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Lecture Analytique de l’acte III, scène 3 de Phèdre

(v. 857 – 912)

Introduction

Nous sommes dans la scène où le coup de théâtre tragique, le nœud, va entraîner


une culpabilité supplémentaire dans le cœur de Phèdre : Oenone, au début de la scène 3, au
vers 3 (au centre exact de la pièce  = III, 3,3) annonce que Thésée n’est pas mort. Il va
paraître très rapidement, dans la scène suivante, comme le héros qu’il est, mais aussi
comme un juge capable de punir. Phèdre est donc en proie à un accablement qui l’amène
instinctivement à reformuler son propre désir de mourir pour ne rien dévoiler de son désir
coupable. En face d’elle, Oenone veux tout faire pour la sauver.
[ Lecture ]
Vous m’avez demandé….. Pour répondre à cette problématique, je vais développer
les deux axes suivants : je vais montrer comment Racine met en scène l’affolement de
Phèdre, puis je vais analyser la machination d’Oenone.

Premier axe : l’affolement de Phèdre

Les effets de l’angoisse de Phèdre sont à la mesure de la surprise du nœud. Le retour


de Thésée la met en présence de sa propre réputation salie. Au vers 860, elle évoque le
Nom, c’est-à-dire le renom, que son désir et ses aveux ont forgés. Elle envisage sa faute
comme un « héritage » (vers 861), elle qui a dû subir et assumer, en tant que fille de
Pasiphaé, les crimes d’une mère (le vers 866 est donc à double sens : il évoque le présent
mais aussi le passé traumatisant). L’affolement actuel de Phèdre va donc la resituer dans un
univers bien connu, un univers psychologique très fragilisé. Les verbes qu’elle utilise sont des
verbes qui mêlent le sentiment et la sensation : craindre, trembler. Il s’agit aussi d’un
discours généralisateur dans son aspect moralisant : la descendance souffre toujours des
fautes de la famille (voir le présent de vérité générale du vers 864) et Racine nous fait sans
doute comprendre qu’aucun être humain ne peut se sentir innocent. On remarque que les
deux fils de Phèdre sont pris dans cet engrenage infernal. Le style utilisé est clair («  l’un ni
l’autre » dit Phèdre et la plainte redondante d’Oenone renforce ce sentiment puisqu’elle
emploie à peu près la même formule « l’un et l’autre »).
Pour espérer se délivrer d’une réputation ignoble, Phèdre est résolue à se tuer.
Notons l’impératif « Mourons » qui symbolise le seul acte fort auquel elle peut penser. Cette
énonciation montre qu’elle rassemble ses dernières forces pour donner à cet ordre auto-
destiné un caractère royal et volontaire. Les sonorités ont un aspect guttural (par exemple,
on observe 13 fois le son de la consonne « R » en 5 vers [vers 857-861]) ce qui donne à
cette résolution le ton de la gravité. De nouveau, nous trouvons un constat généralisant lié à
un espoir : « la mort aux malheureux ne cause point d’effroi », sorte de maxime de sagesse
qui légitime sa prise de décision.
Dans cette fin de scène, Phèdre ne jure que par la mort, puisqu’elle n’est que trop
coupable de l’avoir déjà retardée. Face à Oenone qui va sans cesse argumenter, elle
répondra peu, parce qu’elle est tournée vers le désir de fuir cette vie. Pourtant, les deux
répliques qui ponctuent la prise de parole élaborée de sa nourrice vont vivifier son
affolement parce qu’elles sont liées à deux dégoûts contradictoires :
 Le premier dégoût (vers 884) met fin au désir pour Hippolyte. Le vocabulaire
employé accable le jeune homme puisqu’il en fait un « monstre » c’est-à-dire la
même entité repoussante dont se servait Phèdre pour se qualifier à l’acte II.
Notons cependant l’importance du lexique du regard ( vois, yeux), le lexique qui
signale le jeune homme comme un objet amoureux cette fois violemment
repoussé !
 Le second dégoût (vers 893) est l’inverse du premier, puisque, en réagissant aux
propos stratégiques d’Oenone, Phèdre fait d’Hippolyte un « innocent » qu’elle
refuse d’accuser injustement. Son cri est un cri de révolte !
Cette contradiction déstabilise la résolution de la reine. Elle ne sait plus comment
juger l’objet de sa perte. Hippolyte est-il un monstre qu’il faut abattre ou un innocent  qu’il
faut sauver ? L’emprise d’Oenone sur sa volonté se faisant de plus en plus grande, elle se
trouve non seulement dans une impasse psychologique mais aussi dans l’incapacité de se
situer dans une pensée rationnelle. La seconde réplique est d’ailleurs une question, ce qui
montre l’égarement que représente pour elle, sur le plan moral, la stratégie d’Oenone.
Phèdre, privée de sa passion et incapable d’utiliser sa raison, se fige dans une passivité
terrifiante. A la fin de la scène, c’est le lexique du regard qui intensifie son affolement. Elle
juge les yeux d’Hippolyte « insolents » car sa simple vue la replace dans la mésestime de
soi. Et c’est ce regard interprété par Phèdre qui va faire d’Oenone l’instrument de la
poursuite de la tragédie.
Passive, Phèdre le restera puisqu’elle abdique toute volonté d’agir. C’est Oenone qui
agira, qui sera coupable de mensonge, de calomnie, qui alimentera la vengeance de Thésée.
Et elle agira au nom de la réputation de sa maîtresse (il faut remarquer ici que la règle de la
bienséance du XVIIe siècle empêche Phèdre de se plonger dans le vice de l’injustice).

Deuxième axe : la machination d’Oenone

Oenone prend de l’ampleur dans cette scène parce qu’elle ne se contente pas de
recevoir des sentiments, elle analyse et elle propose. Le texte de Racine est un texte
argumentatif qui repose sur 5 arguments :
 Le premier est un argument chrétien. Oenone montre que la mort est une
faiblesse. Avec habileté, elle va jusqu’à dire que la mort équivaudrait à un aveu
au grand jour. La lâcheté est implicitement évoquée grâce à la figure du
redoutable Thésée au vers 874. La fuite des responsabilités (la mort) amplifierait
un discours accusateur. Si Hippolyte accuse Phèdre et si Phèdre se tue, Thésée
conclura que sa femme est coupable (notez le « on dira que… » du vers 873
terrible pour une femme qui a le souci de son honneur)
 Le second argument qu’Oenone emploie la dépeint comme incapable de restituer
seule la réputation de Phèdre. Phèdre morte, Oenone serait désemparée, « trop
facile à confondre », c’est-à-dire qu’Oenone n’est pas sûre de son attitude.
 Le troisième argument s’appuie sur le premier dégoût de Phèdre : puisque la
reine déteste son beau-fils, qu’elle le considère désormais comme un monstre,
pourquoi ne pas se débarrasser des scrupules qui l’empêche de l’accuser ?
Oenone s’emploie à renverser la réalité : on doit pouvoir montrer que c’est
Hippolyte le coupable. Elle élabore un mensonge plausible : les vers 889 (la pièce
à conviction qu’est l’épée), 890 (la douleur actuelle de la reine et son irritation
passée qui avait déjà permis l’exil) font de Phèdre une innocente.
 Le quatrième argument s’appuie sur le deuxième dégoût de Phèdre : puisque la
reine se révolte à la pensée d’une fausse accusation, il faut qu’elle pense que cela
se passe en famille. Thésée, en bon juge, sera clément. Au vers 902, elle utilise
un oxymore (supplice léger) pour atténuer la colère d’un juge qui est avant tout
père. Ainsi, Oenone minimise les conséquences de son mensonge.
 Le cinquième argument est l’argument le plus convaincant pour une âme affolée
et passive (notez le mot « silence » du vers 894 opposé au verbe « je parlerai »
du vers 899) : Oenone parlera à la place de sa maîtresse (« mes avis » au pluriel
renforce son désir d’éloquence). Celle-ci n’aura rien à dire elle-même. Oenone
prend en charge l’action.

Si l’on analyse cette machination d’un point de vue psychologique, on s’aperçoit


qu’Oenone se fait le mauvais génie de Phèdre. Elle se veut protectrice mais sa volonté d’agir
va envenimer la tragédie. Pourquoi ce personnage secondaire devient-il si actif ? Parce que
Racine brosse ici une contamination amoureuse. Au vers 905, Oenone parle d’un trésor (la
vie de sa maîtresse), c’est-à-dire qu’elle est dans le même état de passion absolue et
condamnable que Phèdre. Son vocabulaire est atteint par la passion (l’oxymore « triomphe
affreux » au vers 889, les hyperboles « mille morts » au vers 896, « la flamme me dévore »
au vers 891). Son intelligence est au service d’un seul désir : sauver sa maîtresse, c’est-à-
dire continuer à l’aimer. Son cynisme l’empêche de prendre en compte le mal qu’elle fait à
Hippolyte et la mauvaise foi qui l’anime. Si l’on avait à classer les critères qui la font agir de
manière aussi diabolique, on pourrait citer les causes suivantes :
Oenone ose faire cela
 En premier lieu pour Phèdre mais en fin de compte pour elle-même
 En second lieu pour les enfants de Phèdre qui ont besoin d’une mère (n’oublions pas la
valeur nourricière : Oenone fut nourrice de Phèdre)
 En troisième lieu pour l’honneur, mais un honneur abstrait qui est garanti par l’injustice
et la malhonnêteté.

Bien sûr, Racine nous dit déjà, dans cette scène, qu’Oenone est un personnage punissable.
Elle devra payer pour cette odieuse machination.

Conclusion

Le nœud fait de Phèdre un être affolé, en proie à un désarroi qui la livre à l’instinct.
Elle a celui de faire confiance à Oenone. Elle se trompe, évidemment. Est-elle le jouet des
Dieux ? Et Oenone est-elle un double de Phèdre, capable (et coupable) par désir de perdre le
sens des réalités ? Pour répondre à la question que vous m’avez posé, je veux dire que…
[ Réponse individuelle]

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