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Daniel Marcou

La paradiplomatie du Québec

8 Mars 2021
École supérieures d’études internationales
Université Laval
Le Québec est aujourd’hui un des acteurs sub-étatiques les plus actifs dans la
paradiplomatie à niveau international (Criekemans 2010). Actuellement le réseau de
représentations à l’étranger du Québec consiste en huit délégations générales, cinq
délégations, treize bureaux, cinq antennes et deux représentations en affaires
multilatérales (MRIF 2021). Celles-ci sont réparties dans tous les continents. Cela fait
en sorte que le Québec possède plus de représentations que certains pays ont
d’ambassades. Le budget du Ministère des Relations internationales et de la
Francophonie s’élève au dessus des 100 000 dollars pour près de 500 employés. En
l’an 2020 le Québec avait signé quelques 759 ententes internationales avec des États
fédérés ou souverains dans 80 pays différents (Paquin 2020). Le Québec a aussi son
propre siège permanent au sein de l’Organisation Internationale de la Francophonie
(OIF) ainsi qu’une place au sein de la délégation du Canada à l’UNESCO.

Cet effort de paradiplomatie a pris son essor dans les années 1960 lors de
l’établissement de la doctrine Gérin-Lajoie mais remonte à beaucoup plus tôt dans
l’histoire, spécifiquement à 1816 lors de l’établissement de la première représentation
du Québec à Londres qui était connu à l’époque comme le Bas Canada. Mais pourquoi
le Québec s’investit tant dans la paradiplomatie? Qu’est-ce qui le motive à investir tant
dans les relations internationales et bilatérales et à faire entendre sa voix dans les
institutions internationales? Pour celui qui connaît un peu l’histoire du Québec, la
réponse qui vient à l’esprit est le désir d’indépendance et sécession du Canada.
Cependant une analyse plus détaillée révèle certaines difficultés qui contredisent cette
supposition. Notamment le fait que les périodes de plus grande activité et
investissement dans la paradiplomatie ont le plus souvent correspondu aux périodes
où le Parti Libéral du Québec (PLQ) était au pouvoir, et ce parti n’est certainement
pas un parti souverainiste. C’est particulièrement sous le gouvernement dirigé par
Jean-Charest (2003-2012) que la politique internationale québécoise a été plus
dynamique, Jean-Charest lui-même ayant été le Premier ministre qui a le plus voyagé
à l’étranger et participé activement aux missions internationales, pratiquement à
l’égalité avec les chefs d’États membres du G7 (Paquin et Jeyabalaratnam 2016). Non
seulement il a été très actif, mais à plusieurs reprises il a été en opposition avec la
position du Canada. Cela paraît étrange considérant qu’il était un fédéraliste avoué. Il
a même expandu la doctrine Gérin-Lajoie et crée ce que nous pouvons appeler la
doctrine Charest. Si nous comparons avec les gouvernements péquistes, le bilan
d’action paradiplomatique penche plus vers le PLQ que le PQ.

Pour bien répondre à ces questions, il est impératif de définir certains termes qui sont
parfois interprétés de manière large mais qui ont peut-être une signification distincte
lorsque appliqué au contexte sub-étatique. Ensuite, bien
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qu’il existe plusieurs variables et différents cadres d’analyse, nous tenterons de
répondre à la question de pourquoi le Québec s’investit dans la paradiplomatie à
travers deux approches ou variables: 1) une approche constitutionnelle et 2) une
approche politique. (((Rajouter détails ))))
La politique étrangère: Paradiplomatie, protodiplomatie et diplomatie
Les efforts diplomatiques à niveau sub-étatique qui tentent de complémenter les
efforts diplomatiques des états centraux augmentent depuis certaines années.
Duchacek a développé un cadre conceptuel pour interpréter ces efforts diplomatiques
(McHugh 2015). Celui-ci distingue trois types d’activité paradiplomatique: régionale
transfrontalière, transrégionale ou macro-régionale et micro-diplomatie mondiale
(Ducachek 1990, pp. 15–16). Nous allons voir comment l’action du Québec s’inscrit
dans chacune de ces catégories. Mais avant de continuer il faut distinguer entre la
paradiplomatie, la protodiplomatie et la diplomatie.

La politique étrangère a à voir avec le comportement avec laquelle un État traite


avec d’autres États, on pourrait dire que c’est les objectifs poursuivis par les États
dans leur relations avec les autres États. Pour atteindre ses objectifs de politique
étrangère, l'État utilise la diplomatie et les sous-États emploient soit la paradiplomatie
ou la protodiplomatie dépendant de leur objectif. La diplomatie est un service
d'intermédiaire au nom d’un État souverain en relation avec d’autres États tel que
reconnu par la loi internationale et la Convention de Vienne plus spécifiquement
(Siracusa 2010, pg 1-10). La paradiplomatie fait référence à l’activité d’un acteur sub-
étatique qui s’engage dans une représentation formelle avec des États, des acteurs
sous-étatiques, des organisations internationales ou autres acteurs reconnus par la
loi internationale. Celle-ci n’est pas protégée par la loi internationale en tant que telle,
c’est à dire qu’elle ne bénéficie pas des immunités accordées à la diplomatie (McHugh
2015). La protodiplomatie est similaire à la paradiplomatie mais elle a comme objectif
principal l’indépendance politique ou l’autonomie d’un peuple ou d’une unité sous-
étatique, c’est donc un objectif plus subversif envers l’État central (McHugh 2015;
Ducachek et al. 1988, pp. 22–24).

La politique internationale du Québec


L’action du Québec en relations internationales ne correspond pas de manière parfaite
ni à la paradiplomatie ni à la protodiplomatie (Paquin 2018). Il correspond plutôt à une
catégorie d’acteurs sous-étatiques qui s’adonnent à ce qui est maintenant connu
comme la paradiplomatie identitaire (Paquin 2004, 2018, 2020; Lamontagne et Massie
2020; Keating 2004). Généralement ce sont le Québec, la Catalogne et la Flandre qui
sont considérés comme chefs de file de ce genre de paradiplomatie. Il y a donc un
élément identitaire très fort qui expliquerait en quelque sorte l’implication de ces
acteurs dans les relations internationales. Le Québec a notamment passé par une
période qui correspond plutôt à la protodiplomatie pendant l’époque des référendums,
mais comme nous l’avons mentionné au début de l’article, ce n’était pas pendant ce
temps que le Québec a mis plus d’efforts dans sa paradiplomatie. Néanmoins nous
observons un aspect identitaire très fort même sous les gouvernements du PLQ, et
c’est pour cela que l'appellation de paradiplomatie identitaire est utilisée. Il n’y a pas
forcément un aspect de conflit avec l’État central comme l’implique la protodiplomatie
(Paquin 2004), mais dans le cas du Québec cela n’implique pas une subsidiarité
parfaite avec le gouvernement fédéral. Selon le principe de subsidiarité, la mise en
œuvre des politiques et leur traduction en droit doivent être interprétées et appliquées
de manière à concilier les souhaits généraux de l’autorité centrale avec les souhaits
compensatoires d'autonomie locale, ce qui n’est pas toujours le cas avec le Québec
(McHugh 2015). Ceci est en fait une question épineuse dans l’histoire constitutionnelle
du Canada. Étant un État fédéral, les compétences du Canada sont divisées entre les
paliers fédéral et provincial, les articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867
établissent cette division de compétence. Cependant, les compétences en matière de
relations internationales ne sont pas clairement définies car à l’époque c’est l’empire
britannique qui s’occupait de ces questions pour le Canada. Ce n’est donc qu’après
une suite d'événements, d’initiatives soit du gouvernement fédéral ou des provinces
que le Canada a réussi à obtenir son autonomie politique sur le plan international avec
la signature du Statut de Westminster en 1931. Mais encore là, la question du partage
de compétences n’était pas complètement résolue et les politiques internationales
entre le fédéral et le Québec n’ont pas toujours été coordonnées. Nous verrons à
continuation comment la structure constitutionnelle du Canada a été un élément clé
pour que le Québec s’implique dans les relations internationales.

Le cadre constitutionnel du Canada et les relations internationales


La partage des compétences est une caractéristiques fondamentales des régimes
fédéraux dont l’essence peut se résumer en une combinaison du “self-rule” et du “joint-
rule” (Poirier 2009).L’histoire constitutionnelle proprement canadienne début le 1er
Juillet 1867 lors de l’entrée en vigueur la Loi Constitutionnelle de 1867 connue à
l’époque comme l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (AANB) qui est le texte
fondateur de la Constitution du Canada. Celui-ci décrit la structure du gouvernement
et la répartition des pouvoirs entre les provinces et le fédéral. L’art. 91 décrit les
compétences fédérales telles que l’armée, les activités bancaires, le service postal, la
navigation, etc. (LC 1867 art. 91), tandis que l’art. 92 énumère les pouvoirs attribués
aux provinces notamment la célébration de mariage, les licences commerciales,
l’administration de justice ainsi que l’exploitation des ressources naturelles de la
province (LC 1867 Art. 92 et 92A). L’art. 93 confère la compétence sur l’éducation aux
provinces (LC 1867 art. 93). Et finalement l’art. 95 indique que l’immigration et
l’agriculture sont des compétences partagées entre les deux paliers de gouvernement.
La question du pouvoir de signer des traités internationaux est manifestement absente
de ces listes. Cependant il en ressort que généralement le Canada a la compétence
pour toutes les questions de nature nationale en vertu du pouvoir résiduaire, c’est pour
cette raison que généralement le gouvernement fédéral est considéré comme l’unique
compétent pour les relations internationales et la signature de traités ainsi que la
participation dans les Organisations internationales. Cependant cette approche a été
contestée depuis près d’un siècle, et surtout dans les dernières décennies.

Avant de voir l’incidence du fédéralisme et plus spécifiquement du fédéralisme


canadien tel que mis de l’avant par le Québec sur les relations internationales, il est
utile de revoir rapidement l’histoire du système des relations interétatiques qui fut
instauré par le traité de Westphalie en 1648. Ce traité est aussi un quelque sorte
l’événement fondateur de l’État moderne, qui lui a aussi accordé la prérogative et les
outils nécessaires pour participer pleinement dans le cadre des relations
internationales (Michaud 2009). Or à l’époque les États étaient définis comme
unitaires, ce n’est que plus tard qu’un nouveau type d’État fédéral a vu le jour, et donc
le système Westphalien n’a pas été conçu pour un État fédéré. Le Canada n’a bien
entendu pas été le premier État fédéré, mais celui-ci était conçu avec l’idée que la
responsabilité des relations internationales relevait de la responsabilité impériale
(Michaud 2009). Suite au Statut de Westminster la responsabilité s’est transférée au
Canada, et comme la plupart des traités de l’époque touchaient des compétences
fédérales, c’est le fédéral qui en a pris charge. Ce n’est qu’après la deuxième guerre
mondiale que la question de répartition des compétences internationales s’est posée
de manière plus sérieuse (Michaud 2009). L'émergence d’une multitude d’OI et
l’élargissement du champ de compétence du Droit international a fait en sorte que
plusieurs champs de compétence provinciaux étaient maintenant touchés par les
relations internationales. La plupart des provinces s’en remirent au fédéral pour
représenter leurs intérêts à niveau international, mais le Québec qui avait
historiquement une certaine méfiance à l’égard du gouvernement fédéral a plutôt tenté
de se faire entendre directement. Le Québec a dû être créatif et a mené une lutte pour
faire entendre sa voix à l’international, et cet effort a souvent été confondu avec l’effort
qui s’est entrecroisé de l’indépendance. Mais comme nous verrons à continuation, la
paradiplomatie du Québec se comprend mieux si nous la séparons de la période ou
le séparatisme était à son apogée.

Travailler avec les outils qu’on a: L’histoire des relations intergouvernementales


et internationales du Québec

Nous avons vu au début que le Québec, connu à l’époque comme le Bas Canada,
avant même de la Confédération était déjà très actif auprès du gouvernement impérial
pour revendiquer ses droits. Lors de la conquête en 1760, le gouvernement
britannique a garanti certains droits aux français, qu’ils ont peu après remplacé par
une politique assimilatrice. Ceux-ci ont revendiqué leurs droits et en 1774 le
gouvernement impérial signait l’Acte de Québec qui rétablissait le droit civil français
et la liberté de religion entre autres choses que la population française avait
revendiqué. Nous avons mentionné que dès 1816 le Bas Canada avait un bureau à
Londres pour représenter leurs intérêts auprès du gouvernement impérial. Plus tard
(1840-1860), pendant la période de l’Acte de l’Union, des fortes tensions existaient au
sein de la législature entre la population anglaise et française. Ceci a encouragé l’idée
de former une confédération au sein de laquelle chacun aurait sa propre chambre
législative et inclurait aussi les provinces de l’atlantique. Finalement en 1867, avec la
Confédération le Québec obtiendrait sa propre législature ainsi qu’une forte
représentation au sein du gouvernement fédéral. Cela a calmé les craintes de la
classe politique du Québec d’avoir à subir une domination anglaise. Suivirent
quelques décennies durant lesquelles le Canada luttait pour une plus grande
indépendance, chose que le Québec approuvait car il y avait la crainte que si l’empire
s'unifie, leur voix serait encore plus minoritaire. Mais c’est vraiment dans les années
1960 que le Québec a vraiment pris l’initiative de prendre son futur politique en main
qui coïncide aussi avec la montée des mouvements identitaires québécois qui
n’étaient pas exclusifs des partis cherchant l’indépendance. Le gouvernement libéral
de Robert Bourassa a notamment commencé à investir dans le nord du Québec et a
aussi fait du français la seule langue officielle du Québec. C’est lui qui a aussi pris part
aux conférences constitutionnelles de Meech Lake et de Charlottetown. Pendant ces
conférences constitutionnelles, Bourassa a tenté de négocier une place pour le
Québec en tant que société distincte au sein du Canada. Il n’a pas réussi, et jusqu’à
aujourd’hui le Québec n’a jamais approuvé le rapatriement de la constitution de 1982.
Ce court survol de l’histoire politique du Québec est suffisant pour démontrer que le
Québec a toujours été en négociation soit avec le Royaume Uni ou le Canada anglais
pour revendiquer une position spéciale et pour défendre ses intérêts au sein de la
fédération.

La structure constitutionnelle a mené le Québec a revendiquer plus d’autonomie dans


la gestion des compétences provinciales ainsi qu’à renégocier sa place au sein de la
fédération sans succès dans les années 1980-1990. C’est aussi pendant cette période
que l’activité paradiplomatique du Québec a pris son essor. En 1985 le Québec
accède à l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) en tant que membre
avec un siège distinct que celui du Canada. Il participe dans plusieurs organisations
transfrontalières et conclut plusieurs ententes économiques avec divers États
américains. Le Québec a participé dans la conférence de Rio en 1992 et a créé un
marché d’émissions carboniques avec la Californie. Même en matière de sécurité, qui
est normalement une compétence exclusive fédérale, le Québec a conclu des
ententes car depuis l'événement du 11 septembre 2001 la sécurité nationale requiert
maintenant la coopération entre les niveaux fédéral et provincial (Paquin 2018). Si
nous comparons avec les autres entités sub-étatiques les plus actives sur le plan
paradiplomatique par exemple avec la Wallonie et Flandres qui avec le Québec font
partie du club le plus actif d’états fédérés sur la scène internationale (Lamontagne et
Massie 2020; Criekemans 2010) il apparaît qu’une structure fédérale est favorable au
développement de la paradiplomatie. Dans un État unitaire, les régions doivent s’en
remettre exclusivement au gouvernement central pour qu’il représente leurs intérêts
auprès des États frontaliers et des OI. Mais pour les États fédéraux, quelle que soit
leur organisation interne, les régions ont le moyen de représenter leurs intérêts
premièrement au sein de la fédération à travers les relations intergouvernementales
(RIG) (Poirier 2009), et ensuite comme la tendance le démontre, auprès des États
transfrontaliers (Paquin et Jeyabalaratnam 2016; McHugh 2015, Criekemans 2010) et
finalement auprès même de certaines OI. Les États fédérés ont donc une plus grande
liberté de développer leurs instruments de diplomatie en parallèle avec ceux de l’État
central (Criekemans 2010). Avec l’exception temporaire du Québec et de la Catalogne
pendant des courtes périodes, la plupart de ces efforts semblent être utilisés en
complément ou parallèle de la diplomatie centrale et non de manière subversive à
celle-ci. Les outils diplomatiques utilisés sont variés et dans le cas du Québec incluent
des représentations à l’étranger (bilatérales et multilatérales); le pouvoir de conclure
des ententes (Ius trancandi); des déclarations ou ententes de coopération (non
contraignantes); le développement de programmes d’assistance et de partage de
savoir-faire; la participation en tant qu’observateurs ou au sein de la délégation
nationale dans des organisations multilatérales; et le développement d’une stratégie
de diplomatie publique tant sur le plan domestique qu’à l’international (Criekemans
2010). Au Québec cette activité diplomatique a été spécifiquement justifiée par la
structure fédérale et le cadre constitutionnel du Canada. C’est le 12 avril 1965 que le
vice-premier ministre de l’époque Paul Gérin-Lajoie prononça son fameux discours
qui fut connu comme la doctrine Gérin-Lajoie qui a propulsé le Québec sur la scène
internationale. Cette doctrine affirme que le Québec a la capacité constitutionnelle
d’exercer ses compétences sur le plan international (Gouvernement du Québec 2019).
Le Premier ministre Jean-Charest (2003-2012) a été le PM québécois le plus actif à
l’international et dans un discours en 2004 il a poussé encore plus loin la doctrine
Gérin-Lajoie en affirmant que “les compétences du Québec chez nous sont les
compétences du Québec partout” (Paquin et Jeyabalaratnam 2016). Cette formule
soutient donc que non seulement le Québec a la capacité mais que c’est en effet la
responsabilité du Québec d’exercer ses compétences complètement. Si le Québec ne
l’a pas fait dans le passé, c'est qu’il l’avait confié au fédéral. Cette formule est devenue
la nouvelle base doctrinaire de l’action gouvernementale sur la scène internationale
(Paquin et Jeyabalaratnam 2016).
La question du partage des compétences a toujours fait objet de débat qui s’est
caractérisée par une lutte entre les efforts pour centraliser davantage la fédération et
la lutte menée principalement par le Québec afin de préserver la liberté d’action des
provinces. Aujourd'hui le Québec a sensiblement réussi à préserver ses compétences
et il a utilisé le cadre constitutionnel du Canada à son avantage pour participer très
activement sur la scène internationale et développer sa propre stratégie diplomatique
étrangère en complément de celle du Canada (McHugh 2015). Il est donc clair que la
structure fédérale du Canada ainsi que le rôle particulier que le Québec a eu au sein
de la fédération est une des variables les plus importantes qui permettent d’expliquer
sinon la raison de la participation du Québec en paradiplomatie, du moins son
ascension particulièrement rapide dans le milieu international ainsi que son
dynamisme. Le Québec effectivement n’a pas eu besoin d’un référendum ou d’une
nouvelle constitution pour avoir des arguments juridiques et constitutionnels pour se
lancer sur la scène internationale. La structure fédérale a permis de créer un terreau
fertile pour le développement de cette paradiplomatie identitaire à caractère
québécois.

De l’identité francophone à l’identité québécoise


Nous allons maintenant explorer la partie identitaire de cette paradiplomatie
québécoise. Comment l’identité est-elle instrumentalisée par les entrepreneurs
identitaires et quel est le lien avec la paradiplomatie? Nous avons mentionné quelques
acteurs sous-étatiques actifs sur le plan de la paradiplomatie, la Flandre, Wallonie,
Catalogne, l’Écosse, etc. et il est à noter que l’aspect identitaire et culturel est très
souvent mis de l’avant. En effet, les acteurs qui ne sont pas aussi actifs comme le
Québec l’est sur divers enjeux, vont souvent prioriser la représentation culturelle de
leur région (Criekermans 2010). La culture et l’identité semblent donc être un élément
important qui pourrait permettre d’expliquer pourquoi ces acteurs, et particulièrement
le Québec, s’intéressent à la paradiplomatie. Au Québec nous observons cette même
tendance et cet effort de faire rayonner le Québec à l’étranger et afficher une identité
distincte du Canada (Lamontagne et Massie 2020).

Dans le cas du Québec, il est clair que nous sommes face à un cas identitaire. Étant
une minorité linguistique, non seulement au sein du Canada mais aussi dans le
continent nord-américain, le Québec se trouve entouré de la langue et culture
anglaise. Ceci est le résultat des conflits entre pouvoirs européens qui ont fini par
transformer la nouvelle-France en colonie anglaise. Dès la conquête en 1760, les
habitants de la nouvelle-France ont demandé aux conquérants britanniques de leur
assurer la liberté de parler leur langue, de pratiquer leur religion et même de garder
leur droit civil. Nous avons mentionné l’Acte de Québec de 1774, qui a en quelque
sorte officialisé cette distinction culturelle et linguistique de cette nouvelle province
coloniale des autres au sein de l’Amérique du Nord anglais. Lors de la Confédération,
une condition sine qua non de l’accord du Québec à ce projet fut l’inclusion de
garanties constitutionnelles sur l’usage du français au sein des législatures. Plus tard,
lors du rapatriement de la constitution en 1982, la Charte canadienne des droits et
libertés a clairement offert plus de protections et droits constitutionnels pour le français
(Beaudoin 1988). La Révolution tranquille au Québec coïncide avec la formation d’une
identité plus proprement québécoise et des efforts déployés par le gouvernement du
Québec pour construire cette identité nationale.

Bien qu’il y a eu des forts clivages entre souverainistes et fédéralistes surtout pendant
les années 1960-1990, il y a généralement un consensus sur l’identité distincte du
Québec. Le nationalisme québécois est donc généralement admis, même s’il se
manifeste de différentes manières selon le parti au pouvoir. Rappelons que les
gouvernements centraux de tous les pays sont actifs dans la promotion d’une identité
nationale, cela aide à la cohésion nationale et projette une image claire du pays sur la
scène internationale. Pour une minorité nationale comme le Québec, s’abstenir de
promouvoir son identité reviendrait à laisser le gouvernement central créer sa propre
conception d’identité ou bien de l’effacer sur le plan international si cela favorise l’État
central. Le Québec mobilise donc les entrepreneurs identitaires particulièrement sur
la scène internationale car cela favorise grandement l’image du Québec non
seulement auprès des autres pays mais auprès même de la population québécoise
(Paquin 2018). Pendant les années 1960, qui rappelons-le est l’époque où le Québec
a entamé son essor international, le gouvernement fédéral a discriminé les
francophones et il y avait aussi une sous-représentation de francophones au sein du
service diplomatique canadien. Certains voient en cela une des raisons de
l’émergence du service diplomatique québécois (Paquin 2018). La diplomatie est
effectivement un service de représentation à l’étranger, le Québec ne pouvait donc
laisser le Canada le représenter ni défendre ses intérêts. La paradiplomatie identitaire
est donc utilisée comme outil de construction de la nation ainsi que comme légitimation
de celle-ci (Paquin 2004). L’identité vient donc à servir un but politique: la construction
de la nation.

Le nationalisme identitaire
Cette identité nationale distincte a donc servi pour avancer l’idée d’une nation
québécoise au sein de l’Amérique du nord anglaise. Ce nationalisme n’est cependant
pas un nationalisme comme les autres qui se ferme au monde et se replie sur lui-
même. Ce nationalisme était plutôt une ouverture vers le monde, le Québec n’a pas
accepté le libre-échange en dépit de son nationalisme, mais plutôt à cause de son
nationalisme (Paquin 2018, Martin 1995). Le désir du Québec de se trouver une place
parmi le monde a pris place en même temps que l’essor de la mondialisation du
commerce et du multilatéralisme. La présence du Québec sur les grands podiums
internationaux et la conclusion d’importantes ententes bilatérales a donc contribué à
rehausser l’image du Québec chez lui. Un des principaux efforts entrepris au début
ont été les relations avec la France et la conclusion d’ententes avec celle-ci. La France
n’est pas seulement un État souverain, mais cela avait aussi une grande signification
identitaire pour le Québec, pour qui la relation avec la France était plus importante que
la relation avec la Grande-Bretagne.

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