Vous êtes sur la page 1sur 16

Genre, sexualité & société

13  (printemps 2015)


Hégémonie

................................................................................................................................................................................................................................................................................................

Valerio Coladonato
Genre et formes d’hégémonie dans les
études sur les stars
................................................................................................................................................................................................................................................................................................

Avertissement
Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de
l'éditeur.
Les œuvres figurant sur ce site peuvent être consultées et reproduites sur un support papier ou numérique sous
réserve qu'elles soient strictement réservées à un usage soit personnel, soit scientifique ou pédagogique excluant
toute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'éditeur, le nom de la revue,
l'auteur et la référence du document.
Toute autre reproduction est interdite sauf accord préalable de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation
en vigueur en France.

Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales développé par le Cléo, Centre pour l'édition
électronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV).

................................................................................................................................................................................................................................................................................................

Référence électronique
Valerio Coladonato, « Genre et formes d’hégémonie dans les études sur les stars », Genre, sexualité & société
[En ligne], 13 | printemps 2015, mis en ligne le 01 juin 2015, consulté le 06 septembre 2015. URL : http://
gss.revues.org/3570 ; DOI : 10.4000/gss.3570

Éditeur : IRIS-EHESS
http://gss.revues.org
http://www.revues.org

Document accessible en ligne sur :


http://gss.revues.org/3570
Document généré automatiquement le 06 septembre 2015.
© Tous droits réservés
Genre et formes d’hégémonie dans les études sur les stars 2

Valerio Coladonato

Genre et formes d’hégémonie dans les


études sur les stars
Introduction
1 En août 2012, la popstar mondiale Beyoncé ouvre une page sur le réseau social Tumblr1. Elle
y affiche d’abord quelques phrases manuscrites par lesquelles elle promet l’authenticité des
matériaux présentés, critère ultime du rapport entre admirateurs et star : « C’est moi. C’est ma
vie, aujourd’hui, année après année – vue de mes yeux »2. Puis elle poste une série de photos
d’un style volontairement plus amateur que les clichés professionnels  : on y découvre des
moments intimes passés lors de somptueuses vacances tropicales en compagnie de son mari,
le rappeur et producteur Jay-Z. Beyoncé apparaît, entre autres, à bord d’un hélicoptère, d’un
yacht, seule sur une plage privée ou posant à coté de dizaines de bouteilles de champagne.
2 En commentant le Tumblr de Beyoncé, Anne Helen Petersen, qui étudie les mécanismes
de production et de diffusion des potins sur les célébrités (Petersen, 2014), complimente la
popstar pour le contrôle de sa propre image et constate l’effacement du travail qui a permis
la construction de cette marchandise (Petersen, 2012). L’auteure interpelle ainsi la lectrice
et le lecteur  : «  Prenez un moment pour réfléchir à votre réaction la première fois que
vous avez vu ces photos. Vous étiez 1. Agacé-e  ; 2. Jaloux-se  ; 3. ou juste impatient-e de
participer à la fête ? » 3. Petersen suppose, comme nous le faisons ici, que dans la majorité
des cas la réponse est la troisième. Tel est, d’ailleurs, le mécanisme central à l’œuvre dans la
production d’une star. Pouvoir afficher et exhiber ses loisirs, revendiquer une « consommation
ostentatoire », créer un fantasme d’autoréalisation et susciter des formes plus ou moins intenses
de projection et d’identification. Ainsi, selon Edgar Morin, ce qui permet le rapport à la star,
c’est l’expérience de consommation par procuration (Morin, 1957, 159).
3 À la fin de l’article, nous reviendrons sur le cas de Beyoncé. Pour le moment, cet exemple
nous permet de poser la question suivante : quel lien existe-t-il entre l’identification aux stars
et les procédés qui construisent l’hégémonie dans une société déterminée ? Autrement dit :
peut-on considérer le star-système comme l’une des stratégies visant à ce que les groupes
dominés partagent les valeurs promues par les groupes dominants ? Le concept d’hégémonie
ainsi formulé concerne « l’organisation du consentement »4 et s’adresse aux « manières dont le
savoir et la culture “populaires” se sont développés afin d’assurer la participation des masses
au projet du bloc dominant »5 [ma traduction] (Barrett, 1991, 54). L’une des contradictions les
plus évidentes des démocraties capitalistes, à laquelle le culte des stars fournit une résolution
imaginaire, consiste à garder crédible la promesse de mobilité sociale pour tou-te-s, face à la
conservation des disparités socio-économiques (Marshall, 1997).
4 Le cinéma – premier medium à engendrer un vrai culte des stars – a longtemps été soupçonné
de complicité avec le système capitaliste. Dans les critiques formulées par Theodor W.
Adorno, par exemple, la fonction aliénante est propre aux conditions de production du
cinéma, indépendamment des différences entre les films et les publics, et «  toute tentative
de changement est condamnée à être neutralisée et à valider le système »6 [ma traduction]
(Hansen, 2011, 207). Dans ce modèle, la domination exercée sur les publics par l’industrie
culturelle est univoque et toujours efficace dans sa capacité de mystification. La perspective
des cultural studies s’éloigne des positions pessimistes de l’école de Francfort. Si elles mettent
l’accent sur le contexte de l’expérience spectatorielle, les cultural studies n’oublient pas
l’immense pouvoir de persuasion du cinéma et son lien étroit avec le système capitaliste.
L’apport de ces recherches est l’analyse de la réception des produits médiatiques en tant que
moment autonome (et potentiellement subversif) par rapport à la production (Hall, 2008). Par
conséquent, la célébrité n’y est plus considérée comme une fausse conscience imposée par
l’industrie, puisque le sens ultime de la starification est le résultat d’une lutte qui implique la
participation active du public.

Genre, sexualité & société, 13 | printemps 2015


Genre et formes d’hégémonie dans les études sur les stars 3

5 Dans «  Le star-système hollywoodien  », considéré comme l’ouvrage de référence pour


l’analyse des stars dans la perspective des cultural studies, Richard Dyer écrit : « L’intérêt
d’Hollywood réside principalement dans ce processus de contradiction et dans la façon de le
gérer, et dans ces moments où l’hégémonie n’est pas, ou seulement à grand peine, assurée » [ma
traduction] (Dyer, 2004a)7. Le concept d’hégémonie désigne un équilibre toujours passible
d’être bouleversé, et permet de saisir la dynamique des rapports de pouvoir. Dans son
panorama sur l’état actuel des star studies, Su Holmes soutient que les travaux de Dyer ont
toujours une position centrale en raison de leur « affinité avec le Marxisme gramscien »8 : les
phénomènes liés à la célébrité sont considérés comme un terrain de « négociation entre la star,
les médias et le public » [ma traduction] (Holmes, 2006, 11).
6 Dans ce champ d’études, l’utilisation de la notion d’hégémonie n’est pas uniforme. Le concept
est principalement mobilisé autour de deux enjeux  : premièrement, la question du soutien
assuré par les stars à l’hégémonie capitaliste dans un contexte socio-historique déterminé
(usage que nous avons déjà mentionné)  ; deuxièmement, dans l’analyse des modèles de
genre hégémoniques incarnés par certaines stars (ce que nous verrons bientôt). Au-delà des
occurrences explicites, ce que nous souhaitons montrer ici est la convergence entre la pensée
gramscienne et l’approche méthodologique des études sur les stars, en particulier dans les
travaux qui ont abordé les questions de genre. Même dans les cas où le terme hégémonie est
absent, les enjeux de ces recherches y sont étroitement liés – il s’agit de comprendre comment
les sujets adhèrent à une vision spécifique du monde et des rapports sociaux. Le cinéma, par
exemple, a contribué de façon déterminante à la naturalisation de l’hétéronormativité dès les
premières décennies du XXe siècle : il a fourni un répertoire d’images et d’archétypes genrés
et hiérarchisés, rapidement entrés dans le sens commun. Les analyses produites à partir des
années 1980 ont fourni des pistes sur les transformations de ces modèles, grâce à des études de
cas spécifiques, dans lesquels une star a accompagné dans son parcours des mutations sociales
importantes (voir à titre d’exemple Austin et Barker, 2003 ; Cohan, 1997 ; Dyer, 2004b ; et dans
le contexte français, Burch et Sellier, 1996 ; Gauteur et Vincendeau, 1993 ; Le Gras, 2014).
7 Je voudrais soulever trois questions centrales dans le domaine des recherches féministes sur
les stars : 1. Quelle est la valeur politique de l’identification aux stars ? 2. Quel est le lien entre
les transformations socio-économiques et l’évolution des modèles de genre incarnés par les
stars ? 3. Dans la « polysémie structurée » de chaque star (Dyer, 2004a, 67), comment se définit
le signifié dominant ? Les développements qui suivent ne sont pas orientés vers un objectif
de traitement exhaustif des occurrences du terme « hégémonie » dans les études sur les stars,
domaine vaste et en constante évolution. Il s’agit plutôt de montrer la plus-value heuristique
du concept d’hégémonie pour penser ces différents enjeux. Nous proposerons dans un premier
temps une relecture critique de quelques travaux théoriques sur l’identification aux stars et
les questions de genre. Puis nous aborderons deux études de cas très éloignées en termes de
contexte historique et médiatique – d’abord le culte de Rudolph Valentino, l’une des stars
cinématographiques les plus importantes de la période muette d’Hollywood ; puis Beyoncé,
figure emblématique de la culture de la célébrité contemporaine.

L’identification aux stars : quel lien avec l’hégémonie ?


8 Lorsqu’il est question des mécanismes qui régissent le rapport entre les stars et leur public,
différentes positions théoriques s’affrontent au sein des études cinématographiques. Toutes
reconnaissent en revanche la centralité du processus d’identification, sans lequel ce rapport ne
peut avoir lieu. Ce concept d’origine psychanalytique a permis d’interpréter l’attachement des
spectateurs et des spectatrices à l’intérieur et en dehors de la salle de cinéma. Comme nous le
rappelle Stuart Hall à propos de l’identification, « la nature nécessairement fictionnelle de ce
processus ne diminue pas pour autant son efficacité discursive, matérielle ou politique » (Hall,
2008, 271). Ainsi, un dispositif intrinsèquement imaginaire comme le cinéma s’inscrit
néanmoins dans des rapports concrets de pouvoir, en produisant des subjectivités différenciées
et hiérarchisées.
9 Une analyse fondatrice du rôle de l’identification cinématographique dans le maintien
des hiérarchies de genre a été formulée dans l’article «  Visual Pleasure and Narrative

Genre, sexualité & société, 13 | printemps 2015


Genre et formes d’hégémonie dans les études sur les stars 4

Cinema  » (Mulvey, 1975), référence fondamentale de la Feminist Film Theory. Le cadre


théorique proposé par Laura Mulvey pose que le plaisir associé au visionnage d’un film
est le produit de l’activation simultanée de deux mécanismes  : d’une part la scopophilie,
ou fascination produite par l’observation des figures humaines ; d’autre part l’identification
narcissique, ou plaisir produit par la perception d’une ressemblance entre soi et l’image
observée. Ces deux pulsions impliquent une relation contradictoire entre le spectateur et
l’image : dans le premier cas une distance, dans le second un lien d’identité/reconnaissance.
La capacité à rendre ces deux plaisirs simultanément disponibles est l’un des points forts du
dispositif cinématographique.
10 Les représentations de la figure humaine et la construction du regard que le cinéma propose
habituellement sont, selon l’auteure, une expression directe de l’idéologie patriarcale  : par
conséquent, les fantasmes qu’elle engendre supposent un spectateur masculin hétérosexuel.
L’article de Mulvey ne prend pas pour objet un public concret  : il décrit la position
spectatorielle idéale construite par le texte filmique. Les films narratifs, avec leur insistance
sur le corps féminin comme spectacle à observer, alignent le regard de la star masculine et celui
du spectateur, ce qui mène à une différence radicale dans le rôle attribué aux stars selon leur
sexe et dans les possibilités de s’y identifier. Mulvey présente une analogie entre le processus
d’identification au cinéma et le stade du miroir décrit par Jacques Lacan ; tout comme l’enfant
attribue à sa propre image reflétée par le miroir des caractéristiques supérieures à la réalité,
la figure du protagoniste masculin est idéalisée : « une star masculine de cinéma n’est pas
séduisante parce qu’elle est l’objet érotisé du regard, mais parce qu’elle possède les mêmes
caractéristiques que l’égo idéalisé, plus parfait, plus complet et plus puissant, construit lors du
stade du miroir »9 (Mulvey, 1975).
11 À l’inverse, la figure féminine est une détermination de l’inconscient patriarcal  : «  Le
regard déterminant du masculin projette ses fantasmes sur la figure féminine, la modelant en
conséquence » (Mulvey, 1975). Ces fantasmes sont profondément ambivalents : selon Mulvey,
la femme est constamment réduite à un objet de fascination sexualisé, tout en évoquant
dans l’inconscient masculin la menace de la castration. Les films hollywoodiens proposent
deux réactions à cette menace posée à l’inconscient masculin  : d’une part, nous trouvons
l’idéalisation et la fétichisation du corps féminin, qui se base sur un déni de la castration (par
exemple dans les films de Josef von Sternberg). D’autre part, la narration du film peut proposer
une investigation qui mène à découvrir la culpabilité du personnage féminin, suivi par « la
dévaluation, la punition ou le sauvetage de l’objet coupable » (Mulvey, 1975) : afin d’illustrer
ce scénario sadique, Mulvey choisit l’exemple des films d’Alfred Hitchcock. On comprend à
partir de ces postulats la position politique avancée par Mulvey : pour rompre le système de
domination symbolique du cinéma androcentré, il faut en « détruire » le plaisir visuel.
12 Le modèle proposé par Mulvey en 1975 a été soumis à de nombreuses révisions, y compris par
son auteure : en 1981, la théoricienne et cinéaste britannique admet les limites d’une analyse
qui assigne au sujet féminin une place nécessairement passive et reconnait la possibilité d’une
identification au-delà du binarisme masculin/féminin (Mulvey, 1981). La théorie du male
gaze («  regard masculin  ») est ainsi fragmentée et relativisée  : en particulier, l’association
structurelle entre plaisir, activité, exercice du regard et masculinité est remise en question
(voire, entre autres, Kaplan, 1983 ; Neale, 1983). En outre, le cinéma hollywoodien, qui se
trouve à la base des analyses de « Visual Pleasure and Narrative Cinema », s’avère être une
forme symbolique hétérogène et complexe, capable de s’adresser à d’autres subjectivités que
celle d’un homme hétérosexuel. Comme l’a montré Veronica Pravadelli (2015), les concepts
élaborés dans la première phase de la Feminist Film Theory sont efficaces pour analyser des
modèles et des moments cinématographiques spécifiques, mais ne sont pas valables a priori. La
contextualisation historique de ces théories reste, par conséquent, un passage incontournable.
13 Malgré les limites de son modèle théorique, l’apport de Mulvey est une conceptualisation
fondatrice du lien entre patriarcat et star-système. Son pessimisme eu égard à la valeur
politique du culte des stars est largement partagé. Considérons, comme exemple représentatif
de cette tendance, la conclusion à laquelle parvient Anne Friedberg, dans un essai qui passe
en revue les différentes théories de l’identification filmique : « L’identification peut se faire

Genre, sexualité & société, 13 | printemps 2015


Genre et formes d’hégémonie dans les études sur les stars 5

seulement par la reconnaissance, et toute reconnaissance est elle-même une confirmation


implicite du statu quo. La validation institutionnelle de la star comme idéal du “moi”
établit des figures normatives et authentifie des normes de genre. Nous voici donc avec une
question immanquablement politique. L’identification comporte un effacement du sujet dans
le normatif, une compulsion d’être pareil aux autres, ce qui, dans un système patriarcal, exige
d’être critiqué »10 [ma traduction] (Friedberg, 1990, 45). À la base de chaque identification
efficace il y aurait, selon Friedberg, un « désaveu de la différence »11, similaire à ce qui mène
les membres d’un groupe social subalterne à accepter comme valables les intérêts et la vision
du monde des groupes dominants.
14 Le concept d’hégémonie permet ici de dépasser cette vision pessimiste d’un public passif
au cinéma12. Les auteur-e-s qui interprètent les dynamiques d’identification au prisme de
l’hégémonie abandonnent l’idée d’une simple imposition idéologique. Autrement dit, les
processus d’identification et de production de sens mis en œuvre par les stars ne sont pas
prédéterminés par le texte cinématographique. Cette idée implique une révision du modèle
lacanien, afin de relativiser l’inéluctabilité des rapports de pouvoir activés par le culte des
stars. Pour illustrer cette approche, je voudrais évoquer les travaux de deux auteur-e-s qui ont
réfléchi à la valeur politique des processus d’identification au cinéma : Kaja Silverman et José
Esteban Muñoz.
15 Dans «  Male Subjectivity at the Margins  », Kaja Silverman choisit de faire une lecture
à contre-courant des concepts lacaniens pour développer une «  théorie psychanalytique de
l’hégémonie » (Silverman, 1992, 23-29). Cela lui permet de surmonter un problème central
dans la mobilisation de la psychanalyse au sein des théories féministes  : comme l’affirme
Butler à propos des positions structuralistes de Lacan, « toute affirmation visant à établir des
règles qui régulent le désir dans un royaume de loi inaltérable et éternel a un usage très limité
pour une théorie qui tente de comprendre les conditions de possibilité de la transformation
sociale du genre » (Butler, 2004, 61). Ainsi, Silverman envisage les dynamiques psychiques
qui fondent l’expérience spectatorielle en rapport avec leur contexte socio-historique.
16 Silverman souligne le renforcement réciproque entre identification dans le registre de
l’Imaginaire (dont le moment clé est le stade du miroir) et identification dans le registre du
Symbolique (émergeant à partir du complexe d’Œdipe). Ainsi, la constitution de la subjectivité
et les normes symboliques qui structurent l’idéologie d’une société sont étroitement liées : à
travers le concept de « fiction dominante »13 (Silverman, 1992, 15), l’auteure décrit les rapports
entre le niveau individuel et le niveau collectif de l’identification. La fiction dominante
découle d’une série de narrations et d’images dans lesquelles le corps recouvre une importance
centrale : dans les sociétés contemporaines, les médias visuels constituent évidemment l’un des
répertoires centraux de cette fiction. La fiction dominante fournit le système de représentation
qui adopte le phallus comme signifiant primaire de privilège, et qui permet à chaque individu
de se placer dans le binarisme masculin/féminin. À l’intérieur de ce système, le sujet masculin
se constitue comme tel grâce au désaveu de la castration, qui est projetée sur le sujet féminin
(Silverman, 1992, en particulier 45-47). Une «  méconnaissance  » similaire est répétée au
niveau collectif, quand une société arrive à se reconnaître dans un répertoire de représentations
qui soutient une certaine idéologie : « l’hégémonie est fondée sur l’identification »14, elle est
efficace quand « tous les membres d’une société se voient reflétés dans la même surface » [ma
traduction]15 de la fiction dominante (Silverman, 1992, 24). La construction d’une « réalité »
partagée au sein d’une société, et donc le fait d’adhérer à ses valeurs hégémoniques, dépend
de ce processus.
17 Un aspect important du travail de Silverman consiste à montrer que les images de la fiction
dominante ne sont pas des objets extérieurs qui influencent et guident notre orientation
idéologique, mais les bases de la formation de nos subjectivités. Parallèlement, elle souligne
que le processus de reconnaissance collective dans la fiction dominante peut toujours échouer
ou évoluer : ainsi, la croyance en cette fiction est radicalement perturbée quand les qualités
considérées masculines ne correspondent plus à une corporalité intègre et phallique – c’est-
à-dire, quand la représentation idéologique du corps masculin comme «  naturellement  »
puissant, autonome et inviolable est rendue inefficace par des contradictions inévitables.

Genre, sexualité & société, 13 | printemps 2015


Genre et formes d’hégémonie dans les études sur les stars 6

Elle prend comme exemple plusieurs films produits à Hollywood entre 1944 et 1946,
dont les protagonistes sont d’anciens combattants de la deuxième guerre mondiale. Ces
héros masculins sont marqués par des mutilations corporelles qui remettent en cause leur
identification à une position dominante. Par conséquent toute la « réalité » sociale partagée
à laquelle ils appartenaient semble se désintégrer. Ces analyses montrent que l’identification
est le résultat d’une articulation de différents éléments (notamment, des fantasmes sur le
corps masculin qui lient « inviolabilité », puissance physique et domination) et qu’elle peut
donc être défaite (Silverman, 52-121). Bien que le livre de Silverman ne se penche pas sur
le fonctionnement du star-système, il nous offre un modèle théorique qui lie explicitement
l’identification cinématographique, la construction de l’hégémonie, et les questions de genre.
Mais la limite de ce travail est qu’il envisage seulement la défaite potentielle de l’identification
qui soutient l’hégémonie actuelle, plutôt que de traiter de possibilités identificatoires
permettant de construire une hégémonie alternative.
18 José Esteban Muñoz a également pris en considération les possibilités d’échec de
l’identification normative. Dans son livre «  Disidentifications  », à partir de certaines
performances culturelles des sujets queer et non-blancs, il théorise la « dés-identification »
comme « une stratégie de survie que le sujet minoritaire applique afin de négocier sa place
dans une sphère publique phobique » [ma traduction]16. (Muñoz, 1999, 4). Sa perspective se
centre sur les possibilités de s’identifier à une image qui articule des connotations idéologiques
ambivalentes. Ici, l’influence des théories queer est particulièrement évidente. On constate
plusieurs affinités avec la pensée de Judith Butler, qui montre dans «  La Vie psychique
du pouvoir  » (Butler, 1997) la nécessité pour chaque sujet d’être reconnu dans l’ordre
social et symbolique : l’accès aux normes établies par l’idéologie dominante est donc, d’une
certaine façon, nécessaire pour la formation de la subjectivité. Cependant, selon Butler,
l’identification n’est jamais une simple reproduction du modèle originel puisque dans sa
constante répétition, la norme est soumise à la possibilité d’être subvertie. Cette tension entre
les modèles « matériellement prescriptives » que circulent dans une culture et les nouvelles
possibilités qui s’ouvrent grâce à une identification non normative est l’élément central saisi
par l’approche théorique de Muñoz (1999, 30).
19 Parmi les exemples choisis dans son livre, on trouve l’essai de l’écrivain James Baldwin
intitulé The Devils Finds Work (Baldwin, 1976). Il s’agit d’une sorte de journal intime de
ses expériences en tant que spectateur queer et afro-américain face à un cinéma dominé par
les blancs. Ne se reconnaissant pas dans les corps brutalisés de ces films qui légitiment les
divisions raciales aux États-Unis, tels que Naissance d’une Nation (Birth of a Nation, David
W. Griffith, 1915), Baldwin repère une image qui lui parle de façon inattendue dans le visage
de l’actrice Bette Davis. Il s’approprie un signe particulier – les « yeux de grenouille »17 qui
ne correspondent pas aux critères de beauté imposés par Hollywood – pour percevoir dans
la star une étrangeté similaire à celle qu’il ressent. Évidemment, il ne s’agit pas de voir dans
cette anecdote une méconnaissance des différentes oppressions auxquelles Baldwin et Davis
étaient soumis. Néanmoins, l’exemple est pertinent parce qu’il montre que « la règle d’une
seule identité pour chaque corps » [ma traduction]18 peut être remise en question (Gaines, 2001,
34). Selon Muñoz, ce type d’identification revêt une importance politique car elle ouvre une
voie différente qui n’est ni une acceptation de l’idéologie dominante, ni une échappée utopique
aveugle aux contraintes matérielles des sujets subalternes : « la dés-identification n’est ni une
volonté ni un strict refus d’assimilation à une telle structure, mais plutôt une stratégie qui
travaille sur et contre l’idéologie dominante » [ma traduction]19 (Muñoz, 1999, 11). Les cross-
identifications dont il parle, dès lors, donnent à voir les éléments contradictoires et hétérogènes
qui composent une hégémonie et ouvrent des possibilités stratégiques pour une combinaison
différente de ces éléments. Alors que chez Silverman l’hégémonie s’appuie sur un processus
d’identification inconscient, les écrits de Muñoz permettent de poser la question du lien entre
identification, conscience et hégémonie. L’identification n’est évidemment pas réductible à
une question de choix  ; c’est l’idéologie dominante qui fournit les conditions structurelles
des fantasmes identificatoires. La conscience réflexive de l’identification produit toutefois des
effets : certaines identifications peuvent être intensifiées là où d’autres peuvent êtres atténuées.

Genre, sexualité & société, 13 | printemps 2015


Genre et formes d’hégémonie dans les études sur les stars 7

20 Dans le cadre des théories de l’identification cinématographique, la mobilisation du concept


d’hégémonie permet de concevoir subjectivité, idéologie et représentations comme des
niveaux interdépendants, mais dont aucun n’a la prérogative de produire mécaniquement les
autres. À la différence du cadre théorique centré sur le «  regard masculin  », qui supposait
une relation directe entre les images des stars et les processus d’identification, le concept
d’hégémonie permet de reconnaître que la représentation d’un modèle normatif de genre
n’implique pas nécessairement une identification (et donc une subjectivité spectatorielle)
normative. De façon similaire, le rapport entre sujet et idéologie dominante peut être
conflictuel  : si la reconnaissance sociale du sujet se fait selon des conditions qui sont
établies par l’idéologie, Muñoz montre que l’identification au «  moi  » idéalisé de la star
n’empêche pas la distance critique et la réflexivité stratégique. En outre, dans la théorie de
l’hégémonie proposée par Silverman, les représentations ne sont pas considérées comme la
simple expression ou le reflet d’une idéologie  : elle constituent le support fantasmatique
qui permet à une idéologie de créer une « réalité » donnée. Quand les bouleversements de
l’histoire rendent certaines représentations inefficaces, elles sont remplacées par d’autres  ;
d’où l’importance de placer le rapport entre les stars et leurs publics dans des contextes socio-
historiques concrets, comme nous le verrons dans la section suivante.

Le culte de Rudolph Valentino et l’historicité des modèles


de masculinité hégémonique
21 La division hiérarchique entre masculin et féminin, afin d’être perçue comme « naturelle »,
nécessite d’être constamment réarticulée à d’autres éléments idéologiques contingents, au sein
de chaque nouvelle hégémonie (Laclau et Mouffe, 2009) : c’est pourquoi il est nécessaire d’en
observer le caractère historique et changeant. L’érotisation du corps féminin, par exemple, et
le tabou qui pèse sur la sexualisation explicite du corps masculin20, ne peuvent pas toujours
être tenus pour acquis. Le cas de Rudolph Valentino, première célébrité masculine et objet
érotique explicite, a fourni un banc d’essai pour repenser certaines formulations des études
cinématographiques féministes.
22 Dans son livre «  Babel & Babylon  », Miriam Hansen replace l’évolution des formes de
représentations, ainsi que de l’expérience spectatorielle au cinéma, dans les mutations sociales
en cours aux États-Unis dans les années 1920, notamment concernant les rapports de genre.
En se centrant sur Valentino et sa façon d’attiser le désir féminin, Hansen parvient à mettre
en parallèle les bouleversements idéologiques profonds en dehors de la salle de cinéma et
les éléments formels des films qui permettent au plaisir féminin d’être reconnu et interpellé
(Hansen, 1991, 243-296). L’approche méthodologique proposée par ce livre, qui historicise
l’expérience spectatorielle et la replace dans des conditions sociales précises, a fortement
influencé les études postérieures (Pravadelli, 2006).
23 Le culte développé autour de Rudolph Valentino témoigne de l’importance des femmes
dans la composition du public cinématographique des premières décennies du XXe siècle.
Ce phénomène s’explique par l’augmentation du nombre de femmes travaillant en dehors
de la sphère familiale et acquérant une certaine indépendance économique. La salle de
cinéma constitue à cette époque un espace important pour expérimenter ces nouvelles
positions subjectives, y compris la plus grande participation des femmes aux processus
de consommation  : le dispositif cinématographique, de manière quelque peu similaire
aux vitrines des grands magasins naissants, s’adresse alors au regard des femmes en les
interpellant comme des sujets actifs et désirants (Pravadelli, 2014, 4-20). Dans une économie
privilégiant de plus en plus la consommation, l’industrie publicitaire émergente joue un rôle
central dans la définition des modèles identitaires féminins  : selon Nancy F. Cott, «  les
publicitaires se hâtèrent d’emballer l’individualisme et le modernisme des femmes sous
une forme consommable. L’image de la femme moderne en consommatrice recelait une
puissance économique bien plus forte que tous les autres modèles féminins  » (Cott, 1992,
87). Interpellées directement par cette nouvelle forme de communication, les femmes furent
impliquées dans un procédé décisionnel leur assurant une nouvelle position dans la sphère
publique.

Genre, sexualité & société, 13 | printemps 2015


Genre et formes d’hégémonie dans les études sur les stars 8

24 C’est aussi en guise de « protestation désespérée » [ma traduction] (Hansen, 1991, 249) contre
le rôle subalterne qui leur avait été traditionnellement assigné que les spectatrices font naître
le culte de Valentino. L’industrie cinématographique, délaissant temporairement l’idéologie
patriarcale, se met à nourrir la popularité de cette star afin d’en tirer un maximum de profit à
court terme. Mais la circulation, à grande échelle, d’une image d’homme aux traits exotiques
et ouvertement féminins provoque bientôt un tollé (Bertellini, 2005). L’identité de Valentino
était également perçue comme troublante parce qu’elle semblait fabriquée par les femmes –
une projection de leur désir d’affirmation ainsi que de la reconnaissance du plaisir sexuel :
« À partir de sa découverte par June Mathis, la scénariste qui lui procura son rôle dans Les
Quatre Cavaliers de l’Apocalypse, Valentino fut perçu comme une création des, pour, et par
les femmes »21 [ma traduction] (Hansen, 1991, 261). La masculinité incarnée par Valentino, en
effet, n’était pas seulement transgressive parce que conçue pour un désir féminin, mais aussi
parce qu’elle s’éloignait d’un modèle devenu hégémonique depuis peu.
25 La masculinité hégémonique au sein de la société états-unienne traversait une importante
transformation. À partir des dernières décennies du XIXe siècle, les hommes appartenant à la
classe moyenne avaient dû renégocier la légitimité de leur place dominante, d’autant plus que
les changements économiques menaient à davantage de mixité et remettaient en cause leur
statut. Dans « Manliness & Civilization », Gail Bederman (1995) retrace les représentations
culturelles liées à une « crise » de la masculinité telle qu’elle était perçue durant la période
1880-1917. La rigueur morale, l’autodiscipline, le contrôle exercé par l’esprit sur le corps et
l’indépendance économique avaient été les valeurs intrinsèquement masculines définies par
l’idéologie victorienne. Mais suite à une forte bureaucratisation de l’économie états-unienne,
de nombreux hommes se reconvertirent en tant qu’employés. Cette transformation fut perçue
comme une « féminisation » qui engendra, chez les hommes, une « insatisfaction envers les
idéologies de la maîtrise de soi masculine » [ma traduction]22 (Bederman, 1995, 84) et qui se
traduisit entre autres par la popularité croissante des activités physiques et sports d’extérieur.
Les hommes blancs états-uniens essayaient ainsi de se réapproprier, du moins en partie, les
éléments « primitifs » et « instinctuels » qui avaient été jusque-là attribués exclusivement aux
femmes et aux sujets racisé-e-s (Bederman, 1995, 77-120). La puissance physique et un corps
athlétique et musclé devinrent, par conséquent, le nouveau signe visible de la « supériorité »
de l’homme blanc de classe moyenne par rapport aux autres groupes sociaux.
26 C’est justement ce dernier modèle que Valentino remit en cause. Il faut rappeler, par exemple,
l’importance de ses capacités de danseur de tango dans la naissance de sa renommée : selon
Gaylyn Studlar, en engageant son corps athlétique dans une activité de loisir – non liée au
renforcement de la masculinité – Valentino mélangea des éléments du féminin et du masculin
et « fragilisa le ‘‘culte du corps’’ à la base de l’idéal masculin » [ma traduction]23 (Studlar,
1993, 34). Les danses dites exotiques récemment importées, comme le tango, permettaient une
nouvelle proximité physique entre hommes et femmes, une nouvelle façon de faire la cour. Le
tango devint alors un moyen pour les femmes de l’époque d’exprimer leur recherche active
du plaisir : cette danse « offrait une surprenante transformation des normes de genre à travers
des configurations androgynes du corps masculin et une inversion des rôles sexuels » [ma
traduction]24 (Studlar, 1993, 33).
27 Si l’on considère un film qui a contribué à faire de l’acteur d’origine italienne un mythe, comme
Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse (The Four Horsemen of the Apocalypse, réalisé par Rex
Ingram, 1921), cet aspect troublant des catégories de genre devient évident. Dans la trajectoire
narrative, le personnage joué par Valentino accepte progressivement une série de qualités
centrales pour l’homme américain. Caractérisé initialement comme un latin lover par le film, le
protagoniste accepte ensuite une union monogame ; et avec son entrée dans l’armée, il renonce
à la recherche du plaisir individuel à la faveur d’un idéal patriotique. La mise en scène et la
promotion du film, en revanche, soulignent d’autres éléments. « [m]algré le récit complexe
du film, centré sur la famille, la plupart des publicités ciblait ce qui était considéré comme la
principale attraction du box office » [ma traduction]25, c’est à dire le tango (Studlar, 1993, 28).
Et dans la célèbre séquence de présentation du protagoniste Julio, la construction du champ-
contrechamp entre lui et sa partenaire de danse prend des traits bien particuliers. Le visage de

Genre, sexualité & société, 13 | printemps 2015


Genre et formes d’hégémonie dans les études sur les stars 9

Julio reçoit un éclairage diffus, ce qui était généralement réservé aux stars féminines ; de plus,
la danseuse répond au regard pénétrant de Valentino, cette expression de désir la mettant en
relation avec la spectatrice du film. Hansen écrit que « les films de Valentino subvertissent la
hiérarchie classique de domination dans les rôles sexuels en dissolvant les dichotomies entre
sujet et objet dans une réciprocité érotique. »26 [ma traduction] (Hansen, 1991, 287)
28 Dans l’élaboration du modèle du film « classique », l’industrie hollywoodienne utilise des
stratégies de représentation qui endiguent le plaisir féminin et en limitent fortement les
options. Ce processus s’insère dans une plus vaste tentative de créer un public de masse, dans
lequel les différences sociales, ethniques et communautaires n’influencent pas l’expérience
de visionnage des films (Hansen, 1991, 90-125) : le spectateur idéal du film « classique »
a une expérience individuelle et « privée » du monde imaginaire, à la différence du cinéma
des premiers temps qui prévoyait une expérience collective plus proche d’autres formes de
spectacle comme le vaudeville ou le théâtre populaire. L’avènement de ce nouveau système de
représentation hégémonique implique aussi que le film s’adresse prioritairement à une position
spectatorielle masculine hétérosexuelle : Hansen souligne le paradoxe qui consiste « d’une
part, en l’importance croissante des femmes pour l’industrie du cinéma en tant qu’admiratrices
et consommatrices et, d’autre part, en l’imposition systématique, au niveau textuel, de formes
de la subjectivité masculine, d’une chorégraphie patriarcale de la vision » [ma traduction]27
(Hansen, 1991, 121). Le culte de Valentino provient de ce conflit, et il nous montre que
l’emprise du regard masculin sur le cinéma hollywoodien n’est pas déterminé à l’avance : il
est l’issue d’une bataille culturelle.
29 Même si dans son livre Hansen n’utilise le terme « hégémonie » que dans un sens large (en
l’associant à l’influence croissante des formes de représentation du cinéma hollywoodien),
son analyse repose sur une conception des rapports entre publics et stars comme champ de
bataille dont l’enjeu est la naturalisation ou la contestation du patriarcat et du capitalisme. Il
y a, me semble-t-il, deux aspects centraux que cette perspective permet de saisir autour du
culte de Valentino. Premièrement, comme nous l’avons déjà remarqué, il s’agit d’une forme de
contestation d’un modèle de masculinité hégémonique qui venait de s’installer au début du XXe
siècle : c’est l’une des premières analyses à retracer la transformation historique des identités
masculines au cinéma. En outre, en discutant la manière dont le système de représentation
du cinéma « classique » adopte une subjectivité particulière comme cible idéale, Hansen met
l’accent sur le fait qu’il s’agit d’une réaction défensive contre les avancées obtenues par les
femmes (Hansen, 1991, 122). Les composantes formelles du cinéma classique et la place
privilégiée du regard masculin sont liées, dans cette lecture, à une lutte concrète entre différents
acteurs sociaux.

Beyoncé et l’hégémonie néolibérale


30 En quoi le concept d’hégémonie peut-il nous être utile dans les cas où la valeur idéologique
d’une célébrité est controversée  ? Selon Dyer, les images des stars fonctionnent comme
des « polysémies structurées » (Dyer, 2004a, 67) : chaque star condense plusieurs qualités
individuelles et valeurs sociales, qui peuvent même se contredire. Les textes qui utilisent
l’image des stars, ainsi que les représentations produites par les fans, tendent à mettre en
évidence à chaque fois certains de ces éléments, et à en négliger d’autres. Mais toutes les
interprétations ne sont pas toujours disponibles  : si l’on analyse l’image d’une star à un
moment donné, soutient Dyer, on peut distinguer une certaine hiérarchie entre les éléments
hétérogènes qui la composent. Cette opération de délimitation de l’éventail de signifiés ne
semble pas être arrivée à son terme en ce qui concerne la figure de Beyoncé, qui est une
star particulièrement polysémique. Les significations et les affects (Dyer, 2004a, 67) qui lui
sont associés sont extrêmement divergents, voire se contredisent. Marshall met en relation
« le degré de conventionnalisation du signe et l’établissement d’un consensus stable sur sa
signification » [ma traduction]28 avec l’obtention d’une hégémonie efficace (Marshall, 1997,
58). On pourrait donc croire que les controverses autour de Beyoncé sont le symptôme d’une
lutte pour consolider une nouvelle hégémonie en train de s’installer. C’est dans ces moments
transitoires que, dans la «  guerre de position  » dont parlait Gramsci on trouve «  un grand

Genre, sexualité & société, 13 | printemps 2015


Genre et formes d’hégémonie dans les études sur les stars 10

ensemble d’éléments flottants et la possibilité de leur articulation aux camps opposés » (Laclau
et Mouffe, 2009, 246).
31 Le débat sur le signifié politique de cette popstar inclut des acteurs très différents, parmi
lesquels des intellectuels appartenant aux mouvements féministes et antiracistes  ; des
commentateurs culturels qui écrivent dans des revues spécialisées  ; des opérateurs de
l’industrie du spectacle ; des bloggers et activistes web ; des fans ; et Beyoncé elle-même29.
On trouve ici un cas concret de la variété des acteurs qui participent à la définition du sens
commun : cet exercice herméneutique collectif a lieu à différents niveaux de systématicité et
de spécialisation intellectuelle, selon des alliances qui ne sont pas déterminées par des facteurs
identitaires.
32 Des observateurs défendant par ailleurs des positions politiques opposées se rejoignent
paradoxalement sur une même conception des médias et de la célébrité comme vecteur de
domination et d’influence négative. D’un côté se situe Bill O’Reilly, journaliste conservateur
préoccupé par l’hyper-sexualisation de Beyoncé qu’il voit comme la cause potentielle de
grossesses non désirées chez ses fans adolescentes – même si les paroles de ses chansons
placent toujours l’activité sexuelle au sein d’une union monogame. De l’autre se trouve bell
hooks, intellectuelle engagée dans le féminisme et l’antiracisme, pour qui «  une partie de
Beyoncé est, en effet, anti-féministe – terroriste – notamment en ce qui concerne son impact
sur les jeunes filles. » (citée dans Berlatsky, 2014). À contrario, d’autres voix mettent l’accent
sur l’autodétermination sexuelle de la popstar. Ses performances de chant et de danse, ainsi
que ses vidéos, rompent avec la « rhétorique de la respectabilité » – c’est à dire l’idée qu’une
femme noire ne puisse accéder à une position de classe privilégiée qu’à condition de se
distancier de façon active des stéréotypes négatifs sur sa sexualité, « dans une société où les
corps noirs sont toujours marqués comme déviants » [ma traduction]30 (Durham, 2012, 37).
La revendication de Beyoncé, qui ose être fière à la fois de son corps sexualisé et de son statut
social, est donc mise en relation avec une histoire concrète et particulière, retravaillée par les
images du genre musical hip hop. Dans le contexte états-unien qui est le sien, Beyoncé est
perçue comme une artiste qui a un certain niveau d’engagement politique  : elle fait partie
d’une «  tradition d’expression musicale de malaise politique et personnel par des femmes
noires » [ma traduction] (Brooks, 2006).
33 Mais si le phénomène est observé à une échelle globale, on note que l’auto-identification
de Beyoncé au féminisme présente de profondes ambivalences. Selon l’hypothèse de Nancy
Fraser, le néoliberalisme est en train d’intégrer certains idéaux féministes dans une perspective
individualiste qui n’est pas incompatible avec la logique du marché (Fraser, 2009). Le
féminisme de Beyoncé s’inscrit-il dans ce cadre ? Dans l’hégémonie néolibérale, on assiste à
l’émergence d’une « politique néo-libérale d’ « égalité » – une forme d’égalité épurée, non-
redistributive, conçue pour la consommation mondiale au XXIe siècle et compatible seulement
avec une redistribution continue des ressources vers le haut  » [ma traduction]31 (Duggan,
2003, xii). Dans cette perspective, l’engagement politique de la popstar est décidemment sujet
à controverse, puisque la demande d’égalité formulée ne se concentre jamais directement
sur des formes de redistribution. La position de domination de l’industrie par une célébrité
noire et féministe est un événement remarquable, à forte valeur symbolique. Le succès de
célébrités issues de groupes sociaux subalternes n’a toutefois un effet de propagation qu’à
la condition que celui-ci remette en cause les facteurs structurels de l’oppression. Ainsi,
au sujet d’une dynamique similaire, à savoir le succès des joueurs de basket noirs aux
États-Unis, Raewyn Connell soutient que « la célébrité et la richesse des stars individuelles
n’ont pas d’effets en cascade ; elles ne confèrent aucune autorité sociale aux hommes noirs
dans leur ensemble » (Connell, 2014, 79). Comme beaucoup de célébrités contemporaines,
Beyoncé légitime une forme de subjectivité qui met l’accent sur la valeur de l’individu, de
l’autodiscipline, de la compétitivité (Rojek, 2001), aspects qui entrent en conflit avec les
projets d’émancipation collective caractéristiques des mouvements féministes.
34 Il existe une autre convergence entre le rôle médiatique des célébrités contemporaines et
l’hégémonie néolibérale  : nous pouvons la mettre en relief en comparant les modalités de
production et de promotion du star-système à l’époque de Rudolph Valentino et à notre

Genre, sexualité & société, 13 | printemps 2015


Genre et formes d’hégémonie dans les études sur les stars 11

époque. Le succès de Valentino intervient au moment de l’avènement du cinéma comme


industrie culturelle mondialisée. La star est alors une marchandise sous le contrôle du studio,
qui est l’acteur économique central. Beyoncé en revanche appartient à l’industrie musicale
contemporaine : elle se présente comme une auto-entrepreneuse qui gère et diffuse son image,
étant l’une des célébrités qui exploite le plus habilement sa présence sur les nombreuses
plateformes du scénario médiatique actuel, réseaux sociaux numériques inclus.
35 Cela appartient à une tendance culturelle bien plus vaste  : le marché néolibéral promeut
une logique de micro-célébrité, qui incite à « développer et maintenir son identité en ligne
comme s’il s’agissait d’une marque (brand) avec l’espérance que les autres en fassent
autant » [ma traduction] (Senft, 2012). Les stars nous apprennent que la société néolibérale
exige l’autopromotion à travers des mécanismes jadis réservés aux marchandises  : la
construction du capital symbolique dans les nouveaux médias met en œuvre des instruments
similaires à ceux des médias traditionnels (Holmes ; 2006). On peut donc suivre l’hypothèse de
Marshall, selon laquelle, même après le déclin des médias de diffusion de masse (broadcast),
les stars (désormais au sens large des « célébrités ») n’ont rien perdu de leur importance :
elles assurent aujourd’hui une fonction pédagogique par rapport aux nouvelles formes de
subjectivité (Marshall, 2010). Il s’agit de renforcer « les multiples façons dont les éléments
essentiels à la définition et à la représentation de soi sont intériorisés, ou, à un certain
degré, validés par la plupart des citoyens  » [ma traduction]32 (Buttigieg, 2005, 43). La
phase pédagogique étant, selon Gramsci, un moment fondamental pour la construction d’une
hégémonie, les célébrités comme Beyoncé contribuent à consolider l’hégémonie actuelle. Ce
rôle pédagogique assure la centralité du star-système dans la configuration médiatique actuelle.

Conclusion
36 En quoi le concept d’hégémonie permet-il de mieux comprendre les rapports entre les stars et
leur public ? En ce qu’il désigne un processus de naturalisation de l’ordre social, le concept
d’hégémonie permet de penser le culte des stars comme un lieu où se joue la légitimité, entre
autres, du capitalisme et du patriarcat. Cette légitimité des idéologies est envisagée comme
un terrain de lutte ; par conséquent, les changements historiques des modèles incarnés par les
stars sont considérés en fonction de ce conflit, et des valeurs promues par les acteurs sociaux
qui, à une époque donnée, s’opposent.
37 Tout d’abord, grâce au concept d’hégémonie nous pouvons éviter l’écueil d’une vision
unidirectionnelle que suppose la domination du public par l’industrie. Même lorsque le codage
de l’image d’une star promue par l’industrie présente une forte adéquation avec l’idéologie
dominante, l’efficacité de l’interpellation des spectateurs et spectatrices n’est jamais garantie.
Si la fonction d’une star consiste à articuler ensemble des valeurs auparavant inconciliables
(par exemple individualisme/féminisme dans le cas de Beyoncé  ; athlétisme/érotisation du
corps masculin dans le cas de Valentino), cette chaîne de signification peut être désarticulée
par le processus de réception. La lecture oppositionnelle (Hall, 2008, 183) d’une star produit
un décodage qui remet en cause l’idéologie dominante, sans que cela empêche nécessairement
un attachement et une identification avec la star en question.
38 Deuxièmement, si l’on reconnait que, selon les périodes, les stars incarnent diverses formes
de subjectivité, le concept d’hégémonie permet de formuler une hypothèse sur le lien entre
changements sociaux et produits médiatiques  : le star-système joue un rôle pédagogique
puisqu’il facilite l’adaptation à de nouvelles formes de la subjectivité, ainsi que leur
reconnaissance publique. Les stars proposent des modèles de genre légitimes adaptés aux
différentes phases du capitalisme  : quand une certaine conception de la masculinité ou
de la féminité n’est plus fonctionnelle, de nouvelles configurations viennent la remplacer.
Dans le même temps, il est possible que ce travail de légitimation soit rendu inefficace par
des contradictions irréconciliables. La popularité d’une star peut aussi surgir d’un conflit
exceptionnel entre les intérêts du patriarcat et ceux du capitalisme : comme nous l’avons vu
par rapport à Rudolph Valentino, l’inclusion des femmes dans le public aide l’expansion de
l’industrie cinématographique, mais elle mène à une crise temporaire du lien entre plaisir
sexuel, masculinité et pouvoir. En outre, les éléments contradictoires qui composent l’image

Genre, sexualité & société, 13 | printemps 2015


Genre et formes d’hégémonie dans les études sur les stars 12

d’une star sont lus différemment selon le cadre de référence (par exemple, la valeur politique
de Beyoncé est interprétée différemment si l’accent est mis sur le conflit racial ou sur
l’idéologie néolibérale). Puisque la construction d’une hégémonie prévoit la composition d’un
bloc historique hétérogène qui s’organise autour d’une idéologie – elle aussi marquée par des
tensions internes – il ne sera jamais possible de « fixer » une interprétation politique univoque
d’une star.
39 Enfin, dans les recherches évoquées ici le concept d’hégémonie est toujours mobilisé pour
qualifier négativement une situation. Or ce concept peut aussi avoir une visée stratégique,
orientée vers un projet politique et culturel émancipatoire (Laclau et Mouffe, 2009). Dans
cette perspective, il ne s’agit plus seulement de détruire l’hégémonie actuelle  ; il s’agit
également d’en construire une nouvelle, différente. Les formes de subversion ou de résistance
à l’hégémonie actuelle qui traverse l’identification aux stars sont-elles condamnées à rester
isolées ? Ou peuvent-elle s’organiser et participer à la formation d’une hégémonie future, dans
le cadre d’un projet politique d’émancipation ? Ces questions de recherche n’ont pas encore
été posées en tant que telles dans le domaine des études sur les stars.

Bibliographie
AUSTIN Thomas, BARKER Martin (dir.), Contemporary Hollywood Stardom, Londres, Arnold, 2003.
BALDWIN James, The Devil Finds Work. An Essay, New York, Vintage International, 2011 (1976).
BARRETT Michèle, The Politics of Truth. From Marx to Foucault, Cambridge, Polity Press, 1991.
BEDERMAN Gail, Manliness & Civilization : a Cultural History of Gender and Race in the United
States, 1880-1917, Chicago, Chicago University Press, 1995.
BERLATSKY Noah, «  Beyoncé, Sex Terrorist  : A Menace for Conservatives and Liberals
Alike  », The Atlantic, mis en ligne le 12 mai 2014. Consulté le 28 mai 2015.
URL  : http://www.theatlantic.com/entertainment/archive/2014/05/beyonce-sex-terrorist-a-menace-for-
conservatives-and-liberals-alike/362085/
BERTELLINI Giorgio, « Duce/Divo : Masculinity, Racial Identity and Politics among Italian Americans
in 1920s in New York City », Journal of Urban History, 31, 5, 2005, pp. 685-726.
BROOKS Daphne A., « Suga Mama, Politicized », The Nation, mis en ligne 18 décembre 2006. Consulté
le 28 mai 2015. URL : http://www.thenation.com/article/suga-mama-politicized
BURCH Noël, SELLIER Geneviève, La drôle de guerre des sexes du cinéma français (1930-1956),
Paris, Nathan, 1996.
BUTLER Judith, La vie psychique du pouvoir. L’assujettissement en théories, trad. par B. Matthieussent,
Paris, Léo Scheer, 2002 (1997).
BUTLER Judith, Défaire le genre, trad. par M. Cervulle, Paris, Éditions Amsterdam, nouvelle édition
augmentée, 2012 (2004).
BUTTIGIEG Joseph A., « The Contemporary Discourse on Civil Society : A Gramscian Critique »,
boundary 2, 14, 3, 2005, pp. 1-17.
COHAN Steven, HARK Ina Rae (dir.), Screening the Male. Exploring Masculinities in Hollywood
Cinema, Londres, New York, Routledge, 1993.
COHAN Steven, Masked Men. Masculinity and the Movies in the Fifties, Bloomington, Indiana
University Press, 1997.
CONNELL Raewyn, Masculinités. Enjeux sociaux de l’hégémonie, sous la direction de M. Hagège et
A. Vuattoux, Paris, Éd. Amsterdam, 2014 (1995).
COTT F. Nancy, « La femme moderne. Le style américain des années vingt », in THÉBAUD Françoise
(dir.), Histoire des femmes en occident, Tome 5, Paris, éditions Plon, 1992, pp. 75-89.
DUGGAN Lisa, The Twilight of Equality  ? Neoliberalism, Cultural Politics, and the Attack on
Democracy, Boston, Beacon Press, 2003.
DURHAM Aisha, « ’Check On It’. Beyoncé, Southern booty, and Black femininities in music video »,
Feminist Media Studies, 12, 1, 2012, pp. 35-49.
DYER Richard, Le star-système hollywoodien, suivi de Marilyn Monroe et la sexualité, trad. par N.
Burch, J. Nacache, S. Meininger, Paris, L’Harmattan, 2004a (1979).

Genre, sexualité & société, 13 | printemps 2015


Genre et formes d’hégémonie dans les études sur les stars 13

DYER Richard, « Judy Garland and gay men », in Heavenly Bodies. Film Stars and Society, Londres,
New York, Routledge, 2004b (1986), pp. 137-200.
FRIEDBERG Anne, « A Denial of Differerence : Theories of Cinematic Identification », in KAPLAN
E. Ann (dir.), Psychoanalysis and Cinema, Londres-New York, Routledge, 1990, pp. 36-45.
GAINES Jane, Fire & Desire. Mixed-Race Movies in the Silent Era, Chicago, University of Chicago
Press, 2001.
GAUTEUR Claude et VINCENDEAU Ginette, Jean Gabin, Anatomie d’un mythe, Paris, Nathan, 1993.
HALL Stuart, « Codage/Décodage » (1973), in Identités et cultures. Politiques des Cultural Studies,
trad. par C. Jaquet, édition augmentée établie par M. Cervulle, Paris, Éd. Amsterdam, 2008, pp. 169-184.
HALL Stuart, « Qui a besoin de l’ “identité” ? » (1996), in Identités et cultures. Politiques des Cultural
Studies, trad. par C. Jaquet, édition augmentée établie par M. Cervulle, Paris, Éd. Amsterdam, 2008,
pp. 267-286.
HANSEN Miriam, Babel & Babylon. Spectatorship in American Silent Film, Cambridge, Harvard
University Press, 1991.
HANSEN Miriam, Cinema and Experience : Siegfried Kracauer, Walter Benjamin, and Theodor W.
Adorno, Berkeley, University of California Press, 2011.
HOLMES Su, « ’Starring... Dyer ?’ Re-Visiting Star Studies and Contemporary Celebrity Cultures »,
Westminster Papers in Communication and Culture, 2, 2, 2006, pp. 6-21.
LACLAU Ernesto, MOUFFE Chantal, Hégémonie et stratégie socialiste. Vers une politique
démocratique radicale, trad. par J. Abriel, Besançon, Les Solitaires Intempestifs, 2009 (1985).
LE GRAS Gwénaëlle, « Analyse filmique et gender studies : vers une autre approche des Parapluies de
Cherbourg (Demy, 1964) », in NACACHE Jacqueline (dir.), L’Analyse des films en question : espaces,
gestes, perspectives, Paris, L’Harmattan, pp. 203-221.
LE GRAS Gwénaëlle (dir.), « Quoi de neuf sur les stars ? », Mise Au Point, Cahiers de l’Afeccav, n. 6,
2014. Consulté le 28 mai 2015. URL : http://map.revues.org/1548
KAPLAN E. Ann, « Is the Gaze Male ? », in Women and Film. Both Sides of the Camera, New York,
Routledge, 1983, pp. 23-35.
MARSHALL David, Celebrity and Power : Fame in Contemporary Culture, Minneapolis, University
of Minnesota Press, 1997.
MARSHALL David, « The Promotion and Presentation of the Self : Celebrity as Marker of Presentational
Media », Celebrity Studies, 1, 1, 2010, pp. 35-48.
MORIN Edgar, Les Stars, Paris, Le Seuil, 1972 (1957).
MULVEY Laura, « Visual Pleasure and Narrative Cinema », Screen, 16, 3, 1975, pp. 6-18 ; trad. par par
G. Hardy, mis en ligne le 20 février 2012. Consulté le 28 mai 2015. URL : http://www.debordements.fr/
spip.php?article25
MULVEY Laura, « Afterthoughts on ‘Visual Pleasure and Narrative Cinema’ inspired by King Vidor’s
Duel in the Sun (1946) », Framework, 15-16-17, 1981, pp. 12-15.
MULVEY Laura, « Repenser ‘Plaisir visuel et Cinéma narratif’ à l’ère des changements de technologie »,
Communication au sein de la journée d’études Questions de genre. Cinéma, télévision, arts plastiques,
Aix-en-Provence, 2011. Consulté le 28 mai 2015. URL : http://www.lignes-de-fuite.net/article.php3?
id_article=173
MUÑOZ José Esteban, Disidentifications. Queers of Color and the Performance of Politics,
Minneapolis, University of Minnesota, 1999.
NEALE Steve, « Masculinity as Spectacle. Reflections on Men and Mainstream Cinema » , in COHAN
Steven, HARK Ina Rae (dir.), Screening the Male. Exploring Masculinities in Hollywood Cinema,
Londres, New York, Routledge, 1993, pp. 9-21.
PETERSEN Anne Helen, Scandals of Classic Hollywood : Sex, Deviance and Drama from the Golden
Age of American Cinema, New York, Plume, 2014.
PETERSEN Anne Helen, « Decoding the Beyoncé Tumblr », mis en ligne le 4 septembre 2012. Consulté
le 28 mai 2015. URL : http://gawker.com/5900397/decoding-the-beyonce-tumblr
PRAVADELLI Veronica, «  Feminist Film Theory e Gender Studies  », in BERTETTO Paolo (dir.),
Metodologie di analisi del film, Bari, Rome, Laterza, 2006, pp. 59-102.
PRAVADELLI Veronica, Le donne del cinema. Dive, registe, spettatrici, Bari, Rome, Laterza, 2014.

Genre, sexualité & société, 13 | printemps 2015


Genre et formes d’hégémonie dans les études sur les stars 14

PRAVADELLI Veronica, Classic Hollywood. Lyfestyles and Film Styles of American Cinema,
1930-1960, Urbana, Chicago, Springfield, University of Illinois Press, 2015.
ROJEK Chris, Celebrity, Londres, Reaktion Books, 2001.
ROSEN Jody, « The Woman on Top of the World », The New York Times, mis en ligne le 3 juin 2014.
Consulté le 28 mai 2015. URL : http://tmagazine.blogs.nytimes.com/2014/06/03/beyonce-the-woman-
on-top-of-the-world/ ?_r =0
SELLIER Geneviève, «  Cultural studies, gender studies et études filmiques. Introduction  », Iris, 26,
1998, pp. 13-21.
SENFT Theresa, « Microcelebrity and the Branded Self », in BURGESS Jean, BRUNS Axel, HARTLEY
John, A Companion to New Media Dynamics, Hoboken (NJ), Wiley-Blackwell, 2013, pp. 346-54.
SILVERMAN Kaja, Male Subjectivity at the Margins, Londres, New York, Routledge, 1992.
STACEY Jackie, Star Gazing  : Hollywood Cinema and Female Spectatorship, Londres, Routledge,
1994.
STUDLAR Gaylyn, « Valentino, ‘Optic Intoxication,’ and Dance Madness », in COHAN Steven, HARK
Ina Rae, Screening the Male. Exploring Masculinities in Hollywood Cinema, Londres, New York,
Routledge, 1993, pp. 23-45.
TURNER Graeme, Understanding Celebrity, Londres, Sage, 2004.
VINCENDEAU Ginette, REYNAUD Bérénice (dir.), « Vingt ans de théories féministes sur le cinéma »,
CinémAction, 57, 1993.
WEIDHASE Nathalie, «  ’Beyoncé Feminism’ and the Contestation of the Black Feminist Body  »,
Celebrity Studies, 6, 1, 2015, pp. 128-131.

Notes
1 Je remercie les évaluateurs/trices anonymes pour leurs observations et remarques qui m’ont permis
d’améliorer ce texte.
2 « I am. This is my life, today, over the years – through my eyes ». La traduction de cette citation et
des suivantes est de moi-même. La page Tumblr fait maintenant partie du site http://iam.beyonce.com/ ;
ceci a été publié le 4 avril 2012.
3 « Take a moment and think about your reaction when you first saw these photos. Were you a) pissed ;
b) jealous ; or c) just wanted to join the party ? ».
4 « [T]he organisation of consent ».
5 « [T]he ways in which “popular” knowledge and culture developed in such a way as to secure the
participation of the masses in the project of the ruling bloc ».
6 « [A]ny attempt to make a difference was doomed to be assimilated and to validate the system ».
7 « Much of the interest of Hollywood lies in this process of contradiction and its “management” and
those moments when hegemony is not, or is only uneasily, secured ». Le passage se trouve à la page 3
de l'édition originale (1979) ; il n'est pas présent dans l'édition française du livre.
8 « [A]ffinity with Gramscian Marxism ».
9 Nous utilisons ici la traduction français disponible sur http://www.debordements.fr/spip.php  ?
article25. Une traduction partielle est parue dans VINCENDEAU Ginette, REYNAUD Bérénice (dir.),
CinémAction, « Vingt ans de théories féministes sur le cinéma », 57, 1993.
10 «  Identification can only be made through recognition, and all recognition is itself an implicit
confirmation of the ideology of status quo. The institutional sanction of stars as ego ideals establishes
normative figures, authenticates gender norms. Here we are left with a question that is unerringly
political. Identification enforces a collapse of the subject onto the normative, a compulsion for sameness,
which, under patriarchy, demands critique ».
11 « Denial of difference ».
12 Il est possible de dépasser cette vision au sein même d’une réflexion sur la spectatorship (« condition
spectatorielle »), sans nécessairement convoquer les études empiriques auprès des publics effectifs du
cinéma. Cette réflexion sur la condition spectatorielle repose sur l’analyse des identifications sollicitées
par le « texte » cinématographique. L’ethnographie des publics constitue une autre branche importante
des recherches sur les stars, que nous laissons ici de côté. Nous renvoyons à titre d'exemple à deux travaux
centrés sur les questions de genre : Dyer, 2004b ; Stacey, 1994. À propos des articulations entre cultural
studies et gender studies en études cinématographiques, voir Sellier, 1998.
13 « Dominant fiction ».

Genre, sexualité & société, 13 | printemps 2015


Genre et formes d’hégémonie dans les études sur les stars 15

14 « Hegemony hinges upon identification ».


15 « [W]hen all the members of a collectivity see themselves within the same reflecting surface ».
16 «  Disidentification [describes] the survival strategies the minority subject practices in order to
negotiate a phobic majoritarian public sphere ».
17 « Frog eyes ».
18 « The one identity per body rule ».
19 « Disidentification [...] neither opts to assimilate within such a structure nor strictly opposes it ; rather,
disidentification is a strategy that works on and against dominant ideology ».
20 D’après le postulat de Mulvey  : «  selon les principes de l’idéologie dominante et des structures
psychiques qui la soutiennent, la figure masculine ne peut pas porter le fardeau de la réification
sexuelle » (Mulvey, 1975).
21 «  Beginning with his discovery by June Mathis, the screenwriter who got him cast in The Four
Horsemen, Valentino was perceived as a creation of, for, and by women ».
22 « Dissatisfaction with ideologies of manly self-restraint ».
23 « [U]undercut the foundation of the masculine ideal of this ‘cult of the body’« .
24 « [W]as offering a startling transformation of gender norms through androgynous inscriptions of the
male body and reversals of sexual role playing ».
25 « In spite of the film's complex family-centered narrative, many of its advertisements were focused
on what was assumed to be its primary box office attraction ».
26 « Valentino's films subvert the socially imposed dominance-submission hierarchy of gender roles,
dissolving subject-object dichotomies into erotic reciprocity ».
27 « [O]n the one hand, women's increased significance for the film industry as fans and consumers
and, on the other, the systematic imposition, on the textual level, of masculine forms of subjectivity, of
a patriarchal choreography of vision ».
28 « [T]he degree of conventionalization of the sign and the establishment of a stable consensus of its
signification ».
29 Il est évidemment impossible de restituer ici la complexité du débat, mais pour se faire une idée de
l'hétérogénéité de ses voix on peut commencer par Berlatsky, 2014 ; Brooks, 2006 ; Durham, 2012 ;
Rosen, 2014 ; Weidhase, 2015.
30 « [I]n a society where Black bodies are always already marked as deviant ».
31 « [N]eoliberal “equality” politics – a stripped-down, nonredistributive form of “equality” designed for
global consumption during the twenty-first century, and compatible with continued upward redistribution
of resources ».
32 «  [T]he myriad ways in which the core elements of self-definition and self-representation are
internalized, or, to some degree or another, endorsed by most of its citizens – including those who belong
to social strata other than the ruling or privileged groups ».

Pour citer cet article

Référence électronique

Valerio Coladonato, « Genre et formes d’hégémonie dans les études sur les stars », Genre, sexualité &
société [En ligne], 13 | printemps 2015, mis en ligne le 01 juin 2015, consulté le 06 septembre 2015.
URL : http://gss.revues.org/3570 ; DOI : 10.4000/gss.3570

À propos de l’auteur
Valerio Coladonato
Docteur en Études cinématographiques
Département d’Histoire de l’Art et du Spectacle, Université de Rome « La Sapienza »
valerio.coladonato@gmail.com

Droits d’auteur
© Tous droits réservés

Genre, sexualité & société, 13 | printemps 2015


Genre et formes d’hégémonie dans les études sur les stars 16

Résumés
 
L’article montre l’utilité du concept d’hégémonie pour saisir les enjeux politiques qui
traversent le culte des stars, en mettant l’accent sur les questions de genre. L’usage de ce
concept dans le domaine des études sur les stars intervient dans trois types de questionnements
1. Quelle est la valeur politique de l’identification aux stars  ? 2. Quel est le lien entre les
transformations socio-économiques et l’évolution des modèles de genre incarnés par les stars ?
3. Comment définir le signifié principal d’une star  ? L’utilité du concept d’hégémonie est
d’abord démontrée à travers la lecture critique de modélisations théoriques du lien entre
identification cinématographique et rapports de pouvoir. La démonstration est prolongée par
deux études de cas : le culte de l’acteur Rudolph Valentino et la signification politique de
Beyoncé.

Gender and forms of hegemony in the field of star studies


This article shows the utility of the concept of hegemony in grasping the political stakes
involved in stardom, with specific attention to issues of gender. In the field of star studies,
the use of this concept occurs in relation to three types of questions : 1. What is the political
value of identification with a star ? 2. What link can be established between socio-economic
transformations and the evolution of gender models embodied by stars ? 3. How can we define
the dominant meaning of a star ? The utility of the concept of hegemony is brought to the
forefront through a critical reading of different theorizations of the link between cinematic
identification and power relations. The argument is further sustained by two case studies : the
cult which surrounded actor Rudolph Valentino, and the political meaning of Beyoncé.

Entrées d’index

Mots-clés : cinéma, stars, hégémonie, genre, identification


Keywords : cinema, stars, hegemony, gender, identification

Genre, sexualité & société, 13 | printemps 2015

Vous aimerez peut-être aussi