaire restera marqué pendant des décennies par les nominations de
Trump chaudement applaudies par les sénateurs républicains.

Crise des institutions :


la procédure d’impeachment
Ces différents dysfonctionnements pèsent sur la vie démocratique d’un pays qui semblait avoir atteint une forme de stabilité au moment de la
fin de la guerre froide, en 1989. On assiste à une paralysie croissante du système que l’élection de Trump a fortement aggravée, sans espoir de
la moindre réforme puisque le parti républicain et une grande partie de l’opinion y sont totalement opposés. Déjà sous la présidence d’Obama,
la Chambre des représentants et le Sénat, à majorités républicaines, bloquaient toutes les initiatives du président et donc toute adoption du
budget ou de textes législatifs importants. Depuis l’arrivée de Trump, qui était pourtant en phase, au moins jusqu’en 2018, avec sa majorité, la
paralysie s’est perpétuée. C’est ainsi que les Républicains, bien que majoritaires, ont été incapables de se mettre d’accord entre eux sur la
suppression de l’Obamacare, la réforme de l’assurance maladie, alors que c’était le point majeur de leur programme électoral. La principale
activité du Sénat a été de ratifier les nominations des juges conservateurs tandis que la Chambre, passée aux Démocrates en novembre 2018,
consacre son temps à travailler à l’impeachment du président.
Le résultat est à la fois un antagonisme de plus en plus virulent entre les électeurs des deux grands partis et une méfiance profonde à
l’encontre des institutions accusées de ne pas se préoccuper des besoins des citoyens.
Dans un récent article du Washington Post, le chroniqueur politique Dan Balz montre en s’appuyant sur une enquête du Pew Center que le
fossé entre ces deux familles politiques ne cesse de se creuser{39}. C’est ainsi que le pourcentage d’électeurs républicains qui considèrent que
les électeurs démocrates sont sans morale est passé de 47 % en 2016 à 55 % en 2019. Du côté des électeurs démocrates, cette même opinion
à l’égard des électeurs républicains est passée de 35 à 47 %. De même le pourcentage de personnes qui se sentent de plus en plus proches de
leur parti est passé entre 2016 et aujourd’hui de 49 à 75 % chez les électeurs républicains et de 53 à 71 % chez les électeurs démocrates.
Il est évident que le discours violent et agressif de Trump a particulièrement influencé ses électeurs. Le fait que 63 % des électeurs
républicains considèrent que les électeurs démocrates ne sont pas des patriotes alors que 23 % seulement des électeurs démocrates ont cette
opinion des électeurs républicains reflète l’influence majeure du président sur les électeurs d’un parti qui lui sont attachés de manière
inconditionnelle puisque 91 % des électeurs républicains approuvent l’action du président contre 10 % pour les Démocrates. Il n’en demeure
pas moins que les Démocrates manifestent une totale hostilité à l’encontre du président et soutiennent massivement la tentative de destitution
de celui-ci par leurs élus. Il existe donc un climat de guerre civile qui affecte profondément la campagne des présidentielles et à pour lequel on
n’entrevoit aucune solution.
L’adhésion des citoyens aux institutions représentatives est aussi en fort déclin. Depuis plusieurs années, le pourcentage de satisfaction du
fonctionnement du Congrès oscille autour de 25 % avec un pourcentage de mécontents qui dépasse 70 %. De même, l’attachement des
Américains à la démocratie ne cesse de baisser en fonction des âges. Si 58 % de la génération des années 1940 y sont attachés, ce
pourcentage tombe à 29 % pour la génération des années 1980{40}.
Ce contexte éminemment conflictuel conduit à s’interroger sur le sens et les conséquences de la procédure d’impeachment engagée par les
Démocrates de la Chambre, procédure qui mettait en cause à la fois la solidité des institutions et les relations entre les électeurs et les partis,
dans la perspective d’un scrutin crucial, le 3 novembre 2020.
Les velléités de destitution du président sont devenues une obsession chez beaucoup d’élus depuis une vingtaine d’années, ce qui est très
révélateur de la dégradation du climat politique. Au cours de la présidence d’Obama (2009-2017), plusieurs représentants républicains
agitèrent en vain cette menace. Dès l’élection de Trump, des Démocrates évoquèrent cette possibilité{41}. Dans les deux cas, c’était le
mécanisme même du suffrage universel, base de la démocratie représentative, qui était mis en cause, laissant craindre des dérives encore plus
graves.
La conquête de la majorité de la Chambre des représentants par les Démocrates en novembre 2018 a stimulé l’ardeur d’élus représentant
l’aile gauche du parti, qui ont immédiatement relancé le débat sur l’impeachment puisque désormais il était possible d’ouvrir une procédure
d’instruction. La décision finale incombant cependant au Sénat qui doit prononcer la condamnation à la majorité des deux tiers.
Nancy Pelosi, la présidente de la Chambre, a freiné pendant près d’un an les ardeurs de ses collègues en arguant du fait que l’opinion ne
semblait pas prête à soutenir une action reposant sur des éléments juridiques contestables et en rappelant que le Sénat à majorité républicaine
n’entérinerait jamais un impeachment. Elle craignait surtout que cette démarche n’entraînât une réaction négative d’une partie de l’électorat, ce
qui mettrait en péril les sièges d’élus dans des circonscriptions à faible majorité démocrate. Il faut souligner que les plus chauds partisans de
l’impeachment, comme Alexandria Ocasio-Cortes, surnommée AOC, sont issus de circonscriptions votant démocrate à une écrasante
majorité. Ils ne prennent donc aucun risque en adoptant une ligne dure.
Ce qui fit changer d’avis Mme Pelosi en octobre 2019 fut la révélation que le président avait essayé, le 25 juillet précédent, au cours d’une
conversation téléphonique avec Zelensky, le nouveau président de l’Ukraine, d’obtenir son engagement à ouvrir des poursuites sur une affaire
de corruption d’une entreprise ukrainienne, la société Burisma, dont Hunter, le fils de l’ancien vice-président démocrate Joe Biden, était
administrateur. Ce qui était surtout reproché à Trump, c’était d’avoir menacé Zelensky de ne pas lui accorder une aide militaire de 400 millions
de dollars s’il n’obéissait pas à ses injonctions. Il s’agissait donc d’un marchandage faisant intervenir une puissance étrangère sur une question
de politique intérieure, en la forçant à affaiblir un adversaire potentiel du président. Ce type de manœuvre est considéré par la plupart des
juristes comme une atteinte majeure au respect de la Constitution.
Une fois prise la décision de lancer la procédure, on a assisté à une nette évolution de l’opinion{42}. Certes, il semble qu’une majorité de la
population soit restée opposée à une procédure d’impeachment débouchant sur une destitution : 49 contre 43 %. L’écart entre les pour et les
contre était cependant plus élevé, environ 20 points, en début d’année 2019. Si on limite la question à l’approbation de la procédure sans
mentionner la destitution, on a une majorité d’opinions favorables. Ces tendances se retrouvent dans les six États du Middle West qui joueront
un rôle décisif en novembre 2020. 50 % des sondés approuvent cette démarche mais 53 % s’opposent à une destitution du président. Ainsi,
début 2019, le principe de l’ouverture d’une procédure semblait désormais accepté par l’opinion, ce qui était déjà un succès pour les
Démocrates. Il leur a incombé ensuite de trouver les bons arguments pour justifier une demande de destitution, ce qui fut loin d’être simple.
L’objet de cette demande risquait en effet de paraître obscur à une grande partie de la population qui suivait l’actualité d’un œil distrait et qui,
dans le cas des téléspectateurs de Fox News, ne recevait qu’une version incomplète et biaisée de l’action des Démocrates, bien que Fox
News, avec près de 3 millions de téléspectateurs, ait été la chaîne la plus regardée lors de la transmission en direct des auditions.
Au surplus, la réaction des Républicains a été beaucoup plus efficace que ce qu’attendaient leurs adversaires. Ils ont manifesté une totale
unité dans leur défense du président. Contrairement à ce qu’espéraient les Démocrates, aucun élu ne s’est désolidarisé de Trump. Les
Républicains du Congrès ont tenu compte du fait que leurs électeurs étaient très mobilisés en faveur d’un président qu’ils vénèrent et ils n’ont
pas voulu prendre le risque d’affronter dans une primaire un adversaire encore plus trumpien qu’eux. Ils ne se sont pas contentés de résister
mais ils ont contre-attaqué en mettant en cause Joe Biden et son fils. Certes, ce dernier ne semble pas avoir lui-même été engagé dans des
actes de corruption, mais la société ukrainienne dont il était un administrateur fort bien rémunéré souffre d’une réputation douteuse. Il y a donc
matière, avec un minimum de mauvaise foi, pour une attaque efficace contre un candidat potentiel à la présidence.
Les Républicains sont allés encore plus loin, ils ont carrément nié les faits reprochés à Trump et ont soutenu le refus de la Maison-Blanche de
fournir au Congrès des documents relatifs aux relations avec le gouvernement ukrainien, en s’appuyant sur des arguties juridiques contestables.
Là encore, on mesure la différence avec la procédure d’impeachment de Nixon. Non seulement celui-ci ne bénéficiait d’aucun soutien des
médias, mais ses actes de piratage et de dissimulation étaient beaucoup plus faciles à expliquer à l’opinion. Par ailleurs, les faits reprochés à
Nixon s’étaient déroulés aux États-Unis, dans la capitale fédérale de Washington alors que les affaires reprochées à Trump sont liées à un pays
lointain et peu connu, l’Ukraine, réputé aussi pour l’ampleur de la corruption qui y règne et l’incapacité de ses gouvernements successifs à y
faire régner un minimum d’ordre.
Dans ces conditions, il est apparu de plus en plus évident que l’action en destitution ne se traduirait pas par un basculement massif de
l’opinion en faveur de l’un ou l’autre des partis. Elle a accentué au contraire les clivages déjà profonds entre les partisans de Trump qui
approuvent avec enthousiasme toutes ses décisions et les partisans démocrates qui lui vouent une hostilité totale. Pour les Républicains, le
président est victime d’une chasse aux sorcières qui, pour des motifs futiles, cherche à le faire partir de la Maison-Blanche, alors que, pour ses
adversaires, c’est un dangereux populiste, menteur et malhonnête, dont il faut se débarrasser le plus vite possible.
Cette polarisation extrême des opinions risque de durer, quelle que soit l’issue du scrutin du 3 novembre. Dans un livre qui a été très
commenté aux États-Unis, deux politologues américains, Steven Levitsky et Daniel Ziblatt, expliquent que pour l’avenir, « le canevas [...] le plus
probable se caractériserait par davantage de manquements aux usages politiques implicites, une intensification de la guérilla institutionnelle et la
polarisation ; autrement dit une démocratie sans garde-fous solides. Donald Trump et le trumpisme pourraient alors bel et bien échouer, sans
pourtant que cet échec réduise la fracture entre les deux partis et enraye le déclin de la tolérance mutuelle et de la retenue{43}. »

Une Amérique qui change lentement

L’évolution du corps électoral américain ne permet pas d’apporter de solution à cette crise majeure de la démocratie. Elle est alimentée par
des mouvements complexes et parfois contradictoires. Elle ne justifie pas, en tout cas, les rêves des uns ou des autres d’hégémonie durable
d’un parti. Ceux qui annonçaient en 2012, après la réélection relativement aisée d’Obama, que le parti démocrate était installé pour longtemps
aux commandes, furent cruellement démentis par les scrutins de 2016 qui confièrent aux Républicains le contrôle de la présidence et des deux
Chambres.
Les données démographiques montrent qu’il ne faut pas anticiper trop vite des mouvements certes profonds mais qui mettront des décennies
à produire des effets notables.
C’est le cas de la proportion de blancs dans la population. On annonce que les différentes minorités vont devenir majoritaires. Un jour,
certes, mais pas tout de suite. En 2016, la population blanche représentait encore 69 % du total. Elle baissera de deux points seulement en
2020. On évoque la progression en son sein des diplômés de l’enseignement supérieur. Sans doute, mais ils ne sont que 22 % contre 46 % de
non diplômés qui sont la clientèle privilégiée de Trump{44}.
De même, les afro-américains, piliers du parti démocrate, ne représentent que 12 % du corps électoral, un pourcentage qui ne va guère
varier à l’avenir. La population hispanique, elle-même très diverse, est au même niveau et les Asiatiques représentent 7 % des électeurs. Au
total, ces diverses minorités, très hétérogènes, n’atteignaient que 31 % en 2016 pour passer à 34 % en 2020. En 2036, elles s’élèveraient à
41 % en raison surtout de la progression des hispaniques dont beaucoup, au demeurant, se considèrent comme blancs et donc peu solidaires
des noirs.
En 2020, les données démographiques ne sont donc guère différentes de celles de 2016. L’issue du scrutin dépendra surtout de la motivation
des électeurs et du rôle clé d’une demi-douzaine d’États qui ont basculé il y a quatre ans en faveur de Trump, lui apportant la majorité (304
contre 227) au sein du collège électoral alors qu’il avait perdu le vote populaire.
Deux catégories d’électeurs joueront un rôle critique : les blancs non diplômés et les minorités autres que les afro-américains.
Les premiers se sont beaucoup mobilisés en faveur de Trump en 2016, abandonnant leur soutien traditionnel en faveur du parti démocrate
pour un dirigeant dont le discours populiste leur faisait espérer une attention dont ils avaient été privés au cours de la dernière décennie, à la fin
de la désindustrialisation du Middle West qui avait entraîné la disparition de millions d’emplois au profit notamment de la Chine.
Depuis son élection, Trump, appuyé sur un réseau très dense et varié de systèmes de communication – Fox News, programme radio de
Rush Limbaugh, messages publicitaires sur Facebook ou YouTube, sites d’extrême droite –, a gardé le contact avec ces millions de personnes
désorientées par l’évolution des mœurs et la crise des industries traditionnelles. Il multiplie les réunions publiques dans les régions où se jouera le
vote et, chaque fois, rassemble des dizaines de milliers de partisans enthousiastes. Du coup, il conserve la confiance d’une part considérable de
ces électeurs.
Les minorités d’origine hispanique ou asiatique, qui représentent au total environ 20 % du corps électoral, sont un cas de figure plus
complexe. Beaucoup d’observateurs proches des Démocrates ont cru que ces électeurs, rebutés par le discours raciste et hostile aux migrants
de Trump, allaient rallier en masse le parti démocrate qui défend l’ouverture du pays aux migrants et les droits civiques des minorités. En bonne
logique, dans ces conditions, la Floride où les hispaniques, noirs et asiatiques représentent près de 40 % de la population devrait basculer, ce
qui n’a pas été le cas jusqu’à présent. L’État est toujours administré par les Républicains.
Cela tient au fait qu’hispaniques et asiatiques ne constituent pas des populations homogènes. Ils sont divisés en fonction de leurs origines et
de leurs convictions. Beaucoup d’entre eux, qui sont sous l’influence des évangéliques, sont très conservateurs sur le plan des mœurs et
approuvent donc les prises de position de l’administration républicaine contre le droit à l’avortement. Au surplus, les latinos venus de Cuba ou
du Venezuela sont farouchement hostiles à toute forme de socialisme. Il ne faut donc pas s’étonner qu’une proportion appréciable d’entre eux
n’hésite pas à voter Républicain ou à s’abstenir face à des candidats démocrates jugés trop à gauche ou trop libéraux sur les questions de
société. Il en va de même pour les immigrés d’origine indienne ou chinoise. Ils s’intègrent bien dans la société et ils font confiance au système
capitaliste américain. Ils n’ont donc pas envie d’assister à des changements brutaux qui pourraient menacer leur ascension sociale.
Pour ces diverses raisons, l’état de santé des institutions américaines continuera à susciter interrogations et débats. Selon les résultats des
prochains scrutins, on pourra constater la permanence d’une situation dangereuse pour la démocratie ou l’espoir d’un nouveau départ qui
permettrait de colmater les brèches au sein d’une opinion qui n’a jamais été aussi divisée.
L’enjeu des prochaines décennies est donc clair. Est-ce que, comme le souligne dans une récente tribune Ezra Klein, le système politique
américain pourra continuer à fonctionner normalement alors que les Républicains contrôlent la Maison-Blanche, le Sénat, la majorité des
gouverneurs des États et la Cour suprême, tout en étant nettement minoritaires dans tous les scrutins ? Cette distorsion permanente entre les
résultats du suffrage universel et des mécanismes électoraux biaisés est lourde de menaces{45}.
Chapitre 3
Renverser Trump ?
Les Démocrates à la veille du scrutin

Une question tourmente les observateurs du monde politique et les militants d’une société démocratique apaisée : est-ce que le scrutin du
3 novembre ouvrira une ère nouvelle pour les États-Unis et de nouvelles perspectives pour l’Europe ou, au contraire, est ce qu’il constituera un
encouragement majeur pour les mouvements populistes et les innombrables manipulateurs des réseaux numériques qui façonnent aujourd’hui,
avec un certain succès, l’opinion et les électeurs, et gagnent du terrain en Europe et en Amérique ?
Pour mieux évaluer ces enjeux, le Washington Post a envoyé une équipe de journalistes à Nazareth, une petite ville de Pennsylvanie de
6 000 habitants. En 2012, la ville vota majoritairement pour Obama, en 2016, elle opta pour Trump, suivant en cela l’évolution de cet État
traditionnellement démocrate qui bascula en faveur de Trump. La Pennsylvanie est d’ailleurs l’un des États clés pour le scrutin de 2020.
Que disent les habitants de Nazareth en cette fin d’année 2019 ? La responsable d’un salon de coiffure reconnaît que la procédure
d’impeachment n’a rien changé. « Je n’aime pas Trump, dit-elle, je n’aime aucune de ses prises de position mais j’ai des clientes qui croient
tout ce qu’il dit. On ne peut pas discuter avec elles. »
Les dizaines d’entretiens menés avec des habitants confirment ce jugement. Ceux qui ont voté pour Trump en 2016 sont hostiles à
l’impeachment : « C’est juste du baratin, déclare un ancien directeur d’usine. Est-ce qu’il n’est pas évident qu’il fait un travail formidable ? » Et
il continue à propos du fils de Biden : « Voilà un type qui ne connaît rien à l’industrie du gaz et de l’énergie et qui se fait 83 000 dollars par mois
[comme administrateur de la compagnie ukrainienne Burisma]. Hunter Biden est mal parti. »
En revanche, dans le même café où ce partisan de Trump se restaure, une discrète sexagénaire prend la position inverse : « J’ai toujours
pensé que Trump n’était pas quelqu’un de bien. Je ne comprends pas comment, en voyant sa manière d’agir, les gens peuvent continuer à le
soutenir. »
Au fil des échanges, les journalistes arrivent à la conclusion que la ville reste aussi divisée qu’il y a quatre ans. Partisans et adversaires de
Trump évitent de polémiquer entre eux mais campent sur leurs positions. Le débat sur l’impeachment ne change rien car il est trop compliqué à
suivre et il est plus facile pour les uns et les autres de s’abriter derrière leurs convictions alimentées par les messages des réseaux sociaux. Il
n’est donc pas évident que la Pennsylvanie basculera en faveur des Démocrates{46}.
Un examen des forces en présence dans l’ensemble des États permet de mesurer l’ampleur des défis et les issues possibles.

Un parti démocrate divisé

Le parti démocrate est évidemment au cœur des débats. En apparence, il est en position de force. Ses précédents candidats ont remporté le
vote populaire dans quatre des cinq dernières élections présidentielles. Néanmoins, ses divisions et le caractère hétérogène de son électorat
constituent des handicaps difficiles à surmonter.
Pour mieux comprendre cette situation, il est utile de se référer aux résultats de l’élection de Trump en 2016. Ce qui permit aux Républicains
de gagner, alors qu’ils avaient été clairement battus par Obama en 2012 et que Hillary Clinton avait obtenu 3 millions de voix de plus que
Trump, ce fut l’évolution de deux catégories d’électeurs dans un certain nombre d’États clés du Middle West et du Sud{47}. D’une part, les
électeurs blancs non diplômés votèrent dans une plus forte proportion pour le candidat républicain ; d’autre part, les électeurs afro-américains
traditionnellement favorables aux Démocrates s’abstinrent plus qu’en 2012 et un pourcentage non négligeable d’entre eux, environ 12 %, vota
Républicain. Il en fut de même pour les hispaniques. Ils allèrent beaucoup moins aux urnes que leurs compatriotes blancs et, notamment en
Floride, votèrent souvent pour les Républicains.
Ces données conduisent donc à relativiser le discours trop fréquemment entendu selon lequel le parti démocrate est le parti de l’avenir grâce
à son appel en direction des minorités noires, hispaniques et asiatiques qui ne cessent de grossir et des blancs diplômés, de plus en plus
nombreux, face à un parti républicain dont 90 % des électeurs sont blancs et majoritairement sans diplômes.
L’examen des résultats de la dernière élection présidentielle montre qu’on a sous-estimé deux facteurs essentiels. Il s’agit tout d’abord du
vieillissement de la population. On constate un fort accroissement dans les États du Middle West d’une population blanche vieillissante qui est
très motivée pour voter et qui penche de plus en plus en faveur du parti républicain. En revanche, les électeurs de moins de 35 ans et les
hispaniques et noirs s’abstiennent dans de plus fortes proportions, privant les Démocrates d’appoints précieux. Dans ces conditions, il paraît
tout à fait prématuré de parier sur le déclin inexorable du parti républicain.
Pour gagner, le parti démocrate doit choisir le bon candidat, mais le peut-il ? Les études d’opinion montrent qu’il est divisé en fonction non
seulement de critères idéologiques mais aussi démographiques, les deux se combinant pour rendre une éventuelle solution difficile à atteindre.
Pour surmonter ces multiples divisions, le candidat idéal doit manifester une exceptionnelle aptitude au rassemblement de ces différentes
factions. Ce candidat idéal existe-t-il ? C’est la question fondamentale qui s’est posée à la veille de l’élection présidentielle de 2020.

La gauche démocrate
On connaît bien le clivage qui oppose une aile gauche et une fraction plus centriste. L’aile gauche était représentée dans les primaires par
Bernie Sanders et Elisabeth Warren. Sanders n’a jamais hésité à prononcer le mot de socialisme qui jusqu’alors était honni dans le langage
politique américain et n’a aujourd’hui une connotation positive que pour un tiers environ des électeurs. En réalité, il s’agit d’une référence à la
social-démocratie européenne dont les réussites en matière de lutte contre les inégalités et de protection sociale sont fréquemment évoquées par
ces deux personnalités. Néanmoins Sanders oppose très clairement cette vision sociale-démocrate à la toute-puissance des géants financiers de
Wall Street et donc au capitalisme tel qu’il fonctionne aux États-Unis.
Plus concrètement, les Démocrates de gauche plaident en faveur d’un régime national d’assurance maladie allant bien au-delà de
l’Obamacare. Cette réforme initiée par le président Obama était une extension de l’assurance maladie s’appuyant sur l’assurance privée déjà
existante. Elle s’était pourtant heurtée à l’opposition d’une partie importante de l’opinion en dépit de sa timidité par comparaison aux systèmes
européens ou canadien. Le président Obama avait eu beaucoup de mal à la faire adopter par le Congrès. Cette réforme qui avait été mal
expliquée fut longtemps impopulaire avant de rallier une majorité de la population quand celle-ci finit par réaliser qu’elle lui permettait d’accéder
à une meilleure couverture des soins.
Ce qui est envisagé par Sanders et Warren, c’est la fin de l’assurance privée et une couverture de l’ensemble de la population par un
organisme public. Une telle révolution pose un problème majeur de financement même si, globalement, le coût pour la communauté nationale est
très faible, voire nul. Ce qui est malaisé à faire comprendre aux électeurs toujours soucieux d’alléger leurs charges fiscales, c’est qu’il s’agirait
en réalité d’un transfert. Les usagers n’auraient plus à payer des primes onéreuses d’assurance privée mais les catégories les plus fortunées
devraient acquitter des impôts plus élevés pour financer le régime général. Du coup, plusieurs richissimes donateurs du parti démocrate comme
Bill Gates ou Michael Bloomberg sont partis en guerre contre la réforme qui rendrait nécessaire une forme d’impôt sur la fortune ou, comme le
suggère Sanders, une augmentation de l’impôt sur le revenu pour les classes moyennes et supérieures. Pour mieux défendre ses vues,
Bloomberg a franchi le pas et décidé de participer aux primaires démocrates en s’appuyant sur une rafale d’annonces publicitaires sur les
télévisions et sur Facebook qu’il a financées à hauteur de 900 millions de dollars avec ses moyens personnels.
Le débat autour de l’assurance pour tous a pris une telle intensité et soulevé tant de controverses que Warren a été obligée, pour
sauvegarder ses chances dans les primaires et rallier au moins une fraction des électeurs centristes, d’aménager sa proposition. Elle a donc
proposé d’ouvrir la possibilité pour les usagers de conserver pour un temps leur très chère assurance privée.
Ce recul tactique n’a pas convaincu et l’a fait fortement chuter dans les sondages et les primaires, une partie de ses soutiens passant dans le
camp de Sanders. Il montre combien l’électorat démocrate est partagé et comporte à la marge des électeurs qui ne s’informent pas en dehors
des réseaux sociaux et sont disposés à changer de camp si le parti va trop loin dans sa démarche étatique et fiscale. On a d’ailleurs critiqué
Elisabeth Warren pour sa recherche trop systématique de l’approbation des usagers de Twitter alors qu’on a maintes fois démontré que cette
plateforme, très élitiste contrairement à Facebook, n’était absolument pas représentative de l’électorat démocrate. Ses messages en faveur de
l’assurance maladie universelle ont été acclamés sur Twitter alors que cette réforme ne serait même pas assurée de recueillir une majorité à la
Chambre des représentants et au Sénat même si les deux assemblées étaient contrôlées par les Démocrates, tant le débat sur le financement a
alimenté les controverses.
Il en va de même pour son annonce de suppression du collège électoral qui n’intéresse qu’une fraction limitée de l’opinion et n’a aucune
chance d’être votée par les deux tiers des États, ce qui est la condition indispensable d’une modification de la Constitution{48}.
La gauche démocrate cherche aussi l’appui des minorités hispaniques et afro-américaines qui représentent 38 % des électeurs démocrates,
d’après une étude de 2017 du Pew Research Center. Elle prône donc l’ouverture des frontières aux migrants et la couverture de l’assurance
maladie pour ceux-ci. Or, dans ce cas aussi, rien n’est gagné et des déconvenues sont prévisibles. Comme le montrent différents sondages, une
partie des hispaniques, certes minoritaire, n’a pas de conviction très arrêtée et n’exclut pas de voter pour Trump{49}, car des migrants plus
anciens, qui ont réussi à obtenir la nationalité américaine, n’ont pas forcément envie de subir la concurrence d’une nouvelle vague d’arrivants.

Les Démocrates centristes


Les candidats centristes à la primaire représentent une autre sensibilité, sans pour autant triompher, en raison de leurs divisions. Joe Biden,
Pete Buttigieg et Amy Klobuchar se situent dans le sillage des deux derniers présidents démocrates, Clinton et Obama. Ils visent le même
public qui a permis le succès de ces présidents. C’est ainsi que Biden, ancien vice-président d’Obama, a cherché à séduire les blancs sans
diplômes qui avaient voté pour ce dernier dans les États du Middle West et qui ont reporté leurs voix sur Trump en 2016. De même, il est
parvenu à capter une part importante – environ 45 % – des intentions de vote chez les noirs, notamment les plus âgés, qui voient en lui l’héritier
d’Obama. Les centristes ménagent aussi les piliers de Wall Street et les géants de la Silicon Valley qui ont largement financé les campagnes de
leurs prédécesseurs. Ils se sont donc placés en retrait par rapport à Warren qui préconisait une réglementation plus stricte des GAFA (Google,
Amazon, Facebook, Apple) et même leur démantèlement. Enfin, ils ont avancé avec prudence sur l’épineux dossier de la santé.
Il est vrai qu’une part importante de l’électorat, environ 40 %, est composée d’électeurs indépendants, des individus qui ne se reconnaissent
dans aucun des deux grands partis et sont prêts à voter pour l’un ou pour l’autre en fonction de la conjoncture. Leurs choix revêtent
évidemment une grande importance dans les États clés du Middle West où Démocrates et Républicains sont pratiquement à égalité. Sur ce
dossier de la santé qui est un élément central du débat électoral, ces indépendants estiment, contrairement à Warren et à Sanders, que la mise
en place d’un régime universel financé par l’impôt est prématurée. Du coup, les candidats centristes affirmaient, au vu d’un certain nombre de
sondages, que la grande majorité des Américains voulait conserver son assurance privée, dont les modalités sont négociées au sein des
entreprises, et restait hostile à un alourdissement de la fiscalité, même si celle-ci frappe surtout les très riches.
Certes, l’impôt sur la fortune envisagé par Warren ne porterait que sur les fortunes supérieures à 50 millions de dollars, donc un nombre très
limité de contribuables, mais beaucoup d’Américains sont convaincus qu’ils peuvent un jour, à force de travail, devenir riches. Les données
statistiques sur l’évolution économique des foyers démentent cette hypothèse. En réalité, la mobilité sociale aux États-Unis est faible et les
inégalités sont très importantes, mais cette réalité est rarement perçue par les intéressés.
Beaucoup de jeunes appartiennent à cette catégorie. Mal informés et sans idéologie marquée, ils ne partagent pas les fortes convictions de
leurs aînés animés par la haine ou l’adoration de Trump. Ils sont plus ouverts, mais avec modération, sur les sujets de société, le respect des
droits des minorités sexuelles, le droit à l’avortement, le contrôle des armes à feu et sont moins nombreux à pratiquer une religion. En revanche,
ils restent très individualistes, à l’image du reste de la société, et se méfient de l’État, de ses réglementations et de ses projets fiscaux. Ils ont
donc autant de motifs pour voter Démocrate que pour soutenir les Républicains.
Pour reprendre l’analyse de l’expert électoral du New York Times : « Les principaux candidats du parti [démocrate] n’ont pas encore touché
la partie manquante de la coalition démocrate : les électeurs moins éduqués, qui ne sont pas conservateurs mais qui n’approuvent pas la gauche
culturelle et ne partagent pas l’indignation du parti à l’égard du comportement du président{50}. » Ce point de vue est confirmé par le journaliste
et observateur Michael Winters qui souligne qu’une fraction importante de l’électorat démocrate – environ 30 % – est à gauche sur les
questions économiques mais conservatrice sur les questions de société{51}.
Les Démocrates face à de multiples obstacles

Les choix qui se sont imposés aux candidats à la candidature étaient donc particulièrement ardus. Il faut fédérer des factions opposées sur
des questions de fond et attirer une masse importante d’indépendants qui est peu motivée et suit de très loin les débats télévisés sur les méfaits
de Trump. Ajoutons que le très grand nombre de participants à la primaire a contribué à brouiller un peu plus les messages. Face à une dizaine
de discours divergents assénés pendant des mois, le public a peiné à trouver sa voie et donc à décider qui il voulait soutenir. On pouvait donc
craindre qu’après d’interminables et coûteuses primaires, le candidat démocrate finalement sélectionné soit affaibli par les polémiques internes
au parti et à court d’argent pour financer le duel avec Trump qui, de son côté, a suivi de près ces débats et jeté en permanence de l’huile sur le
feu avec un réel talent pour ridiculiser ses adversaires.
Il ne faut jamais oublier que, contrairement à ce qui se passe en Europe, l’argent est un facteur essentiel de la campagne. Aux États-Unis, il
n’existe pas de réglementation de financement des campagnes électorales et la Cour suprême a fait sauter les derniers verrous en autorisant
entreprises et personnes privées à financer sans limites les partis.
Dans cette dangereuse compétition, Trump sort vainqueur grâce au soutien d’un grand nombre de milliardaires. Il a récolté plus de
200 millions de dollars pour la campagne de 2020. Toutefois, les principaux candidats démocrates s’en sont bien sortis en multipliant les appels
aux dons, même réduits, des particuliers. Cela a notamment été le cas de Bernie Sanders qui, grâce à l’efficacité de sa campagne de collecte de
fonds sur les réseaux sociaux, a bénéficié de l’aide de centaines de milliers de donateurs modestes. Force est de constater que, contrairement
aux primaires précédentes, les candidats démocrates n’ont pas été en panne d’argent et n’avaient donc aucune raison d’abandonner la
compétition. En revanche, le vainqueur de la compétition interne, Joe Biden, a eu plus de mal à financer l’affrontement contre le président
sortant, car les donateurs potentiels s’étaient déjà largement mobilisés pour les primaires.
Une autre inconnue majeure pour les Démocrates est l’issue des scrutins du Sénat, renouvelable par tiers, et de la Chambre des
représentants, renouvelable en totalité, qui ont lieu le même jour que l’élection présidentielle. Aujourd’hui, les Démocrates sont majoritaires à la
Chambre alors que le Sénat est contrôlé par les Républicains. Il n’est pas assuré que cet état de choses change après le 3 novembre : en effet,
le renouvellement par tiers freine les grands mouvements d’opinion. Or, les Républicains ont 53 sièges contre 47 pour les Démocrates. Il est
donc probable qu’ils conserveront une majorité, même réduite à un ou deux sièges. Dans ce cas, un éventuel président démocrate sera en
partie paralysé, comme ce fut le cas d’Obama à la fin de son mandat. Il ne pourra pas, par exemple, imposer un candidat à la Cour suprême et
devra subir les attaques d’un parti qui est de plus en plus idéologue et financé sans limites par de richissimes mécènes aux opinions
ultraconservatrices comme Ed Koch.
Même si les Démocrates l’emportent dans les deux Chambres, la partie ne sera pas forcément aisée. Le parti restera divisé entre une aile
plus à gauche et une aile centriste, une division qui est dans une large mesure la conséquence de la variété des situations électorales. Un élu
démocrate d’une circonscription du Sud assez conservatrice et où Trump aura réalisé un bon score ne se comportera pas comme un élu de
New York ou de San Francisco où les Républicains sont presque inexistants{52}.
Le cas de deux nouvelles élues à la Chambre des représentants en 2018 illustre parfaitement ces clivages. Abigail Spanberger est une
ancienne collaboratrice de la CIA, très axée sur les questions de sécurité ; ce qui ne l’empêche pas de défendre la réforme de l’assurance santé
et de voter en faveur de l’impeachment de Trump. Elle est bien consciente néanmoins qu’elle a conquis en Virginie un siège détenu par les
Républicains, avec une marge de 2 points seulement, et que sa réélection en 2020 n’est pas garantie.
Ayanna Pressley, quant à elle, est une afro-américaine qui a éliminé dans une primaire le député démocrate sortant et l’a emporté à une large
majorité dans une circonscription du Massachusetts traditionnellement libérale{53}. Les deux femmes, quadragénaires, cohabitent au sein du
groupe démocrate mais peinent à communiquer entre elles. Spanberger n’oublie pas que Trump reste populaire dans sa circonscription et qu’un
virage à gauche du parti démocrate pourrait lui être fatal. Pressley, elle, est assurée d’être réélue. Elle s’est donc liée avec Alexandria Ocasio-
Cortez, élue de Queens et vedette médiatique de la gauche démocrate qui a soutenu le candidat « socialiste » Bernie Sanders. On peut
s’interroger sur la capacité de ces deux membres de la Chambre à se mobiliser ensemble pour le candidat choisi par la convention démocrate,
Joe Biden, qui ne peut pas refléter ces deux tendances, bien qu’il ait donné des gages à la gauche du parti.
Il faut tenir compte enfin de la réaction fréquente d’électeurs qui votent pour le candidat d’un parti à la présidentielle et, le même jour, votent
pour l’autre parti au Congrès afin d’assurer un contre-pouvoir.
Ces fractures probables de la nouvelle majorité ouvrent évidemment un champ d’action inespéré aux multiples lobbies qui dépensent des
millions de dollars à Washington pour faire triompher leur point de vue. On a évoqué par exemple le projet de certains candidats, comme
Elisabeth Warren, de démanteler les GAFA. Il est évident que ces géants qui disposent de moyens financiers considérables ne se laisseront pas
faire et qu’ils bénéficieront du soutien des élus des régions où ils sont le plus implantés. Ainsi, même si la campagne électorale met en lumière de
nombreux dérapages des réseaux sociaux, et notamment des filiales de Facebook et de Google, il n’est pas acquis qu’on pourra leur imposer
des réformes significatives{54}.
Plus généralement, les candidats, pour rester crédibles, doivent s’avancer avec prudence sur leur programme législatif. Il n’est pas évident
que dans un pays aussi fracturé, ils trouveront une majorité pour voter des réformes audacieuses. Dans ces conditions, proposer une multitude
de réformes qui coûteront des milliers de milliards de dollars et qui n’ont guère de chances d’aboutir, compte tenu de la paralysie du système,
risque d’être contreproductif. C’était un sérieux défi pour les candidats les plus réformistes, Sanders et Warren, dont la crédibilité a été ainsi
mise en cause par leurs concurrents qui leur reprochaient de faire des propositions irréalisables et donc de risquer de décevoir rapidement leurs
électeurs{55}.
Les candidats centristes eux aussi ont joué sans scrupule la carte de l’éligibilité. Ils ont laissé entendre que la priorité était de battre Trump et
qu’un candidat trop marqué à gauche ferait fuir les plus modérés en dépit de l’excellence de son programme. Dans ces conditions, les partisans
de Biden n’ont cessé d’affirmer que cet homme âgé et usé par quarante ans de vie publique était le bon candidat, car il ne ferait peur à
personne, contrairement au « socialiste » Sanders qui a pourtant le même âge.

L’illusoire procédure d’impeachment

Enfin, le déroulement de la procédure d’impeachment du président, engagée depuis octobre 2019, a pesé pendant plusieurs mois sur la
campagne. Les sondages continuent à montrer une profonde division de l’opinion selon des critères à la fois politiques et de sexe. Comme on
l’a indiqué au chapitre précédent, les électeurs républicains manifestent une fidélité constante pour leur président qui reste très populaire chez
eux alors que les électeurs démocrates sont massivement favorables à sa destitution. Les indépendants, dont le poids est décisif, restent
partagés, même s’ils penchent plutôt pour l’impeachment.
Ce qui est frappant, c’est l’écart entre les hommes et les femmes. D’après un sondage de l’Université Quinnipiac dont le sérieux est reconnu,
53 % des femmes étaient favorables à une procédure de destitution et 40 % contre. Chez les hommes, il en va très différemment : 36 %
seulement approuvaient une éventuelle destitution et 58 % y étaient hostiles{56}. Or, les Démocrates ont besoin de mobiliser une fraction
importante de l’électorat masculin pour l’emporter dans les États du Middle West.
La tactique de Trump et de ses alliés républicains a été claire : au lieu de discuter du fond du dossier, celui-ci s’est présenté en victime. Cette
manœuvre a présenté l’avantage de passer sous silence le cœur de l’accusation et de convaincre à travers Twitter et Facebook les soutiens du
président que celui-ci est, une fois de plus, victime d’une chasse aux sorcières menée par des êtres malfaisants, ceux que Trump appelle les
« Do nothing Democrats ». Il s’agit là d’un comportement sans précédent dans la longue histoire du pays, celui d’un président qui affirme que
depuis son élection, il est au-dessus des lois et peut refuser toute forme de collaboration avec les assemblées élues tout en informant
quotidiennement le peuple par les réseaux sociaux qui sont devenus un prolongement naturel du pouvoir en évitant tous les intermédiaires et, de
fait, en écartant toutes les critiques.
Dans ces conditions, les possibilités d’action de la Chambre des représentants démocrate ont été étonnamment limitées. Non seulement elle
n’avait aucun moyen de rectifier ce qui se dit sur les réseaux sociaux, dont les responsables, comme nous l’avons vu, hésitent à censurer le
président, mais elle ne pouvait forcer les proches de Donald Trump à témoigner qu’en faisant appel aux tribunaux, une méthode lourde et
aléatoire qui risquait de déboucher sur un blocage de la Cour suprême acquise dans sa majorité au président au moment où le vote de
l’impeachment est intervenu, le 19 décembre 2019.
L’analyse de ce scrutin a parfaitement reflété la profonde division du monde politique. Les élus républicains ont tous voté contre les deux
articles de la demande d’impeachment. Côté démocrate, seuls deux députés n’ont pas voté la motion de leur parti qui l’a donc emporté, sur
des bases strictement partisanes, par 230 voix contre 197. Il est à noter que les élus démocrates des circonscriptions menacées en raison de la
popularité de Trump ont pratiquement tous voté en faveur de la destitution, prenant ainsi de manière très consciente le risque de perdre leur
siège en 2020.
Il en a été de même au Sénat. Les articles d’impeachment votés par la Chambre des représentants ont été transmis au Sénat le 16 janvier.
La procédure de l’examen de ces articles par celui-ci a été solennelle en apparence et totalement artificielle en réalité, tant la majorité
républicaine était pressée d’en finir. Certes, les séances se sont déroulées sous la présidence de John Roberts, le président de la Cour suprême.
Les porte-parole de la Chambre et les avocats de Trump ont eu chacun trois jours pour présenter leurs points de vue évidemment opposés.
Après cette présentation, les sénateurs ont eu la possibilité de poser des questions aux uns et aux autres. Toutefois, le débat s’est limité à ces
échanges formels. La demande des Démocrates d’auditionner de nouveaux témoins et surtout John Bolton, l’ancien conseiller du président pour
la sécurité nationale, a été rejetée par 51 voix contre 49. Le rejet de la demande de destitution a été acté comme prévu le 5 février 2020 par
52 voix contre 48 sur des bases partisanes. Un seul sénateur républicain, Mitt Romney, a voté la destitution avec les Démocrates. Ainsi s’est
terminée une opération mal engagée depuis le début.
On peut donc s’interroger sur la portée véritable de cet événement, extraordinaire en apparence, qu’est l’impeachment. Les sondages
montrent que le résultat du vote du Sénat n’a en rien modifié la position des électeurs sur la légitimité ou non de cette procédure.
Ce drame politique a eu pour effet de les mobiliser un peu plus et donc d’accentuer une coupure de plus en plus béante entre les deux
camps. Ce climat de guerre civile inquiète beaucoup d’observateurs soucieux du bien commun de la République. Daniel Lacorne, un des
meilleurs connaisseurs des États-Unis en France, a su bien résumer la situation dès décembre 2019 : « Pour les Démocrates, l’issue de
l’élection de 2020 tiendra en bonne partie à leur faculté d’oubli : l’oubli d’une mise en accusation qui ne mène à rien{57}. »

L’avantage du camp centriste

Dès le début de l’année 2020, la campagne a donc repris. Les Démocrates se sont engagés dans une succession de primaires dominées dès
le départ par un duel surprenant entre deux septuagénaires, Bernie Sanders, 78 ans, et Joe Biden, 77 ans, incarnant des visions opposées de
l’avenir. Les propositions de Sanders impliquaient un bouleversement comparable, par son ampleur, avec le New Deal de Roosevelt en 1933,
et encore plus difficile à financer : les grandes lignes de son programme, le régime national de santé, la gratuité de l’enseignement supérieur
public, un vaste plan de lutte contre le réchauffement climatique et l’aide aux migrants représentaient des centaines de milliards de dollars à
réunir dans le cadre d’un budget déjà lourdement déficitaire. Le candidat l’affirmait fièrement : ce qu’il proposait, c’était une révolution.
Biden, pour sa part, affiche le désir d’un retour à la normale, à l’époque lointaine et révolue où le Sénat et la Chambre travaillaient en
harmonie grâce à des accords bipartisans entre Républicains et Démocrates. Il propose un programme prudent de réformes modestes, dans le
domaine de la santé, notamment, et il met l’accent sur sa longue expérience au Sénat et comme vice-président d’Obama.
Quant au troisième candidat, Pete Buttigieg, il a joué à la fois sur sa jeunesse (il est âgé de 38 ans) et sur ses positions centristes pour
prendre des voix aux uns et aux autres, sans convaincre une majorité préoccupée par son manque d’expérience, puisque son seul mandat
politique a été la fonction de maire d’une ville de 50 000 habitants, South Bend, dans l’État à majorité républicaine de l’Indiana.
Au fil des débats et des primaires, les rapports de force entre candidats se sont modifiés avec une rapidité stupéfiante, illustrant la perplexité
d’un électorat démocrate désireux de battre Trump mais très hésitant sur le choix du meilleur adversaire du président sortant parmi de trop
nombreux postulants.
Au vu de ces différents résultats, on a pu constater que le succès de Sanders était réel, mais devait être relativisé. Il a bénéficié de l’adhésion
enthousiaste de l’aile gauche du parti et de sa jeune vedette, l’élue de New York Alexandria Ocasio-Cortez. Par ailleurs, son seul concurrent à
gauche, Elisabeth Warren, s’est effondrée, victime pour une part de ses atermoiements sur la réforme du service de santé et sans doute aussi
d’un réflexe sexiste d’une partie des électeurs démocrates. En revanche, Sanders a collecté beaucoup moins de voix que l’ensemble des
candidats centristes qui rassemblent près des deux tiers des votes des primaires. Lors de la primaire du New Hampshire, Sanders a obtenu
25,8 % des voix alors que Buttigieg et Klobuchar, les deux principaux centristes, ont totalisé 44,2 %{58}. Dans le Nevada, Sanders a collecté
33 % des voix, ce qui l’a placé en tête, mais les trois candidats centristes ont totalisé 40 %. Il en a été de même en Caroline du Sud, où Biden a
réussi à regagner du terrain vis-à-vis des électeurs afro-américains et a obtenu 48 % des voix contre 20 % pour le « socialiste » du Vermont.
La montée en puissance de Sanders, alimentée par une considérable collecte de fond et une présence massive sur les réseaux sociaux, est
donc, comme nous l’avons dit, toute relative. Les observateurs ont d’ailleurs nuancé, en s’appuyant sur les sondages et les résultats des
premières primaires, l’affirmation du candidat selon laquelle sa campagne aurait un tel succès que des millions de jeunes iraient voter pour lui, lui
permettant d’obtenir la majorité. En fait, le taux d’abstention reste très élevé chez les jeunes, un phénomène classique dans toutes les
démocraties occidentales, et les appels de Sanders n’y ont rien changé. En 2016, seulement 37 % des électeurs démocrates et indépendants de
moins de 35 ans participèrent au scrutin. L’analyse des votes des primaires montre que la situation reste la même en 2020{59}.
Il en résulte que la majorité des électeurs démocrates continue à opter pour des positions nettement moins radicales que celles du sénateur
du Vermont. Il est d’ailleurs probable que sa candidature aurait entraîné par réaction un afflux d’électeurs indépendants en direction des
Républicains par crainte de ses prises de position socialistes.
Le camp centriste était donc nettement dominant dès le départ au sein de l’électorat démocrate mais, en raison de ses divisions, il a peiné au
fil des mois à se rassembler autour d’un candidat crédible. Comme l’ont souligné de nombreux observateurs, on a assisté au même phénomène
que celui qui avait bouleversé le camp républicain en 2016. Les adversaires de Trump ne parvenant pas à s’unir, le candidat le plus improbable
était parvenu à décrocher l’investiture.
Ces circonstances ont favorisé l’essor d’un autre candidat improbable, cette fois dans le camp démocrate. Bloomberg, l’ancien maire de
New York, qui fut successivement républicain, indépendant, puis, très récemment, démocrate, a profité du désarroi des électeurs centristes
pour se tailler une place dans la foule des postulants en s’appuyant sur une campagne massive de promotion financée par sa gigantesque fortune
personnelle. S’il avait obtenu l’investiture, on aurait assisté à un duel imprévu entre deux milliardaires new yorkais, sachant que Bloomberg, qui
« pèse » 60 milliards de dollars, est beaucoup plus riche que Trump. Cependant, Bloomberg souffrait de nombreuses faiblesses et notamment
d’une réputation de sexisme qui ne pouvait qu’indisposer l’électorat féminin à un moment où l’on assistait au ralliement en faveur des
Démocrates des femmes blanches et diplômées qui constituaient jusqu’alors une solide base électorale pour le parti républicain mais qui étaient
choquées par la misogynie de Trump. Au surplus, sa volonté affichée « d’acheter » à coup de millions l’investiture démocrate passait mal dans
un parti où l’on se méfie de plus en plus des grandes fortunes.
Il est aussi apparu au fil des primaires que la candidature de Bloomberg, en divisant un peu plus le camp centriste, avait indirectement aidé
Sanders qui était devenu l’unique porte-parole d’une gauche démocrate minoritaire dans le parti, mais très dynamique, et attirant beaucoup de
jeunes, même si ceux-ci ne vont pas toujours jusqu’aux urnes.
La force de Sanders résidait dans le fait qu’il était porteur d’un projet mythique capable de mobiliser les foules et qui contrastait avec la
prudence de ses concurrents. Là encore, la comparaison avec le Trump de 2016 est instructive. Trump avait rassemblé des millions d’électeurs
en annonçant sa volonté de « rendre l’Amérique à nouveau grande » (« great again »), proposant ainsi une forme de revanche à un électorat
blanc frustré. Sanders, quant à lui, déclare qu’il va libérer l’Amérique des chaînes du capitalisme financier de Wall Street par une démarche
révolutionnaire et inspirée de la social-démocratie européenne. Dans les deux cas, les candidats ne donnent guère de précisions sur la manière
d’atteindre ces objectifs ambitieux, mais les mythes qu’ils proclament suscitent l’enthousiasme d’une part importante de l’électorat en
nourrissant cette denrée rare du débat politique : l’espoir.
L’enjeu pour le sénateur du Vermont était désormais de rallier le maximum d’électeurs démocrates à cette vision mythique d’un avenir
prometteur face à des candidats centristes qui pèsent leurs mots et leurs options. C’était l’atout essentiel de Sanders et il a semblé au cours des
premiers scrutins que cela fonctionnait et que des représentants des minorités afro-américaines, hispaniques ou asiatiques se laissaient séduire,
ce qui modifiait évidemment le jeu électoral tel qu’il était imaginé au début de la campagne.
À la veille du Super Tuesday, c’est-à-dire des primaires, qui ont eu lieu le 3 mars dans quatorze États, dont deux d’entre eux, la Californie et
le Texas, envoient plusieurs centaines de délégués à la convention nationale du parti démocrate, en août, à Milwaukee, l’affrontement s’est à
nouveau resserré entre Biden et Sanders.
Plusieurs événements ont radicalement changé la donne à l’occasion de ces primaires décisives et ont permis à celles-ci de modifier les
rapports de force au sein du parti démocrate. Il y a eu tout d’abord, trois jours plus tôt, la primaire de Caroline du Sud qui, pour la première
fois, a permis à Biden de se retrouver en tête, grâce notamment à l’appui massif de l’électorat noir. Ce résultat inattendu, mais spectaculaire, a
entraîné le retrait de deux candidats centristes, Buttigieg et Klobuchar, ce qui ne pouvait que favoriser Biden.
Dans ces conditions, le déroulement du Super Tuesday a débouché sur un incontestable succès de Biden. Comme l’explique l’expert
électoral Nate Cohn, il a obtenu dans les quatorze États environ 60 % des voix des afro-américains mais aussi l’appui des blancs diplômés dans
les banlieues des grandes métropoles, un électorat croissant et très convoité{60}. La seule victoire incontestable de Sanders est la Californie
où il a bénéficié des votes des hispaniques qui l’ont soutenu à hauteur de 50 %, mais même dans cet État, le score de Biden n’a pas été
négligeable. Au terme de ces scrutins, il s’est trouvé en tête en nombre de délégués (45 % contre 39 % pour le sénateur du Vermont), obtenant
un avantage irréversible pour la nomination à la convention de Milwaukee. Prenant acte de cette situation, Bloomberg s’est retiré à son tour, ce
qui a permis à Biden de devenir le candidat unique d’un centre qui, une fois de plus, dicte sa loi au parti démocrate. Dans ces conditions, Nate
Cohn estimait que les chances de Sanders de l’emporter étaient très faibles, en dépit du retrait d’Elisabeth Warren dont une partie des électeurs
pourraient se rallier à lui.
Les primaires suivantes, dans le Mississipi, le Missouri, et surtout le Michigan, un des États clés du scrutin de novembre, ont encore accentué
cette tendance. Non seulement Biden a triomphé dans ces États, mais les sondages d’après scrutin ont montré l’étendue de son influence. C’est
ainsi que l’ancien vice-président a non seulement obtenu confirmation du soutien massif des afro-américains, mais a aussi capté une partie
considérable de l’électorat populaire de Sanders : les blancs sans diplômes vivant dans les zones rurales ainsi qu’une fraction des Républicains
modérés qui, en 2016, n’avaient pu se résoudre à voter pour Hillary Clinton et s”étaient donc abstenus. Avec le recul, les analystes politiques
constatent qu’en 2016, l’impopularité d’Hillary Clinton a joué un rôle important à la fois dans les succès de Sanders à l’occasion de plusieurs
primaires et dans sa défaite finale dans plusieurs États clés du Middle West.
Les résultats des primaires démocrates ont fait apparaître la force d’un mouvement anti-Trump et la volonté d’une fraction importante de
l’électorat – afro-américains, femmes blanches diplômées, sympathisants républicains modérés – de rallier Biden, considéré comme
un adversaire du président sortant plus crédible que Sanders. Il en a été de même pour les primaires de l’Illinois, de Floride et d’Arizona qui
ont confirmé la marginalisation du sénateur du Vermont. Celui-ci en a tiré les conséquences en engageant de discrètes négociations avec
l’entourage de Biden sur le programme du parti. Finalement, le 8 avril, Sanders s’est retiré de la compétition, entérinant le fait que le candidat
du parti démocrate serait Biden. Ce dernier s’est engagé à gauchiser son programme en préconisant une réforme plus large du système de santé
et des mesures pour réduire l’endettement écrasant des étudiants qui ne parviennent plus à financer de très coûteuses études.
Cette clarification est cependant loin de répondre à tous les défis qu’affronte le parti s’il veut triompher de Trump et restaurer la démocratie
américaine, bien mal en point. Les Démocrates restent en effet profondément divisés entre une aile gauche certes minoritaire, mais importante et
très active, et un centre qui a enfin trouvé son porte-parole en la personne de Biden, mais qui est bien conscient des limites de son candidat, cet
homme âgé et fatigué des épreuves de la vie et d’un trop long parcours politique.
Ce qui oppose ces deux fractions, c’est notamment une différence d’analyse de l’opinion publique américaine. Alexandria Ocasio-Cortez, la
jeune et charismatique animatrice du clan Sanders, semble convaincue qu’une partie importante du pays, notamment les minorités ethniques et
les jeunes, est prête à se mobiliser pour une politique audacieuse de partage des richesses accaparées par 1 % de la population et la mise en
place d’un système de santé administré par l’État et s’inspirant du modèle britannique. Selon elle et ses proches, il existe une majorité sous-
jacente qui ne demande qu’à se réveiller et qui doit être soutenue énergiquement par des élus plus à gauche. Elle préconise donc la
multiplication des primaires locales, à l’instar de ce que fit le Tea Party, il y a dix ans, pour le parti républicain, de façon à remplacer des élus
démocrates modérés par des militants partisans du changement.
Cette position est fortement contestée par les Démocrates centristes. Ils estiment qu’il faut tenir compte des leçons de la victoire de 2018 qui
leur a permis de reprendre la majorité à la Chambre. Comme l’explique l’éditorialiste Jennifer Steinhauer, cette année-là, les 40 sièges de
majorité gagnés par les Démocrates le furent dans des circonscriptions qui avaient voté pour Trump en 2016 et furent remportées par des
candidats modérés capables d’attirer des déçus du président. Le seul succès de la gauche favorable à Sanders fut la victoire dans une primaire
d’Alexandria Ocasio-Cortez qui élimina un député sortant démocrate, ce qui ne fit gagner aucun nouveau siège au parti{61}.
De même, les premières primaires démocrates de 2020 pour de futurs sièges au Sénat ou à la Chambre ont nettement favorisé les candidats
plus centristes. Il apparaît que la motivation première des électeurs démocrates, auxquels se joignent des indépendants devenus hostiles à
Trump, est la volonté de choisir la personne la plus apte à défaire le président sortant. Une nette majorité s’est dessinée en faveur de Biden,
considéré comme plus favorable à un rassemblement que Sanders, lequel a inquiété de nombreux électeurs par ses déclarations intransigeantes
sur la nécessité d’opérer des changements révolutionnaires.
Une incertitude demeure, c’est le niveau de ralliement à Biden des soutiens de Sanders. On estime qu’en 2016, 12 % de ses électeurs
préférèrent voter pour le populiste Trump plutôt que soutenir la candidate du parti. En 2020, Trump ne s’y est pas trompé et a multiplié les
appels à ces individus qui se jugent isolés et incompris. Il n’est pas sûr pourtant qu’il ait gain de cause. Biden est beaucoup plus consensuel
qu’Hillary Clinton et, du fait de ses origines modestes, il est un candidat plus acceptable pour les blancs non diplômés issus de la classe
ouvrière. Seuls les jeunes partisans de Sanders risquent de ne pas reporter leurs votes sur Biden. Lors des primaires, on estime que deux tiers
des électeurs de moins de 45 ans ont soutenu le sénateur du Vermont, mais leur taux d’abstention est resté élevé, alors que les plus de 45 ans
sont demeurés fidèles à Biden et votent beaucoup plus.
Chapitre 4
Un électorat captif ?

Comme nous l’avons vu dans le premier chapitre, Trump a mis en place une distorsion permanente de la vérité qui mine totalement le débat
politique : il n’y a plus de débat à proprement parler, il n’y a que des vérités qui s’affrontent, comme si coexistaient deux mondes, l’un vrai et
l’autre faux. C’est ce que la procédure d’impeachment a mis une fois de plus en lumière, et qui explique dans une large mesure le clivage
radical et dangereux entre les familles d’opinions, et la difficulté de dégager une majorité sur le plan national.
Ainsi, lorsque la majorité démocrate a accusé Trump de pressions sur le président ukrainien pour discréditer son candidat, Fox News et
d’innombrables publicités sur Facebook ont fortement démenti ces accusations en affirmant qu’elles étaient sans fondement. Cela n’a
évidemment pas convaincu les adversaires du président mais cela a renforcé la foi de ses partisans. Ces derniers se regroupent au sein de
communautés d’amis sur Facebook qui se confortent mutuellement dans leur colère contre les législateurs démocrates et partagent leurs
commentaires élogieux des messages de Fox News captés aussi bien sur Internet qu’à la télévision et auxquels ils croient aveuglément, sans
faire preuve du moindre esprit critique.

L’exemple de la crise sanitaire

L’information sur l’épidémie de Coronavirus a illustré une fois de plus et dans un contexte dramatique l’opposition frontale entre deux
versions des faits. Alors que tous les meilleurs experts américains, y compris de proches collaborateurs de Trump, comme Peter Navarro, ont
donné l’alarme dès la fin janvier sur la gravité de cette affection et l’impréparation du pays, Fox News et les réseaux sociaux d’extrême droite
ont systématiquement relayé le message du président selon lequel il s’agissait d’un phénomène bénin orchestré à dessein par tous les ennemis de
Trump, Démocrates et médias de la côte Est. Jusqu’à la mi-mars, Trump a affirmé que la pandémie épargnerait le pays et, selon son expression,
« qu’elle disparaîtrait subitement sans laisser de trace ».
Cette présentation totalement déformée d’une crise mondiale a été accueillie sans contestation par la majorité des électeurs républicains,
convaincus à 90 % que leur président a toujours raison. Quand Trump s’est décidé, le 16 mars, à prendre des mesures d’urgence, on a assisté
à une étonnante volte-face de Fox News qui a rendu hommage à un président énergique et soucieux du bien public. Apparemment, le fait que
soient affirmés une chose et son contraire à une semaine d’intervalle n’a pas gêné les usagers de Fox et n’a pas entraîné non plus une baisse de
l’audience de la chaîne, ni de la popularité de Trump dans les sondages{62}. On constate, une fois de plus, une similitude avec le fascisme. Dans
les années 1950, Hannah Arendt avait déclaré à ce propos : « Les chefs des mouvements totalitaires basaient leur propagande sur le constat
psychologique qu’un jour on pouvait faire croire aux gens les affirmations les plus fantastiques et que si le jour suivant on leur donnait la preuve
irréfutable de leur fausseté, ils se réfugieraient dans le cynisme{63}. »
Il n’est donc pas surprenant que l’inquiétude des électeurs républicains face à la pandémie ait brusquement progressé, pour atteindre un
niveau proche de celui enregistré chez les Démocrates, lorsque Trump a finalement proclamé un « état de guerre », signe que la parole du
président conditionne totalement les attitudes de ses électeurs.
Cette situation pose évidemment une question fondamentale : est-ce qu’il est possible de faire fonctionner une démocratie si le débat
politique se résume à un affrontement de vérités alternatives et opposées, excluant toute forme de dialogue. Cela constitue un handicap majeur
pour les Démocrates qui ne disposent pas du puissant porte-voix de la Maison-Blanche et dont les affirmations et les critiques du président
semblent bien molles par rapport aux attaques virulentes de Trump (critiques qui viennent au demeurant conforter l’idée selon laquelle il est pour
ainsi dire la victime d’un complot). Le président exprime bruyamment et avec brutalité ce que pensent la plupart de ses électeurs{64} qui lui sont
reconnaissants de dire tout haut ce qu’ils pensent tout bas.

Un parti républicain muselé,


un électorat sous le charme

Côté républicain, la situation est plus simple, au moins en apparence. Donald Trump bénéficie de la notoriété d’un président sortant et
personne dans son parti n’osera le contester. Le ralliement spectaculaire à sa cause d’une femme politique de poids, Nikki Haley, ancienne
gouverneure de Caroline du Sud et ambassadrice à l’ONU, en est la preuve. Jusqu’à présent, elle avait maintenu une certaine distance avec le
président dont elle désapprouvait le racisme et la misogynie. Or, elle a compris que si elle veut avoir une chance d’obtenir l’investiture
républicaine pour 2024, il faut qu’elle fasse au moins semblant de soutenir Donald Trump. Elle a donc publié, en novembre 2019, un livre de
soutien, accompagné de multiples entretiens dans les médias, pour afficher sa proximité avec le président.
Les élus républicains qui manifestaient leur scepticisme à l’encontre d’un président erratique et sans scrupule ont tous décidé de se retirer ou
ont voté en silence contre l’impeachment. Ils savent bien que toute autre attitude déclencherait des attaques virulentes dans des tweets
présidentiels, et une primaire qui leur ferait perdre leur siège au profit d’un trumpiste déclaré, en raison du soutien inconditionnel des électeurs à
un président qui incarne leurs vœux et leurs illusions. De ce fait, et en quelques années, Trump est devenu le patron omnipotent d’un parti
républicain qui, jusqu’en 2015, lui était totalement étranger. Il s’agit là d’un phénomène populiste sans précédent dans l’histoire du pays, le fait
qu’un homme domine totalement un parti et y fasse régner une discipline de fer en surveillant de près les déclarations et les votes des élus.
Contrôler le parti et les élus ne suffit pas. Il faut aussi tout faire pour sauvegarder le soutien de l’électorat et de ses deux principales
composantes, les blancs non diplômés et les chrétiens évangéliques.
Il semble que son emprise sur les premiers reste forte, grâce notamment à l’appui indéfectible de Fox News, très regardée par ce public et
qui poursuit inlassablement son travail de propagande. Un récent sondage dans le Wisconsin, un des États clés qui a basculé en 2016 en faveur
de Trump, montre que 40 % seulement des électeurs sont favorables à une destitution contre 53 % qui y sont hostiles. Si les Républicains
perdent du terrain dans les banlieues où on retrouve les blancs diplômés et notamment les femmes qui, autrefois, votaient pour eux, ils se
renforcent dans les zones rurales, une évolution qu’on observe dans de nombreux autres États, et qui n’est pas forcément défavorable au parti,
en raison des aléas du découpage électoral et du poids des États les moins peuplés dans le collège électoral{65}.
Un des plus fins observateurs de la scène politique américaine, l’ancien ambassadeur de France à Washington, Gérard Araud, explique ainsi :
« [Trump] a démontré qu’on pouvait impunément mentir, trahir ses promesses, abandonner toute dignité et insulter ses adversaires et qu’on
pouvait faire accepter l’inacceptable [...] à condition que les électeurs aient le sentiment que c’est pour défendre leurs intérêts{66}. »
Ce n’est donc pas l’effet du hasard si le président candidat a multiplié ses meetings électoraux dans le Michigan, la Pennsylvanie et le
Wisconsin, des États qui ont particulièrement souffert de la désindustrialisation et où de nombreux électeurs approuvent sa fermeté à l’encontre
de la Chine accusée de leur voler des emplois depuis deux décennies. Comme le remarque encore Gérard Araud, dans ses meetings, Trump
« communique avec une foule enthousiaste. “My guys”, dit-il affectueusement. Il veut les défendre en défendant l’industrie américaine{67}. » Le
résultat est le maintien d’un travail permanent de séduction en faveur du président sortant dans les États clés qui peut laisser espérer au parti
républicain l’élection de précieux délégués lors du scrutin de novembre.
Les chrétiens évangéliques blancs représentent environ 25 % de la population et sont surtout influents dans les États du Sud. En 2016, ils ont
soutenu à hauteur de 81 % le candidat Trump qui s’était engagé sur deux sujets fondamentaux pour cette catégorie d’électeurs : la lutte contre
le droit à l’avortement et le soutien inconditionnel à Israël. Si l’hostilité fondamentale au droit à l’avortement s’explique par des considérations
éthiques sur le respect de la vie, il n’en va pas de même pour le soutien à Israël. Dans ce cas, ce soutien se justifie par une conviction largement
partagée dans cette communauté que la fin du monde est proche et qu’elle ne se réalisera que lorsque l’ensemble de la population juive se
retrouvera en Palestine et se convertira à la religion chrétienne. Cette vision eschatologique se référant à une lecture littérale de l’Apocalypse
peut sembler totalement irrationnelle, mais elle est largement partagée par les fidèles. Les gouvernements conservateurs israéliens l’encouragent,
sans être dupes sur les intentions de leurs interlocuteurs.
Après presque quatre ans de mandat, les principaux dirigeants de la communauté ne dissimulent pas leur satisfaction : Trump a parfaitement
respecté ses promesses. Il a nommé à la Cour suprême deux juges très conservateurs, bien que de confession catholique et non évangélique. Il
a aussi satisfait les demandes du gouvernement conservateur israélien en transférant l’ambassade des États-Unis à Jérusalem et en reconnaissant
la légitimité des implantations israéliennes dans les territoires occupés de Cisjordanie, deux décisions qu’aucun de ses prédécesseurs n’avait
voulu prendre par crainte de s’attirer l’hostilité des pays arabes et de rendre impossible un accord israélo-palestinien.
Il existe certes des tensions depuis quelques années chez les évangéliques. Certains croyants, les plus jeunes, hésitent à soutenir
inconditionnellement un président qui n’a guère de convictions religieuses, et qui ne se soucie pas des catégories les plus défavorisées ni des
migrants, souvent eux-mêmes de confession évangélique qui continuent à fuir des pays d’Amérique du Sud ravagés par le banditisme et les
trafics de drogue.
Toutefois, cette contestation reste limitée. Elle est très minoritaire et sans influence réelle sur les dirigeants de la communauté. Actuellement,
76 % des évangéliques blancs dressent un bilan positif de la présidence de Trump, ce qui est évidemment de bon augure pour le scrutin, et
90 % étaient opposés à l’impeachment.
Ce qui motive les évangéliques est bien décrit par Elisabeth Bruenig dans une enquête publiée en août 2019 dans le Washington Post {68}.
Cette communauté se sent de plus en plus déphasée par rapport à une société qui évolue dans un sens contraire à ses convictions.
La proportion d’agnostiques ne cesse de croître chez les jeunes. La tolérance pour les minorités sexuelles se généralise, le mariage pour tous
est accepté par l’opinion. Face à tout cela, les évangéliques se sentent menacés. Ils ont la conviction qu’ils livrent désormais une bataille pour
leur survie.
Sur le plan politique, le dernier président démocrate qui obtint leurs suffrages fut Jimmy Carter, en 1976, car il affichait sa foi évangélique.
Depuis 1980, ils votent pour les Républicains, mais ils ont été déçus dans le passé par Reagan ou Bush qui les ont beaucoup sollicités, mais
n’ont pas respecté les promesses de leurs campagnes électorales. En 2016, ils ont, une fois de plus, apporté leurs suffrages à un Républicain et
fait élire Trump et, cette fois, ils n’ont pas été déçus. Non seulement le président a respecté ses engagements, mais son langage ferme et brutal
montre qu’il ne se laisse pas « manipuler » par les réseaux d’influence de Washington. De ce fait, ils s’apprêtent à voter à nouveau pour lui en
2020. Leurs porte-parole n’hésitent pas à lui apporter publiquement leur appui et à mobiliser les électeurs, notamment sur Fox News. Il s’agit
en effet d’éviter une progression des abstentions, comme ce fut le cas lors de l’élection du Congrès en 2018.
Certains évangéliques, y compris des membres importants du gouvernement, comme le vice-président Pence ou le secrétaire d’État Mike
Pompeo, vont encore plus loin. Ils ne cessent de dresser le portrait de Trump comme celui du souverain choisi par Dieu qui va sauver la
chrétienté dans son combat mortel contre l’Islam. Ces théories fumeuses de l’homme providentiel peuvent surprendre des Européens. Elles
circulent pourtant depuis des années aux États-Unis et elles sont reprises par des millions de croyants. Leur impact politique n’est pas
négligeable{69}.
L’enjeu pour Trump est d’entretenir ces mythes qu’il reprend lui-même dans ses tweets afin de conserver cet électorat fidèle jusqu’au jour du
scrutin. Son objectif est d’obtenir la majorité du collège électoral en conservant la majorité en Floride et dans les États clés du Middle West,
même s’il est très vraisemblable qu’il perdra le vote populaire. Cet excellent manœuvrier politique conditionne toutes ses décisions et prises de
position au cours de la dernière année de son mandat à la nécessité absolue de satisfaire ses électeurs.
Une grande absente des débats, dans les deux camps, est la politique étrangère qui, d’après de multiples sondages, vient au quinzième rang
des préoccupations des électeurs, ce qui est le signe révélateur du repli des Américains sur leurs problèmes intérieurs. Ce repli avait déjà été
amorcé sous la présidence d’Obama qui avait bien compris la lassitude du pays face à d’interminables conflits en Afghanistan ou en Irak.
Trump a accéléré cette évolution. Il n’a certes pas réussi à se dégager du Moyen-Orient et à imposer un accord à l’Iran. Au surplus, sa
tentative de séduction du dirigeant de Corée du Nord Kim Jong-un a totalement échoué. Néanmoins, ses attaques incessantes contre l’étranger,
qu’il soit européen, chinois ou « islamiste », qui révèlent une virulente xénophobie, satisfont ses électeurs qui n’en demandent pas plus. Il existe
enfin un large consensus dans l’opinion pour que les États-Unis abandonnent progressivement le rôle de gendarme du monde qui avait été
soutenu par les présidents successifs au lendemain de la fin de la guerre froide, et qui se révèle aujourd’hui inefficace et trop coûteux.

Le facteur économique
Le dernier atout de Trump était, jusqu’en mars 2020, la bonne santé de l’économie. Or, il s’agit d’un facteur essentiel pour expliquer les
motivations des électeurs. Tous les observateurs politiques s’accordent sur le fait que les résultats des élections présidentielles des cinquante
dernières années ont été étroitement conditionnés par les résultats économiques. On se souvient du slogan de Bill Clinton, au cours de la
campagne qui lui permit de battre George Bush, alors que le pays entrait en récession : « It’s the economy stupid ! » Même si Trump s’attribue
des succès qui sont en réalité la conséquence de décisions prises par Obama au début de son premier mandat, en 2009, et qui ont évité une
crise comparable à celle de 1929, il faut bien constater que, avant la crise sanitaire, le produit national croissait sans interruption depuis dix ans
et que le chômage était très faible, le plus faible depuis 1969.
Il existait certes de nombreuses ombres au tableau. La grande récession de 2008 a laissé des traces durables. Les inégalités de revenu ne
cessent de se creuser et atteignent des niveaux qu’on n’avait pas connus depuis le début du XXe siècle. Le salaire moyen ne progresse plus
depuis vingt ans, ce qui entraîne une paupérisation des classes moyennes. Enfin, une fraction de la population, près de 20 %, vit dans des
conditions de grande précarité. De ce fait, les États-Unis sont un des rares pays développés à avoir constaté pendant trois ans, en 2016, 2017
et 2018, une hausse du taux de mortalité et une baisse de l’espérance de vie dans la population adulte.
Dans un récent essai, Nicholas Kristof, un des éditorialistes du New York Times, dresse, après une longue enquête à travers le pays, un
tableau inquiétant de la désintégration des populations rurales de l’Amérique profonde, rongées par l’alcoolisme et la drogue et impuissantes
face à un système économique impitoyable{70}. Un système qui leur vend des opioïdes extrêmement dangereux mais ne leur fournit aucun
soutien pour les aider à organiser leur vie, contrairement à ce qui se passe au Canada voisin ou en Europe. Il en résulte des centaines de milliers
de morts prématurées par overdose ou suicide. Les personnages que décrit Kristof sont des vaincus que rien ni personne n’aide à survivre mais
qui, souvent, soutiennent Trump en dépit du fait que sa présidence n’a pris aucune mesure en leur faveur.
Néanmoins, l’optimisme régnait encore récemment dans une grande partie de la population. Un sondage Gallup de janvier 2020 précisait
que 59 % des Américains considèrent qu’ils vont mieux que l’année d’avant, et que les deux tiers sont convaincus qu’ils iront encore mieux
dans un an{71}. De bons arguments en faveur du président sortant...
La plupart des citoyens américains continuent d’ailleurs à croire à une forme de darwinisme social, et pensent que la fortune va à ceux qui le
méritent, ce que certains interpréteront comme un héritage de la culture protestante qui continue à dominer ce pays où la religion est prise très
au sérieux. Au surplus, les plus cyniques des opérateurs politiques constatent que, contrairement à ce qui se passe en Europe, les plus pauvres
ne votent pas et ne vont même pas s’inscrire sur les listes électorales, privant ainsi de précieuses voix le parti qui serait le plus proche d’eux et
qui est censé défendre leurs intérêts, c’est-à-dire le parti démocrate. Ainsi, une forme d’oligarchie pèsera d’un poids disproportionné le
3 novembre. Un électorat blanc et âgé continuera à jouer le rôle d’arbitre. Et ira voter massivement, contrairement à d’autres classes d’âge et à
d’autres catégories de la population.

La crise sanitaire : changement de la donne ?

Cette situation relativement claire, et qui faisait apparaître un avantage relatif en faveur du président sortant, a été bouleversée de manière
totalement imprévue par l’irruption en mars 2020 de la crise sanitaire mondiale du coronavirus. En l’espace de quelques semaines, deux tiers de
la population américaine, soit environ 200 millions de personnes, ont été contraints au confinement total. L’impact sur l’économie a été d’autant
plus dévastateur que ce confinement a concerné les trois plus grandes métropoles, New York, Los Angeles et Chicago. Du coup, la Bourse
s’est effondrée et le chômage a atteint des niveaux qu’on n’avait pas connus depuis la grande dépression de 1929. Certes, et contrairement à
1929, les politiques ont réagi très rapidement. Après quelques semaines de tergiversations, Trump a entériné le vote unanime par le Congrès
d’un ensemble de mesures injectant près de 3 000 milliards d’euros dans l’économie et offrant aux salariés une protection exclue jusqu’à
présent par la droite républicaine.
Au cours de ces premiers mois de pandémie, les grands médias de la côte Est ont souligné les incohérences et contradictions du président
qui commença par nier l’importance de la crise pour ensuite changer brutalement de position, quitte à revenir sur des déclarations alarmistes et
préconiser la fin rapide du confinement pour sauver l’économie et donc ses chances de réélection. Toutefois, il ne faut jamais oublier que les
électeurs de Trump ne lisent pas le New York Times. Devant la carence manifeste de la Maison-Blanche, le système fédéral a cependant
prouvé son efficacité en autorisant les gouverneurs démocrates ou républicains et les maires des grandes villes à prendre les mesures
indispensables, ce qui leur a valu une forte progression de leur popularité.
Cette épreuve de grande ampleur n’a donc pas remis en cause ce qui est désormais un facteur fondamental de la société américaine, c’est-à-
dire la brèche infranchissable entre Démocrates et Républicains, confortée par l’existence de deux circuits d’information relativement étanches.
Les sondages ont montré le succès d’audience de la présentation télévisée quotidienne de l’évolution de la pandémie, présentation animée avec
brio par Trump lui-même et qui constitue un spectacle consternant pour ses adversaires, et passionnant pour ses partisans. Du coup, sa cote
d’approbation a eu un bref sursaut à 49 %, un niveau jamais atteint auparavant, tandis que 90 % des électeurs républicains affichaient leur
satisfaction{72}.
Très rapidement, cependant, sa cote d’opinions favorables est retombée à 45 % soit le même niveau qu’en janvier 2020, à mesure que les
chiffres de malades et de décès montaient en flèche. De même, on a constaté une forte progression de la consultation des sites des grands
journaux de la côte Est et des médias locaux, tandis que Fox News plafonnait{73}.
À la veille d’un scrutin décisif, le président n’a pas changé de stratégie. Son objectif, le même que celui qu’il poursuit depuis 2016, est de
stimuler et satisfaire son électorat sans chercher à l’élargir en direction d’autres catégories de la population qui lui sont, de toute façon,
inaccessibles. C’est pourquoi il encourage la relance de l’économie, au risque d’un redémarrage de la pandémie, et maintient un blocage total
des frontières.
Les études d’opinion montrent que, pour le moment, il parvient à conserver l’appui de ses électeurs. Il reste certes très minoritaire sur le plan
national, mais il conserve de solides positions dans les États clés, décisifs pour conquérir une majorité au sein du collège électoral. De son côté,
Joe Biden bénéficie de l’appui de l’électorat afro-américain et du soutien de la majorité des plus de 65 ans qui semblent délaisser Trump, mais il
peine à mobiliser l’ensemble de l’électorat démocrate. Le risque est donc d’aboutir une fois de plus à la victoire d’une minorité fortement
motivée par une campagne permanente et efficace sur Facebook et Fox News.
Chapitre 5
Une démocratie en péril

La démocratie est-elle mortelle ? C’est la question que posent beaucoup d’observateurs, et à juste titre. Les dérives des pouvoirs dans
plusieurs pays d’Europe tels que la Pologne ou la Hongrie sont flagrantes. Dans de vieilles démocraties comme le Royaume-Uni ou la France,
les jeunes générations semblent moins attachées aux institutions démocratiques et plus attirées par les promesses d’un pouvoir fort que leurs
aînés. Toutefois, le choc majeur qui a donné une impulsion décisive à cette évolution préoccupante a été l’élection de Trump en 2016, portée
par le sentiment de frustration d’une population vivant dans un environnement médiatique intrusif et destructeur et ne voyant pas d’issue à ses
difficultés économiques.
Dans ces conditions, la réélection du président américain aurait un impact déterminant sur le fonctionnement de la démocratie dans son pays
et ses répercussions sur le reste du monde seraient considérables.
On verrait se concrétiser un processus que Steven Levitsky et Daniel Ziblatt décrivent dans leur essai La Mort des démocraties{74}, qui a
eu un grand retentissement aux États-Unis : l’accoutumance au mensonge et le triomphe des réalités parallèles.
Ce qu’on peut craindre, en effet, c’est que le dialogue démocratique devienne impossible entre un président conforté par une réélection
acquise de justesse et une opposition découragée par un échec dont elle portera pourtant dans une large mesure la responsabilité.
Plus concrètement, les mécanismes normaux de l’information risquent de ne pas survivre à un second mandat de quatre ans. On est assuré
d’assister au maintien de la domination de Fox News, porte-parole conforté d’une Maison-Blanche vivant au rythme de tweets dialoguant en
permanence avec la chaîne. On assisterait à la pérennisation d’une absence totale de décence, de cette réserve qu’au moins en public, ont
affiché tous les présidents des temps modernes. On cite souvent les propos injurieux ou violemment antisémites que Nixon tenait en privé, mais
ce grand professionnel de la politique maîtrisait parfaitement son discours public.
Un deuxième mandat de Trump verrait donc le triomphe d’une vérité alternative. Un phénomène qui avait marqué l’existence des régimes
totalitaires des années 1930, mais qu’on croyait définitivement disparu. Déjà, ainsi qu’on l’a souligné au chapitre 3, la procédure
d’impeachment a déclenché une masse considérable de fausses informations et d’accusations de manipulation. La campagne des
présidentielles n’a fait qu’accentuer ce phénomène en mettant encore plus en lumière le contraste profond entre deux systèmes d’information
imperméables l’un à l’autre. D’un côté, les médias traditionnels, grands quotidiens, chaînes de télévision, de l’autre, les canaux de propagande
au service du président, Fox News, certains programmes de radio, mais aussi les boucles d’amis communiant dans le culte de la désinformation
systématique, sur Facebook, What’sApp et des messageries telles que What1.
Ce paysage profondément déformé de la communication nationale conforte la désorganisation croissante des mécanismes traditionnels de la
démocratie.

Vers un pouvoir de forme totalitaire

Un changement majeur dans le fonctionnement du pouvoir s’est opéré à la suite du rejet par le Sénat de la demande d’impeachment
adressée par la Chambre à l’autre assemblée. Un des arguments principaux de cette demande portait sur le fait que la Maison-Blanche avait
refusé de fournir des documents et d’autoriser des témoins à comparaître, un comportement sans précédent dans l’histoire de la présidence
américaine.
Le vote négatif du Sénat a manifestement été interprété par Trump comme la confirmation de sa propre lecture de la Constitution selon
laquelle un président, une fois élu, a tous les pouvoirs et peut donc rejeter en toute impunité toutes les demandes des assemblées. Il est
d’ailleurs immédiatement passé aux actes en renvoyant plusieurs collaborateurs qui avaient osé comparaître devant la commission compétente
du Congrès et avaient contredit ses déclarations sur ses relations avec le gouvernement ukrainien.
Plus préoccupante encore a été son intervention sur le fonctionnement du ministère de la Justice{75}. Trump a fréquemment affirmé qu’il était
le responsable ultime de l’application des lois, ce qui est conforme à la Constitution. Il apparaît toutefois qu’il a une conception très personnelle
de cette responsabilité présidentielle. Il a aussi déclaré que la Constitution lui donnait le droit de faire ce qu’il voulait. Ses avocats ont repris
cette thèse lors de divers affrontements avec les autorités judiciaires ou politiques. Ce fut le cas notamment quand les tribunaux voulurent
l’obliger à fournir ses déclarations fiscales ou quand le Congrès réclama des informations lors de la procédure d’impeachment.
Le président est allé encore plus loin dans sa guerre contre le ministère de la Justice. Il a fait publiquement pression sur le ministère public et
les juges pour que son ami Roger Stone, coupable de graves atteintes à la loi, bénéficie d’un allégement de sa peine. De même, il a gracié sans
tenir compte de l’avis de ses conseillers des escrocs notoires qui avaient la chance d’avoir des amis communs avec lui. Enfin, il a exigé que son
ministre de la Justice, William P. Barr, « nettoie le ministère », et donc fasse partir tous les magistrats soucieux d’un minimum d’indépendance.
Cette situation, totalement nouvelle, met en lumière une faiblesse du régime que les meilleurs observateurs n’avaient pas perçue jusqu’à
présent. Il était généralement admis que la Constitution des États-Unis reposait sur un mécanisme délicat mais efficace de « checks and
balances ». Autrement dit, les pouvoirs du président étaient contrebalancés par les assemblées parlementaires, Congrès et Sénat, et par un
système judiciaire indépendant puisque constitué de juges nommés à vie et donc inamovibles.
Or, on constate que lorsque le parti du président, en l’occurrence le parti républicain, contrôle l’une des assemblées, le Sénat, le président
peut agir comme il veut sans être contredit ou censuré et a aussi la possibilité de nommer des juges qui lui sont favorables, à tous les échelons
de la hiérarchie.
La disparition des contrepoids voulus pourtant par les pères fondateurs à la fin du XVIIIe siècle résulte dans une large mesure de la mutation
du parti républicain. Jusqu’à la fin du XXe siècle, cette formation était relativement pluraliste, les élus les plus conservateurs cohabitant avec des
centristes représentant les États de la côte Est. En 2004, le parti changea d’orientation à l’occasion de la campagne de réélection de George W.
Bush. Les conseillers du président sortant décidèrent de renoncer à viser de manière prioritaire un électorat centriste et pluriethnique difficile à
convaincre. Ils bâtirent, avec succès, leur campagne sur la frustration des électeurs blancs les plus à droite qui, du coup, allèrent voter
massivement pour Bush{76}.
Deux événements vinrent conforter ensuite cette mutation, prélude à l’arrivée de Trump, au cours des années suivantes. Il y eut d’abord la
crise financière de 2008 qui ruina près de dix millions de foyers, incapables de rembourser les crédits hypothécaires de leurs maisons, et
ébranla la confiance des catégories les plus modestes de la population dans un gouvernement qui prit des mesures d’urgence pour sauver de la
faillite les grandes institutions financières responsables de la crise, mais manifesta beaucoup moins d’ardeur pour venir au secours des
familles{77}. De ce fait, l’absence de réaction de la présidence Obama face aux excès flagrants des banquiers de Wall Street fit un tort
considérable au parti démocrate. Comme le souligne Michael Winters, l’envoi en prison de quelques banquiers coupables d’abus majeurs
portant sur des milliards de dollars aurait changé l’image des Démocrates{78}.
L’autre événement fut l’apparition et l’essor du mouvement du Tea Party sous la présidence d’Obama. Ce puissant mouvement populaire
mobilisa avec efficacité des millions de petits blancs choqués de voir à la Maison-Blanche un président noir et irrités par le poids d’un
establishment politico-financier associant les élites de Washington et les prédateurs de Wall Street. La réforme du système de santé,
l’Obamacare, fut la cible commode de ces activistes qui y voyaient une intervention intolérable de l’État sur le sujet sacré de la santé
des familles. Toutefois, le vrai motif de cette contestation populaire était la « menace » que faisait peser sur la population blanche l’afflux de
migrants venus de l’Amérique latine et de l’Asie et accusés de voler les emplois et de mettre en péril l’identité nationale.
Le climat était donc mûr pour Trump. Celui-ci a su, avec un réel talent politique, mobiliser à son profit cette colère qui, comme on a pu le
vérifier au cours du XXe siècle, est trop souvent un stimulant de l’extrémisme et du fascisme. Sa possible réélection ouvre la voie au
fonctionnement antidémocratique d’une des plus anciennes démocraties de la planète dont le modèle a suscité pendant deux siècles l’admiration
de tous les militants de la liberté.
Les composantes de ce pouvoir conforté par un scrutin victorieux seraient les suivantes. Tout d’abord, comme on l’a montré, la
pérennisation du système de la double vérité. Une vérité diffusée par les réseaux de communication liés à la Maison-Blanche, Fox News,
Twitter et des pages sur Facebook face à la vérité totalement différente des médias traditionnels. Ce qui est frappant, c’est que le suivi aveugle
des impulsions souvent contradictoires du président par les médias qui le soutiennent ne nuit ni à leur crédibilité ni à leur audience. On constate
que des dizaines de millions de téléspectateurs et d’internautes sont captifs et aisément manipulables. Or, ce sont les mêmes individus qui votent
dans les primaires qu’affrontent les députés ou sénateurs sortants. Les Républicains considérés comme trop tièdes dans leur soutien à Trump
seront impitoyablement éliminés au profit d’inconditionnels du président.
Cette vérité parallèle sert donc d’appui efficace à un pouvoir personnel se déployant désormais sans contrôle. Libéré de la procédure de
destitution et bénéficiant du soutien inconditionnel du parti républicain, Trump, s’il était réélu, pourrait pendant quatre ans prendre toutes les
décisions qu’il voudrait, dans tous les domaines de l’administration{79}.
On verrait alors se mettre en place un système sinon totalitaire, tout au moins autoritaire et constituant à la fois une radicale nouveauté pour
les États-Unis et un modèle attrayant pour les nombreux autocrates de la planète. Ce nouveau système de pouvoir se fonderait sur un dialogue
permanent et sans intermédiaire entre le président et le peuple ou, en tout cas, avec la partie du peuple qui adhère aveuglément aux affirmations
démagogiques et outrancières d’un dirigeant assuré de son bon droit.
Dans cette hypothèse, les élus et les acteurs du monde politique et économique deviendraient totalement dépendants des foucades d’un
homme tout-puissant. Ils n’auraient aucun recours possible contre des décisions arbitraires. En effet, les tribunaux, cours d’appel fédérales et
Cour suprême sont progressivement noyautés par des juges conservateurs dévoués au président. Dans les assemblées, il en ira de même avec
un parti républicain qui adopte, au moins au niveau national, le comportement d’un parti unique totalement inféodé à la Maison-Blanche et
bloquant systématiquement toutes les initiatives de l’opposition.
Le plus inquiétant peut-être est que ce fonctionnement, qui paraît abusif et antidémocratique, n’est pas illégal. Dans un essai très commenté
mais peu contesté, deux éminents juristes américains démontrent que les actes réglementaires de Trump ne sont pas contraires à la Constitution.
Celle-ci définit en termes très généraux les prérogatives du président et, en définitive, lui reconnaît de grandes marges de manœuvre. Ce qui
est choquant et peut-être susceptible de sanctions politiques et juridiques, c’est le fait qu’il utilise ces moyens pour son intérêt personnel et non
pour l’intérêt national{80}. Toutefois, et compte tenu de la difficulté de monter une accusation bien étayée juridiquement, les auteurs concluent
que le seul juge est le suffrage universel, qui peut sanctionner par un vote négatif le candidat à sa réélection.
On peut objecter que les États-Unis bénéficient d’un régime fédéral qui octroie de vastes pouvoirs aux États et aux métropoles urbaines.
Cependant, ce dispositif, qui a bien fonctionné pendant des décennies, se dérègle lui aussi. La majorité des États est contrôlée par les
Républicains qui ne veulent surtout pas perdre le soutien d’un électorat acquis au président et n’hésitent pas à pratiquer le redécoupage des
circonscriptions et la manipulation des listes électorales pour se maintenir au pouvoir. De même, ils ont suivi aveuglément les directions
contradictoires du président sur le traitement de la pandémie. Au surplus, le président dispose de moyens importants d’intervention dans
l’ensemble du pays grâce à l’action d’un ministère de la Justice à son service.

La fin de la démocratie ?

Cet état des choses illustre un phénomène qui prend une grande ampleur dans les sociétés occidentales, l’essor d’une forme de pseudo-
démocratie qui débouche sur des régimes autoritaires par une exploitation habile des systèmes de communication et des mécanismes
incontestables du suffrage universel.
Ce qu’on découvre en effet, et que décrit notamment le livre La Mort des démocraties{81}, c’est qu’il n’est pas nécessaire de procéder à
un coup d’État pour asseoir le pouvoir d’un clan au service d’un autocrate. Les sociétés contemporaines offrent en effet des possibilités
insoupçonnées de manipulation, d’autant plus efficaces quand les forces d’opposition donnent des signes de faiblesse et s’avèrent incapables de
proposer des solutions crédibles aux maux de la société.
La première étape est évidemment une victoire électorale qui permet à l’équipe populiste de prendre en main les principaux instruments du
pouvoir. Ce qui distingue le comportement de cette équipe de celui des autres formations, c’est sa volonté de conserver le pouvoir à tout prix et
par tous les moyens, tout en conservant les apparences d’une démocratie normale. De ce point de vue, la présidence Trump a présenté
des signes révélateurs de ce processus. On constate qu’il dispose désormais des deux instruments les plus importants de l’exercice d’un
pouvoir autoritaire : le contrôle d’une partie au moins des médias grâce à l’appui inconditionnel de Fox News et l’exploitation intensive des
réseaux sociaux, Facebook et Twitter, et le soutien d’un parti, le parti républicain, qui lui est totalement inféodé. Comme le soulignent
Hennessey et Wittes : « Le 45e président parle rarement pour expliquer ses choix ou convaincre ceux qui n’ont pas voté pour lui ; il s’exprime
principalement pour galvaniser et conforter sa base{82}. »
Une fois ces éléments réunis, l’étape suivante consiste à s’emparer des autres leviers du pouvoir. La priorité est la mainmise sur le système
judiciaire. Des juges indépendants saisis par des organisations d’opposition ou par des citoyens mécontents peuvent en effet gêner
considérablement le pouvoir. Là encore, l’administration de Trump, avec la complicité d’un Sénat à majorité républicaine, a largement renouvelé
le personnel des juges fédéraux ainsi que la Cour suprême. Aujourd’hui, l’appareil judiciaire guidé par un ministère de la Justice repris en main
politiquement est de moins en moins en état de censurer les décisions de l’exécutif.
Il reste enfin à renouveler les dirigeants des autres services importants, notamment la police fédérale, le FBI et la Défense. Le processus est
bien engagé. Le 3 avril, Trump a envoyé un signal sérieux en renvoyant l’inspecteur général des services de renseignement. D’autres
limogeages, visant les inspecteurs généraux de plusieurs ministères, ont suivi.
Les exemples de pays européens comme la Pologne ou la Hongrie montrent qu’une fois réunies ces conditions, le succès électoral devient
très probable. Dans ces deux pays, le parti au pouvoir est pratiquement assuré de gagner les prochaines élections. Le public est conditionné par
une information à sens unique relayée par des boucles sur Facebook ou What’sApp et les tribunaux entérinent les actes illégaux mais efficaces
du pouvoir.
Dans le cas des États-Unis, les enquêtes d’opinion montrent que cette démarche produit des résultats. En dépit d’une gestion incohérente et
nourrie de contrevérités, Trump maintient une position minoritaire mais solide dans les sondages et talonne son adversaire démocrate dans
plusieurs États clés, ce qui lui donne une chance de conquérir une seconde fois la majorité du collège électoral. On assiste en quelques années à
une transformation radicale et en partie irréversible du système politique.
Il y a peu d’espoir en effet que des habitudes et un mode de fonctionnement mis en place par Trump et ses partisans disparaissent
subitement, laissant place à une démocratie tolérante et apaisée. Les tensions subsisteront entre des communautés profondément divisées par
des visions totalement divergentes de la vérité. La cohésion idéologique du parti républicain, qui rappelle de manière inquiétante celle des partis
fascistes de l’entre-deux-guerres, contraste avec les divisions du parti démocrate. La violence des échanges entre les tenants de deux vérités
inconciliables ne laisse malheureusement pas espérer le retour d’un possible débat d’idées, seul garant d’une véritable démocratie.
{1} All Points, 2019.
{2} Voir l’analyse de la procédure d’impeachment par l’historienne Jill Lepore dans le New Yorker du 28 octobre 2019.
{3} « Why is Trump fiding more protection than Nixon did ? », New York Times, 20 décembre 2019.
{4} Chloé Morin, « Médias traditionnels contre réseaux sociaux : une guerre inégale », Les Échos, 15 novembre 2019.
{5} Jane Mayer, « Trump TV », New Yorker, 11 mars 2019.
{6} Ibid.
{7} Cité par Jane Mayer, « Trump TV », art. cit.
{8} New York Times, 19 décembre 2019.
{9} « Trump is abandonning Fox News for OANN », Washington Post, 13 octobre 2019.
{10} Ezra Klein, « Polarization has changed the two parties », New York Times, 24 janvier 2020.
{11} Antoine de Tarlé, La Fin du journalisme ?, Ivry-sur-Seine, Les Éditions de l’Atelier, 2019.
{12} « La chute sans fin de la presse locale américaine », Les Échos, 27 novembre 2019.
{13} Ce rapport a été diffusé sous diverses formes. On peut se référer à son édition par le Washington Post Writers Group. Voir aussi le Bipartisan
Senate report on the Russian influence on the 2016 elections, cité dans le Washington Post du 10 octobre 2019.
{14} Voir notre analyse du rôle de Cambridge Analytica dans notre ouvrage La Fin du journalisme ?, op. cit.
{15} Cité par Thomas Edsall dans le New York Times du 29 janvier 2020.
{16} New Yorker, 3 septembre 2019.
{17} « The Twitter Presidency », New York Times, 2 novembre 2019.
{18} Elisabeth Spiers, « Trump never bothered to clean up his image », Washington Post, 27 octobre 2019.
{19} « The Twitter Presidency », art. cit.
{20} « Trump campaign floods web with ads », New York Times, 20 octobre 2019.
{21} Voir l’exposé de ce débat par Sue Halpern dans le New Yorker du 24 octobre 2019.
{22} Andrew Marantz, « Facebook and the free speech excuse », New Yorker, 31 octobre 2019.
{23} « Google policy change », New York Times, 20 novembre 2019.
{24} Voir l’article de Thomas Edsall dans le New York Times du 29 janvier 2020.
{25} Andrew Marantz, New Yorker, 9 mars 2020.
{26} Margaret Sullivan, Washington Post, 29 avril 2020.
{27} Desinformation and the 2020 election, NYU Stern Center for Business and Human Rights, septembre 2019.
{28} Washington Post, 29 novembre 2019.
{29} Washington Post, 8 janvier 2020.
{30} « Twitter adds warnings to Trump », New York Times, 29 mai 2020.
{31} Chloé Morin, « Médias traditionnels contre réseaux sociaux : une guerre inégale », art. cit.
{32} Voir l’analyse très complète de Jamelle Bouie, « The electoral college is the gratest threat to our democracy », New York Times, 28 février 2019.
{33} Ibid.
{34} Michael Tomasky, New York Review of Books, 5 décembre 2019.
{35} Voir l’examen des différentes hypothèse électorales dans l’étude du Brookings Institute America’s electoral future d’avril 2018.
{36} Michael Wine, « What is Gerrymandering ? », New York Times, 27 juin 2019.
{37} Levitsky-Ziblatt, La Mort des démocraties, Paris, Calmann-Lévy, 2019, p. 208.
{38} « Trump’s judiciary impact expands », Washington Post, 22 décembre 2019.
{39} Dan Balz, « Americans decry partisanship while fanning its flames », Washington Post, 27 octobre 2019.
{40} David Djaïz, Slow Démocratie, Paris, Allary Éditions, 2019 p. 78.
{41} Levitsky-Ziblatt, La Mort des démocraties, op. cit., p. 308.
{42} Voir l’analyse de Nate Cohn dans le New York Times du 23 octobre 2019.
{43} Levitsky-Ziblatt, La Mort des démocraties, op. cit., p. 299.
{44} Ces différentes données figurent dans le rapport America’s electoral future du Brookings Institute, Center for American Progress, 2018, p. 5 à 7.
{45} Ezra Klein, New York Times, 24 janvier 2020.
{46} Washington Post, 17 novembre 2019.
{47} America’s electoral future, op. cit., p. 15.
{48} « Courting the Twitter vote Megan Mcardle », Washington Post, 4 décembre 2019.
{49} Voir l’analyse de sondages par Nate Cohn dans le New York Times du 4 novembre 2019.
{50} Nate Cohn, New York Times, 12 novembre 2019.
{51} Michael Winters, entretien avec l’auteur.
{52} Voir sur ce point l’analyse de Michael Tomasky, « The party cannot hold », New York Review of Books, 24 mars 2020.
{53} New York Times, 18 novembre 2019.
{54} Thomas Edsall, « The danger of Elisabeth Warren », New York Times, 20 novembre 2019.
{55} Michael Tomasky, « The party cannot hold », art. cit.
{56} Paul Kane, « On questions of impeachment the gender gap widens », Washington Post, 29 novembre 2019.
{57} Daniel Lacorne, Le Monde, 22-23 décembre 2019.
{58} David Ignatius, « The rise of the moderate democrat », Washington Post, 14 février 2020.
{59} Michelle Goldberg, « Bernie Sandres can’t count on new voter », New York Times, 2 mars 2020.
{60} Nate Cohn, New York Times, 5 mars 2020.
{61} Jennifer Steinhauer, « Why democrats are still not the party of Alexandria Ocasio-Cortez », New York Times, 5 mars 2020.
{62} Michael Sean Winters, « Competent coronavirus management matters, and it’s political », blog NCRonline, 20 mars 2020.
{63} Citée par Andrew Marantz dans le New Yorker du 17 avril 2020.
{64} Voir l’analyse de Thomas Edsall, « Trump is waiting and he is ready », dans le New York Times du 13 février 2020.
{65} Dan Balz, « The perils of impeachment seen from Wisconsin », Washington Post, 24 novembre 2019.
{66} Gérard Araud, Passeport diplomatique, Paris, Grasset, 2019, p. 287.
{67} Ibid., p. 289.
{68} « Evangelicals view Trump as their protector. Will they stand by him in 2020 ? », Washington Post, 14 août 2019.
{69} Thomas Lecaque, « The apocalyptic mythe », Washington Post, 26 novembre 2019.
{70} Nicholas D. Kristof et Sheryl WuDunn, Tightrope: Americans reaching for hope, New York, Knopf, 2020.
{71} Cité par David Brooks dans « How Trump wins again », New York Times, 6 février 2020.
{72} Susan Glasser, « The Trump O’Clock Follies », New Yorker, 27 mars 2020.
{73} « The virus changed the way we Internet », New York Times, 7 avril 2020.
{74} La Mort des démocraties, op. cit., p. 285.
{75} Voir l’analyse des éditeurs du New York Times, « When Donald Trump is the law », 19 février 2020.
{76} Thomas Edsall, « The audacity of hate », New York Times, 19 février 2020.
{77} Michael Winters, entretien avec l’auteur.
{78} Michael Winters, entretien avec l’auteur.
{79} Au moment où paraît le présent ouvrage, l’élection n’a pas encore eu lieu.
{80} Susan Hennessey, Benjamin Wittes, Unmaking the presidency, New York, Farrar Straus and Giroux, 2020.
{81} Op. cit.
{82} Cité par Stephanie le Bars, « Le trumpisme au révélateur du Covid-19 », Le Monde, 11 avril 2020.

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