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ENJEU - HISTOIRE DES INTELLECTUELS, HISTOIRE

INTELLECTUELLE
Bilan provisoire et perspectives
François Chaubet

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Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) | « Vingtième Siècle. Revue d'histoire »

2009/1 n° 101 | pages 179 à 190


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ISSN 0294-1759
ISBN 9782724631326
Article disponible en ligne à l'adresse :
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http://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2009-1-page-179.htm
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Pour citer cet article :


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François Chaubet, « Enjeu - Histoire des intellectuels, histoire intellectuelle. Bilan provisoire et
perspectives », Vingtième Siècle. Revue d'histoire 2009/1 (n° 101), p. 179-190.
DOI 10.3917/ving.101.0179
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Enjeu 

Histoire des intellectuels,


histoire intellectuelle
Bilan provisoire et perspectives
François Chaubet

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Où en est l’histoire des intellectuels ? Après 1990, paraît, sinon en profonde crise aux yeux
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le succès des années 1980-1990, vient le de certains 2, du moins à la croisée des chemins
temps des bilans et des redéfinitions. Fran- entre diverses propositions. Les unes ont pu
çois Chaubet rappelle ici les premières criti- émaner, soit de la sociologie historique bour-
ques contre une histoire abstraite des idées, dieusienne, soit de l’histoire des sciences, soit
puis il souligne les apports d’une histoire encore, quoique très faiblement en France, de
sociale des intellectuels, avant de pointer l’histoire littéraire anglo-saxonne influencée par
le risque actuel d’oublier le contenu même le linguistic turn.
des œuvres. Nourri des apports de l’École L’histoire des intellectuels s’était en effet
de Cambridge, de ceux du linguistic turn scientifiquement imposée, au détriment d’une
ou de l’analyse des controverses, il propose histoire des idées dramatiquement dépourvue
ainsi de passer à une histoire intellectuelle de chair historique, à partir de programmes
qui croise les significations, les fonctions et d’études de micro-histoire sociale, qui reliaient
les usages des œuvres ou de l’activité intel- contenus idéologiques et pratiques de com-
lectuelle, afin de saisir d’une manière neuve munication (les «  sociabilités  ») 3. Or, ce sont
les spécificités d’une époque. ces procédés d’enquête, parfois sommairement
répétés, trop souvent coupés d’une réflexion sur
L’histoire culturelle connaît depuis une ving- le contenu des œuvres (littéraire, philosophique,
taine d’années un succès non démenti. L’heure scientifique, artistique) et sur son articulation
des premiers bilans historiographiques 1 a sonné
pour elle afin de prendre la mesure d’un essor
tous azimuts. Au sein de cette historiographie (2) Vincent Duclert, « Les intellectuels, un problème pour
l’histoire culturelle  », in «  Regards sur l’histoire culturelle  »,
conquérante, la réflexion découpe le plus sou- Cahiers du Centre de recherches historiques, 31, avril 2003, p. 25-39.
vent le champ de l’histoire culturelle en thè- L’auteur dénonce l’incapacité de l’histoire des intellectuels à éla-
borer l’histoire des savoirs intellectuels, l’histoire de la culture
mes et distingue ainsi parmi ceux-ci le domaine intellectuelle des « clercs ». De même, Michel Trebitsch ouvrait
de « l’histoire des intellectuels ». Or, ce sous- un colloque, en 2002 à Cerisy, sur le relatif épuisement d’une
champ, qui avait enregistré de très beaux succès historiographie qui avait abouti à des typologies et des carto-
graphies guettées par les dangers de la répétition et du manque
à la fin des années 1980 et au long des années de perspective : voir « Pour en finir avec l’histoire des intellec-
tuels », in Claire Paulhan, Édith Heurgon et François Chaubet
(dir.), S.I.E.C.L.E, 100 ans de rencontres intellectuelles de Pontigny à
(1) Voir Pascal Ory, L’Histoire culturelle, Paris, PUF, « Que sais- Cerisy, Paris, IMEC, 2005, p. 19-33.
je ? », 2004 ; Philippe Poirrier, Les Enjeux de l’histoire culturelle, Paris, (3) Jean-François Sirinelli, « Le hasard et la nécessité ? Une
Seuil, 2004 ; Laurent Martin et Sylvain Venayre (dir.), L’Histoire histoire en chantier : l’histoire des intellectuels », Vingtième Siècle.
culturelle du contemporain, Paris, Nouveau Monde, 2005. Revue d’histoire, 9, janvier-mars 1986, p. 97-108.

VINGTIÈME SIÈCLE. REVUE D’HISTOIRE, 101, JANVIER-MARS 2009, p. 179-190  179


FRANÇOIS CHAUBET

avec le tissu général d’une époque, qui mena- dant (presque 2) toujours fort peu historiennes
cent à leur tour de subir la loi des rendements d’esprit. On comptait ainsi en premier lieu les
décroissants. Dans cette situation d’incertitude, généalogies d’histoire de la philosophie ou des
sans doute les traditionnels protocoles scienti- idées politiques. Selon la vieille formule de Les-
fiques de l’histoire des intellectuels demandent, lie Stephen appelée à passer à la postérité, dans
non pas à être abandonnés, mais bien plutôt ce type de travaux les grands penseurs de l’hu-
à être complétés, afin de refuser de se laisser manité se passaient les uns aux autres la « tor-
che » du savoir. Une quasi parthénogénèse des

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enfermer dans le tracé coutumier d’une recher-
che devenue peut-être routinière 1. idées expliquait leur succession, à l’abri des
Nous voudrions ici proposer un bilan d’étape bourrasques de l’histoire 3.
de ce moment réflexif en revenant sur la trajec- En France, Michel Foucault fut alors le criti-
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toire suivie par l’histoire des intellectuels, de ses que le plus efficace de cette histoire des œuvres
partis pris initiaux à ses réalisations, jusqu’aux envisagée de façon interne et fondée sur la
interrogations de l’heure et aux perspectives recherche des continuités entre les grandes
quant à la mise en œuvre d’une véritable his- pensées (les «  influences  ») sans s’interroger
toire intellectuelle. Celle-ci, à l’égal d’autres dis- véritablement sur les mécanismes de transmis-
ciplines en situation d’affirmation, sera jugée in sion et de communication. En 1966, la publi-
fine sur sa capacité à nouer des liens entre dif- cation de Les Mots et les Choses mettait, bien au
férents champs de connaissance ou entre diffé- contraire, les discontinuités entre les épistémè
rentes méthodes de connaissance et sur celle à au premier plan et illustrait un programme
assumer pleinement sa position, grâce à un plu- résolument historiciste des productions intel-
ralisme méthodologique revendiqué, de carre- lectuelles, en concluant sur l’espace spécifique
four entre histoire politique, sociologie, littéra- du pensable et du dicible propre à chaque épis-
ture et histoire des idées. Aussi nous prendrons témè. Par ailleurs, dans ses autres travaux (sur la
le terme d’« intellectuel », non pas seulement clinique par exemple 4), il n’hésitait pas à bras-
dans le sens étroit d’homme de culture engagé ser une masse de textes qui l’éloignait d’une
en politique, mais dans un sens beaucoup plus l’histoire des idées réduite à l’exploration d’un
large, celui de l’homme de culture dont les éventail assez étroit d’œuvres (devenues) cano-
productions littéraires, artistiques, savantes, niques. En fait, pour Foucault, l’épistémè est
mais aussi les activités politico-intellectuelles, «  dispersion  » et seul l’ample regard sur des
ont un impact sur les façons de représenter de
penser le monde et de le vivre. (2) À l’exception de la « vieille » (lansonienne) histoire lit-
téraire dont Lucien Febvre avait pourtant rappelé, en 1941,
les mérites épistémologiques initiaux (une histoire sociale du
Les rejets de l’approche abstraite culturel), avant de s’édulcorer en des travaux d’établissement
des textes, puis d’être attaquée par Barthes et les structuralis-
des œuvres intellectuelles tes. Nous y reviendrons.
Dans les années 1960, l’approche des aspects (3) L’insertion d’un mince contexte historique peut cepen-
dant, parfois, accompagner le cours de l’exposé comme chez
propres à la culture intellectuelle d’une épo- Jean-Jacques Chevalier, Histoire de la pensée politique, Paris,
que relevait de problématiques le plus souvent Payot, 1984, 3 t., ou dans Jacques Chevalier, Histoire de la pen-
hétérogènes les unes aux autres, mais cepen- sée, Paris, Flammarion, 1966, 4 vol. Voir, plus récemment, le
livre brillant mais ignorant les conditions socio-historiques de
l’activité intellectuelle : Randall Collins, The Sociology of Philoso-
phies : A Global Theory of Intellectual Change, Cambridge (Mass.),
(1) C’est là également la position de François Dosse, La Harvard University Press, 1998.
Marche des idées  : histoire des intellectuels histoire intellectuelle, (4) Michel Foucault, Naissance de la clinique : une archéologie
Paris, La Découverte, 2003. du regard médical, Paris, PUF, 1963.

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HISTOIRE DES INTELLECTUELS, HISTOIRE INTELLECTUELLE

textes les plus divers est à même d’en restituer sans ses étapes antérieures et ses bifurcations ;
la vraie nature. Il remettait ainsi en cause ce histoire aussi faite sans archives ni témoignages
qu’il assimilait à de fausses totalités et à d’abu- et leurs nécessaires critiques.
sives continuités (le « progrès », « l’esprit d’un Quoi qu’il en soit, les recommandations d’un
siècle  »). Même si Foucault ne parvenait pas Foucault prenaient tout leur sel quand on envi-
à expliquer véritablement l’apparition d’une sage l’époque, dominée alors par le structura-
nouvelle épistémè –  dans la mesure où l’ordre lisme, auquel, par ironie des choses, les com-
culturel, est, chez lui, indépendant des agents mentateurs le rattachaient volontiers. Or,

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individuels –, il n’en redonnait pas moins à la l’épistémologie structurale choisissait en effet,
démarche historique toute sa vertu. Dans son dans la majorité des cas, d’inscrire les œuvres
texte célèbre de 1969 sur «  Qu’est-ce qu’un dans une configuration a-historique, purement
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auteur ? », il invitait ainsi de manière novatrice immanentiste, celle du texte et de ses structures
à construire des dispositifs d’enquête socio- linguistiques internes. En 1963, dans un texte
historique afin de saisir les discours, non plus qui devait amorcer le début des hostilités avec la
seulement « dans leur valeur expressive et leurs critique « universitaire », Roland Barthes s’en
transformations formelles mais dans les moda- prenait à l’histoire littéraire traditionnelle et
lités de leur existence  : les modes de circula- son tenace et pernicieux tropisme historien :
tion, de valorisation, d’attribution, d’appro-
«  […] Ce qui est récusé, c’est l’analyse imma-
priation [… qui] varient avec chaque culture et
nente  : tout est acceptable pourvu que l’œu-
se modifient à l’intérieur de chacune 1 ».
vre puisse être mise en rapport avec autre chose
À peu près au même moment, Quentin Skin- qu’elle-même, c’est-à-dire autre chose que la litté-
ner dénonçait vigoureusement, dans un arti- rature : l’histoire (même si elle devient marxiste),
cle resté célèbre 2, les multiples anachronismes la psychologie (même si elle se fait psychanalyse),
(un auteur qui en «  anticipe  » un autre, une ces ailleurs de l’œuvre seront peu à peu admis  ;
idée moderne que l’on cherche à faire appa- ce qui ne le sera pas, c’est un travail qui s’installe
raître dans des œuvres anciennes) qui parse- dans l’œuvre et ne pose son rapport au monde
maient l’histoire traditionnelle anglo-saxonne qu’après avoir l’avoir entièrement décrite de l’in-
des idées, prisonnière de la croyance (essen- térieur, dans ses fonctions, ou comme on le dit
tialiste) en la pérennité des problèmes politi- aujourd’hui dans sa structure 3. »
ques. Plus largement, ces différentes histoi-
Le courant formaliste et théoricien (Barthes
res de la pensée (en philosophie, en sociologie)
au début des années 1960, puis Jean Ricardou
partaient du présent d’une discipline, en sui-
au début des années 1970), se montre le plus
vant des jugements de valeur soustraits à toute
radical dans sa récusation de l’histoire litté-
enquête, et en opérant donc une quasi-natura-
raire traditionnelle, entée sur les entités telles
lisation du succès (les œuvres « importantes »
« l’homme », « l’œuvre » et le « milieu » – soit
ayant seules droit de cité) : histoire donc à une
des réalités jugées «  superficielles  » eu égard
seule dimension, celle des « écoles de pensée »,
le projet de saisie du moi « profond ». Il tente
alors (et réussit partiellement) d’annexer à sa
(1) Michel Foucault, « Qu’est-ce qu’un auteur ? », Bulletin
croisade « immanentiste » les autres courants
de la Société française de philosophie, 3, juillet-septembre 1969, de la « Nouvelle Critique » (critique dite thé-
repris dans Michel Foucault, Dits et Écrits, 1954-1969, Paris,
Gallimard, 1994, p. 789-812.
(2) Quentin Skinner, « Meaning and Understanding in the (3) Roland Barthes, Essais critiques, Paris, Seuil, 1964,
History of Ideas », History and Theory, 8, 1969, p. 3-53. p. 250-251.

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FRANÇOIS CHAUBET

matique, études phénoménologiques), pourtant faut d’abord connaître. Au-delà d’un tel truisme
restés attachés à la notion de « conscience 1  ». (aujourd’hui du moins), il faut s’aventurer dans
Dans tous les cas de figures, l’histoire littéraire ce livre magnifique, Balzac et son siècle, cette plon-
paraît condamnée à l’enregistrement de faits gée au cœur de la Restauration, de sa produc-
«  superficiels  », alors que les nouveaux cou- tion littéraire et intellectuelle, de ses différentes
rants de la critique prétendent, seuls, détenir instances de production (les éditeurs, la galaxie
les clés d’accès au « moi profond ». des « petits journaux »), de ses grands courants
Pour les historiens, il fallut passer son che- de pensée (le saint-simonisme qui inspira lar-

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min devant ces travaux où la gigantomachie du gement Balzac, Bonald et Lamennais) et de ses
moment opposait le bon (le Texte d’où éma- moments clés (les mois qui suivent l’été 1830),
nerait le sens) et le mauvais (le Hors-Texte ou afin de mesurer le territoire précis qui s’inter-
« référent »). Cependant, il existait bien tou-
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pose entre le « moi créateur profond » de Bal-


jours une histoire littéraire ambitieuse dans zac et son « moi superficiel » (celui de l’apparte-
l’université du moment, même si sa production nance à un social indifférencié). Existait en effet
paraît un peu masquée par le dynamisme édi- un domaine, très finement quadrillé par des grou-
torial et médiatique des nouveaux courants de pes littéraires autant que par des cercles intellec-
la critique littéraire. Un Pierre Barberis pro- tuels (ceux-ci tout à la fois acteurs-producteurs
duit alors, en 1970, son chef-d’œuvre Balzac et et médiateurs-diffuseurs), auquel l’historien bal-
le mal du siècle 2, un Auguste Anglès achève son zacien avait accordé toute son attention.
histoire de la première NRF 3. Quelques années Les historiens tels Christophe Charle, Pas-
plus tard, Barberis livrait son credo d’historien cal Ory, Jean-François Sirinelli qui commen-
du fait littéraire et de la circulation des idées à cèrent alors, dans les années 1970, à travailler
une époque donnée : sur ce qui allait devenir « l’histoire des intel-
lectuels  » ont-ils été inspirés par ces grandes
«  Un critique […] doit d’abord considérer les
textes comme des réalités, originées, signifiantes, thèses d’histoire littéraire, auxquelles on pour-
structurées, à la fois dépôt et projet, ancrées dans rait ajouter celles réalisées par Michel Décau-
l’HISTOIRE et contribuant à faire l’HISTOIRE din, Paul Bénichou, ou Marcel Raymond ? Nul
par des moyens spécifiques que sont : l’écriture, doute qu’il y avait là riche matière à réflexion
la mythologie, l’agencement narratif, la création et que l’insistance mise un peu plus tard sur
de nouveaux héros et l’agencement de nouveaux les « sociabilités » chez un Jean-François Siri-
rapports, la réalisation vaille que vaille mais aussi nelli ou sur leurs espaces différenciés chez un
puissamment inventrice d’une intention jamais Christophe Prochasson (les «  lieux  » et les
totalement reine ou esclave 4. » «  milieux  »), n’ait eu quelque lien avec cette
Connaître un texte (et apprécier son apport), histoire littéraire exemplaire.
c’est le mettre en relation avec un référent qu’il L’histoire des intellectuels
et ses réalisations
(1) Voir les réflexions de Dominique Maingueneau sur l’état
du champ de la critique littéraire dans les années 1960 et son Il n’est pas ici question d’établir un bilan com-
ethos anti-historien dans Contre Saint Proust ou la fin de la litté- plet de cette historiographie 5, mais, après avoir
rature, Paris, Belin, 2006, p. 28 sq.
(2) Pierre Barberis, Balzac et le mal du siècle, 1799-1833,
Paris, Gallimard, 1970, 2 t., Genève, Slaktine, 2002. (5) On pourra consulter l’ouvrage de synthèse (directions
(3) Auguste Anglès, André Gide et le premier groupe de « La méthodologiques et bilan sur divers états du champ de cette
Nouvelle Revue française », Paris, Gallimard, 1978. historiographie) : Michel Leymarie et Jean-François Sirinelli
(4) Pierre Barbéris, Le Prince et le Marchand. Idéologiques : la (dir.), L’Histoire des intellectuels aujourd’hui, Paris, PUF, 2003.
littérature, l’histoire, Paris, Fayard, 1980, p. 118-119. Également de Vincent Duclert, op. cit.

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HISTOIRE DES INTELLECTUELS, HISTOIRE INTELLECTUELLE

rappelé quels étaient ses repoussoirs, il convient teurs tels les critiques et des canons via les
de relever, brièvement, ses grandes réalisa- enseignants et les structures d’enseignement),
tions. celle du « champ » (lieu de la confrontation des
Globalement, cette histoire des intellectuels positions esthétiques et intellectuelles) et celle
paraît relever d’une micro-histoire sociale, assez de « l’archive » (effets et conflits de mémoire
empirique, interactionniste, bien qu’il existe intellectuelle) 3.
aussi, principalement autour de Christophe Les travaux sur l’espace de « l’institution »

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Charle, un fort courant dominé par l’école de ont concerné, par exemple, l’histoire des édi-
Pierre Bourdieu 1. Cette micro-histoire sociale teurs autour d’un Jean-Yves Mollier, l’his-
entend approcher les comportements d’ac- toire de l’éducation autour des travaux d’André
teurs dans le cadre effectif de leurs pratiques Chervel, celle d’un savoir intellectuel en voie de
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(les « sociabilités ») et à travers leurs trajectoi- structuration professionnelle et sa constitution


res propres (les « itinéraires ») 2 afin de saisir les en canon (la philosophie universitaire à la fin
idées dans le cadre où elles ont été produites et 19e siècle) 4 ou encore les très nombreuses étu-
de savoir ce qu’elles ont signifié en leur temps. des d’histoire de la critique littéraire, dont cel-
Et, à l’instar des travaux inspirés par Pierre les d’Antoine Compagnon. Les travaux les plus
Bourdieu, cette historiographie déconstruit les nombreux relèvent cependant de l’espace du
entités abstraites telles le « grand créateur », la « champ », entendu ici dans un sens large (non
« société », le « chef-d’œuvre », le « texte », strictement bourdieusien), comme lieu d’affir-
afin d’y substituer l’examen des conditions du mation ou d’affrontement entre les différents
dire et du faire intellectuels dans un contexte acteurs intellectuels. Les travaux sur les univers
historique donné. de sociabilité intellectuelle ont peu à peu foi-
Après les intuitions de Foucault rappelées sonné dans le sillage de la thèse de Jean-Fran-
ci-dessus, les recherches sur l’espace de la créa- çois Sirinelli sur les Khâgneux et Normaliens qui
tion littéraire en particulier, mais aussi sur celui avait été soutenue en 1986 5.
de la création intellectuelle en général, aboutis- Par l’analyse des sociabilités autour des revues 6
sent à des tableaux où existent plusieurs points (travaux sur les revues dreyfusardes, sur Europe,
de fuite : loin d’être le simple lieu d’une ren- Les Temps modernes, Critique…), des sociabilités
contre entre un auteur et un lecteur, ces espa- autour de certains forums périodiques de dis-
ces relèvent d’une topologie multiple, où jouent cussion (Les Décades de Pontigny, le Centre catholi-
des effets distincts. Dominique Maingueneau, que des intellectuels français ou les grands congrès
en ayant en tête Foucault et Bourdieu, évoque scientifiques à la fin 19e siècle étudiés par Anne
une triple médiation entre l’auteur et son épo- Rasmussen), ou de celles autour des corres-
que, celle de « l’institution » (rôle des média- pondances, la démarche historienne vise à cer-
teurs tels les éditeurs et libraires, des évalua- ner au plus près des acteurs leurs pratiques et

(1) Nous nous permettons de renvoyer à notre article, (3) Dominique Maingueneau, op. cit., p. 57-58.
« Sociologie et histoire des intellectuels », in Michel Leymarie (4) Jean-Louis Fabiani, Les Philosophes de la République, Paris,
et Jean-François Sirinelli (dir.), op. cit., p. 183-200. Minuit, 1988.
(2) On reconnaîtra là les concepts mis au point par Jean- (5) Jean-François Sirinelli, Génération intellectuelle  : khâ-
François Sirinelli dans sa thèse et repris ensuite assez largement gneux et normaliens dans l’entre-deux-guerres, Paris, PUF, 1988.
par les chercheurs. Voir ainsi le dossier réuni par Nicole Racine (6) On consultera la synthèse de Jacqueline Pluet-Despatin,
et Michel Trebitsch (dir.), Les Cahiers de l’IHTP, « Sociabilités Michel Leymarie et Jean-Yves Mollier (dir.), La Belle Époque des
intellectuelles : lieux, milieux, réseaux », 20, mars 1992. revues 1880-1914, Paris, IMEC, 2002.

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FRANÇOIS CHAUBET

leur ethos, qu’ils soient de groupes dans le cas de lectuel à un jeu jugé plus intéressant [accéder à
revues, ou d’individus dans le cadre de la cor- la position de conseiller du prince] 3 » ?
respondance. Le regard porte alors sur les pra- Certes, dans certains cas, un pont a bel et
tiques d’écriture (à plusieurs dans le cadre d’une bien été lancé entre cette micro histoire sociale
revue), sur les modes de gestion économique et et l’histoire des idées, qu’il s’agisse des travaux
les rapports avec les abonnés, sur l’élaboration anciens de Jean Touchard sur Béranger ou de
dialogique de positions littéraires ou idéologi- ceux plus récents consacrés aux cultures politi-
ques, autour de Jean-François Sirinelli 4. Mais

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ques dans le penser-ensemble que constitue une
correspondance. les réflexions autour du «  linguistic turn  », le
Ce très rapide survol peut induire deux renouvellement des travaux en histoire litté-
types de jugements, qui nous paraissent com- raire 5, ceux consacrés à l’histoire des sciences
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plémentaires  : le sentiment que tous ces tra- sociales 6 ou « l’histoire conceptuelle du politi-
vaux étaient indispensables, mais aussi la per- que » chez un Pierre Rosanvallon 7 attestent le
ception d’un possible danger de fossilisation de désir multiforme de suivre les protocoles d’une
cette historiographique des sociabilités, si elle véritable histoire intellectuelle.
ne prenait pas mieux en compte le contenu des
œuvres en relation avec les dispositifs d’« ins- Pour une histoire intellectuelle
titution », de « champ » et d’« archive » énu- D’ores et déjà, plusieurs types de travaux en
mérés ci-dessus 1. déclinent des variantes possibles. François
Peut-on ainsi étudier le surréalisme et retra- Dosse a livré les biographies intellectuelles de
cer finement la constitution d’un collectif poé- Paul Ricœur et de Michel de Certeau  ; Vin-
tique, tributaire, certes, de logiques de positions cent Duclert (à propos de l’affaire Dreyfus) ou
sociales dans le champ 2, et ignorer la question, encore Dominique Pestre (dans son enquête
séminale (depuis Mallarmé), d’un sentiment de sur les physiciens français dans l’entre-deux-
la crise du langage et du vœu alors intense de guerres) ont procédé à cet examen serré de la
renouer avec un langage adamique (la nouvelle culture intellectuelle et scientifique propre aux
syntaxe, les associations libres du poème sur- individus étudiés, qui permet de saisir les rela-
réaliste) ? Peut-on prétendre avoir examiné le
contenu d’une revue telle La Nouvelle Critique (3) Frédérique Matonti, Intellectuels communistes  : essai sur
l’obéissance politique. La Nouvelle Critique (1967-1980), Paris, La
en «  oubliant  » de prendre en compte toute Découverte, 2005, p.  398. Voir les remarques critiques per-
une série de contributeurs, surtout en ne lisant tinentes (méthodologiques et factuelles) de Lucien Sève, qui
fut un des acteurs de cette histoire  : il s’étonne devant cette
guère (ou pas) les écrits de ceux dont on ins- « histoire sociale des idées » qui, quoi qu’elle en dise, esquive
truit les cas sous le seul angle de « l’instrumen- l’étude des débats et des productions intellectuelles dans la
talisation politique », pour conclure in fine que sphère communiste (Lucien Sève, « Intellectuels communis-
tes : peut-on en finir avec le parti pris ? », Contretemps, 15, jan-
« l’expertise intellectuelle [… aboutit au] sacri- vier 2006, p. 140-155).
fice des valeurs constitutives du champ intel- (4) On retiendra tout particulièrement, sous la direction de
Jean-François Sirinelli, L’Histoire des droites en France, Paris,
Gallimard, 1992, 2006, 3 t.
(1) Le problème avait été soulevé dès 1994 par François (5) Voir le numéro spécial, consacré au renouvellement
Dosse et Christophe Prochasson lors de la publication du livre méthodologique de l’histoire littéraire, de La Revue d’histoire
du sociologue Rémy Rieffel, La Tribu des clercs : les intellectuels littéraire de la France, 3, 2003.
sous la Ve République, Paris, Calmann-Lévy, 1993. Voir ces articles (6) Jean-Michel Chapoulie, « Un cadre d’analyse pour l’his-
dans le dossier réuni par la revue Le Débat, 79, mars-avril 1994. toire des sciences sociales », Revue d’histoire des sciences humai-
(2) Norbert Bandier, « Analyse sociologique du groupe sur- nes, 13, 2005, p. 99-126.
réaliste et de sa production (1924-1929) », thèse de doctorat (7) Pierre Rosanvallon, Pour une histoire conceptuelle du poli-
sous la direction de Guy Vincent, université Lyon-II, 1988. tique, Paris, Seuil, 2003.

184
HISTOIRE DES INTELLECTUELS, HISTOIRE INTELLECTUELLE

tions entre savants et politique, entre histoire nous plaiderons néanmoins pour un retour à
des institutions de recherche et professionnali- une histoire « civilisationnelle », dans la lignée
sation de la science, entre examen des démar- plutôt d’un Paul Hazard ou d’un Paul Béni-
ches apodictiques et leur utilisation dans le chou, et plus récemment, d’un Marc Fumaroli
débat politique (le rôle de la critique des « sour- en France ou des historiens de l’École de Cam-
ces » dans l’Affaire), voire entre ces démarches bridge avec Quentin Skinner et John A. Pocock.
de vérité et le caractère social et institutionnel Celle-ci mêlerait deux types d’enquête en sui-
de la notion de «  vérité  » scientifique (à tra- vant leur entrecroisement  : une histoire des

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vers le rôle de révélateur social joué par le labo- idées (grandes doctrines philosophiques, pro-
ratoire). De même, on peut également orien- duction littéraire, idéologies politiques) atten-
ter l’enquête vers les modes d’argumentation, tive à leur dimension langagière, articulée à un
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les régimes d’administration de la preuve pro- contexte que définit une histoire culturelle des
pres à tel ou tel auteur, ou rechercher les élé- idées saisie à travers l’examen des mécanismes
ments «  matriciels  » spécifiques d’une disci- de « champ » et « d’institution » (production
pline, avec ses « théories » et variables de base, concurrentielle des idées, réception et diffu-
ses sources documentaires et de méthodes qui sion) et « d’archive » (concurrence, resurgisse-
fondent un « métier » et une école de recher- ment et reformulation des discours anciens dans
che 1. De son côté, dans une toute autre sphère le présent), ce afin d’unir les conditions socia-
de recherche, Alain Vaillant prône une « his- les de la vie et les conditions morales. La mise
toire de la communication littéraire », étayée en œuvre d’un tel projet passe donc par l’éta-
sur de larges corpus de « textes », et ouverte à blissement d’un large contexte, si l’on postule
toutes sortes de réalités (les dispositifs éduca- que l’intelligence et ses promoteurs sont, d’une
tifs, les relations du texte littéraire avec le sys- part, une réponse à l’histoire, et que, d’autre
tème de presse, etc.) 2. Dans tous les cas, l’enjeu part, l’ensemble contextuel reste, non un cadre
est de déboucher sur une histoire réflexive de contraignant, mais plutôt l’espace des possi-
la notion d’œuvre et d’activité intellectuelle et bilités d’une communication autonome –  eu
d’en dégager les multiples couches de sens. égard la double autonomie partielle des intel-
Mais le plus grand défi d’une histoire intel- lectuels et des artistes dans la société et celle de
lectuelle reste de rapporter des œuvres à un la pensée/sensibilité. Dans cet espace contex-
contexte historique donné et aux interroga- tuel, les productions intellectuelles ne dépen-
tions d’une époque afin de les éclairer correc- dent pas de manière passive du contexte selon
tement. Certes, les termes de « mentalité » ou l’enseignement des théories du « reflet » ; elles
d’« esprit d’époque » paraissent un peu désuets ont leur dynamique langagière propre et une
après les critiques de tous ceux (Foucault au capacité spécifique à interroger le réel en train
premier chef) qui ont affirmé leur scepticisme de se constituer (structure réflexive de la litté-
à l’égard des groupements tout faits et des syn- rature, mais aussi de certaines grandes œuvres
thèses données d’avance dans les histoires de de philosophie politique) ou de l’exposer sur le
l’esprit humain proposées jadis par Voltaire, quasi-mode de « l’action » (théorie des speech
Bourreau-Deslandres, Hegel ou Taine. Mais acts) dans les œuvres de la pensée politique.

(1) Ibid. Pouvoirs du langage


(2) Alain Vaillant, «  Pour un histoire de la communica-
tion littéraire », Revue d’histoire littéraire de la France, 3, 2003,
L’École de Cambridge (John A. Pocock, Quen-
p. 549-562. tin Skinner) a permis ainsi de réhabiliter l’étude

185
FRANÇOIS CHAUBET

fine des discours intellectuels, soit via la (classi- l’anarchisme d’alors, la littérature explore et
que) critique des sources, soit par le biais d’une révèle à sa façon la crise politique des années
recherche sur l’historicité des grands concepts 1890, caractérisée par la contestation à l’égard
de la philosophie politique replacés dans leurs de la démocratie libérale et parlementaire 4. Plus
différents contextes temporels et spatiaux  : la largement, le texte littéraire donne une forme
notion de virtu machiavélienne n’a plus la même d’accès privilégiée aux représentations contra-
signification dans la Florence du 16e siècle, dans dictoires qui animent la société dans la mesure
l’Angleterre du 17e siècle ou dans l’Amérique du

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où elle les présente, le plus souvent, sous la
18e siècle 1. Disons-le sans fioritures : il s’agit là forme d’un romanesque dialogique, polysémi-
tout simplement d’un art de lire les grands tex- que, vecteur d’ambiguïté sémantique 5. Un pas-
tes, puisque ceux-ci s’avèrent toujours à la fois sionnant travail récent sur le roman français du
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les plus concertés et les plus immaîtrisables 2. 19e siècle nous révèle un exemple de cette opa-
Quant à réfléchir à l’apport de la littérature, cité sociale et politique révélée par la parcelli-
ce serait, pour l’historien, se pencher au-des- sation des langages exemplairement enregistrée
sus de l’inconnu des conduites et des mœurs, par un Balzac 6 ; la volonté de montrer les divers
poursuivre en compagnie du romancier une sociolectes passe, notamment, par le recours
réflexion interrogative sur l’opacité du devenir croissant à l’oralité, voire à l’argot (Les Miséra-
moderne. Ainsi, au début du 19e siècle, la littéra- bles), par la quête des styles professionnels (cf. l’ex-
ture explore les aléas de l’intrigue démocratique pression de Flaubert) qui permet de mieux saisir
et de la nouvelle sociologie historique quand, la nature des clivages entre les distinctes catégo-
avec le roman réaliste, elle met en œuvre une ries de Français au 19e siècle 7. En parlant sur le
démarche de typologie descriptive (la présocio- mode interrogatif, la littérature fournit à l’his-
logie des Études de mœurs balzaciennes) favorable toire intellectuelle des matériaux d’un discours
à l’établissement d’un contrat de lecture égali- social au second degré en vertu du travail exercé
taire entre l’auteur et une masse de lecteurs avi- par la «  littérarité  » (la valeur esthétique) sur
des de trouver des repères dans un monde « tout tous les matériaux de la parlure sociale. Ainsi des
en creux  » (Félix Davin, 1835) 3. Inversement, visions du monde, de l’idéologie (brute) jaillis-
avec le courant symboliste et ses formes d’ex- sent par le biais d’une poétique romanesque
ploration du moi, politiquement influencé chez qui offre un vrai tissu conjonctif entre langue,
certains de ses écrivains par la geste violente de culture, politique et littérature.

(1) Sur l’École de Cambridge, voir Julien Vincent, « Concepts (4) Nelly Wolf, Le Roman de la démocratie, Saint-Denis, Pres-
et contextes de l’histoire intellectuelle britannique : l’“École de ses universitaires de Vincennes, 2003.
Cambridge” à l’épreuve », Revue d’histoire moderne et contempo- (5) Voir, pour le dialogue, tout au long du 19e siècle, entre
raine, avril-juin 2003, p. 187-207. Ancien Régime et société démocratique nouvelle, le beau livre
(2) Nous suivons ici les belles réflexions de Claude Lefort à de Mona Ozouf, Les Aveux du roman : le dix-neuvième siècle entre
propos de Tocqueville, Marx et Machiavel : « Je me suis tou- Ancien Régime et Révolution, Paris, Fayard, 2001. Plus généra-
jours efforcé de restituer à la fois ce qu’il y avait de délibéré, lement, sur l’étude des rapports entre littérature et histoire
de concerté, dans la pensée de l’écrivain et ce qui s’avère non dans une optique qui inscrit le social dans la textualité en vertu
maîtrisable pour lui-même, ce qui l’emporte ou le déporte d’une nouvelle narratologie, distincte donc de la veine macro-
constamment hors des “positions” qu’il a rejointes  ; bref ce sociologique héritée de Luckacs et Lucien Goldmann qui pré-
qui fait les aventures de la pensée dans l’écriture. » (« Philoso- tendait révéler le social dans le texte, voir La Politique du texte :
phe », in Écrire : à l’épreuve du politique, Paris, Calmann-Lévy, enjeux sociocritiques. Pour Claude Duchet, Lille, Presses univer-
1992, p. 337-355) sitaires de Lille, 1992.
(3) Voir Judith Lyon-Caen, « Saisir, décrire, déchiffrer : les (6) Voir sur cette polyglossie, le livre de Philippe Dufour, La
mises en texte du social sous la monarchie de Juillet », Revue Pensée romanesque du langage, Paris, Seuil, 2004.
historique, 630, 2, avril 2004, p. 303-331. (7) Ibid., p. 124-135.

186
HISTOIRE DES INTELLECTUELS, HISTOIRE INTELLECTUELLE

Mais la question devient alors celle du ras- de la réception, des travaux récents ont enquêté
semblement des faits dispersés. De quels outils sur la rencontre épistolaire entre un auteur et
et méthodes dispose-t-on pour cette histoire ses lecteurs afin de réfléchir aux mécanismes
contextuelle qui unit histoire interne des idées de façonnement du moi lisant et aux bricola-
et une histoire culturelle des idées davantage ges d’identité qui en résultent 3. D’autres étu-
soucieuse des pratiques intellectuelles 1 ? Indi- des se penchent plutôt sur les modalités selon
quons au moins deux pistes méthodologiques lesquelles une « communauté interprétative »
qui permettent cette union : une approche en s’approprie un corpus d’auteur(s) et l’ouvre aux

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termes de « réception » des idées et celle sur différentes lectures. Dominique Pestre étudie
les conditions polémiques du débat intellectuel ainsi les débats autour de la physique einstei-
dans le cas de grandes controverses. nienne dans les cercles de physiciens français
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des années 1920 et 1930 et il montre bien, avec


Combiner approche interne et externe des idées le cas d’un Paul Langevin, le travail de réamé-
Une histoire des formes d’appropriation intel- nagement de l’interprète. C’est là aussi tout la
lectuelle et des usages des textes relève de cette démarche d’un Pocock avec son grand ouvrage
combinaison. Qu’il s’agisse d’une histoire de la consacré à l’histoire des diverses interpréta-
réception des idées et des textes ou d’un façon- tions de Machiavel dans la pensée anglaise du
nage socio-intellectuel des productions intel- 17e et 18e siècles, ou de l’enquête sur Descartes
lectuelles à travers le jeu éditorial, « l’œuvre » menée par Stéphane Van Damme afin de com-
n’est plus close sur elle-même mais devient du prendre la construction d’une « grandeur » phi-
sens sédimenté dans l’espace social ; elle n’est losophique à partir des premiers cercles mon-
pas non plus un simple reflet de l’histoire mais dains français au milieu du 17e siècle, puis des
un de ses facteurs 2. Dans le cas d’une histoire différents cercles de lecteurs en Europe 4.
Faut-il pour autant s’abstraire du sens pre-
mier des œuvres, des « intentions primaires »
(1) Nous nous permettons de renvoyer à notre ouvrage qui de l’auteur, au motif que tout texte connaît des
constitue un essai d’application de la prescription présente,
Histoire intellectuelle de l’entre-deux-guerres : culture et politique, interprétations, et que, selon les tenants les plus
Paris, Nouveau Monde, 2006. radicaux du «  linguistic turn  », l’auteur serait
(2) Nous retenons ici cette interprétation modérée du « lin-
guistic turn », qui est celle de l’École de Cambridge, et qui vise absent, que l’audience serait inconnue et que le
à récupérer la dimension rhétorique des idées afin de montrer texte exsuderait, librement, des significations ?
qu’une grande œuvre ne se réduit pas au statut de document.
Il s’agit plus largement d’envisager un nouveau rapport entre Cette position extrême décontextualise la lec-
« pensée » et « réalité » sous les termes d’« expérience » et ture au profit de celui qui est « devant » le texte
« signification », en disant qu’une interprétation créatrice de
l’expérience modèle aussi la réalité et donc que le langage n’est
(le nouvel interprète ou « reader-response » de
pas simplement un medium relativement transparent, mais Stanley Fish 5), et au détriment de celui qui se
qu’il répond à l’expérience et la façonne en partie. Le meilleur
moyen de suivre le débat sur cette proposition historiographi-
trouve «  derrière  » (l’auteur). Or, des histo-
que, un peu caricaturée en France par Roger Chartier (qui n’en riens des idées, tel un Quentin Skinner, cher-
retient que les aspects les plus extrémistes), consiste à lire les
différents articles parus dans l’American Historical Review en
1987-1989. Notamment celui John E. Toews dont nous avons
résumé les idées ci-dessus, « Intellectual History after the Lin- (3) Judith Lyon-Caen, La Lecture et la vie : les usages du roman
guistic Turn  : The Autonomy  of Meaning and the Irreduc- au temps de Balzac, Paris, Tallandier, 2006.
tibility of Experience  », American Historical Review, 4, octo- (4) Stéphane Van Damme, Descartes, Paris, Presses de Scien-
bre 1987, p. 879-907 ; et celui de David Harlan, plus proche ces Po, 2002, chap. 1 « Des savoirs cartésiens en action ».
d’un paradigme poststructuraliste marqué par la French Theory, (5) Stanley Fish, Is There a Text in This Class ? The Autho-
« Intellectual History and the Return of Littérature », Ameri- rity of Interpretative Communities, Cambridge (Mass.), Harvard
can Historical Review, 3, juin 1989, p. 581-609. University Press, 1980.

187
FRANÇOIS CHAUBET

chent bel et bien à retrouver ces « intentions vaux d’histoire des intellectuels 2. En effet, dans
primaires » (ce qu’un auteur écrit et veut dire, le cadre d’une polémique intellectuelle d’une
avec quelles intentions performatives, et pour certaine ampleur –  définie comme différend
quel public précis), tout en examinant la récep- public entre pairs –, ce sont les idées, et leurs
tion diffractée des œuvres. Mais si l’École de porte-parole, que l’on prend alors vraiment
Cambridge reste fort peu intéressée par une au sérieux, dans la dimension performative de
approche sociale des acteurs intellectuels, l’his- leurs arguments (rien n’est joué d’avance dans

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toire intellectuelle aurait tort de se couper de une controverse), jusqu’aux effets cognitifs et
cette approche qui fut l’un des points forts politiques de ceux-ci (créer, éventuellement, un
de l’histoire des intellectuels. Ainsi les études nouvel état dans la société à l’image de l’abou-
de réception ont aussi été axées sur la média- tissement dreyfusard). Ainsi, en remontant à
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tion éditoriale et journalistique, afin d’en illus- des situations d’effervescence intellectuelle ini-
trer le rôle créatif capital dans la définition tiale, ce que l’on envisageait traditionnellement
d’une œuvre. Le médiateur est prescripteur comme « cause » et comme processus linéaire
et il façonne (via, par exemple, le paratexte, le devient « conséquence » et résultat incertain :
format, le prix) plus ou moins largement un la philosophie des Lumières a pu être présentée
contenu. Les mécanismes éditoriaux qui tou- par Antoine Lilti, moins comme une cause des
chent, par exemple, la politique de la traduc- controverses entre les encyclopédistes et leurs
tion, ou ceux qui affectent la politique de l’es- adversaires, que comme conséquence de celles-
sai dans les années 1920 sont typiques d’une ci 3. Se concentrer sur la controverse permet
histoire des contenus intellectuels au prisme aussi de (dé)mêler la part des démarches straté-
du socioculturel mis en jeu par les acteurs de giques dans le comportement des acteurs (inter-
l’édition 1. Ceux-ci en effet tendent à orienter prétable en termes de capital social ou d’habileté
le livre érudit traditionnel d’avant-guerre, de rationnelle) et celles plus strictement argumen-
format in octavo, vers la sphère du livre d’ac- tatives mises en jeu dans les dispositifs de parole
tualité et de l’essai politique, au format in duo- publique. Il s’agit ainsi de tenir ensemble l’ana-
decimo, plus maniable, et assimilé de surcroît à lyse des dispositifs socioculturels sous-jacents à
l’ouvrage littéraire. L’éditeur reconfigure ainsi la parole intellectuelle (propos oraux, corres-
par des procédures matérielles précises le jeu pondance privée, interventions publiques dans
des genres littéraires et contribue à orienter la des cadres, eux aussi, différenciés) et le déploie-
production intellectuelle. ment de celle-ci dans sa dimension proprement
Un autre pont entre histoire des idées et communicationnelle.
histoire culturelle des pratiques intellectuelles Mais, au-delà de ces procédés d’investiga-
serait celui lancé par l’examen des controver- tion, l’histoire intellectuelle doit donc affron-
ses ou disputes intellectuelles. Inscrit au départ ter la question des rapports entre les faits de
dans le champ de la sociologie des sciences, ce conscience créatifs et les données politiques et
terrain de recherche fait désormais l’objet d’en- sociales qui caractérisent une époque donnée.
quête de la part d’historiens investis dans les tra-

(1) François Chaubet, op. cit., chap. 4 et 5. Nous renvoyons (2) Voir le dernier numéro de Mil neuf cent. Revue d’his-
plus généralement aux réflexions de Roger Chartier sur cette toire intellectuelle, « Comment on se dispute : les formes de la
histoire matérielle de la lecture proposées dans « communau- controverse de Renan à Barthes », 25, 2007.
tés de lecteurs » (in Culture écrite et société : l’ordre des livres (xvie- (3) Antoine Lilti, « querelles et controverses. Les formes du
xviiie siècles), Paris, Albin Michel, 1996, p. 133-154). désaccord intellectuel à l’époque moderne », ibid., p. 13-28.

188
HISTOIRE DES INTELLECTUELS, HISTOIRE INTELLECTUELLE

Mise en rapport des différents ordres de réalité torien. On le savait intuitivement depuis Wal-
Carl E.  Schorske, l’historien américain de la ter Scott, on le sait désormais théoriquement
Vienne fin de siècle 1, a livré une étude exem- depuis la large divulgation des travaux de Paul
plaire de ces rapports. Sa méthode d’investi- Ricœur, c’est au récit, à travers le dessein de
gation mêle approche diachronique (pour sai- suivre l’ensemble des fils qui révèlent les liens
sir l’évolution d’un domaine du savoir, de l’art) multiples au sein d’un contexte donné, d’assu-
et l’approche synchronique (pour comprendre mer une quasi-fonction coactive en s’appuyant
leur relation avec l’ensemble du contexte poli- sur une mise en intrigue intellectuelle, à la fois

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tique et social). Plus généralement, il s’agit de orientation de la narration et rassemblement
saisir les différentes sphères d’activité intellec- des matériaux dispersés. Ainsi est-ce le reflux,
tuelle et leurs productions, puis à relever tou- à partir de 1880, du libéralisme politique qui
explique le repliement de certains artistes, la
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tes les interrelations en leur sein et à l’extérieur


d’elles. Ces interrelations se jouent d’abord à naissance de recherches artistiques ou l’émer-
l’intérieur des relations intradiscursives d’une gence de savoirs élitistes, autoréférentiels et
sphère intellectuelle donnée (la philosophie, avides d’exploration intérieure (la psychanalyse
la littérature avec leur gamme d’œuvres), dont en est le symbole). À l’inverse, dans la France
il convient de connaître l’ensemble des débats, de l’entre-deux-guerres, une approche artisti-
présents et passés, au sein de ce que l’on peut que et intellectuelle plus conforme aux atten-
appeler «  l’archive  »  : nulle histoire possible tes du public moyen, une certaine prédilec-
du surréalisme sans maîtrise par les futurs sur- tion attachée aux valeurs de lisibilité, de clarté
réalistes du cours amont des Lettres pendant intellectuelle ou du raisonnable (classicisme
(au moins) les cinquante dernières années. On moderne des formes artistiques, néorationa-
rencontre ensuite les relations interdiscursives lisme philosophique), apparaît, chez beau-
entre deux domaines intellectuels ou artisti- coup d’hommes de culture, l’équivalent d’un
ques distincts, mais qui partagent une recher- engagement politique libéral. Celle-ci peut
che similaire eu égard les interrogations poli- être, ici, la conscience de la jeunesse intellec-
tuelle des années 1815-1830 d’être emportée
tiques et sociales communes d’une époque  :
dans un mouvement historique dont le sens
ainsi le «  classicisme moderne  », identifiable
unitaire s’est perdu, là la confrontation tra-
aussi bien dans une partie de la littérature (la
gique de la modernité et de l’histoire dans la
NRF) que dans les arts de l’entre-deux-guer-
Vienne fin de siècle, ailleurs la volonté juste-
res français (architecture du Trocadéro, pein-
ment de concilier l’histoire et la dite moder-
ture de Derain) 2, répond à la recherche, par
nité dans la France des années 1920 et 1930. Il
une grande partie des élites, d’une réévaluation
reste que ces reconstitutions ne peuvent avoir
intellectuelle et artistique critique de la pensée
aucune prétention à la totalité homogène (de
et des sensibilités.
type Zeitgeist, esprit d’époque) dans la mesure
Enfin les relations extradiscursives articulent
où la culture moderne est fondée sur la frag-
l’horizon du politique et du culturel. Pour par-
mentation croissante de ses sphères d’activité
venir à mener cette investigation globale, une
et que les mises en intrigue de séries, parfois
« intrigue » narrative peut s’avérer utile à l’his-
très hétérogènes les unes aux autres, ont leurs
limites 3. Mais de leur qualité dépend certaine-
(1) Carl E. Schorske, Vienne fin de siècle : politique et culture,
Paris, Seuil, 1983.
(2) Ibid., chap. 2 « Exprimer la crise : modernité et tradi- (3) Le livre de Schorske, par exemple, est une suite d’essais
tion ». plutôt qu’une forme métanarrative.

189
FRANÇOIS CHAUBET

ment de tenir ensemble l’ambition de situer récemment Michel Trebitsch 1, ouvrir plus large-
correctement le rôle de certaines œuvres intel- ment, plus synthétiquement aussi, l’histoire des
lectuelles et artistiques dans l’histoire générale, intellectuels sur l’histoire tout court des sociétés
tout en refusant de les réduire au simple rang contemporaines. Dans le monde de la moder-
de symptôme mimétique de celle-ci. nité, où la production de la société est de plus en
À l’issue de ce bref panorama, qui voit la tra- plus de nature médiatique et informationnelle,
ditionnelle histoire des idées passer d’une his- l’esprit se trouve en face de lui-même et donc
toire des significations à une histoire des intel- confronté en permanence à ses représentations

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lectuels, celle-ci axée surtout sur une étude des et à celles d’autrui. Ce simple constat suffit à
fonctions (de la socialisation intellectuelle) et des (re)donner à une histoire des idées renouve-
usages (des différentes productions intellectuel- lée, ainsi qu’à l’étude de ses multiples représen-
les dans leur circulation), le plaidoyer en faveur
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tants, la place centrale que leur confère de facto la


d’une histoire intellectuelle vise donc à conju- réflexivité propre aux sociétés modernes.
guer ces trois types d’approche, sans craindre de
multiplier les variations d’angles de prises de vue.
Cette invitation à une telle enquête peut, cer- François Chaubet est maître de conférences habilité à l’uni-
versité deTours et chercheur rattaché au Centre d’histoire du
tes, être toujours liée à un classique programme 20e siècle de Sciences Po. Ses travaux portent sur l’histoire
d’histoire de l’engagement politique, dans l’exa- des intellectuels aux 19e et 20e siècles et sur l’histoire des rela-
men de ses composantes scientifiques et tech- tions culturelles internationales. Il a récemment publié La
Politique culturelle française et la diplomatie de la langue : l’Al-
niques, ainsi que le rappelait Vincent Duclert.
liance française (1883-1940) (L’Harmattan, 2006) et une Histoire
On peut aussi, comme l’établirent des historiens intellectuelle de l’entre-deux-guerres (Nouveau Monde, 2006).
ou des littéraires jadis, et comme nous y invitait (f.chaubet@free.fr)

(1) Michel Trebitsch, op. cit.

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