Vous êtes sur la page 1sur 13

A LA RECHERCHE DE "CIRTA REGIA" CAPITALE DES ROIS NUMIDES

Author(s): RENÉ LOUIS


Source: Hommes et mondes , OCTOBRE 1949, Vol. 10, No. 39 (OCTOBRE 1949), pp. 276-
287
Published by: Revue des Deux Mondes

Stable URL: https://www.jstor.org/stable/44207191

JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide
range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and
facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org.

Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at
https://about.jstor.org/terms

is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Hommes et mondes

This content downloaded from


154.59.124.141 on Sat, 24 Apr 2021 14:04:23 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
A LA RECHERCHE
DE CIRTA REGIA
CAPITALE DES ROIS NUMIDES

La ville de Constantine, chef-lieu d'un département algérien,


a reçu son nom actuel, sous la forme latine Colonia Constan-
tiniana ou Constantina, de l'empereur Constantin le Grand, au
début du IVe siècle. Durant les quatre siècles précédents, elle
avait porté les noms de Cirta Julia , ou Colonia Cirta , ou Cirta
tout court. Son nom officiel était beaucoup plus long : Colonia
Julia Juvenalis Honoris et Virtutis Ciřta . Elle l'avait reçu.
d'Auguste lorsque cet empereur y avait établi, entre 30 et
27 av. J.-C., une colonie de Sittiani, parents, clients et compa-
gnons d'armes de Sittius, cet aventurier qui avait apporté à
César un utile concours dans sa lutte contre les Pompéiens.
Le vocable Cirta qui termine la titulature de la colonie
augustéehne a donné lieu de croire à la plupart des érudits
que cette colonie avait succédé, sur le même site, à l'ancienne
capitale des rois numides, la Cirta Regia que mentionnent les
historiens latins, la Cirta que Salluste nomme à plusieurs
reprises dans De Bello Jugurthino.
Cette identification, ^dmise par Stephane Gsell dans son
Histoire ancienne de V Afrique du Nord , bénéficie de la légitime
autorité qui s'attache aux travaux de ce grand historien et
archéologue. M. Jérôme Carcopino l'adopte, ainsi qu'on peut
le voir en particulier au tome II de son Histoire romaine en
collaboration avec G. Bloch. Elle est donnée comme certaine
par les ouvragés scolaires, qui n'ont que trop tendance à pré-

This content downloaded from


154.59.124.141 on Sat, 24 Apr 2021 14:04:23 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
A LA RECHERCHE DE CIRTA REGIA 277

senter comme faits acquis des conjectures simplement p


sibles : il n'est que de consulter les éditions classiqu
Salluste. Elle ne s'impose pas cependant avec une entière
dence ; bien plus, on doit avouer qu'elle se heurte à un ce
nombre de difficultés sérieuses.
Si la capitale de Syphax, célèbre aussi par les amours
tragiques de Massinissa et de Sophonisbe, occupait le site gran-
diose de l'actuelle Constantine, n'est-il pas étrange que nid
écrivain ancien n'ait décrit, fût-ce en quelques mots, le rocher
sauvage, véritable nid d'aigle, forteresse naturelle et inexpu-
gnable, d'où Cirta Regia , d'après la thèse classique, aurait
dominé les gorges du Rhumel ? Salluste, qui connaissait les
principaux sites de l'Afrique du Nord pour les avoir vus, alors
qu'il était lieutenant de César, au cours du ^Bellum, Afričanům,
puis proconsul de V Africa nova , n'a pas un mot d'étonnement
ou d'admiration en évoquant Cirta. Le « scrupule descriptif »
est pourtant l'un des traits marquants du style de Salluste,
comme l'a noté M. Jean Bayet. L'historien latin ne marque
aucune surprise quand il rapporte que Cirta s'est rendue sans
combat à Metellus.
Le silence des autres écrivains anciens renforce les doutes
que fit naître le récit de Salluste. Appien admet que Cirta a
besoin de remparts bâtis de main d'homme pour se défendre
efficacement : Micipsa travailla précisément à doter sa capitale
des travaux d'art nécessaires à sa sécurité. Diodöre de Sicile
conçoit que la ville soit entourée d'un fossé et de divers travaux
de circonvallation. Strabon montre 10.000 cavaliers et
20.000 fantassins enfermés dans "l'enceinte de Cirta : comment
loger toutes ces troupes au faîte du rocher de Constantine ?
L'une des conditions que devrait remplir Constantine pour
être reconnue comme l'héritière de Cirta Regia serait de se
trouver en un point central du regnum Numidise ou, du moins,
à l'intérieur des frontières de ce royaume. Or, si l'on reporte
sur une carte de l'Afrique du Nord les points de découverte
des inscriptions relatives aux rois numides, de celles qui se
rapportent au culte des Cereres (1), ces deux déesses agraires
de la fécondité empruntées par les Numides aux Hellènes

(1) Il faut lire à ce sujet l'étude de M. Jérôme Càrcopino, Salluste , U culte des Cereres
et les Numides , dans Revue historique , t. CLVIII, 1928, p. 1-98.

This content downloaded from


154.59.124.141 on Sat, 24 Apr 2021 14:04:23 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
278 HOMMES ET MONDES

(Demeter et Koré), les emplacements connus


des domaines royaux dont quelques bornes ont é
les villes qualifiées de regiae , les stèles funér
astraux, on détermine une zone qui correspond
le système provincial romain, à l'Afrique
condition d'en retrancher V Africa vêtus, c'est-
le littoral qu'elle contrôlait et l'arrière-pays, a
qu'elle s'était assimilé. Ceci revient à dire
numide était, pour employer un terme mode
ment « tunisien ».
De fait, dans son récit du Bellum Jugurthinum, Salluste
cite quinze villes : Capsa, Carthago, Cirta, Hadrumetum,
Hippo, Lares, Leptis, Sicca, Suthul, Thala, Thirmida, Tisiduum,
Vaga, Utica, Zamer. Laissons de côté Cirta, dont la cause est
en discussion, et Leptis, qui paraît être la grande cité de Tripo-
litaine : les treize autres villes sont situées à coup sûr dans
l'actuelle Tunisie. Comment admettre alors que Cirta Regia ,
la capitale, ait occupé une situation aussi excentrique que
l'est celle de l'actuelle Constantine par rapport au territoire
de la Régence ? On sait que, contrairement au Bônois, qui
se rattache à la Tunisie par des liens géographiques, ethniques
et linguistiques, Constantine et sa région, orientées vers
l'ouest et le sud, n'ont que peu de rapports avec la Tunisie.
, Il est vrai que Stéphane Gsell et les historiens qui l'ont suivi
attribuent au regnum Numidise ime extension singulièrement
plus vaste du côté de l'ouest, puisqu'ils lui annexent toute
l'Algérie actuelle jusqu'aux confins du Maroc. Cette opinion,
qui ne trouve aucun appui dans les monuments épigraphiques
ou archéologiques, ne se fonde guère que sur l'identification
avec la Moulouïa actuelle du fleuve Muluccha , qui, d'après les
dires de Salluste, formait la frontière entre les États de Jugurtha
et ceux de son infidèle allié, Bocchus, roi des Maures. On sait
cependant que la Moulouïa marocaine a porté dans l'antiquité
le nom de Malva , qui ne peut être confondu avec l'hydronyme
Muluccha. Mais il y a plus.
Quand, en 107 av. J.-C., Marius, qui a remplacé l'aristocrate
Metellus à la tête du corps expéditionnaire, s'est emparé de
Gafsa (Capsa), Jugurtha se replie vers l'ouest pour solliciter

(1) Je pense ici aux fructueuses recherches de MM. Gilbert Picard et ťabbé Chabot*

This content downloaded from


154.59.124.141 on Sat, 24 Apr 2021 14:04:23 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
A LA RECHERCHE DE CIRTA REGIA 279

l'intervention armée de Bocchus ; pendant ce temps, le g


romain, remontant vers Cirta Regia pour y prendre ses quar
d'hiver, met le siège. devant une forteresse perchée sur un
rocheux aux pentes presque verticales, qui s'élevait non
de la Muluccha ; Jugurtha y avait mis ses trésors en sû
- du moins le croyait-il. Marius, grâce à l'ingéniosité
soldat ligure amateur d'escargots, réussit à enlever ce f
par un coup d'audace et de chance que M. Jérôme Carco
compare à la prise de la smala d'Abd-el-Kader par l
d'Aumale. Salluste donne de cette table rocheuse une descri
comme Cirta lui en aurait inspiré s'il l'avait vue sur le r
de Constantine : « Non loin de la rivière Muluccha, qui sépa
les royaumes de Jugurtha et de Bocchus, s'élevait au-d
de la plaine environnante une montagne rocheuse, d
sommet était juste assez étendu pour recevoir une petite fo
resse, perdue en plein ciel, avec une seule voie d'accès extrê
ment étroite ; la nature avait rendu les abords de cette
resse tellement abrupts qu'on y aurait pu voir l'effet du la
humain et de la préméditation » (1).
Salluste, après avoir conté avec beaucoup d'humour e
vie la prise de ce fortin, enchaîne avec les faits qui la suivi
immédiatement et montre Marius hivernant à Cirta. Visible-
ment, entre la prise de Gafsa et l'installation à Cirta, l'inter-
valle est de quelques semaines, de quelques mois au plus.
Dans ces conditions, comment admettre que la Muluccha de
Salluste soit la Moulouïa des confins marocains, ce qui suppo-
serait un raid fantastique de 3.000 kilomètres, comparable à
celui d'Annibal de Sagonte à Capoue ? M. André Piganiol
n'a pas craint de qualifier d'absurde une pareille randonnée : il
est certain qu'elle l'eût été du point de vue stratégique. On a
dû, pour rendre moins invraisemblable ce « bond » de Gafsa
à la Moulouïa, faire violence à .la chronologie de Salluste et
supposer tout un hiver entre la chute de Gafsa et celle du
fortin de la Muluccha. N'aurait-il pas été plus simple de
chercher cette rivière en Tunisie ?
Les érudits de Constantine, réjouissons-nous-en, ne sont

(1) De Bello Jugurthino , XCII, 5-6 : Haud longe a fumine Muluccha , quod Jugurthse
Bocchique regnum âisjungebat , erat inter ceteram plenitiem mons saxeus , mediocri Castello
satis patenst in immensum editus , uno perangusto aditu relicto ; nam ommis natura çelut
opere atque consulto prse ceps. Quem locum Mariusì quod ibi regis thesauri erantt summa vi
capere intendit ...

This content downloaded from


154.59.124.141 on Sat, 24 Apr 2021 14:04:23 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
280 HÜMMES ET MONDES

pas affligés de ce mal dont le ciel, en sa fureu


les historiens locaux et qu'on nomme « esp
Ce sont de hauts fonctionnaires constanti
actifs de la Société archéologique de Constant
à fixer la topographie antique de leur régio
depuis quelques années, à remettre en que
Constantine à se dire l'héritière lointain
M. Jacques Juillet, récemment encore dire
préfet de Constantine, appelé depuis lor
fonctions, et M. André Berthier, archivist
tement, conservateur du musée Gustave -Mer
déjà bien connu par ses fouilles et ses pu
constaté que la province romaine de Numid
Septime-Sévère, et dont Constantine ne d
vers 306, ne coïncide nullement par son exten
avec le royaume de Numidie, essentiellemen
la région de Constantine pourrait bien n'avoi
D'Auguste à Septime-Sévère, Constantine
étaient demeurés une confédération de qu
isolée, sans liaison routière avec la Tun
soumise nominalement à l'autorité du pro
vêtus , résidant à Carthage. Il est probable
Sévère les relations de Cirta Julia avec Ca
surtout par "mer, grâce au port de "Rusic
Les recherches archéologiques poursuivie
et dans la région ont suggéré à MM. Juillet
Cirta Julia d'Auguste, loin d'avoir succé
rois numides, aurait pris la suite d'un co
fondé par les Carthaginois et dont le nom
Batim . Ce serait le seul de ces comptoirs q
à l'intérieur des terres, tous les autres s'é
côte. Stéphane Gsell le constatait déjà : Co
des sites de l'Afrique du Nord où, Carthage
trouvé le plus d'inscriptions et de monn

(1) Je citerai particulièrement son remarquable ouvrage Les


antique dans la Numidie centrale , Alger, 1943. On y trouve l
méthodiques exécutées dans une , série de basiliques chrétie
s'échelonnent de la fin du iv® au viie siècle.
(2) Le fait est connu par l'étude du réseau des voies romai
dateś fournies par les bornes milliaires.
(3) Des monnaies trouvées à Constantine et dans la région p
laurée et barbue, au revers un cheval, qui est un signe sola

This content downloaded from


154.59.124.141 on Sat, 24 Apr 2021 14:04:23 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
A LA RECHERCHE DE CIRTA REGIA 281

ainsi que de coffrets d'os calcinés. On y a inventorié quelque


deux cents stèles puniques commémoratives de sacrifices
d'enfants ; les amphores rhodiennes s'y trouvent en abondance.
Les guerriers représentés sur des documents constantinois ne
portent jamais l'armure caractéristique des. Numides, mais
tiennent l'épée ou le pic d'armes. Les inscriptions trouvées à
El-Hofra, faubourg de Constantine, révèlent cinq personnages
royaux et un nom de lieu : Sarim Batim. Or treize inscriptions
trouvées à Carthage même émanent de. dédicants originaires
de la ville de Sarim Batim.
Ainsi, Auguste aurait été assez habile pour muer en colonie
romaine, sous le titre de Cirta Julia , l'ancien comptoir phénicien
de Sarim Batim. Mais, en ce cas, Cirta Regia est à chercher
ailleurs, et nous avons déjà dit les motifs qui portent à la
chercher du côté de la Tunisie.
Sans laisser à d'autres le soin de découvrir la capitale
numide, MM. Juillet et Berthier se sont mis à sa recherche, et
ils croient l'avoir retrouvée au Kef. Leurs arguments, présentés
avec beaucoup d'habileté et de mesure par M. Jacques Juillet
dans une communication à la Société nationale des Antiquaires
de France , le 18 mai 1949, seront exposés plus amplement
dans une étude qui ne comporte pas moins de 500 pages
dactylographiées et que les auteurs ont bien voulu me commu-
niquer. A la mise au point de ce travail a collaboré également
M. l'abbé R. Charlier, professeur de langues et -littératures
anciennes au séminaire de Constantine. Les spécialistes qui
ont entendu l'exposé de M. Jacques Juillet, et notamment
MM. Alfred Merlin, Adrien Blanchet, André Piganiol, Jules
Toutain, Châtelain, William Seston, ont souhaité à la foi¡* la
prompte publication de cet ouvrage, qui mériterait une
subvention du Centre national de la Recherche scientifique et
une révision sévère de toute l'argumentation qui y est déve-
loppée, en vue d'en accroître la rigueur et, partant, la force
démonstrative. Il est probable en effet que cette nouvelle
théorie, qui tend à renverser plusieurs données traditionnelles
de la géographie antique de l'Afrique du Nord, suscitera de
redoutables critiques de la part de savants très autorisés.

l'effigie d'un roi numide : Massinissa ou Jugurtha, là où Ton incline à reconnaître aujour-
d'hui l'image d'un dieu phénicien, peut-être Baal. La marque MN, d'interprétatton
délicate, est en tout cas, de lettres numiques, comme l'a reconnu l'abbé Chabot.
5

This content downloaded from


154.59.124.141 on Sat, 24 Apr 2021 14:04:23 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
282 HOMMES ET MONDES

L'intérêt des auteurs est certainement de


tions, ce qui n'est pas trop malaisé, et d'y
sorte, à l'avance. J'espère ne pas trop déf
dans le bref aperçu que je voudrais en dre
pages.
*
* *

Le Kef, place forte. tunisienne aux confins d


à 300 kilomètres de Constantine, dont elle est
zone de pénétration et de franchissement diff
mêlée, sous les Arabes et sous les Turcs, à t
entře Alger et Tunis. Le dey Hamouda Pach
Tunis de 1782 à 1814, disait : « Mon corps est
tête est au Kef. » Le Kef est, au dire de Mo
boulevard de la Tunisie ». Telle une vigie posté
des massifs montagneux, dont elle revêt l'a
citadelle surveille l'immense plaine qui s'étend
vieux pays berbère, encore aujourd'hui farouchem
On dit couramment que Le Kef portait dan
nom de Sicca Veneria , et on l'identifie un pe
la Sicca de Salluste (1), qui joue un rôle trop
égard à l'importance stratégique du Kef, ou
mercenaires, que le récit très circonstancié de Po
pas de placer aussi loin de Carthage. A vrai d
assuré est qu'Auguste fonda, sur l'emplaceme
ville du Kef, une colonie nommée Colonia Juli
nova Sicca. Bien que Sicca Veneria ait été le
qu'au temps où les Arabes le déformèrent en C
groupe de dix inscriptions latines trouvées au
ville à la fois Cirta et Sicca ; "parmi les habitan
nommés Cirtenses , les autres Siccences. Un
Augusto Conditori désigne clairement les Sicce
colons, d'où l'on peut déduire que les Cirtense
anciens habitants.
Cette réalité de noms pose un problème. T
de Lessert, admettant d'entrée de jeu que Con
Cirta Regia et, d'autre part, que l'adjectif nov
rature de la colonie, déterminait Cirta qui le pré
'(1) La bataille de Muthul, telle que M. Charles Saumagne l'a dé
à placer au Kef la Sicca , qui joue un rôle notable dans cette campa

This content downloaded from


154.59.124.141 on Sat, 24 Apr 2021 14:04:23 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
A LA RECHERCHE DE CIRTA REGIA 283

que la colonie du Kef avait été peuplée d'éléments venus


Cirta-Constantine et qui, au moment où ils s'installai
Sicca, avaient fait attribuer à leur nouvelle résidence Je
secondaire de Cirta nova.
A cette hypothèse, que Stéphane Gsell s'est gardé de
reprendre à son compte, MM. Juillet et Berthier opposent que,
dans la nomenclature urbaine, l'épithète nova se place régu-
lièrement avant le nom auquel il se rapporte. Nombreux sont
les exemples africains, tels Nova Petra, Nova Sparsa. Les
monnaies et inscriptions de Carthagène, la « nouvelle Carthage »
de la péninsule ibérique, portent Colonia Victrix Julia nova
Carthago, où nova détermine évidemment Carthago et non
Julia. Ainsi le titre de la colonie augustéenne du Kef indiquerait
plutôt une antique Cirta, dont le nom primitif, rejeté à l'arrière-
plan, aurait cédé le pas à celui de Nova Sicca lors de la deductio
de coloni venus d'une ville nommée Sicca.
Au premier siècle de notre ère, Valère-Maxime mentionne les
rites de prostitution sacrée qui s'observaient au Kef en
l'honneur de Vénus Érycine : or les principaux manuscrits
donnent pour ce passage la leçon Cirtm, tandis que d'autres
portent apud Cirtenses, et une troisième classe Siccse. On
peut en conclure que, sous la dynastie claudienne, le vocable
Cirta le disputait encore victorieusement à celui de Sicca.
De même l'inscription si pittoresque du moissonneur de Maktar
le montre fauchant et liant les épis tantôt dans la région du
mont de Jupiter, qui est sans doute le Zaghonatf, tantôt dans
celle de Cirta, qui est certainement Le Kef, voisin de Maktar :
supposer que le paysan de Maktar allait moissonner àConstan-
tine, soit à plus de 300 kilomètres de chez lui, serait encore plus
absurde que là prétendue randonnée de Marius depuis Gafsa
jusqu'à la Moulouïa !
L'identité de Cirta Regia et du Kef résulte surtout d'un
examen systématique des données géographiques que four-
nissent les historiens anciens à propos de la troisième guerre
punique, des conflits entre Massinissa ep Carthage, de la guerre
de Jugurtha, des divers épisodes de la lutte entre César et les
Pompéiens. Nous avons déjà dit que plusieurs de ces textes
excluent Constantine ; montrons qu'ils s'accordent avec
l'hypothèse qui place Cirta au Kef.
Cirta Regia entre dans l'histoire militaire en 203 av. J. C.,

This content downloaded from


154.59.124.141 on Sat, 24 Apr 2021 14:04:23 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
284 HOMMES ET MONDES

quand Massinissa poursuit Syphax réfu


Alors Scipion, des grandes plaines où il vie
remonte vers le nord. S'il permet à son lieu
joindre à Massinissa pour attaquer Cirta,
qu'il ne commet pas l'imprudence d'env
l'armée loin du gros des troupes et très en
Si l'on place Cirta au Kef, la prudence de
si on place Cirta à Constantine, Scip
invraisemblable imprudence.
La prise du fortin de la Muluccha, en
Marius revenant de Gafsa et allant hivern
facilement si l'on place Cirta au Kef et si, à
let et Berthier, on reconnaît la Mulucc
l'oued Mellègue, que les textes arabes n
. Malkak , formes très proches de Mulucch
fournissent les textes anciens. Or l'oued M
la Medjerda, semble bien avoir formé, dan
et supérieur, la limite occidentale du reg
État essentiellement « tunisien ». De temp
les Byzantins, les Arabes, les Turcs, lors d
çaise, l'oued Mellègue et son affluent ori
frontière naturelle que la citadelle du Kef
toutes les luttes. La table rocheuse où Ju
ses trésors serait le Kalaat-Senane, appelé
« table de Jugurtha », suprême refuge où
Mahon, en 1852, réduisit les Harar, seigne
Au cours de l'hiver 107-106, Marius p
mettre le siège devant une place forte ro
milieu du désert, mais il échoue et revient
Salluste nous dit alors en propres termes
Cirta sans avoir mené à bonne fin son en
l'arrivée des messagers [de Bocchus] et les
avec Sylla, le préteur L. Bellienius et to
l'ordre sénatorial alors présents en Afriqu
ensemble connaissance du message de Boc
d'Utique, ici clairement indiqué, ne peut
nullement à Constantine (1).
(1) Je sais que la plupart des éditeurs, et en dernier lieu M
déré la leçon Utica comme une faute, malgré l'accord des mei
opinion de l'éminent philologue, n'étant fondée que sur des c
pourra être revisée s'il est démontré que la Cirta de Sallu

This content downloaded from


154.59.124.141 on Sat, 24 Apr 2021 14:04:23 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
A LA RECHERCHE DE CIRTA REGIA 285

Quand César passe en Afrique pour y attaquer l'ar


pompéienne qui s'y est assemblée, il prévoit une rencon
dans le pays au sud d'Hadrumète (Sousse). Parmi les a
de César se range le condottiere Sittius, qui possède une
flotte ancrée dans le port d'Hippone (Bòne). En se portan
secours de César, Sittius^ sur sa route vers Hadrumète, s
pare de Cirta. Qu'on tende une ligne droite de Bòne à Sousse
on vérifiera que Le Kef s'éloigne bien peu de ce tracé, ta
que Constantine est complètement hors de cause.
Après sa victoire de Thapsus, César, reconnaissant, la
s'établir à Cirta-Le Kef l'aventurier qui l'avait si bien s
(46 av. J. C.). Cirta forma alors., avec le pays adjacent, un p
territoire autonome. Le roi Juba, ainsi dépossédé de sa
cipale résidence, élut Zama comme nouvelle capitale. Apr
suicide de Juba, César annexa presque tout son royaume
constitua, à côté de V Africa vêtus , strictement carthaginois
nouvelle province : V Africa nova , dont Salluste en personn
le premier gouverneur, avec chef-lieu à Songga ou à Zama.
du conflit entre Cornificius, proconsul de Y Africa vêtu
Sextius, proconsul de V Africa nova , les Sittiens canton
Cirta-Le Kef aidèrent Sextius à s'emparer d'Hadrum
Sousse, objectif qui eût été beaucoup trop lointain pour
troupe cantonnée à Constantine. Lselius, questeur de Cor
cius, avait mis le siège devant Cirta-Le Kef ; il fut cont
de le lever et de se replier en hâte vers Utique. Ceci impliqu
voisinage de Cirta avec Utique, déjà nettement marqu
Salluste, et qui exclut une fois de plus Constantine.
A la faveur de ces conflits entre proconsuls, il semble
que les Sittiens du Kef aient cherché à consolider leur
pendance à l'égard des représentants de Rome, et ce
s'appuyant au besoin sur des éléments berbères adjoints
armée. En 41, Fangon, gouverneur de Y Africa nova , qui s'
un moment rendu maître des deux provinces, est oblig
restituer à Sextius Y Africa vêtus : on le voit alors châ
sévèrement les Sittiani de Cirta-Le Kef, auxquels il rep
d'avoir pris parti contre lui dans son conflit avec Sextiu
MM. Juillet et Berthier proposent une ingénieuse exp
tion du fait que Cirta Regia disparaît de la scène politiqu
le milieu du premier siècle avant J.-C. César l'avait priv
son rang de capitale, manifestant ainsi la défaite défin

This content downloaded from


154.59.124.141 on Sat, 24 Apr 2021 14:04:23 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
286 HOMMES ET MONDES

et l'abaissement des rois numides. Auguste


plus loin encore : il réduit Cirta au rang de c
avec des colons étrangers, le nom de Nova
substituer peu à peu au nom antique et
susceptible de réveiller chez le peuple vain
goût de l'indépendance. En même temps
Auguste transporte de Cirta-Le Kef à Sar
tine les Sittiani qui, en exploitant les priv
César, avaient pris au Kef une puissance i
proconsuls. Le comptoir phénicien de Sari
même la place à la Colonisa Julia Juvenalis
Cirta , et Pline l'Ancien ajoute au nom d
Sittianorum cognomine, ce qui signifie que
était souvent nommée Cirta Sittianorum. E
lait opportunément l'exploit par lequel Si
avaient enlevé Cirta Regia , alors que César s
la bataille de Thapsus.
« Les Sittiens venus de Cirta-Le Kef, remar
let et Berthier, avaient fait leurs preuves
possédaient assez d'expérience africaine po
milieu des montagnes de Constantine, face au
la Petite Kabylie. Au Kef, ils devenaient g
constituaient, au milieu de l'appareil admin
nova , une enclave bénéficiant des franchises
par César lui-même. Mais, en leur demand
cette situation privilégiée, Auguste leur of
doniaine de Constantine et le droit de cit
conséquence de la deductio. »
Tout ceci est fort bien imaginé, en vérit
plausible, bien qu'on puisse se demande
accordés par César aux Sittiani en 46 ne co
la citoyenneté romaine. Il ne faut pourta
que c'est ici la pointe avancée du système q
et la plus audacieuse. Les textes en effet n
ment défaut sur cette deductio supposée d
Constantine sous le règne d'Auguste. Mais
autrement que les Sittiani , qui étaient au
trouvent à Constantine au temps d'August
Cirta les y ait suivis ?
A défaut de textes, MM. Juillet et Berthie

This content downloaded from


154.59.124.141 on Sat, 24 Apr 2021 14:04:23 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
A LA RECHERCHE DE CIRTA REGIA 287

un témoignage de cette deductio dans la numismatique. L'ins-


tallation pacifique des colons romains à côté des Phéniciens du
comptoir aurait été commémorée par une double émission de
monnaies, les unes au nom de Sittius Mugpnisanus, les autres
au nom de Bodmelgart, fils d'Hanno (1). Cette double émission
montrerait la coexistence à Cirta Julia , aù moins dans la
période initiale, de magistrats romains et de suffètes punigues.
L'une, des conséquences de cette nouvelle théorie est de
réhabiliter Salluste comme géographe. On avait peine à
admettre que cet historien, psychologue pénétrant et écrivain
de race, eût commis tant de bévues en matière de topographie
nord-africaine : les corrections des éditeurs ne suffisaient pas à
rendre claires les données géographiques du De Bello Jugur-
thino. Le système de MM. Juillet et Berthier permet, en conser-
vant le texte des meilleurs manuscrits, de reporter sur la carte
avec plus de cohérence l'itinéraire des armées romaine» à
travers la Numidie. Ces auteurs ont le mérite d'avoir posé à
nouveau, et en termes neufs, un problème qu'on avait ten-
dance à considérer prématurément comme résolu. Souhaitons
que des fouilles exécutées en des points bien choisis - et au
Kef en premier lieu - permettent à M. André Berthier, qui a fait
ses preuves au Castellum T issitanorum (2), de confirmer bu de
préciser par des découvertes archéologiques les résultats, dignes
de la plus grande considération, que l'équipe des trois chercheurs
constantinois a déjà obtenus.
RENÉ LOUIS.

(1) Le P. Ferron, des Pères blancs, directeur du musée de Carthage, a récemment exa-
miné cette série monétaire du musée de Gonstantine et confirmé la lecture de cette inscrip-
tion, qui avait été donnée jadis par F. de Saulcy.
(2) Sur ces fouilles, on peut voir, outre les comptes rendus de la Commission de l'Afrique
du Nord (Bulletin archéologique du Comité des Travaux historiques) , la brochure de MM. Louis
Leschi, directeur du Service des Antiquités de l'Algérie, et André Berthier, Tiddis ,
Constantine, s. d., 43 pages. On y trouvera, en particulier, le texte de la dédicace d'un sanc-
tuaire à la Fortuna Augusta , par Quintus Sittius Urbānus, édile et questeur de la res-
publica castelli Tidditanorum , dont l'épitaphe, conservée au cimetière des bords du Rhumel,
nous apprend qu'il mourut à quatre-vingt-douze ans et fut .enterré à côté de sa fille Sittia
Faustina, emportée à l'âge de vingt-trois ans. Ainsi les Sittiit à Tiddis et ailleurs, géraient
les plus hautes charges de la Confédération cirtéenne.

This content downloaded from


154.59.124.141 on Sat, 24 Apr 2021 14:04:23 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms

Vous aimerez peut-être aussi