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Mais est-il arrivé que Lourdes guérisse de la maladie du pouvoir ? Vue sous cet angle, la question peut intéresser… Arrivé au
terme de sa vie, on se libère généralement de la gravité terrestre, des plaisirs de ce monde, des passions, de l’ego despotique,
des vieilles rancœurs, des magouilles et des diableries pour arriver à ses fins car on sent sa propre fin proche. Même si on a n’a
pas été très religieux tout au long de son existence, on se rappelle le «pari de Pascal» et entrouvre délicatement la porte de la
spiritualité. On s’entraîne à s’élever en pensée, on apprend à dédaigner les honneurs, on se met à prier à heure fixe en
prévision de la mort inéluctable qu’on ne cherche pas à esquiver mais qu’on se prépare à recevoir en la souhaitant paisible.
On est porté à purifier sa conscience, on ne songe plus à faire le mal mais seulement le bien, on n’a plus que faire du pouvoir,
de l’argent, de la reconnaissance des autres, des flatteries, des petites vengeances, sauf à être de nature satanique. On essaie
de grandir en dignité et magnanimité, on aspire à être un exemple, à laisser derrière soi une bonne image, sachant que, depuis
les temps bibliques, plus personne n’espère vivre autant que Noé (950 ans) ou Loqman (536 ans). Jésus, le pauvre, s’est
contenté de 33 ans car il n’était pas chevillé aux plaisirs de la terre et n’avait pas de tours dans sa besace pour circonvenir les
hommes en vue de les dominer. Il était venu les sauver. Je ne sais pas si le Président est conscient de l’image humiliante tant
pour lui que pour nous qu’il donne au monde. S’il le sait et qu’il n’en a cure, pourvu qu’il tienne le poste et les moyens qui vont
avec, c’est à désespérer définitivement de la nature humaine, de la nature algérienne. Cette image lamentable est celle d’un
homme qui se cramponne avec la dernière énergie à des ambitions terrestres qui ne sont plus de son âge ni dans ses moyens,
et qui ne répugne ni à la dissimulation ni au leurre pour faire croire qu’il n’est pas disqualifié par ses handicaps.
La subordination de l’Etat à un homme déclinant ou en bonne santé est un contre-sens, une anomalie, une monstruosité qu’on
doit proscrire du champ du possible si on veut édifier un «Etat qui survive aux évènements et aux hommes», comme promis en
1965 et non tenu à ce jour.
Dans les temps modernes, dans les républiques, chez les peuples rationnels, ces choses-là, ces spectacles-là n’existent plus.
Même au Japon où l’empereur est présumé être d’essence divine, même dans la savane, même au fin fond de l’Amazonie,
l’idolâtrie a disparu et aucun homme n’a plus le droit nulle part d’entraîner une nation dans sa tombe ou sa folie du pouvoir.
Sauf dans notre douar, malheureusement.
Combien de temps devra durer notre agonie ? Cette lente agonie (du mot grec «combat») qu’est le 4e mandat ressemble à une
quête éperdue de l’élixir de jouvence ; à la fuite insensée d’un homme devant la mort, une fuite aussi vaine que celle de Caïn
devant Jéhovah telle que rapportée par Victor Hugo dans la Conscience ; à une interminable descente aux enfers ; aux derniers
instants d’un roi-dieu, quand toute vie se fige dans l’attente de son ascension vers le monde des esprits. Notre agonie est
d’abord morale ; nous en avons assez de le voir se trimbaler d’un pays à un autre, d’un hôpital à un autre, sous les quolibets de
la presse internationale et sans être démonté par ce qui se dit ou s’écrit sur lui, non pas en sa qualité d’homme, mais parce qu’il
est chef d’Etat, qu’il ne représente pas sa personne mais nous tous. Si le problème ne concernait que lui, que sa personne et
sa famille, qui s’en mêlerait, qui s’en soucierait ? Or, il nous concerne tous, tous les jours, et nous en sommes mortifiés et
humiliés. Il s’en est sorti cette fois. Mais la prochaine fois, dans un mois, dans un an ? Jusqu’à quand devrons-nous endurer ce
jeu de cache-cache entre les médias et les enfantillages de son entourage ? Que doit-il arriver pour que notre déchéance
rencontre enfin une limite ? Notre agonie est ensuite psychologique : que présage un attachement aussi insensé au pouvoir ?
Que nous prépare-t-il pour l’avenir ? La peur le dispute à l’angoisse chez tout Algérien conscient : la peur du pire, la peur de
l’imprévu, l’angoisse face à un avenir économique incertain, l’angoisse à chacune de ses évacuations en urgence à l’étranger…
Nous sommes dans la position de Philae, le petit robot envoyé sur la comète Tchouri, qui s’agrippe, s’agriffe à un flanc du
rocher, sans savoir combien de temps il pourra tenir. A la différence que lui ne tient pas entre ses pattes mal fixées et dans sa
position inclinée le sort du personnel de l’Agence spatiale européenne qui l’a envoyé là-haut. Il vient d’ailleurs d’être mis en
hibernation pour son bien et celui de la mission.
J’ai parlé de «désespérer de la nature algérienne». Je voudrais me corriger, avant de l’être par des lecteurs, en précisant qu’il
s’agit dans mon esprit de «la nature des dirigeants algériens» puisque c’est d’eux qu’il est question dans le paragraphe. La
nature algérienne, elle, est encore capable de choses qu’on ne verrait dans aucun pays au monde, comme ces policiers qui
apportent à manger de chez eux à un détenu, ou ce procureur de la République qui offre à un prévenu du thé au citron… C’est
ce qui est arrivé, à l’en croire, à Rachid Nekkaz au cours de sa détention à Seddouk.
Il trouve, dans l’interview où il rapporte ces faits, que ces policiers «étaient très professionnels». Dans quel école de police de la
planète apprend-on aux policiers de ramener à manger de chez eux aux détenus ? Ce ne sont pas des valeurs professionnelles
que ces policiers lui ont mis sous ses yeux, mais d’incroyables valeurs morales et humaines justifiées par les marques de
respect pour sa personne ou la cause qui l’anime car ils ne doivent pas le faire avec tous les prévenus qui leur tombent sous la
main. Il a aussi souhaité que «tous les Algériens auront droit au même traitement». C’est gentil mais je ne pense pas que «tous
les Algériens» aspirent au statut de prévenu même en échange de croissants, de couscous et de thé au citron, ni que les
policiers et magistrats de Seddouk et du reste du pays puissent, le cas échéant, leur généraliser le traitement dont il a bénéficié,
lui.
N. B.
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