Vous êtes sur la page 1sur 14

08/09/2021 07:08 Les traumatismes sexuels comme forme d’activité sexuelle infantile

Bibliothèque ❦ Dictionnaires ❦ Recherche ❦ Blog ❦ Scan ❦ Aide


|

Bibliographie

Les traumatismes sexuels comme forme d’activité


sexuelle infantile [ 1 ]

La conception freudienne de l'étiologie de l'hystérie a subi bien des


remaniements au cours des temps. Mais Freud souligne lui-même  [ 2 ] avoir
retenu deux points de vue et avoir progressé dans leur approfondissement, à
savoir les points de vue de la sexualité et des traces de l'enfance. Le problème
du traumatisme sexuel précoce a également influencé l'évolution de la théorie de
la sexualité et des névroses. Pendant assez longtemps, Freud a considéré ce
traumatisme comme la racine ultime des manifestations hystériques qui devait
être retrouvée pour chaque cas. Cette façon de voir n'a pas pu être maintenue
dans sa forme initiale. Dans Mes conceptions sur le rôle de la sexualité dans
l'étiologie des névroses  [ 3 ], Freud assigne au traumatisme infantile un rôle
secondaire et postule comme facteur de base des névroses une constitution
psychosexuelle anormale. Cette conception rend compte du fait qu'un enfant
ayant subi un traumatisme sexuel ne répondra pas forcément par une hystérie.
D'après Freud, les enfants prédisposés à l'hystérie réagissent anormalement aux
impressions sexuelles de tous ordres en fonction de cette prédisposition. J'ai pu
moi-même relever l'existence de traumatismes sexuels infantiles chez des
malades mentaux [ 4 ]. J'ai considéré qu'un tel traumatisme ne pouvait être élevé
au rang de cause de la maladie mais qu'il exerçait une influence sur sa forme. Je
rejoignais Freud pour postuler une constitution psychosexuelle anormale.

Cette supposition, cependant, ne nous fait faire qu'un pas pour achopper dès le
suivant, le plus important. Elle nous explique bien pourquoi un traumatisme
file:///D:/Books/Psycha.ru/fr/abraham/1907/traumatisme_activite_sexuelle.html 1/14
08/09/2021 07:08 Les traumatismes sexuels comme forme d’activité sexuelle infantile

sexuel vécu dans l'enfance a une si grande signification dans l'histoire de


nombreux individus, mais elle laisse ouverte la question de savoir pourquoi chez
tant de névrosés ou de psychotiques on peut découvrir un traumatisme sexuel au
cours de l’anamnèse infantile. Si nous pouvions y répondre, le rôle de la
constitution anormale que nous avons postulée nous deviendrait, en partie du
moins, plus compréhensible.

Dans ce travail, je me propose d'aborder ces questions. J'essaierai, en particulier,


de prouver que dans un grand nombre de cas, la survenue du traumatisme a été
voulue par l'inconscient de l'enfant et que nous devons le considérer comme une
forme infantile d'activité sexuelle.

L'observation des enfants selon leurs particularités psychologiques ne manquera


pas de nous montrer que l'un est difficile, l'autre facile à séduire et à éconduire.
Il est des enfants qui acceptent presque sans résistance la proposition de suivre
un inconnu et d'autres qui réagissent à l'inverse. Les cadeaux, les sucreries ou
telles promesses agissent très différemment d'un enfant à l'autre. Enfin, il est des
enfants qui provoquent véritablement l'adulte d'un point de vue sexuel. Les actes
des procès-verbaux concernant des indécences commises sur des enfants sont
très instructifs à cet égard. J'ai pu étudier ce comportement dans deux cas où un
dément sénile avait porté la main sur des enfants  ; dans d'autres cas une
suspicion pressante orientait dans le même sens. Chez les membres d'une même
famille, on peut constater de grandes différences. L'une d'entre plusieurs sœurs,
par exemple, se laisse tenter et suit une personne étrangère ; une autre fois, au
cours de leurs jeux, elle va avec un garçon plus âgé dans une chambre située à
l'écart, et se laisse embrasser. Les deux autres sœurs montrent un comportement
opposé. La première, au sujet de laquelle je pourrais rapporter d'autres
anecdotes du même genre, présenta dès l'enfance des traits névrotiques et
souffrira plus tard d'une hystérie caractérisée. Cet exemple n'est pas unique.
Pour l'instant, nous constatons que certains enfants, plus que d'autres,
accueillent volontiers les tentations sexuelles. Cette observation peut nous
permettre de classer et de grouper les traumatismes sexuels malgré leur grande
variété. Nous pouvons distinguer les traumatismes sexuels imprévus et soudains
de ceux qui furent précédés par une tentative, une séduction, qui étaient d'une
façon ou d'une autre prévisibles, ou même carrément provoquées. Dans le
file:///D:/Books/Psycha.ru/fr/abraham/1907/traumatisme_activite_sexuelle.html 2/14
08/09/2021 07:08 Les traumatismes sexuels comme forme d’activité sexuelle infantile

premier cas, nous n'avons aucune raison d'admettre que l'enfant a été
complaisant. Dans le deuxième, on ne peut par contre pas le nier. Ces deux
groupes n'épuisent pas toutes les formes possibles  ; lorsqu'un attentat sexuel a
lieu de façon inopinée, la personne qu'il atteint peut se conduire activement et se
défendre sérieusement ou se laisser aller. Alors il s'agit à nouveau de
complaisance, d'abandon de la part de la personne agressée. Selon une
expression usuelle du droit romain, je dirais volontiers qu'une telle personne
succombe à une vis haud ingrata.

La vis haud ingrata a attiré de tout temps l'intérêt des législateurs qui devaient
décider de la sanction de délits sexuels. Je me réfère, par exemple, à la loi
mosaïque qui l'a pleinement accréditée et je cite le Deutéronome, XXII, 22-27 :

« Quand une fille est promise et qu'un homme la rejoint en ville et couche avec
elle, vous devez les conduire tous deux hors des portes de la ville et les lapider à
mort  ; la fille pour n'avoir pas appelé au secours en ville l'homme pour avoir
déshonoré la femme de son prochain. Ce qui est mauvais, tu dois le rejeter. Mais
si quelqu'un rejoint une fille promise dans les champs et se saisit d'elle et couche
avec elle, l'homme seul doit mourir : tu ne dois rien faire à la fille, car elle n'a
pas commis de péché qui mérite la mort. C'est comme si quelqu'un s'élevait
contre son prochain et tuait son âme. Car il l'a trouvée aux champs et la fille
promise a crié et personne qui puisse l'aider ne se trouvait là. »

Je renvoie à l'excellente petite histoire que Freud tire de Don Quichotte


(Psychopathologie de la vie quotidienne, 2e édition, p. 87) :

« Une femme traîne devant le juge un homme qui aurait attenté violemment à
son honneur. Sancho la dédommage par une bourse pleine qu'il prend à l'accusé.
Après le départ de la femme, il permet à celui-ci de la rattraper et de lui arracher
la bourse. Ils reviennent en luttant et la femme se vante que le vaurien n'a pu se
saisir de la bourse. Alors Sancho : Si tu avais défendu ton honneur avec moitié
moins de vigueur que cette bourse, cet homme n'aurait pu t'en dépouiller. »

Bien entendu, ces exemples concernent des adultes  ; mais nous aurons
l'occasion de constater que, dans ce domaine, il n'y a pas de différences entre
adultes et enfants.
file:///D:/Books/Psycha.ru/fr/abraham/1907/traumatisme_activite_sexuelle.html 3/14
08/09/2021 07:08 Les traumatismes sexuels comme forme d’activité sexuelle infantile

La loi mosaïque fait dépendre la punition de la fille de ce qu'elle a ou non


poussé des cris. Ce qui signifie : Si elle a essayé d'éviter l'événement. J'ai revu
sous ce jour des cas que j'ai publiés antérieurement. Pour chacun, le
traumatisme aurait pu être évité. Au lieu de céder aux avances, les enfants
auraient pu appeler à l'aide, fuir ou s'opposer. J'ai pu faire les mêmes
constatations par ailleurs.

L'accueil fait au traumatisme par l'enfant ne tient pas seulement à son


comportement au cours des préparatifs et pendant l'attentat, mais à son attitude
par la suite. Lorsque Breuer et Freud prouvèrent que les hystériques souffrent de
réminiscences, ils attirèrent déjà l'attention sur le fait que le traumatisme sexuel
infantile n'avait pas été rapporté à la famille mais avait été tu. Cela ne se produit
pas seulement sous l'effet immédiat du choc, mais, les auteurs l'ont prouvé, du
fait du refoulement de l'événement dans l'inconscient qui le rend inaccessible au
souvenir. J'ai constaté un comportement analogue chez des enfants plus tard
atteints de démence précoce. Mais je n'essayais pas alors de m'expliquer cette
conduite.

Il est remarquable qu'un enfant vive un épisode sexuel et qu'il le taise à ses
parents malgré l'émotion que cela a suscitée en lui. Un enfant, poursuivi et battu
par un autre, s'adresse en gémissant à sa mère. Je m'attends à l'objection faisant
état de la pruderie conventionnelle qui, conformément à son éducation,
empêcherait toute expression concernant la sexualité. Mais cette objection n'est
pas à toute épreuve. Un enfant saisi d'une forte émotion ne se soucie pas des
conventions. Enfin, et de loin, ce n'est pas là le comportement de tout enfant. Je
citerai deux exemples contradictoires.

Une tuyauterie doit être révisée dans une cave. Un ouvrier pénètre dans la
maison et demande les clés. Une locataire lui crie de descendre et qu'elle lui fera
porter la clé. Il descend et la petite fille de la femme arrive avec la clé. L'homme
va à la cave puis remonte. Dans la demi-obscurité de l'escalier, il trouve l'enfant
qui l'attend pour reprendre les clés. Avant qu'elle ne s'en aperçoive, l'homme
tente une action indécente. Effrayée, l'enfant se précipite jusque chez sa mère et
lui raconte ce qui vient de se passer. L'homme est poursuivi et arrêté.

file:///D:/Books/Psycha.ru/fr/abraham/1907/traumatisme_activite_sexuelle.html 4/14
08/09/2021 07:08 Les traumatismes sexuels comme forme d’activité sexuelle infantile

L'exemple inverse est tiré d'un cas publié antérieurement. Un voisin attire une
petite fille de neuf ans dans la forêt. Elle le suit sans résistance. Il essaie de la
violer. Il a presque ou entièrement atteint son but lorsqu'elle réussit à se libérer.
Elle fuit à la maison, mais ne raconte rien. Par la suite, elle continue à taire ce
qui s'est passé.

Le comportement de ces deux enfants après le traumatisme est complètement


opposé. Pourquoi cela ? Pensons à d'autres situations. Un enfant qui se blesse au
cours d'un jeu interdit avalera sa douleur et ne cherchera pas de consolation
auprès de sa mère. Le motif est clair  : l'enfant a succombé au charme du
défendu, il a l'impression d'être fautif de l'accident.

Le sentiment de culpabilité est très délié chez l'enfant. Une anecdote remontant
à la jeunesse d'une dame apporte une illustration intéressante au problème qui
nous préoccupe. Elle cherchait des fleurs avec une amie. Un étranger survint et
voulut les convaincre d'aller avec lui pour leur montrer des fleurs bien plus
jolies. Elles firent un bout de chemin avec lui. Puis elle eut des scrupules à
continuer ; elle se tourna brusquement et s'enfuit ; son amie en fit autant. Bien
que rien ne se fût produit entre l'homme et les deux enfants qu'une promenade
commune, cette dame se souvient parfaitement d'avoir éprouvé une honte à
parler de cela à la maison. Elle garda le secret à l'égard de sa famille et n'en
reparla jamais avec son amie. Un tel silence ne s'explique que par un sentiment
de faute  ; visiblement, l'enfant a plus ou moins l'impression que la faute n'est
pas seulement du côté du tentateur, mais aussi du côté de celui qui se laisse
tenter.

La même explication s'applique aux deux exemples précédemment cités. L'une


des enfants fut assaillie, dans une situation à laquelle elle ne pouvait rien ; c'est
sa mère qui l'avait envoyée à la cave. Elle est irréprochable, c'est pourquoi elle
parvient tout de suite à informer sa mère de ce qui vient de se produire. L'autre
enfant s'est laissé tenter. Elle a suivi le voisin dans la forêt et l'a laissé progresser
dans l'exécution de son dessein avant de s'en délivrer et de fuir. Il n'est plus
étonnant qu'elle ait tu l'événement.

C'est la recherche du plaisir liée à toute activité sexuelle qui la rend tentante.
Freud distingue dans tout acte sexuel le plaisir préliminaire et le plaisir de
file:///D:/Books/Psycha.ru/fr/abraham/1907/traumatisme_activite_sexuelle.html 5/14
08/09/2021 07:08 Les traumatismes sexuels comme forme d’activité sexuelle infantile

satisfaction. Le plaisir préliminaire peut être suscité physiquement par des


excitations tactiles de zones érogènes, mais également par d'autres excitations
sensorielles (par des impressions visuelles, par exemple), et enfin par des
représentations purement psychiques, éventuellement par une situation
excitante, qui tient en haleine. Il est difficile de dire quel est le genre de
jouissance qui joue le rôle primordial chez l'enfant. Il y a certainement de
grandes différences individuelles. Dans certains des cas que j'ai observés, le
caractère inhabituel et mystérieux, l'aspect aventureux semblaient avoir séduit
l'enfant. Mais il en est d'autres où les enfants provoquent directement des actes
sexuels de la part des adultes  ; nous devons bien admettre alors un désir de
satisfaction.

Si l'enfant se livre au traumatisme, c'est bien dans le but libidinal soit du plaisir
préliminaire, soit de la satisfaction. C'est là le secret de l’enflant. Ainsi
s'expliquent le sentiment de culpabilité de l'enfant et les autres conséquences
psychologiques qui suivent un traumatisme sexuel. Je ne peux que me référer ici
aux conceptions de Freud sur les phases précoces de la sexualité. Freud a détruit
la vieille fable de la latence sexuelle allant jusqu'à la puberté. Ses investigations
nous apprennent que les premières traces d'activité sexuelle apparaissent très tôt
et sont, pour un temps, auto-érotiques. Au stade suivant, l’enfant se tourne vers
«  l'amour objectal  »  : l'objet sexuel ne doit pas nécessairement être de l'autre
sexe. À côté des émois hétérosexuels et homosexuels s'en expriment d'autres
encore qui ont un caractère sadique ou masochique. C'est pourquoi Freud parle
de stade pervers polymorphe. Ces émois précoces ne révèlent pas leur vraie
nature à la conscience de l'enfant. Ils tendent vers un certain but sexuel sans que
cette intention transparaisse pour l'enfant. C'est bien en ce sens que l'événement
sexuel est but sexuel pour l'enfant prédisposé à l'hystérie ou à la démence
précoce. L'enfant subit le traumatisme selon l'intention de son inconscient. Dans
ce cas le traumatisme sexuel fait partie des manifestations masochistes de la
pulsion sexuelle. C'est donc bien une forme infantile de l'activité sexuelle.

Les transitions du normal au pathologique sont floues dans le domaine sexuel


comme ailleurs. Cependant, je pense qu'on est en droit de considérer
généralement comme activité sexuelle anormale une avidité sexuelle qui aboutit
à s'abandonner à des traumatismes sexuels. Il est à remarquer que nous la
file:///D:/Books/Psycha.ru/fr/abraham/1907/traumatisme_activite_sexuelle.html 6/14
08/09/2021 07:08 Les traumatismes sexuels comme forme d’activité sexuelle infantile

rencontrons précisément dans l'anamnèse de sujets névrotiques ou malades


mentaux, dont la vie sexuelle fourmille d'anomalies. Lorsque j'avais tenté de
retrouver en ce qui concerne la démence précoce la théorie de Freud (l. c.),
d'une base psychosexuelle de l’hystérie, j’avais esquissé grossièrement les
anomalies de la sexualité des enfants atteints ultérieurement de ces affections.
J'étais parvenu à l'hypothèse d'un développement prématuré de la sexualité et
d'une anomalie quantitative de la libido. De plus, je considérais que ces enfants
se préoccupaient trop précocement et intensément de choses sexuelles. Cette
conception peut être précisée actuellement : les enfants de cette catégorie ont un
désir anormal de plaisir sexuel et, de ce fait, ils subissent des traumatismes
sexuels.

Si nous poursuivons le destin des représentations liées au traumatisme subi,


notre conception s'enrichit.

Le sentiment de la faute est aussi insupportable pour la conscience de l'enfant


que pour celle de l'adulte. C'est pourquoi l'enfant cherche à traiter les
réminiscences désagréables de manière à réduire leur influence gênante. Elles
vont être clivées des autres contenus de la conscience. Elles mèneront une
existence spéciale sous forme de « complexe ».

Il n'en est pas de même des enfants qui ont subi un traumatisme sexuel sans
avoir été au-devant de l'incident. Ces enfants peuvent s'exprimer librement  ;
ainsi, ils n'ont pas à se débarrasser de réminiscences.

Le processus d’évanouissement à la conscience des représentations déplaisantes


est identique dans l'hystérie et la démence précoce (c'est-à-dire chez les
personnes qui souffrent par la suite de l'une ou l'autre). Il est vrai que nous
pouvons l'observer quotidiennement chez des sujets sains. Mais, tôt ou tard, le
refoulement se révèle être un pis-aller. Le complexe peut rester longtemps
inconscient. Mais un jour, un événement analogue au traumatisme sexuel
primaire fait resurgir les contenus des représentations refoulées. C'est alors que
se produit la conversion en symptômes d'une hystérie ou d'une démence
précoce. Dans le cas de la démence précoce, il existe une autre éventualité : une
poussée d'origine endogène où les symptômes seront l'élaboration de ce
matériel.
file:///D:/Books/Psycha.ru/fr/abraham/1907/traumatisme_activite_sexuelle.html 7/14
08/09/2021 07:08 Les traumatismes sexuels comme forme d’activité sexuelle infantile

Freud nous a fait connaître d'autres mécanismes qui servent au même but que le
refoulement. Par exemple, la transposition des affects en représentations
indifférentes : cette façon de faire donne lieu aux symptômes obsessionnels. De
même que le refoulement, la transposition en représentations indifférentes existe
dans la démence précoce et dans les «  névroses  ». À cet égard, je rappellerai
pour mémoire les grossesses imaginaires de la démence précoce  ; leur
psychogenèse est tout à fait celle des grossesses hystériques. Par ailleurs, dans
certains cas qui appartiennent clairement à la démence précoce du point de vue
diagnostique, les représentations obsessionnelles caractérisent le tableau
clinique. Deux modes d'expression du sentiment de culpabilité sexuelle sont
donc communs à l’hystérie et à la démence précoce. La démence précoce
dispose d'une troisième forme : l'élaboration d'un délire d'auto-accusation où la
culpabilité est transposée en représentations indifférentes. Je ne peux pas
prouver cliniquement, ici, que ces délires prennent leur source essentielle dans
des auto-accusations à contenu sexuel. Dans mon dernier travail j'ai mentionné
que bon nombre de patients relient tôt ou tard leur culpabilité délirante au fait
d'avoir manqué de sincérité pendant leur jeunesse - en cachant un événement
sexuel à leurs parents. Le sentiment de faute lié en réalité à l'acceptation sans
résistance d'un traumatisme sexuel est déplacé sur le « péché » bien moindre du
manque de sincérité. Il me semble que le mécanisme psychique du déplacement
sur une représentation moins chargée d'affects est proche parent de la
transposition qui est à la base des représentations obsédantes. Le résultat est
différent  : ici la représentation obsédante, là la représentation délirante. Les
autres mécanismes comparables isolés par Freud servent à des buts semblables
et fie peuvent être qu'évoqués ici, par exemple le déplacement d'une sensation
génitale à la bouche si fréquent dans l'hystérie et la démence précoce (et du
reste, aussi, dans le rêve).

L'avenir du complexe, ses manifestations tardives témoignent donc en faveur de


la conception que nous défendons au sujet du traumatisme sexuel de l'enfance.
Les enfants qui feront plus tard une hystérie ou une démence précoce nous
apportent une preuve curieuse - mais bien explicable de notre point de vue - du
fait que leur inconscient va à la rencontre du traumatisme sexuel  : souvent ce
traumatisme ne reste pas unique.

file:///D:/Books/Psycha.ru/fr/abraham/1907/traumatisme_activite_sexuelle.html 8/14
08/09/2021 07:08 Les traumatismes sexuels comme forme d’activité sexuelle infantile

On s'attendrait à ce que l'enfant brûlé craigne le feu, c'est-à-dire qu'il évitât cette
répétition d'un traumatisme sexuel, la possibilité même d'une telle éventualité,
surtout si l'événement a donné lieu, en plus du plaisir, à une douleur ou à
d'autres sentiments désagréables de façon directe ou indirecte. Mais c'est
l'inverse qui se produit. Les sujets qui ont subi un traumatisme sexuel où leur
disponibilité coupable est en cause, mais dont ils ont tiré un plaisir, ont tendance
à s'exposer à de telles situations. Le deuxième traumatisme qui peut survenir est
assimilé par l'inconscient au premier traumatisme refoulé. Le deuxième
traumatisme, ou un autre plus tardif, devient le facteur adjuvant qui rompt
l'équilibre psychique et la maladie éclate. Selon la prédisposition innée, il s'agira
d'une hystérie ou d'une démence précoce.

La tendance à subir continuellement des traumatismes sexuels est une


particularité que nous observons fréquemment chez les adultes hystériques. On
pourrait parler d'une diathèse traumatophile qui ne se limite d'ailleurs pas à des
traumatismes sexuels. En société, les hystériques sont ces êtres intéressants
auxquels il arrive toujours quelque chose. Les hystériques femmes, en
particulier, ont constamment des aventures. Poursuivies en pleine rue elles sont
l'objet d'avances sexuelles effrontées, etc. Il est inscrit dans leur façon d'être de
s'exposer à un effet traumatisant extérieur. Elles ont besoin d'apparaître comme
succombant à une contrainte extérieure nous trouvons là, sous une forme
exagérée, un trait général de la psychologie féminine [ 5 ]. Le fait que l'hystérie
avérée de l'âge adulte comporte cette tendance à subir des traumatismes fournit
un argument important à notre supposition de cette même tendance chez
l'enfant.

Dans Psychopathologie de la vie quotidienne, Freud a attiré l'attention sur les


intentions inconscientes de celui qui fait des petites maladresses, qui commet
des impairs, qui se fait du tort à lui-même et subit des accidents et d'autres
ennuis. J'ai rapporté plus haut une anecdote citée par Freud : elle montre que les
«  accidents  » sexuels aussi peuvent reposer sur une volonté de l'inconscient.
Cette théorie de Freud constitue un argument important en faveur de ma
conception que le traumatisme sexuel infantile repose sur un vouloir
inconscient. Pour justifier ma référence aux recherches de Freud, je rapporterai
quelques exemples frappants tirés de ma propre expérience.
file:///D:/Books/Psycha.ru/fr/abraham/1907/traumatisme_activite_sexuelle.html 9/14
08/09/2021 07:08 Les traumatismes sexuels comme forme d’activité sexuelle infantile

Une jeune fille de dix-neuf ans est renversée en plein jour, dans une rue
dégagée, par un soldat chevauchant au galop. Elle reste un court moment sans
connaissance, elle n'a subi aucun dommage physique grave. Peu après,
apparaissent les symptômes de ce que l'on appelle une névrose traumatique.

L'anamnèse nous apprend ce qui suit  : depuis l'enfance, les impressions et les
expériences les plus diverses l'ont déprimée. Elle fut témoin de la rupture du
couple de ses parents. Lorsque ceux-ci divorcèrent, elle fut confiée à la garde de
sa mère. Mais elle n'éprouvait aucun attachement pour cette femme inculte, sans
délicatesse. Le père, par contre, qui avait une activité littéraire en dépit de sa
condition d'ouvrier, attirait toute sa sympathie. À douze ans, elle fuit de chez sa
mère et alla chez son père. Elle fut parmi les meilleures élèves et s'essaya
précocement à la poésie. Son désir d'être institutrice semble né de sa facilité, et
de plus de son engouement pour un maître. Mais comme le père ne disposait pas
des moyens de lui accorder des études à l'école normale, elle dut quitter l'école
jeune encore et accepter des places auxiliaires de bonne à tout faire. Elle se
sentait très malheureuse, ne pouvant satisfaire son appétit intellectuel, ni
rejoindre un milieu social plus élevé. Elle demeura un an et demi dans une
place. Puis elle essaya de parvenir à mieux en apprenant la sténographie et la
dactylographie. Mais ses moyens financiers s'épuisèrent avant qu'elle n'eût
atteint son but  ; le travail qu'elle fit en usine ne lui plut pas à cause de la
compagnie des ouvrières incultes. Ses relations avec sa mère étaient devenues
très mauvaises depuis que la patiente la soupçonnait d'avoir conçu sa sœur au
cours d'une liaison avant son divorce. Elle était complètement isolée, car le père
s'occupait peu d'elle ; elle était contrainte de vivre dans un emploi haï, dans un
milieu social détesté. La sœur cadette, que la patiente aidait financièrement pour
lui permettre d'apprendre un métier, se montra ingrate. Toutes ces circonstances,
plus, vraisemblablement, un amour malheureux, la déprimèrent au point de lui
enlever tout goût de vivre. Peu de temps avant l'accident, elle avait écrit des
poèmes exprimant sa lassitude de la vie. C'est alors que se produisit l'accident.

Lorsqu'une personne a perdu tout goût à la vie - et pense à mourir plutôt qu'à
vivre de cette façon - et lorsque se produit un accident dans des circonstances
n'excluant pas le salut par la fuite, il est vraisemblable qu'il s'agit d'une intention
inconsciente de suicide. La jeune fille ne s'est pas précipitée sous les pas du
file:///D:/Books/Psycha.ru/fr/abraham/1907/traumatisme_activite_sexuelle.html 10/14
08/09/2021 07:08 Les traumatismes sexuels comme forme d’activité sexuelle infantile

cheval, ce serait un suicide conscient, elle n'a pas trouvé le moyen de l'éviter.
Freud a déjà donné cette explication dans des cas similaires de suicide ou de
tentative de suicide qui peuvent passer pour un accident. Il est remarquable que
l'état de la patiente s'améliora lorsqu'on lui trouva une occupation allant dans le
sens de son complexe, et qu'on s'inquiéta de lui trouver une position meilleure.

L'histoire de l'accident d'une dame atteinte de démence précoce révèle bien les
voies bizarres et pourtant opportunes que l'inconscient emprunte pour atteindre
ses fins. La patiente exprimait surtout des accusations délirantes, reposant sur
une masturbation longuement poursuivie. Elle m'apprit que la masturbation
remontait à un accident qui lui était arrivé plusieurs années auparavant. Alors
qu'elle avait dérapé, sa zone génitale avait heurté le coin d'une table. À la façon
dont elle racontait l'événement, le mécanisme de l'accident ne pouvait se
concevoir qu'en admettant une intention inconsciente. Vraisemblablement, la
malade éprouvait une excitation sexuelle qu'elle ne pouvait pas satisfaire de
façon normale. Elle luttait contre la tentation de se masturber. Ce que la
conscience lui interdisait, elle se l'était procuré par les voies inconscientes que
nous avons décrites.

Une autre patiente avait depuis l'enfance une prédilection marquée pour son
frère. Adulte, elle jaugeait tout homme à l'étalon des qualités de son frère. Elle
s'éprit d'un autre homme, mais cet amour eut une issue malheureuse. Peu après,
alors qu'elle était encore bien déprimée, sa maladresse au cours d'une excursion
en montagne l'a mis deux fois en grand danger. Cette double chute chez une
touriste avertie, en des lieux non dangereux, resta un mystère pour l'entourage.
Plus tard, on apprit qu'alors, déjà, elle imaginait des plans de suicide. Depuis cet
amour infortuné, sa préférence revint à son frère qui se fiança peu après. Elle
développa alors une démence précoce. Cette maladie s'était probablement
installée insidieusement. Au cours de l'état dépressif initial, elle tenta de se jeter
par la fenêtre - dans un mouvement semblable à ses chutes en montagne. À la
clinique, son état s'améliora très lentement. Enfin, elle put se promener sous
surveillante dans le parc. On y creusait un canal. Elle franchissait sur des
planches un fossé qu'elle aurait pu sauter facilement. À cette époque, elle apprit
la date du mariage de son frère. Elle parlait constamment de cette cérémonie. La
veille de ce jour, elle n'utilisa pas le pont, mais sauta le fossé si maladroitement
file:///D:/Books/Psycha.ru/fr/abraham/1907/traumatisme_activite_sexuelle.html 11/14
08/09/2021 07:08 Les traumatismes sexuels comme forme d’activité sexuelle infantile

qu'elle se foula la cheville. De tels incidents se produisirent si souvent que la


surveillante elle-même soupçonna leur caractère voulu. Visiblement,
l'inconscient manifestait ainsi ses intentions de suicide.

De tels événements apparaissent sous un jour nouveau pour peu qu'on connaisse
les faits antérieurs et le cortège des circonstances. Plus on soumet de tels
incidents à l'analyse psychologique, plus on apprend à estimer le rôle de «  la
volonté de l'inconscient  ». Bien entendu, il n'est pas possible de tracer une
frontière stricte entre les intentions inconscientes et conscientes.

Les névrosés et les malades mentaux nous offrent d'autres exemples de


répétition des traumatismes subis (et pas seulement sexuels). Nous devons faire
une incursion dans un domaine voisin. Il est indiscutable que, dans un très grand
nombre de cas, l'hystérie traumatique a la même signification que la sinistrose.
La lutte pour l'obtention d'un dédommagement empêche la disparition des
manifestations morbides. Lorsque l'amélioration constitue une menace de
réduction, voire de suppression de la rente, les symptômes disparus ou atténués
réapparaissent avec une force nouvelle. Ainsi nous appréhendons les mille
manières dont dispose l'inconscient pour réaliser des désirs qui restent obscurs
pour la conscience. Il n'est pas rare de voir des personnes ayant subi un accident
en subir un second, souvent insignifiant, puis un autre qui vient à point pour
appuyer leur revendication d'une rente. J'ai pu observer cela chez une catégorie
de sujets particulièrement disposés à l'hystérie, les travailleurs polonais couverts
par l'assurance-accidents allemande. De l'avis général, ces personnes défendent
avec obstination leur droit à la rente et les symptômes traumatiques-hystériques
sont d'un entêtement extrême. Le nombre de travailleurs polonais qui
revendiquent le paiement d'une rente en raison de plusieurs accidents est
surprenant.

La tendance à renforcer le premier accident par un second se manifeste même


lorsque le sujet accidenté est alité à cause de symptômes hystériques et n'a pas
l'occasion de faire un deuxième accident professionnel. Un ouvrier italien que
j'eus à expertiser avait blessé au crâne par une pince métallique tombée d'un
échafaudage. Je lui fis raconter ses rêves. Il me dit qu'en rêve, à plusieurs
reprises, quelqu'un lui avait frappé la tête avec un bâton ou qu'un autre accident

file:///D:/Books/Psycha.ru/fr/abraham/1907/traumatisme_activite_sexuelle.html 12/14
08/09/2021 07:08 Les traumatismes sexuels comme forme d’activité sexuelle infantile

lui était arrivé. Son inconscient souhaitait manifestement maintenir le complexe


traumatique symptomatique et exprimait ce désir en rêve. Dans sa théorie du
rêve, Freud nous montre que la peur qui en résulte n'infirme pas cette
conception. Je pense pouvoir ainsi accorder les cauchemars si fréquents
d'accidentés et la théorie du désir de Freud. L'inconscient n'a de cesse qu'il n'ait
fait valoir le complexe. Il veille à ce que la valeur affective du traumatisme
enduré ne soit pas perdue et le rappelle à la mémoire par un cauchemar.

Grâce à l'analyse des rêves chez les sujets sains, névrosés ou malades mentaux,
grâce aux symptômes de l'hystérie et de la démence précoce, nous disposons
d'une série d'observations chez l'adulte comme chez l'enfant. Nous en concluons
qu'il existe souvent une intention inconsciente du côté du partenaire
apparemment passif au cours des traumatismes sexuels, spécialement des
traumatismes infantiles, de même qu'au cours d'autres traumatismes.

C'est à une sexualité déjà anormale dans l'enfance que nous avons ramené la
réceptivité anormale aux traumatismes sexuels qui caractérise la jeunesse des
sujets candidats à une hystérie ou à une démence précoce. Ce comportement
nous est apparu comme une forme anormale d'activité sexuelle infantile. La
théorie freudienne initiale s'en trouve modifiée. Ce n'est pas le traumatisme
sexuel infantile qui joue un rôle étiologique dans l'hystérie et la démence
précoce. C'est bien plutôt la disposition à la névrose ou à la psychose ultérieure
qui se manifeste dès l'enfance sous cette forme  : la tendance à subir des
traumatismes sexuels. La signification étiologique du traumatisme sexuel est
remplacée par sa signification structurante. Nous concevons ainsi comment le
traumatisme sexuel peut imprimer une direction au développement de la
maladie et une physionomie individuelle à certains symptômes.

Nos investigations nous ont convaincu à nouveau de la ressemblance marquée


entre la symptomatologie de l'hystérie et de la démence précoce. La question de
leurs différences évidentes reste ouverte. Elles doivent, en grande partie, être du
domaine psychosexuel : elles feront l'objet d'un travail ultérieur.

Post-scriptum 1920
file:///D:/Books/Psycha.ru/fr/abraham/1907/traumatisme_activite_sexuelle.html 13/14
08/09/2021 07:08 Les traumatismes sexuels comme forme d’activité sexuelle infantile

L'écrit ci-dessus, datant de 1907, contient bien des erreurs sur les conceptions de
Freud. L'auteur commençait alors à s'initier au mode de pensée de la
psychanalyse. Cette remarque générale lui paraît plus juste qu'une correction
rétrospective, d'autant plus que les résultats de l'investigation ne sont pas
influencés par ces erreurs.

1 Travail fait à la clinique psychiatrique de l'Université de Zürich. Paru dans le


« Zentralblatt f. Nervenheilkunde Psych. », XXXe année, n°249.

2 Kleine Schriften zur Neurosenlehre, 1907, p. 232.

3 Kleine Schriften zur Neurosenlehre, 1907, p. 225.

4 De la signification des traumatismes sexuels précoces pour la symptomatologie de la


Démence précoce (Zentralblatt für Nervenheilk. und Psychiatrie, 1907). Page 17 de ce
volume.

5 Mentionnons, à cet égard, les rêves de jeunes filles et de femmes en bonne santé où
elles se font transpercer ou assassiner par l'homme. Freud nous a appris à reconnaître là
une représentation symbolique de désirs sexuels. Dans le rêve, l'homme à le rôle de
l'agresseur, le rêveur un rôle passif. La femme n'est même pas responsable de l'acte sexuel
symbolique.

file:///D:/Books/Psycha.ru/fr/abraham/1907/traumatisme_activite_sexuelle.html 14/14

Vous aimerez peut-être aussi