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L’apparition de trespass on the case 

:
l’état de l’historiographie 1

Christophe ARCHAN
Université de Paris X Paris Nanterre

« Le phénomène le plus important », écrit Maitland, à propos des actions qui
existent sous le règne d’Henri  III (1216-1272), «  est l’apparition de trespass –
cette mère fertile des actions »2. L’action de trespass, évoluant en trespass on the
case, a en effet généré une bonne partie du droit du contrat et des torts du droit
anglais. À partir de la période moderne, trespass on the case montre sa souplesse
et ses grandes facultés d’adaptabilité. Il permet à une plainte d’être formulée en
termes de dommages causés par la partie adverse3. La question des origines de
trespass on the case a donc suscité au cours du temps un intérêt certain mais aussi
un grand nombre d’interrogations. Nous proposons ici de nous en faire l’écho.
Remontons tout d’abord aux origines, c’est-à-dire à trespass vi et armis et
même à trespass. On ne voit pas apparaître les premiers writs de trespass dans les
registres avant les années  1260. Mais ces registres sont des collections privées
de formules, qui pouvaient exister antérieurement. L’action se fonderait sur les
dommages consécutifs à la violence, l’émeute, mais aussi sur des questions de
propriété. Quoi qu’il en soit, cette action prend une forme stable au début du
xive  siècle, avec la mention d’un dommage (wrong) causé par la force et les
armes (vi et armis) et contre la paix du roi (et contra pacem regis). D’où le nom
de writ de trespass vi et armis, dont il existe plusieurs sortes : assault and battery,
false imprisonment, taking away of goods and chattels et breaking the close (pour
ne citer que les principaux)4. L’omniprésence de la mention de la force et des
armes a eu comme conséquence que l’on a lié pendant des siècles le trespass à
un préjudice direct par la force. L’utilisation de cette action allait bientôt être

1. Je remercie infiniment le professeur Paul Brand pour ses remarques et ses précieux
conseils. Toute erreur reste de ma propre responsabilité.
2. F. W. Maitland, Equity also The Forms of Action at Common Law, Two Courses of
Lecture, Cambridge, Cambridge University Press, 1910, p. 342.
3. D. Ibbetson, A Historical Introduction to the Law of Obligations, Oxford, Oxford
University Press, 1999 (2006), p. 95.
4. R. C. Palmer, English Law in the Age of the Black Death 1348-1381. A Transformation
of Governance and Law, Chapel Hill, University of North California Press, 1993,
p. 153-154.

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encadrée par la loi. En 1278 en effet, le Statut de Gloucester, dans son chapitre 8,
répartit la compétence des cours en matière de trespass. Il prévoit que les cours
royales n’accueillent les demandes en la matière qu’à partir d’un préjudice sur
les biens, supérieur à 40  shillings. Pour les faits de violence, le plaignant doit
prêter serment. Pour les autres affaires –  les moins importantes  – on s’adresse
donc aux cours locales (cours de comté). Pour marquer la différence entre les
deux procédures (devant les juges royaux et devant le shérif), la Chancellerie ne
mentionne pas les termes de vi et armis dans le writ destiné à la cour de comté.
On pense donc que la raison première pour laquelle on trouve systématiquement
« vi et armis » dans les writs destinés à la cour royale, réside dans la volonté de
filtrer les accès à cette même cour. Il n’y a donc bien que les writs « vi et armis »
qui permettent de plaider devant les cours royales. Dans le Registre des writs, qui
date des années 1320, on compte 40 writs de trespass, tous contiennent les termes
d’« atteinte à la paix », et 37 contiennent la mention « vi et armis »5.
À la même époque, on utilise trespass vi et armis pour toute une série de
préjudices, comme des blessures physiques, des saisies de biens, des emprisonne-
ments injustifiés, des animaux tués, des usages frauduleux de sceaux, des blessures
causées par des chiens incités à mordre, des dommages causés sur une terre6. Et
les cours royales attirent les justiciables, on y perd moins de temps que dans les
cours locales, les décisions sont mieux appliquées et sont enregistrées officielle-
ment7. Les juges royaux appliquent partout le même droit et ont bénéficié d’une
formation de qualité, auprès de maîtres expérimentés à partir du xiiie  siècle8,
puis dans les inns of court (à partir du xive siècle). Trespass vi et armis est le moyen
d’accéder à ces cours pour des préjudices causés par la force. Mais progressive-
ment, le writ est aussi utilisé en justice pour dénoncer la mauvaise application
des contrats, c’est ce qui va ensuite devenir possible avec trespass on the case. Il y
a derrière cette expression l’idée que l’on utilise trespass dans un cas particulier :
«  trespass upon your case [matier]  » (1400)9, ou encore «  trespass sur son cas  »
(1534)10.

5. Ibid., p. 155. Les writs envoyés dans les cours de comté (et qui ne contiennent pas
la mention « par la force et les armes ») concernent aussi des préjudices causés par la
force et des atteintes à la paix.
6. Ibid., p. 155.
7. J. H. Baker, An Introduction to English Legal History, 4e éd., Londres, Butterworths,
2002, p. 14-15.
8. P. Brand, « Courtroom and Schoolroom: The Education of Lawyers in England Prior
to 1400 », Historical Research, 60 (1987), p. 147-165 (réédité in P. Brand, The Making
of the Common Law, Londres, Hambledon Press, 1992, p. 57-75).
9. P. ex., J. H. Baker et S. F. C. Milsom, Sources of English Legal History: Private Law
to 1750, 2e éd., Oxford, Oxford University Press, 2010, p. 641.
10. Fitzherbert, In Natura Brevium (1536), cité in S. F. C. Milsom, « Trespass from
Henry III to Edward III. Part II: Special Writs », Law Quarterly Review, 74 (1958),
p. 407-436, ici p. 418 (réédité in S. F. C. Milsom, Studies in the History of the Common

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Nous allons voir comment cette procédure de trespass on the case est
apparue  :  comment l’historiographie présente cette apparition  (I)  ; puis nous
verrons comment cette apparition a été expliquée par les historiens du droit
anglais (II).

I. L’apparition de Trespass on the case


L’historiographie a tendance à considérer les années 1360 comme une étape
marquant la naissance de trespass on the case. Nous verrons que cette date a
été discutée. Mais avant cela, penchons-nous sur ce qui se passe au début du
xive siècle, d’après les travaux de David Ibbetson.

A. Les premières tentatives


Trespass vi et armis va servir de fondement à un certain nombre d’actions
qui concernent le respect des contrats, en particulier la mauvaise exécution des
contrats. Trespass apparaît en effet comme le meilleur moyen pour les plaignants
d’aller devant les cours royales. Ils vont alors rencontrer un problème de décalage
entre le type d’action utilisé (trespass) et la vraie nature de la plainte. Ce décalage
ne va évidemment pas les aider à gagner leurs procès.
C’est ce qui apparaît dans les sources judiciaires des années 1310. Dans l’affaire
John Kemp contre Robert d’Oxford de 1313, par exemple, John se plaint d’avoir
acheté trois sacs de laine alourdis frauduleusement par l’ajout d’une grande quan-
tité de sel dans la marchandise, causant, dit-il, un « grave dommage », « contre
la paix [du roi] ». Face à cette accusation, Robert se défend sur le terrain de la
procédure, affirmant que la mention « contre la paix du roi », qui apparaît dans
le writ est inadaptée, puisque, dit-il, cette accusation relève plutôt de la rupture
de covenant et non d’un acte contre la paix du roi. John, qui ne peut dire le
contraire, perd donc son procès11.
Au cours de la même décennie, des tentatives de cette nature se révèlent infruc-
tueuses. C’est le cas en 1312 dans l’affaire qui oppose les époux Hervey et Agnes
de Taumbes, qui ont remis au frère Walter de Skegness un écrit (« vn escript »)
pour qu’il l’examine. Les époux reprochent à l’homme d’Église d’avoir emporté
le précieux document « par la force et les armes, c’est-à-dire avec des épées, des
arcs et des flèches » et « contre la paix [du roi] ». Ils estiment le préjudice à 10 £.

Law, Londres, Hambledon Press, 1985, p. 31-60, ici p. 42). V. aussi : A. K. Kiralfy,
The Action on the Case, Londres, Sweet & Maxwell, 1951, p. 7. Lorsque les faits sont
rappelés en introduction d’un report, ils sont souvent désignés par le terme casus ou cas.
Je remercie le professeur Paul Brand pour cette remarque.
11. M. S. Arnold (éd.), Select Cases of Trespass from the King’s Courts 1307-1399,
vol. II, Selden Society, 103, Londres, 1987, p. 447, n. 42.1 ; D. Ibbetson, A Historical
Introduction…, op. cit. (n. 3), p. 43-44.

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Walter, qui nie avoir emporté le document et avoir fait usage de la force, est
suivi par les juges12.
On retrouve la même revendication dans l’Eyre de Londres de 1321
(Edouard II). Dans Toteshalle contre Orfevre, le plaignant dit avoir remis un coffre
scellé contenant 40 £ à John Orfevre, qui avec un complice « par la force et les
armes » aurait brisé le coffre pour s’emparer de son contenu. « Et », peut on lire
en français dans le texte, « purceqil ne put estre entenduz qe homme put a force
et armes et encontre la pees prendre chose qest en sa garde demene, et bille de
detenu de chateux ly eust servy proprement en ceo cas, il ne fut pas respounduz
etc. »13 En clair, le juge ne comprend pas pourquoi « un homme peut prendre
une chose qu’il a [déjà] en sa possession, par la force et les armes et contre la
paix ». Une action en detenue aurait été nécessaire. Le jugement n’est donc pas
rendu en faveur du plaignant (qui agissait par bill)14. De manière identique, il
n’a pas été reconnu par les mêmes juges qu’un coffre plein de bijoux et autres
objets de valeur ait pu être fracturé par son dépositaire, « par la force et les armes,
c’est-à-dire les épées et les haches » (writ), dans l’affaire Burton contre Polet15.
Dans ces conditions, les plaignants avaient tout intérêt à ce que leur plainte
ne fasse pas référence à un contrat originel mais se focalise plutôt sur la violence
dont ils avaient été les victimes, entraînant un dommage sur leurs biens. De
cette manière, la plainte correspondait beaucoup mieux à l’esprit de l’action
de trespass vi et armis. Du coup, ce procédé ne nous permet plus de repérer
facilement dans les sources les actions qui résultent d’une mauvaise application
des contrats car elles sont désormais cachées par les plaignants16. On y parvient
néanmoins dans certains cas, comme Rattlesdene contre Grunestone (1317). Dans
cette affaire, Simon de Rattlesdene, qui a acheté un tonneau de vin aux époux
Grunestone, se plaint d’avoir reçu une marchandise coupée à l’eau de mer, car
les défendeurs auraient prélevé une partie du vin «  par la force et les armes,
c’est-à-dire par les épées, les arcs et les flèches », vin qu’ils auraient remplacé par
de l’eau salée « contre la paix du roi ». De leur côté, les défendeurs nient avoir
eu recours à la force17. On a identifié derrière l’apparent frelatage par la force
un accident maritime qui aurait mal tourné, endommageant ainsi la cargaison
livrée à Simon de Rattlesdene. Nous serions donc face à la mauvaise application

12. W. C. Bolland (éd.), Year Books of Edward II, vol. XI : 5 Edward II A.D. 1311-
1312, Selden Society, 31, Londres, B. Quaritch, 1915, p. 215-216 ; J. H. Baker et
S. F. C. Milsom, Sources…, op. cit. (n. 9), p. 339-340 ; D. Ibbetson, A Historical
Introduction…, op. cit. (n. 3), p. 44.
13. H. M. Cam (éd.), Year Books of Edward II, vol. XXVI/2 : The Eyre of London.
14 Edward II A.D. 1321, Selden Society, 86, Londres, B. Quaritch, 1969, vol. II, p. 149.
14. D. Ibbetson, A Historical Introduction…, op. cit. (n. 3), p. 44.
15. H. M. Cam (éd.), Year Books of Edward II, op. cit. (n. 13), p. 150 ; D. Ibbetson, A
Historical Introduction…, op. cit. (n. 3), p. 44.
16. D. Ibbetson, A Historical Introduction…, op. cit. (n. 3), p. 44.
17. J. H. Baker et S. F. C. Milsom, Sources…, op. cit. (n. 9), p. 341.

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d’un contrat, due à un accident maritime, combattue par l’action de trespass vi
et armis pour plaider devant une cour royale. Et cette affaire ne semble pas être
un cas isolé au xive  siècle18. Même si les faits sont occultés par les plaignants,
rendant leur compréhension plus difficile après les années  1320, on identifie
malgré tout des problèmes de mauvaise application contractuelle derrière des
dommages causés soi-disant pas la force. C’est le cas d’actions bien connues
contre des maréchaux-ferrants qui blessent les chevaux qui leur sont confiés ou
des médecins qui ratent leur opération19.
Il arrive cependant dans ce contexte que les juges soient sensibles au fond
de l’affaire, alors même que les questions de procédure n’auraient pas dû le
permettre, car les allégations de l’utilisation de la force paraissent déplacées.
C’est ce qui semble se produire en 1329-1330, dans l’affaire dite de l’Oculiste.
Ici, un patient se plaint d’avoir perdu la vue à cause de son médecin (« fist son
oylle que se creva »), lequel répond qu’il ne s’agit pas d’un trespass, puisque son
patient s’est soumis à l’opération de son plein gré. Il faudrait plutôt y voir selon
lui une éventuelle rupture de covenant (« covenant enfreint »). Le juge William
Denum semble alors écarter cette question de procédure au profit du fond en
constatant que l’oculiste est un homme de métier (« mestrie ») et qu’il n’a pas
agi de manière intentionnelle (d’où l’abandon de la plainte)20.
On s’aperçoit aussi que les actions par bill permettent au plaignant d’intro-
duire davantage d’éléments de faits qu’il n’est possible d’en indiquer dans les
writs, plus rigides. On le voit dans la célèbre affaire du Bac de la rivière Humber,
Bukton contre Townsend (1348). Le bill, qui est vraisemblablement rédigé sous la
forme d’un trespass, indique que le passeur Nicholas Townsend, qui s’est engagé
à faire passer la rivière à la jument de John de Buckton, a trop chargé son bac
(contre la volonté de John), causant la mort de l’animal. Le défendeur plaide
l’erreur de procédure, qui aurait dû être covenant et non trespass. Le juge ne le
suit pas : « il semble », dit-il, « que vous lui ayez causé un trespass quand vous
avez surchargé votre bateau »21.

18. D. Ibbetson, A Historical Introduction…, op. cit. (n. 3), p. 44-45.


19. S. F. C. Milsom, « Trespass from Henry III to Edward III. Part I: General Writs »,
Law Quarterly Review, 74 (1958), p. 195-224, ici p. 220-222 ; Id., « Part III: More
Special Writs and Conclusion », Law Quarterly Review, 74 (1958), p. 561-590, ici
p. 566-567 ; D. Ibbetson, A Historical Introduction…, op. cit. (n. 3), p. 45 ; R. C. Palmer,
English Law…, op. cit. (n. 4), p. 225.
20. J. H. Baker et S. F. C. Milsom, Sources…, op. cit. (n. 9), p. 381 ; D. Ibbetson, A
Historical Introduction…, op. cit. (n. 3), p. 45.
21. « Il semble que vous ly fistiz trans. quaunt vous surcharges vostre batell per qui
sa jument perist », The Humber Ferry Case 1348, published by the Selden Society in
honour of the American Bar Association Meeting in London, July 1985, Londres, 1985 ;
J. H. Baker et S. F. C. Milsom, Sources…, op. cit. (n. 9), p. 399 ; A. K. Kiralfy, The Action
on the Case, op. cit. (n. 10), p. 11, 37-39 et 154 ; D. Ibbetson, A Historical Introduction…,
op. cit. (n. 3), p. 46-47 ; R. C. Palmer, English Law…, op. cit. (n. 4), p. 173-176.

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Mais les faits ne transparaissent le plus souvent pas aussi clairement, derrière
les manœuvres des parties, qui font de leur mieux pour faire correspondre des
questions de mauvaise application de contrats à des actions de trespass vi et armis.
Le risque d’un trop grand décalage entre les faits allégués dans le writ et la réalité
du litige va avoir un certain nombre de conséquences. Le shérif du comté où les
faits se sont produits devra réunir un jury, qui va commencer à enquêter sur la
question qui lui est soumise. Or si cette dernière a été dénaturée pour s’adapter
à trespass, le jury part sur une mauvaise piste, cherchant la violence là où elle
n’a jamais existé. D’autre part, au moment des plaidoiries, le plaignant va bien
devoir enfin faire apparaître la vraie nature de l’affaire. Le décalage peut alors
se révéler préjudiciable à celui-ci, car le jury n’est pas en mesure de rendre un
verdict approprié22.
Dans les années 1340-1350 un certain nombre de writs ne contiennent plus
la mention d’atteinte à la paix du roi par la force. Mais à chaque fois ils ne
permettent pas de faire aboutir la demande du plaignant, car l’affaire ne va pas
à son terme (le plaignant retire sa demande ou le writ n’est pas plaidé23). Mais
les choses changent à partir du milieu des années 1360.

B. La naissance de case


On passe une étape importante lorsque des actions de type trespass ne font
plus apparaître dans le writ les circonstances artificiellement violentes et que
– c’est ce qui est nouveau – l’affaire va tout de même à son terme. C’est ce qui
se produit à Londres entre 1363 et 1365, dans l’affaire des époux John et Mariot
Broadmeadow contre Roger Rushenden. Les époux se plaignent d’un chirurgien
qui avait promis de guérir Mariot Broadmeadow, à la suite d’un accident qui
lui avait endommagé le bras et la main gauches. Les époux font valoir devant
les juges qu’ils avaient eu toute confiance en Roger Rushenden et qu’ils avaient
versé une partie des honoraires pour débuter les soins. Mais que « de manière
confuse [indiscrete], négligente [necligenter] ou malicieuse [maliciose] », les soins
tournèrent à la catastrophe. Mariot Broadmeadow finit par y perdre la main, de
la faute, dit-elle, de son chirurgien. L’affaire est plaidée à Pâques 1364. Le shérif
de Londres forme un jury, qui rend un verdict en faveur du chirurgien, suivi par
un jugement conforme au verdict à la Saint Michel 1365. Nous sommes donc
bien dans une affaire de trespass car ce sont les mots du jury : « Roger Rushenden
n’est en aucune manière coupable de trespass  ». Mais c’est un trespass sans la
mention d’actes commis par la force24.

22. M. S. Arnold (éd.), Select Cases of Trespass from the King’s Courts 1307-1399, vol. I,
Seldon Society, 100, New-York, W. S. Hein, 1984, p. x-xxvi ; D. Ibbetson, A Historical
Introduction…, op. cit. (n. 3), p. 50-51.
23. D. Ibbetson, A Historical Introduction…, op. cit. (n. 3), p. 54.
24. M. S. Arnold (éd.), Select Cases of Trespass, op. cit. (n. 11), p. 422-423 ; D. Ibbetson,
A Historical Introduction…, op. cit. (n. 3), p. 54-55.

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Cela ne signifie pas que les allusions à la force et aux armes n’apparaissent plus
dans les sources à partir de cette période, pour des litiges liés à l’application des
contrats. Cela signifie plutôt que, dans ce domaine, la tendance semble s’inverser
au profit d’actes qui ne mentionnent plus artificiellement la violence, ou l’atteinte
à la paix du roi. Cette tendance est même encouragée par certains juges, comme
ceux du Banc du Roi dans l’affaire Dalton (ou Walton) contre mareschal (1369).
Il est alors reproché à William, maréchal-ferrant de York, qui avait entrepris
de soigner un cheval appartenant à William de Dalton, de l’avoir fait mourir.
Lors des débats, la question tourne autour de la formulation du writ de trespass.
Le défendeur commence par contester le décalage entre le writ, qui mentionne
l’atteinte à la paix du roi (contra pacem), et les arguments du plaignant déve-
loppés dans le count, qui ne mentionne que la négligence du vétérinaire (sans la
violence). Les juges confirment que si tel est le cas, le writ n’est effectivement pas
adapté. On a donc bien ici la confirmation qu’une action de trespass est valable
en matière contractuelle, sans mention de l’emploi de la force, et que c’est même
la forme qui est recommandée. En l’espèce on s’apercevra, après vérification,
que le writ ne contenait pas une telle mention, et qu’il est donc valable, malgré
une dernière protestation de la défense qui cherche en vain à aller sur le terrain
de covenant ou du trespass (vi et armis, c’est-à-dire, le writ général de trespass).
Mais l’avocat du plaignant lui répond : « nous ne pouvions avoir un writ général
[de trespass], parce que le cheval n’a pas été tué par la force, mais est mort faute
d’avoir été guéri »25.
David Ibbetson écrit que vers 1375 la forme de writ de type Broadmeadow
(affaire citée plus haut), qui commence à être connue sous le nom de trespass
on the case, est la forme appropriée pour les plaignants qui veulent insérer les
détails de leur histoire dans les débats. En d’autres termes, trespass on the case
permet de sortir du carcan étroit de trespass vi et armis, et du coup, de s’adapter
aux litiges en matière contractuelle. La frontière entre ces deux types d’action
va devenir progressivement moins floue et l’on va pouvoir de mieux en mieux
les différencier26.
Ibbetson cite l’arrêt Berden contre Burton (1382), qui montre la volonté,
dans certains cas, de délaisser trespass vi et armis au profit de trespass on the case.
Dans cette affaire, le plaignant choisit encore la vieille méthode qui consiste à
utiliser un writ général de trespass (vi et armis) et donc à insister artificiellement
sur la violence avec laquelle les faits se sont déroulés. C’est ainsi qu’il accuse
dans son writ les hommes du défendeur d’avoir « battu et maltraité » ses propres
serviteurs. Effrayés, ces derniers abandonnent la surveillance de leur feu, qui
finit par incendier le manoir du plaignant. Mais dans sa plaidoirie il y a un
décalage puisque ses serviteurs ne sont plus battus mais seulement effrayés. La

25. J. H. Baker et S. F. C. Milsom, Sources…, op. cit. (n. 9), p. 400-402.


26. D. Ibbetson, A Historical Introduction…, op. cit. (n. 3), p. 55.

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différence entre la formulation du writ et de la plaidoirie n’a pas échappé à l’avo-
cat du défendeur. Il prétend que l’action aurait dû être « on the case » et non de
cette manière, sous entendu trespass (vi et armis). Le chief justice Belknap suit la
défense en affirmant : « je pense aussi que le writ n’est pas formulé de manière
appropriée ». Pour lui il fallait un « writ spécial » on the case. Car les hommes
du défendeur n’avaient pas l’intention de brûler le manoir, mais l’incendie s’est
produit « par accident », « contre leur volonté ». Le plaignant reformule donc
sa plainte (plaidoirie), dans le sens d’un trespass (vi et armis), en disant qu’après
avoir cassé la porte, les hommes du défendeur ont bel et bien mis le feu avec
leurs torches, pour voir dans la nuit  ; et c’est cela qui a mis le feu à la paille.
Le juge les reconnaît alors comme les auteurs de l’incendie. Mais il ne s’inter-
rompt pas avant d’avoir fait la distinction (petite leçon de droit) entre ce cas
de trespass (classique) et le cas où sa maison en flammes incendie la maison du
voisin, pour lequel il faut un writ spécial on the case27. David Ibbetson pense que
la différence réside alors entre une cause directe ou indirecte, ou bien entre des
actes volontaires ou involontaires28.
Il n’en demeure pas moins que, une fois établie, l’action de trespass on the
case ou tout simplement case allait notamment permettre le développement de
la responsabilité contractuelle. Mais c’est un sujet qui ne sera pas abordé ici.
Intéressons-nous plutôt à la façon dont les historiens du droit ont expliqué l’ap-
parition de l’action de case. Et voyons que l’explication a connu des variations
au cours du temps.

II. L’explication de l’historiographie
Le débat sur la question a eu lieu dans les années  1930. Il a repris dans
les années 1950 avec les travaux de Stroud Francis Charles Milsom. Mais ces
derniers temps, une autre hypothèse a été avancée par Robert Palmer.

A. Les premières explications de case


Jusqu’aux années  1930, les juristes estiment que l’apparition de trespass on
the case ou case est liée au Second Statut de Westminster (1285), chapitre 24. Ce
chapitre permet la délivrance de writs in consimili casu, dans des cas similaires
aux formules déjà établies. Il semble que la première mention écrite du lien entre
trespass on the case et le Second Statut de Westminster apparaisse sous la plume de
Lambard dans Archeion, publié en 1635 (écrit en 1591)29. L’auteur écrit qu’une

27. S. Thorne et C. S. Fairchild (éd.), Year Book of 6 Richard II, Ames Foundation,
Cambridge, Harvard Law School, 1996, p. 19.
28. D. Ibbetson, A Historical Introduction…, op. cit. (n. 3), p. 55.
29. Il est cependant possible que ce lien ait déjà été fait à partir du XIVe siècle, au sein
des inns of court, dans les cours portant sur Westminster II. Je remercie le professeur
Paul Brand d’avoir attiré mon attention sur ce point.

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grande variété de writs contenus dans le Registre s’explique par le Second Statut
de Westminster. D’après Theodore Plucknett (1931), « il y a de bonnes raisons
de conclure que la théorie de l’origine de l’action on the case ait été tout d’abord
avancée par Lambard et ensuite popularisée par Blackstone »30. On retrouve en
effet cette idée dans les Commentaries on the Laws of England de 1765-1769
(vol.  III, ch.  4), que le Statut «  explique la grande variété de writs de trespass
on the case que l’on trouve dans le Registre »31. Le lien entre le Statut et case est
donc tardif, puisqu’il est établi plus de trois cents ans après 128532. Cette thèse
est soutenue jusque dans les années 1930. On la trouve en France, sous la plume
d’Henri Levy-Ullmann en 1928. Dans son Système juridique de l’Angleterre – l’un
des rares ouvrages généraux en langue française sur l’histoire du droit anglais –
l’auteur présente les choses ainsi : « Le Second Statut de Westminster (1285), dans
une disposition célèbre, confirma la prohibition [de 1258], reconnaissant seule-
ment à la Chancellerie le droit, lorsque pour un cas il se trouvait un bref, mais
que, dans un autre cas semblable et relevant du même droit, un recours semblable
n’existait pas, d’opérer par analogie, l’extension du bref existant au consimili casu.
Telle est », dit Levy-Ullmann, « l’origine des brevia in casu (dénommés plus tard,
en anglais, writs on the case). »33
En 1931, cette analyse est remise en question. Plucknett montre alors, en
analysant le texte du Statut et les writs qui en découlent, que le Statut n’expli-
quait pas historiquement trespass on the case. Il en conclut que les changements
juridiques que l’on peut attribuer au Statut sont mineurs34.
Un peu plus tard, en 1937, Elizabeth Jean Dix, s’appuyant sur les reports des
procès, affirme leurs différences avec trespass vi et armis et non leurs similitudes.
La clause in consimili casu génère des writs identiques, dont la forme ne varie
pas. Ce qui n’a pas été le cas de trespass évoluant vers case35. Pour Dix, case est le

30. T. F. T. Plucknett, « Case and the Status of Westminster II », Columbia Law Review,
31/5 (1931), p. 778-799, ici p. 781.
31. W. Blackstone, Commentaries on the Laws of England. A Facsimile of the First Edition
of 1765-1769, vol. III : Of Private Wrongs (1768), J. H. Langbein (introd.), Chicago,
University of Chicago Press, 1979, p. 51.
32. T. F. T. Plucknett, « Case and the Status… », loc. cit. (n. 30), p. 782.
33. H. Lévy-Ullmann, Le système juridique de l’Angleterre, Paris, Sirey, 1928 (rééd. Paris,
Panthéon-Assas, 1999), p. 142-143.
34. Ibid., p. 798.
35. E. J. Dix, « The Origins of the Action of Trespass on the Case », The Yale Law
Journal, 46/7 (1937), p. 1142-1176, ici p. 1174. Dans un article récent, P. Brand
a cependant montré le rôle de la Chancellerie dans l’élaboration de nouveaux writs,
sur le fondement de Westminster II, c. 24, pour la période 1285-1307, « Chancery,
the justices and the making of new writs in the thirteenth-century England », in
M. Dyson et D. Ibbetson (dir.), Law and Legal Process: Substantive Law and Procedure
in English Legal History, Cambridge, Cambridge University Press, 2013, p. 17-33, ici
p. 26.

163
résultat d’une pensée juridique (une doctrine) qui cherche à donner des réponses
à des situations jusqu’ici sans recours  : les dommages causés sans l’usage de la
force.
Il faudra attendre la fin des années 1950 pour qu’une hypothèse finisse par
s’imposer. Elle est l’œuvre de Milsom en 1958, dans un article paru dans la Law
Quarterly Review, sous le titre : « Trespass From Henry III to Edward III ». Milsom
conteste l’origine de trespass on the case fondée sur ce qu’il appelle des «  déve-
loppements conceptuels », avancés par ses prédécesseurs36. Pour lui, l’origine de
case réside dans la pratique des juristes, sans qu’il y ait « d’origine conceptuelle ».
Il pense qu’un certain nombre de writs inappropriés ont été introduits par ces
juristes dans les cours royales. Le but était notamment de pouvoir amener une
affaire devant la cour du roi. Les writs généraux ont donc été utilisés « fictive-
ment » écrit Milsom, pour trancher ce qui sera plus tard réglé par les actions on
the case37. Il en découle que lorsque cette pratique judiciaire était suffisamment
répandue, la Chancellerie finit par délivrer les writs, conformément à ce qui était
devenu une habitude. Cette hypothèse allait être remise en question.

B. La thèse de Palmer
Dans un ouvrage paru en 1993, sous le titre English law in the Age of the Black
Death, 1348-1381. A Transformation of Governance and Law, Robert Palmer
remet en question la théorie admise jusqu’alors. Palmer cherche tout d’abord
à réhabiliter la Chancellerie et son rôle dans la procédure d’émission des writs.
Pour lui ce rôle a été minimisé dès 1931 par Plucknett38, qui aurait présenté
la Chancellerie du xive  siècle comme une administration au service du juriste
(l’avocat), disposée à émettre tout writ réclamé. Le juriste (avocat) devait ensuite
convaincre les juges de la Cour de son applicabilité. Toujours d’après Palmer,
Milsom s’aligne sur la position de Plucknett mais «  toujours sans argument
ni preuve ». Une position qui ferait apparaître une Chancellerie du xiiie siècle
cédant le pas à une Chancellerie du xive siècle, qui aurait désormais renoncé à
sa responsabilité en matière de contrôle des recours39.
Palmer, au contraire, cherche à souligner le rôle de la Chancellerie, en
matière de contrôle du droit. Une Chancellerie qui œuvre en collaboration
avec le Conseil du roi, une institution où siègent à la fois le Chancelier et des
juges de common law. Pour Palmer, le contrôle du droit est pris en main par
le gouvernement royal. Donc, si les writs témoignent d’une évolution juri-
dique au xive  siècle (avec  case) et que la Chancellerie joue un rôle central, le
gouvernement royal n’est pas exclu de ce mécanisme. Palmer –  qui s’appuie

36. S. F. C. Milsom, « Part III », loc. cit. (n. 19), p. 588.


37. Ibid., p. 585-590.
38. T. F. T. Plucknett, « Case and the Status… », loc. cit. (n. 30), p. 786.
39. R. C. Palmer, English Law…, op. cit. (n. 4), p. 149-150.

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d’ailleurs sur des exemples de writs présentés par Milsom  – propose d’avan-
cer la date du changement juridique des années  1360 aux années  1350. Il
revendique une explication fondamentalement différente du phénomène. Les
études précédentes supposent que case (mais aussi assumpsit) provient de ce qu’il
appelle « un développement interne » : l’activité des avocats représentant leurs
clients ; le vide existant dans la structure juridique et des serjeants capables de
persuader les juges40.
Palmer propose de voir dans le grand changement juridique du xive  siècle
l’œuvre de la Chancellerie et du Conseil, en réponse à un désastre majeur, social,
économique et démographique de cette époque : la Grande Peste (Black Death).
Cette Grande Peste aurait amené le Parlement à intervenir pour encadrer un
certain nombre d’activités sociales, en 1349 par une Ordonnance, puis en 1352
par le Statute of Laborers, qui aurait donné l’impulsion initiale au changement41.
Palmer montre que les désastres de la Peste ont entraîné de nombreux dysfonc-
tionnements, notamment avec la mort de plus d’un tiers de la population dans
les années 1348-1350. Le pouvoir va répondre à cette dépopulation en tentant
de maintenir un certain équilibre, encadrant l’activité des agriculteurs et arti-
sans, encadrant les salaires, incitant au travail et contrôlant les prix des produits
alimentaires42. L’un des effets du Statut de 1352 a été de faire appliquer ces
mesures au niveau local, par des juges royaux43. De ce fait, Palmer écrit que
« sous l’égide du Statute of Laborers […] la common law entre dans une période
innovatrice et créative »44. Sur le terrain, les ravages de la Peste ont fait disparaître
une partie des bons artisans. Ceux qui restent sont tentés de faire grimper les
prix alors que d’autres, incités à travailler par le Statut, mais inexpérimentés et
incompétents, prennent la place des disparus. Palmer souligne cette dégradation
de la qualité du travail en général45.
Il en résulte, dit-il, que « les années 1358 à 1360 ont vu le développement des
actions de case et assumpsit, et aussi la prolifération de writs spéciaux de trespass
vi et armis. Ces writs concernent en grande partie des compétences profession-
nelles : l’activité négligente de transporteurs, de maçons, de bergers, de médecins
et vétérinaires, de tailleurs (de vêtements), de maréchaux-ferrants, d’hôteliers, de
geôliers et autres divers employés »46. D’après Palmer, c’est la Chancellerie qui
répondit énergiquement aux problèmes posés par la Grande Peste, en donnant les
moyens aux plaignants (par de nouveaux writs) d’obliger tous ces professionnels
à remplir leurs obligations.

40. Ibid., p. 151.


41. Ibid., p. 150-151.
42. Ibid., p. 17-18.
43. Ibid., p. 21-23.
44. Ibid., p. 27.
45. Ibid., p. 139.
46. Ibid., p. 140.

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Ces nouvelles actions –  qui ne sont pas les plus répandues aux xive et
e
xv  siècles – vont constituer une des voies principales du développement du droit
anglais (et américain). Elles permettent l’adaptation du droit à des changements
économiques et sociaux pour des siècles. Elles englobent les dommages causés
indirectement ou secondairement (trespass on the case), ou les dommages causés
par négligence ou par la non application d’une convention (assumpsit).
Pour Palmer, donc, la naissance de trespass on the case résulte bel et bien d’une
volonté politique et non d’une évolution doctrinale ou d’une stratégie issue du
contentieux. Mais le débat reste ouvert, puisque John H. Baker, qui indique la
Grande Peste comme une cause possible du changement, ajoute que la nature
précise de ce changement reste controversée47.

47. J. H. Baker, An Introduction…, op. cit. (n. 7), p. 62.

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