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La pratique du I Chuan est-elle dangereuse pour les Occidentaux ?

(2ème partie) Gérald Ansart


Article publié dans la revue Arts Martiaux 46

La pratique du I Chuan est-elle dangereuse pour les Occidentaux ? (2ème partie)

Dans la deuxième partie de notre article sur le Yi Quan, nous continuons d'explorer notre réflexion sur la notion de
l'homme debout. La revue Arts Martiaux Traditionnels d'Asie est, à notre sens, la seule qui pousse une
investigation sur les Arts Martiaux Traditionnels.
Mener une investigation, c'est porter une réflexion profonde sur un sujet, une opinion, et donc, une attitude
constructive. Nos propos ne se situent pas en opposition aux excellents travaux et enseignements réalisés par des
experts tels que : llias Caliminzos, précurseur du Yi Quan en France, Shigeru Uemura, Jean Luc Lessueur ou Karim
Aoudia. Par contre, nous sommes très sceptiques quand des tendances ou des groupements se déterminent
comme les représentants du Yi Quan authentique.
Que cache ce penchant malsain, qu'ont parfois certains pratiquants, à se présenter comme seuls dépositaires du
message d'un maître ? Se définir ainsi, c'est nier toute la part de subjectivité, de créativité mais aussi d'erreur de
l'être humain, ce n'est pas reconnaître que chaque personne porte en elle un sens différent de l'enseignement
qu'elle acquiert, qu'elle soit d'ailleurs le fils ou la fille du fondateur.
Recevoir ou vivre un enseignement en l'intégrant à ce que nous sommes fondamentalement, est sans aucun doute
un signe de santé morale, car il est donné à l'homme le privilège de pouvoir donner un sens à ce qu'il fait, c'est
d'ailleurs ce que nous essayons d'élaborer dans le cadre de cet entretien. L'évolution d'un art se fera dans la
synergie et la considération des différentes approches qui le composent.
Nous reprenons notre discussion à la suite du dernier numéro où monsieur Jean-Paul Sagniez nous signalait qu'une
correction posturale ne pouvait se faire qu'en fonction des schémas d'hyper-tonicité.

Gérald Ansart: Qu'entendez-vous par schéma d'hyper-tonicité?


Jean-Paul Sagniez: Je vais partir d'un exemple concret. Récemment, je participais à un stage ou il y avait
l'apprentissage de postures, l'observais un jeune pratiquant de 17 ans avec un bassin totalement basculé de type
"Gaston Lagaffe", il présentait déjà de nombreuses désorganisations psycho-motrices, avec une grande difficulté à
prendre la posture, car justement il était enfermé dans son schéma. Ici, il n'est pas question d'une approche
psycho-somatique, mais d'aborder cette situation dans une définition somato-psychique, où c'est le corps qui
imprime sa marque sur le psychisme. L'individu se trouve alors enfermé dans son carcan dont il ne pourra sortir
que si un regard extérieur est capable de décrypter son "image corporelle". En fonction de l'analyse posturale et
comportementale de cette même personne, l'enseignant apporte une correction pour l'amener à prendre
conscience de certaines raideurs ostéo-articulaires et le conduire tout doucement vers une amélioration de son
schéma corporel.
G.A.: Le facteur temps pour la correction est capital!
J.P.S.: Oui ! Car l'ajustement ne se fait pas spontanément, il correspond aussi à une élaboration de sensations
intérieures qui devront progressivement se mettre en place et être intégrées.
G.A.: Pour simplifier, nous avons un individu qui se trouve soit dans un schéma postérieur ou antérieur, il
présentera donc des zones d'hyper-tonicité qui cherchent à compenser son attitude par rapport au " schéma
normal, équilibré " que devrait avoir son corps. Dans le cas de notre jeune homme, qui témoigne un type " Gaston
Lagaffe ", l'hyper-tonicité se situe sur les muscles antérieurs comme le devant des cuisses. Ses tensions musculaires
cherchent ainsi à compenser sa rétroversion trop exagérée du bassin.
J.P.S.: Oui, c'est cela !
G.A.: Et si l'on suit bien votre raisonnement, l'enseignant qui se trouve face à un individu ayant un schéma que l'on
pourrait qualifier de "déficient", doit posséder une connaissance profonde des chaînes musculaires pour décrypter
les désorganisations physiques de son élève. Il perçoit ses tensions compensatrices et propose une correction qui
se situe réellement comme une éducation corporelle, puisque l'approche que l'on donne aux modifications du corps
entraîne une répercussion sur l'esprit étant donné que nous sommes dans une démarche somato-psychique.

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Article publié dans la revue Arts Martiaux 46

J.P.S.: Je le pense en effet.


Raymond Pain: Pour corroborer les propos de Jean-Paul, j'aimerais faire part d'une expérience que j'ai eue avec
une de mes élèves. C'est une dame âgée qui a subi une très grave entorse de la cheville, avec des séquelles
importantes de blocages articulaires. Si je lui demande de tenir la posture en " dogmatisant " mon travail avec les
deux pieds parallèles, c'est très clair, elle ne pourra pas la tenir ou alors si, elle le fera en forçant, au détriment du
genou, puis de la hanche.
G.A.: Où est la solution?
R.P.: Et bien il faut lui faire prendre conscience d'une position d'appui qui doit être différente, où elle peut avoir
une répartition du corps égale. Au départ son pied était à 45°, aujourd'hui nous en sommes à 30°. Cette correction
s'étend sur tout le corps, pas uniquement au niveau de la cheville. Si un enseignant n'a pas une connaissance de la
bio-mécanique des chaînes articulaires, il obligera la personne à prendre une posture théorique dont elle ne tirera
aucun bénéfice. Au contraire, elle sera victime de douleurs locales et diffuses qui ne l'entraîneront sûrement pas
vers un mieux-être.
G.A.: Dans votre correction, vous essayez de l'amener à un schéma type ?
R.P.: Je souhaite l'aider à ce qu'elle trouve une posture équitablement répartie dans laquelle elle se corrige pour
retrouver une mobilité qui ne se fasse pas au détriment d'une compensation qui, dans le cas d'une lésion et d'un
blocage articulaire de la cheville, se répercute sur le genou, du genou à la hanche et de la hanche, bien sûr, au dos.
G.A.: C'est pourquoi nous devons bien connaître l'anatomie dans la posture et dans le mouvement, mais pas
uniquement de manière isolée, mais en l'intégrant dans tous les segments que nécessitent une posture ou un
geste. Je crois qu'il est nécessaire de parler d'un paramètre important d'éducation corporelle et de correction que
sont les étirements. Dans les Arts Martiaux le stretching est trop rapidement et uniquement associé à l'obtention
d'un grand écart facial démonstratif. Signalons que, dans ses cassettes didactiques (les premières du genre), llias
Caliminzos démontre l'intérêt du stretching en complément indispensable du Yi Quan pour un meilleur apport
énergétique, afin de nous aider à découvrir "les lois du corps".
R.P.: Vous avez raison, le stretching abordé dans la connaissance des chaînes musculaires apporte un outil
fondamental pour une prise de conscience du corps. Indépendamment des paramètres de récupération qu'il nous
offre, nous pouvons grâce à son utilisation avoir de bons résultats sur les tensions, le retour à la mobilité des
articulations et bien sûr une détente nerveuse régulatrice.
G.A.: J'avais un élève dont la cambrure lombaire était trop exagérée, ce qui occasionnait d'importantes douleurs au
niveau du dos. Je l'ai envoyé auprès d'un kinésithérapeute, qui pratiquait la méthode Mézières. Il tut très surpris
que, dans ses exercices, il dut s'étirer les mollets, les muscles de l'arrière cuisse, mais il s'aperçut très rapidement
que cette action profonde sur ses chaînes musculaires lui valut une correction sur le positionnement de son bassin.
Nous avons là un bon exemple de ce que peut être un schéma d'hyper-tonicité compensatrice.
J.P.S.: Vous avez raison de signaler, qu'il ne faut pas hésiter à proposer une synergie de principes correctifs, pour
arriver à ce que l'individu intègre la conscience de son schéma et la méthode Mézières est d'une grande richesse.
Cependant, dans le domaine qui nous intéresse, celui des postures d'enracinement, je pense qu'il y a une approche
foncière qui se manifeste sur notre énergétique et que nous touchons ici, à un domaine de corrections plus subtil.
G.A.: Pouvez-vous vous expliquer?
J.P.S.: Et bien je pense que si travail énergétique il y a, il se fait au niveau de la cellule, le constituant le plus petit
du corps. On sait que la cellule est chargée d'une mémoire séquentielle ou vibratoire qui n'est bien sûr pas celle de
l'intellect. A partir de l'instant où il y a une mise en mouvement, puisque le but des postures d'enracinement est de
démontrer qu'à travers une statique il y a une extraordinaire mobilité qui se fait à l'intérieur du corps, nous avons
une action directement sur la cellule. Cette mise en mouvement n'est pas de l'ordre de la mobilité, mais plutôt issue
de la motilité. C'est à dire le moteur, ce qui est justement à la source du mouvement, donc de sa mémoire.

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G.A.: Pour que le lecteur comprenne bien, la motilité est le moteur de la mobilité. Par les postures, on arrive à un
travail subtil où l'on active cette motilité qui serait donc liée à la mémoire vibratoire de la cellule ?
J.P.S.: Exactement ! ainsi par la mise en vibration de la cellule, on la libère imperceptiblement d'informations dont
elle est porteuse. Le corps rentre à ce moment là dans une "acceptation" de quelque chose dont il ne pouvait pas
se libérer. C'est pourquoi afin que celle alchimie subtile et profonde s'opère à l'intérieur du corps, le temps est
toujours le facteur essentiel.
G.A.: Et d'après vous, à ce moment là, il y a une auto-correction possible ?
J.P.S.: En effet, car il y a une remise en mouvement d'une sensorialité. Tout individu quel qu'il soit, ne peut
évoluer que grâce à sa sensibilité.
G.A.: Il est important que nous synthétisions pour nos lecteurs. Ainsi, un enseignant qui transmet un apprentissage
de postures, doit pouvoir amener des corrections par la prise en considération des zones d hyper-tonicité, reflets de
différents schémas corporels. Ceci ne peut lui être possible que s'il a une profonde connaissance des chaînes
musculaires et articulaires. Quand il conduit un élève vers cette éducation corporelle, il l'amène à l'émergence d'une
vitalité cellulaire, qui se libère d'une mémoire vibratoire auto-régulatrice pour le corps et l'esprit. Cette approche en
profondeur permet de renouer avec "une source vive" où, d'une certaine manière, l'adepte se recrée tant
corporellement que psychiquement.
J.P.S.: C'est du moins ce que je pense.
G.A.: Bien! il est important que, dans le prochain numéro, nous approfondissions cette perspective d'ouverture
corporelle à sa sensibilité intérieure. Je tiens cependant à signaler à nos lecteurs que cette approche séquentielle
sur la cellule du corps humain, un grand maître de Kiko japonais Kôzô Nishino, l'a élaborée pour sa méthode de
respiration. Il existe un ouvrage français, mais également des documents en anglais sur sa démarche. Maître
Tokitsu introduisit une partie de son enseignement en France, après avoir été son élève pendant plusieurs années.
A suivre…

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