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Collection « Les Chemins de la Sagesse »

dirigée par Véronique Loiseleur


DU M:eME AUTEUR

Aux Éditions du Relié

LEVEIL EST UN SECRET,


1994
EMBRASSER LE CIEL ET LA TERRE,
2002

Aux Éditions Altess

POUR UNE RELATION PARFAITE AVEC LA VIE


1995
LA LIBERTÉ N'A PAS D'HISTOIRE
1998
QUI SUIS-JE ET COMMENT FAUT-IL VIVRE ?
2000 (poche)
Andrew Cohen

Vivre l'éveil
UN APPEL À L'ÉVOLUTION
AU-DELÀ DE L'EGO

Avant-propos
de Ken Wilber

Traduit de l'américain
par Emmanuèle de Lesseps

LA TABLE RONDE
7, rue Corneille, Paris 6e
Titre original :
Living Enlightenment. A cal/ for Evolution beyond Ego.

© 2002 BY MOKSHA PRESS.

© Éditions de La Table Ronde, Paris, 2004,


pour la traduction française.
ISBN: 2-7103-2639-6.
Sommaire

Avant-propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
Préface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
1. Qu'est-ce que l'Éveil ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
2. Ce qui n'est jamais né . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
3· La réponse parfaite . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
4· L'V n sans second . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
5· Le statu quo ne peut pas le contenir . . . . . . . . 39
6. La révélation et l'Éveil . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
7· Ne projeter aucune ombre . . . . . . . . . . . . . . . 57
8. Le défi ultime . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
9· Ligne droite vers l'absolu . . . . . . . . . . . . . . . . 73
10. La grâce ne suffit pas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79
II. Simples mortels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
12. La fin du « karma » . . . . . • • . • . . . • • . . . • • . 89
13. La conscience vraie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
14. Le seul obstacle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101
15. Au-delà du masculin et du féminin . . . . . . . . 109
16. La promesse de perfection . . . . . . . . . . . . . . . 115
17. Un déploiement universel continu . . . . . . . . . 125
18. L'Éveil impersonnel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131
19. Le tableau complet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135
20. L'impératif d'évolution . . . . . . . . . . . . . . . . . 139
Avant-propos

Les enseignants spirituels n'one pas tous le même


genre. Il y a les gentils, les doux, les rassurants, qui
vous caressent dans le sens du poil et sont toute
indulgence. Et puis il y a les hors-la-loi, les dangers
vivants, les durs, les amis rudes de la conscience
divine, ces hommes et ces femmes qui vous bravent,
vous dérangent, vous terrifient, jusqu'à ce que vous
vous éveilliez radicalement à ce que vous êtes
vraiment.
Puis-je vous donner un petit conseil ? Choisissez
vos maîtres avec précaution.
Si ce sone des encouragements que vous voulez,
des sourires doux, des caresses à l'ego, des mots con-
solants, des tapes dans le dos et des chatouilles sur
votre moi contracté, trouvez-vous un Gemil Garçon
ou une Bonne Fille, et prenez-leur la main sur le che-
min de l'apaisement du stress et de l'ego. Mais si vous
voulez l'Éveil, la conscience éclairée, si vous voulez

AVANT-PROPOS .a. 7
flamber dans le feu de la passion infinie, alors, croyez-
moi : trouvez-vous un Rude ou une Dure, un homme
ou une femme dont la seule présence vous ques-
tionne, qui vous laisse sans voix, qui vous fond dessus
sans crier gare pour vous tourner en ridicule, qui vous
fait souhaiter n'être jamais né(e), qui vous fait cadeau
d'une panique abjecte plutôt que d'un réconfort
mielleux, de doses d'adrénaline plutôt que de saccha-
rine, car alors, et peut-être seulement alors, serez-
vous près de rencontrer votre Visage Originel.
La plupart d'entre nous, je suppose, préfèrent les
enseignants spirituels du genre Gentil Garçon.
Doux, réconfortant, pas menaçant, secours de l'âme
lasse et usée, havre de paix dans la tempête des illu-
sions. Rien de mal à ça, notez. La spiritualité peut
avoir tous les parfums pour tous les goûts, et j'ai ren-
contré dans ses parages d'abominablement Gentils
Garçons. Mais si l'on vise la vérité plutôt que la con-
solation, si l'on veut passer de la rêverie rassurante au
réveil dans le réel, si le but est de réaliser Dieu et non
de fortifier l'ego, alors le voyage spirituel passe par un
événement brutal, choquant: la mort, littéralement,
de votre moi en tant qu'être séparé, une dissolution
pénible, effrayante, horrifiante - une extinction
miraculeuse dont vous serez témoin pendant que
vous vous déploierez à l'infini dans la vérité radicale
et sans forme, qui traversera chacune de vos cellules,

8 .A. VIVRE L'ÉVEIL


imprégnera votre être jusqu'au cœur, et dilatera ce
que vous preniez pour votre moi jusqu'à le faire
embrasser les lointaines galaxies. Car ce n'est que de
l'autre côté de la mort que réside l'Esprit, ce n'est que
de l'autre côté de l'abattoir de l'ego que l'on trouve le
Bon, le Vrai et le Beau. « Le moment arrivera où vous
reconnaîtrez que votre gloire véritable se trouve là où
vous cessez d'exister», comme nous l'a constamment
rappelé l'illustre Sri Ramana Maharshi. Votre vraie
gloire se trouve de l'autre côté de votre mort, et qui
vous le montrera ?
Pas le Gentil Garçon ni la Bonne Fille. Ils neveu-
lent pas heurter votre sensibilité. Ils ne veulent pas
vous perturber. Ils sont là pour vous murmurer de
jolis riens à l'oreille et déposer des prix de consolation
dans la main tendue du moi contracté, panser les
blessures de guerre de l'ego fatigué, distribuer des
techniques pour le revigorer dans ses constantes
batailles avec le monde de l'altérité. En un sens, il est
très facile d'être un enseignant gentil-garçon: pas de
désordre, pas de chambardement, pas de bagarre, pas
d'affrontement épuisant avec la résistance égotique.
Soyez bon avec l'ego, massez-le, faites-le respirer,
chantez-lui des mantras.
L'ami rude en sait plus long. Il n'est pas là pour
consoler mais pour secouer, pas pour réconforter mais
pour démolir. Il est sans compromis, brutal, péné-

AVANT-PROPOS .A. 9
trant comme le laser. Il vous brave jusqu'à ce que
vous reconnaissiez votre Visage Originel - et il ne
vous lâchera pas, ne reculera pas, ne renoncera pas
tant que vous n'aurez pas lâché prise- radicalement,
pleinement, complètement, sans hésitation. Sa vie est
Compassion - la vraie compassion, pas la compas-
sion idiote-, et la vraie compassion manie plus sou-
vent l'épée que les bonbons. Ces durs amis offensent
profondément l'ego (plus grande est l'offense, plus
gros est l'ego). C'est la Vérité qui leur donne vie;
étant partout confrontés à de l'ego, ils choisissent la
vérité de la vie sans compromis.
Fritz Perls, le fondateur de la Gestalt Therapy,
disait que personne ne vient voir un thérapeute pour
aller mieux (même si tous affirment que c'est leur
but) ; on vient en réalité pour perfectionner sa
névrose. De même, personne ne vient voir un ensei-
gnant spirituel pour connaître l'Éveil (même si cha-
cun prétend que c'est son but); non, on vient voir un
enseignant spirituel pour apprendre des jeux de l'ego
plus subtils et sophistiqués- en l'occurrence, le jeu
de « regardez comme je suis bon en spiritualité ».
Après tout, qu'est-ce qui vous pousse vers un
maître spirituel, pour commencer? Ce n'est pas
l'Esprit en vous, vu que cet Esprit est déjà éveillé et
n'a aucun besoin de chercher. Non, c'est l'ego en vous
qui vous conduit à un maître : vous voulez vous voir

10 1!. VIVRE L'ÉVEIL


vous-même en présence du jeu spirituel - finale-
ment, vous voulez que votre ego prolonge sa vie égo-
tique dans un paradis spirituel.
Et qu'est-ce qu'un pauvre instructeur va faire,
devant une telle ruse de l'ego ? Tous ceux qui vien-
nent voir un enseignant spirituel viennent avec des
motivations égocentriques. Et les enseignants ont
deux choix possibles face à cet assaut des moi séparés,
ce colloque des moi contractés. Ils peuvent cabotiner
pour le public, ou bien faire sauter tout l'édifice.
Andrew Cohen fait partie de ces amis rudes. Il
n'est pas ici pour offrir le réconfort ; il est ici pour
vous faire éclater en à peu près mille morceaux ...
pour que l'Infinité puisse vous réunir, la Liberté
vous recueillir, la Plénitude ravir votre peur. Et cela
n'arrivera tout simplement pas si tout ce que vous
voulez est de la consolation, des prières lénifiantes,
des platitudes pour faciliter la digestion, et des
« tout ira très bien». Non, tout n'ira pas tellement
bien si c'est l'Éveil que vous cherchez. Ce sera même
l'enfer, et seuls les amis rudes sont assez rudes pour
vous le dire et vous le montrer - si vous supportez
cett~ rudesse, vous supporterez de rester dans les
flammes, de brûler jusqu'à la transparence infinie
pour rayonner comme les étoiles.
Tous les maîtres profondément éclairés que j'ai
connus étaient de ces amis ou amies rudes, vilain gar-

AVANT-PROPOS .6. II
çon ou méchante fille. Les premiers du genre ont été,
bien sûr, les grands maîtres zen- ceux qui, rencon-
trant encore un de ces ego prétendant à l'Éveil, pre-
naient un gros bâton et frappaient l'aspirant entre les
deux yeux. Et ce n'était qu'un début, la partie la plus
facile ; il y avait pire - mais à l'autre bout de cette
brutalité se trouvent la Réalisation toujours présente,
la mort d'un moi convulsé et la radieuse résurrection
de l'Esprit infini, révélé comme votre véritable
nature : si vous supportez de brûler. Les amis rudes
s'occupent de votre cas de la pire façon, ils soufflent
du feu, crachent des charbons ardents, vouS font rôtir
les fesses et griller l'ego sans que vous ayez eu le
temps de voir venir le coup, dénouent votre moi
recroquevillé de peur et font voler vos défenses bien
affûtées : si vous supportez le feu de la bataille.
]'ai souvent entendu des enseignants spirituels
du type Gentil Garçon dire qu'Andrew Cohen était
(( rude», et je pense: « Et encore, vous ne savez pas
tout. » J'ai souvent entendu dire qu'Andrew était
quelqu'un de difficile, offensant, tranchant, et je me
dis : (( Dieu merci. » En fait, pratiquement toutes les
critiques que j'ai entendues à son sujet étaient une
variante du thème : « Il y va un peu fort, vous ne
trouvez pas ? » Et là je fais un grand sourire. S'il n'y
avait pas de ces hommes ou femmes provocants pour

12 .li. VIVRE L'ÉVEIL


faire voler en éclats nos plates idées de Dieu, les visi-
tes de l'Esprit seraient bien rares sur cette terre.
Le magazine fondé par Andrew, What ls
Enlightenment ? 1, par exemple, est le seul magazine
que je connaisse qui soit « rude » en authenticité et
en profondeur, c'est-à-dire le seul magazine qui pose
les questions difficiles, qui bouscule les vaches
sacrées, et qui s'intéresse d'abord à la poursuite de la
vérité, quelles qu'en soient les conséquences. Cette
revue comporte juste ce qu'il faut de rudesse pour
ébranler la complaisance égotique, une complaisance
écœurante, poisseuse, suffocante, vautrée dans sa pro-
pre suffisance. Vous faites bien d'être offensé par
Andrew: il n'est pas poli avec l'ego.
Alors, supportez-vous de brûler ? Ou cherchez-
vous toujo'urs plus de mots doux et rassurants, des
prix de consolation, encore et encore, en place de cet
Éveil qui persiste à vous échapper? Voulez-vous une
tape dans le dos ou êtes-vous prêt à être écorché vif et
grillé ? Puis-je vous donner un conseil ? Si vous sup-
portez de brûler, vous en viendrez à vérifier que votre
vraie gloire est là où vous cessez d'exister, quand le
moi contracté lâche prise pour se déployer dans
l'immensité, quand votre identité séparée est consu-
mée pour laisser place au rayonnement infini :

1. « Qu"est-ce que !"Éveil ? "

AVANT-PROPOS .._ 13
détente, libération radicale dont la nature est trop
évidente pour être vue, trop simple pour être crue,
trop proche pour être atteinte. Votre Soi véritable,
discrètement mais sûrement, annoncera sa Présence
tandis qu'il embrassera tranquillement l'univers
entier et avalera les galaxies.
En bref, si vous êtes prêt à reconnaître votre
Visage Originel, si vous êtes capable de vous tenir
au milieu d'un incendie qui fait fondre votre Cœur
et l'ouvre à l'éternité, alors vous êtes venu au bon
endroit. Dans les pages qui suivent, vous verrez
qu'Andrew Cohen est un vilain garçon, un rude, qui
montre de la compassion pour votre Vrai Moi et
agite une massue devant l'ego. Si vous supportez de
brûler, entrez dans le vrai creuset de votre âme, où
vous ne trouverez rien d'autre que le Dieu radieux
du cosmos entier. Car c'est l'Esprit radieux qui
regarde en ce moment même par vos yeux, parle en
ce moment même par votre langue, qui lit les mots
de cette page en ce moment même. Votre Moi véritable
est Esprit glorieux en cet instant et à chaque ins-
tant, et il faut quelqu'un d'une rigueur vigoureuse
pour insister sur ce point et vous affronter jusqu'à ce
que vous reconnaissiez votre Visage Originel,
brillant de tout son éclat ici et maintenant.
Ken Wilber
Boulder, Colorado.
Préface

Les implications de l'Éveil sont toujours


révolutionnaires. La révélation de ce qui est Absolu,
si elle est assez profonde pour libérer radicalement,
réaligne entièrement notre position vis-à-vis de
l'expérience humaine. Mais cette simple vérité tend
à rester obscure pour beaucoup de chercheurs, du fait
que les implications de l'Éveil sont dévastatrices
pour l'ego -le moi conçu comme entité séparée. Et
ces temps-ci, bien des enseignants spirituels
semblent dénier cette vérité, soit parce qu'ils ne
l'ont pas eux-mêmes reconnue en profondeur, soit
parce qu'ils ne veulent pas remettre en cause le statu
quo.
Dans les dialogues qui suivent, j'ai essayé de
transmettre la perspective de l'Éveil, un point de vue
sans compromis et en même temps libérateur jusqu'à
l'extase. Mon but dans ce livre est d'éclairer la nature
véritablement révolutionnaire de cette perspective,

PRÉFACE & 15
au regard de l'expérience humaine dans le monde
occidental au début du XXIe siècle. Mon espoir est
que le lecteur pourra ressentir intimement, reconnaî-
tre intuitivement et voir directement la portée
intemporelle et toujours bouleversante de cette révé-
lation.
Une fois que l'on a entendu l'appel du Vrai Soi,
pas seulement avec le cœur mais aussi avec l'esprit et
avec la conscience morale, il n'y a pas de retour en
arrière vers le monde tel qu'il était auparavant. Tôt
ou tard, nous reconnaîtrons que nous n'avons plus
d'autre choix que de nous permettre l'extraordinaire
liberté d'aller jusqu'au bout de nous-même en cette
vie. En effet, si nous avons commencé à percer à jour
le monde illusoire que crée l'ego, et si nous avons
entendu l'appel du Vrai Soi à vivre notre vie dans un
but supérieur- que reste-t-il d'autre à faire?
A.C.
CHAPITRE 1

,
Qu'est-ce que l'Eveil ?

Andrew, vous enseignez ce qu'on appelle l'Éveil. Beau-


coup de gens aimeraient comprendre ce que signifie ce
mot. Ma première question est donc : qu'est-ce que
l'Éveil?
Il est très difficile de répondre à cette question
d'une façon simple et succincte, car« éveil » {en anglais
enlightenment, qui signifie aussi « illumination » ou
« esprit éclairé »] signifie beaucoup de choses différen-
tes à plusieurs niveaux différents. Je vais m'essayer à
une première définition, avec l'espoir qu'à la fin de
notre entretien, le tableau complet de ce que cela signi-
fie sera apparu.
Je pourrais commencer ainsi : quelqu'un qui est
véritablement éveillé a fait l'expérience directe de la
nature ultime, ou absolue, de la vie elle-même. Dans
cette révélation, un tel individu a vu bien au-delà des
limites du moi personnel et a découvert la nature uni-
verselle de l'ensemble de son expérience humaine.

QU'EST-CE QUE L'ÉVEIL ? .6. 17


Cette explosion de conscience libère le « moi >> d'un
rapport à la vie qui, étant étroitement personnel,
l'enferme comme un tyran dans une prison.
Une autre façon de répondre à votre question
serait de dire simplement que l'Éveil est une condi-
tion d'être, où l'individu a mis fin à une relation avec
la vie fondamentalement égocentrique. La plupart
des êtres humains, semble-t-il, s'intéressent avant
tout à leurs besoins propres - pensant constamment
à eux-mêmes, désirant toujours quelque chose
d'abord pour eux-mêmes, perpétuellement perdus
dans un souci narcissique, constamment préoccupés
de leur personne. Donc, une façon de comprendre
l'Éveil est de dire que c'est un mode d'être où n'existe
plus ce rapport péniblement égocentrique à l'expé-
rience humaine.

Comment cet Éveil arrive-t-il ? Est-ce progressif, ou


bien s'agit-il d'une transformation radicale qui peut se
produire en un instant ?
Cela dépend vraiment de l'individu. Mais il
importe peu que cela se passe progressivement ou en
un instant. La seule chose importante est que cela
arrive. Car aussi longtemps que nous sommes égocen-
trés, perdus dans un monde purement personnel,
nous ne pourrons tout simplement pas être disponi-
bles. Disponibles pour quoi ? Disponibles pour

18 Â VIVRE L'ÉVEIL
manifester l'extraordinaire et profond potentiel évo-
lutif qui demeure à l'état dormant chez la plupart
d'entre nous. Vous voyez, ce monde souffrant a grave-
ment besoin d'êtres véritablement conscients -
d'êtres humains qui savent qui ils sont et pourquoi ils
sont ici.

Mais aller au-delà du monde personnel, comme vous


dites, n'est-ce pas évacuer de nombreux aspects de la vie
humaine?

Pas du tout. La condition éveillée ne nie en


aucune façon le moindre aspect de notre humanité.
Elle l'éclaire. Qu'est-ce que cela veut dire? Cela veut
dire que notre perspective devient extraordinaire-
ment plus large er plus profonde. La perspective de
quelqu'un qui n'est pas éveillé est limitée par défini-
rion. Le point de référence de roure son expérience
personnelle est l'ego séparé. Mais la perspective de
quelqu'un qui s'est éveillé n'est pas arrêtée par cette
restriction fondamentale parce que, comme je l'ai dit,
il ou elle a réalisé la nature absolue de la vie et la
nature universelle de sa propre expérience humaine.
Et cela change tout. Son rapport au fait d'être en vie
est transformé parce que le contexte dans lequel il ou
elle vit, désormais, transcende infiniment la dimen-
sion purement personnelle. Aussi j'encourage les
gens à se poser cette question : jusqu'à quel point la

QU'EST-CE QUE L'ÉVEIL ? • 19


perspective que j'ai sur ma propre expérience person-
nelle est-elle éclairée ?

Donc une « perspective éclairée » consiste à voir toute


notre expérience dans un contexte heaucoup plus vaste ?
Oui. Et ce contexte plus vaste se révèle automati-
quement quand nous découvrons avec émerveille-
ment que ce que nous sommes et qui nous sommes,
au-delà de l'ego personnel, est un mystère profond,
où n'existe aucune notion de limite. Un être humain
véritablement éveillé exprime spontanément cette
libené vis-à-vis de toute limitation comme étant sa pro-
pre humanité. De fait, il est possible pour chacun de
nous, en passant quelque temps en compagnie de ces
personnes libres, de s'éveiller à ce même mystère qui
est notre nature véritable. Dans le miroir qu'elles
nous renvoient, il devient évident pour nous que nous
avons vécu jusqu'alors dans un contexte terriblement
étriqué. Et nous nous apercevons que c'est avant tout
l'étroitesse de ce contexte qui crée cette pénible
impression de suffocation et d'isolement qui nous est
si familière dans notre état ordinaire. La découverte
miraculeuse, directement vécue, de la perspective
sans fond, illuminante, qu'est l'Éveil est une libéra-
tion instantanée. Et c'est dans cette découvene que
notre humanité est finalement libérée pour manifes-
ter son potentiel évolutif sans inhibition.
CHAPITRE 2

Ce qui n'est jamais né

Vous avez utilisé plusieurs fois le mot « absolu » dans


votre description de l'état éveillé. Que voulez-vous dire
par là?
Absolu veut dire libre de limitations. Lorsqu'un
être humain fait l'expérience directe de ce qu'est
l'Éveil, même si c'est seulement momentané, il est
infusé d'une conscience qui transcende le temps, une
conscience qui n'est jamais née, et qui donc est libre
de la mort. Je le dis dans un sens littéral. Il a l'expé-
rience de l'immortel. Et dans cette expérience, il
découvre une liberté intérieure profonde parce qu'il
n'est plus fondamentalement limité par la personna-
lité humaine conditionnée avec laquelle il s'est exclu-
sivement identifié depuis la naissance du corps.

Que voulez-vous dire par «une conscience qui n'est


jamais née » ?

CE QUI N'EST JAMAIS NÉ .A. 2I


Si vous et moi pouvions transcender ensemble
toute idée d'être une entité séparée, individuelle ou
unique, l'état de conscience que nous connaîtrions
serait identique. Dans la reconnaissance de cette
conscience une, nous découvririons que nous sommes
le même Soi unique. Dans la conscience de ce Soi uni-
que, il n'y a ni temps, ni âge, ni mémoire, et pas de
catégorie de sexe. Là, rien n'est jamais arrivé, c'est
pourquoi il y règne une innocence parfaite et, dans
cette innocence, une liberté par rapport à toute
notion de limite. Encore une fois, cette liberté n'est
jamais affectée par le moindre événement, quel qu'il
soit. Donc, la raison pour laquelle je dis que cette
conscience n'est jamais née est simple :la naissance et
la mort de tout être humain individuel n'exercent
strictement aucun effet sur cette conscience. Com-
prenez-vous ?

Oui, je crois. En vous écoutant, je ressens quelque chose


de ce que vous décrivez, l'impression de quelque chose qui
est au-delà de mon identité personnelle. A certains
moments, lorsque je médite seul, je fais l'expérience de ce
même état, mais à chaque fois, aussitôt que je retourne
à la vie active ordinaire, les pensées et les sentiments
confus reviennent, et je constate que je suis toujours le
même être humain avec mon habituel souci de moi-même.

22 .a. VIVRE L'ÉVEIL


Vous ne vous demandez pas de façon radicale sur
quoi vous fondez votre rapport à votre expérience.
L'état que vous décrivez est très important. Cette
notion de quelque chose qui est au-delà de votre
identité personnelle est en fait le Soi absolu qui com-
mence à transparaître dans votre expérience comme
réalité tangible. Malgré cela, vous ne mettez toujours
pas en question votre conviction première d'être la
personnalité, cette notion d'un moi séparé qui est né
dans le temps.

Alors, comment fait-on ?

Le mystère dont nous parlons est toujours présent


lorsque notre attention s'éloigne des peurs et désirs
sans fin de l'ego. Plus nous considérons ceci en pro-
fondeur, plus nous devenons conscients de cette
vérité libératrice. Sous les sables toujours mouvants
de la personnalité humaine, cette profondeur mysté-
rieuse de notre propre Soi, sans commencement ni
fin, est constamment là. La plupart du temps, nous
n'en sommes tout simplement pas conscients parce
que notre attention est perpétuellement distraite par
les peurs et les désirs de l'ego. Mais notre propre Soi
ne s'en va jamais nulle part. Et l'expérience spiri-
tuelle authentique démontre toujours qu'il en est
ainsi.

CE QUI N'EST JAMAIS NÉ & 23


Alors si, comme vous le dites, nous sommes tous en fait
le même Soi unique, qu'arrive-t-il à notre personnalité
humaine individuelle quand nous avons pris conscience
de cette réalité ?
Si nous sommes capables de demeurer, sans
vaciller, dans la prise de conscience de cet unique Soi
qui est hors du temps, alors notre personnalité
deviendra spontanément l'instrument par lequel ce
Soi unique se manifestera dans le temps. Le moi indivi-
duel deviendra pénétré de la présence d'une unicité
puissante, d'ordre transcendant, et deviendra
l'expression vivante dans ce monde de ce qui est
absolu.

Mais comment la personnalité peut-elle être absolue ?


Elle est unique à chaque individu.
Bien sûr, la personnalité est unique. Relative-
ment parlant, chaque individu est différent, car il ou
elle est venu à l'être en un temps particulier, un lieu
et une culture particuliers. Mais là n'est pas la ques-
tion. Je parle de la potentialité, pour ces personnali-
tés uniques, d'exprimer ce qui est absolu- ce qui
transcende toutes les différences.

Mais ne devrions-nous pas célébrer nos différences-


n'est-ce pas là en partie ce qui fait la valeur de la
liberté?

24 ... VIVRE L'ÉVEIL


La liberté dont je parle, la liberté de l'Éveil, la
liberté de la conscience éclairée, est toujours et seule-
ment la célébration de l'absence totale de différence. C'est
pourquoi elle est si puissante. Voyez-vous, c'est parce
que nous sommes, pour la plupart, esclaves des peurs
et désirs sans fin de l'ego séparé, que nous passons
notre temps à essayer de nous situer personnellement,
à chercher désespérément à trouver ce qui est unique
en nous-mêmes. Le refrain sempiternel de l'ego
séparé est:« N'y a-t-il pas chez moi quelque chose de
spécial ? » Mais si nous voulons être libres, si nous
cherchons l'Éveil en cette vie, alors les traits qui dis-
tinguent assurément nos personnalités ne devraient
plus être ce qui est le plus important pour nous. La
seule chose importante devrait être de gagner notre
libération en nous dégageant du besoin vorace de
l'ego de se voir comme unique. Car, après tout, ce
besoin d'être unique est l'essence même de l'ego. Et
notre libération de ce besoin résulte seulement de la
découverte sans équivoque de notre nature véritable
au-delà de la personnalité distincte. Comme je l'ai
dit, lorsque nous faisons cette découverte, notre per-
sonnalité devient pénétrée de la mystérieuse présence
du Soi absolu. Et, à l'opposé de la négativité sans fin,
de l'étroitesse d'esprit et des désirs égoïstes du moi
séparé, le Soi absolu est éminemment intègre. En ce
Soi de plénitude, on est libéré du narcissisme cons-

CE QUI N'EST JAMAIS NÉ A 2~


tant de l'ego, et de ce fait on éprouve comme extase
le fait d'être dégagé de la tension existentielle que
génère continuellement ce narcissisme.
Alors, qui serons-nous et comment serons-nous,
en tant que personnalité distincte, quand nous
n'aurons plus besoin de nous voir en aucune manière
comme différent ou spécial ? La réponse est que nous
ne le saurons jamais. Qui nous serons alors restera tou-
jours l'inconnu pour nous. C'est là le fait extraordi-
naire de cette liberté. Ce qui en nous veut savoir est
justement ce qui ne pourra jamais avoir la réponse.

Avez-vous dit que nous ne pourrons jamais savoir ?


L'ego narcissique en nous veut toujours savoir qui
nous sommes quand nous nous regardons dans le
miroir. Mais lorsque, mourant à nous-mêmes, nous
retournons à notre Vrai Soi, et que nous nous recon-
naissons comme étant ce qui est impersonnel et
absolu, nous abordons le miracle de l'Éveil. Nous
découvrons que ce Soi véritable est un mystère qui ne
peut être vu avec les yeux et ne peut être reconnu par
le mental. C'est pourquoi, si nous voulons véritable-
ment connaître ce Soi, nous devons accepter de ne pas
le voir de nos yeux et de ne pas le connaître mentale-
ment. Vous voyez, si nous voulons être libres, il nous
faut justement abandonner la chose même que nous
voulons connaître afin de la connaître en vérité. Nous

26 6 VIVRE L'ÉVEIL
devons accepter de nous oublier nous-mêmes entière-
ment et de mourir dans ce mystère insaisissable. Et à
partir de là, nous devrons toujours vouloir vivre dans
un état de non-savoir, un état dans lequel nous ne
savons pas qui nous sommes.
CHAPITRE 3

La réponse parfaite

Andrew, j'ai une question simple : comment arrive-t-on


là ? Le chemin de l'Éveil est-il simplement une affaire
de pratique spirituelle quotidienne ?
Si la conscience éveillée est ce à quoi l'on aspire,
alors la « pratique quotidienne » seule ne suffira
jamais. Si nous voulons être vraiment libres, seule-
ment l'abandon total, l'abandon inconditionnel, est le
moyen, le chemin et le but. A la fin, il n'y a littérale-
ment rien d'autre à faire que de renoncer. Renoncez
complètement. Abandonnez votre volonté personnelle
au toujours inconnu, à cette volonté à jamais incon-
cevable qui a créé l'univers et tout ce qu'il comporte,
et puis contentez-vous de voir ce qui arrive ...

Simplement voir ce qui arrive ?


Oui. Mais n'oubliez jamais, le véritable abandon
demande du courage, de l'amour et une incroyable
dévotion. Plus de courage, d'amour et de dévotion

LA RÉPONSE PARFAITE ..t. 29


que nous ne sommes prêts à donner, pour la plupart
d'entre nous. Mais quand nous n'avons plus le choix,
quand nous sommes contraints de nous soumettre à
l'aspiration la plus profonde de notre cœur, à notre
ardent désir d'émancipation, alors le véritable sens de
la pratique spirituelle devient clair pour nous. En
effet, quand l'abandon est devenu le fondement de
notre relation avec la totalité de notre expérience, est
le sol même sur lequel nous marchons, alors la médi-
tation et la contemplation émergent spontanément
comme nos amis les plus proches et nos alliés les plus
fiables.

Comment définissez-vous la méditation et la


contemplation ?
La méditation est cet état de conscience qui se
révèle lorsque nous ne prenons aucune position par
rapport à la pensée. Lorsque nous ne prenons aucune
position par rapport à la pensée, le monde entier et
tout ce qu'il comporte, y compris notre activité men-
tale, tombe loin de nous. Nous éprouvons une liberté
extatique du fait de l'absence de toute frontière, la
béatitude de nous retrouver entièrement seuls, joyeu-
sement perdus dans les profondeurs de l'inconnu. Et
si nous pouvons résister à la tentation de prendre la
moindre position devant l'émergence des pensées,
nous nous retrouvons en un lieu qu'il est impossible

30 "' VIVRE L'ÉVEIL


de décrire avec des mots. Un lieu qui est complète-
ment libre. C'est un lieu vide de contenu mental et
de mémoire, un lieu de plénitude parfaite et d'immo-
bilité parfaite. C'est un lieu où rien n'est jamais
arrivé.
La contemplation est l'usage délibéré et focalisé
des fonctions mentales au service de la passion inspi-
rée de la conscience éveillée. C'est le mouvement d'un
esprit profondément établi dans l'abandon. Un esprit
qui maintenant aspire naturellement à connaître les
vraies et justes relations entre toutes choses, qui cher-
che toujours à faire sens de l'insécurité de l'expérience
humaine à la lumière de la révélation continue de la
complétude parfaite. En fin de compte, la contempla-
tion est un effort spontané, une réponse constamment
évolutive à la vie dans le moment présent.

Quelle pratique est la plus importante -la méditation


ou la contemplation ?
j'insiste beaucoup sur la nécessité de pratiquer la
méditation et la contemplation simultanément. Mais
la façon dont ceci fonctionne est très délicate. Pour
un résultat parfait, nous devons apprendre comment
pratiquer la méditation et la contemplation de façon
à ce que l'une informe l'autre. Idéalement, cela veut
dire que plus profonde est notre expérience de la
méditation, tandis que nous cessons nos relations

LA RÉPONSE PARFAITE Â 31
avec la pensée, plus il y a d'espace en nous pour le
déploiement de la vision libératrice lorsque nous
commençons à contempler la nature des choses.
Mais, souvenez-vous-en toujours, la pratique spi-
rituelle, si elle n'est pas solidement fondée sur un
abandon profond, ne pourra mettre en œuvre sa capa-
cité virtuelle de nous éveiller. L'abandon, et l'aban-
don seulement, est la clef du royaume.

Et comment faire pour m'abandonner ?


Concentrez toute votre attention sur la vérité
pénible de votre propre condition psychologique,
émotionnelle et spirituelle. Faites-y face avec une
intensité sans faille jusqu'à ce que la coquille dure qui
protège votre cœur s'ouvre tout grand. Puis trouvez
le courage de totalement lâcher prise de votre mental
-laissez-le tomber, simplement, lâchez-le, lâchez-le
jusqu'à ce qu'il n'en reste plus rien.

Et puis?
Si vous avez de la chance, ce sera la fin de l'his-
toire.

Et lorsque l'histoire se termine, cela veut-il dire que


j'aurai trouvé la réponse à toutes mes questions ?

32 Â VIVRE L ' ÉVEIL


Oui et non. Oui, au niveau existentielle plus fon-
damental, vous aurez la réponse à vos questions car,
lorsque votre cœur cède, vous faites l'expérience d'un
amour inconcevable, qui transcende les fonctions
mentales, et qui révèle un mystère à couper le souffle,
un mystère qui demeure au-delà du temps. Cette
expérience est la réponse qui nous libère tous de la
croyance fondamentale qu'il y a une question deman-
dant réponse, un problème qui doit être résolu. Mais
vous voyez, en même temps- et c'est la partie exci-
tante-, la liberté incroyable que l'on découvre dans
ce mystère va en fait nous permettre de commencer à
nous interroger sur le sens de l'existence d'une façon
entièrement nouvelle. Pourquoi ? Parce que mainte-
nant le point de départ de notre interrogation est une
conviction profonde et non un doute débilitant. Et
cela change absolument tout.

Donc, depuis la conviction profonde, quelle est la ques-


tion la plus importante à explorer ?
Bon, ça c'est une grosse question ... C'est laques-
tion permanente autour de laquelle tourne tout mon
enseignement : « Quelle est la relation entre rien et
quelque chose ? » Quelle est la relation entre le Soi pri-
mordial, non changeant, non manifeste, et le monde
manifesté du temps et de l'espace en perpétuel
changement ?

LA RÉPONSE PARFAITE .A. 33


Et vous connaissez la réponse ?
Eh bien, idéalement, pour un être humain pleine-
ment éveillé, la relation entre rien et quelque chose
serait une réponse parfaite en acte.

Une réponse parfaite en acte?


Oui. Une réponse parfaite à la vie. Vous voyez,
c'est cela qu'est l'Éveil. Une réponse parfaite en acte.
C'est lorsqu'il n'y a plus de distinction entre laper-
fection inhérente au Soi absolu et cette réponse qui en
est l'expression dans le monde du temps et de
l'espace. La question « Quelle est la relation encre
rien et quelque chose ? » nous oriente instantané-
ment vers ce même lieu de perfection naturelle qui
existe en nous cous - et appelle une réponse. Bien
que, pour la plupart, nous n'en soyons pas conscients,
tout ce que nous faisons, la façon dont nous le faisons,
révèle à quel point de profondeur nous connaissons ce
lieu, et à quelle profondeur nous y demeurons. Donc,
en fin de compte, la question « Quelle est la relation
entre rien et quelque chose ? >> est la question la plus
importante parce qu'elle nous oriente vers la perfec-
tion qui existe au-delà de la dualité et, de plus, nous
met au défi d'exprimer cette perfection en tant que
nous-mêmes, de telle façon que l'intérieur et l'exté-
rieur puissent véritablement devenir un.
CHAPITRE 4

L'Un sans second

Pour que quelqu'un soit qualifiépour donner toutes ces


réponses au sujet de l'Éveil, ilfaut bien sflr qu'il se croie
éveillé. Alors, Andrew, êtes-vous éveillé?
Je ne réponds jamais à ce genre de question.

Pourquoi?
Ce n'est pas politiquement correct ! Vous savez,
c'est drôle ... je ne suis jamais allé proclamer que je
suis éveillé, et pourtant j'ai été accusé de ce crime
terrible dès que je me suis mis à enseigner. Voyez-
vous, la raison pour laquelle il vaut mieux ne pas
parler de ces choses, c'est que les gens ont tendance
à se faire de fausses idées sur le sujet et à instaurer des
malentendus. Bien sûr, si je ne me sentais pas quali-
fié pour faire ce que je fais, je ne me permettrais pas
de le faire. Mais il n'y a aucune raison pour que vous
me croyiez sur parole. C'est quelque chose qu'on ne
peut déterminer qu'en me connaissant de plus près.

L'UN SANS SECOND À 35


C'est pourquoi j'hésite à faire toute déclaration auda-
cieuse. Je pense que si l'on veut savoir de quoi est
vraiment fait un enseignant- savoir s'il est authen-
tique ou non - , la seule façon de le découvrir est de
le connaître.
Par exemple, je suis assis ici avec vous à parler de
ce qui est absolu avec une certaine assurance. Et on va
se poser naturellement ce genre de questions : qui est
cette personne ? Quelle est la réalisation spirituelle
qu'il décrit ? Et comment se traduit cette réalisation
dans sa réalité humaine ? Car, en fin de compte, c'est
seulement la capacité de l'enseignant à vivre en fait
son enseignement qui nous convaincra de son
authenticité. Après tout, c'est bien ce défi simple
mais ultime que tant de personnes qui ont revendi-
qué l'Éveil ont été incapables de relever.

Pourquoi est-ce un défi si grand?


Parce que les implications de ce dont nous par-
lons ici sont immenses. Vous voyez, dès le départ,
l'Éveil exige d'un individu qu'il fasse un saut radical
dans l'inconnu. Ce bond exaltant, hors du temps,
consiste à laisser derrière soi pour toujours le monde
entier et tous ceux qui l'habitent. C'est la mort de
celui qui a une histoire personnelle ; la fin de son
attachement à tout ce que son identité historique
représente dans le temps. C'est dire adieu à la vie telle

36 ... VIVRE L'ÉVEIL


qu'on l'a connue. Cela veut dire que désormais cet
individu sera seul avec Soi-même.
Donc, c'est cela le saut, et il est immense. Mais
une fois qu'on l'a franchi, la stabilité de la transfor-
mation dépend entièrement du fait de rester résolu-
ment dans l'inconnu, sans jamais revenir en arrière.
Qu'est-ce que cela signifie ? Cela signifie d'être ancré
pour toujours en ce lieu mystérieux où le mental n'a
pas la moindre prise. Cela signifie de vouloir tou-
jours n'être personne plus que vouloir être
quelqu'un. Et surtout cela signifie que nous nous
sommes remis jusqu'à notre dernier souffle au Soi
absolu et à l'impulsion d'évolution qui émerge de ce
Soi, avec le pouvoir miraculeux de faire ce qui ne
peut être fait, et de dire ce qui ne peut être dit, pour
une cause qu'on ne peut imaginer. Très peu de gens
sont désireux d'aller si loin. En fait, même parmi
ceux qui semblent sérieusement intéressés par ces
questions, la plupart, lorsqu'ils sont mis au pied du
mur, ne souhaitent toujours pas s'abandonner
jusqu'au point nécessaire pour que ce genre de trans-
formation totale ait lieu. Et la simple raison en est
que le degré d'humilité que cela demande est pres-
que inimaginable.

Pourquoi l'humilité est-elle si importante?

L'UN SANS SECOND .a. 37


Dans ce saut profond au-delà du connu, l'indi-
vidu reconnaît que son identité véritable n'est pas la
personnalité séparée, mais est en réalité le Soi absolu,
ou encore l'Un sans second. Bien entendu, il ne peut y
avoir qu'un seul «Un sans second ». C'est pourquoi
l'humilité est tellement, tellement importante. Parce
que, si la motivation de l'individu n'est pas pure, la
tentation de s'approprier la conscience que «Je suis
cet Un sans second » sera irrésistible pour l'ego, pour
cette partie de lui qui peut vouloir encore être
quelqu'un de spécial, quelqu'un d'unique.

L'ego peut s'approprier l'Éveil?


Oui, et malheureusement ille fait souvent. Mais
si la motivation de l'individu est pure, s'il a pour
assise une très profonde humilité, alors sa réalisation
spirituelle ne sera pas corrompue par un désir de gain
personnel - et cela est en vérité très rare.
CHAPITRE 5

Le statu quo ne peut pas le contenir

Vous avez parlé d'un« saut au-delà du connu »et vous


avez dit qu'il signifiait la mort de l'histoire personnelle.
Cela ne risquerait-il pas de créer de sérieux problèmes
dans nos relations humaines? Par exemple, vous avez
une femme ; j'ai une mère. Et si je dis que je ne ferai pas
ce saut parce que je veux continuer à appeler ma mère le
jour de la Fête des Mères ?

Croyez-vous que quand Jésus a dit à ses disciples


« Laissez tout derrière vous et suivez-moi », leur
réponse a été : « Mais pourrons-nous appeler nos
mères le jour de la Fête des Mères ? »
Votre question est bonne, pourtant. Même beau-
coup de gens d'esprit très raffiné ne semblent pas
comprendre l'immensité que représente l'Éveil. Ils se
sont mis je ne sais comment dans la tête l'étrange
idée que les implications explosives d'une conscience
plus élevée sont quelque chose qu'ils peuvent caser
bien tranquillement dans la vie qu'ils ont vécue

LE STATU QUO NE PEUT PAS LE CONTENIR 4 39


jusqu'ici, inconsciente et dirigée par l'ego. Toute
l'affaire, c'est que la prise de conscience qu'est l'Éveil
détruit complètement le statu quo. Ille pulvérise. Si
vous avez la chance d'arriver en cette vie au bout de
votre quête de la libération, alors vous serez un être
humain complètement transformé, et, croyez-moi,
vous verrez les choses très différemment. On ne peut
tout simplement pas loger la perspective de la cons-
cience éveillée, qui fait éclater toutes les limites, dans
les façons d'être du passé. C'est bien trop grand pour
cela. le statu quo ne pourra jamais le contenir. Si
l'idée d'appeler votre mère le jour de la Fête des
Mères est plus importante pour vous que votre propre
libération en cette vie, alors de toute évidence vous ne
vous intéressez pas sérieusement à l'extraordinaire
possibilité que j'expose.

Donc, vous dites que si je veux être éveillé, je dois litté-


ralement laisser le monde derrière moi? En d'autres
termes, quitter ma maison, mon chat et ma partenaire,
me raser la tête et m'asseoir sous un arbre ?
Non, je ne dis pas cela. Je dis que l'Éveil spirituel
authentique menace totalement le statu quo d'un
monde bâti sur les peurs et désirs sans fin de l'ego.
l'Éveil est la plus grande menace possible pour ce
monde. Mais sur la place du marché spirituel
moderne, ce fait essentiel semble bien trop souvent

40 A VIVRE L'ÉVEIL
négligé. En effet, au nom de la transformation spiri-
tuelle, beaucoup consacrent une grande partie de leur
temps et de leur attention à s'améliorer, sans mettre
en question la validité ultime de ce moi en voie
d'amélioration, ni même commencer à s'interroger
sur la vision du monde dans laquelle ce moi s'insère.
Combien d'entre nous ont trouvé assez de courage ou
d'intérêt éveillé pour mettre sérieusement en ques-
tion ces injonctions culturelles qui, en fin de compte,
définissent les choix de vie de la plupart des gens ?
Demandons-nous jusqu'à quel point nous avons
l'esprit libre. Quelle est notre largeur de vue? Notre
intérêt pour une conscience éveillée est-il assez sou-
tenu pour que nous cherchions toujours une façon de
voir qui soit libérée des postulats non vérifiés ?
Vous voyez, ce que j'essaye de dire est que, aussi
forte que soit notre conviction de vouloir évoluer,
nous ne pourrons jamais évoluer vraiment en enfer.
Savez-vous ce qu'est l'enfer ? L'enfer est de ne même
pas savoir que nous sommes perdus. L'enfer, c'est être
inconscient, à la dérive dans le monde intérieur de
l'isolement et de la suffocation créé par un ego esclave
de son besoin de séparation. Si nous ne voyons pas
jusqu'à quel point les choses vont mal, nous ne trou-
verons jamais le courage ou l'inspiration de faire ce
qui est nécessaire pour parvenir à nous libérer ici et
maintenant, en cette vie même. Je ne peux souligner

LE STATU QUO NE PEUT PAS LE CONTENIR A 41


assez l'importance primordiale de ce point. Si rares
sont ceux qui prennent mortellement au sérieux la
possibilité de leur propre libération. Et la raison prin-
cipale, encore une fois, en est que nous ne savons pas
à quel point les choses vont mal.

Andrew, pour être honnête, je n'ai pas du tout l'impres-


sion d'être complètement perdu, comme vous le dites, dans
cet enfer que vous décrivez.

C'est parce que vous n'avez pas encore atteint ce


stade de votre propre évolution où vous voulez être
libre plus que toute autre chose. Voyez-vous, c'est par
notre intérêt pour la libération seule que nous pouvons
commencer à voir tout sous un jour complètement
différent. Et cet intérêt, si nous le suivons avec pas-
sion, en nous engageant, prêts à prendre d'énormes
risques, a le pouvoir de nous propulser dans un rap-
port radicalement nouveau à l'expérience humaine-
c'est-à-dire que nous cesserons de chercher seulement
à nous insérer au mieux. Ayant à cœur d'aller
jusqu'au bout pour savoir ce que c'est que d'être vrai-
ment en vie, nous creusons activement ces questions :
Qui suis-je? et Comment faut-il vivre? comme si notre
vie en dépendait. Et, comme je le disais, la perspec-
tive révolutionnaire, à même de transformer la vie,
qui se révèle à travers ce type de questionnement sou-

42 ~ VIVRE L'ÉVEIL
tenu, ne peut tout simplement pas être contenue dans
le statu quo.

Donc, vous dites qu'il n'est pas possible de devenir


éveillé et d'être toujours un père ou une mère - ou de
mener une vie ordinaire et de chercher l'Éveil en même
temps?
Avez-vous dit « chercher l'Éveil de temps en
temps » ? Non, je plaisante ! Non, être un père ou
une mère n'est pas du tour en soi un obstacle à l'état
de conscience dont je parle. Mais tant que l'idée d'être
un père ou l'idée d'être une mère est plus importante
pour nous que de réaliser cet état de conscience
libéré, la perspective révolutionnaire que je décris ne
pourra jamais émerger dans notre champ de cons-
cience. Tant que nous sommes aveuglément attachés
et inconsciemment asservis à toute idée qui exprime
les peurs et les désirs de l'ego individuel ou collectif,
qui est l'état d'esprit du monde où nous vivons, il sera
impossible de vivre une vie humaine véritablement
libérée.
Comme je l'ai dit, la plupart des gens essayent
seulement de s'insérer, de survivre du mieux qu'ils
peuvent. Nous ne savons pas quoi faire d'autre. Par-
fois, nous cherchons désespérément un moyen de
donner du sens et un but à notre vie. Mais où regar-
dons-nous ? Et à quelle profondeur nous questionnons-

LE STATU QUO NE PEUT PAS LE CONTENIR .A. 43


nous ? Habituellement nous ne visons pas très haut,
et nous ne nous questionnons pas très en profondeur,
de peur que le fondement même de notre vision du
monde, le sol même où nous nous tenons ne se dérobe
sous nos pieds - au cas où il nous arriverait de voir,
même fugitivement, au-delà de l'illusion de sécurité,
de stabilité et de permanence que l'ego s'efforce à
tout prix de créer constamment. Donc nous finissons
par faire plus ou moins comme tout le monde : par
croire, dans notre ignorance collective, que nous fai-
sons de notre mieux, et que la vie est assez difficile
comme ça sans avoir à assumer le fardeau de notre
propre libération potentielle (et, en fin de compte, de
celle de tous les autres).

Cette façon de se questionner avec passion me paraît très


inspirante, mais quand vous dites que le sol pourrait se
dérober sous mes pieds, c'est pour le moins inquiétant.
Ça paraît aller trop loin.

La vérité va trop loin - voilà toute la question.


La vérité qui libère va trop loin pour ce monde de
compromis et de superficialité. C'est ainsi. Il en a
toujours été ainsi et il en sera toujours ainsi. C'est ce
qui fait que l'expérience spirituelle directe est si puis-
sante. Elle a littéralement le pouvoir de détruire le
monde tel que nous le connaissons et de nous révéler
une vision complètement différente de la réalité.

44 ~ VIVRE L'ÉVEIL
Et à quoi ressemblera notre vie, alors ?
A quoi ressemblera notre vie ? Eh bien, elle aura .
l'air LIBRE - libre et dépouillée à un point qui cho-
quera et surprendra la plupart des gens. Notre ardeur,
notre joie, notre confiance dans la vie seront irrépres-
sibles, débordantes. Qui nous sommes, comment
nous sommes, et la vie que nous menons incarnera et
exprimera la vérité libératrice que nous avons décou-
verte dans l'expérience spirituelle. Nos cellules
mêmes clameront, hurleront cette vérité au monde
endormi qui nous entoure. Vous faites-vous une idée
de ce que je suggère ?

Oui, je commence à voir, et ça m'effraie !


Vous ne devriez pas être effrayé, vous devriez être
inspiré. Ce que je décris est le véritable accomplisse-
ment.
CHAPITRE 6
~

La révélation et l'Eveil

Andrew, pouvez-vous parler de votre propre réalisation


-comment c'est arrivé et à quoi a ressemblé le voyage ?

A l'âge de seize ans, j'ai eu une expérience de


conscience cosmique qui est survenue spontanément.
Je ne l'avais pas du tout cherchée, elle a surgi de
l'inconnu.]'étais en conversation avec quelqu'un tard
dans la soirée, et tout à coup, sans raison apparente,
les portes de la perception se sont ouvertes. En un
instant, toutes les frontières se sont volatilisées, on
aurait dit littéralement que les murs avaient disparu,
comme si je n'étais pas assis dans une pièce en com-
pagnie de quelqu'un, mais comme si j'étais suspendu
dans l'espace infini. Je voyais les murs et la pièce où
je me tenais, mais, intérieurement, mon expérience
était la disparition de toute frontière. J'existais en fait
dans l'espace infini et en tant que cet espace infini. Il
fut clair pour moi à ce moment qu'il n'existait qu'un
point unique dans l'espace et que, quelle que soit

LA RÉVÉLATION ET L'ÉVEIL .A. 47


notre localisation apparente à un moment donné,
nous serons toujours exactement au même endroit.
J'ai vu, d'une façon qu'il est difficile de mettre en
mots, que tout de la vie est Un- que l'univers entier
et tout ce qu'il contient, de visible et d'invisible, de
connu et d'inconnu, est une seule conscience, un seul
~tre glorieux, intelligent et conscient de lui-même.
Sa nature est Amour, mais un amour si envahissant
dans son intensité qu'en éprouver ne serait-ce qu'une
parcelle est presque insupportable pour le corps
humain. J'ai vu à ce moment qu'il n'existait rien de
tel que la mort, que la vie n'a ni début ni fin. J'étais
submergé et frappé de stupeur sacrée. Des larmes se
sont mises à couler sur mes joues. Pourtant, je ne
pleurais pas et, étrangement, ma gorge s'ouvrait et se
fermait d'elle-même. J'étais simplement assis là,
mais j'avais l'impression d'être à genoux. J'étais dans
un état d'émerveillement. Et puis quelque chose de
curieux est arrivé- je ne sais pas comment l'expli-
quer. Il y a eu un message pour moi qui a dit : « Si tu
me donnes ta vie, et à moi seul, tu n'auras rien à
craindre. » Et il était implicite que si je ne le faisais
pas, alors je souffrirais terriblement.

De quelle façon cette expérience a-t-elle changé votre


vie ?

48 A VIVRE L'ÉVEIL
Je n'avais aucune conviction particulière à cette
époque, ayant reçu une éducation athée, mais il est
évident que cette révélation inattendue a eu un grand
retentissement sur moi. Pendant ces brefs moments,
j'ai été en contact avec QUelque chose d'éminemment
réel. D'infiniment plus réel que tout ce que j'avais
jamais connu auparavant. En fait, en comparaison
avec cet événement, c'était comme si j'avais été mort
pendant toute ma vie. Durant ces brefs instants,
j'étais éveillé, j'étais véritablement vivant pour la
première fois. Cela, je l'ai su sans aucun doute.
Mais après cet événement, je n'ai pas su quoi en
faire. J'ai commencé à lire un peu, et je me rendais
compte que j'avais eu ce qu'on appelle une expérience
spirituelle, mais je ne savais pas comment répondre à
ce qui m'avait été révélé. J'étais jeune et j'avais dans
l'idée de devenir musicien, et je suis donc allé dans
cette direction. Mais après plusieurs années, ce qui
était arrivé a commencé à me hanter. Le souvenir de
cette expérience est revenu à la surface de ma cons-
cience. Je me suis senti appelé, j'avais le sentiment
qu'il y avait une demande à laquelle je devais répon-
dre. Et c'est finalement ce que j'ai décidé de faire.
J'ai renoncé à devenir musicien et je me suis voué
à retrouver ce qui m'avait touché si profondément. Je
me suis mis à diverses disciplines spirituelles.
Comme beaucoup d'autres, j'ai été très influencé par

LA R:éVÉLATION ET L ' ÉVEIL ... 49


l'Autobiographie d'un yogi, le livre de Paramahansa
Yogananda. Je me suis donc initié au Kriya yoga, la
forme de yoga kundalini dont il parlait avec tant de
passion. Grâce à la méditation du Kriya yoga, j'ai eu
des expériences puissantes d'énergie extraordinaire,
de lumière, de béatitude. Mon premier gourou était
un swami indien, maître dans ce système, et en même
temps j'étais élève d'un enseignant américain d'arts
martiaux. Quand je me mettais en rapport avec un
maître, j'étais entièrement engagé et je donnais tout
à ce que je faisais.
A cette époque, je vivais à New York. Je suis allé
écouter beaucoup d'enseignants divers. Tout m'inté-
ressait - je suis allé voir un maître zen, plusieurs
swamis, des lamas tibétains, un sheikh soufi, un rab-
bin, et même des guérisseurs chrétiens.

Parmi tous ces instructeurs, certains vous ont-ils parti-


culièrement influencé ?
Oui. J'ai entendu une conférence de Swami Chi-
dananda dans un centre de yoga de Long Island. Il
était président de la Divine Lift Society et disciple
dévoué du légendaire Swami Sivananda. Sa confé-
rence portait sur ce que c'est que vivre la vie spiri-
tuelle. A un moment, il a dit: «Quand quelqu'un
vous demande ce que vous faites, vous devriez
répondre : "JE MÉDITE !. .. et aussi, je vis." )) Ses

~0 À VIVRE L'ÉVEIL
déclarations nettes et fermes sur les véritables priori-
tés du chercheur ont eu un très grand impact sur moi.
En 1980, je suis allé voir Krishnamurti qui ensei-
gnait à Saanen, en Suisse. A ce stade de ma vie, je me
considérais comme étant sur le chemin de libération
du yoga; je croyais savoir où j'allais et comment j'y
parviendrais. Et puis on m'a dit qu'il y avait un
Bouddha vivant du nom de Krishnamurti qui allait
bientôt mourir, et que je devrais aller l'écouter.
Quand je suis arrivé à Saanen, je suis allé tout droit à
la tente où il enseignait - il y avait là environ deux
mille personnes. Je me souviens que j'ai été frappé
par sa beauté. Son genre de propos était: est-il possi-
ble que la pensée soit la source du mal? Je l'ai écouté
très attentivement mais je ne comprenais presque
rien à ce qu'il disait. A cette époque je n'avais pas les
connaissances ou l'expérience qui m'auraient permis
de comprendre de quoi il parlait. Aussi, à chaque fois
que mon esprit vagabondait, je me contentais de
reporter mon attention sur le son de sa voix, car
j'avais décidé d'être le plus attentif possible à cet
homme.
Après la conférence, je suis revenu à ma chambre
d'hôtel et me suis allongé. Quand je me suis relevé,
j'ai remarqué qu'il y avait quelque chose de
différent; quelque chose avait changé. Soudain, j'ai
réalisé que je n'étais plus si certain de ma destination

LA RÉVÉLATION ET L'ÉVEIL .t. 51


et de la façon d'y parvenir. D'une façon indéniable et
pourtant mystérieuse, quelque chose de très impor-
tant s'était passé pendant que j'écoutais parler ce
grand homme. D'une façon ou d'une autre, il m'avait
donné la libené de me questionner comme je ne
l'avais jamais fait. J'étais très excité de faire l'expé-
rience de cet espace inattendu qui s'ouvrait soudain
dans mon esprit. Je ne me disais pas que je m'étais
trompé de chemin mais désormais il y avait place
pour une véritable interrogation, un espace d'investi-
gation qui n'était pas là auparavant.

Vous êtes-vous remis à d'autres pratiques spirituelles?


Oui. A un moment donné, j'ai participé à des sta-
ges de méditation bouddhique, sunout parce que,
dans ce contexte de retraite, je pouvais méditer jour
et nuit si je le voulais, pendant plusieurs semaines
d'affilée. La paix profonde, la clané intense qui résul-
taient de ces pratiques spirituelles prolongées m'ins-
piraient grandement, et l'enseignement bouddhique
m'apprenait beaucoup sur le fonctionnement mental.
A vingt-sept ans, je suis allé en Inde. A la minute
où je suis arrivé, j'ai ressenti une liberté bien plus
grande de m'adonner à mon désir lancinant de libé-
ration. En vivant en Amérique, je m'étais toujours
senti inhibé d'une façon ou d'une autre, parce que si
peu de gens semblaient partager, ou même compren-

52 À VIVRE L'ÉVEIL
dre, l'intensité de ma passion. En Inde, j'ai trouvé la
confiance de m'abandonner complètement au désir de
devenir un être humain libéré. J'y ai passé deux ans
et demi, à méditer et étudier le yoga. J'y ai aussi ren-
contré ma femme, qui est indienne.

je sais que vous avez rencontré votre dernier instructeur


en Inde. Comment a eu lieu cette rencontre?
Un ami m'a informé qu'il y avait un maître spiri-
tuel encore en vie qui était un disciple direct de
Ramana Maharshi. Il m'a dit qu'il s'appelait H. W
L. Poonja, qu'il vivait en famille et ressemblait beau-
coup au grand maître de l'Advaita Vedanta, Nisarga-
datta Maharaj, qui était mort récemment. Poonjaji
était tout à fait inconnu à l'époque où je suis allé le
voir. Je ne m'attendais pas à grand-chose parce que à
ce stade j'avais été déçu par tous mes maîtres, d'une
façon ou d'une autre. Je voulais être «une lumière
pour moi-même», être dégagé du fardeau de comp-
ter sur quelqu'un d'autre.
Mon intention était de passer seulement trois
jours chez Poonjaji. Quand je lui ai dit que je ne
m'attendais à rien, il m'a répondu « C'est très
bien ! » Le jour suivant, je l'ai questionné sur les
efforts à faire sur le chemin spirituel, et il m'a
répondu : « Il n'y a aucun effort à faire pour être libre. »
Quelque chose est arrivé à ce moment-là. Pendant

LA RÉVÉLATION ET L'ÉVEIL A 53
une fraction de seconde, il m'est devenu évident que
je n'avais jamais été non libre. Je l'ai vu ; je l'ai su. Et
puis c'est parti. Il a souri parce qu'il savait ce qui était
arrivé.
Quelques jours plus tard, je lui ai décrit, comme
je l'avais fait avec tous mes maîtres spirituels, l'expé-
rience de conscience cosmique que j'avais eue à seize
ans. A ma surprise, il a dit : « A ce moment-là, vous
saviez tout. » Alors un puissant élan de confiance en ce
qui était déjà arrivé s'est emparé de moi. C'était
miraculeux. Quelque chose a lâché, s'est libéré. Et j'ai
su que ma recherche avait pris fin.
Pendant les trois semaines suivantes, j'ai vécu une
explosion intérieure. J'ai été envahi d'une énergie
faramineuse, ressentie comme une félicité débor-
dante, au point qu'il me semblait que mon corps ne
pourrait le supporter. J'avais l'impression que j'allais
être pulvérisé. Lentement mais sûrement, une pré-
sence puissante consumait tout mon être, et par
moments j'ai eu peur. Jour après jour, j'ai été littéra-
lement submergé par cette énergie consciente. Puis,
tôt un matin dans une chambre de Delhi, je me suis
assis sur mon lit et j'ai entendu ces mots sortir de ma
bouche:« Je Te remets ma vie, fais de moi ce que Tu
voudras.»
Ensuite, je ne pouvais plus me contenir. Quand je
rencontrais mes amis, je leur parlais de ce qui était

:54 .6. VIVRE L'ÉVEIL


arrivé, de la gloire de la libération ici et maintenant.
Et pendant que je leur parlais, sous mes yeux, ils
plongeaient dans un état de méditation et décou-
vraient le même état de félicité que le mien. Ils recon-
naissaient dans leur propre expérience, leur cœur et
leur esprit, exactement ce que je décrivais, pendant
que je le décrivais. C'était littéralement comme si
j'étais en feu et que toute personne qui s'approchait
assez de moi prenait feu elle aussi.
Quand je suis revenu voir Poonjaji, il a dit : «Je
savais que cela allait arriver - tu es celui que j'ai
attendu toute ma vie. Maintenant que je t'ai rencon-
tré, je peux mourir. »C'était comme un conte de fée
spirituel. Il a aussi exprimé clairement qu'il voulait
que je sois indépendant, que je ne me repose sur lui
en aucune façon, car il sentait- c'est en tout cas ce
qu'il affirmait alors- que son travail était achevé.
Je suis allé dans le nord et suis resté à Rishikesh,
une ville sainte de pèlerinage située sur le Gange,
avec mes anciens et mes nouveaux amis. Nous avons
passé des jours et des nuits immergés dans la béati-
tude de la découverte du Soi, dans l'extase intime-
ment partagée de savoir qu'il n'y a qu'un seul Soi.
C'est alors que mon enseignement a commencé.
Bientôt, j'ai été invité en Angleterre et beaucoup de
gens ont commencé à se réunir autour de moi. C'était
en 1986.
CHAPITRE 7

Ne projeter aucune ombre

Dans votre autobiographie, vous décrivez comment vous


avez fini par vous séparer de votre dernier maître spiri-
tuel. Il semble que ce qui avait commencécomme un conte
de fées se soit plutôt mal terminé.
C'est vrai. Le conte de fées a tourné au cauchemar
quand il s'est avéré que mon maître avait plus d'un
visage. L'épreuve torturante que j'ai traversée à
essayer de mettre au jour la grave fracture de sa per-
sonnalité a joué une grande part dans ma décision de
ne pas m'arrêter dans mon questionnement sur
l'Éveil, mon désir de comprendre son sens en profon-
deur. Son exemple et celui de nombreux autres maî-
tres spirituels au cours des années passées m'ont dou-
loureusement démontré qu'un être humain pouvait
aller très loin, devenir quelqu'un de véritablement
éveillé, capable de transmettre à d'autres la puissance
et la gloire de cette réalisation miraculeuse - et
pounant se permettre des comportements nettement

NE PROJETER AUCUNE OMBRE .a. '57


opposés à l'amour absolu que révèle cette expérience
du Vrai Soi.
Au fil du temps, j'en suis venu à comprendre que,
pour que la transformation spirituelle soit radicale et
complète, et non pas mitigée ou partielle, deux choses
doivent se produire. La première est l'expérience
envahissante de la grâce et la gloire de la dimension
absolue de la vie. La deuxième est la purification du
véhicule - la purification des mobiles fondamen-
taux, conscients et inconscients, qui dirigent la per-
sonnalité. C'est seulement alors que nous serons vrai-
ment aptes à représenter la gloire de Dieu sans en
vouloir la moindre parcelle pour notre bénéfice per-
sonnel.

Vous semblez dire qu'il existe des individus éveillés dans


un certain sens, mais qui, à cause de mobiles impurs,
n'expriment pas une réalisation complète. Vous dites
qu'il faut être éveillé sous les deux aspects ...
. . . pour être le produit fini, oui. Ce qui veut dire
être entier. En effet, à moins que la racine de la divi-
sion fondamentale de la personnalité ne soit brûlée
par la lumière aveuglante de l'amour absolu, ou bien
que l'on ne renonce délibérément à cette division par
un abandon conscient, la présence de cette conscience
éveillée elle-même peut être utilisée comme prétexte
pour ne pas être un exemple vivant de cette intégrité

58 .6. VIVRE L'ÉVEIL


et complétude dont nous parlons. Aussi étonnant que
ce soit, il n'est pas rare, chez ceux qui font l'expé-
rience de la conscience éveillée, de conclure que
désormais, parce qu'ils sont libres, ce qu'ils font n'a
pas d'importance. Certains vont jusqu'à dire: «Ce
que la personnalité dit ou ce que le corps fait ne
compte absolument pas car tout cela n'est qu'une
illusion de toute façon. la seule chose qui soit réelle
est le Soi absolu. »
Il a toujours été évident pour moi depuis le début
de ma quête que la portée immense de la dimension
spirituelle de la vie ne peut apparaître qu'à partir
d'une transformation humaine profonde et indénia-
ble. Cette réalité non née, non vue, doit devenir
manifeste en tant que vous et moi, de façon à ce que
ce monde où nous vivons en soit littéralement trans-
formé. Et le seul moyen pour qu'il en soit ainsi est
que vous et moi devenions une expression vivante de
ce mystère et cette gloire, ce Un sans second, dans ce
monde. «Un sans second» veut dire non divisé.
Lorsqu'il y a seulement Un sans second, alors une
seule chose s'exprime, et c'est l'Amour.
Le but est d'en arriver au point où la personnalité
exprime naturellement et spontanément la cons-
tance parfaite et sans faille d'une motivation pure.
Cela veut dire que rien n'est caché, qu'il n'y a pas de
jardin secret, et que rien n'est personnel. Il n'y a

NE PROJETER AUCUNE OMBRE A ~9


qu'un seul Soi, et dans ce Soi unique tout est connu
et tout est vu.

Pensez-vous que la purification de la personnalité, du


véhicule, soit un processus qui ait une fin ?
Eh bien, il est parfaitement possible qu'un être
humain en vienne à être si parfaitement aligné à la
dimension spirituelle de la vie qu'il n'ait plus besoin
de faire de grands efforts pour ne pas maculer le reflet
de cette dimension dans le monde. Mais c'est très
rare. Vous savez, en fin de compte, je pense que qua-
tre-vingt-dix pour cent de la pratique spirituelle con-
cernent la purification de nos motivations dans notre
rapport à l'expérience humaine. Cela implique de
faire le noble effort d'admettre, er d'en finir avec, la
nature destructrice de notre mesquin souci de nous-
mêmes, à la lumière de notre véritable identité qui
est l'Un sans second. Nous devons regarder en face
tout notre orgueil, toute l'agressivité qui sous-tend
notre besoin d'être quelqu'un de spécial, voir quelle
force de division représente notre désir de nous voir
constamment comme quelqu'un d'unique. Lorsque
s'est éveillé notre intérêt pour une transformation
humaine radicale, nous commençons à nous prendre
en charge pour le bien de tous les autres. Nous faisons
tout ce qu'il faut pour parvenir à la reconnaissance
finale de nos motifs les plus sombres, de façon à ne

6o .6. VIVRE L'ÉVEIL


plus jamais rien faire dans ce monde qui trahisse
notre intérêt passionné pour l'intégrité.
Voyez-vous, si nous en arrivons là, la conscience
éveillée en nous ne sera plus en danger car nous ne
ferons rien qui puisse entacher le reflet de sa nature
intrinsèquement parfaite dans le cœur et l'esprit
d'une humanité déjà affligée de cynisme. Voilà ce
qu'est un véhicule bon pour le service.

Est-ce dire qu'il y a différents degrés d'Éveil?


Il y a bien des façons de répondre à cette question.
Une façon est de dire qu'il n'y a pas de degrés dans
l'Éveil- il y a seulement des degrés de non-Éveil. De
ce point de vue, la mesure de la perte de l'ignorance
sera la mesure de l'Éveil. Mais quand aucune igno-
rance ne subsiste (si une telle chose est possible !),
alors nous pouvons dire que cette personne est plei-
nement éveillée. On peut donc en apparence voir des
degrés dans l'Éveil, mais ce n'est pas la réalité.
Il y a une métaphore pour décrire cette perspec-
tive. Imaginez un soleil radieux, il brille sans fin, il
répand toujours la même lumière immaculée, qui
n'est jamais assombrie par quoi que ce soit. Puis ima-
ginez un miroir dont la surface est couverte de boue
séchée. Ce miroir ne peut réfléchir la lumière du
soleil parce que sa surface est totalement obscurcie.
On ne peut y voir que de la boue. Puis quelque chose

NE PROJETER AUCUNE OMBRE A 61


de miraculeux se produit. Un éclair fulgurant frappe
la surface du miroir, et un petit morceau de la boue
sèche se détache. Soudain ce miroir renvoie un reflet
étincelant de la radieuse lumière du soleil. Voyant
cette lumière, vous la reconnaissez instantanément
comme étant celle de votre propre Soi. Puis vous
trouvez un autre miroir couvert de boue, mais celui-
là a été frappé par deux éclairs de foudre, de sorte
qu'un tiers de sa surface est découvert. Maintenant
vous dites : « Oh, mon Dieu ! Cette lumière est tel-
lement plus brillante ! » Puis vous tombez sur un
troisième miroir qui a été frappé par trois coups de
foudre, révélant les deux tiers de sa surface. Cette par-
tie de surface renvoie un reflet si éclatant de la
lumière solaire que vos yeux peuvent à peine en sup-
porter l'intensité. Ensuite, vous trouvez un miroir
qui a été frappé par tellement de coups de foudre que
toute la boue s'est détachée de sa surface hormis quel-
ques grains de poussière. Le reflet du soleil dans ce
miroir est bien plus lumineux que dans tous les
autres, mais ces grains de poussière font persister un
peu d'ombre. Et puis enfin vous découvrez un miroir
sur lequel ne subsiste pas même une trace de pous-
sière. Dans celui-là on ne voit que le reflet parfaite-
ment pur et sans aucune tache de la radieuse lumière
du soleil.

62 A VIVRE L'ÉVEIL
L'important ici est que la lumière qui éclaire cha-
cun de ces miroirs est toujours exactement la même.
Mais la pureté finale a été atteinte seulement lorsqu'il
ne reste pas un seul grain de poussière pour obscurcir
son reflet.
CHAPITRE 8

Le défi ultime

j'ai une question qui se rapporte à ce que nous avons


évoqué à propos de la pureté des enseignants spirituels,
et aussi aux épreuves que vous avez vous-même rencon-
trées et décrites. Ma question est celle-ci : comment pou-
vons-nous savoir si quelqu'un est pleinement éveillé, ou,
pour reprendre la métaphore que vous avez utilisée, com-
ment pouvons-nous savoir quand le miroir est parfaite-
ment propre ?
Eh bien, si nous voulons vraiment connaître la
vérité concernant les autres, il nous faut regarder très
profondément en nous-mêmes. Cela veut dire que
nous devons examiner nos propres motifs avec une
intégrité impitoyable, et faire l'effort honnête de
découvrir sur quoi se base vraiment notre rapport à la
vie. Parce qu'au bout du compte notre aptitude à
déterminer chez un autre la pureté de motivation et
la profondeur de compréhension spirituelle dépend
de la pureté de nos propres motifs et de la profondeur
de notre propre compréhension.

LE DÉFI ULTIME à 6~
Pourquoi?
Parce que, pour résumer simplement, l'évolution
spirituelle est un mouvement qui va d'un état de
conscience grossier à des états de plus en plus subtils
et raffinés. Et le grossier ne peut percevoir le subtil.
Cela veut dire que nous pourrions nous trouver en
présence d'un individu qui est ancré dans un état de
conscience infiniment plus raffiné que le nôtre, mais
que nous ne serions pas capables de reconnaître cet
état à partir de celui dans lequel nous sommes nous-
mêmes plongés.
Si nous voulons vraiment connaître la vérité sur
l'Éveil, et savoir où se situent ceux qui revendiquent
d'être illuminés, nous devons trouver la force de
caractère d'examiner constamment notre propre
expérience à la lumière de leur exemple vivant. Et
aussi, nous devons passer autant de temps que possi-
ble en compagnie de ceux qui semblent demeurer dans
cette condition. Si nous voulons bien agir ainsi, la
réponse à l'importante question que vous avez soule-
vée se fera jour, peut-être lentement mais sûrement.
Oui, seulement - et là est le défi majeur dans cette
recherche - vous devez être prêt pour la réponse.

Qu'est-ce que cela veut dire?

66 .6. VIVRE L'ÉVEIL


Cela veut dire que, d'une façon ou d'une autre, ce
sera probablement trop pour vous.

Pourquoi dites-vous ça?


Eh bien, si vous découvrez que l'enseignant est
authentique, l'affaire devient extrêmement embar-
rassante. Car qu'allez-vous faire maintenant? Serez-
vous capable d'assumer le fait qu'une conscience illu-
minée, vêtue de chair et d'os, vous regarde en face en
vous invitant à vous perdre pour toujours dans sa
majesté? Aurez-vous le courage d'abandonner les
peurs et les désirs de votre ego à la lumière de la
gloire éblouissante que vous fait voir le maître
spirituel?
Ou bien, si vous découvrez, pour une raison ou
une autre, que l'enseignant n'est pas authentique,
qu'il y a de l'impureté en lui, qu'allez-vous faire
alors ? Allez-vous vous servir de son imperfection
comme prétexte pour éviter de faire face aux motifs
impurs qui sont encore très actifs en vous-même ?
Votre ego retors va-t-il se servir de l'échec des faux
maîtres pour tourner le dos à l'appel de votre Soi
authentique et fuir dans le cynisme ?

Je ne suis pas sûr de bien comprendre ce que vous voulez


dire.

LE DÉFI ULTIME .6. 67


Je veux dire que, quelle que soit la situation de
l'enseignant, c'est toujours à vous en fin de compte de
décider de ne pas compromettre votre plus haut
potentiel.

Cela veut-il dire que là où en est l'enseignant n'a pas


d'importance? Que le résultat dépend entièrement de
nous?
Là où en est l'enseignant est important, bien sûr,
et le résultat dépend aussi complètement de vous.
Toute cette affaire est plus compliquée qu'il n'y
paraît. Vous voyez, tous les chercheurs ne cherchent
pas la même chose. Au nom de «la liberté», de
« l'Éveil »ou de « l'illumination »,ce que beaucoup
recherchent n'est pas le défi d'une transformation
véritablement radicale, mais une échappatoire facile
au tumulte et à la complexité de la vie. Ils cherchent
une personne puissante et charismatique pour les
sauver, les soulager du fardeau de l'existence. En
aucun cas ceux-là ne recherchent quelqu'un qui les
confrontera sans relâche au défi suprême, sans les lais-
ser jamais faire de compromis avec leur potentiel le
plus élevé. Ils ne recherchent pas quelqu'un qui va
tuer leur ego ! Pourtant, la mort de l'ego est le seul
prix que l'on puisse remporter sur le chemin spiri-
tuel, et sa poursuite n'a rien d'un jeu. C'est en fait la
tâche la plus exigeante qu'un être humain puisse se

68 .._ VIVRE L'ÉVEIL


donner. Vous savez, beaucoup de gens disent qu'ils
veulent être libres, mais quand ils commencent à se
rendre compte de ce que cela implique, ils ont vite
fait de changer d'avis, en s'exclamant : « Oh, mais je
ne savais pas que c'était si grand que ça ! » Comme
l'a dit le grand]. Krisnamurti, « Si vous saviez ce que
c'est, vous n'y toucheriez pas avec des pincettes de
plusieurs mètres ! »

j'avoue que l'idée de la mort de l'ego ne m'attire pas


follement.
C'est bien ce que je veux dire. La plupart des
gens, quand ils découvrent de quoi il s'agit, s'aperçoi-
vent à leur grande surprise que ça ne les intéresse pas.
Et c'est la partie la plus éprouvante de la tâche que je
m'efforce moi-même d'accomplir: le fait que, telle-
ment souvent, ceux qui se considèrent comme des
chercheurs sincères, lorsqu'ils sont mis devant l'exi-
gence d'embrasser de tout leur cœur un rapport
absolu à la vie ici et maintenant - ce qui veut dire
d'arrêter de jouer, de faire semblant, et d'abandonner
réellement le programme de l'ego - là, ils trouvent
que c'est trop pour eux.

En tant qu'enseignant, cela doit vous mettre dans une


position difficile.

LE DÉFI ULTIME A 69
Oui, c'est un grand défi. Mais le pouvoir de cet
enseignement réside justement dans le fait que
j'appelle les gens à aller jusqu'au bout, à se hisser à la
hauteur de leur plus haut potentiel pour le bien de
quelque chose de beaucoup plus grand qu'eux-
mêmes. Et comme j'ai dit, la plupart des gens neveu-
lent pas aller aussi loin. Mais je n'ai pas le choix.
Voyez-vous, pour qu'un enseignant spirituel arrive à
déclencher une transformation radicale dans la vie de
beaucoup d'autres personnes, il ou elle doit avoir de
l'audace, doit avoir du courage, il ou elle doit être
assez téméraire pour poursuivre l'expérience spiri-
tuelle jusqu'au point ultime. Parce que rien ne chan-
gera jamais vraiment dans ce monde dormant, perpé-
tuellement séduit et intoxiqué par les peurs et les
désirs de l'ego, à moins que quelqu'un ne prenne sur
lui de dire : « Oui, je suis CELA et j'accepte d'en être
responsable. » Et lorsque quelqu'un accepte effective-
ment cette responsabilité, il ou elle devient un idéa-
liste, un idéaliste passionné, et tout son être entraîne
de force la confrontation avec l'ego, individuel et col-
lectif. Si un enseignant spirituel incarne vraiment ce
genre d'inspiration, sans que son ego usurpe la nature
inconcevablement sacrée d'une telle mission, il ou
elle devient alors une puissante manifestation de la
conscience éveillée déchaînée dans ce monde. En tant
qu'âme soumise, sa seule obligation est d'inviter sans

70 .A. VIVRE L'ÉVEIL


relâche, contre vents et marées, tous ceux qui ont des
yeux pour voir et des oreilles pour entendre à se don-
ner inconditionnellement à l'appel de leur propre
cœur spirituel. Pourquoi ? Pour le bien de tous, pour
qu'une vraie transformation révolutionnaire puisse
avoir lieu ici et maintenant dans ce monde.
CHAPITRE 9

Ligne droite vers l'absolu

Vous avez clairement fait comprendre que le chemin vers


la liberté est périlleux et que la plupart des gens ne sont
pas prêts à aller jusqu'au bout. En ce cas, comment puis-
je trouver assez de foi en moi-même pour réussir là où
tant d'autres ont échoué?
En fin de compte, les gens « échouent » unique-
ment à cause du doute ou bien parce qu'ils ne veulent
pas suffisamment la libération. Dans mon cas, je
n'avais aucun doute qu'il soit possible d'être libre
parce que j'avais eu une expérience très profonde, et
j'étais convaincu que tôt ou tard j'allais retrouver
cette expérience. Et lorsque je suis arrivé à la conclu-
sion que la vérité libératrice que j'avais aperçue dans
cette expérience était plus importante que tout -
que la vie même n'aurait aucun sens sans cette vérité
-alors l'inspiration pour prendre de grands risques
et faire tout ce qui était nécessaire pour réussir n'a
jamais été très loin de moi.

LIGNE DROITE VERS L'ABSOLU .6. 73


C'est pour cette raison que le fondement de mon
enseignement est ce que j'appelle « la clarté
d'intention~~. La clarté d'intention est l'engagement
irrévocable, inébranlable, par-dessus toute chose,
d'atteindre la liberté spirituelle en cette vie, ici et
maintenant. Être clair dans l'intention d'être libre
veut dire être prêt à faire tout ce qu'il faut pour y
arriver.

Et prendre cet engagement, qu'est-ce que cela veut dire ?

Prendre cet engagement veut dire que nous nous


préoccupons de ce qui est le plus important. Cela
veut dire que nous avons pris conscience du fait qu'il
sera impossible de mener une vie humaine qui ait
vraiment du sens si nous ne trouvons pas un moyen
de nous libérer réellement de l'ignorance. Cela veut
dire que nous nous sommes regardés franchement et
avons découvert à quel point nous sommes un être
divisé. Et nous avons compris que tant que nous res-
terons divisés de cette manière, notre relation avec le
monde qui nous entoure sera inévitablement
l'expression de cette division. Vous voyez, dans la
perspective de l'Éveil, c'est-à-dire de l'intégrité par-
faite, la division fondamentale du moi est vue
comme la cause première de tout conflit. C'est pour-
quoi la décision irrévocable, inébranlable, de se libé-

74 A VIVRE L'ÉVEIL
rer de cette division est le fondement même de la vie
spirituelle.

« Irrévocable » est un mot très fort.

Cela ne peut marcher que de cette façon.

Pourquoi?

Parce que c'est le caractère irrévocable et sans par-


tage de l'engagement à être libre qui aligne, littéra-
lement, le moi conçu comme séparé sur ce qui est
absolu. Vous pouvez en faire l'expérience vous-même
si vous regardez directement ce que cela voudrait dire
d'être totalement libre ici et maintenant. Pour ce
faire, vous devez oser, ne serait-ce qu'un instant, lais-
ser aller tout. Ce qui veut dire simplement d'abandon-
ner toute possibilité, dans votre expérience immé-
diate, qui ne soit pas la liberté totale, sans aucune
condition. Si vous y parvenez, la présence vivante de
l'unicité absolue commencera à émerger dans votre
conscience, et l'ego, ou la notion d'un moi séparé,
reculera de terreur. « Oh, mon Dieu ! dira-t-il. C'est
beaucoup trop ! » Car en présence de cela qui est
absolu, il n'y a aucun espace de manœuvre pour un
moi divisé. Et si vous voulez être libre plus que toute
autre chose, c'est cela le but.

LIGNE DROITE VERS L'ABSOLU .6. 7'J


Je commence à le sentir quand vous en parlez.
Par la contemplation déterminée de l'engage-
ment inébranlable à être libre ici et maintenant,
quelque chose de puissant et de profondément mys-
térieux a lieu : nous trouvons l'accès direct à ce qui
est absolu- presque instantanément. Donc, si nous
pensons vouloir être libres, nous devons considérer
cette question avec la plus grande sincérité, comme si
notre vie en dépendait: qu'est-ce que cela voudrait
dire pour moi, quelle que soit mon idée de qui je suis,
de vouloir être libre plus que toute autre chose à l'instant
même, et pour toujours? Par le fait même qu'on se
pose cette unique question, le monde entier et tout ce
qu'il contient commence à s'éloigner à l'arrière-plan.
Et quelque chose de mystérieux commence à se pro-
duire. C'est aussi puissant que ça. Moi aussi, je le sens
pendant que j'en parle. Par le simple fait de contem-
pler l'engagement ferme d'être totalement libre, le
monde entier disparaît, et tout ce que je vois est une
ligne droite - une ligne droite vers l'Absolu. C'est
alors que nous découvrons à quel point ce genre de
questionnement est profond, parce que c'est une
ligne qui nous emmène jusque-là, en cet instant mime.

Il est donc possible pour/a plupart d'entre nous d'être


libres?

76 â VIVRE L'ÉVEIL
Bien sûr que c'est possible. C'est simplement que
la plupart d'entre nous ne sommes pas arrivés à ce
point de notre évolution où nous désirons aller si
haut. La façon dont ça fonctionne, c'est que, tant que
nous sommes profondément investis dans l'ego, nous
avons besoin d'éviter à tout prix cette résolution iné-
branlable d'être libres dont nous avons parlé.
Pourquoi? Parce que l'engagement d'être libre veut
dire que nous n'aurons à tout jamais qu'un seul et
unique choix. Et l'espace infini révélé par ce choix
unique est un lieu suffocant pour l'ego séparé car il se
trouve soudain privé du monde entier créé par ses
peurs et désirs sans fin. C'est pourquoi nous ne vou-
drons jamais être libres plus que toute autre chose tant
que nous n'aurons pas atteint ce point de notre évo-
lution où nous sommes finalement prêts à abandon-
ner le multiple pour l'Unique.

C'est beaucoup demander 1


Je sais. Mais la simple vérité est que si vous vou-
lez être véritablement libre en cette vie, rien moins
que tout ne peut être assez. La liberté vraie est un
enjeu de tout-ou-rien. C'est ainsi- c'est une loi spi-
rituelle. Mais la bonne nouvelle, c'est que si vous êtes
prêt à payer le prix, cela arrivera. Rien ne pourra
l'empêcher.
CHAPITRE I 0

La grâce ne suffit pas

Andrew, vous avez parlé avec passion de la puissance de


l'intention d'être libre, mais n'y a-t-il pas un autre
aspect important dans tout ceci, qui n'a rien à voir avec
le choix, ce que certains nomment « la grâce » ?

Si. La grâce est l'expérience spontanée d'une pré-


sence profonde, en laquelle il n'y a pas de temps mais
la conscience de l'éternité, qui est vide de tout
« moi » et remplie d'extase. Une telle expérience est
très importante. Mais si nous voulons véritablement
être libres, l'expérience de la grâce, en général, ne suf-
fit pas. Au fil des années où j'ai enseigné, j'ai vu des
personnes si submergées par la descente de la grâce
qu'elles pouvaient à peine contenir l'intensité de leur
joie et de leur émerveillement, et pourtant, en fin de
compte, ce n'était pas encore suffisant pour les libé-
rer. La simple vérité est que l'extase et la joie, l'émer-
veillement, l'emprise du sacré ne suffisent pas en eux-
mêmes à libérer la plupart des individus de leur

LA GRÂCE NE SUFFIT PAS .A. 79


esprit profondément conditionné - hormis de rares
cas. En effet, l'expérience consciente de la présence
divine, en général, ne nous accorde qu'un répit tempo-
raire au milieu des besoins et préoccupations sans fin
de l'ego, malgré toute l'inspiration que l'on peut reti-
rer de ces états de grâce.

Si l'état de grâce n'est généralement qu'un phénomène


temporaire, que pouvons-nous faire pour le rendre plus
permanent?

C'est simple. Idéalement, lorsque la miraculeuse


présence de la grâce émerge du dedans et du dehors
-nous transporte, nous submerge d'extase et d'une
complète confiance en notre véritable nature-, alors
nous nous abandonnons totalement sur-le-champ -
pendant que nous avons assez de conviction pour le
faire. C'est le moment de renoncer une fois pour tou-
tes à toutes les peurs et tous les désirs mesquins de
l'ego-sans plus jamais regarder en arrière. Mais j'ai
dit « idéalement » car dans le monde réel la plupart
d'entre nous ne sommes tout simplement pas prêts à
l'abandon inconditionnel, même dans un pareil
moment. En conséquence, pour être sûrs de parvenir
à ce but de toute importance, il nous faut devenir si
convaincus de notre intention que la réussite ou
l'échec ne pourra plus dépendre de la qualité ou du
contenu de notre expérience. Cela veut dire simple-

8o ~ VIVRE L'ÉVEIL
ment que nous arrêtions d'attendre que quoi que ce
soit change avant d'être enfin prêts à lâcher prise.
Vous voyez, il y a bien des choses sur lesquelles nous
n'avons pas de contrôle, et la grâce est l'une d'elles.
Et puisqu'il n'y a rien que nous puissions y faire, ce
n'est pas la peine de s'en préoccuper. Si la grâce des-
cend sur nous, fort bien. Si la grâce ne descend pas sur
nous, tant pis. Mais nous n'avons pas besoin d'en faire
dépendre notre libération. Ce qui nous incombe, c'est
d'accepter de faire tout ce qui est en notre pouvoir
pour être libre immédiatement, sans nous retenir
aussi peu que ce soit. Alors nous saurons ce que cela
veut dire que d'aller jusqu'au bout, et nous n'aurons
pas besoin d'attendre la visite de la grâce ou quoi que
ce soit d'autre. Bien sûr, si cette grâce vient, nous
serons prêts. Mais sinon, nous ne serons pas en
attente.
L'important, si nous voulons véritablement être
libres ici et maintenant, est d'accepter de détruire le
«en attendant», l'intervalle de l'attente. L'intervalle
de l'attente est cette éternité entre maintenant et plus
tard - ce moment toujours futur où nous pensons
que nous serons pleinement prêts à nous abandonner
inconditionnellement, enfin prêts à déclarer: «Que
Ta volonté soit faite, et non la mienne. » Si nous som-
mes sérieux, l'intervalle de l'attente est le lieu le plus
dangereux où demeurer, car n'importe quoi, littérale-

LA GRÂCE NE SUFFIT PAS .A. Sr


ment, peut y arriver, y compris toutes sortes de mau-
vais choix. Si nous nous permettons de nous attarder
là à attendre la grâce, il y a de fortes chances pour que
nous mourions là, dans ce « en attendant », sans avoir
abouti. Nous saurons que nous commençons à nous
éveiller pour de bon quand nous reconnaîtrons qu'il
n'y a absolument rien à attendre.
CHAPITRE II

Simples mortels

Vous donnez une extrême importance au rôle du choix


sur le chemin de la liberté. Qu'en est-il de ces moments
où nous ne choisissons pas consciemment ? Il y a des
périodes où je ressens que ma vie est guidée, où je n'ai pas
vraiment l'impression que c'est moi qui fais les choix.

Mais ce ne peut être complètement vrai. Même si


vous dites que vous êtes guidé d'une façon ou d'une
autre - et ce peut être vraiment le cas - c'est tout
de même vous qui faites le choix de permettre qu'une
telle chose arrive. Tant qu'il y a un être humain qui
marche et qui parle, il y a toujours quelqu'un qui est
en train de faire des choix. Peu importe qui est cette
personne et dans quelle mesure elle est guidée. Même
quand un individu est libéré de ses motifs mesquins
et égoïstes, même quand ses choix sont l'expression
d'un cœur et d'un esprit libérés, il y a toujours un
moi individuel, aussi transparent soit-il devenu, qui
est là, qui a des préférences et qui continuera à faire

SIMPLES MORTELS ... 83


des choix jusqu'à ce que son corps tombe mort. Et
c'est justement cette partie de nous-mêmes, celle qui
fait tous les choix, dont nous devons assumer la res-
ponsabilité, c'est cette partie que nous devons libérer
de l'ego- si nous voulons être libres.

je trouve paradoxal, quand vous parlez de liberté, que


vous parliez de responsabilité en même temps.
C'est pourtant un point essentiel de la liberté spi-
rituelle, à souligner particulièrement de nos jours.
Car en fin de compte notre liberté ne tient pas au fait
de nous sentir libres ou pas, ou bien « guidés » ou non
- elle tient à ce que nous choisissons de faire. Et,
comme je l'ai déjà dit, si les gens réagissent avec
cynisme au concept d'Éveil, c'est parce que beaucoup
trop de ceux qui s'en sont réclamés ont apparemment
refusé de prendre la responsabilité qui va avec.

N'est-il pas difficile d'assumer ce genre de


responsabilité ? Car beaucoup de gens cherchent un
exemple chez ceux qui parlent au nom de l'Éveil. Res-
sentez-vous le fardeau de devoir apparaître « parfait »
aux yeux de ceux qui croient en vous ?
Quelle question ! Eh bien, honnêtement, non.
Je n'ai jamais ressenti le fardeau de devoir paraître
d'une façon particulière aux yeux des autres. En
revanche, ce qui est un fardeau pour moi est le peu

84 À VIVRE L'ÉVEIL
d'enthousiasme des autres pour rejoindre l'idéal
qu'ils affirment admirer en moi.

N'est-ce pas attendre beaucoup des gens ?


C'est mon boulot d'attendre beaucoup des gens,
d'attendre d'eux beaucoup plus qu'ils n'en attendent
eux-mêmes!

Mais nous ne sommes que des êtres humains, non ? Je


veux dire, tant que nous ne sommes pas illuminés, il y
a une limite à ce que nous sommes capables de faire, nous
simples mortels.
Simples mortels? Je suis un mortel tout comme
vous. Ne me mettez pas à distance, ne me rendez pas
inaccessible. Je suis un être humain fait de chair et de
sang exactement comme vous. Tout ce dont je parle,
n'importe qui peut le réaliser, à condition de prendre
cela suffisamment au sérieux. Il est bien trop facile de
dire : « Ce n'est pas possible pour moi, mais vous,
vous pouvez le faire parce que vous êtes quelqu'un de
spécial. » Ça, c'est une bonne façon de se défiler. La
position « je sais déjà que ce n'est pas possible » est
le cynisme même. Et le cynisme n'est rien d'autre que
de l'orgueil. Ce n'est que l'ego. Si vous voulez vrai-
ment être libre, c'est la partie de vous-même que
vous devez laisser tomber.

SIMPLES MORTELS A 85
Voulez-vous dire que le fait de croire que ce n'est pas
possible vient de l'ego ?

Oui, bien sûr. L'ego se protège de l'éventualité de


sa destruction en nous persuadant qu'il « sait déjà »
qu'il n'est pas possible d'être libre. Parce que la
liberté, c'est sa mort même. C'est pourquoi l'ego se
réfugie continuellement dans la position cynique de
« savoir déjà ».Vous voyez, si nous savons déjà que ce
n'est pas possible, alors il n'est pas besoin de prendre
des risques, de se rendre vulnérable d'une façon ou
d'une autre. Mais lorsque nous osons laisser place à
l'impensable possibilité de notre propre libération,
nous nous permettons d'être vulnérables, ce qui veut
dire simplement n'être pas si certains, ne pas savoir.
C'est seulement lorsque nous acceptons de ne vrai-
ment pas savoir que nous pouvons découvrir, à notre
grand étonnement, que cette libération est tout à fait
possible.

Ce n'est pas que je ne veuille pas croire que c'est possible.


Mais il y a une peur...

C'est parce que sous l'idée cynique que ce n'est


pas possible, vous avez peur que justement ce soit pos-
sible. C'est toujours comme ça. Sous le cynisme est
tapie la peur de la mort de l'ego. Tout le monde veut
être éveillé mais personne ne veut changer.

86 "- VIVRE L'ÉVEIL


Je suppose que c'est vrai.
Le grand défi de l'Éveil, pour nous tous simples
mortels, c'est la transformation radicale. C'est l'exi-
gence de prendre en compte l'énormité de ce que
signifie être en vie. Certains accendenc d'être sur leur
lie de more pour y penser; la plupart s'arrangent pour
éviter cocalemenc la question. Si nous voulons être
libres, nous devons en venir à cecce reconnaissance
finale maintenant, pendant qu'il nous reste encore du
temps.

Du temps pour faire quoi ?


Pour défier l'ego cynique. Pour le transcender et
prouver qu'il esc possible de devenir un exemple de
motivation pure. Pour vivre la loi de l'amour dans un
monde profondément divisé. A moins que certains
d'encre nous ne soie ne prêts à le faire, personne ne
croira jamais que c'esc possible.
CHAPITRE I 2

La fin du « karma »

Andrew, l'idéal que vous évoquez est attirant. Mais il


est loin de mon expérience. Vous savez, je fais encore des
choses que je regrette - blesser des gens en agissant à
partir de schémas inconscients.
Alors, vous devez encore créer beaucoup de
karma!

Qu'est-ce que ça veut dire?


Eh bien, nous créons du karma quand nous agis-
sons à partir de l'ignorance et de l'égoïsme de telle
façon que les autres en souffrent. Pour la plupart des
gens, une longue histoire d'actions égoïstes multiples
a créé une force d'impulsion, un élan très difficile à
briser. C'est cette force acquise qui est le « karma».
Et mettre fin à cette force acquise est tout l'intérêt de
l'Éveil.

N'y a-t-il pas aussi un « bon » karma ?

LA FIN DU « KARMA • A 89
Si, bien sûr, mais celui-là on n'a aucun besoin de
s'en préoccuper! Si vous voulez être libre, vous libé-
rer de l'élan destructeur du mauvais karma est tout ce
donc vous avez besoin de vous soucier.

Donc, quand vous dites que nous créons du mauvais


karma lorsque nous agissons à partir de l'ignorance et
de l'égoïsme, qu'est-ce que cela représente exactement?
Est-ce que cela inclut les pensées ? Autrement dit, est-ce
que nous causons de la souffrance aux autres par des
pensées négatives ?
Oui, là vous me tuez ! Non, je plaisance. Non,
dans mon enseignement, la seule façon dont on crée
du karma est par l'action- pas par la pensée en elle-
même, mais par une action dans l'espace et le temps,
qui exprime un intérêt égoïste aux dépens des autres.

Cela veut-il dire que je peux passer des heures et des


heures à des pensées égoïstes, puis sortir sans problème
dans le monde et me mettre à agir généreusement ?
Eh bien, si vous êtes assez fou pour passer des
heures et des heures perdu dans des pensées égoïstes,
c'est que manifestement vous vous identifiez profon-
dément à ces pensées ; donc, il est peu probable que
vous n'agissiez pas à partir d'au moins quelques-unes
d'encre elles. Vous voyez, dès que nous nous identifions
avec le contenu de la pensée, c'est une action, et cette

90 A VIVRE L'ÉVEIL
action peut avoir et aura des conséquences réelles
dans le monde.

j'ai encore une question à ce sujet. Par exemple, je crois


que cette plante que vous voyez est sensible à ce que je
pense. Je crois que je pourrais m'asseoir à côté très cal-
mement en ayant l'air de ne rien faire du tout mais que
si j'avais des pensées de destruction vis-à-vis de cette
plante, elle souffrirait.
Peut-être que oui; peut-être que non.

On a fait des expériences qui montrent que les pensées


que nous avons à propos des plantes et des animaux les
affectent. Ils sont extrêmement sensibles. On devrait
donc dire alors que les pensées sont des sortes d'actes.
Ce n'est pas si simple. Voyez-vous, si vous croyez
que la seule présence d'une pensée particulière a un
pouvoir propre, alors votre pensée aura ce pouvoir.
Mais on ouvre la porte de la libération quand on
découvre que la seule présence d'une pensée n'a aucun
pouvoir, à moins que vous ne croyiez qu'elle en a un.
Donc, si vous regardez une plante et êtes fortement
identifié à une pensée négative la concernant, quel-
que chose de négatif sera transmis. Mais si vous ne
vous identifiez pas à cette pensée négative, elle n'aura
pas le pouvoir de transmettre quoi que ce soit. Souve-
nez-vous-en, c'est seulement votre relation avec la

LA FIN DU « KARMA » 6 91
pensée et avec le contenu de la pensée qui lui donne
du pouvoir ou au contraire la dépouille de tout pou-
voir. Et c'est par votre propre reconnaissance de cette
vérité profondément libératrice que vous trouverez le
moyen de contrer la force accumulée du karma, l'élan
des réflexes conditionnés, et ferez l'expérience de
l'extraordinaire plénitude d'être que cette découverte
rend possible.

je ressens un effet libérateur dans cette façon de voir


mais, en même temps, je ne sais pourquoi, j'ai du mal à
l'accepter.
C'est parce que, comme la plupart des chercheurs
spirituels, vous êtes superstitieux. « Superstitieux»,
cela veut dire que vous êtes convaincu que la simple
présence de pensées implique automatiquement quel-
que chose sur celui qui pense. En conséquence, vous
ne pouvez vous empêcher de vivre dans la peur cons-
tante de votre propre esprit. Ne voyez-vous pas que
c'est justement cela qui est l'asservissement ? Et c'est
pourquoi, si vous voulez vraiment être libre, il est tel-
lement important, crucial, de voir clairement que la
pensée n'a pas d'autre pouvoir que celui que vous lui donnez.

Donc, vous dites que si nous voulons être lihres, il suffit


de ne s'identifier à aucune pensée ?

92 .A. VIVRE L'ÉVEIL


Non, je ne dis pas ça. Tant que nous sommes des
êtres humains, vivant dans le monde réel, nous
devons avoir des relations avec les pensées.
Pourquoi ? Parce que nous devons agir. Parce que
nous devons faire des choix. C'est inévitable. Et c'est
pourquoi, si nous voulons être libres, la grande ques-
tion n'est pas: «Comment ne pas m'identifier à mes
pensées ? » mais « Quelle est la juste relation avec les
pensées? >>

Donc, quelle est cette juste relation avec les pensées ?

La juste relation avec les pensées est celle où nous


nous identifions seulement aux pensées qui sont en
accord avec notre désir d'être libres.

C'est très exigeant 1

Oui. Mais souvenez-vous, le but du chemin spiri-


tuel est l'Éveil, et ce n'est pas une petite affaire. Une
définition de l'Éveil, c'est d'en être venu au stade
d'évolution où on ne crée plus de karma. Cela signifie
qu'on n'agit plus à partir de l'ignorance ou de
l'égoïsme de telle façon que les autres en souffrent. Et
en fin de compte, cet accomplissement simple mais
profond dépend entièrement des rapports que nous
entretenons avec nos pensées.
CHAPITRE I 3

La conscience vraie

Quel est le rôle de la vigilance dans le chemin


spirituel ? A la lumière de tout ce que vous avez dit sur
l'importance de faire les choix justes quand nous voulons
être libres, comment apprendre à devenir plus attentifs ?

Si vous voulez véritablement être libre, vous serez


vigilant et vous ferez attention. Il existe différences
sortes de vigilance. Il y a une forme de lucidité qui
vient d'un effort volontaire pour se rendre compte de
tout ce que nous faisons. Mais il existe une autre sorte
de lucidité qui est plus mystérieuse. Et vous com-
mencerez à découvrir cette mystérieuse lucidité à
mesure que vous céderez de plus en plus à votre pro-
pre désir d'être libre. A certains moments, il surgira
un mouvement inattendu d'un endroit très profond
en vous ; une réponse arrivera plus vite que la pensée.
Vous ferez ou direz quelque chose qui exprime
l'intensité passionnée de la conscience éveillée -
alors qu'un moment auparavant vous ignoriez que

LA CONSCIENCE VRAIE A 95
cette conscience veillait. Vous aurez l'étrange impres-
sion de ne pas savoir qui a réagi, même si ce n'était
nul autre que votre propre Soi.
Des expériences comme celle-ci nous révèlent
sans le moindre doute que le Véritable Soi est tou-
jours attentif, d'une façon dont nous n'avons habi-
tuellement pas conscience. Et quand nous décou-
vrons ce Soi, cette mystérieuse profondeur qui est
déjà éveillée - nous découvrons cela qui est miracu-
leux. Nous découvrons qui nous sommes véritable-
ment. C'est le Soi que nous ne pouvons voir avec le
mental, mais lorsque nous en faisons l'expérience
directe, nous comprenons ce que veut dire être
éveillé. Et lorsque nous libérons ce Soi qui voit et sait
mystérieusement ce que nous ne pouvons voir ou
savoir avec notre conscience mentale ordinaire, nous
commençons à répondre à la vie comme jamais nous
ne pourrions le faire avec nos ressources personnelles.

Dites-vous que nous pouvons être lucides sans même le


savoir?
Oui. Si nous sommes fidèles au désir d'être libres,
nous verrons que nous sommes toujours attentifs,
même à des moments où, d'après notre expérience
consciente, il semble que nous ne le soyons pas. Ceci
m'arrive souvent dans ma propre vie. Parfois mon
expérience intérieure peut sembler très superficielle

96 A VIVRE L'ÉVEIL
pendant une certaine durée de temps. Et puis une
réponse se produit à quelque événement autour de
moi, une réponse si rapide et si précise que j'en suis
stupéfait à chaque fois. Je ne sais pas d'où ça vient. Je
n'en prends conscience qu'au moment même où cela
arrive. Rétrospectivement, je constate que j'ai réagi à
quelque chose dont je n'étais même pas conscient.
Mais manifestement une partie de moi faisait tout le
temps attention, une partie dont moi, Andrew, en
tant qu'individu, n'étais pas conscient. Donc nous
devons demander : « Qui, en réalité, est attentif?
Qui est vigilant et conscient ? »

Donc, quand vous parlez d'attention, vous vous référez


à quelque chose de très mystérieux.

D'habitude, quand nous parlons d'attention,


nous faisons seulement référence à ce qui engage les
fonctions mentales conscientes. Le problème est que
cela exclut du tableau la plus grande partie de nous-
mêmes, qui est cette partie que nous ne pourrons
jamais connaître par la conscience mentale. C'est un
secret extraordinaire dont peu de gens se rendent
compte. Mais c'est cela qu'est l'Éveil-la découverte
libératrice du mystère profond de notre propre Soi,
un mystère que nous ne serons jamais capables
d'appréhender avec le mental.

LA CONSCIENCE VRAIE ..6. 97


Pouvez-vous en dire plus sur ce mystère ?

Il est très difficile à apprécier sans l'expérience


directe, mais l'aspect le plus important de ce mystère
est la révélation de ce que j'appelle « la conscience
vraie ».

Qui est?

la manifestation inattendue d'une compassion


intense. la conscience vraie émerge de cette même par-
tie mystérieuse de nous-mêmes ; elle exprime un genre
de sollicitude que la personnalité ne peut jamais com-
prendre. C'est le cœur véritable, qui n'est pas le cœur
que nous identifions normalement à la personnalité.
C'est le cœur qui se révèle quand nous faisons directe-
ment l'expérience du Soi unique que nous sommes, au
moment où nous perdons la notion d'être séparé. Cette
conscience véritable, ou conscience spirituelle, nous
l'éprouvons en tant que sollicitude, attention aimante.
Et cette sollicitude est douloureuse- c'est une expé-
rience émotionnellement douloureuse - mais c'est
cette sorte d'attention aimante qui finit par nous libé-
rer, lentement mais sûrement, de l'attachement à l'ego
et à ses peurs et désirs sans fin. C'est l'émergence de
cette conscience qui nous donne l'énergie, la force et
l'inspiration de nous donner à la tâche la plus impor-
tante qui soit.

98 A VIVRE L'ÉVEIL
Donc, si nous voulons être libres, il est très
important de nous demander: est-ce que je m'inté-
resse vraiment à autre chose qu'à ma personne ? Parce
que, lorsque notre cœur se révèle comme je l'ai décrit,
nous nous éloignons de la préoccupation de nous-
mêmes, peut-être pour la première fois de notre vie,
et c'est une libération. Nous nous découvrons sou-
dain consumés par ce mystère, et spontanément nous
commençons à exprimer de la passion pour ce qui est
sacré. Ce n'est qu'à ce moment que tout commence à
prendre sens.

Cette conscience dont vous parlez, n'est-ce pas finalement


l'amour?

Si. C'est dans la mesure où l'on parvient à se libé-


rer de la préoccupation de soi-même que l'on recon-
naît que notre vraie nature d'êtres humains est
l'amour. Cela arrive automatiquement. C'est l'un des
miracles de la vie humaine. Lorsque nous parvenons
à ce point de notre propre évolution où nous sommes
prêts à laisser derrière nous le souci de soi, notre cœur
s'ouvre et nous connaissons un amour qu'il est impos-
sible d'imaginer tant qu'on ne l'a pas éprouvé soi-
même. La nature de cet amour n'est pas personnelle;
il ne plonge pas ses racines dans la personnalité. Lors-
que notre attention est dégagée de la préoccupation
de soi-même, cette conscience est libérée. L'amour est

LA CONSCIENCE VRAIE .a. 99


littéralement libéré des profondeurs de notre propre
être et émerge de lui-même- parfois avec violence.
C'est une telle source d'inspiration que d'éprou-
ver directement le miracle qui réside au-delà de la
préoccupation de soi. La découverte de la véritable
conscience instille en nous une foi tellement pro-
fonde dans l'essence même de la vie. Et n'importe qui
peut connaître ce miracle s'il ou elle le veut vraiment.
Il faut juste qu'on veuille payer le prix.
CHAPITRE 14

Le seul obstacle

Andrew, vous avez fait référence à l'ego un certain nom-


bre de fois au cours de notre conversation. Pouvez-vous
expliquer quelle est votre définition de « l'ego » ?

J'en serais heureux. L'ego est le seul et unique


obstacle à l'Éveil. L'ego, c'est l'orgueil. L'ego, c'est le
sentiment arrogant de notre importance. L'ego est le
besoin compulsif, mécanique, profondément ancré,
de toujours voir le moi personnel comme étant séparé
des autres, séparé du monde, séparé de tout l'univers.
L'ego est une obsession de la séparation qui dénie
l'amour, c'est la préoccupation de soi, c'est le narcis-
Sisme.

Eh hien 1 Est-ce que vous ne faites pas de l'ego une sorte


de démon?
Du point de vue de la conscience éveillée, l'ego est
le démon.

LE SEUL OBSTACLE .A. IOI


Mais n'y a-t-il pas une autre façon de voir l'ego ?

Si, bien sûr. ] e définis négativement l'ego dans la


perspective de la conscience éveillée. Quand les psy-
chologues parlent de « l'ego » [en français, les psy-
chologues disent plutôt « le moi »], il s'agit de tout
autre chose. Il s'agit d'une généralité correspondant
au « principe d'auto-organisation de la psyché ».
C'est la fonction psychologique qui organise les dif-
férents éléments de la personne en un ensemble plus
ou moins unifié ou intégré. Et si cette fonction-/à
souffre de désordres, alors nous avons un psychisme
en mauvais état.

Donc, quand vous parlez de l'ego, vous parlez d'autre


chose que de cet aspect-là ?

Oui. Lorsque les enseignants de l'Éveil utilisent


le terme « ego », ils font spécifiquement référence à
ce nœud émotionnel et psychologique, présent dans
la conscience, qui est la cause fondamentale de notre
sentiment d'être séparé de tout de la vie. Encore une
fois, du point de vue spirituel, il s'agit de l'orgueil,
du fait d'accorder à soi-même une importance pri-
mordiale, et du besoin narcissique de toujours se voir
comme un être séparé.

Et, pour être libres, il faut nous dégager de ce besoin ?

102 "" VIVRE L'ÉVEIL


Oui, exactement. Le laisser tomber comme une
pomme de terre brûlante !

Voulez-vous dire d'un coup, simplement?


Si l'on veut vraiment être libre, on peut faire ça
très vite.

Mais ne croyez-vous pas que, en général, nous avons


besoin de temps pour comprendre d'abord en quoi consiste
cette chose que nous devrions laisser tomber ? Ne serait-
il pas plus facile de transcender l'ego après avoir fait un
certain travail psychologique, qui nous permette de nous
comprendre nous-mêmes ainsi que les causes de nos souf-
frances liées au passé?
C'est comme de dire: «Avant de prendre un
bain, et pour me préparer à être vraiment propre, il
faudrait que je me trempe dans la poubelle pour exa-
miner ma situation~~ !
Vous voyez, quand quelqu'un dit «Je veux être
libre », cela veut dire libéré des peurs et désirs sans
fin de l'ego séparé. Choisir de passer des heures et des
heures dans un processus d'intense identification à
ces peurs et désirs dans le but supposé de les transcen-
der, cela n'a vraiment pas de sens. Si nous sommes
sincères dans notre désir d'être libres, alors c'est main-
tenant qu'il s'agit de laisser tomber les désirs et les
peurs de l'ego. C'est bien là toute la question. Nous

LE SEUL OBSTACLE "" 103


ne serons jamais libres autrement. Tant que nous
croyons qu'il y a quelque validité à examiner de près
les contenus de la poubelle des malheurs sans fin de
l'ego, cela veut dire que nous n'avons pas encore pris
conscience que ce sont des détritus pourris. Donc,
avant que la personne n'ait découvert d'elle-même la
perspective de la conscience éclairée, n'ait été témoin
direct de l'irréalité de l'ego et de son « agenda» per-
sonnel, la réponse à votre question devrait être
«oui». Mais ce n'est valable que si l'on n'a pas vu de
soi-même la vérité libératrice; si l'on n'a pas encore
vu l'ego- avec sa mascarade, son jeu sans fin de per-
sonnage important - pour ce qu'il est vraiment :
vide et finalement dépourvu de sens, n'apportant que
l'asservissement à un monde d'illusion et de fausseté.
Tant que nous croyons, dans notre ignorance,
qu'il y a quelque chose de valable à trouver là-dedans,
nous protestons: «Je sais que ça sent mauvais, oui
bien sûr, je sais aussi que mes vêtements vont être très
sales et que je devrai prendre un bain, mais il faut que
j'y aille. C'est très important! »Vous voyez, tant que
nous sommes fondamentalement identifiés à un moi
séparé, nous sommes profondément convaincus que
notre programme personnel est du plus haut intérêt.
Pourquoi ? « Mais parce que c'est moi. »

104 .6. VIVRE L'ÉVEIL


Donc, aussi longtemps qu'on s'identifie au tas de détri-
tus, on est l'ego, et tant qu'on persiste dans ce sens, il est
impossible de le transcender, c'est bien ça ?
Oui, c'est ça.

Bon, mais encore une fois, pour cesser de s'identifier à


cette poubelle qu'est l'ego, est-ce qu'il ne faut pas
d'abord examiner son contenu d'une façon ou d'une
autre?
Non. En fait, c'est seulement quand on prend
l'énorme risque de ne pas regarder par là, de laisser
complètement l'ego de côté, que nous pouvons enfin le
voir pour ce qu'il est vraiment. Cela demande un très
grand courage de procéder ainsi. Encore une fois, si
l'on veut voir l'ego objectivement, il faut le laisser
complètement à l'écart. Il n'y a aucun autre moyen de
parvenir au résultat libérateur dont je parle. Ici, on
joue une partie de tout-ou-rien, et la plupart des gens
ne veulent pas y jouer parce que l'enjeu est bien trop
élevé.
Le défi est immense à cause de la nature incondi-
tionnelle de l'Éveil. Ce dont nous parlons, voyez-
vous, est un saut au-delà du temps dans une autre
dimension où se révèle un point de vue qui est absolu.
Dans cette perspective, la conscience ne reconnaît pas
la réalité du monde dans lequel vit l'ego- parce que
du point de vue absolu l'ego n'existe tout simple-

LE SEUL OBSTACLE "' 105


ment pas. C'est pourquoi je dis que c'est une partie
de tout-ou-rien. Si vous voulez découvrir pour vous-
même ce qu'est cette perspective, vous devez accepter
de lâcher celle que vous avez. Il s'agit de laisser un
monde derrière soi pour entrer dans un autre; c'est
découvrir une façon de voir totalement différente.
L'ego ne fera jamais cela. Même l'ego sensible et intel-
ligent insistera sur l'importance du tas de détritus.
Bien sûr, il a une perspective assez large pour recon-
naître que les détritus sont nauséabonds et plutôt
malsains, mais sa survie même dépend en fin de
compte de son obstination à considérer qu'ils sont
très importants, et à ne pas mettre en question cette
conviction.
Donc, dans la conscience éveillée, il y a un renver-
sement de perspective de nature absolue- non rela-
tive- et c'est ce renversement qui permet de voir
que le monde de l'ego est entièrement corrompu. En
revanche, du point de vue de l'ego séparé, du soi per-
sonnel, cette position absolue paraîtra toujours
outrancière, bien trop extrême. Et, bien sûr, la vérité
est que cette position se situe effectivement à
l'extrême. Le point de vue de la conscience éveillée,
du fait même qu'il n'est pas relatif, qu'il est absolu,
sera toujours regardé, depuis la position consistant à
réduire tout à une réalité d'ordre relatif, comme allant
beaucoup trop loin.

106 .A VIVRE L'ÉVEIL


Vous voyez donc pourquoi je ne pourrai jamais
répondre « oui » à votre question et être en même
temps le genre d'enseignant que je suis. De mon
point de vue, et étant donné ce que je cherche à trans-
mettre sur la nature de la libération, je ne pourrai
jamais adhérer à ce que vous suggérez. Aussi longtemps
que nous croyons qu'il y a quoi que ce soit de valeur dans la
poubelle, il n'y aura jamais de vraie liberté. Car chaque
fois que nous tenons à regarder notre expérience dans
un contexte purement relatif, qu'on le veuille ou non,
nous alimentons, donnons pouvoir et donnons réalité
à cette seule partie de nous-mêmes qui nous fait tous
demeurer en enfer.

Andrew, tout ce que vous dites semble faire sens, mais


pourquoi ai-je encore cette forte impression qu'il me faut
du temps, que je ne suis pas encore prêt à lâcher prise ?
Parce que l'ego a toujours besoin de plus de temps.
L'éternel refrain de l'ego face à l'appel de l'Absolu,
c'est: «Je ne suis pas prêt, il me faut encore du
temps. » Et cela paraît toujours si raisonnable - du
point de vue relatif. Mais dans la perspective absolue,
il n'y a pas de temps. Et l'appel de l'esprit, l'appel du
Vrai Soi -le commandement d'évoluer vers un état
plus élevé de conscience -provient de cette dimen-
sion absolue où le temps n'existe pas. Encore une fois,
l'Absolu n'entend jamais les plaidoiries de l'ego. Son

LE SEUL OBSTACLE & 107


refrain à lui, c'est : « Chaque fois que tu hésites, tu te
dérobes à moi. » Sa demande constante est
inlassablement: «Maintenant! » Et l'ego répète
aussi inlassablement : « Non, je ne suis pas prêt. >>
C'est le drame spirituel qui se joue depuis des millé-
naires entre l'homme et Dieu- entre l'identité indi-
viduelle séparée et l'appel de l'Absolu. Tout le but de
la vie spirituelle est de se soumettre inconditionnel-
lement à cet appel, et cela signifie la fin du temps -
la fin de notre temps. C'est tout le sujet du drame spi-
rituel - la tension dynamique entre les prétextes
sans fin de l'ego et l'appel de l'Absolu à la reddition
inconditionnelle.

108 A VIVRE L'ÉVEIL


CHAPITRE 15

Au-delà du masculin et du féminin

Vous venez de parler de l'ego et des défis à relever sur le


chemin de la libération. Pensez-vous que ces défis soient
différents pour les hommes et pour les femmes ? Le che-
min est-il fondamentalement le même pour les deux
sexes, ou bien devrait-il y avoir des chemins différents ?
Si l'on pose que le but est l'Éveil, il n'y a qu'un
chemin. Bien sûr, il y a des différences fondamentales
entre les hommes et les femmes, et, si nous voulons
être libres, ces caractéristiques doivent être reconnues
et comprises en profondeur. Cependant, si le but
poursuivi est notre libération parfaite ici et mainte-
nant, ce qui est important n'est pas que ces différen-
ces existent, mais notre volonté inconditionnelle d'y
faire face totalement de telle façon qu'elles ne puis-
sent jamais être un obstacle à la réalisation de ce but.
Toutefois, si le chemin spirituel que nous suivons ne
vise pas la libération totale, ce qui veut dire la trans-
cendance de toutes les différences, mais a pour but

AU-DELÀ DU MASCULIN ET DU FÉMININ Â 109


d'embrasser nos différences sous la forme d'une
« conscience sexuée » (ou « conscience de genre »)
qui serait plus profonde et plus authentique, alors
bien sûr le chemin sera différent pour les hommes et
pour les femmes - de même que le but du chemin
sera différent. Dans ce cas, ce seront la notion même
de différence et la signification de cette différence qui
définiront la nature du chemin.

Mais même si le but est le même, n'y a-t-il pas des obs-
tacles différents à surmonter pour les hommes et pour les
femmes?
A un niveau superficiel, oui, mais quand il s'agit
de transcender l'ego et de faire un grand saut au-delà
du connu, tous les êtres humains ont à payer le même
prix. Un chemin spirituel où l'on met trop d'emphase
sur des notions de différences aboutira, sans qu'on y
prenne garde, à renforcer l'ego, c'est-à-dire l'identifi-
cation à un moi séparé. Il peut être tentant de se lais-
ser fasciner par ces différences relatives mais, ce fai-
sant, on perd facilement de vue le but, qui est d'être
libéré de toute définition fixe de soi.

Donc, par rapport à l'appartenance de sexe, que veut


dire être libéré de toute définition «fixe » de soi ?
Cela veut dire que notre Vrai Soi est libre par rap-
port à toute notion de genre, féminin ou masculin,

110 ""' VIVRE L'ÉVEIL


libre par rapport à toute notion de différence, quelle
qu'elle soit. Et pour découvrir ce Soi, qui est notre
«état naturel», ou notre condition déjà libérée,
l'attachement intense et l'identification à notre per-
sonnalité en tant que distincte et séparée, y compris
dans le fait d'être homme ou femme, doivent être
transcendés.

Mais qu'en est-il de la réalité du corps ? Qu'en est-il


du fait que nous soyons homme ou femme, que ces diffé-
rences de sexe existent bel et bien ? Vouloir être libre
signifie-t-il qu'il faille nier ces différences ?

Non, pas du toue. Quand on veut être libre, il


nous faut abandonner notre investissement émotion-
nel et psychologique dans le fait d'être homme ou
femme, mais non pas éviter la réalité du fait que notre
corps est mâle ou femelle. Car, si nous dénions quoi
que ce soit de réel ou vrai, nous ne serons jamais
libres. Le but, comme je disais, est de découvrir l'état
naturel. Dans ce cas, naturel veut dire libéré de l'ego.
Sans ego veut dire : sans cet investissement émotion-
nel et psychologique dans l'image de soi qui détruit
la spontanéité. Donc, par rapport à toute cette notion
de différence des sexes, à quoi ressemblerait, selon
vous, l'expression libérée, ou naturelle, de notre
genre masculin ou féminin ?

AU-DELÀ DU MASCULIN ET DU FÉMININ .A. III


je ne sais pas. j'ai l'impression que ce serait bien.
Elle serait spontanée, sans surveillance de notre
image. Cette expression de nous-mêmes en tant
qu'homme ou femme serait libérée de notre identifi-
cation narcissique plus ou moins pesante à notre caté-
gorie de sexe.

Alors, sans ce regard sur soi, à quoi ressembleraient les


différences ?
Eh bien, si nous voulons être libres, c'est exacte-
ment ce qu'il nous faut découvrir. Il nous faudrait
découvrir à chaque instant comment s'exprimerait le
genre masculin ou le genre féminin chez des indivi-
dus dépourvus d'ego, c'est-à-dire sans image de soi.

Et d'après vous, cela donnerait quoi ?


Cela aurait l'air innocent. Cela veut dire que notre
« conscience de sexe » serait libérée des motivations
douteuses de l'ego - à savoir le besoin de dominer,
de contrôler, de séduire. A quoi pensez-vous que res-
semblerait ce monde si nous ne nous appuyions
jamais sur nos différences de sexe afin de nous affir-
mer comme ego à part ? Que seraient nos relations en
tant qu'hommes et femmes, si nous cessions d'utiliser
ces différences pour exercer du pouvoir sur les
autres ? Si on y réfléchit bien, on commence à voir

112 .oto. VIVRE L'ÉVEIL


que les implications de ce que nous considérons ici
sont révolutionnaires.

Je n'arrive même pas à imaginer un tel monde.


CHAPITRE 16

La promesse de perfection

Andrew, à la fin de notre discussion sur les différences


entre hommes et femmes, vous avez soulevé une question
qui est d'une importance évidente pour la plupart des
gens - les relations. Pensez-vous qu'il soit possible
d'être libre dans la relation amoureuse ?
C'est presque impossible! La relation sexuelle-
sentimentale esc l'un des domaines les plus nébuleux
de l'expérience humaine, et peut-être le plus difficile
à cirer au clair. La relation amoureuse génère toujours
beaucoup d'attachement- un attachement profond
aux niveaux émotionnel et psychologique. Et le pro-
blème, c'est que si nous voulons être libres, c'est jus-
cement de cee attachement qu'il faut nous libérer.

Mais vous êtes marié, n'est-ce pas ?


Oui, depuis de nombreuses années.

LA PROMESSE DE PERFECTION "' 115


Alors, n'est-il pas possible de chercher la liberté
ensemble? Ne peut-on parcourir le chemin de l'Éveil
dans le contexte d'une relation sexuelle et sentimentale ?
J'espère que oui. Mais la façon dont vous posez la
question, qui suggère la peur de perdre quelque
chose, montre précisément où se situe le problème.
Comme je disais, ce type de relation génère un puis-
sant attachement. C'est sa nature. Ce n'est pas une
balade anodine - malheureusement. En consé-
quence, si nos priorités ne sont pas claires, il est pres-
que inévitable que cet attachement devienne plus
important pour nous que la possibilité même de
notre libération en cette vie. J'entends tellement de
gens dire: «Nous voulons poursuivre la libération
spirituelle ensemble», mais cela veut presque toujours
dire qu'ils tiennent avant tout à poursuivre leur expé-
rience intensément personnelle d'attachement senti-
mental - et non pas d'abord l'expérience d'une
liberté intérieure profonde.

Je ne comprends pas pourquoi il devrait y avoir un con-


flit entre la liberté et le fait d'être ensemble.
Eh bien, cela dépend de ce qu'on appelle liberté.
Du point de vue de l'Éveil, être libre veut dire être
libéré de l'attachement. L'attachement signifie : «J'ai
quelque chose. » Alors qu'être libre signifie: «Je
n'ai rien. »Vous voyez, quand vous ne vous accrochez

II6 A VIVRE L'ÉVEIL


à rien, vous êtes libre - automatiquement. Et la
vérité qui libère est la reconnaissance profonde de ce
simple fait - que dans notre état naturel nous sommes
déjà libres. La seule chose qui nous maintient en escla-
vage est la croyance, non mise en question, que quel-
que chose de fondamental nous manque. Donc, par
ignorance de notre état naturel, nous nous attachons
aux gens et aux choses, convaincus que grâce à ces
liens nous trouverons le bonheur et la satisfaction.
Mais cela ne marche jamais ainsi. Car là où il y a atta-
chement, il y a peur de perdre. Et là où il y a la peur,
il ne peut jamais y avoir de véritable bonheur ou de
satisfaction profonde. C'est la révélation de l'Éveil
elle-même qui nous montre tout ceci directement -
la vérité pérenne que le véritable bonheur et la seule
satisfaction durable sont en nous-mêmes en tant que
notre Vrai Soi, notre état naturel, déjà plein et intè-
gre tel qu'il est. Mais dans ce monde d'obscuran-
tisme, nous sommes tous profondément conditionnés
à croire que le bonheur et la satisfaction se trouvent
quelque part en dehors de nous-mêmes. Quand nous
voulons véritablement être libres, nous renonçons à
cette façon de penser. Nous la laissons tomber parce
que nous avons eu des aperçus du bonheur profond
qui est déjà présent au fond de notre conscience, un
contentement continu qui ne sera nôtre que lorsque

LA PROMESSE DE PERFECTION .A. 117


nous aurons enfin cessé de le chercher à l'extérieur de
nous-mêmes.

Je me sens fortement attiré par la liberté profonde que


vous décrivez, mais je ressens aussi comme tout naturel
de vouloir avoir une relation de couple. Vous semblez
presque recommander le célibat.
Est-ce que j'ai dit ça ?

Non, pas précisément...


Beaucoup de gens tendent à mal interpréter mes
propos à chaque fois que j'aborde ce sujet. C'est très
révélateur. C'est un sujet tellement chargé. Et comme
je disais tout à l'heure, il est très difficile d'y voir clair
dans ce domaine de l'expérience humaine, surtout
quand il s'agit de soi-même. J'essaye seulement de
présenter les faits. Vous avez abordé la sexualité et les
relations amoureuses par rapport à la question de
l'Éveil, et tout ce que je dis, c'est que la définition de
la liberté spirituelle, c'est la liberté vis-à-vis de l'attache-
ment. Les relations sexuelles créent de l'attachement
-c'est tout. Et c'est pourquoi il y a presque toujours
un conflit de nature entre l'aspiration à la liberté inté-
rieure et les conséquences karmiques de l'expérience
sexuelle-sentimentale. En conséquence, se pose cette
grande question : si la liberté propre à l'Éveil est la
libération vis-à-vis de l'attachement, alors qu'allons-

118 ..to. VIVRE L'ÉVEIL


nous faire par rapport à la nature persistante de l'atti-
rance sexuelle ?

j'espérais que vous me donneriez une réponse à cette


question-/à !
Eh bien, au cours de l'histoire, on a offert aux
hommes et aux femmes bon nombre de réponses dif-
férentes à cette question pérenne. A un extrême, on
nous a encouragés à utiliser l'expérience sexuelle elle-
même comme moyen de transcendance, et, à l'autre
extrême, on nous a dit que si nous voulions être des
hommes et des femmes libérés, nous devions renon-
cer complètement à l'expérience sexuelle elle-même.
Je crois que si nous voulons être libres, nous devons
réfléchir très profondément par nous-mêmes à un tel
sujet. On ne peut pas supposer naïvement qu'il y a
une réponse simple et toute faite à une question si
complexe et si chargée. Et si nous sommes sincères,
nous devons accepter de porter le fardeau de cette
complexité et de trouver nos propres réponses. Si les
maîtres éclairés eux-mêmes sont venus à des conclu-
sions si contradictoires à propos de cette question
fondamentale, cela ne fait que nous renvoyer à nous-
mêmes et à notre propre honnêteté dans notre con-
frontation avec l'un des plus grands défis de la vie.

Mais êtes-vous parvenu à une réponse?

LA PROMESSE DE PERFECTION A II9


Je ne veux pas répondre à cette question à votre
place. Si vous voulez être libre, alors tout ce que vous
avez besoin de savoir est que « libre » veut dire libéré
de l'attachement. Ce simple fait transcende le fait rela-
tif d'avoir ou ne pas avoir une relation amoureuse. Si
vous faites face à cette vérité spirituelle sans faiblir,
alors vous regarderez au cœur de cette question pour
vous-même. Et cela demande beaucoup plus de cou-
rage que d'accepter aveuglément les conclusions de
quelqu'un d'autre.

Alors, qu'est-ce que renoncer à l'attachement?


C'est reconnaître pour soi-même que la promesse
du bonheur parfait et de la satisfaction extatique que
porte le désir sexuel est terriblement trompeuse.
C'est faire une différence très claire entre la béatitude
personnelle de l'interlude amoureux et l'extase
impersonnelle de la liberté spirituelle. Cela implique
de renoncer à l'affirmation personnelle, en échange de
la complétude extatique qui se manifeste spontané-
ment lorsque nous cessons tout à fait de chercher le
contentement en dehors de notre propre conscience.
Toutefois, d'un point de vue réaliste, dans un monde
tel que le nôtre, qui ne cesse de répandre cette très
attirante et fallacieuse promesse, si nous voulons être
libres, nous devons tous être prêts à une certaine
mesure de renoncement !

120 A VIVRE L'ÉVEIL


Que voulez-vous dire par renoncement ?
Dans ce contexte, le renoncement consiste à résis-
ter à la tentation de se laisser séduire par la plus puis-
sante illusion qui soit.

Et quelle est cette illusion ?


C'est ce que j'appelle « la promesse de
perfection ». Elle dit : « Si je suis cette impulsion
jusqu'à sa conclusion finale, je trouverai le bonheur
parfait et la satisfaction totale- j'éprouverai un pro-
fond sentiment de complétude.» Nous tombons
dans le panneau encore et encore et persistons à passer
à côté de la simple vérité que la béatitude que nous
éprouvons dans l'interlude amoureux ne dure jamais
et finit par créer un attachement- une dépendance
- pénible. De plus, c'est seulement lorsque nous
laissons tomber la promesse de perfection qu'il appa-
raît clairement que, la plupart du temps, l'ivresse
amoureuse se sustente du besoin égotique d'affirma-
tion personnelle.

D'accord, d'accord... où se trouve le monastère le plus


proche ? 1 Mais, sérieusement, Andrew, si ce que vous
dites est vrai, reste-t-illa moindre raison de maintenir
une relation de couple? Même si ce n'est pas ce que vous
dites, on garde tout de même l'impression, à vous enten-

LA PROMESSE DE PERFECTION .a. 121


dre, que si nous voulons être libres, nous devrions renon-
cer à toute l'affaire.
Eh bien, oui et non. Oui, si cette relation doit
engendrer un attachement suffocant qui ne sert qu'à
perpétuer le monde personnel illusoire de l'ego
séparé. Mais non, si le contexte de cette intimité per-
sonnelle et de cette communion sexuelle est une
liberté spirituelle authentique.

Ce qui veut dire ?


Cela veut dire que nous voulons être libres plus
que toute autre chose, et nous intéressons donc plus à
l'extase impersonnelle qu'à la béatitude personnelle.
Cela veut dire que le contexte de l'intimité person-
nelle et de la communion sexuelle serait l'impersonnel
- une dimension inconnue en ce monde, qui se
trouve au-delà de l'ego et qui est dépourvue d'atta-
chement.

Et où trouve-t-on cette dimension impersonnelle ?


À l'intérieur de soi-même. Quand on renonce aux
incessantes préoccupations égocentriques du moi
séparé et à son étroite perspective personnelle, on se
retrouve spontanément dans cette dimension. Là
vous découvrirez un amour absolu, une félicité vide
d'attachement et libérée de la conviction qu'il man-

122 • VIVRE L'ÉVEIL


que quelque chose de fondamental. Et c'est dans ce
contexte seul, qui est en lui-même la plénitude natu-
relle, qu'il est possible pour des êtres humains de
s'unir dans l'intimité personnelle et la communion
sexuelle d'une façon qui soit libérée de la souffrance,
de la complexité et de la confusion continuelle qui
caractérisent en général ce domaine de la vie.
CHAPITRE I 7

Un déploiement universel continu

L'un des éléments essentiels de votre enseignement est ce


que vous appelez, je crois, «l'optique impersonnelle».
Pouvez-vous expliquer ce que vous entendez par là ?
Oui. Ce que j'appelle l'optique impersonnelle est
en fait la perspective éveillée. Dans cette perspective,
il n'y a qu'une seule expérience humaine, et cette uni-
que expérience humaine est reconnue comme étant
une affaire impersonnelle, une manifestation univer-
selle. L'optique impersonnelle voit toujours à travers
et au-delà de ce qui est étroitement personnalisé. Une
perspective qui est seulement personnelle nous piège
définitivement dans le mélodrame pénible et sans fin
du moi séparé, et par définition elle limite notre
capacité à voir par-delà l'illusion d'un monde frag-
menté en existences indépendantes les unes des
autres. Du point de vue de la conscience éveillée,
nous voyons que c'est l'habitude, très mécanique,
profondément conditionnée, de la personnalisation qui

UN DÉPLOIEMENT UNIVERSEL CONTINU .a. 125


crée l'ego, la barrière psychologique et émotionnelle
qui nous sépare à tout moment du reste de la vie et
de notre Soi authentique. C'est pourquoi il est essen-
tiel, si nous voulons être libres, de voir au-delà d'une
perspective purement personnelle.

Donc, comment découvrir nous-mêmes cette perspective


impersonnelle ?
En faisant attention à notre expenence d'une
façon honnête. Sans même nous en rendre compte,
nous personnalisons chaque sentiment ou mouve-
ment de pensée. Nous appelons compulsivement
«mienne» n'importe quelle expérience vécue,
qu'elle soit d'ordre grossier ou subtil. Si nous prenons
ne serait-ce qu'un peu de distance, nous constatons
vite qu'une grande part au moins de ce que nous
éprouvons n'a rien d'unique ni de personnel. Pensez-
y. Regardez et voyez tout ce que nous partageons de
semblable, et même d'identique, dans l'expérience
humaine, et en même temps comment, à cause de
notre habitude bien ancrée de tout personnaliser,
nous fabriquons compulsivement l'apparence d'une
différence -l'illusion même qui est la seule cause de
toutes nos souffrances inutiles. Dans l'optique imper-
sonnelle, qui est la perspective de l'Éveil, l'ego et tout
le monde personnel er possessif qu'il crée ne sont pas
vus comme réels. Ce monde se révèle être vide de

126 .A. VIVRE L'ÉVEIL


sens, de valeur et de but, ne servant en fin de compte
qu'à perpétuer l'existence fictive du moi séparé.

Que voulez-vous dire ici par «fictive » ?

Quand on découvre qui on est vraiment, on voit


directement que le moi personnel, avec son attache-
ment au temps et à l'histoire, vit dans un monde de
rêve, un cauchemar sans fin de soucis et de peurs,
d'espoirs et de désirs multiples, qui en fait se dissol-
vent littéralement dans la transparence quand on
s'éveille à sa propre profondeur absolue, imperson-
nelle. Et lorsque ce Soi absolu, impersonnel, émerge
dans la conscience comme présence vivante, le
«personnel »,au lieu d'être la forteresse impénétra-
ble où se retranche l'ego, devient un conducteur par
lequel le Soi absolu impersonnel pénètre dans ce
monde.

Donc, vous dites que le« Soi absolu »est impersonnel et


que c'est ce Soi qui commence à transparaître dans l'état
d'Éveil. Qu'arrive-t-il à l'ancienne personnalité,
alors ? Qu'arrive-t-il au soi personnel ?

Il devient libéré ! Et cette libération résulte


directement du fait de voir, et constater encore et
encore, la nature finalement impersonnelle de la
dimension apparemment personnelle de l'expérience

UN DÉPLOIEMENT UNIVERSEL CONTINU Jt. 127


humaine, avec tous ses méandres particuliers et ses
variations sans fin.

Donc, dans cette perspective que vous décrivez, vous dites


qu'il n'y a finalement rien de personnel aussi bien dans
la dimension absolue que relative de notre expérience.

C'est exactement ce que je dis. La dimension per-


sonnelle, considérée dans une perspective person-
nelle, sera vue comme quelque chose de personnel.
Mais cette même dimension personnelle, considérée
dans une perspective impersonnelle, sera vue comme
étant impersonnelle. L'important, c'est le rapport que
nous avons à notre expérience vécue, qui dépend de la
façon dont nous l'envisageons, dont nous l'interpré-
tons. Donc la question intéressante est celle-ci :n'est-
il pas vrai que nous personnalisons compulsivement
tout de notre expérience ? La façon dont nous inter-
prétons notre expérience a-t-elle quelque chose à voir
avec l'optique impersonnelle ? Car, souvenez-vous, la
conscience éveillée nous a toujours ramenés à ce qui
est unique, dépourvu de contenu personnel, et
dépourvu de toute motivation venant de l'ego. Donc,
si nous voulons être libres, nous ne pouvons échapper
à la vérité terrifiante mais libératrice de l'imperson-
nalité. Tôt ou tard, nous devons rassembler tout
notre courage pour faire face à la nature ultimement
impersonnelle, universelle, de notre expérience per-

128 .A. VIVRE L'ÉVEIL


sonnelle même. Car la vérité, voyez-vous, est que
nous sommes tous dans le même bateau, sur la même
mer, en route pour la même destination. Le problème
avec une perspective qui est fondamentalement per-
sonnelle, c'est qu'elle nous empêche de voir cette
situation commune. Elle rend impossible de voir au-
delà de notre propre ego, de voir la nature de la
liberté éveillée, cette dimension où se découvre une
vérité universelle, absolue, et définitivement non per-
sonnelle.

Je commence à entrevoir ce qu'il y a de vrai dans ce que


vous évoquez, mais ça me donne un peu le vertige. j'ai
l'impression de ne plus savoir qui ou ce que je suis.
C'est bien ce qui arrive. Et si vous restez dans
cette recherche, vous finirez en un lieu, à l'intérieur
de vous-même, où existe l'unicité absolue- où le
personnel devient l'impersonnel, et l'impersonnel
devient le personnel. En ce lieu, il est littéralement
impossible de distinguer entre les deux.

Et pourquoi ?
Parce qu'il n'y a qu'un Soi et qu'il n'y a qu'une
seule expérience humaine. C'est cela, la libération.
Mais pour découvrir ceci pour soi-même, il faut aller
jusqu'au bout de la recherche. Quelques efforts
superficiels ne suffiront jamais à nous amener à ce lieu

UN DÉPLOIEMENT UNIVERSEL CONTINU .& 129


ultime. C'est en ce lieu d'unité absolue que se trou-
vent la compréhension éclairée et la véritable liberté.
C'est en ce lieu que le relatif et l'absolu, le personnel
et l'impersonnel, fusionnent et deviennent un. En ce
lieu mystérieux, ces aspects deviennent un seul
déploiement universel et continu, libéré des entraves
de la dualité.
CHAPITRE 18

L'Éveil impersonnel

Quand vous parliez tout à l'heure de l'optique imper-


sonnelle, j'ai ressenti l'effet impressionnant que produit
le fait de regarder par-delà le personnel. C'était comme
si la sensation pesante que j'ai de moi comme individu
devenait diffuse et se fondait dans cette sorte de trans-
parence dont vous parliez.
C'est une bonne chose - de commencer à
s'éveiller au vide ou à la transparence, de voir à travers
la dimension personnelle de notre expérience propre,
en percevant directement que ce n'est pas «mon
expérience » mais l'expérience humaine. C'est le pre-
mier pas. Mais il y a encore beaucoup à découvrir.
Lorsque nous nous établissons profondément dans
cette conscience, quelque chose d'inattendu com-
mence à émerger. Quelque chose que nous ne cher-
chions pas. C'est la reconnaissance d'une immense
responsabilité, une responsabilité qui est maintenant
la nôtre du seul fait que nous avons vu par-delà l'illu-

L'ÉVEIL IMPERSONNEL .A. I3I


sion du personnel. En fait, avec la prise de conscience
de l'impersonnalité, nous comprenons de façon mys-
térieuse que le potentiel évolutif de l'espèce humaine
repose sur nos épaules. Aussi faramineux que cela
paraisse, c'est tout à fait réel. Et cela aussi est imper-
sonnel, car lorsque l'Éveil spirituel est authentique,
s'éveille aussi en nous, de façon directe et profonde, le
sens d'une obligation envers la vie elle-même. Dans
cet Éveil radical au-delà du personnel - que
j'appelle « l'Éveil impersonnel » - le fardeau du
potentiel évolutif de l'être humain, d'une promesse à
réaliser, est ressenti directement, et très personnelle-
ment.

Attendez! Comment en sommes-nous arrivés, après


avoir découvert que la plus grande part de notre expé-
rience est impersonnelle, à reconnaître que le fardeau de
l'évolution humaine repose sur nos épaules ?

Eh bien, c'est ainsi que cela fonctionne. Seule-


ment, peu de chercheurs vont assez loin pour en venir
à cette prise de conscience directe. Mais si vous arri-
vez à transcender le besoin de personnaliser compul-
sivement tout de votre expérience, ce sentiment mys-
térieux d'obligation envers l'impératif d'évolution se
révélera lui-même spontanément. C'est alors que l'on
découvre ce que J. Krishnamurti voulait dire quand
il disait: « Vous êtes le monde. » C'est alors que l'on

132 .a. VIVRE L'ÉVEIL


se reconnaît comme étant soi-même toute la condition
humaine. Et dans cette reconnaissance, on se sent
automatiquement responsable de cette condition,
tout simplement parce qu'on se sent responsable de
soi-même. C'est un aspect inhérent à la prise de cons-
cience qu'est l'Éveil impersonnel.

Voulez-vous dire que je devrais essayer de me sentir plus


responsable de l'évolution du reste de l'espèce humaine?
Non. Tout ce que je dis c'est que lorsque votre
fascination pour les peurs et les désirs de votre ego se
consume et disparaît, lorsque vous faites l'expérience
de ce saut miraculeux au-delà du personnel, à votre
grande surprise, ce qui va apparaître en vous est une
sollicitude profonde et immense pour votre propre
Soi, qui est véritablement nous tous.

Pouvez-vous décrire comment cela se passe, d'après votre


propre expérience ?
Oui. Une passion monte du tréfonds- et honnê-
tement je ne peux le décrire autrement que comme
un commandement venant de l'inconnu- qui par
moments devient une clameur envahissante. C'est
une puissance et une présence qui semble infiniment
consciente, une vaste intelligence qui n'est person-
nelle d'aucune façon. Et je sais que jusqu'au jour de
ma mort elle ne sera jamais satisfaite. Elle ne peut

L'ÉVEIL IMPERSONNEL _. 133


l'être, car tant que chaque être humain ne sera pas
éveillé, et même, tant que chacun de nous n'aura pas
atteint son plein potentiel d'évolution, ce ne sera
jamais assez. Et bien sûr, tout ceci n'est pas près
d'arriver- en tout cas dans les temps proches. Mais
cette passion est simplement une expression de l'état
d'Éveil. C'est l'impératif d'évolution qui devient
manifesté. Et c'est entièrement impersonnel, et cela
ne laisse aucun choix. Voilà ce qu'est l'expérience de
l'Éveil impersonnel.

Ce que vous décrivez est convaincant. Mais cela ne res-


semble pas du tout à ce que je croyais qu'était la liberté.
P.tre inspirépar une passion qui ne sera jamais assouvie
ressemble plutôt à une sorte d'esclavage.

Ça l'est ! Mais c'est bien là qu'est le sens de cette


liberté - c'est ce que j'appelle le joug de la libération,
le joug de la liberté au-delà de la dimension person-
nelle. Vous voyez, dans l'Éveil impersonnel, le but
ultime n'est pas notre propre libération mais celle de
tous les autres. Il ne s'agit plus d'atteindre seulement
la liberté personnelle, ce que j'appelle l'Éveil person-
nel. Bien sûr, il existe une liberté profonde, une joie
extatique, un sentiment de plénitude comme résul-
tats dérivés d'une vie vécue au service de l'impératif
d'évolution, mais ces résultats ne représentent pas du
tout le but de l'Éveil impersonnel.
CHAPITRE I 9

Le tableau complet

Andrew, il est clair que, dans votre optique, l'Éveil, ou


ce que vous appelez « l'Éveil impersonnel», vise à
changer le monde, à le transformer, littéralement. Pour-
tant, j'ai entendu d'autres enseignants spirituels dire
pratiquement le contraire: pour eux, s'éveiller est cesser
d'essayer de changer quoi que ce soit.

Eh bien, en fait, les deux sont vrais. C'est ce para-


doxe qui fait que la nature de l'Éveil, et ce qu'il signi-
fie vraiment, est si difficile à saisir pour beaucoup de
chercheurs - et d'ailleurs aussi pour beaucoup
d'enseignants spirituels. Il y a deux composantes fon-
damentales dans l'expérience de l'Éveil. Pour résu-
mer simplement, l'une est la révélation libératrice
que tout est toujours parfait tel que c'est - à tout
moment, en tout endroit, en toutes circonstances.
Cela produit un profond lâcher-prise de la peur et de
l'attachement. L'autre composante est ce que
j'appelle l'impératif d'évolution, qui est activé par

LE TABLEAU COMPLET A 135


l'Éveil spirituel. C'est éprouvé comme une exigence
puissante d'évolution et de transformation ici et
maintenant pour le bien de la vie elle-même. Ce para-
doxe - le fait que tout soit déjà parfait et qu'en
même temps tout doive changer - représente le
tableau complet de la vision éveillée.

Mais comment les deux peuvent-ils être vrais? Ces


deux propositions me semblent tout à fait contradic-
toires.
C'est une contradiction pour l'esprit qui n'est pas
éveillé.

Que voulez-vous dire ?


Pour comprendre que ce n'est pas une contradic-
tion, il faut faire l'expérience directe soi-même de
l'esprit en éveil. L'esprit non éveillé ne peut contenir
un tel paradoxe. Cet esprit-là, limité au niveau pure-
ment mental, existe dans la dualité et en tant que
dualité ; par définition, il ne peut voir au-delà de lui-
même, en cette dimension de conscience où n'existe
aucune dualité. Vous voyez, ces deux vérités - que
tout est déjà parfait et que tout doit changer- sont
simplement les deux faces d'une même médaille. Au
bout du compte, il n'existe qu'une seule vérité, mais
elle apparaît différemment suivant le côté de la
médaille que l'on regarde. Du point de vue absolu,

136 ~ VIVRE L'ÉVEIL


tout est toujours déjà parfait, et ce point de vue est
l'Éveil, ou «illumination». Mais du point de vue
relatif, tout doit changer, parce que c'est la loi de
l'univers créé, et cela aussi est l'Éveil. L'esprit qui
existe dans la dualité et en tant que dualité ne peut
voir que l'une de ces vérités à la fois. Mais l'esprit qui
a été éclairé peut percevoir les deux en même temps,
tout en reconnaissant qu'elles ne sont pas séparées.

Eh bien, vu que mon esprit n'est pas encore éclairé, sur


quel côté de la médaille devrais-je d'abord porter mon
attention ? Sur le fait que tout est parfait, ou sur le fait
que tout doit changer ?
C'est comme demander quel côté de mon cœur
est le plus important- non, cette question n'a pas
de sens. Les deux aspects sont des manifestations de
la même vérité. Il s'agit des deux faces d'une seule et
unique médaille.

Mon esprit n'arrive pas à le saisir.


Les deux côtés sont également importants parce
que les deux sont également vrais. L'Éveil spirituel
authentique est la découverte profonde et éblouis-
sante du fondement premier de la réalité. Dans ce
fondement premier, il n'y a pas de temps ; le soi non
manifesté, non né, y demeure dans la conscience du
zéro absolu, du rien, de l'absence de toute chose.

LE TABLEAU COMPLET Â 137


Dans l'état éveillé, ce fondement premier émerge à la
conscience comme la reconnaissance, vécue en expé-
rience directe, que tout est parfait tel que c'est.
Mais l'Éveil spirituel authentique, c'est aussi
l'émergence explosive de l'impulsion évolutive dans
la conscience humaine. Avec la soumission de l'ego et
la reddition de la volonté personnelle, l'individu
devient conscient de la présence d'une énergie puis-
sante et inflexible. Cette énergie est le mouvement de
la force de vie qui se propulse elle-même en état
d'évolution consciente ou de devenir.
De Rien, absolument Rien, soudain Quelque
Chose a émergé, et ce Quelque Chose est resté depuis
lors en état constant de devenir. La source, le fonde-
ment de tout ce qui est devenu, et est encore mainte-
nant en état constant de devenir, est cette
« position » où il n'y a pas de temps et où rien n'est
jamais arrivé. Rien et Quelque Chose ne peuvent être
séparés car il s'agit simplement des deux faces de la
même médaille. C'est ce que signifie la non-dualité et
c'est ce qu'est l'Éveil :la reconnaissance de ce mystère
vivant qui ne peut être divisé.
CHAPITRE 20

L'impératif d'évolution

Andrew, j'ai une dernière question et, comme vous le


diriez, c'est une « grosse » question ... Je voudrais vrai-
ment savoir où tout cela mène. Au bout du compte, quel
est le but de l'Éveil?
C'est simple ! L'évolution !

Mais qu'est-ce que cela veut dire, exactement?


Comme je le disais, dans l'Éveil spirituel profond,
une compulsion mystérieuse est activée dans la cons-
cience humaine. On l'éprouve comme un appel ou un
commandement qui monte spontanément du Soi,
comme une impulsion puissante de créer de l'ordre à
partir du désordre, de rendre manifestes dans le
monde des expressions toujours plus élevées d'har-
monie et d'intégration en tant que nous-mêmes, pour
le bien de l'ensemble de la vie.

Qu'est-ce qui active cette «compulsion mystérieuse» ?

L'IMPÉRATIF D'ÉVOLUTION Â 139


La mort de l'ego !

Que voulez-vous dire ?


lorsque la volonté implacable de l'ego est finale-
ment brisée, l'impulsion évolutive commence à deve-
nir active dans notre conscience. Cette impulsion est
toujours là, mais tant que nous sommes hypnotisés
par le programme sans fin de nos préoccupations égo-
centriques, nous ne prêtons pas attention à sa pré-
sence. En effet, tant que nous resterons perdus dans le
cauchemar d'inconscience qu'est l'ego, il nous sera
impossible de découvrir qui nous sommes vraiment
et pourquoi nous sommes ici.

Vous dites que lorsque nous nous éveillons, nous décou-


vrons qui nous sommes et pourquoi nous sommes ici ?
Oui. lorsque nous découvrons, au-delà du men-
tal, ce fondement premier de l'être, nous découvrons
qui nous sommes. Quand nous transcendons vrai-
ment l'ego, notre identité de séparation, nous pre-
nons conscience de l'impulsion évolutive, et nous
savons pourquoi nous sommes ici. Et c'est l'expé-
rience directe, au-delà de la pensée, de ce fondement
premier de l'être, qui nous libère - nous rend enfin
libres d'être pleinement disponibles pour participer
au processus évolutif.

140 .A. VIVRE L'ÉVEIL


Je commence à ressentir que notre existence ici a un sens
immense, mais ce dessein à vivre, à quoi ressemblerait-
il?
Idéalement, cela ressemblerait exactement à vous-
même!

Ah?
Pourquoi pas? Je veux dire, si vous prenez au
sérieux ce que j'ai dit, ce sens de la vie devrait vous
ressembler beaucoup, non ?

je le suppose ...
Parce que?

Parce que je prendrais conscience que l'évolution de


l'espèce humaine commence par moi-même ?
Ce n'est pas qu'elle commence par vous, c'est
qu'elle est vous. C'est seulement que vous ne le
savez pas encore. Écoutez, vous et moi, en cet ins-
tant, sommes en train de participer à un événe-
ment extraordinaire qui est miraculeusement en
processus incessant de devenir. Et l'aspect le plus
important de ce devenir est l'évolution de la cons-
cience elle-même. Ne voyez-vous pas où je veux en
venir ? A vous. A quel point êtes-vous conscient en
cet instant du vaste processus évolutif dont vous

L ' IMPÉRATIF D'ÉVOLUTION .6. I4I


êtes partie prenante ? Voyez-vous, l'expérience
humaine commence seulement à prendre un sens
profond et véritable au moment où nous commen-
çons à participer consciemment au processus dont
nous faisons déjà partie.

Et comment puis-je me mettre en contact avec cela ?


Vous l'êtes déjà. L'Éveil dans le cœur et l'esprit
humain de l'aspiration à la libération est le premier
pas vers la participation consciente au processus évo-
lutif. Répondre de tout son cœur à cette aspiration
est ce qui rend possible de devenir littéralement un
avec ce processus lui-même.

Devenir« un avec» le processus évolutif- c'est là où


tout cela mène ? Est-ce là la raison d'être de l'Éveil ?
La raison d'être de l'Éveil est que nous deve-
nions à ce point conscients que, par notre partici-
pation pleine et entière, nous commençons à gui-
der réellement et activement le processus évolutif
lui-même. Aussi extraordinaire que cela paraisse,
c'est vrai. Voyez-vous, l'évolution a désespérément
besoin de nous tous. La conscience ne peut pas évo-
luer au-delà d'un certain point sans que nous nous
donnions volontairement et de tout notre cœur à
ce processus. Et pour que ceci arrive, nous devons
nous rendre disponibles. C'est pourquoi il est tel-

142 .a. VIVRE L'ÉVEIL


lement, tellement important de vouloir être libre
plus que toute autre chose, non pas pour nous-
mêmes, mais pour l'évolution de la Vie elle-même.
Cet ouvrage a été réalisépar la
SOCIÉTE NOUVELLE FIRMIN-DIDOT
Mesnil-sur-l'Estrée
pour le compte des Éditions La Table Ronde
en avril2004

Dépôt légal : avril 2004.


N" d'édition : 3766.
N" d'impression: 67366.
Imprimé en France.

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