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THÈSE
IV
V
VI
Remerciements
Jorge A. Gayon L.
ii
Avant - Propos
La découverte d’une vocation n’est pas prévisible, et l’une des grandes questions de
notre enfance est toujours: que ferai - je quand je serai grand? En même temps que notre
vision du monde évolue, nous trouvons nombre de réponses à cette question apparemment
innocente.
Mais personne ne peut nous révéler le rôle que nous sommes appelés à jouer dans cette
vie. Ce n’est qu’au moment magique de la révélation qu’apparaîtra la voie de notre réalisation
personnelle et professionnelle.
Cette révélation, pour moi, s’est faite en deux temps. La première rencontre fut un
spectacle de musique, chanson et théâtre. Un des intervenants était un mime. J’avais une vague
idée de ce que pourrait être la pantomime, car j’avais entendu parler de Marcel Marceau, sans
l’avoir jamais vu.
Cette rencontre a été la source de l’inspiration qui motive mon travail et mes projets
pour l’avenir. Elle m’a permis de rencontrer l’art qui aujourd’hui me passionne.
Pour moi, à partir de ce moment magique, une chose était claire: si je voulais être un
mime, il fallait apprendre le langage de cet art, mon talent(grand ou petit) ferait le reste. Dès
lors, ma vie a été dirigée par le désir de suivre cet apprentissage, et d’aller toujours plus loin,
plus profondément pour apprendre à m’exprimer dans le langage artistique qui à mes yeux est
le mien.
La seconde rencontre s’est produite plus tard, alors que je regardais émerveillé un
spectacle de mime, qui provoqua en moi un deuxième moment magique aussi fort que le
premier: c’était la révélation du mime corporel.
L’École Decroux
Mon premier contact avec «l’école Decroux» en tant qu’élève, fut un stage de mime
corporel au Mexique en 1981 avec Jean Asselin et Denise Boulanger, de la troupe
«Omnibus». D’autres contacts se sont succédé, notamment l’été 1984 à l’École de Mime
corporel de Montréal.
iii
Je suis finalement arrivé à Paris en 1986, où j’ai eu la chance de rencontrer et de suivre
les cours d’Étienne Decroux pendant les trois derniers mois d’existence de son école à
Boulogne - Billancourt( 4).
Depuis 1987, et jusqu’au début de 1995, j’ai participé aux travaux de l’École de Mime
corporel Dramatique de Paris( 5). D’abord en tant qu’élève, ensuite comme acteur - mime à
l’intérieur de la compagnie «Théâtre de l’Ange Fou» de cette même école, puis comme
enseignant, et finalement en tant que collaborateur des tous derniers projets de spectales et de
recherches de l’école et de la compagnie, dont le spectacle «L’homme qui voulait rester
debout / hommage à Étienne Decroux»(reconstruction des pièces majeures de son répertoire)
qui fut joué pendant plus de deux ans en Allemagne, Angleterre, États Unis, France et Italie.
En outre, une courte période de travail sous la direction de Thomas Leabhart, et
plusieurs stages pris sous la direction de Yves Marc et Claire Heggen du «Théâtre du
Mouvement» se sont ajoutés à mon expérience sur les divers approches autour du mime
corporel. Petit à petit s’est dessiné devant moi «l’École Decroux»( 6).
En 1988, j’ai commencé l’élaboration d’un projet de recherche portant sur l’application
de la cinétographie Laban dans les domaines de l’apprentissage du mime corporel et de la
préservation du répertoire d’Étienne Decroux.
Pour répondre aux objections de principe que pourrait attirer un tel projet, qui demande
aussi bien une sensibilité artistique qu’une capacité scientifique, j’aimerais citer Rudolf
Laban:
4 Celle - ci fut fermée au début de 1987, et non en 1985 comme l’affirme Guy Benhaim.
5 Laquelle a fermée ses portes à Paris le mois de mai pour les rouvrir à Londres en octobre 1995.
6 Un court passage chez Jacques Lecoq, et plusieurs stages avec d’anciens élèves de Marcel Marceau, ainsi
qu'avec certains de ses collaborateurs, et encore avec d'autres mimes représentant d'autres «écoles», m'ont per -
mis de percevoir «de l'intérieur» en quoi elles différent entre elles et de l'école Decroux.
iv
mouvement, et où l’artiste apprendra du scientifique comment donner un ordre à
sa conscience visionnaire des significations profondes, qu’il sera possible de créer
un tout équilibré. » (7)
7 Rudolf Laban : The Mastery of Movement, Fourth Edition revised and enlarged by Lisa Ullman, Macdonald
and Evans. Estover, Plymouth PL6 7 PZ. U. K., 1980. page 95
8 J'ai fait ma formation en Cinétographie Laban au sein du Centre National d’Écriture du Mouvement, sous la
direction de Mme. Jacqueline Challet - Haas.
v
SOMMAIRE
Première partie
«Le mime corporel et son créateur: Etienne Decroux»
chapitre 1
Étienne Decroux
Biographie
La rencontre avec Copeau
L’acteur parlant
Créateur et Maître du mime corporel
chapitre 2
L’édification du mime corporel
Deux bilans.
Les origines
Se vouer à une image
Les idées du départ, les premiers fondements
Decroux et l’art de l’acteur
La nature du jeu musculaire
Les objectifs
Propositions pour les atteindre
Développement
Le poids, la lutte, le sport
De la vie primitive à la Statuaire Mobile
(en passant par la vie médiévale et la vie industrielle)
La constitution du répertoire
Un langage physique pour l’acteur: le mime corporel
Les pièces de répertoire de Decroux
Les Styles de jeu
Les figures dramatiques et de style
Le vocabulaire
Les exercices d’entraînement
chapitre 3
Le répertoire «Decroux» et la tradition du mime corporel
La notion de répertoire «Decroux»
Répertoire - Partition
Note explicative sur le répertoire du mime corporel
La tradition du mime corporel
Le répertoire «Decroux» dans la tradition du mime corporel
La fragilité paradoxale de la tradition du mime corporel.
Les manifestations matérielles de la tradition du mime corporel
Voir le mime corporel
Le mime corporel et les pratiques spectaculaires actuelles
Chercher et trouver l’école
L’École Decroux
L’apprentissage du mime corporel par Étienne Decroux
L’apprentissage du mime corporel après Decroux
(ou de la réalité de la tradition du mime corporel)
Les programmes des écoles
L’École de Mime de Montréal
L’École de Mime Corporel Dramatique de Paris
L’Atelier International de Mime Corporel
vi
Deuxième Partie
«L’apprentissage du mime corporel»
chapitre 4
Le répertoire «Decroux» et l’apprentissage du mime corporel
L’école, une expérience
L’œil expert externe, le rôle du professeur
La communication du répertoire «Decroux» pour l’apprentissage
La situation actuelle de la communication du répertoire «Decroux»
Les moyens de communication utilisés
Les notes d’étude et aide - mémoire pour l’entraînement
L’élaboration des notes d’étude et aide - mémoire
La notation du mouvement
Les notes d’étude et les outils audiovisuels
La préservation et la mémoire
Préservation, mémoire et tradition vivante
L’assimilation du mime corporel: sa préservation première
La mémoire du répertoire «Decroux» dans l’apprentissage
Le rappel musculaire du répertoire «Decroux»: mémoire première du mime corporel.
L’entraînement en mime corporel et la mémoire du répertoire «Decroux»
Les supports de mémoire du mime corporel
Troisième partie
«L’application de la cinétographie Laban au mime corporel»
chapitre 5.
Le mime corporel, l’analyse et la notation du mouvement
Le mime corporel et le répertoire «Decroux» comme objets d’étude
L’analyse du mouvement
Pourquoi l’analyse du mouvement
Diverses approches disciplinaires.
Les études sur le mouvement et les Pratiques et Comportements Humains Spectaculaires Or-
ganisés
La notation (écriture) du mouvement
La théorie du mouvement et les méthodes de Rudolf Laban
Première confrontation
Les méthodes Laban d’analyse et de notation du mouvement
Deuxième confrontation
Pertinence et faisabilité
chapitre 6
Les Propositions 1998 du projet «Laban - Decroux / notation du mime corporel»
Proposition
Objectifs
Principes généraux de méthodologie
Les étapes
Applications
Option de complémentarité
Exemples
Grilles de classification proposées
Études systématiques
Adaptations
Cinétogrammes
Des possibilités d’application au mime corporel
Questions pratiques
Dernières propositions
«Les cahiers du projet Laban - Decroux»
Cours d’analyse et de notation du mouvement adressé aux acteurs.
Note sur le projet Laban - Decroux
vii
Quatrième Partie
«Les avantages et les risques»
chapitre 7
Bilan théorique du projet Laban - Decroux
Bilan pour la préservation
La préservation du répertoire «Decroux»
Note sur les droits d’auteur
D’autres documents reconnus capables de garder des traces matérielles des partitions
du répertoire «Decroux».
Bilan pour la communication et la mémorisation
La communication et la mémorisation du répertoire «Decroux»
Des avantages de l’utilisation des cinétogrammes
Des risques de l’utilisation des cinétogrammes
Bilan pour l’élaboration des notes d’étude
Concernant l’élaboration des notes d’étude à partir des partitions du répertoire
«Decroux»
Des avantages de l’utilisation des méthodes Laban pour l’élaboration des notes d’étude
Des risques de l’utilisation des méthodes Laban pour l’élaboration des notes d’étude
Des initiatives similaires concernant le mime corporel et / ou le répertoire «Decroux»
Pour la préservation de pièces de répertoire de Decroux
Le rassemblement et la diffusion de l’œuvre de Decroux
La notation du mime corporel
Conclusions
De l’intérêt du projet Laban - Decroux
BIBLIOGRAPHIE
Annexes
«Eplication de l’art de l’acteur» (Etienne Decroux)
Les dossiers du Fonds Decroux (Bibliothèque de l’Arsenal, Paris)
«Recupération, préservation et diffusion du travail du Maître Etienne Decroux»
(Projet Laban - Decroux. Version octobre 1988)
Projet Laban - Decroux, état des lieux 1998
Programme et Historique du spectacle:
«L’homme qui voulait rester debout / hommage à Etienne Decroux»
Films d'archives sur le mime corporel.
viii
La cinétographie Laban et le
croux.
du mime corporel ».
« Cette équipe érige un acteur nouveau
Non par l’âme : par le corps d’abord, par le corps ensuite, enfin par le
corps.
Les hommes eussent deviné que de tous les instruments, le corps est le plus
riche si la paresse physique de ceux qui pensent ne leur eut interdit d’apprendre à
en jouer. »
9 Etienne Decroux: Dossier n° 2, s / d, «Explication de l’art de l’acteur», page 10, Fonds Decroux, Biblio-
thèque de l’Arsenal, Paris. (Nous avons souligné en caractères gras).
2
Introduction
Depuis que j’ai quitté Copeau, j’ai fait du « parlant » en sursis et pour ce qui
est du théâtre agissant, je n’ai pensé qu’à lui sans jamais y rêver et j’ai tout négligé
pour ajouter le faire à la pensée…
10 Étienne Decroux: «The origin of corporeal mime», Mime Jornal num. 7 & 8. Thomas Leabhart Ed. Cla-
remont, Californie 1978. Page 8, (Nous avons traduit de l’anglais).
Son éditeur explique: Cette entrevue faite par Thomas Leabhart a été publiée pour la première fois dans le
premier numéro du Mime Journal . Elle fut traduite du français par Sally Leabhart et Thomas Leabhart. (Nous
avons traduit de l’anglais).
11 Annette Lust: «Etienne Decroux, Father of Modern Mime», Mime Journal, vol. 1, 1974, pages. 17 - 21.
12 Etienne Decroux: Dossier N° 57, «Mai 1953», page 27, op. cit.
3
« Je passais mon temps comme ça, comme je pouvais, autant que je pouvais, à
monter une pièce, alors, je ne pouvais pas m’occuper de la scolarité, ou à faire de la
prospection de la scolarité. Quand je ne montais pas de pièces, n’importe comment,
chaque jour, ça avançait. Ca ne pouvait pas ne pas avancer, et maintenant mon
grand regret c’est qu’il ne me reste pas beaucoup à vivre pour réaliser les projets
que je veux. Le mime, je n’en vois pas le bout, j’estime pauvre ce que j’ai fait quand
je pense à ce qui pourrait être fait. ». (13)
La même année, dans une lettre adressée à Thomas Leabhart, Decroux confirme son
sentiment en constatant que la tâche n’est pas encore fini.
« La longévité a des airs de postérité. Elle donne le temps d’entendre le merci
pour la durée de la passion. Donc merci pour votre merci.
Mon désir qui j’espère, ne me quittera jamais est de ne pas entrer dans la
légende afin de rester dans la lutte. Courage à vous et aux vôtres.
4
Non par l’âme : par le corps d’abord, par le corps ensuite, enfin par le
corps.» (17)
son intention est de donner à l’acteur les moyens d’assumer sa responsabilité artistique dans la
création théâtrale.
Son œuvre présente trois visages à celui qui veut l’approcher: d’une part, sa
production pour la scène, composée de plus de soixante - douze pièces( 18) couvrant tous les
genres dramatiques, d’autre part, son énorme collection d’écrits dont André Veinstein nous
raconte dans la préface de Paroles sur le mime( 19):
Ainsi, aux yeux de l’observateur attentif, les œuvres spectaculaires de Decroux et son
énorme production écrite( 22), trouvent un sens en rendant compte, comme les mailles d’un
même filet, de l’essentiel de son travail:
5
« Ce fut mon corps, ce fut celui de mes élèves, ce furent les ‘périodes’ : celles
du saccadé, du fondu, du ressort, celles du corps nu sur plateau vide avec évocation
d’accessoires, sans sonorité, puis du maillot, puis des ganses en volume, de la
sonorisation, de l’occupation du sol par corps neutre, de la jonglerie, de l’acrobatie,
de la musique portative à usage dramatique. Aujourd’hui, c’en est une autre : une
folie tasse l’autre ? Jamais je n’ai dit sans le faire ce que mon élève devait
faire. » (23).
Pendant plus de cinquante ans, les recherches et expérimentations de Decroux lui ont
permis de développer le mime corporel (24). qui avec les moyens permettant son assimilation
par les acteurs, furent ses principaux soucis afin d’en assurer la pérennité, clé de la réussite de
son projet.
23 Etienne Decroux: Dossier N° 57, «Mai 1953», page 27, Fonds Decroux, op. cit. (Nous avons souligné en
caractères gras).
24 Les développements de Decroux concernant l’utilisation dramatique des ressources corporelles à disposi-
tion de l’acteur: La grammaire du mouvement, le vocabulaire, les styles de jeu, les exercices d’entraînement, la
dramaturgie et les protocoles d’improvisation propres au mime corporel.
25 Etienne Decroux: Dossier n° 42 «début 1950», page 7. Fonds Decroux, op. cit.
26 René - Jean Dufour: Petite Histoire d'un grand art : Le mime hier et aujourd’hui. Perspective historique,
Mémoire de Maîtrise d'Art présenté à l'Université de Québec à Montréal, 1989 (exemplaire informatique).
27 Thomas Leabhart: Modern and Post - Modern Mime, Col. Modern Dramatists, Ed. St Martin’s Press, New
York, 1989.
28 Guy Benhaim: Le mime corporel selon Étienne Decroux, op. cit.
6
Études qui pour cette thèse, sont une référence des plus importantes. Cependant, à leur
lecture, plusieurs questions s’imposent à notre esprit: dans ces études,
Certes, les questions sont difficiles, et nombreux sont les pièges qui attendent celui qui
tenterait d’y répondre.
29 Marco de Marinis : Mimo e teatro nel Novecento, La casa Usher, Firenze, 1993.
30 Manière personnelle du metteur en scène, d’appliquer les «principes» du mime corporel à la création de
spectacles où le mime corporel n’est pas le langage physique de ses acteurs.
31 Désormais, le terme «pratique», utilisé en rapport au mime corporel, fera référence aux trois volets de
cette «définition»: être en possession physique de ce langage, en mesure de l’apprendre à d’autres acteurs et s’en
servir sur scène.
32 Etienne Decroux: Dossier n° 42 «début 1950», page 7. Fonds Decroux, op. cit. (Nous avons souligné en
cratères gras).
7
l’étude, et la mémoire des «principes et fondements du mime corporel »( 33), étapes obligées
pour aboutir à leur assimilation( 34), seule garantie de la transmission et la préservation de
l’héritage d’Etienne Decroux.
Ces thèmes d’étude, nous les avons abordés il y a quelques années. Nous avons enrichi
et approfondi nos recherches à mesure de notre engagement dans la pratique, surtout à partir de
notre découverte de la cinétographie Laban. Une idée s’est alors dessinée, il s’agissait d’utiliser
la notation du mouvement comme une aide à la solution des problèmes relatifs à la
communication, l’étude, et la mémoire des «principes et fondements du mime corporel »,
auxquels l’acteur est confronté pendant sa formation.
C’est ainsi qu’en 1988, pour donner une structure formelle à cette idée, nous avons
présenté le projet de «Récupération, préservation et diffusion du travail du Maître Étienne
Decroux / Analyse de la technique du mime corporel et sa transcription en cinétographie
Laban»( 35), projet qui, au fil des années, a pris l’appellation de: «Laban - Decroux / notation
du mime corporel ». Ce projet a pour fonction de présenter et d’établir les objectifs et les
principaux axes d’orientation de nos recherches, dont cette thèse fait partie.
Dans la progression de notre travail et de sa critique simultanée, nous présentons
aujourd’hui notre thèse de doctorat. Ces années passées à entretenir notre projet, depuis sa
première présentation, ont été parallèlement mis au profit de plusieurs activités liées
étroitement à sa réalisation.
D’une part, la pratique du mime corporel était fondamentale, dans le domaine de notre
propre apprentissage d’abord, et ensuite dans celui de son enseignement et de sa pratique
spectaculaire( 36).
D’autre part, il y a eu notre formation à la recherche et en cinétographie Laban, puis nos
activités comme notateur, professeur et, dernièrement, comme collaborateur du «Projet
Cinétographique Marcel Marceau - Laban( 37)», similaire au nôtre.
33 Avec « mime corporel », c’est un raccourci qui sera utilisé tout au long de notre étude pour nommer «le
corpus de principes et fondements physiques à la base de l’utilisation dramatique des ressources corporelles à
disposition de l’acteur» développé par Decroux.
34 L’apprentissage du mime corporel est la seule garantie de sa transmission de génération en génération, il
s’accomplit par la communication, l’étude, la mémoire et l’assimilation des «principes et fondements du mime
corporel » par les acteurs.
35 En réfléchissant aujourd’hui à notre premier titre, il est clair que la signification du mot français
«Récupération» ne traduit pas exactement notre intention exprimée pour la première fois en espagnol. Nous
aurions dû utiliser plutôt celui de «Reconstitution».
36 Dont, notre participation en tant qu'acteur au sein du «Théâtre de l'Ange Fou / Cie. S. Wasson et C. Soum»
pour des spectacles de son répertoire et celui de la mise en scène d'une partie du répertoire d’Étienne De-
croux(«L'homme qui voulait rester debout / Hommage à Étienne Decroux». Voir l'historique des représentations
dans les annexes).
37 Nous avons participé début 1995 à la vérification par la lecture, c’est - à - dire la mise en mouvement, du
cinétogramme de la pièce de style La Création du Monde de Marcel Marceau, notée par notre collègue mime -
8
Le présent document est le fruit de nos expériences et des réflexions autour du projet
«Laban - Decroux»( 38). Il est le résultat d’une étude visant à en établir un bilan théorique( 39)
et il ne faut pas y chercher une étude critique sur le mime, le mime corporel ou sur Étienne
Decroux.
C’est ainsi que nos travaux actuels partagent avec les précédents le même contexte
disciplinaire. Nous considérons que réussir un développement cohérent nous impose de rester
sur les directives tracées dans le passé, et que garder un tel ancrage nous a permis
d’approfondir nos recherches grâce aux limites que nous nous sommes imposés, quant à leur
cadre. Nous utiliserons la présentation de ce contexte pour mieux expliquer nos intentions.
notateur Étienne Bonduelle, qui en 1993 lança le projet cinétographique «Marcel Marceau - Laban».
38 LEXIQUE
Le projet «Laban - Decroux / notation du mime corporel » sera désormais cité comme : le(notre) projet, la(notre)
proposition.
Le bilan(théorique) du projet «Laban - Decroux / notation du mime corporel » sera désormais cité comme :
le(notre) bilan, l’(notre) étude, la(notre) thèse.
39 Idem.
40 Jorge Gayon: Application des méthodes Laban d’analyse du mouvement au processus d’apprentissage du
mime corporel, Mémoire de D. E. A., Esthétique sciences et technologies des arts, option Théâtre, Danse et Arts
de la Scène. Université de Paris VIII, octobre 1991.
41 D'autres pratiques comme l'improvisation, la composition, les ateliers de mise en scène, etc. en font partie.
42 Indications qui font partie du processus d'apprentissage du mime corporel.
9
En effet, d’après lui, ses créations sont l’aboutissement des recherches en studio sur la
technique du mime corporel (43).
Ainsi, l’intérêt que nous portons aux compositions et aux œuvres du répertoire de
Decroux, concerne plus leur perspective de matériel pédagogique et de consignes
d’entraînement que ses possibilités spectaculaires, et à nos yeux, l’importance de la
préservation d’un tel répertoire réside dans le fait qu’il est La Mémoire première( 44) des
conceptions d’Étienne Decroux sur le mime corporel.
10
Des études précédentes dans notre sphère disciplinaire ou ayant un
rapport avec notre sujet
49 Voir la bibliographie.
50 Anne Dennis: The Articulate Body / The Physical training of the actor, Drama Book Publishers, New
York, 1995.
51 Neederlands Mime Centrum: Ed : Handboek voor de Mime, Amsterdam 1987.
52 Matériau et indications «mouvement» : barbarismes que nous utiliserons tout au long de notre thèse pour
désigner, avec le premier: les mouvements (ou exercices) objet de la discussion, et avec le deuxième: l’énoncé de
leur contenu.
53 Le langage verbal écrit et les «figurines» (graphique).
54 Rolf Garske: «Movement Notation» Rapport du The first International Congress on movement notation,
Israël, Tel - Aviv, Jérusalem, août 2 - 22, 1984. (Nous avons traduit de l’anglais).
55 Etienne Bonduelle : Projet cinétographique «Marcel Marceau - Laban». E. Bonduelle Ed. Paris, 1993.
11
mime. Ses répertoires n’avaient été traités qu’à titre d’exemple et de façon très limitée à
l’intérieur d’études autour du mime, dont l’approche n’était pas le mouvement. Par ailleurs, les
cinétogrammes( 56) jusqu’alors existants( 57) concernant le mime, la pantomime ou les
expressions mimiques, sont plutôt des références aux «ballets d’action».
Avant nous, Deidre Sklar( 58) a fait une étude portant sur Étienne Decroux et le mime
corporel où elle inclue quelques cinétogrammes. Malgré le fait que pour cette étude l’approche
de Mme Sklar n’est pas strictement le mouvement, l’utilisation qu’elle fait des cinétogrammes
pour illustrer ses propos, semble nous indiquer que notre idée est sur une bonne voie.
Notre rapport avec des recherches précédentes portant sur Etienne De-
croux et son œuvre.
Le projet de notation du mime corporel, qui condense les axes principaux de nos
recherches actuelles, a été présenté pour la première fois en 1988. Cependant, il pourrait
s’inscrire dans la continuation d’une ligne stratégique que nous tirons de façon arbitraire, à
partir de l’étude de René - Jean Dufour( 59) dans laquelle il «examine la question de l’art du
mime, hier et aujourd’hui, dans une perspective historique…» , et «… s’efforce à la fois de
dégager, dans la pratique artistique du mime, une continuité historique depuis l’Antiquité
jusqu’à nos jours, et d’apprécier l’influence déterminante d’Étienne Decroux à(sic) l’évolution
du mime contemporain» ( 60).
En conclusion de son mémoire, René - Jean Dufour signale la nécessité d’une étude sur
les fondements du mime decrousien, et annonce de ce fait, le deuxième point de notre tracé
stratégique.
« Au terme de ce mémoire, l’on constate qu’il reste beaucoup à faire pour
assurer la poursuite des recherches d’Étienne Decroux. Le mime corporel est un
« système » de règles, de protocoles et de styles de jeu fondant à la fois une
grammaire du corps, une dramaturgie centrée sur l’acteur et un langage artistique
cohérent.
Projet de notation du répertoire de Marcel Marceau, inspiré du nôtre, et auquel nous avons participé début
1995 à la vérification par la lecture du cinétogramme de la pièce de Marceau: «La création du monde».
56 Cinétogramme : sont ainsi nommées les «partitions de mouvement» écrites en cinétographie Laban.
57 Déposés au DNBet enregistrés au Notated Theatrical Dances (a listing of theatrical dance scores at de
Dance Notation Bureau), Ed. Danse Notation Bureau, New York, 1988.
58 Deidre Sklar: «Étienne Decroux’s Promethean Mime», Tulane Drama Review, vol. 29, no 4, Winter ‘85,
p. 64 - 75.(Ethnologue de la danse, Ancienne élève de Decroux et notatrice Laban).
59 René - Jean Dufour: Petite Histoire d'un grand art : Le mime hier et aujourd’hui. op. cit.
60 Ibidem, dans le sommaire.
12
Une étude attentive de la poétique du mime decrousien s’impose de toute
nécessité. En ce sens, il faut souhaiter que le travail d’analyse vienne compléter le
travail d’atelier accompli depuis plus d’un demi - siècle par les praticiens, afin
d’établir les fondements du mime actuel » (61)
Le deuxième point que toucherait notre ligne stratégique serait l’étude réalisée par Guy
Benahim( 62) qui, comme une réponse à René - Jean Dufour signale qu’il
Placé à l’extrémité de cette ligne, notre projet se différencie de ces deux études par ses
intentions, par son approche et par le traitement proposé de l’œuvre de Decroux.
Les intentions des deux études citées sont animées principalement par un souci
historique, et l’approche et le traitement du mime corporel y sont exclusivement intellectuels.
Peut - être en aurait - il été autrement si ses auteurs avaient eu les moyens de montrer ce dont
ils parlent( 65). La nôtre prétend demontrer qu’il est possible et souhaitable de donner au mime
corporel un support «écrit» qui permette son approche «in - concreto», pour ainsi en faciliter
la communication, l’étude et la mémoire au - delà et en dehors de son discours.
Rudolf Laban en avait déjà exprimé ce besoin, en affirmant que:
13
« Une bibliographie de la danse et du mime, en symboles de mouvement, est
aussi désirable que nécessaire, tel que les registres historiques de la poésie et de la
musique réalisés grâce à l’écriture et à la notation musicale » (66)
Par ailleurs, quand Guy Benhaim, dans l’introduction de sa thèse, présente comme une
des principales motivations de son travail de recherche sur Decroux — "le désir de réparer une
injustice, de commencer à faire reconnaître la place qui revient à Decroux dans l’histoire du
Mime et celle du Théâtre contemporain"(67) — nous nous demandons si la condition
d’inaccéssibilité( 68) à laquelle est prédisposée l’œuvre de Decroux, et pour laquelle Benhaim
ne présente que des regrets mitigés, n’est pas aussi une autre injustice faite à Decroux, cette
fois sur son œuvre.
Car selon Levy - Strauss, supprimer au hasard dix ou vingt siècles d’histoire
n’affecterait pas de façon sensible notre connaissance de la nature de l’homme, ce qui serait
regrettable c’est la perte de leurs œuvres.
Signalons cependant que même s’il minimise l’importance des pièces «chefs -
d’œuvre» de Decroux qu’il considère comme des «œuvres modèles», Benhaim met en avant
66 Rudolf Laban : «Movement and the body (part I)», The mastery of movement, 4th Edition, Mcdonalds and
Evans, Great Britain, 1980. page 22. (Nous avons traduit de l’anglais).
67 Guy Benhaim: Le mime corporel selon Étienne Decroux, op. cit. page 5.
68 Principalement à cause de la dégradation progressive de la mémoire des œuvres, dont la seule matérialisa-
tion possible est l’exécution physique.
69 Claude Levy - Strauss: Regarder, Écouter, Lire, Ed. Plon, Paris, 1993. page 176. (Nous avons souligné en
cratères gras).
14
ce que nous appelons le matériau «mouvement» ( 70) qui comporte le processus
d’apprentissage du mime corporel »
Qu’est - ce que Decroux a voulu dire? qu’est - ce concrètement que le mime corporel
? de quoi parlons - nous au juste?
Chacun trouve sa propre réponse, et a chaque fois que l’une de ces questions a été posé,
le dialogue devient vite impossible, si ce n’est pas une source de malentendus.
Nous pouvons nous demander si, l’impossibilité de trouver un terrain d’entente tient au
caractère «insaisissable» de ce langage dramatique du corps aux limites de la légende?
Quelques - unes des opinions rencontrées nous permettront de justifier cette question. Par
exemple:
pour Jean Perret, Étienne Decroux
« … aura été et est encore le grand provocateur vénéré ou abhorré, qui sans
doute aura permis l’émergence de nombreuses approches corporelles du théâtre et
de la danse modernes, telles les expériences de Grotowski, de Barba ou de Kantor ;
celles du Living Theater, du Bread and Puppet ; telles encore les créations d’un Bob
15
Wilson ou d’une Pina Bausch ; Telles aussi les recherches et les innovations d’une
Arianne Mnouchkine ou d’un Peter Brook » (73).
« … peut - être l’unique maître européen qui ait élaboré un ensemble de
règles comparables à celui d’une tradition orientale » (74).
nous pourrions citer aussi Gordon Craig, dans son article «Enfin un créateur au théâtre…»,
Mais, leur discussion apporterait - elle une lumière sur notre propos? Nous n’en
sommes pas si sûrs, car ce serait justement rester dans la périphèrie du problème que nous
voulons signaler: le manque apparent d’objectivité pour traiter le sujet. Cette objectivité qui
devrait permettre le dialogue concernant l’art du mime en nous permettant de voir ses
différents aspects matériels.
En tout cas, peut - on dire que la confrontation de ces opinions constitue une aide pour
trouver l’approche pertinente au traitement du discours sur mime corporel ? Certainement pas.
Par contre, leur confrontation peut nous pousser à nous demander, en fait, quel est
concrètement l’objet que nous voulons cerner? et encore une fois, de quoi parle - t - on?
Gordon Craig et Tristan Rémy ont vu le travail d’Étienne Decroux, et Jean Perret? Et
nous tous? Si nous nous arrêtons un peu seulement, nous pourrons nous rendre compte, par de
nombreux témoignages, que la manifestation matérielle de «l’objet» en question nous
manque. Nous saurons alors qu’il n’est pas facilement accessible à notre vue.
73 Jean Perret: «Étienne Decroux, maître de mime», dans : Jacques Lecoq: Le théâtre du geste, mimes et
acteurs, Bordas, Paris 1987, pages 64 à 67. Opinion que nous considérons excessive, aux vues des influences
diverses reconnues par certains des artistes nommés. Voir plus bas, notre texte sous le titre «la tradition du mime
corporel ».
74 Eugenio Barba et Nicola Savarese: Anatomie de L'Acteur, Bouffonneries Contrastes / Zeami Libri / I. S. T.
A. Domaine de Lestanière, 11570 Cazilhac, France / Rome / Holsterbo, Danemark, 1986, page 5.
75 Edward Gordon Craig: «Enfin un Créateur au théâtre», Arts, 3 août 1945.
76 Tristan Remy: «Le mime», Histoire des spectacles, Revue Esthétique, mars 1960, «Présence en corps»,
pages 1493 - 1519.
16
Guy Benhaim, dans l’introduction de sa thèse, considère cette absence comme «un
obstacle majeur» certes, mais pas insurmontable. Nous rapportons ici ce témoignage, car,
même sans être le plus important, il nous semble un des plus significatifs au regard de notre
projet.
Par rapport aux supports( 78) ayant servi pour préserver des traces matérielles du travail
d’Étienne Decroux, il explique
« Lorsque nous avons entrepris cette thèse, il était encore possible de louer à
l’Institut National des Sports un film qui reproduisait le spectacle monté à New
York en 1960. Puis des vidéo - cassettes en furent tirées. Mais la vente en a été
arrêtée par une action judiciaire. D’autres films se trouvent en possession du fils
d’Étienne Decroux. Jusqu’à ce jour, par crainte de vols, il n’en autorise pas la
vision. Pour tout support iconique, il ne nous reste donc que la
photographie. » (79).
Il finit ce témoignage en exprimant ses regrets de ne pas pouvoir renvoyer ses lecteurs à
ces sources de consultation, et s’en remet au temps pour la solution du problème.
or c’est un problème qu’il n’a pas trouvé insurmontable( 81) pour la réalisation de sa thèse, et
dont il a —bien mesuré l’inconvénient.. Pour sa part, Thomas Leabhart critique vivement les
travaux universitaires sur le mime corporel entrepis par des chercheurs qui n’ont de leur objet
d’étude qu’une connaissance livresque. A propos d’un exemple précis il écrit:
77 Guy Benhaim: Le mime corporel selon Étienne Decroux, op. cit. page 6.(Nous avons souligné en caractères
gras).
78 Nous les appellerons: supports de mémoire. Ayant servi à la préservation, ils devront être en possibilité de
restituer les informations «mouvement» que leur ont été confiées. La première et plus importante limite de ces
supports de mémoire est leur position actuelle d’inaccessibilité.
79 Guy Benhaim: Le mime corporel selon Étienne Decroux, op. cit. page 6.
80 Ibidem.
81 Nous devons signaler que Guy Benhaim fut l’élève de Decroux pendant quatre ans. Voir: Guy Benhaim:
op. cit. page 5.
17
« (cette étude) fut écrite par une personne qui avait admis, dans une
conversation avec moi, qu’il n’avait jamais vu une seule composition dirigée ou
jouée par Étienne Decroux, ni sur scène, ni en film. Cette même personne n’avait
jamais pris une seule leçon avec Étienne Decroux et ne l’avait jamais interviewé.
Ce n’est qu’avec une grande difficulté que je l’ai convaincue d’essayer de voir
l’enseignement et les spectacles de quelques - uns des artistes qui avaient été formés
par Decroux » (82).
et il se demande encore:
Plus loin, Thomas Leabhart revient sur le manque de référence matérielle qui
caractérise le discours sur l’œuvre de Decroux. Cette fois - ci, en la comparant avec celle de
Picasso.
82 Thomas Leabhart: Modern and Post - Modern Mime, op. cit. page 54 (Nous avons traduit de l’anglais et
souligné en cratères gras).
83 Ibidem. (Nous avons traduit de l’anglais et souligné en cratères gras).
84 Thomas Leabhart: Modern and Post - Modern Mime, op. cit. page 55. (Nous avons traduit de l’anglais et
souligné en cratères gras).
18
Nous pouvons poser la question de savoir si le genre de confusion ambiante constatée
quand il s’agit d’une discussion autour de l’art du mime( 85), des langages corporels au service
de l’art dramatique (86), de la technique( 87), des styles( 88), des genres de théâtre( 89), ou de
spectacles( 90) n’est pas une conséquence directe du manque de référence matérielle à l’objet
en question? ce qui reflète le discours sur le discours.
La réunion( 91) de la Fédération Européenne de Mime du 25 janvier 1992 était un bon
exemple de la confusion invoquée dans notre dernier paragraphe. Les questions débatues à
cette rencontre traitaient indistinctement: du nom donné aux spectacles faits actuellement par
des mimes, de la qualité de leur performance, de la dramaturgie, de la formation, de la
«mémoire artistique», du support journalistique (sic) à l’art du mime, jusqu’aux festivals
organisés pour promouvoir la rencontre des mimes avec le public.
Pour notre part, depuis la présentation de notre projet, et jusqu’à cette thèse, en passant
par notre DEA, nous n’avons pas l’intention de nourrir la discussion sur le discours concernant
l’art du mime.
Notre intention avec le projet Laban - Decroux est de proposer une sortie de cette
discussion, en donnant au mime corporel un support «écrit» qui permette son approche «in -
concreto», pour ainsi en faciliter la communication, l’étude et la mémoire au - delà et en
dehors du «discours sur son discours», et nos recherches toucheront plutôt à des aspects
pratiques liés à l’apprentissage et l’assimilation corporelle de ce langage qu’à son discours.
Rappelons ce que Decroux disait, en parlant de la doctrine de Gordon Craig,
« …ce qui compte c’est ce que suggère le courant central de sa pensée, et que
celle - ci se condense quelque part » (92).
85 Qui est aujourd'hui, aux yeux de la majorité du public, celui de Marcel Marceau. Par ailleurs, nous ne pou-
vons que regretter l’abandon de ce nom par d’autres artistes, ce qui place Marceau comme seul représentant de
facto.
86 Le mime corporel, par exemple.
87 Qui n'est qu'adresse, compétence d'exécution ou maîtrise d'un langage, voir l'article inédit «Ce que l’école
ne peut donner» à la fin de cette introduction.
88 Celui de Decroux ou de quelqu’un d'autre.
89 Celui dit «du mouvement» ou «de geste», ou tout autre qui peut être choisi parmi ses nombreuses appel-
lations.
90 En particulier, vu dans des circonstances précises.
91 Tenue à Paris et à laquelle nous avons assisté.
92 Etienne Decroux: Paroles sur le mime, op. cit. page 24.
19
Dans le cadre de l’apprentissage du mime corporel, l’assimilation de ces exercices
permet à l’acteur d’acquérir les compétences nécessaires pour remplir son rôle dans le théâtre
de demain( 93), non pas en tant que «formule magique» qui transformerait nos façons de faire
du théâtre, mais comme des indications pour transformer l’acteur grâce à l’entraînement.
Ainsi identifié, l’objet qui nous intéresse est le matériau «mouvement» que Decroux
appelait au départ sa «gymnastique». Dans ce sens, notre travail s’adresse à ceux qui veulent
faire du spectacle, et pour qui le discours énonçant des «règles», «fondements» ou
«principes pratiques» des arts du spectacle ne peut satisfaire leur besoin d’apprentissage -
entraînement.
Dans les fondements de notre démarche, nous partageons avec J - M. Pradier, l’idée
que:
Et nous ne prétendons donc pas à faire l’analyse des notions touchant au spectacle en
général, ni à l’esthétique, le style, ou la dramaturgie propres à Decroux (ou à d’autres
créateurs), en particulier. Des études critiques portant sur les définitions du mime corporel, son
histoire, le contexte socioculturel de son développement, la personne et la personnalité de son
créateur ont déjà été faits( 96) selon maintes approches. Nous n’en ferons pas ici une nouvelle.
Sont concernés par nos recherches, seulement certains aspects de l’art du mime: la
communication, l’étude et la mémoire du répertoire d’Étienne Decroux pour l’apprentissage et
la préservation du mime corporel. Son concernés concrétement les fondements du mime
corporel ; le vocabulaire et ses définitions en mouvement, ainsi que les exercices qui en
93 Giorgio Streheler, dans l’introduction de la version Italienne de Paroles sur le mime considère que:
«… le mime n’est pour Decroux (peut - être qu’il me pardonnerait l’hérésie) qu’un prétexte. Un prétexte pour
tracer à la base, le profil d’un théâtre nouveau, la forme de théâtre de demain, lequel, en partant (commençant)
du «corps» , et à lui tout seul, dans l’espace de l’univers, dans le vide, dans la nudité, dans le silence (ou dans la
musique des sphères), il retrouve le sens et la forme de la théâtralité humaine la plus essentielle»
Dans Etienne Decroux: Parole sul Mimo, a cura de Valeria Magli, Edizioni del Corpo, Milano, 1983. Pages 5
à 8. (Nous avons traduit de l’italien).
94 Jean - Marie Pradier: «L’Acteur, Aspects de l’Apprentissage», Internationale de l’Imaginaire, Maison des
Cultures du Monde, Numéro 6 / 7, Paris, Automne 1986. page 95.
95 Nakamura Yujiro: «L’intuition active et l’art japonais», Dossier : «Japon : du nouveau sur le théâtre»,
Internationale de l’Imaginaire, Maison des Cultures du Monde, Numéro 4, Hiver 85 - 86, Paris, page 18.
96 Voir la bibliographie thématique sur le mime et le théâtre du mouvement.
20
permettent l’assimilation et la maîtrise en vue d’une pratique spectaculaire et / ou pédagogique
postérieure.
Dans un essai pour rester en dehors du «discours sur le discours du mime», et malgré
l’opposition qu’elle pourrait susciter, nous tenons à affirmer notre approche physique du sujet,
tout en établissant clairement pour une dernière fois, que nos recherches n’entendent pas
réduire l’idée du mime corporel au seul mouvement, ni l’apprentissage de cet art à celui du seul
répertoire dont il fait l’objet.
Dans la présentation du contexte de notre thèse, nous avons indiqué que nous veillerons
à ce que cette dernière reste en dehors du «discours sur le discours du mime corporel », donc
nous ne ferons pas d’étude critique portant sur l’histoire, la poétique, ou les principes
fondamentaux qui ont guidé la recherche de Decroux et lui ont permis de bâtir son œuvre.
Parmi d’autres( 99), René - Jean Dufour et Guy Benhaim l’ont déjà fait.
21
Notre travail sera centré sur le bilan théorique de notre projet. Il s’agit d’évaluer
l’apport de l’application de la cinétographie Laban à l’apprentissage et à la préservation du
mime corporel. Proposition fondée sur notre intention de donner au mime corporel un support
«écrit» qui serve à sa communication, son étude et sa préservation au - delà et en dehors de
son discours.
Pratiquement, cette évaluation consiste à déterminer ce qu’apporterait à la pratique de
cet art, l’analyse du mouvement (appliquée au vocabulaire, aux figures, et aux exercices
d’entraînement du mime corporel), et la notation cinétographique (du répertoire d’Etienne
Decroux).
Définitions
Les définitions suivantes( 100) nous permettront de poser les fondements sur lesquels
nous développerons notre discours.
Le mime corporel
Nous considérons le mime corporel (101) comme «une façon particulière( 102) d’utilser
ses ressources corporelles pour l’expression théâtrale»
Ressources corporelles
Ici, nous parlons d’un corps «dynamique», qui au - delà de l’ensemble de ses
différents membres visibles à l’oeil et des aspects psychiques et «spirituels» de l’acteur,
possède des facultés neuro - musculaires dont la mobilisation rend visibles les ressorts du jeu
dramatique.
22
L’apprentissage du mime corporel
Cet apprentissage relève de l’exploration (pratique) des ressources précedement citées,
afin de les connaître et les comprendre, pour les amener à un épanouissement par l’assimilation
et la maîtrise.
Discipline
L’exigence de cette formation tient au fait que le plus haut dégréé de performance
donne comme résultat, non pas un exploit physique, mais l’occasion d’une exploration
approfondie de nos ressources corporelles. Les indications de cet apprentissage ne cherchent
pas à asservir l’exécutant à une forme externe mais à réveiller ses capacités internes et à les
développer.
Entraînement
L’entraînement( 103) est l’outil de l’apprenti - mime (l’acteur) pour travailler à
l’épanouissement de ses ressources, au delà des conditionnements( 104) divers auxquels elles
sont asujetties. L’entraînement est le seul chemin d’accès à la maîtrise des dites ressources,
porte de la liberté artistique.
Répertoire « Decroux »
La notion de «répertoire d’Étienne Decroux» utilisée communément, désigne
l’ensemble de ses oeuvres majeures. Dans le présent document, nous élargissons cette
signification en y rattachant les développements de Decroux concernant le langage du
mime corporel, en partant de ses définitions et de son vocabulaire, ses exercices
d’apprentissage - entraînement et jusqu’à ses figures de style. Dorénavant, nous l’appellerons:
le répertoire «Decroux».
103 L’entraînement, partie fondamentale de la pratique du mime corporel, au delà de la formation, est aussi le
seul moyen pour rester en possession physique du langage du mime corporel, le projet Laban - Decroux se doit de
considérer sérieusement la possibilité de le regarder comme un nouveau terrain d’application pour sa proposition.
104 Soient - ils culturels ou personnels(ex. : ses «tics» et «manies» ou «habitudes» en mouvement).
23
La mémoire du répertoire « Decroux »
Nous appelons ainsi l’ensemble des fonctions de conservation, de restitution et d’accès
permanent des / aux informations «mouvement» (105) des compositions d’Etienne Decroux.
La Cinétographie Laban
C’est l’ensemble des systèmes d’analyse et de notation du mouvement développé par
Rudolf Laban. De son application résultent principalement des documents appelés
«cinétogrammes», qui sont au mouvement ce que la portée musicale est à la musique.
Si historiquement son premier domaine est la danse, ses principes permettent
néanmoins des applications plus étendues. Le projet Laban - Decroux propose, pour la
première fois, une application approfondie au mime.
La question principale
Vu notre proposition, la présente étude cherche des réponses possibles à la question:
Pour chercher la réponse nous devons déterminer plus précisément quels sont les
aspects de l’apprentissage, de l’entraînement et de la préservation qui sont visés par notre
proposition. Nous avons défini les aspects de ces pratiques qui nous intéressent, ils sont, de:
l’apprentissage: la communication et la mémorisation du répertoire.
l’entraînement: l’élaboration des notes d’étude.
la préservation: la mémoire du répertoire.
Et les cibles concrètes de notre proposition sont les moyens mis en œuvre pour la
communication, la mémorisation et la conservation du répertoire «Decroux», ainsi que la
méthode de notation utilisée pour l’élaboration des notes d’étude.
24
Notre proposition d’application de la cinétographie Laban donne comme résultat des
documents appelés «cinétogrammes», dont le contenu «a–linguistique» fait référence directe
aux informations « mouvement»( 106) correspondant à l’objet étudié.
Quels sont les risques et les avantages que comporte notre proposition pour:
• la préservation du répertoire «Decroux», si des cinétogrammes sont utili-
sés( 107) comme support de mémoire?
Pour les évaluer nous devons estimer de chacun des aspects de l’apprentissage du mime
corporel visés, quelle est:
25
application est le matériau «mouvement» qui fait partie du processus d’apprentissage du mime
corporel, les questions qui alors n’avaient pas été posées, sont précisément celles de savoir si
sa réalisation est possible, et quel est son intérêt.
Les réponses à ces questions dépendent des rapports effectifs entre le répertoire
«Decroux» et l’apprentissage du mime corporel, c’est - à - dire:
Méthodologie
26
Les rapports entre notre notion de répertoire «Decroux» et le matériau «mouvement»
effectivement utilisé pour l’apprentissage du mime corporel, seront établis par la confrontation
de cette notion avec les programmes d’étude des écoles que nous avons fréquentées.
de plus,
Nous serons aménés à développer la correspondance entre les notions de répertoire et de
partition, et à faire une analyse du processus d’apprentissage du mime corporel afin de montrer
le besoin d’élaboration de notes d’étude et des aides - mémoire pour l’entrainement. Analyse
qui sera faite, d’une part à partir de notre expérience en tant qu’apprenti - mime, et d’autre part,
à partir de notre pratique pédagogique et spectaculaire.
Sept chapitres en quatre parties en contiendront le déroulement :
27
• L’analyse des moyens utilisés actuellement pour la communication et la mé-
morisation du répertoire «Decroux»
• L’analyse de l’influence de ces moyens sur l’apprentissage
La préservation et la mémoire
• Analyse de la question de la préservation du mime corporel et de la mémoire
du répertoire «Decroux» afin de mettre en évidence leurs rapports avec les
supports de mémoire, les moyens de communication et les méthodes de nota-
tion du mouvement utilisées actuellement.
• L’analyse des moyens utilisés actuellement pour la mémoire du répertoire
«Decroux».
• L’analyse de l’influence de ces moyens sur la préservation.
28
• Objectifs, conditions, propositions
- Classification des matériaux
- Etudes Systématiques: progressives, thématiques
Bilan pour l’élaboration des notes d’étude et des aides mémoire pour
l’entraînement (111)
Concernant les aspects des pratiques liées à l’entraînement qui sont les cibles de
notre proposition
• L’analyse des modifications possibles suite à l’application de notre proposition
• L’évaluation des avantages et des risques
29
Pour finir cette introduction, nous nous permettons d'inclure un fragment de l'article
inédit d'Etienne Decroux intitulé : "Ce que l'école ne peut donner", où il présente sa conception
du processus d'apprentissage du mime corporel, et du matériau qu'il comporte.
Si la musique ne nous doit pas d'histoire, elle nous doit des sons
propres et les donne.
Oter ceci sans que cela soit incompris, épurer ce qui reste ou en-
core l'agrandir, tout cela est analogue à l'art de dire.
Cela s'enseigne…
Quant à vous dire ce qu'il faut dire, qui va le dire sinon votre
passion?
30
La valeur que chacun donne aux choses est connue de chacun et
non du professeur…
Car elle ne donne pas la passion quelque soit le prix de ses le-
çons…
Payer ses leçons très cher coûte moins que de les suivre. …
ETIENNE DECROUX
31
Première partie
« Le mime corporel et son créateur : Etienne De-
croux »
112 Etienne Decroux: Dossier n° 42 «début 1950», page 7. Fonds Decroux, op. cit.
32
Cette partie de notre thèse se développe en trois chapitres. Au départ, dans un premier
niveau de lecture, le sommaire biographique d’Étienne Decroux servira d’introduction
chronologique à sa démarche pour l’édification du mime corporel, enfin seront examinés le
répertoire «Decroux» et la tradition du mime corporel.
Dans un second niveau de lecture, ces trois chapitres nous permettront de fonder la
faisabilité de notre projet. Leur exposé abordera la correspondance du répertoire «Decroux»
avec le processus d’apprentissage du mime corporel, il sera également l’occasion de présenter
le lien unisant les notions de repertoire et de partition.
Avant de commencer nous rappelons au lecteur, dans la perspective de nos recherches,
la spécificité de ce travail de thèse:
• le mode d’approche du sujet est fondé sur notre pratique du mime corporel.
Nous appelons cette approche: «physique».
La façon de présenter et d’utiliser les informations contenues dans la biographie
d’Étienne Decroux et dans les développements que nous ferons ensuite sur l’édification du
mime corporel et sur la notion de répertoire «Decroux», est le reflet de ces caractéristiques.
Dans ce contexte, une des tâches les plus difficiles est d’établir le traitement théorique
du mime corporel correspondant à nos intentions. Il nous a fallu garder une distance prudente
avec le discours sur Etienne Decroux et sur le mime corporel. Nous voudrions développer,
dans le traitement du sujet, non pas une façon «nouvelle», mais celle qui refléterait le mieux
notre expérience.
Nous ne prétendons pas, non plus, proposer une définition «originale» du mime
corporel fondée sur l’étude critique des textes qui ont été consultés. Ce serait hors de notre
propos.
33
chapitre 1
Étienne Decroux
Principalement ont été consultés, une mise en perspective historique du mime (René -
Jean Dufour, 1989), une thèse consacrée exclusivement à Decroux et à son œuvre (Guy
Benhaim, 1992), des études sur le rôle et l’influence du mime corporel dans le théâtre
contemporain (Thomas Leabhart, 1989 et Marco de Marinis, 1993), un projet de spectacle
(Corinne Soum et Steven Wasson, 1992), quelques notes autobiographiques de Decroux (1963,
1978), ainsi que les enregistrements d’une émission radio (J. P. Pagliano et D. Fontanarrosa,
1992) et d’un film fait en son hommage (Jean - Claude Bonfanti, 1993).
Pour commencer, nous voudrions signaler le sentiment qui se dégage fortement de la
consultation de ces documents: pour la plupart des auteurs, Decroux et le mime corporel sont,
sinon inconnus, du moins méconnus.
113 Extraits de textes de : a) Guy Benhaim: Le mime corporel selon Étienne Decroux, Thèse de Doctorat
nouveau régime, Faculté des Lettres, Arts et Sciences Humaines, Université de Nice Sophia Antipolis, 1992. b)
Étienne Decroux: Paroles sur le mime, Gallimard Paris, 1963, c) Rene - Jean Dufour: Petite Histoire d'un grand
art : Le mime hier et aujourdui; Perspective historique, Mémoire de maitrise d'Art présenté à l'Université de
Quebec à Montrèal, 1989. (exémplaire informatique). d) Thomas Leabhart: Modern and Post - Modern Mime,
Col. Modern Dramatists, Ed. St Martin's Press, New York, 1989, pages 35 à 59. e) Marco de Marinis: Mimo e
teatro nel Novecento, La casa Usher, Firenze, 1993. f) Jean Peret: «Étienne Decroux», dans Jacques Lecoq: Le
théâtre du geste / mimes et acteurs, pages 65 à 67. g) Corinne Soum et Steven Wasson: Projet Spectacle hom-
mage à Étienne Decroux, Ed. Théâtre de l'Ange Fou / Cie. Steven Wasson et Corinne Soum, Paris 1992. (Nous
avons traduit de l’anglais et de l’italien).
Extraits des documents audio - visuels : a) Jean - Claude Bonfanti: Pour Saluer Étienne Decroux, film pré-
senté le 10 février 1993 à la Vidéothèque de Paris, Atmosphère productions. b) J. P. Pagliano et D. Fontanarrosa:
Profil perdu : Étienne Decroux, émission radiophonique avec des extraits de documents des archives de l’INA,
France Culture, Paris novembre 5 et 12, 1992.
34
Par exemple, dans l’introduction de sa thèse, Guy Benhaim présente comme une des
principales motivations de son travail de recherche sur Decroux « le désir de réparer une
injustice, de commencer à faire reconnaître la place qui revient à Decroux dans l’histoire du
Mime et celle du Théâtre contemporain»( 114). Thomas Leabhart, en le comparant à Jacques
Copeau nous dit: « Entre un succès tout relatif et une obscurité totale, Decroux, comme
Copeau avant lui, est resté fermement marié à ses idéaux» ( 115). De Marinis nous parle de:
« l’invisibilité de Decroux comme théoricien et pédagogue» ( 116). Egalement significatif est le
titre d’une émission de radio à laquelle nous faisons référence: « Profil perdu»( 117). Il nous
est difficile de ne pas remarquer cette presque «obscurité totale» qui entoura Decroux et le
mime corporel.
L’extrait qui suit, provient de la présentation de Decroux que font Corinne Soum et
Steven Wasson dans leur projet de spectacle « l’Homme qui voulait rester debout / Hommage
à Étienne Decroux». Il vise à sensibiliser les représentants des institutions culturelles à
l’importance de l’œuvre de ce créateur français plutôt mal compris et presque oublié.
Le 12 mars 1991 Étienne Decroux nous à quitté à l’âge de 92 ans, après avoir
consacré sa vie à l’édification d’un art : le mime corporel dramatique.
114 Guy Benahim: Le mime corporel selon Étienne Decroux, op.cit. page. 5 (Nous avons souligné en cratères
gras).
115 Thomas Leabhart: Modern and Post - Modern Mime, op. cit. page 54 (Nous avons traduit de l’anglais et
souligné en cratères gras).
116 Marco de Marinis: Mimo e teatro nel Novecento, op. cit. page 133. (Nous avons traduit de l’italien et
souligné en cratères gras).
117 Pagliano et Fontanarosa: Profil perdu : Étienne Decroux, op. cit.
118 Corinne Soum et Steven Wasson: Projet Spectacle hommage à Étienne Decroux, op. cit. (dans l'introduc-
tion).
35
Selon René - Jean Dufour, « son œuvre est pratiquement inconnue( 119)» et il ajoute
« mais il est cité en référence dans nombre de travaux savants sur l’art dramatique» ce qui est
paradoxal pour cet «illustre inconnu» du grand public.
Heureusement tout n’est pas «obscurité» autour de Decroux. En 1988 dans le cadre
des célébrations du 900 ème anniversaire de sa fondation, l’Université de Bologne lui décerna
le titre de Docteur Honoris Causa des Arts de la Musique et du Spectacle. Dans son
intervention, le professeur Franco Ruffini présenta Étienne Decroux comme un « personnage
d’exception». Par cet événement, l’Italie a honoré un maître trop oublié en France( 121).
Biographie
119 René - Jean Dufour: Petite Histoire d'un grand art, op. cit. s / p. (Nous avons souligné en cratères gras).
Aussi, selon Thomas Leabhart : «(le travail produit par Etienne Decroux) a été pendant cinquante ans, pres-
que invisible, un art souterrain pour quelques initiés. Il - y - a peut - être seulement 500 ou 1000 personnes au-
tour du monde qui ont vu son type de mime et qui pourraient l’identifier». Dans Thomas Leabhart: Modern and
Post - Modern Mime, op. cit. page 109. (Nous avons traduit de l’anglais)
120 Pagliano et Fontanarosa: Profil perdu : Étienne Decroux, op. cit. (Nous avons souligné en cratères gras).
121 Franco Ruffini: "Étienne Decroux, un maître", Faire Evénement, Coll. L'Art du Théâtre n° 9. Ed. Actes
Sud / Théâtre National de Chaillot, Paris, 1988, pages 181 à 184. (En français dans le texte).
122 Guy Benhaim: Le mime corporel selon Étienne Decroux, op. cit. page 67.
36
De son enfance et adolescence, Decroux fit un pittoresque recueil de souvenirs
qu’André Veinstein publie dans l’introduction de Paroles sur le mime.
Ces choses vues et même manipulées son passées peu à peu dans l’arrière de
la tête, descendues le long de l’arrière des bras, sont arrivées au bout des doigts où
elles ont modifié mes empreintes digitales » (123).
123 Étienne Decroux: cité par André Veinstein dans le préface de Paroles sur le mime, op. cit. page 8.
37
perspective d’une activité politique, il décida de cultiver ses moyens vocaux et sa capacité
oratoire.
Quatre ans après avoir quitté l’armée, au mois d’octobre 1923, dans une annonce parue
dans «l’humanité», il apprit que le théâtre du Vieux - Colombier, dirigé par Jacques Copeau
depuis 1921, avait ouvert une école de formation et de culture théâtrale, qui accueillait
également ceux qui n’avaient pas l’intention de se consacrer professionnellement au théâtre.
Decroux se présenta et fut admis.
« Le mime, pensai - je, a mieux à faire que de compléter un autre art.
Parce qu’il peut devenir suffisant par lui - même, supérieur au théâtre et égal
à la danse dont il diffère par la racine…. » (124).
124 Ibidem:page 34
38
Si Decroux adhéra de façon complète et définitive à l’esthétique du Vieux - Colombier,
ce fut par l’effet d’un événement majeur qui le bouleversa en moins d’une heure, et qui orienta
définitivement son existence.
C’était du mime et des sons. Le tout sans une parole, sans maquillage, sans
costume, sans un jeu de lumière, sans accessoires, sans meubles et sans décor.
Le développement de l’action était assez savant pour qu’on fit tenir plusieurs
heures en quelque secondes et plusieurs lieux en un seul.
Le choc fut violent; ce qu’il vit, Decroux le définit plus tard comme du Mime corporel.
Peu après, le 15 mai 1924, Copeau ferma le Théâtre du Vieux Colombier pour se
consacrer entièrement à son école, et décida d’amener ses élèves en Bourgogne, fuyant ainsi
les distractions de Paris. Parmi les étudiants invités se trouvait Étienne Decroux.
En Bourgogne, de novembre 1924 à février 1925, les cours continuèrent ainsi que les
répétitions de deux pièces écrites par Copeau, pour un spectacle destiné à amener un soutien
financier pour la compagnie. Finalement, les multiples difficultés matérielles finirent par
prendre le dessus et la communauté fut dissoute.
En février 1925, Decroux quitta la Bourgogne. De cette époque passée à l’Ecole du
Vieux - Colombier sous la direction de son «patron», il garda un souvenir éloquent:
« Copeau nous avait si bien allumés que ceux d’entre nous qui le quittèrent
avaient du feu après eux » (126).
125 IbIdem:page 18
39
L’acteur parlant
Quand le premier groupe d’étudiants de l’École du Vieux Colombier en Bourgogne, se
dispersa après cinq mois, Decroux partit travailler à Paris avec Gaston Baty, puis avec Louis
Jouvet chez qui il resta durant la saison de 1925 - 26.
Decroux à cette époque avait perçu dans le jeu de Jouvet «… les débuts, un arrière -
goût de la marionnette… une certaine façon de tourner la tête, de se servir du cou, une
certaine façon de prendre place sur scène». Il était possible de voir en lui « l’homme
articulé». Decroux pourra dire: « le style m’est venu de Jouvet»( 127).
40
Au début de 1928, Decroux commença à travailler avec des jeunes acteurs dont
l’inconstance ne permettra pas la formation d’une troupe de mime.
Trois ans plus tard, le 13 juin 1931 à la salle Lancry, il créa avec sa femme Suzanne
Lodieu, «La vie primitive». Unique représentation qui marqua le début d’un nouveau cycle
d’expérimentations.
La même année, Jean - Louis Barrault, qui avait alors 22 ans, vint au Théâtre de
l’Atelier suivre les cours de Dullin. C’est ici qu’il rencontre Decroux, alors membre de la
troupe. Barrault se souvint de Decroux comme d’un excentrique qui stylisait ses rôles au point
de les danser, et dont tout un chacun parlait avec une sourire au coin des lèvres.
Decroux, à l’époque «révolutionnaire puritain» cultivant le «plus - que -
parfait»( 131), cherchait des gens pour continuer le travail corporel qu’il avait commencé au
Vieux Colombier. Le jeune et enthousiaste Barrault fut facilement conquis; il devint le
premier réel élève et disciple de Decroux.
La même année, il donna à nouveau « la vie primitive», en y incorporant Jean - Louis
Barrault, et plus tard «La vie artisanale» avec les mêmes participants.
Pendant deux ans, tout en étant régisseur et acteur dans la troupe de Dullin, il se
consacra à l’art du mime, fort du solide talent de Jean - Louis Barrault:
« Les deux hommes travaillent jour et nuit. Non pour produire, mais pour
tenter de trouver […] une à une des conventions nouvelles. Leurs recherches
patientes aboutissent à des prouesses fameuses : la « marche glissée »en est une des
plus spectaculaires […] » (132).
Les documents de l’époque sur Decroux, et les débuts du mime corporel, témoignent de
la communauté d’expérience des deux hommes. Ils étaient inséparables: nudistes, végétariens,
complices dans la recherche du «nouveau mime»( 133). L’histoire de ces deux ans à été
souvent racontée: Decroux écrivait, Barrault improvisait — Le premier, en codificateur
attentif, le deuxième en expérimentateur intuitif.
129 Date de la fameuse séance de la section «A» de l'école du Vieux Colombier, et à laquelle Decroux assista
comme spectateur.
130 Dans sont avant - propos, Jean Dorcy explique : «… on lira : La MIME. Ce féminin indiquera le genre,
l'œuvre, l'art; le masculin, lui, désignera l'agent d'action…»
131 Jean - Louis Barrault: Reflections on the Theatre, traduction de Barbara Wall, Rockliff, Londres, 1951,
pages. 21 à 23, cité par Thomas Leabhart, op. cit. page 41. (Nous avons traduit de l’anglais).
132 Yves Lorelle: L’expression corporelle, du mime sacré au mime de théâtre, La Renaissance du Livre,
Bruxelles, 1974, page 108.
133 Jean - Louis Barrault: Souvenirs pour démain, Editions du Séuil, Paris 1972, page 72. Cité par Thomas
Leabhart, op. cit. page 41. (Nous avons traduit de l’anglais).
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A la fin de cette période, ils jouèrent pour Dullin leur «Combat antique». Dullin, qui
les encourageait dans leur travail, non sans scepticisme, fut convaincu par la performance,
qu’il trouvait proche de la perfection technique des acteurs japonais.
La ferveur de ces deux années de créativité et de découvertes ne dura pas, car Barrault
découvrit ce que la majorité des élèves de Decroux avaient déjà vu: la passion de Decroux
pour son art n’acceptait pas de compromis, et la rigueur de sa dévotion était finalement
oppressive pour tous sauf pour lui - même.
La rigueur de Decroux dépassait la salle de classe pour aller jusqu’à la scène, où il
pouvait arrêter un spectacle qui ne se passait pas comme il le voulait. Il lui arriva d’insulter le
public s’il riait hors propos sans comprendre son travail expérimental.
Les représentations publiques de mime de Decroux finirent par ne pas être nombreuses.
Son amour de la perfection le poussait à demander tellement à ses acteurs et à lui - même
d’une part, et au public d’autre part (lequel voyait en géneral, du mime moderne pour la
première fois), qu’il préféra finalement se produire pour deux ou trois personnes, car, il
considérait qu’un public réduit était plus apte à apprécier une forme nouvelle.
En 1933, Barrault partit faire son service militaire. Ceci marqua la fin d’une époque. Ils
se retrouvèrent plus tard sur scène, mais le fil était rompu. Barrault choisit de faire un théâtre
incluant le mime. Decroux poursuivit donc son travail en solitaire, tout en cultivant, de 1932 à
1939, le «Chœur parlant» dans les fêtes socialistes( 134).
Pendant cette période ses pièces évoluèrent. En 1938, il donna des centaines de
représentations en solo dans sa salle à manger, pour un public de deux ou trois personnes.
Démobilisé en 1940, il continua à fignoler son esthétique du mime, s’attardant à la
ligne et au rythme des pièces: «La machine», «Le menuisier» et «Les marches de
personnages sur place», et créa: «la lessive», «le Professeur de boxe», et «l’haltérophile».
Il joua encore une centaine de fois face à des audiences de trois à quatre personnes.
D’ores et déjà, Decroux était en pleine possession de son langage. Sa démarche mettait
de plus en plus l’accent sur l’abstraction géométrique dans le mouvement corporel.
En 1941, il ouvrit une première école de mime et donna, en représentation privée à la
Comédie des Champs - Élysées «Camping», sa première grande pièce collective.
En 1942, l’art decrousien se concrétisait de plus en plus: il livra les numéros
«Chirurgie esthétique», «La dernière conquête», « le feu» et « Le Passage des hommes sur
la terre», des numéros qui avaient de l’étendue, et qui nécessitaient une troupe de mimes.
Une centaine de représentations eurent lieu dans une «grande» salle à manger, devant
un public de cinq à dix personnes. En octobre de la même année, il donna une représentation
134 Yves Lorelle: L’expression corporelle, du mime sacré au mime de théâtre, op. cit, page 111 et suivantes.
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publique au Salon d’Automne et au Théâtre des Ambassadeurs. Puis les élèves se dispersèrent
et la jeune troupe se défit. Decroux ne se laissa cependant pas abattre.
En 1943, il joua dans le film «Les enfants du paradis». L’année suivante, Decroux,
avec ses élèves, donna des représentations privées pour des audiences de dix à quinze
personnes averties dans le Foyer des Beaux Arts.
Toujours en 1944, Marcel Marceau s’inscrivit aux cours qu’il donnait, chez Dullin, au
Théâtre Sarah - Bernhardt. Le 28 avril 1945, il joua, avec Jean - Louis Barrault, dans «Antoine
et Cléopâtre» à la Comédie - Française un numéro extraordinaire intitulé: «Combat
antique».
Un des événements les plus importants de cette période fut le spectacle présenté le 27
juin 1945 à la Maison de la Chimie où un public de plus de 1000 personnes vint voir la
représentation de mime corporel d’Étienne Decroux, de Jean - Louis Barrault et d’Éliane
Guyon. Jean Dorcy était le Maître des Cérémonies et Gordon Craig président d’honneur. Craig
salua le rare triomphe d’Étienne Decroux:
Gordon Craig eut sur Étienne Decroux une influence pacifiante par le vigoureux
soutien qu’il lui exprima publiquement très tôt. Aussi, il n’est pas étonnant d’entendre Decroux
lui faire un vibrant hommage et se réclamer de lui plus que de tout autre artiste de la
profession:
« Craig n’est pas un doctrinaire. [Il est] plus animé par l’esprit de finesse que
par l’esprit de géométrie […]. Il se réjouit de la victoire d’un autre pour peu qu’elle
soit honnête […]. Nous avons bien choisi notre patron » (136).
135 Edward Gordon Craig: «Enfin un Créateur au théâtre», Arts, 3 août 1945.
136 Étienne Decroux: Paroles sur le mime, op. cit, page 25.
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Séjour à Milan, au «Piccolo teatro», sur l’invitation de Giorgio Strehler, en tant que
professeur de mime.
Parmi les nouveaux travaux crées pendant cette période, il y eut: «Petits soldats»,
«Prise de contact», «Poète vaincu», «Croisements du matin», «Relais de Dulcinea», «Jeu
de dames» et «Soirée».
En octobre 1957, Decroux partit aux États Unis pour une longue tournée de
conférences, spectacles et enseignement. Il ouvrit une école à New York, laquelle donna jour à
une troupe américaine de mime qui joua avec lui au Kaufmann Concert Hall, au Carnegie Hall
et au Cricket Theatre.
En même temps, il fit des conférences - démonstrations et donna des stages dans
plusieurs universités américaines, entre autres: Tufs à Medford dans le Massachussets, et
Baylor à Waco dans le Texas. Il publia quelques articles, et son renom s’étendit sur les cinq
continents.
Le répertoire de sa troupe américaine comprenait quelques reprises des travaux produits
auparavant en Europe, «l’usine» et «les arbres», certains solos et le nouveau duo «la
statue», où Decroux jouait le sculpteur. Parmi les solos joués pour des audiences surprises et
incapables de le comprendre était sa pièce - clé, «le menuisier».
Sa dernière véritable représentation publique date de 1961, au Carnegie Hall, à New
York. Decroux resta sept ans aux États Unis, et quand il retourna à Paris, il prit résidence à la
maison qu’avait construite son père à Boulogne - Billancourt, dans la proche banlieue
parisienne.
En 1963, fut publié son livre Paroles sur le mime. C’est un recueil de notes, essais ou
articles, inédits ou non, arguments de spectacles et textes de présentation, fruit de son intense
activité réflexive concernant le mime corporel. Il y retrace la genèse du mime corporel et
expose l’essentiel de sa doctrine.
Après New York( 137), l’intérêt de Decroux pour la scène s’est réduisit de jour en jour,
jusqu’à disparaître pratiquement au profit du développement du mime corporel, de la
formation d’acteurs, et surtout, il prénnait plaisir à faire jouer les autres. Dans un interview
fait le 1er. mai 1978 à son école, Decroux expliquait:
« … il se trouve que je suis doué pour le mime. Tu vois, je ne m’en sers pas,
ça ne m’amuse pas.
137 Il a 65 ans.
44
Ce qui m’amuse, c’est de faire jouer les autres, tu comprends ? C’est quand -
t - on fait jouer les autres qu’on a une émotion bien plus grande que quand - t - on
joue soi même, tu comprends ?… » (138)
Malgré cette retraite de la scène, il continua à jouer chaque jour dans ses cours, enfin,
entre un succès tout relatif et une obscurité totale, Decroux, comme Copeau avant lui, resta
fermement marié à ses idéaux.
Son école, dans le sous - sol de sa maison, fleurit de 1964 à 1987, en produisant une
succession d’acteurs et de professeurs de toute nationalité. Le nombre d’élèves inscrits pouvait
varier de huit à une centaine en trois groupes séparés dans la journée.
Dans cette dernière période, il continua à créer avec ses élèves et ses assistants.
Production particulièrement riche qui donna naissance à un travail de plus en plus élaboré, tant
sur le plan technique que sur le plan de la conception dramatique. Les pièces furent
représentées au sein de l’école, devant un public choisi, ou filmées et archivées.
En 1988, l’Université de Bologne lui décerna le titre de Docteur Honoris Causa des
Arts de la Musique et du Spectacle.
Doué d’une santé robuste et d’une persévérance exceptionnelle, il put, au fil des
années, enseigner à quelque cinq générations d’artistes. Ses élèves, venus de partout, se
comptaient par milliers. L’influence d’Étienne Decroux fut considérable, mais il n’eut jamais
de succès critique véritable. Sa préoccupation fut tout autre:
138 Etienne Decroux: Interview du 1er Mai 1978 à son école, document audio inédit.
139 Idem: "The Origin of Corporeal Mime", The Mime Journal, no 7 - 8, op.cit, page 16. (Nous avons traduit
de l’anglais).
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Pourtant, Decroux est resté l’homme d’une idée forte, qu’il a vu naître chez Copeau et
dont il a assumée le développement:
« Et cependant, par coquetterie, pour prouver que notre art peut tout faire,
j’ai fait des histoires sans paroles et mon succès fut nul ou terne. Je dois dire ces
choses - là. Je ne voudrais pas que l’autorité que donne le seul fait d’écrire dans un
livre décourage d’autres ouvriers dans leur essai de vaincre là où j’ai échoué. J’écris
pour faire penser, non pour en dispenser et je mourrai jeune homme au pied du
Grand Projet » (141).
Ce qu’on retient de lui, c’est qu’il est le «mime des mimes», le pédagogue émérite
dont le projet ne connaît pas le succès immédiat.
Il a effectué une recherche artistique édifiante, en réinventant pour lui - même un art
d’acteur selon les découvertes qui jalonnent sa longue existence. Il a voulu le partager,
enseigner ses méthodes à des artistes patients et dévoués à la cause du renouveau de l’art de
l’acteur; tout devait être expliqué, car il paraissait recommencer à partir de rien.
La concentration martiale et l’infaillible analyse du mouvement chez Decroux
surpassent les volutes de la légende créée autour de lui et de son art. Il clairsème les épuisantes
répétitions d’équilibre et d’isolations de segments, avec des considérations théoriques sur l’art,
et des directives pratiques.
Decroux ira jusqu’à construire une erreur afin de faire évoluer un élève. En revanche, il
capitule devant un groupe d’acteurs qui le deçoit sans cesse:
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« Vous serez surpris de me voir irrité contre une très belle exécution, parce
que cette réussite se sera posée orgueilleusement à côté de la question » (143).
Juste retour des choses, ses élèves l’ont conduit à ses intuitions les plus fortes, comme
ce fut le cas avec la technique de l’articulation des segments: la tête, puis le cou, puis la
poitrine, la ceinture, etc.. La difficulté des élèves à bouger les parties du corps une à une ont
forcé Decroux à préciser ses méthodes, à décomposer les mouvements complexes et à fonder
une pédagogie qui lui est propre:
Mais encore reconnaît - il la dynamique des échanges entre lui et ses élèves, dynamique
qui fait évoluer sa compréhension du mime:
« Un jour, un de mes élèves m’a dit : <<Le jour où vous avez dit ‘Tête sans
cou’, vous avez trouvé votre système>>. Je n’aurais pas pensé à cette définition,
mais je crois que cela est vrai (…). C’est ce qui vaut d’avoir ses propres
étudiants ! » (145).
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chapitre 2
L’édification du mime corporel
Notre intention avec cet exposé est d’esquisser verbalement les contours du matériau
«mouvement» ( 147) qui constitue le répertoire «Decroux» (148), indication concréte de ses
conceptions du mime.
« Je passais mon temps comme ça, comme je pouvais, autant que je pouvais, à
monter une pièce, alors, je ne pouvais pas m’occuper de la scolarité, ou à faire de la
prospection de la scolarité. Quand je ne montais pas de pièces, n’importe comment,
chaque jour, ça avançait. Ca ne pouvait pas ne pas avancer, et maintenant mon
grand regret c’est qu’il ne me reste pas beaucoup à vivre pour réaliser les projets
que je veux. Le mime, je n’en vois pas le bout, j’estime pauvre ce que j’ai fait quand
je pense à ce qui pourrait être fait. » (149).
Un exposé de cette démarche, qui suivrait le cours linéaire du temps n’est peut - être
pas ce qui conviendrait le mieux à nos objectifs. Heureusement, Decroux a toujours écrit, son
carnet de route est bien rempli. Nous puiserons dans ce recueil le matériel nécessaire.
L’oeuvre écrite de Decroux( 150) couvre chacun des aspects de ses recherches, ses
articles, essais et conférences témoignent des efforts ininterrompus pour clarifier et faire
147 Nous entendons par matériau «mouvement» , les mouvements ou exercices qui constituent l'objet d'ap-
prentissage.
148 Voir la définition de répertoire «Decroux» dans notre introduction.
149 Étienne Decroux: Conférence du 19 / 05 / 78 à son école. Document audio inédit.
150 « L’oeuvre écrite de Decroux est considérable. Intimement liée à l’enseignement et à son travail de créa-
tion, elle traduit, chez lui, une impérieuse nécessité d’élucider ses actes. Séries de notes, essais ou articles, inédits
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connaître les fondements de la doctrine artistique qui préfigure le mime corporel. Ils couvrent
une longue période, depuis son premier article intitulé «Ma définition du théâtre» publié en
1931 et jusqu’à la publication de son livre «Paroles sur le Mime» en 1963 (Il y en a eu
certainement d’autres après cette date).
D’autres textes, plus techniques ceux - ci, témoignent de ses réflexions concernant les
différents aspects et niveaux d’étude qui ont été nécessaires pour le développement d’un
langage corporel dramatique, depuis ses implications anatomiques jusqu’à celles
spectaculaires. Il présente, explique, justifie ce qu’il a fait et ce qu’il a voulu faire.
En outre, d’après la lecture des écrits de Decroux, nous pouvons déduire qu’avec la
création spectaculaire il a entrepris de faire connaître les possibilités artistiques du mime
corporel
Qui ne peut se parfaire qu’en soumettant son travail à des juges suprêmes,
c’est - à - dire au public. »(152)
Néanmoins, la recherche en studio est devenue par la force des choses son activité
principale, recherche des moyens qui lui permettraient d’aboutir au mime corporel et à la
formation des acteurs capables de lui donner corps; Thomas Leabhart nous explique:
ou non, arguments de spectacles et textes de présentation fourniraient certainement la matière de plusieurs ou-
vrages.»
André Veinstein, Dans la Préface de: Étienne Decroux, Paroles sur le mime, op. cit. page 10.
Voir dans les Annexes le liste des dossiers du « Fonds Decroux» de la Bibliothèque de l’Arsenal à Paris.
151 Étienne Decroux: Paroles sur le mime, op. cit, page 87.
152 IbIdem, page 182.
153 Thomas Leabhart: Modern and Post - Modern Mime, op. cit. page 58. (Nous avons traduit de l’anglais)
49
Pendant notre collaboration avec Corinne Soum et Steven Wasson, nous avons eu
l’occasion de lire des textes de Decroux concernant cette recherche. Ils témoignent des
problèmes rencontrés pour traduire corporellement les ressorts du jeu dramatique, de ceux
posés par la formation de ses acteurs, et des solutions qui l’ont conduit à la conception de sa
«gymnastique» et celle de la pédagogie nécessaire à son intégration dans un tout artistique
cohérent.
« Je fus forcé d’analyser les figures que je proposais aux élèves pour qu’ils
puissent les refaire.
Peu à peu, j’édifiais non seulement une doctrine mais une pédagogie. » (154)
« Enfin, d’une façon générale, j’ai voulu qu’entre ce que j’enseigne et ce que
l’on peut voir sur scène, il n’y ait point cloison étanche. » (155).
Nous utiliserons pour notre exposition des extraits de certains des textes cités, des
interviews de Decroux faits par d’autres auteurs et quelques unes de ses conférences,
enregistrées à son école entre 1978 et 1983, en faisant des aller - retours parmi ces documents
en dehors de leur stricte linéarité temporelle. La cohérence de l’oeuvre de Decroux est assez
solide pour nous permettre ce traitement.
Deux bilans.
Des sources consultées, il nous semble qu'à deux moments précis de son travail,
Decroux à fait une pause, si non dans l’action, au moins dans la réflexion. Pauses
suffisamment importantes à ses yeux pour en faire la mention écrite.
En 1945, après quelque 20 ans de recherches et d’expérimentations quasi sécrètes, le 27
juin, Decroux présenta à la Maison de la Chimie une «Séance de Mime corporel» sous la
présidence honoraire de Gordon Craig (qui assiste) et celle effective de Jean Dorcy. Spectacle
qui marque pour le Mime corporel son « baptême public et premier grand succès de Decroux
mime»( 156), plus de mille personnes composent son public.
Pour cette soirée, où « l’art decrousien dévoile surtout ses sommets»( 157) et où
« s’agit de prouver que le Mime est un art»( 158), en plus des titres de la partie spectaculaire et
154 Étienne Decroux: «Autobiographie d’Étienne Decroux», Dossier n° 42 « début 1950», page 5. Fonds
Decroux, Bibliothèque de l’Arsenal à Paris.
155 Idem: Dossier 20 «1944, 10 bissuite», page 20, Fonds Decroux, op. cit.
156 Marco de Marinis: Mimo e teatro nel Novecento, op. cit. page 12.
157 Guy Benahim: Le mime corporel selon Étienne Decroux, op. cit. page 120.
50
de ceux des conférences données par lui - même et par Jean Dorcy, Decroux a fait imprimer,
dans le postface du programme, une chronologie intitulée «Bilan». Dans cette chronologie,
nous pouvons voir l’intention qu’a Decroux de soumettre son travail au jugement du public,
d’inviter ce même public à faire une sorte d’analyse de sa démarche et de ses résultats.
L’article de Gordon Craig: « Enfin un créateur au théâtre issu du théâtre», lui donne
une réponse plus que encourageante,
On dit qu’il se révélera comme le maître du mime je considère que ce titre lui
est déjà dû » (159).
Suite à cette soirée et à l’article cité, une série de tournées en Europe et en Israël se sont
enchaînées de 1946 à 1957 et l’ont amené à confronter son art avec des publics et des critiques
divers tout en créant des nouvelles pièces et en développant sa gymnastique et sa pédagogie.
En 1953, Decroux fait une autre sorte de bilan où, tout en reconnaissant la prolifération
du mime, regrette qu’en fait
il est conscient que pour l’observateur externe, l’image du mime ne correspond pas à celle
qu’il voulait en donner.
« Si bien que constatant avec plaisir l’expansion d’un désir de mouvement, je
regrette d’en constater aussi la sénilité précoce. » (161)
« Si j’avais suivi les conseils (de la critique), j’aurais renoncé : à dire toutes
les syllabes d’un vers, au choeur parlant, à l’art du mime corporel en bloc, et, en
158 Ibidem.
159 GordonCraig: «Enfin un Créateur au théâtre», op. cit.
160 Étienne Decroux: Paroles sur le mime, op. cit. pages 87 et 88.
161 Ibidem, page 88.
51
particulier j’aurais abandonne l’Usine, le Menuisier, les Arbres, surtout Chirurgie
Esthétique, dont durant dix années, l’insuccès sur les gens de goût n’eut aucun
succès sur le mien. » (162)
En 1978, à l’âge de 80 ans, dans une lettre adressée à Thomas Leabhart, il considère
que sa tâche n’est pas encore fini.
« La longévité a des airs de postérité. Elle donne le temps d’entendre le merci
pour la durée de la passion. Donc merci pour votre merci.
Mon désir qui j’espère, ne me quittera jamais est de ne pas entrer dans la
légende afin de rester dans la lutte. Courage à vous et aux vôtres.
Les origines
Nous écrivions plus haut que Jean Dorcy (165) retient l’année 1924 (166) comme la date
à partir de laquelle, Decroux « ne vit plus - désormais - que pour travailler la mime (sic.)»
(167), n’exerçant la profession de comédien « que pour gagner sa vie».
Or, comment mieux présenter les origines du mime corporel que par ce qu’Étienne
Decroux lui - même a dit?( 168). Pour expliquer sa démarche il invoque plusieurs raisons:
d’abord, il idéntifie dans son propre caractère des prédispositions qu’il trouve déterminantes.
52
En tant que matérialiste, il aime l’oeuvre concrète, fruit de l’effort et de l’esprit. Les
idées commencent à l’intéresser à partir du moment où elles se manifestent matériellement. —
«L’esprit ne vaut que filtré par la pierre» — dira - t - il.
J’aurais voulu être sculpteur …. J’aurais voulu être poète J’étais fait pour
aimer le mime …. J’étais doué. Imiter m’est facile et m’amuse. Mes muscles sont
forts, ils sont souples. J’ai du rythme …. Je dessine dans l’espace comme si je me
voyais. J’analyse aisément et j’explique aisément. J’étais donc fait pour faire et
démontrer
Son amour de la poésie et son admiration pour la sculpture conditionnent d’une façon
déterminante ses choix par rapport au mime. Il désire que l’acteur, en acceptant l’artifice de la
versification — «sculpte l’air et fasse sentir où le vers se commence et où il se finit».
Pensée, poussée, pouce et pincée qui sont presque homonymes, sont presque
synonymes.
Notre pensée pousse nos gestes ainsi qu’un pouce de statuaire pousse des
formes ; et notre corps, sculpté de l’intérieur s’étend.
Notre pensée, entre son pouce et son index, nous pince le revers de notre
enveloppe et notre corps, sculpté de l’intérieur, se plie.
"… Malgré que ce numéro fût schématique, dépourvu d’une moralité, eût eu
des personnages sans épaisseur, l’espèce en appartenait au mime corporel. » (170)
53
Un peu plus tard, Il a été impressionné par Georges Carpentier, jeune boxeur qui par sa
« vigueur et grâce, force élégance, fulgurance et pensée, goût du risque et sourire» marquait
l’horizon sportif. Georges Carpentier était bien loin de se douter « qu’il fut l’image motrice»
du mime corporel (section tragédie).
Enfin, Jacques Copeau. Une des études de l’École du Vieux - Colombier consistait à
jouer sans paroles, le visage couvert, le corps presque nu, de petites pièces dont un bon nombre
étaient pathétiques.
Pour Decroux, cet art avait mieux à faire que d’en compléter un autre, pouvant
« devenir suffisant par lui - même, supérieur au théâtre et égal à la danse», il fallait l’édifier.
54
• la base biologique concernant la qualité de l’effort musculaire (qu’il appelle
«nature musculaire») et sur laquelle le mime corporel s'érige comme «art de
l’acteur».
Au départ de sa recherche, Étienne Decroux s’appui sur l’idée qu’il se fait du mime, sur
un bagage de connaissances relatives à l’art corporel qu’il a apprises au Vieux - Colombier et,
surtout, sur une forte expérience du travail physique acquise dans sa jeunesse(à 25 ans il a fait
trente - six métiers manuels).
Dès le début il se livre à une profonde réflexion sur l’art du comédien, il cherche à
trouver les sources profondes de l’expression dramatique, sa voie c’est «le corps». C’est en
effet par une incessante épreuve physique qu’il édifie ce théâtre, dont le moyen d’expression
est le corps de l’acteur.
« J’ai étudié l’art du théâtre comme pas un. Dans les livres je devins fourmi,
dans la pratique je fus charron. » (173)
Parallèlement, il a fait avec succès une carrière d’acteur du «parlant» (théâtre, radio et
cinéma) pendant 20 ans. Decroux connaît de l’intérieur les rouages de la profession, mais il
déplore l’état dans lequel se trouve le théâtre malgré les efforts de Copeau, Dullin, Jouvet,
Artaud, Barrault, etc. Il le voit plongé dans le réalisme, autant dans l’action dramatique que
dans l’exposition de la personne, avec ses manques et déficiences, en détriment du jeu de
l’acteur.
Pareil quand j’ai joué sous la direction d’Antonin Artaud c’était pareil. Lui
aussi était antiréaliste, il était aussi dans le jeu.
Et ce n’est pas peu dire, parce que vous avez des personnes dans tout ce vaste
mouvement qui sont antiréalistes pour ce qui est de la littérature, de la peinture, de
la statuaire, et quand il s’agit de l’acteur, ça y est ! ils retombent dans un réalisme
qui rappelle l’époque d’Antoine ou de Stanislavski. » (174)
173 Idem: «Autobiographie d’Étienne Decroux», Dossier n° 42 «début 1950», page 5. Fonds Decroux,
op.cit.
174 Étienne Decroux: Conférence du 19 / 05 / 78 à son école. op. cit.
55
Dans la lettre ouverte qu’il a adressé à Gaston Baty en 1942, il exprime ce qu’il
reproche au théâtre en expliquant:
…Une infirmité d’un acteur y devient un spectacle qui nous cache le vrai.
Il trouve que la doctrine exprimée par Gordon Craig au début du siècle, contient des
postulats encore valables pour régénérer le Théâtre; l’opposition au réalisme dans l’art,
l’intention de muer le théâtre en art original. Il partage avec Craig le principe selon lequel — le
plateau, au lieu d’être une maison de tolérance, du fait qu’elle est de rendez - vous pour tous
les arts, devrait être avant tout le tremplin du mouvement.
Decroux, dans Paroles sur le mime, signale les ressemblances entre le mime corporel et
la doctrine esthétique de Craig. Au moins, une ressemblance par le désir. En ce qui concerne
l’acteur, il fait une analyse qui relève les points suivants:
Premier, lorsque l’acteur joue, son esprit doit exploiter son émotion et non son
émotion exploiter son esprit. L’état d’ivresse n’est pas recommandable
surtout en oeuvre d’artifice.
56
Decroux relève aussi du jugement exprimé par Craig que le jeu de l’acteur est
insuffisant parce que réaliste et plus sonore que visuel, c’est pour résoudre cela qu’il souhaite
que son jeu ait du style et soit plus visuel que sonore. Mais Craig en considérant que le corps
est incapable d’obéir à la commande de l’esprit et qu’on ne peut pas compter sur lui pour
engendrer la poésie du drame, propose que l’acteur soit remplacé par une marionnette idéale.
Decroux accepte l’idée de la marionnette idéale, et à la place de Craig il désire la
naissance de cet acteur en bois, il la voit:
Elle ne doit faire rire ni attendrir comme le font les ébats d’un enfant en bas
âge.
Sa recette: « rendre l’acteur Robinson Crusoé»( 177), le placer sur scène sans autre
recours artistique que lui - même.
Enfin, quand Craig au milieu de ses contradictions affirme que cette idée de substituer à
l’acteur la marionnette dont il parle n’était qu'une image de combat, et à laquelle il n’a jamais
cru très sérieusement, Decroux se pose la question:
« Si Craig ne veut pas d’acteur traditionnel, pas de marionnette, pas d’acteur
corporel : avec quoi allons - nous jouer ? » (178)
A son avis — l’acteur corporel peut être la réponse, en considérant que lorsque Craig
affirme l’impuissance du corps, il ne pense qu’aux difficultés certes grandes mais
surmontables éprouvées par le corps lorsqu’il tente d’obéir aux commandes de l’esprit.
Pour Decroux, si la marionnette est au moins l’image de l’acteur idéal, il faut essayer
d’acquérir les vertus de la marionnette idéale. Il propose pour les acquérir, de pratiquer une
gymnastique adéquate à cette fonction. Or selon lui, — cette gymnastique est le mime
corporel.
57
Encore, cet instrument cher à Craig, il faut le construire et déterminer la nature de son
jeu. La doctrine de Craig aurait bien des chances de s’appliquer un jour.
En se posant la question s’il a bien compris Craig, Decroux se dit: peu importe, ce qui
compte c’est ce que suggère le courant central de sa pensée, et que celle - ci se condense
quelque part. Le mime corporel, selon lui, répond bien aux revendications de Craig, voici
comment:
58
— Comment s’en dispenser quand on ne donne que cela?
6. Promouvoir l’apprentissage prolongé avant de jouer
— Ce qui révèle notre impréparation lorsque celle - ci a lieu c’est qu’elle
provoque une chute physique qui nous protège d’une chute morale. L’acteur
devenu seul devine vite ce qu’il vaut et appréhende la fin de son
apprentissage.
7. Pour ce qui est de s’inspirer de la méthode des autres arts
— Nous nous informons des faits et gestes d’ordre technique d’un Rodin,
d’un Maillol, d’un Ingres, d’un Signac; et aussi d’un Boileau, d’un Banville
et d’un Edgar Poe, non point par curiosité pure, mais pour en faire notre
profit.
8. Tout en se méfiant des autres artistes lorsqu’ils veulent aider le théâtre sans
se faire naturaliser.
— Le stade de cette méfiance n’est - il dépassé quand on est seul sur scène?
Comment ne pas voir dans ces derniers extraits, exprimée clairement, l’intention de
Decroux d’associer son idée première du mime corporel à la doctrine esthétique de Craig?
(même si ce texte( 180) date de 1947, n’oublions pas qu’il a toujours considéré Gordon Craig
comme «son patron»).
C’est la raison pour laquelle nous avons extraits ces citations presque sans altération de
Paroles sur le mime . Il nous semble que l’importance que Decroux donne à cette association,
en les plaçant dans le chapitre dédié aux sources du mime corporel, justifie qu’elle soit mise en
avant.
Revenons en 1945; dans la soirée de la Salle de la Chimie, comme partie des
conférences destinées à être lues, il en avait préparée une qui justifiait son rattachement à une
doctrine en art. Voici un extrait de l’introduction (laquelle finalement n’a pas été lue):
« Certains esprits contestent qu’il y ait à raisonner sur l’art que l’on
pratique. Pourtant les grands artistes ont assez souvent laissé trace de leur
méditation sur l’esthétique. Le Lénine qui a dit : « Il vaut mieux faire la révolution
qu’écrire à son sujet. » a dit tout aussi bien : « Pas d’action révolutionnaire sans
théorie révolutionnaire ».
180 «Gordon Craig» dans le chapitre consacré aux sources du mime corporel, dans: Étienne Decroux: Pa-
roles sur le mime, op. cit. pages 19 à 25.
59
Elle restreint l’activité créatrice en largeur et l’accroît en profondeur. Elle est ainsi
féconde.
Mais elle a un autre avantage : elle protège de la décadence parce qu’elle nous
avertit de son imminence. Un poète sans théorie finirait par écrire en prose. Et si
les clowns célèbres en avaient eu, on n’aurait point vu ces artistes déchoir de leur
première manière pour glisser vers l’usage d’accessoires amusants pouvant nous
amuser sans les clowns en question.
Une doctrine n’a d’ailleurs besoin d’être vraie. Telle qu’un problème
imaginaire permet une solution, telle qu’une règle de jeu permet un jeu ; une
théorie en art nous permet une manière. » (181)
Est aussi significatif, le titre de la conférence lue par Jean Dorcy à cette occasion,
laquelle dégage le lien doctrinal «de Craig à Copeau, de Copeau à Decroux, de Decroux à
Barrault».
Decroux a longtemps mûri les postulats de sa doctrine. Tout en partant de ceux de
Craig, en 1940, il expose, dans sa réponse au questionnaire de l’association «Jeune France»
concernant une subvention pour l’ouverture de sa première école, ce qu’il appelle: «Nos deux
doctrines théâtrales»
« Première :
181 Étienne Decroux « Mime corporel et ancienne Pantomime», Conférence lue à la Salle de la Chimie le 27
juin 1945, Dossier n° 21 «27 juin 1945», page 3. Fonds Decroux, op. cit.
60
… Ces éléments non artistiques s’abstiendront donc de créer l’ambiance.
Deuxième :
Synthèse artificielle
Plus tard, en 1951, dans ses écrits consacrés à sa pièce «Petits soldats», qu’il considère
comme la préfiguration du théâtre du futur, il expose un résumé.
« Doctrine :
Le théâtre ne sera digne de ce nom que lorsque celui qui agit refusera d’obéir
à celui qui écrit.
On verra qu’elle sert à quelque chose et qu’elle ne sert pas à grand’ chose.
182 Idem: Dossier n° 9 «1940, 3 bis», pages 3 et 6, Fonds Decroux, op. cit.
61
J’ai fait. D’autres feront mieux, indéfiniment. A la condition toutefois que
j’ai fait assez bien pour suggérer qu’on puisse faire mieux. » (183)
Après avoir défini le théâtre comme «l’art de l’acteur»( 184), Decroux va plus loin en
considérant que la caractéristique principale de l’art dramatique se trouve dans la nature même
du jeu musculaire de l’acteur, qui lui s’inspire du jeu musculaire du travail.
Notons ici que pour Decroux, le «travail» n’est pas seulement lié à l’idée de
production économique mais comprend toute activité dont la qualité de l’effort engagé est
déterminée par l’attention que porte le sujet sur son résultat.
« Quand je dis que le mime (le mien) fait le portrait du travail, c’est du
mouvement musculaire que je parle, non du sujet traité.
Le lecteur peut croire que mon mime ne se propose que de jouer les métiers,
alors que par exemple je classe le flirt dans le travail, lequel occupe presque toute
notre vie : surgissement de problèmes, essai de les résoudre, incapacité de
jouir du présent » (185).
Dans le plus éloigné des cas : l’amoureux, pour séduire, le désoeuvré, pour se
distraire ; le jouisseur, pour régler le mouvement du plaisir : on travaille.
183 Idem: Dossier n° 42 «début 1950», page 7. Fonds Decroux, op. cit.
184 «…la définition ne comporte pas d’autres propriétés que l’essentiel et l’essentiel reste sans exception le
propre de la chose. Or, tous les arts hormis celui de l’acteur ayant cessé leur service au moins un instant, aucun
n’est donc l’essentiel du théâtre.
En d’autres termes : aucun ne peut entrer dans sa définition.
Il reste à trouver la forme logique de cette dernière que nous exprimerons substantiellement comme ceci:
Le théâtre c’est l’art de l’acteur.»
Étienne Decroux: Paroles sur le mime, op. cit. page 41.
185 IbIdem, page 79. (Nous avons souligné en caractères gras).
62
L’effort est partout.
la maîtrise. » (186).
Les objectifs
Voulant faire de l’acteur le seul facteur d’émotion sur scène, et que celui - ci n’en
produise que ce qu’on ne saurait goûter ailleurs, le premier et plus important des objectifs de
Decroux cherche à redonner au jeu de l’acteur sa nature musculaire. Il insiste surtout sur le fait
que pour la reconquérir, l’acteur doit se former, tout doit commencer par lui.
« …je suis convaincu que tout pèche par la base et non par le sommet.
Tant que les socles des statues seront penchés, les statues, pour rester sur
leur socle penché, devront se faire tordues.…
Prenant modèle sur les futurs instrumentistes qui n’apprennent pas d’abord
la neuvième symphonie, il apprendrait pour commencer, une gymnastique
particulière dont l’assimilation le mettrait en état ; de faire ce qu’il veut,
de savoir ce qu’il fait, d’inventer ce qu’il faut.
Le style une fois acquis dans les actions courantes, il apprendra la jonglerie
en veillant à ce que cette lutte ne l’incite pas à oublier le style conquis.
186 Idem:«Présentation verbale du spectacle donné à Milan au Piccolo Teatro le 7 mai 1954», Dossier n° 61,
«7 mai 1954», page 17. Fonds Decroux, op. cit.
63
Nul n’est doué en suffisance pour paraître sur scène en artiste du corps sans
cette préparation. » (187)
Or, cette préparation n’existe pas, ce n’est pas dans les conservatoires où la formation
corporelle de l’acteur à pris parfois une petite place en tant que cours annexe dans un cours
essentiel; cours annexe et facultatif, à travers lequel les futurs comédiens pourront participer
directement au renouveau du théâtre poursuivi par Decroux, celui - ci;
Les objectifs de Decroux en édifiant le mime corporel sont de donner aux futurs acteurs
la possibilité d’acquérir le style dans les actions courantes, d’être en état de faire ce qu’ils
veulent, de savoir ce qu’ils font, d’inventer ce qu’il faut tout en jouant du corps comme du
piano, et de ce que l’exercice de leur profession soit enfin un métier d’art.
« Si une idée heureuse à jailli de cette troupe ce fut au début de sa marche :
quand il fut décidé que pour discerner l’essence du théâtre et, seulement
ensuite, sa richesse, l’acteur serait mis nu devant mur nu, sur plateau nu,
dépourvu d’accessoires, visage voilé, muet, entouré de silence.
S’il y eut génie, ce fut d’ainsi continuer pendant vingt ans sans se laisser
séduire par des voies plus rentables,
187 Idem: Dossier n° 57 «Mai 1953», pages 12,18 et 19, Fonds Decroux, op. cit. (Nous avons souligné en
caractères gras).
188 Idem: Dossier n° 28 «26 juin 1946 - 17 mars 1947», page 3, Fonds Decroux, op. cit.
64
‘La patience est un long génie’. » (189)
Non par l’âme : par le corps d’abord, par le corps ensuite, enfin par le
corps.
Les hommes eussent deviné que de tous les instruments, le corps est le plus
riche si la paresse physique de ceux qui pensent ne leur eut interdit d’apprendre à
en jouer. » (190)
« … puisque dans notre art le corps de l’homme est la matière, il faut que ce
soit lui qui imite la pensée. » (192)
« Il ne peut déléguer le visage à cette fin car celui ci, parce que exempt de
poids et de danger ne peut prouver la force de l’âme. » (193)
« Que demandai - je pour que l’acteur que l’on entend parfois et que l’on voit
toujours, s’allonge en mime ?
189 Idem:Dossier n° 2, s / d, «Explication de l’art de l’acteur», page 9, Fonds Decroux, op. cit. (Nous avons
souligné en caractères gras).
190 Ibidem, page 10 (Nous avons souligné en caractères gras).
191 Idem: Paroles sur le mime, op. cit. page 103.
192 IbIdem, page 114
193 IbIdem, page 116
65
Que le mouvement qu’il tasse contre un mur ou qu’il commence, il l’épure et
le continue sans pourtant en changer la nature musculaire, qu’il tende jusqu’au
bout son arc et accorde à sa flèche le droit de s’envoler. » (194)
« Notre mime qui tente d’évoquer par l’exclusif mouvement du corps la vie
mentale sera, s’il y parvient, un art complet. » (195)
Parmi ces principes, nous en trouvons quelques uns qui s’érigent, de façon évidente, en
exigence de nature physique:
« Ce que j’appelle le tronc, c’est tout le corps, y compris les bras et les
jambes… pourvu que ces bras et ces jambes ne se meuvent qu’à l’appel du tronc et
prolongent sa ligne de force comme une corde molle a fini par se tendre quand on a
projeté la pierre attachée à son bout. » (197)
« La masse du corps, nous l’avons vu, a pour mission - privilège d’être en
état :
soit, s’il s’agit d’un arrêt court en équilibre instable, de tenir celui - ci de telle
sorte que le public soit persuadé que la dite masse du corps est en puissance de
s’installer dans le dit équilibre. » (198)
Ces principes, parmi d’autres, constituent une partie des indications de Decroux qui
dans la pratique sont matérialisés par sa «gymnastique», base de la technique de l’acteur.
« La technique de la scène est quelque chose de plus que l’habitude de s’y
mouvoir. Familiarité n’est pas science. » (199)
Franco Ruffini, dans son allocution lors de la remise du doctorat Honoris Causa à
Decroux à l’Université de Bologne en 1988, signale le rapport concret entre ces principes et la
pratique:
66
« La ‘science du théâtre’, les ‘principes de théâtre’ ont une mauvaise presse
notoire. On voit là un risque d’abstraction, que tout le pragmatisme de ceux qui
font du théâtre ne réussit pas à dissiper. Tant il est vrai que souvent les paroles de
ceux qui font du théâtre sont lues comme des métaphores : comme les
cryptogrammes de principes ésotériques et non, au contraire, comme la formulation
difficile de principes pratiques.
Pour nous tenir à Decroux : son principe de la primauté du tronc par rapport
aux autres parties du corps n’est pas un principe esthétique ni ésotérique ; c’est
seulement le principe pratique qui sert de base à l’acteur pour contrôler son énergie
et qui, en tant que principe pratique, se retrouve dans de nombreuses autres
cultures théâtrales. Le principe de ‘malaise’, lui aussi, n’est pas un principe
artistique ou ascétique, mais seulement le principe pratique qui permet à l’acteur
de contrôler son ‘artificialité’ sur scène, c’est - à - dire son organicité reconstruite,
fictive dans le sens littéral du terme ». (200)
Développement
Pour Decroux, le drame est l’abstrait pugilat du libre - arbitre et du déterminisme( 201),
or selon lui, le premier drame en date, c’est la lutte de l’homme contre la gravité terrestre;
«tout pèse», dira - t - il. Toute action a comme base le déplacement d’un poids, en
l’occurrence, si l’acteur est seul sur scène, c’est son corps le premier objet qu’il aura à
déplacer. Voici donc par quoi l’édification du mime corporel a commencé.
La présentation verbale du spectacle donné à Liège le 17 mars 1947, lue par Suzanne
Lodieu, en fait la référence( 202):
« … vous allez voir une chose bien modeste et qui précisément fut une des
premières réalisations d’Étienne Decroux.
200 Franco Ruffini: «Étienne Decroux, un maître», op. cit. page 183.
201 Étienne Decroux: Paroles sur le mime, op. cit. page 83.
202 Idem: Dossier n° 29 «17 mars 1947», pages 6 à 10. Fonds Decroux, op. cit.
67
… ce sont elles qui ont permis à l’artiste d’entrevoir les possibilités de son art
en les composant,…
Dans le tout premier numéro que vous allez voir, il s’agit de mimer bout à
bout, des actions matérielles.
la Marche de l’athlète.
la Course à pied.
la Périssoire.
Grimper à l’arbre.
le Coureur cycliste
deuxième partie :
Personnages 1900,
3. l’Employé de bureau.
4. le Jeune paysan.
5. l’Aspirant souteneur.
8. Chaussée d’Antin.
Personnages modernes
1. la Femme intelligente
68
Autres personnages 1900
le Professeur de boxe
le Bureaucrate
Ainsi, dans les présentations orales du spectacle donné en Angleterre au cours de l’été
1952, consignées dans les pages 2 et 8 du Dossier n° 54 «Été 1952»:
« Nous avons pensé qu’il pouvait être agréable au public de voir quelques
unes des petites découvertes par lesquelles Decroux débuta dans son art vers 1930.
Bien que ces petites découvertes, au demeurant fort modestes, puissent avoir
en soi un caractère amusant, elles n’étaient destinées qu’à servir d’outil
grammatical à une véritable histoire mimée.
Sont présentés :
‘l’aviron’
‘le Canoë’
Deuxième partie
Nous pouvons voir dans ce court récit les origines de la découverte d’un des
fondements du mime corporel, lequel a tracé une des lignes directrices de la recherche de
Decroux.
69
Ensuite, l’amplification du conflit l’a conduit à l’affrontement entre personnages, c’est
alors que «le combat antique» a vu le jour. La plupart des récits (même ceux de Decroux)
concernant cette pièce situent sa création à l’occasion de la mise en scène de «Antoine et
Cléopatre» de Jean - Louis Barrault à la Comédie Française en avril 1945. Néanmoins,
Decroux raconte en 1954, dans la présentation verbale du spectacle donné à Milan au Piccolo
Teatro le 7 mai:
Et quel plus simple symbole de la rivalité des hommes que deux combattants
armés du glaive ? » (203)
203 Idem: Dossier n° 61 «7 mai 1954» page 11. Fonds Decroux, op. cit.
70
Pour nous, les hommes, la vue du sport est donc la vue presque artistique de
la lutte pour la vie.
Cette étude lui a donné les bases pour la transposition dramatique et le développement
technique conséquents et qui, plus tard, sont devenus ce qu’aujourd’hui nous connaissons
comme le style de jeu de «l’homme de sport», modèle d’abstraction du jeu musculaire propre
au travail.
« — Bien qu’elle ne soit pas que de moi, c’est une thèse et je le sens bien.
Voyons pourtant ceci encore : Le sportif ayant en vue la plus grande efficience sur
le monde extérieur, donc de fournir le moindre effort pour le plus grand effet,
rejoint en quelque sorte notre homme de la Nature. Il produit des mouvements qui
dramatiquement beaux par leur rythme et leur force, son laids dans le dessin et ceci
non seulement dans les départements populaires de la boxe, du catch de
l’haltérophilie, mais encore dans ceux, distingués, de l’escrime, du tennis.
Sont nés aussi de cette ligne de recherche les pièces, les figures et exercices autour du
sport et du travail accumulés au fil du temps. L’étude de ces matériaux permette à l’apprenti -
mime (l’acteur) de tendre vers la maîtrise de l’utilisation dramatique de son poids corporel et
de la comédie musculaire qui sont à la base du jeu de l’acteur: la marche expressive et les
contrepoids.
Il n’est pas étonnant que la première pièce de Decroux «la vie primitive», présentée à
la Salle Lancry avec sa femme en 1931, met en scène la vie de l’homme dépourvu de toute
force extérieure à lui - même.
204 Idem: présentation orale de sport, Dossier n° 61 «7 mai 1954», pages 16 et 17. Fonds Decroux, op. cit.
205 Idem. Dossier n° 20 «1944, 10 bis suite», page 20. Fonds Decroux, op. cit.
206 Idem, dans : J. P. Pagliano et D. Fontanarosa: Profil perdu : Étienne Decroux, op. cit.
71
La même année, il donnera encore « la vie primitive» en y incorporant pour la
première fois Jean - Louis Barrault. Avec sa collaboration, il peut élargir son champ de
recherche. Pendant deux ans, ils se livrent à l’analyse des illusions, à la manipulation d’objets,
et à l’approfondissement du jeu masqué. A la fin de cette période, ils jouent pour Dullin le
«Combat antique», Decroux a finalement trouvé un adversaire réel sur scène.
De 1932 à 1940, tout en faisant évoluer ses premiers numéros il crée «La vie
artisanale», laquelle intégrait «le menuisier» et «la lessive»( 207), son crées aussi: «le
Professeur de boxe» et «l’haltérophile». D’ores et déjà, Decroux est en pleine possession de
son langage.
Deux lignes se dessinent clairement: Nous avons vu plus haut que de la manipulation
du poids et de la représentation des actions matérielles sont à l’origine des pièces ou numéros
concernant la marche, le sport et la lutte, en ce qui concerne l’homme dépourvu de toute force
extérieure à lui même.
Dans le deuxième volet de l’analyse du mouvement de l’homme en situation de travail,
sa pièce «la vie artisanale» (appelée aussi «la vie médiévale») représente l’homme
manipulant des outils dans sa lutte pour dominer la matière. La manipulation évoquée par cette
pièce ouvre la voie de recherche qui a mené Decroux à la représentation de la pensée par le
seul mouvement corporel.
Une des oeuvres majeures de Decroux appartenant à cette dernière ligne, qu’il n’a
pratiquement jamais cessé de faire évoluer, c’est «le menuisier». Si au début cette pièce est le
résultat artistique de l’application de son idée doctrinale de départ et du choix d’un métier
«noble» (208), en tant qu’exemple d’activité économique du modèle de production artisanal,
comme nous pouvons le voir dans la présentation orale qu’il en fait en 1947.
Dans la présentation citée, la pièce «le menuisier» est présentée comme « une
idéalisation du travail du bois»( 209), néanmoins elle a permis à Decroux, surtout, de
concrétiser les résultats des recherches de différentes périodes à mesure de leur développement
tout au long de sa carrière.
Elle contient: les résultats de ses recherches sur les sources du drame;
« L’agression de l’homme contre la matière et la sourde résistance de celle - ci
est le premier drame en date et sera sans doute le dernier. » (210)
207 Ibidem.
208 Inspiré par J. J. Rousseau qui dans l’Émile, choisit ce métier pour son pupille.
209 Étienne Decroux: Présentation verbale du spectacle donné à Liège le 17 mars 1947, Dossier N° 29, «17
mars 1947», page 13, Fonds Decroux, op. cit. (Nous avons souligné en caractères gras).
210 Étienne Decroux: Dossier N° 50, «1er janvier 1952», page 3, Fonds Decroux, op. cit.
72
et la représentation de la pensée, grâce à l’abstraction géométrique dans le mouvement
corporel.
Bien regardée, cette pièce (avec «la lavandière» ou «la lessive») est non seulement
un pur produit d’une esthétique «decrousienne» tout court, mais un exemple prenant du
cubisme appliqué au mouvement corporel, grâce à l’application soignée de l’analyse
géométrique à sa composition.
En 1940, il fignole toujours son esthétique du mime, s’attardant à la ligne et au rythme
de ses pièces. Selon Jean Dorcy( 212), Decroux arrête a cette époque toute activité
mimique( 213) afin d’interroger sa gymnastique, il découvre alors les vertus de la ligne courbe.
Selon Thomas Leabhart( 214), Decroux abandonne progressivement l’illusion «objective». A
la fin de cette période, il crée «la machine», première pièce concernant la vie industrielle.
Cette pièce et «l’usine», créée en 1946, sont le fruit non seulement de l’application
que Decroux fait des idées que nous avons vues plus haut( 215), mais elles sont en même temps
une exploration à l’extrême et les exemples les plus frappants de l’application, entre autres, de
l’usage du poids et des contrepoids, des différents dynamorythmes, ainsi que de la géométrie
mobile et du principe d’articulation d’«une chose à la fois».
« … Pouvoir l’imiter, c’est savoir dans quelle mesure on cesse de l’imiter.
73
Il faut connaître la limite pour, avec art, la dépasser ou succomber avant de
l’atteindre. » (217)
Ses idées sur la machine sont la clé des principes de décomposition géométrique et
dynamorythmique qui ont permis l’érection du mime corporel en tant qu’art de représentation
qui ne cesse pour autant d’être un art «frère du dessin».
On doit être en état d’aller d’un pont à un autre en une succession de dessins
simples. Ainsi fait la machine telle qu’on l’imagine spontanément. (219)
74
Ensuite, la série d’exercices d’élèves dans une étude de «Contrepoids» et dont la place
donnée à cette démonstration d’école dans un programme qui se veut bilan( 224), nous
confirme l’importance que Decroux accorde à ces exercices qui permettent l’exploration et la
maîtrise des divers contrepoids, comme base physique pour l’expression corporelle du drame.
La partie suivante qui contient la présentation de divers personnages, dont nous avons
déjà parlés, issus des premières explorations de Decroux, concerne des exemples d’application
desdits exercices d’utilisation du poids dans la marche et dans le sport, ainsi que des
caricatures en marche (cf. «le bureaucrate» et «Quelques passants»).
Si parfois ses marches et personnages font partie du registre comique, le choeur mimé
symboliste «Passage des Hommes sur la Terre», présenté ensuite, lui, fait partie du registre
pathétique. Cette pièce est une composition fondée presque exclusivement sur la marche:
« ’Le passage des Hommes sur la Terre ’ représente en une marche incessante
toutes les principales vicissitudes par lesquelles passe l’humanité dans son trajet
allant du Néant à la béatitude. » (225)
La suite, «Matériaux d’une pièce Biblique», représente selon Thomas Leabhart( 226),
un ensemble de pièces en chantier ( 227), Leabhart explique le sous - titre de «Figures
juxtaposées sans lien dramatique» par l’aversion de Decroux à raconter une «histoire» dans
le sens dramatique traditionnel.
Le programme s’est fini sur un autre ton, Jean - Louis Barrault joua sa fameuse pièce
«Le Cheval», extrait de son spectacle de 1935 «Autour d’une mère» (adaptation de «As I
lay Dying» de W. Faulkner), suivi par deux enchaînements de pièces qui représentent les
premiers exemples de ce que Decroux considère comme le procédé - sommet du mime
corporel: «la statuaire mobile».
75
La constitution du répertoire
Grâce aux tournées, certaines pièces seront reprises et retravaillées, ce qui leur a permis
de devenir en même temps des pièces de répertoire et le creuset des expérimentations
subséquentes de Decroux. C’est le cas des pièces qu’en 1946, Decroux et ses élèves présentent
au Théâtre d’Iéna à Paris: «L’usine », «Les arbres» et «l’esprit malin».
De 1947 à 1950, sont crées entre autres: «l’Amour détrôné par l’Amitié», «Prise de
contact», «Poète vaincu», «Croisements du matin», «Relais de Dulcinea», «Jeu de
dames», «Soirée» et la pièce collective considérée par Decroux comme la préfiguration du
théâtre de demain: «Petits soldats» où Decroux montre l’exemple le plus complet de la
matérialisation de sa doctrine.
Nous pensons qu’un travail sérieux d’analyse de cette pièce apporterait beaucoup à
l’étude du mime corporel. Malgré le fait que, selon l’information à notre portée, les seules
traces existantes de cette pièce( 228) ne soient pas plus que quelques photos de ses
représentations et les textes de Decroux la concernant. Ceux - ci sont d’une amplitude unique
en proportion à l’ensemble de son oeuvre écrite.
Malheureusement cette analyse sortirait des objectifs de notre thèse, nous ne faisons
pour le moment que de le signaler, et le garder en mémoire pour une meilleure occasion.
Néanmoins, le lecteur intéressé trouvera dans les annexes l’article inédit de Decroux
«Explication de l’art de l’acteur». Conçu comme une présentation de ses «Petits soldats», ce
texte présente en fait, de façon condensée, une analyse et le résultat de toute sa démarche; ce
qu’il a voulu faire, ce qu’il a fait et pourquoi, les rapports existant entre les divers arts du
spectacle et le mime corporel, un survol historique pour le situer dans son contexte,
l’exposition de sa doctrine et de la dramaturgie qui en découle, etc. superbe!
Après la tournée en Israël, Decroux avec sa troupe a continué à tourner en Europe tout
en poursuivant le travail de recherche et le développement de l’art du mime corporel. D’autres
pièces furent crées; «le toréador», «Le Prophète»( 229), «La belle Dame»,
«Psychanalyse», «Prise de contact», «Jeu de Dames», «Marches de vieillards», «Coeur
chaud: source d’eau fraîche», «l’oeil noir te regarde» (ou «Il s’aperçoit que le public est
dans la salle»), «Le fauteuil de l’absent», «Le chanteur et son musicien».
76
Le programme de sa troupe américaine comprenait quelques reprises des pièces de
répertoire, «l’usine» et «les arbres», certains solos de Decroux et le nouveau duo «la
statue», où Decroux joue le sculpteur. Parmi les solos joués par Decroux pour des audiences
surprises et incapables de le comprendre était sa pièce - clé, «le menuisier».
Les années 1960’s ont vu l’identification, l’isolation et la conquête des procédés
corporels concernant l’utilisation dramatique de la «profondeur»( 230), ainsi que le
développement des triples dessins( 231) qui sont venus enrichir son vocabulaire, depuis sa base
jusqu’à la statuaire mobile.
Une des recherches de Decroux à cette époque, est portée vers la peinture des relations
humaines: le comportement social des hommes et des femmes seuls ou entre eux, lorsqu’ils ne
se trouvent pas en situation de productivité. C’est ce qu’il appelle «l’homme du salon». Sont
crées «La ville», le duo amoureux «le matin», «la boîte à violon», «Protectorat», «Scènes
du parc», «Table d’hôtes», «Conférence», «Salut final».
De 1964 à 1984, il continuera à créer avec ses élèves et ses assistants. Production qui
donne naissance entre autres, à plusieurs duos amoureux et à «Lyrisme politique»( 232). Ces
pièces concrétisent un travail de plus en plus élaboré, tant sur le plan technique que sur le plan
de la conception dramatique, elles seront représentées au sein de l’école, devant un public
choisi, ou filmées et archivées.
De cette période, datent les développements de la phase supérieure de la synthèse
artistique des procédés corporels concernant la statuaire mobile et l’homme de songe: les
pauses, les inter - rythmes et les causalités.
Decroux a exploré chacun des différents aspects du mime corporel en tant qu’art de
l’acteur. Sa production pour la scène, reflet spectaculaire de ses recherches, comporte soixante
- douze pièces( 233). Cet ensemble est constitué de solos, duos, trios, groupes, évocations
figuratives ou abstraites, portraits, fresques vivantes, parfois à la limite de la chorégraphie sans
230 La «profondeur», est une des trois principales dimensions spatiales du mouvement résultant de l’analyse
du mouvement particulière appliquée au mime corporel. Les autres dimensions sont: la «latérale» et la
«rotation». L’utilisation analytique de ces trois dimensions dans le mouvement donne les «triples dessins».
Voir plus loin notre chapitre consacrée à l’analyse du mouvement.
231 Idem.
232 Selon le témoignage recueilli auprès d’un élève présent, la création de cette pièce se situe en 1983.
233 Guy Benhaim : Le mime corporel selon Étienne Decroux, op. cit. page 265.
77
jamais rien perdre de leur essence résolument dramatique, les pièces sont autant de formes
pour cerner la condition humaine et nous la restituer à travers le souffle de la poésie
corporelle( 234).
Des diverses explorations de Decroux sont issus aussi ses développements concernant
l’utilisation des ressources corporelles pour l’expression dramatique à disposition de l’acteur.
Ces développements et les moyens qui permettraient leur assimilation par ses élèves furent ses
principaux soucis afin d’assurer la pérennité du mime corporel.
Ce fut mon corps, ce fut celui de mes élèves, ce furent les « périodes » : celles
du saccadé, du fondu, du ressort, celles du corps nu sur plateau vide avec
évocation d’accessoires, sans sonorité, puis du maillot, puis des ganses en
volume, de la sonorisation, de l’occupation du sol par corps neutre, de la
jonglerie, de l’acrobatie, de la musique portative à usage dramatique.
Aujourd’hui, c’en est une autre : une folie tasse l’autre ? Jamais je n’ai dit sans le
faire ce que mon élève devait faire. » (235).
234 Corinne Soum et Steven Wasson : Projet Spectacle hommage à Étienne Decroux, op. cit. s / n.
235 Etienne Decroux: Dossier N° 57, «Mai 1953», page 27, Fonds Decroux, op. cit. (Nous avons souligné en
caractères gras).
236 Dans le cas où il serait possible d’y avoir accès actuellement (cf. notre Introduction)
78
Cela peut s’expliquer par le fait que parfois pour Decroux, un approfondissement
particulier était nécessaire aux recherches en cours, ce qui demandait surtout des interprètes
capables de reprendre une pièce en particulier et de donner «corps» à ses nouvelles
indications. Le défaut de la personne adéquate pouvait certainement limiter le choix des pièces
qui devaient être reprises.
Choix ou non - choix, le fait est qu’aujourd’hui nous ne pouvons pas compter sur un
grand nombre d’entre elles. Certaines de ces pièces, du fait des circonstances de leur création,
sont connues seulement de leurs interprètes. Eux sont aujourd’hui, si leurs activités et intérêts
actuels ou si la mémoire qu’ils en gardent le leur permettent, les seuls en mesure de les
apprendre aux générations présentes.
D’autres, heureusement ont été filmées( 237), et malgré le sévère travail d’analyse
demandé pour leur reconstitution, certaines d’entre elles ont pu de 1992 à 1995, être reprises
dans le spectacle «L’homme qui voulait rester debout / Hommage à Étienne Decroux» par le
«Théâtre de l’Ange Fou» d’une mise en scène de Steven Wasson( 238).
Si nous devions parler des pièces de répertoire, en fonction du critère cité( 239), nous
aurions une liste commençant avec le programme du dit spectacle: «La Méditation»,
«L’usine», «Combat antique», «Le menuisier», «Croisements du matin» (ou «Duo
amoureux I»), «La femme oiseau», «L’esprit malin», «La lavandière», «Le fauteuil de
l’absent», «Le prophète» et «Les arbres».
A cette liste, nous pourrions ajouter, sans prétendre être exhaustifs: les duos amoureux
«Ils regardent autre chose» et «Dieu les conduit», «Le feu» «La terre», «L’eau» que
nous avons vu interprétées par Jean Asselin et Denise Boulanger avec leur troupe
«Omnibus»; la première pièce de Decroux: «Vie primitive», le «passage des hommes sur
la terre» et le duo amoureux «le matin», dont nous avons étudié des extraits pendant notre
formation ou travaillé à leur reconstitution avec le «Théâtre de l’Ange Fou» (notamment les
deux dernières); celle du sommet: «Les petits soldats», et enfin; «La ville» et «Lyrisme
politique», pièces dont nous avons entendu, par des témoins de leur représentation, parler avec
enthousiasme.
La diversité des thèmes et de styles des pièces citées nous permet de croire qu’elles
représentent un ensemble d’exemples des possibilités et des chemins artistiques du mime
corporel. Néanmoins, nous voudrions rappeler que quand Decroux cherche dans les diverses
237 Nous parlerons du matériau filmé concernant le répertoire d’Étienne Decroux plus loin, dans la partie
consacrée à la préservation.
238 Création à Philadelphia pour le Movement Theater International, à laquelle nous avons participé. Ce
spectacle a été filmé à Philadelphia et à Amsterdam (par le Neederlands Mime Centrum).
239 Celles dont il y a des traces, qu’elles soient des documents filmés, des photos, textes, ou des souvenirs de
ses interprètes.
79
directions de sa production pour la scène, en fait, il teste et / ou propose une application
spectaculaire des techniques corporelles conquises en studio.
« … parce que le sport est comme un vestige de ce que faisait l’homme à
l’époque où il n’avait pas à son service la force extra - animale. »
« semble, comme le mime, un salut qu’est fait à l’homme qui agissait par ses
propres muscles et sa propre habileté. »
« … dans le sport que nous allons jouer, nous allons représenter l’homme qui
soulève quelque chose de très lourd, ça sera par exemple les contre - poids…
240 Quand nous disons «ressources corporels», nous parlons du corps et d’un corps - en - mouvement, non
seulement comme l’ensemble de ses différents membres visibles à l’oeil, mais aussi de ses possibilités de mobili-
sation neuro - musculaire pour rendre visibles les ressorts du jeu dramatique.
241 Étienne Decroux : Conférence à son école le 31 / 03 / 78, op. cit.
80
… lorsque on joue l’homme de sport et notamment les contre - poids, on joue
facilement le moral de l’homme, le moral passionné …
Le mime lui, c’est le contraire, il fait la chose, et celui qui regarde, en voyant
la chose matérielle pense à son analogie avec le spirituel.
«L’homme des îles» fait partie aussi de «l’homme de sport».Ce qui le caractérise et
qui fait qu’on peut le ramener à «l’homme de sport» — c’est la plénitude de ses aptitudes, et
aussi leur coïncidence, et par dessus le marché, la grâce… tout son corps, dont toutes les
articulations sont visitées par de l’huile. Ca s’articule et ça coule, l’harmonie est naturelle,
rien ne le gêne … c’est toujours l’action, l’action de production…
81
Dans la conférence citée, Decroux situe son apparition vers 1800 (mais pas dans toutes
les couches de la population), ou peut - être au 17ème siècle chez les aristocrates qui étaient
autour de Louis XIV, au moment où la machine entre dans le quotidien et la vie devient de
plus en plus abstraite et par conséquent incontrôlable.
Quand au milieu du siècle dernier commence l’expansion du chemin de fer, petit à
petit, — il s’est trouvé que ‘l’homme de salon’ qui était un monopole du temps de Louis XIV,
de la haute aristocratie, est devenu la pratique d’une large partie de la population. Selon
Decroux, aujourd’hui nous sommes tous des «hommes de salon».
Ce qui caractérise «l’homme de salon», dans un sens positif, c’est la politesse;
—nous sommes polis, on est plus poli qu’avant, on a des délicatesses, on a peur de se vexer,
on a des actions de politesse, des actions qui signifient la politesse, et petit à petit, nous avons
mieux que des actions de politesse, nous avons des manières de politesse, et nous nous
amusons à penser aux choses qui font plaisir aux sens physiques, mais sans nous livrer aux
sens physiques.
Quant à ses autres caractéristiques, négatives cette fois - ci, la principale est qu’il ne fait
rien de productif. Il bouge, oui. mais pas pour produire quelque chose, et l’étendue de ses
mouvements est limitée.
« Il fait des mouvements bien sûr, pas trop, pas trop, ça pourrait le fatiguer.
Pas des gestes brusques, laisser la place aux autres. Ne remuez pas comme ça, du
calme, du calme.
82
« Nous voyons cet homme de salon habile quand même. Fallait pas verser le
vin à côté du verre, faut pas prendre une bouteille par le goulot là - haut, comme
ça, parce qu’il faudrait être fort. L’homme de salon se vante de ne pas être fort, il
préfère être habile, c’est ce qui fait qu’il va prendre la bouteille par le bas, et quand
il verse sans peine, mais il faut être habile ».
L’homme de salon s’écarte petit à petit de celui «.… qui était quadrupède dans son
action productive.», semble avoir remporté la victoire sur l’homme de sport, qui «était
aimanté par la quadrupédie prénatale». Il est débout.
« … l’esprit domine, l’homme regarde. Il regarde plus qu’il ne fait, parce
qu’il sait qu’il faut surtout regarder.
… si nous pensons, en principe, que l’homme de salon n’a pas à fléchir les
jambes et à occuper tout son organisme, si vous acceptez ce que je dis, il est surtout
un buste. Le plastron dans le costume qu’on appelle ‘costume de soirée’, il occupe
tout le buste et le gilet fait le tour du plastron, et l’homme peut faire ça, ça, ça, pas
plus. S’il fait plus, la chemise va sortir, il va abîmer le pantalon.
La statuaire mobile. Decroux, tout en l’appelant, aussi bien que les deux personnages
historico - économiques antérieures et l’homme de songe, «styles de jeu», lui donne une autre
appellation; avec l’homme de songe, il nous indique qu’ils sont, toux les deux: des portraits
de ce qui se passe à l’intérieur de l’homme.
83
S’il y a quelque chose à l’intérieur qui continue, comment le public le saura ?
Il va continuer lui. Ca y est, il est parti dans la statuaire mobile, si bien que ce
n’est pas un personnage, c’est un portrait de l’intérieur, il va continuer. Il va se
dégager en même temps une moralité. C’est cela qui m’a frappé au départ, au
début. Continuer c’est une moralité, ce qui manque le plus aux hommes c’est la
continuation.
« La continuation d’une chose fait qu’on découvre des obstacles qu’on n’avait
pas envisagés, qu’on n’avait pas vu, qui n’existaient même pas. Alors, il faut
continuer quand même ; continuer, continuer, continuer…
…la statuaire mobile va aux confins d’une chute dans ses déplacements, elle
sait qu’elle a intérêt à ne rester là, et qu’elle aurait intérêt à rentrer à la maison, la
maison qui s’appelle ‘la verticale’. Il y a une espèce d’héroïsme là - dedans ;
l’homme est là, il sait qu’il n’est pas bien, ça ne peut pas durer indéfiniment, ‘Je ne
vais pas m’installer là, je vais rentrer à la maison’.
La première caractéristique du songe est d’être cohérent.— dit - il, à différence du rêve,
lequel est décousu et incohérent.
84
« On peut imaginer un paysan le soir devant sa porte, au crépuscule. C’est
l’heure de la poésie, c’est l’heure du songe. Il pense à des absents, à son fils qui est
là - bas, ce qu’il avait dit, ce qu’il avait fait, ce qu’il fait peut - être, quand il
reviendra. Et sa femme est assise à côté de lui, et ils sont tous les deux comme ça,
dans la campagne, ils songent. C’est cohérent. »
« D’abord, il n’y a pas de couleur. C’est noir ou blanc, ensuite il n’y a pas de
secousse, les choses se déplacent comme des nuages, il n’y a pas de sons, il n’y a pas
de cris, c’est le songe. »
Il se différencie de la statuaire mobile, qui sait qu’il faudrait revenir à la verticale, par
l’effet de s’installer dans l’instable;
« …il lui arrive d’être comme ça (242), comme d’autres sont comme ça (243),
comme si on avait changé la gravité terrestre ; au lieu que les choses tombent ainsi,
elles tomberaient comme ça. »
Son mouvement s’apparente un peu à celui de l’homme de salon, mais son domaine
d’expression se trouve ailleurs,
« Et des fois il pivote, dans un sens ou dans l’autre, et le haut bouge, et le
rôle qu’il joue est étonnant parce que c’est le rôle de l’homme de salon. On disait
que l’homme de salon, d’après moi, devrait jouer par son buste ; l’homme de songe
aussi. Regardez, il fait tout, il fait tout ce qu’il rêve, tout ce que l’homme de salon
aurait fait sur sa base verticale, il le fait là, étant installé comme ça, alors il peut
dormir ainsi, il peut avoir sa mère qui se penche sur lui pour l’embrasser avant
qu’il s’endorme, et faire bien des choses. »
Mais la continuation de son mouvement ne va pas aussi loin que celle de la statuaire
mobile
« Il est installé là, il faudrait pas qu’il aille trop loin, il faudrait pas qu’ayant
fait ça, il fasse ça et ça et ça, alors là, non. La construction serait telle que ça
rejoindrait une espèce de statuaire mobile, il faut pas. Et c’est même beaucoup que
dire…, de dire le buste. C’est difficile, remarquez : si vous avez un seul fief, de
mouvement de tête, tout ce qu’on peut faire avec la tête, paf! là, utilisé, à faire
242 En déséquilibre. Selon le traducteur de cette conférence qui regarde ce que fait Decroux et le traduit si-
multanément en anglais tout en commentant ses actions. (Nous avons traduit de l’anglais)
243 A la verticale, idem.
85
autant de cette façon - là, ce n’est pas ?. Et là, quand on arrive au songe, on arrive
probablement au sommet de la poésie. »
Selon Decroux, le songe est difficile à trouver dans les autres arts, car les choses de
songe sont «Comme des apparitions cohérentes et supraterrestres» et «… l’accès le plus
difficile c’est l’accès au songe» . Au point de dire, tout en étant capable de le concevoir: C’est
peut - être nous qui réussirons à faire du mime de songe, dont on ne puisse pas dire que c’est
du mime de statuaire mobile, malgré le voisinage.
Le vocabulaire
L’aspect du mime corporelque nous appelons le «vocabulaire», concerne les voies
corporelles impliquées par la «mise en corps» des principes et fondements du mime corporel.
Decroux l’a développé à mesure que son travail de recherche le poussait à faire l’analyse des
figures dramatiques qu’il proposait aux élèves pour leur apprentissage.
« Je fus forcé d’analyser les figures que je proposais aux élèves pour qu’ils
puissent les refaire.
Peu à peu, j’édifiais non seulement une doctrine mais une pédagogie. » (244)
Travail qui, petit à petit, lui a permis d’identifier, isoler, analyser, recomposer et
synthétiser artistiquement ces voies corporelles dans un ensemble cohérent. Dans ce
vocabulaire, nous trouvons plusieurs grands chapitres, lesquels traitent chacun un aspect ou
niveau différent de ce que nous pourrons appeler une analyse de mouvement: les contrepoids,
les déplacements, l’articulation, les dynamo - rythmes, etc. à leur intérieur, nous avons, entre
autres:
244 Etienne Decroux: «Autobiographie d’Etienne Decroux», Dossier n° 42 «début 1950», page 5. Fonds
Decroux, op. cit.
86
Les contrepoids; contre la gravité terrestre (musculaires), en complicité avec la gravité
terrestre, scolaires, professionnels, moraux, les petits contrepoids, les extenseurs scolaires et
professionnels, les marches sur appui tendu, les marches sur appui fléchi, les belles marches,
les pas, les marches des personnages, descentes au sol, les dessins simples, les triples dessins,
les gammes simples, les contradictions, les gammes composées, les rétablis, les annelés,
l’ondulation, la compensation, le toc moteur, le toc butoir, la vibration, le toc global, les
antennes d’escargot, les causalités; ficelle, bâton, nuage, le violon, la gaze, les différentes
formes de mains, des bras, les yeux peints, les yeux remorqueurs, etc.
Des exemples de chacun de ces éléments du vocabulaire son concrétisés dans des
figures et exercices à contenu autant physique que dramatique, ce qui leur permet d’être
utilisés comme matériel pédagogique et préparation de l’apprenti - mime (l’acteur) à son
entraînement personnel sur une base aux contours définis.
245 Idem : Dossier n° 57 «Mai 1953», page 18, Fonds Decroux, op. cit.
246 De l’anglais: point focal du regard.
247 Nous entendons par «matériau de mouvement» les mouvements ou exercices qui constituent l'objet d'ap -
prentissage.
87
• Une grammaire du mouvement fondée sur la connaissance pratique de la phy-
siologie du travail, appliquée au corps humain en situation de représentation.
• Un langage artistique pour l’expression théâtrale.
Pour finir cette partie de notre exposé, nous présentons ensuite, ce texte de Decroux sur
certains des aspects physiques du mime corporel. Son titre: «ce que je dois aux autres»,
extrait du dossier N° 20 du Fonds Decroux, «1944, 10 bis suite»( 250).
88
Ce que je dois aux autres :
a. puisque les jambes ayant à subir le poids du tronc sont pour cela
peu aptes à tracer les dessins que notre esprit conçoit, il était
tentant d’essayer de les rendre aussi habiles que nos bras le
seraient
89
• lorsque l’ouverture des dites jambes est en telle circonstance,
une gêne pour le danseur, il ferme ces jambes à ce point que
dans cette autre direction, la laideur est encore atteinte.
du fondu.
90
… Il reste que l’acteur qui n’userait pas du tronc déserterait sa tâ-
che.
ETIENNE DECROUX
91
chapitre 3
Le répertoire « Decroux » et la
tradition du mime corporel
Dernier chapitre sur la situation antécédente à notre étude( 251). Il développera certaines
notions préliminaires et permettra de déterminer la faisabilité du projet Laban - Decroux.
Nous confronterons la définition du répertoire «Decroux» avec les programmes
d’enseignement des écoles que nous avons fréquentées en tant qu’élève et / ou professeur, afin
de discerner d’une part, les rapports entre le répertoire «Decroux» et la tradition du mime
corporel, et d’autre part, le rôle effectif de ce même répertoire dans la transmission du mime
corporel.
Pour commencer, voyons les concepts qui seront développés et leur importance:
• la notion de répertoire «Decroux». C’est sur cette définition que reposera
l’ensemble de notre travail, car c’est la première matérialisation du mime
corporel.
Dans les conditions de cette étude, les éléments qui seront «manipulés» n’ont pas
d’existence «objective» autre que leur énonciation, laquelle par ailleurs n’est pas en mesure
d’évoquer, pour la plupart des lecteurs, une quelconque expérience ou un référent. Ainsi, le
251 Pour ce chapitre nous avons bénéficié, à part notre expérience sur le terrain, de plusieurs interviews sur le
sujet avec Thomas Leabhart.
252 Le projet Laban - Decroux se propose comme une solution possible à ce problème.
92
secours que le langage verbal nous prête dans notre exposé, se trouve limité par la nature de
l’objet en question. En effet, notre «objet» est défini a priori comme du mouvement.
Par conséquent, notre discours gardera obligatoirement la distance existant entre
l’énoncé et l’objet, avec un inconvénient supplémentaire induit par la nature de ce dernier: la
seule matérialisation possible de celui - ci est l’exécution physique du mouvement (253)
qui le caractérise. Cette somme de difficultés demande une vigilance particulière. C’est ainsi
que pour ce chapitre en particulier, tout en veillant à la clarté de notre exposé, nous faisons
appel de manière expresse à la bienveillance du lecteur.
L’extension et le contenu
Dans notre introduction, nous avons présenté les premiers éléments de définition
comme: l’ensemble des œuvres majeures d’Étienne Decroux en y rattachant ses
développements concernant le langage du mime corporel (254).
Prémisses qui nous amènent à désigner le répertoire «Decroux» comme l’objet qui
permet la préservation, la transmission, l’étude et l’assimilation des principes et fondements du
mime corporel dans le cadre de son processus d’apprentissage.
253 Et plus, ce mouvement doit être exécuté obligatoirement par un acteur formé au mime corporel.
254 Voir plus haut l’intitulé «Un langage physique pour l’acteur: le mime corporel»
255 En mouvement [en action, dynamique]
93
L’objet
Nous l’avons défini comme: les principes et fondements du mime corporel qui,
matérialisés dans les développements et le répertoire d’Étienne Decroux, font partie du
processus d’apprentissage( 256) du mime corporel.
La nature
L’objet correspondant à notre notion de répertoire «Decroux», existe seulement en
tant que matériau «mouvement» qui cristallise, comme contenant et contenu, les indications
de Decroux sur son art( 257): ses pièces de répertoire( 258), ses styles de jeu, son vocabulaire,
ses figures dramatiques et les exercices d’entraînement. Développements qui permettent
l’assimilation de ce langage corporel dramatique en vue d’une pratique spectaculaire et / ou
pédagogique postérieure. La seule matérialisation possible du répertoire «Decroux» réside
dans l’exécution physique par un acteur formé en mime corporel.
Les contours
Dans notre dernier chapitre, la présentation des développements de Decroux issus de sa
démarche pour l’édification du mime corporel nous a permis d’esquisser les contours du
matériau «mouvement» qui constitue le répertoire «Decroux». Ces développements sont les
premiers exemples de l’application pratique de ses conceptions sur le mime.
Nous allons présenter les liens entre ces développements et les divers aspects et
niveaux du mime corporel afin d’exposer clairement les contours du matériau «mouvement»
qui correspond à notre notion de répertoire «Decroux» (l’objet):
• Une grammaire du mouvement fondée sur la connaissance pratique de la phy-
siologie du travail, appliquée au corps humain en situation de représentation.
Elle est fruit des découvertes de Decroux relatives à l’utilisation des ressour-
ces corporelles à la disposition de l’acteur pour l’expression physique du
256 Nous rappelons au lecteur que le processus d'apprentissage du mime corporel ne se limite pas à la com-
munication du matériau de mouvement répertoire «Decroux », d'autres pratiques comme l'improvisation, la
composition, les ateliers de mise en scène, etc. en font aussi partie. (Voir l’introduction).
257 Indications faisant partie du processus d'apprentissage du mime corporel.
258 Conçues comme telles pour leur représentation sur scène.
«J'ai monté quantité de spectacles, dont chacun était la mise en œuvre spectaculaire des techniques conquises en
studio dans l'année écoulée. C'était autant d'indications sur ma conception de cet art».
Étienne Decroux: Paroles sur le mime, op. cit. page 87.
Dans notre travail de recherche, l’intérêt porté aux compositions et aux pièces de répertoire de Decroux
concerne plus leur qualité de matériel pédagogique et de consignes d’entraînement que leurs possibilités specta-
culaires.
94
drame à partir de la nature de son jeu musculaire. Dans cette grammaire, le vo-
cabulaire du mime corporel ( 259) est le premier niveau de la matérialisation
en mouvement. Le second niveau est constitué par les figures dramatiques et
enchaînements, exemples( 260) de composition.
• Un langage artistique pour l’expression théâtrale. Il correspond aux différents
styles de jeu( 261) dont les figures dramatiques et les pièces de répertoire, sont
des exemples( 262) et matérialisation en mouvement.
• Une dramaturgie construite sur les bases antérieures. Des exemples de la ma-
térialisation en mouvement se trouvent depuis les figures dramatiques et jus-
qu’aux pièces de répertoire.
259 Le «vocabulaire» concerne les voies corporelles impliquées par la «mise en corps» des principes et fo n-
dements du mime corporel.
260 Exemples, non pas limite ou plafond impossible à dépasser, mais base à partir de laquelle des explorations
subséquentes sont possibles et souhaitables, voire nécessaires.
261 Chacun d’entre eux se caractérise par une utilisation particulière des ressources corporelles correspondant
à la représentation physique des divers états dramatiques de l’homme. Ils trouvent leur définition sur des bases
«physico - dramatiques» que nous avons analysées dans notre chapitre précédent.
262 Voir: «exemples» plus haut (Note n° 260).
263 Le corps du mime (l’acteur) comme principale élément agissant dans la représentation du drame.
264 Étienne Decroux: Dossier n° 57 «Mai 1953», page 18, Fonds Decroux, op. cit.
95
« Quant au drame d’obéir, voici : on donne à copier à l’élève une figure
définie, celle - ci et pas une autre. On s’aperçoit alors qu’il faut plus d’invention
pour obéir que pour créer. » (265)
Caractéristique principale
Enfin, la définition objective de notre notion de répertoire «Decroux» est fondée sur
sa caractéristique principale en termes de mouvement: la précision des choix concernant
l’utilisation des ressources corporelles, des voies d’évolution, des rapports internes, inter -
partenaires, et ceux avec l’espace scénique.
Répertoire - Partition
265 Idem: «Enseignement», Paroles sur le mime, op. cit. page 170. (Nous avons souligné en caractères
gras).
266 Jerzy Grotowski: «De la compagnie théâtrale à l’art comme véhicule»©1993. Dans: Thomas Richards:
Travailler avec Grotowski sur les actions physiques. Coll. Le temps du théâtre. Ed. Actes Sud / Académie expé-
rimentale des théâtres. Arles 1995. Pages 194 et 196.
267 En mouvement, et non «en l’air» comme signalait Thomas Leabhart. Voir: Leabhart, Thomas: Modern
and Post - Modern Mime, Col. Modern Dramatists, Ed. St Martin’s Press, New York, 1989. page 55. (Nous avons
traduit de l’anglais).
96
• Le premier concerne l’écriture des compositions et se prête à l’analyse esthé-
tique.
• Le deuxième, concerne le mouvement en tant que structure matérielle faisant
office de support de texte, qui sera l’objet d’une analyse spécialisée.
Même si leur création correspond à des moments uniques, et s’il n’est plus possible de
les voir telles qu’elles ont été crées, pour l’apprentissage du mime corporel, nous pouvons
considérer le «texte» des partitions du répertoire «Decroux» comme des informations
«mouvement» correspondant à l’objet d’étude et pouvant servir de base à une nouvelle
matérialisation par des acteurs capables de faire la reprise de ces indications.
Le contenu de ces partitions nous renseigne avec précision sur les choix faits en ce qui
concerne: l’utilisation du poids, les parties du corps impliquées et l’ordre de leur mise en
mouvement, ainsi que leur direction dans l’espace, les rapports intercorporels, les vitesses, les
rythmes, les inter - rythmes, le degré de tension musculaire ou de relâchement, les pauses, la
respiration, le «focus»( 270), et d’autres informations en rapport aux actions, personnages,
charges émotives, intentions, motivations ou états représentés.
268 Information «mouvement» : ce sont les valeurs concrètes relatives aux paramètres qui caractérisent le
mouvement correspondant à chaque matériau - objet analysé.
269 Dans notre cas, ceux qui constituent le répertoire «Decroux».
270 De l’anglais: point focal du regard.
97
- la préservation: la mémoire (l’accès à, et la restitution de, cette information)
- l’apprentissage: la transmission et la mémorisation de cette information
- l’entraînement: l’élaboration de notes d’étude et d’aides mémoire à partir des
partitions du répertoire «Decroux»
Et son bilan théorique, l’évaluation des moyens et supports proposés pour la mémoire
et la communication de cette information, ainsi que celle de la méthode pour l’élaboration des
notes d’étude des partitions de ce répertoire.
En rapport à notre proposition pour l’analyse et la notation du mouvement du répertoire
«Decroux», il nous semble intéressant de relever l’affirmation de Farnell et Durr, concernant
sa dimension de texte:
« … les éléments de l'action (le corps qui bouge dans les quatre dimensions
de l'espace / temps) sont contenus dans la partition ». (272)
Nous voulons insister sur le fait que l’utilisation de l’expression base minimale, en
faisant référence au répertoire «Decroux», ne reflète en aucun cas l’affirmation qui ferait
croire à l’intention de le considérer comme limite «plafond» impossible à dépasser, mais
271 B. Farnell and D. Durr. "Notation and Anthropology: some theoretical considerations." Communication
présentée dans le cadre du 1er Congrès International sur la Notation du Mouvement à l'Université de Tel Aviv,
Israël. août 1984. (Nous avons traduit de l’anglais).
272 Ibidem. (Nous avons traduit de l’anglais).
98
simplement comme le socle à partir duquel, des développements subséquents, des nouveaux
répertoires, ainsi que des versions et interprétations diverses seront toujours possibles.
« Je voudrais que l’acteur, en acceptant l’artifice sculpte l’air et fasse sentir
où le vers se commence et où il se finit ». (274)
273 La grammaire du mouvement (le vocabulaire), le langage dramatique (les styles de jeu), les diverses pro-
tocoles d’improvisation et la dramaturgie du mime corporel.
274 Étienne Decroux: Paroles sur le mime, op. cit. page 30.
99
• D’abord nous essayerons de déterminer les rapports entre le répertoire
«Decroux» et l’éventuelle tradition du mime corporel.
Première étape: d’abord nous avons vu le mime corporel, pour ensuite chercher
puis trouver l’école qui nous permettrait de passer à la
275 La tradition.
276 Les principes et fondements du mime corporel se trouvent aujourd’hui, concrétisés dans le répertoire
«Decroux», en tant que mémoire première du mime corporel.
100
• Les difficultés de l’apprentissage du mime corporel, liées à la communication,
la compréhension et la mémoire des informations «mouvement» du répertoire
«Decroux».
Les questions qui seront traitées dans ce chapitre trouvent leur place dans les domaines
des deuxième et troisième étapes considérées plus haut. C’est - à - dire que si le contact entre
l’acteur et le répertoire «Decroux» est «normalement» assurée par l’école, le centre de
formation ou le professeur, il reste encore à savoir si ce contact est suffisant pour
l’apprentissage du mime corporel.
Nous partirons du fait que les contacts, d’abord avec la tradition du mime corporel et
ensuite avec le répertoire «Decroux», ont lieu dans les deux premières étapes de notre
modèle temporel. Celles - ci sont en rapport direct avec le deuxième point utilisé pour la
présentation de la problématique qui nous concerne.
277 Les cibles de notre projet sont: les moyens utilisés pour la communication et la mémoire du répertoire
d’Étienne Decroux, et la méthode de notation utilisée pour l’élaboration des notes d’étude pour l’entraînement,
dans le cadre de l’apprentissage du mime corporel. (cf. «Le bilan», dans notre Introduction).
101
mesure de l’apprendre à d’autres et qui s’en servent sur scène( 278), ont été et sont toujours
très peu nombreux.
Cette fragilité est paradoxale si nous partons de la prémisse que le mime corporel
bénéficie d’une extraordinaire force à sa naissance, et dont nous entendons encore les
résonances( 279). Nous avons présenté les atouts du mime corporel dans nos chapitres
précédents: ses origines, ses objectifs, ses moyens, ses méthodes, le répertoire «Decroux»,
etc. Cette «tradition» doit donc avoir quelque part, un point de faiblesse qui détermine la
marginalité de sa pratique.
N’oublions pas qu’en 1945, quand Gordon Craig voit pour la première fois un spectacle
de mime corporel, il exprime son enthousiasme dans l’article où il rend compte de cette
fameuse «Séance de mime corporel»:
Ce qui ne laisse aucun doute quant à la force qui anime la tradition du mime corporel à
sa naissance. Cependant, paradoxalement deux ans après, Decroux considère le mime comme
«un paria»;
« Est - ce de notre faute si le mime est paria ? s’il n’arrive pas à relever de
l’Assistance Publique ? si nos étudiants de théâtre vont se brûler au cinéma ? s’il
n’ont pas le temps d’apprendre ? » (281)
Tout en nous informant des problèmes auxquels il fait face pour promouvoir la pratique du
mime corporel, il trouve que la naissance de ce dernier est quelque part «fragile».
278 Désormais le terme «pratique», utilisé en rapport au mime corporel, fera référence aux trois volets de
cette «définition»: être en possession physique de ce langage, en mesure de l’apprendre à d’autres et s’en servir
sur scène.
Concernant le métier de l’acteur, la pratique du mime corporel veut dire qu’il s’exprime sur scène avec son
corps avec la même maîtrise qu’il le fait avec sa voix.
279 Voir comme exemples les textes de Jean Perret, Eugenio Barba ou Giorgio Strehler, cités dans notre intro-
duction.
280 Gordon Craig: «Enfin un Créateur au théâtre», Arts, 3 août 1945.
281 Étienne Decroux: «Enseignement», dans Paroles sur le mime, op. cit. page 171. (Nous avons souligné
en cratères gras).
102
« Ce n’est pas à des élèves abstraits, doués d’une fidélité abstraite que le
mime doit sa fragile naissance » (282).
C’est peut - être aussi la raison pour laquelle, à quelques années de distance, en 1958,
Jean Dorcy s’interroge déjà sur l’avenir du mime:
Nous ne pouvons pas éviter de nous demander: quel est sa faiblesse? Pourquoi Dorcy
craint - il pour la survie de la tradition du mime corporel si près de sa naissance? Se trouve - t
- elle déjà dans une situation de fragilité?
Cette crainte n’est peut - être qu’un écho du reproche fait par Decroux, cinq ans
auparavant, à ceux qui prétendent le suivre sur le chemin du mime, dans son article «Sénilité
précoce»:
« Si bien que constatant avec plaisir l’expansion d’un désir de mouvement, je
regrette d’en constater aussi la sénilité précoce. » (285)
Ceci met en évidence une pratique (le mime corporel) qui dès ses débuts, n’est pas
répandue, une proposition de renouveau du théâtre qui n’atteint pas sa cible, car elle est fondée
sur le renouveau de l’acteur. Le mime corporel est dès le départ une pratique marginale, ce
qui n’arrange pas les choses pour le développement de sa tradition.
103
Il est aussi important de signaler que Franco Ruffini, dans son discours( 286) de
présentation à l’occasion de la remise du titre «Docteur Honoris Causa» à Decroux, nous dit
que ce dernier n’est à ce jour l’initiateur d’aucune tradition.
« Il n’existe pas, il n’a jamais existé, au sens stricte du terme, une tradition
du mime héritée de Decroux » (287).
Pour continuer notre analyse, revenons au modèle temporel de notre propre parcours à
l’intérieur de cette tradition. Les deux premières étapes concernent les manifestations qui font
l’«interface publique» de la tradition du mime corporel, c’est - à - dire, celles où le public
établit un premier contact: le spectacle et l’école( 290).
286 Lors de la célébration du 900 ème anniversaire de la fondation de l’Université de Bologne en Italie.
287 Franco Rufini: «Étienne Decroux un maître» dans Faire Événement, op. cit. page 182
288 Devrions - nous répéter ce que Craig ou Barba ont dit concernant le mime corporel et Étienne Decroux?
289 Des spécialistes.
290 Le centre de formation ou le professeur en mime corporel.
104
L’école parce qu’idéalement elle assure la transmission des pratiques, elle est
donc la porte d’entrée de cette tradition et le vecteur de l’apprentissage.
De par leur propriété à servir d’«interface publique», nous considérons le spectacle et
l’école comme particulièrement adaptés pour évaluer la marginalité de la pratique du mime
corporel.
Si nous voulions faire cette évaluation, il nous faudrait d’abord reconnaître les
caractéristiques spectaculaires du mime corporel qui nous permettraient de déceler sa présence
physique. C’est - à - dire, au delà de statistiques ou autres études sur les pratiques
spectaculaires, par la perception sur scène du mime corporel.
105
Des spectacles de théâtre
- affranchis de la littérature.
« … Le théâtre ne sera digne de ce nom que lorsque celui qui agit refusera
d’obéir à celui qui écrit.
- non réalistes
« Notre conception théâtrale essaie, on le voit, de reposer sur le bon sens : ne
produire sur scène que ce qu’on ne saurait goûter ailleurs. » (292)
Ce qu’on fait dans la vie toutes les fois qu’on ne danse pas » (294)
« J’aime le mime dont l’humeur est celle du théâtre parlant et qui ne danse
s’il danse que pour représenter la danse » (295)
291 Etienne Decroux: Dossier n° 42 «début 1950», page 7. Fonds Decroux, op. cit.
292 Ibidem.
293 Idem: Dossier n° 9 «1940, 3 bis», pages 3 et 6, Fonds Decroux, op. cit.
294 Idem: Paroles sur le mime, op. cit. page 66.
106
- où le «tronc» de l’acteur est son principal organe d’expression
« Dans notre mime corporel, la hiérarchie des organes d’expression est la
suivante : Le corps d’abord, bras et mains ensuite, enfin, visage. » (296)
« Les mains sont faites pour contacter et les bras pour pousser les mains, et le
tronc pour pousser les bras, et les jambes pour pousser le tronc, et le sol pour servir
d’appui,
Pour ce qui est du théâtre affranchi de la littérature, nous pouvons dire que son
foisonnement indiquerait que la pratique du mime corporel est plutôt bien implantée ou que
son influence s’y fait sentir (que cela suffise, est une autre question…).
Cependant, bien que beaucoup de spectacles aujourd’hui soient créés à partir
d’improvisations et que le théâtre y soit libre de celui qui écrit, cela ne peut pas nous rassurer
car d’autres pratiques spectaculaires partagent avec le mime corporel cette définition.
Parmi ces spectacles, combien produisent sur scène « ce qu’on ne saurait goûter
ailleurs», et sont donc non réalistes? Nous pourrions sans doute en trouver. Cependant dans
la production de ce type de spectacle la pratique du mime corporel n’est pas évidente. Parmi
d’autres, les applications théâtrales du cirque sont représentatives de cet état de fait.
S’il suffit d’être un peu bizarre sur scène pour ne pas être réaliste, cette condition à elle
seule ne prouve, ni ne nie, la présence de la pratique du mime corporel.
Un autre écueil à la perception du mime corporel sur scène: si par hasard dans les
spectacles cités, l’émotion est produite principalement par le texte, la musique, les décors, les
lumières, les costumes, les maquillages, ou d’autres effets, seuls ou ensemble, et que nous
n’avons pas eu l’occasion de voir l’acteur comme source principale de l’émotion, encore une
fois la pratique du mime corporel se trouve marginalisée aux yeux du public. Ceci ne signifie
pas qu’elle est absente.
107
Un des types de spectacle produits actuellement et qui correspond aux critères
antérieurs, est appelé «danse - théâtre». Le mélange des diverses natures du mouvement qui
le compose, relève de dosages savamment gradués et nommés.
Dans ce cas - là, nous pouvons poser une question en rapport aux exécutants
(performers): sont - ils des acteurs, des danseurs, ou des mimes? ou plutôt aucun des trois en
particulier? Nous n’avons rien contre ce genre d’ambiguïté, le problème c’est que ces
spectacles ne permettent pas de voir à quoi ressemble la pratique qui nous intéresse. Pourtant,
cela ne signifie pas que le mime corporel y est absent.
Certains de ces spectacles, présentent des dosages des diverses natures de mouvement
qui nous permettent de les identifier comme des spectacles d’ordre dramatique ou des espèces
de théâtre, nommes souvent: «théâtre gestuel», «théâtre du mouvement», «théâtre
d’objets», «théâtre d’action», «pantomime» ou autre.
Si la majorité de leurs caractéristiques spectaculaires correspond parfois à celles du
mime corporel, la difficulté pour y déceler la présence de la pratique de ce dernier, vient du fait
que le principal organe d’expression peut être, entre autres: l’objet manipulé, le texte( 298), le
visage ou les mains (seuls ou ensemble), et non le «tronc» de l’acteur.
Pourtant, cela ne veut pas dire que le mime corporel se trouve absent de ces derniers
spectacles. Arrivant à ce point de notre analyse, nous sommes amenés à penser que la
caractéristique spectaculaire du mime corporel qui nous donnerait physiquement et sans
ambiguïté l’indice de sa pratique c’est: « le tronc de l’acteur…» qui «…est son principal
organe d’expression.».
Nous pouvons aussi dire que parmi les caractéristiques spectaculaires du mime corporel
qui peuvent être présentes sur scène, celle - ci est la plus difficile à produire, en particulier
parce qu’elle demande la maîtrise de ce langage par les acteurs, chose impossible s’ils ne
pratiquent pas le mime corporel.
Cette constatation faite, pouvons - nous dire encore que nous avons eu la possibilité
d’identifier sur scène la pratique du mime corporel? N’oublions pas que l’analogie des
caractéristiques d’un spectacle avec les critères d’évaluation utilisés, ne nous garantit pas que
ce que nous voyons sur scène reflète la pratique du mime corporel. Ce qui ne voudrait pas dire
qu’il s’en trouve absent.
A notre avis, nous n’avons eu que rarement cette possibilité. Ceci nous amène à
conclure que, en l’absence d’acteurs qui pratiquent le mime corporel sur scène, ce premier
108
volet de l’«interface publique» de la tradition est pratiquement introuvable, et quoi qu’il en
soit, cela nous confirme la marginalité de la pratique.
Nous pouvons alors nous demander: pourquoi si peu d’acteurs possèdent ce langage et
/ ou sont en mesure de s’en servir sur scène? Question qui nous renvoie à la fragilité de la
tradition du mime corporel, voire à l’incertitude de la transmission de ses pratiques que l’école
et l’apprentissage devraient assurer, car utiliser ce langage implique le posséder, donc
obligatoirement avoir suivi une formation.
C’est peut - être la raison pour laquelle Dorcy( 299) parie sur l’école, plus que sur le
spectacle, en ce qui concerne la tradition du mime. Bien qu’elle soit réellement dépendante du
spectacle, vitrine de ses possibilités, apparemment, la survie du mime corporel ne peut être
fondée que sur sa transmission: l’apprentissage, dont le vecteur principal reste aujourd’hui
comme à ses débuts, l’école d’Étienne Decroux( 300).
En tant que deuxième volet de l’«interface publique» de la tradition, l’existence de
l’école Decroux nous permet de ne pas traiter le mime corporel comme une pratique en voie de
disparition malgré sa marginalité, parce qu’elle a le rôle d’assurer la transmission et la
continuation de la recherche. En paraphrasant Marcel Mauss( 301), nous pouvons dire que ce
n’est que par la transmission de ses pratiques entre générations que cette tradition existe.
L’école est également le foyer de la recherche, selon Grotowski( 302), qui place le
passage entre générations comme condition fondamentale de la recherche:
« On ne peut pas jamais accomplir quelque chose du réel si on travaille tout
seul. Tout est question d’équipe, de passage entre générations. Pour aboutir à
quelque chose il faut plusieurs générations donc, le passage de l’une à l’autre est
fondamental.
109
Quand je dis la tradition, je dis recherche. Ce n’est pas de couper la
recherche, mais de la continuer et de ne pas oublier que ce n’est qu’une recherche. »
« A l’école dramatique ’Les exercices des élèves persuadèrent Decroux non
seulement que l’étude du mime était indispensable à la formation du comédien
traditionnel, mais que le mime constituait l’embryon du plus bel art dramatique’ »
(305)
110
Depuis le début, cette idée était la principale motivation de Decroux. Cependant, quand
il créa son école, il était loin d’imaginer que décider les acteurs à suivre une quelconque
formation, leur faire comprendre ce besoin de formation, serait la partie la plus difficile de son
entreprise. En 1946, il déclara:
« … La plus petite difficulté que j’ai rencontrée fut l’étude du mime, dit - il,
la moyenne difficulté, l’étude de la gymnastique ; la plus grande difficulté,
conserver les élèves parce que le théâtre et le cinéma les dérobaient au fur et à
mesure que je les préparais.
Il est étonnant d’apprendre que, le travail qui a demandé le plus d’efforts au créateur du
mime corporel, a été la mise sur pied de l’école où ce langage pouvait être appris, et où le
germe de cette pratique pouvait grandir et être transmis aux acteurs. Dans ses écrits, Decroux
fait le récit des difficultés rencontrées, ainsi que des causes qu’il leur trouve:
Tout au long de sa carrière, Decroux s’est confronté à ce fait, comme la plupart de ses
anciens disciples voulant enseigner un jour le mime corporel. Il trouvait que la principale
raison de cette situation était que
111
« …ceux qui jugent cette étude (celle du mime corporel) inutile sont trop
nombreux.
La doctrine des hommes - nés qui sévit au théâtre est partagée par trop de
mimes. » (310).
Ce qui est devenu sa plainte de toujours contre ceux qui, dans le milieu du théâtre, ne
voient pas la nécessité d’une quelconque éducation corporelle, si par aventure ils ont accepté
de suivre une formation théâtrale. Ainsi, parmi certains obstacles à la pratique du mime
corporel, Decroux voit ce qui peut éloigner les acteurs, d’une façon ou d’une autre de la
formation, et il recommande à ses élèves de:
S’il veut implanter fermement ses idées esthétiques et éthiques concernant l’acteur et le
théâtre, ce n’est que parce qu’il considère que la beauté au théâtre ne s’obtient pas par hasard,
« La beauté ne se couche pas à la première sollicitation, elle veut des preuves
d’amour »(313)
Et pour l’atteindre, il ne suffit pas de se laisser glisser( 314), il renvoie alors les jeunes à
l'école,( 315), car
« …ce n’est pas en commençant l’étude à vingt - cinq ans comme je l’ai fait,
pour poursuivre en travaillant à autre chose, comme je l’ai fait, qu’on se prépare à
l’art d’acteur ; et que le jour ou les parents verront un métier dans cette profession,
en ce métier de quoi remplir une vie avec sérieux ; où le Conservatoire ne verra
310 Idem: En parlant de l’apprentissage du mime corporel. «Mime et mime», Paroles sur le mime, op. cit.
page 115.
311 Il parle de la «tâche» qu’est la formation corporelle de l’acteur.
312 Étienne Decroux: Dossier N° 1, s / d, «La méthode», page 2, Fonds Decroux, op. cit.
313 Idem, dans: Mime corporel et pantomime . entrevue à la radio avec Christiane Fournier. (Note: il s'agis-
sait d'établir un lien entre l'activité mimique d’Étienne Decroux et le rôle qu'il venait de tourner dans "Les enfants
du paradis"). Dossier N° 17, «Fin 1943», Fonds Decroux, op. cit.
314 Reproche que fait Decroux à ceux qui «consentent au mime en vue du théâtre mondain et à celui - ci en
vue du cinéma». Dans Paroles sur le mime, op. cit. page 14.
315 Vois aussi: Étienne Decroux: Dossier N° 15, «30 mai 1942, 8», Jeunesse s’acquiert, paru dans
«Comœdia» sous l’occupation, le 30 mai 1942 (le journal préféra le titre «Jeunesse doit s’acquérir»), Fonds
Decroux, op. cit.
112
plus un cours annexe dans un cours essentiel, cours annexe et facultatif, où les
heures qu’on use en démarches seront investies dans l’étude ; l’acteur
qu’engendrera ces circonstances nouvelles sera auprès de l’aptitude de Jean - Louis
Barrault et de mon attitude, une montagne auprès d’une colline. » (316)
Il regrette enfin que dans ce métier les professeurs ne trouvent pas le temps de jouer les
rôles qui leur reviennent de droit, du fait de la préparation des cours que les élèves ne suivent
pas puisque le temps leur manque étant donné qu’ils tiennent sur scène le rôle que le
professeur n’a pas le temps d’interpréter( 317).
Finalement, si Decroux abandonne tout intérêt à jouer et refuse d’interpréter lui -
même, c’est pour mieux se consacrer au développement du mime corporel et à la formation
des acteurs. Mais dans cette intention, il trouve un obstacle majeur, dont voici le récit:
« L’obstacle :
316 Étienne Decroux: Dossier N° 57, «Mai 1953», pages 12 à 20, Fonds Decroux, op. cit.
317 Idem: «Choses à part», Paroles sur le mime, op. cit. page 187.
113
plus que celui qui recrute les artistes n’admet point qu’on sache dire lorsqu’on sait
agir puisque lui qui sait dire ne peut pas remuer.
Ensuite, il court chez nous de ces bruits merveilleux qui donnent un air
coupable à toute étude sérieuse. Tel rôle qui dort encore en dactylographie va
changer la larve en étoile. Bien comprise, notre profession peut rendre millionnaire
un homme de 17 ans. Ces minutes englouties dans l’actif recueillement sont celles
des occasions perdues. Dès que l’étude est étrangère à ce qu’on nome l’action, à la
lutte pour la vie, elle apparaît passe - temps. Si notre étude est contraire à fortune,
à gloire, à amour, elle l’est donc à la joie de vivre.
4 - Il aime se donner, répandre ses forces, projeter son moi. Or, l’étude qui est
pour longtemps réception des pensées d’un maître impose à notre élève le supplice
imprévu de retenir sa pensée. »(318)
Ce qui nous parle d’une problématique externe et tout autre que celle qui concernerait
strictement la tradition du mime corporel, et rend improbable le succès de la proposition de
rénovation théâtrale de Decroux. Improbable parce que même si nous acceptons ce que Jean
Peret nous dit, et que Decroux
il n’est pas certain que parmi celles - ci nous en trouverions une qui poursuit, continue ou
accomplit l’objectif principale de Decroux, c’est - à - dire donner à l’acteur les moyens d’être
en état de faire ce qu’il veut, de savoir ce qu’il fait, d’inventer ce qu’il faut( 320),
318 Idem: Dossier N° 20, 1944, «10 bis suite», pages 24 et 25, Fonds Decroux, op. cit.
319 Jean Perret: «Étienne Decroux, maître de mime», dans : Jacques Lecoq: Le théâtre du geste; mimes et
acteurs, Bordas, Paris 1987, pages 64 à 67.
320 Étienne Decroux: Dossier N° 57, «Mai 1953», pages 12 à 20, Fonds Decroux, op. cit.
114
« Nous voulons que l’acteur s’établisse à son compte, soit l’auteur unique du
plaisir pris au spectacle, qu’il égale en indépendance les autres artistes, soit majeur
comme eux. » (321)
Decroux veut fonder le renouveau de l’art théâtral sur le renouveau de l’acteur pour faire en
sorte que l’exercice de cette profession soit enfin un métier d’art.
Par ailleurs, si dans les caractéristiques spectaculaires des productions issues des
approches dont nous avons parlées plus haut, ou d’autres semblables, il y avait des traces de
l’application des «théories» de Decroux ou de son influence, ce n’est que parce que leurs
effets y sont imités, ces «recherches» visant le «nouveau théâtre»; celui qui serait:
affranchi de la littérature, non - réaliste, etc., etc.
Reproduction vaine, hélas, sans le facteur essentiel et seul capable d’assumer ce qui
supposerait une application telle: l’acteur en possession du langage du mime corporel. Sans
lui, il n’y aura pas de recette ni de recherche spectaculaire «miracle», et ce qui était «le
théâtre de demain» reste encore à venir.
« Ce que nous voyons sur la scène : c’est que les arts, hors l’art de l’acteur, se
produisent avec style. Dans un théâtre non boiteux, la place qu’ils laissent au
comédien devrait en conséquence être emplie avec style.
Pour Decroux, le renouveau du théâtre doit être fondé sur celui qui n’est jamais absent
de la scène: l’acteur. Il partage avec Copeau l’idée que cette présence corporelle devrait avoir
une nature artistique dès qu’elle se produit à l’intérieur d’un travail d’art.
321 Idem, dans: «Le mime sans visage», Article paru dans «Le Rouge et le Bleu» le 25 / 04 / 42. Dossier
N° 12, «1942, (5)», page 3, Fonds Decroux, op. cit.
322 Idem, dans: Copeau ne peut plus maîtriser le mime qu'il a déchaîné . Dossier n ° 14, «1942, 7» . Pages 2
à 4. Fonds Decroux, op. cit. (Nous avons souligné en cratères gras).
323 Idem: Dossier N° 2, s / d, «Explication de l’art de l’acteur», page 10, Fonds Decroux, op. cit.
115
Cependant, quand Decroux veut ouvrir une porte d’entrée à la tradition du mime
corporel et établir le vecteur de l’apprentissage, a - t - il atteint ses objectifs? En tout cas, qu’a
t - il réussi? La question est de savoir si, comme René - Jean Dufour( 324) le dit dans sa
mémoire de Maîtrise, Decroux a fait école. Questions que nous compléterons en nous
demandant: où la transmission du mime corporel est assumée et assurée.
Assumée, car dire autrement nous mènerait à considérer l’école comme une entité
abstraite, et à rester au niveau du discours stérile. Seule une telle école serait en mesure de
«poser et garder par terre» le mime corporel, car elle en assurerait l’enseignement. Selon
Decroux:
École qui serait un ancrage, où des repères, des bases communes seraient partagées,
exploitées et agrandies par l’approfondissement dans la recherche. Où des nouvelles
générations se forment, où la tradition trouve son foyer, et où les acteurs formés, possèdent le
langage du mime corporel, sont en mesure de l’apprendre à d’autres et s’en servent sur
scène( 326).
Est - il possible aujourd’hui de trouver ce que nous pourrions appeler une «École
Decroux» selon cette définition?
A ceux qui verraient dans cette question une provocation, nous voudrions dire qu’il
n’est pas dans notre intention de minimiser le travail spectaculaire fait par la «première
génération» des élèves de Decroux( 327), ou par ses anciens assistants. Notre but est de
différencier clairement les réalisations spectaculaires où le mime corporel est le langage
privilégié, et l’entreprise qui représente la transmission du mime corporel: l’école.
Nous - mêmes, dans les années 1970 - 1980, avons été le témoin ébahi de la vague de
mimes corporels à travers le monde, qui a multiplié les spectacles, les cours et stages de toute
sorte, fondés sur le « mime corporel d’Étienne Decroux», faisant ainsi connaître son
merveilleux potentiel. Ce rayonnement commence en particulier au retour de Thomas Leabhart
aux États Unis et de Jean Asselin et Denise Boulanger au Canada.
324 René - Jean Dufour: Petite histoire d’un grand art, le mime …, op. cit.
325 Étienne Decroux: «Enseignement», Paroles sur le mime, op. cit. page 171.
326 Donc qui pratiquent le mime corporel
327 Ceux formés intégralement au mime corporel par Decroux lui - même.
116
Cependant, cette notoriété n’était pas sans danger puisqu’elle a précipité l’homme et
son œuvre, hâtivement, dans le monde de la légende. Malgré le malentendu parallèle à la
renommée du mime corporel qui tient à un concours de circonstances variées et indépendantes
de la volonté de Leabhart, Asselin et Boulanger, il importe de constater qu’ils ont travaillé
autant sur scène qu’en studio, et que leurs productions ont attiré quantité d’acteurs intéressés
par le mime corporel. C’est alors que trouver une école a semblé possible au plus grand
nombre.
Nous avons déjà signalé ces nécessités pratiques. La première: posséder physiquement
le langage du mime corporel, la deuxième: s’en servir couramment sur scène. La question est
maintenant de savoir quelles sont les bases concrètes héritées de Decroux, sur lesquelles la
tradition du mime corporel trouverait ses fondations matérielles.
L’École Decroux
Nous avons vu plus haut, qu’en tant que porte d’entrée de la tradition du mime corporel
et vecteur de l’apprentissage, idéalement le rôle de l’école( 329) serait d’assumer et d’assurer la
transmission des pratiques. Mais, que signifie «transmettre les pratiques du m i m e
corporel»? Que sont les «pratiques du mime corporel»? … il s’agit de transmettre quoi?
Dans le contexte de notre travail, nous pouvons ramener ces questions à celle que nous
posions en 1993, dans le cadre du projet «Laban - Decroux»( 330), et qui les englobe: Quels
éléments fondamentaux du mime corporel qui, préservés (les matériaux) et transmis (les
pratiques) à travers les générations, permettront sa survie?
Apparemment la plupart des auteurs consultés, ne accordent pas beaucoup
d’importance à cette question fondamentale concernant la survie du mime corporel, malgré les
implications des réponses possibles (331). Par exemple, Guy Benhaim en parle seulement de
328 N’oublions pas le manque d’intérêt des milieux théâtraux pour une formation corporelle en général, et
pour le mime corporel en particulier. Ce qui fait que cette entreprise n’a que rarement des retombées artistiques
ou financieres. Sa seule possibilité d’être gratifiante est de réussir à garder les élèves (cf. page 111).
329 Le centre de formation ou le professeur en mime corporel.
330 Jorge Gayon: Rapport du projet «Laban - Decroux» 1993. Amendement et Suspension des travaux. Do-
cument d’archives de l’Atelier International de Mime corporel - AToM.
331 Nous serions même tentés de dire que cette question est plutôt évitée. Attitude qui nous semble assez sur-
117
façon indirecte quand il considère que la théorie d’Étienne Decroux et la cathédrale de ses
exercices, sont le patrimoine qu’il lègue aux générations futures.
Guy Benhaim, sans aller plus en profondeur dans cette affirmation et en minimisant la
portée des pièces «chefs - d’oeuvre» de Decroux, met en avant ses exercices et figures.
Ce qui nous rappelle justement que les fondements et sa conception personnelle du
mime corporel( 333), Decroux les a matérialisés en mouvement. De notre côté, nous
considérons que les pièces de répertoire (334), les figures dramatiques, le vocabulaire, les
enchaînements et les exercices d’entraînement créés par Decroux, sont la matérialisation de ce
fameux héritage comme premier contenant du mime corporel.
Héritage qui pourrait, à notre avis, être à la base de l’Ecole Decroux, voire de
l’éventuelle tradition du mime corporel, si nous pouvons encore trouver des traces
concrètes( 335) des matériaux « mouvement » que nous avons appelé le répertoire
«Decroux»( 336), en attendant qu’il soit transformé, enrichi ou remplacé par des nouveaux
répertoires crées par les nouvelles générations, tout en préservant le contenu: le mime
corporel.
Préservation qui se pose comme l’enjeu majeur de la tradition du mime corporel, car, si
remplacer ou transformer ce répertoire est une envie légitime des générations émergentes, cela
«J'ai monté quantité de spectacles, dont chacun était la mise en œuvre spectaculaire des techniques conquises
en studio dans l'année écoulée. C'était autant d'indications sur ma conception de cet art».
Étienne Decroux: Paroles sur le mime, Gallimard, Paris, 1963, p. 87.
Ainsi, dans le contexte de notre travail de recherche, l’intérêt porté aux compositions et aux pièces de réper-
toire de Decroux concerne plus leur qualité de matériel pédagogique et de consignes d’entraînement que laurs
possibilités spectaculaires.
335 Un acteur ou une actrice qui, ayant la maîtrise du mime corporel, est en train de l’apprendre à d’autres,
s’en sert sur scène et a la mémoire du répertoire «Decroux».
336 Contenant actuel des développements de Decroux dans les différents aspects et niveaux du mime corpo-
rel, et l’ensemble le plus complet d’exemples concrets de: sa grammaire de mouvement dramatique, son langage
artistique pour l’expression théâtrale, sa méthode d’entraînement, ses protocoles d’improvisation et sa dramatur-
gie.
118
ne peut pas se faire sans risquer des pertes. Surtout si le rejet des formes externes qui reflètent
le «style Decroux», n’est pas accompagné d’une proposition cohérente qui garantisse la
préservation des principes et fondements du mime corporel.
Autrement, le mime corporel aura vécu comme utopie théâtrale, et cette fois - ci, la
question que Dorcy se posait voici plus de 40 ans:
119
explication de la technique du beau dont l’acquisition nous renvoie à l’assimilation de sa
«gymnastique» comme matériau concret de mouvement, «gymnastique» qui correspond
sans ambiguïté aux aspects du mime corporel que nous connaissons comme: le vocabulaire, la
grammaire de mouvement dramatique, et la méthode d’entraînement développés par Decroux.
La suite de l’article cité éclaire son idée sur «l’art du beau» et son enseignement par
rapport au mime corporel:
« Ce que j’entends par art du Beau, c’est l’ensemble des procédés qu’on
emploie pour être compris.
Il faut que le public comprenne ce qu’on voulait lui dire et non pas le
contraire…
…Le mime ne doit pas moins que rendre perceptible chaque mouvement qui
doit l’être.
341 Idem: Dossier n° 57 «Mai 1953», pages 12,18 et 19, Fonds Decroux, op. cit. (Nous avons souligné en
cratères gras).
342 Idem: «Programme d’Études», Paroles sur le mime, op. cit. page 167.
343 Idem: Dossier N° 20, «1944, 10 bis suite», page 16. Fonds Decroux, op. cit. (Nous avons souligné en
cratères gras).
120
Ôter ceci sans que cela soit incompris, épurer ce qui reste ou encore
l’agrandir, tout cela est analogue à l’art de dire.
ED : … Il y a ceux qui ont étudié la danse classique, c’est très bien. Mais ils
doivent aussi être capables de penser dramatiquement.
Il y a ceux qui sont plus ou moins maladroits, mais ils ont quelque chose en
eux qui nous laisse voir une promesse, ils sont intenses, ils ont de la présence. Ils
ont quelque chose à dire et petit à petit, ils apprennent à bouger de façon
gymnastique. Ils apprennent les parties de leurs corps, à vivre dans leur
corps, et à ne pas confondre une partie avec une autre.
TL : Comme professeur, alors, l’accent n’est pas mis en priorité sur la
technique ?
ED : A notre école l’accent est mis sur l’esprit géométrique, comme dirait
Pascal. L’esprit géométrique est souvent confondu avec l’esprit scientifique. Qu’est
- ce que la science ? et qu’est - ce que l’art ? l’art sert à raconter des impressions.
Avec la science il y a des forces externes lesquelles nous respectons, et qui sont les
344 Idem: «Ce que l’école ne peut donner», op. cit. (Nous avons souligné en cratères gras).
121
mêmes pour nous tous. Un cercle pour un homme qui n’a pas bien dormi, c’est le
même que pour celui qui a bien dormi.
Dans notre art, il est nécessaire d’avoir des valeurs qui appartiennent à tous
les deux. - l’esprit géométrique et la finesse poétique. Il est nécessaire que
l’artiste exprime sa douleur, mais non avec des cris. Les poètes ont leur
langage, - leurs cris sont comme un liquide, mais un liquide bouillant qui passe par
l’étroit conduit du langage.
C’est la même chose avec la musique. L’art le plus technique de tous c’est
l’art qui arrive le mieux à faire un portrait fidèle de notre âme. » (345)
Ainsi plus tard, dans la conférence du 16 janvier 1981, à son école, en continuation
avec cette dernière idée,
Un musicien est aussi un mathématicien, cet art est en même temps le plus
poétique et le plus technique qui existe.
Alors pour notre art, pour nous c’est pareil, il nous faut nous fonder sur
des principes. Quand nous disons par exemple : inclinaison à base fixée,
345 Idem: Extrait de l'interview du 80 ème anniversaire d’Étienne Decroux publié par Thomas Leabhart dans
le Mime Journal N° 7 & 8. op. cit. pages 60 et 61. (Nous avons traduit de l’anglais et souligné en cratères gras).
122
compensée, translation râteau, translation piston, translation râteau - piston, la
grue, etc. triples dessins, etc. Ca nous rappelle la versification.
Quand nous faisons par exemple des triples dessins avec amputation, on
découvre quelque chose, ça ressemble à l’itinéraire de la pensée du penseur. On se
dit, ‘c’est drôle, je n’aurais pas trouvé ça tout seul’. Si, on l’aurait peut - être
trouvé tout seul, mais à la condition de ne pas le chercher. Ca serait joli d’arriver
comme ça. Si tu te mettais à jouer le penseur, la pensée, on n’aurait pas trouvé.
Ainsi, le titre de l’article cité au début de cette partie( 347), est une mise en garde concernant
les limites des objectifs de l’école, que Decroux explique plus longuement par la suite.
Elle libère l’esprit créateur, le met à l’aise, donne la confiance mais elle
n’apprend pas à créer.
Car elle ne donne pas la passion quel que soit le prix de ses leçons…
Et ne donnant pas la passion, elle ne donne même pas le moyen de faire ces
observations…
Et si vous n’avez rien à dire, à quoi vous servirait l’art de bien savoir
dire ?… » (348)
Enfin, selon Decroux, à la sortie de l’école, l’acteur idéalement
« …doit avoir dans sa tête l’humeur d’un romancier et il doit avoir dans son
corps les muscles d’un gymnaste. » (349)
346 Idem: Conférence à son école le 16 / 01 / 81. Enregistrement sonore, document d’archives privé.
347 Voir plus haut, page 119.
348 Idem.
349 Idem.
123
Quelle durée d’apprentissage?:
Pour cet aspect pratique et capital qui concerne le temps qui idéalement doit être voué à
cette instruction pour en réussir les objectifs, Decroux donna plusieurs indications. Par
exemple, en 1963, à son retour des États Unis d’Amérique,
« Le grand public ignore trop souvent aujourd’hui le travail de termite des
compagnies de mime. il ne sait pas qu’il faut quatre années pour apprendre à
s’exprimer valablement par d’autres moyens que le langage et qu’ensuite deux ans
sont nécessaires pour monter le moindre spectacle. Au total six ans de labeur et
d’études pour une apparition limitée à une seule soirée. » (350)
Ce qui nuance son indication concernant une durée de la formation d’environ dix ans,
« Un grand art suppose une matière rebelle. Or le corps est rebelle. Sans
envisager des prouesses acrobatiques ou chorégraphiques, sans se prescrire de
devenir homme - serpent, il faut environ dix années d’efforts ; ce qui ne
dispense pas d’avoir du talent et de la culture. » (351)
En tout cas, ceci nous montre que dans l’esprit de Decroux, la durée de la formation en
mime corporel, si elle est sérieusement envisagée, serait analogue à celle de la danse ou de la
musique, dont l’apprentissage demande un long travail. Nous voyons enfin que l’apprentissage
du mime corporel ne serait envisageable sans le long travail corporel qui permet l’assimilation
physique du répertoire «Decroux».
350 Étienne Decroux: «Le mime Decroux prend la parole … … et la garde», par Philippe Bouvard. Le Figa-
ro, Paris, 11 avril 1963. (Nous avons souligné en cratères gras).
351 Étienne Decroux: Dossier N° 17, «Fin 1943», page 1. Fonds Decroux, op. cit.
352 Étienne Decroux : «Le mime Decroux part en guerre contre la pantomime». Combat, 22 / 12 / 62
124
Les indications pratiques pour l’assimilation physique du langage du mime corporel,
comme nous l’avons vu plus haut, sont contenues dans l’ensemble des développements de
Decroux, c’est - à - dire, dans le matériau « mouvement » qui constitue le répertoire
«Decroux».
Ceci nous donne les repères de la formation idéale en mime corporel qui permettrait à
cette discipline d’accéder au niveau de «tradition»( 353). Formation destinée au corps de
l’acteur, dont les préceptes concrétisées dans le répertoire «Decroux», doivent être suivis non
pas en tant que «formule» qui transforme l’acteur (ou le théâtre, ou nos manières de faire du
spectacle), mais comme des indications d’entraînement( 354).
C’est alors, et seulement à ces conditions, que le mime corporel, patrimoine artistique
de Decroux, peut devenir comme le disent Benhaim( 355) et de Marinis( 356): L’héritage
vivant qu’Étienne Decroux lègue aux acteurs qui feront le théâtre du futur.
En effet, s’il y a une tradition du mime corporel, la seule mesure possible réside dans le
fait que le répertoire «Decroux» soit actuellement utilisé comme matériau «mouvement» de
base pour la transmission du mime corporel par les écoles, centres de formation ou
professeurs, voire de la place qui lui est accordée dans les programmes. Cela constitue la
principale condition qui donnerait un intérêt à notre projet Laban - Decroux et le rendrait
envisageable.
353 Eugenio Barba compare le système de règles inventé par Decroux, à ceux des traditions orientales. Il ne
place pas le mime corporel au niveau de ces traditions. (Voir aussi «Étienne Decroux, un maître» par Franco
Rufini (cf. note N° 121, plus haut).
354 Travail physique qui va jusqu’aux vertèbres, cf. note N° 352.
355 Voir plus haut: Guy Benhaim, Le mime corporel selon Etienne Decroux, op. cit. page N° 118.
356 « … l’héritage vivant du mime corporel et de Decroux pour le théâtre de demain, lequel est aussi - si la
perspective ne semble pas excessive - celui du théâtre du nouveau millénaire»
Marco de Marinis: Mimo e teatro nel Novecento, op. cit. page 299. (Nous avons traduit de l’italien).
357 Sans le limiter à cette utilisation. Nous devons rappeler que cette façon particulière de voir et de traiter le
répertoire «Decroux» est limitée dès l’abord au cadre de notre projet de notation du mime corporel.
125
Voyons quelques propositions actuelles concernant la communication du répertoire
«Decroux» pour l’apprentissage du mime corporel, afin de déterminer sa place à l’école.
Notons au passage que les diverses pédagogies utilisées correspondent aux orientations
particulières des professeurs, écoles et centres de formation qui utilisent ce matériau comme
objet d’apprentissage.
L’intérêt de ces programmes réside dans le fait que parmi les offres de formation
corporelle à l’intention de l’acteur, ceux - ci comportent des propositions d’apprentissage sur
le répertoire du mime corporel( 359), avec assez de régularité et de continuité pour envisager le
travail nécessaire à l’assimilation du mime corporel.
Notre choix concernant ces programmes pédagogiques pourrait paraître limité aux
spécialistes, cependant, il ne faut pas oublier que nous les avons suivis ou que nous les
appliquons aujourd’hui, et que ce choix a été déterminé par notre intention( 360)
d’apprentissage, d’assimilation et de transmission du mime corporel au niveau professionnel
de sa pratique.
Ils nous serviront aussi comme exemples d’intentions de communication du répertoire
pour l’apprentissage et l’assimilation du mime corporel. Leur présentation à l’intérieur de cette
étude n’a d’autre intérêt que de vérifier si cette condition de faisabilité du projet «Laban -
Decroux» est remplie.
358 Les deux premières concernent la période de notre formation. Nous les avons fréquentés de 1984 à 1995
(avec une période creuse de 1985 à 1987, dans laquelle nous avons suivis pendant trois mois de 1986, les cours
d’Étienne Decroux, juste les derniers mois d’existence de son école). Le dernier, l’Atelier International de Mime
corporel - AToM, est le centre de formation où nous travaillons actuellement en tant que professeur. Il est aussi le
siège du projet «Laban - Decroux». Pour les deux premiers, les programmes présentés correspondent plus ou
moins aux dates de notre fréquentation.
359 Le «répertoire du mime corporel» comporte outre le répertoire «Decroux», des œuvres d’autres auteurs.
360 Différent de celui d’un observateur externe.
126
Cette présentation nous montre des écoles, et des centres de formation où des
professeurs qui comme nous, considèrent que l’apprentissage du mime corporel doit
idéalement être fondé sur la transmission du répertoire «Decroux», et qu’il est encore
possible d’en trouver des traces( 361), principale condition à la réalisation de notre
proposition( 362).
En même temps, nous voudrions signaler l’urgence de cette réalisation. Deux des
écoles qui seront présentées sont tenues par d’anciens élèves de Decroux( 363) qui
appartiennent, dans la perspective d’une tradition, à la première génération d’acteurs formés au
mime corporel. Si la formation de ces acteurs et les résultats de leur travail sur scène ne
laissent pas de doute concernant une première expérience de transmission du mime corporel
entre générations, ils partagent avec leurs cadets de la deuxième génération, la gageure de
préserver et de transmettre les principes et fondements du mime corporel pour enfin
donner corps à sa tradition.
C’est - à - dire, que la deuxième génération doit, sans pour autant limiter sa pratique
professionnelle, prouver qu’elle est dépositaire de l’héritage de Decroux et qu’elle est en
mesure d’en continuer la transmission.
Tout dépend des acteurs formés en mime corporel, en particulier des apprentis - mimes
qui ne se seront pas arrêtés en cours de route et qui, brisant l’inertie qui veut que l’école de
mime corporel forme des acteurs à perte( 364), relèveront le défi en faisant de l’enseignement
de leur art une partie intégrante de leur exercice professionnel.
C’est dans ces conditions que la communication et la mémoire des informations
«mouvement» du répertoire «Decroux», auront pour épreuve suprême d’assurer au mime
corporel son accession au rang de tradition vivante d’une pratique spectaculaire. Aussi, c’est le
terrain idéal pour l’application que propose notre projet.
361 Quelqu’un qui, ayant la maîtrise physique du mime corporel, est en train de l’apprendre à d’autres, s’en
sert sur scène et a la mémoire du répertoire.
362 Voir: «Conditions, La Notation / exécution» dans la présentation du projet «Laban - Decroux» plus
bas.
363 De surcroît, tous les quatre; Mmes. Denise Boulanger et Corinne Soum, et MM. Jean Asselin et Steven
Wasson, sont des anciens assistants de M. Decroux.
364 C’est - à - dire, que l’école «Decroux» forme, depuis le début, des acteurs qui ne passeront pas à leur tour
l’héritage reçu.
127
L’École de Mime de Montréal
Notre premier contact avec le mime corporel s’est fait avec les spectacles de la troupe
Omnibus dirigée par Jean Asselin et Denise Boulanger. Trois stages pris avec eux entre 1981
et 1985, nous ont permis d’approcher le mime corporel et d’envisager l’étude approfondie du
répertoire «Decroux».
Nous avons choisi de suivre leur enseignement après notre participation à leur stage
offert parmi les propositions présentées( 365) dans le cadre de la «IV Rencontre Nationale et
Internationale de Pantomime» organisée par Sigfrido Aguilar, sous le patronage de
l’Université de Guanajuato au Mexique, en novembre 1981.
Lors des rencontres qui se sont succédées les années suivantes, nous avons eu
l’occasion de participer aux activités de différents studios et ateliers, et de suivre des stages
avec d’autres professeurs( 366) de diverses origines géographiques et artistiques. Ce brassage
nous a permis de connaître le panorama et la diversité des écoles, des styles et des propositions
esthétiques existant. Notre choix est fondé sur ces expériences.
Jean Asselin( 367) présenta sa compagnie dans le cadre des Premières Rencontres
Internationales de Compagnies de Mime Contemporain à Villeneuve - lez - Avignon, en 1985.
Concernant son école, il explique dans son intervention;
Leur parti pris par rapport à l’enseignement du mime corporel, explique clairement les
raisons de notre choix. l’École de mime de Montréal est un des rares centres de formation en
mime corporel à affirmer et à offrir cette possibilité d’étude à ceux qui voudraient s’initier à ce
langage corporel dramatique.
365 Ateliers professionnels dirigés par Mallory Bagwell, James Donlon, Hideyuki Yano, Sally Goldstein, Bob
Berky, Jean Asselin et Denise Boulanger que nous avons suivis lors de cette rencontre.
366 Sigfrido Aguilar (Pantomime - Théâtre, Mexique - USA), le clown Dimitri (Travail de Clown, Suisse),
Monica Barbieri (Expression corporelle, Argentine), Agnès Limbos (Théâtre corporel, Belgique), Jacques Lecoq
(Mime et Théâtre de mouvement, France), Stephan Nedzialkowski (Pantomime, Pologne), Yves Marquette et
Claire Hegen-Marquette (Mime, France).
367 Fondateur et Directeur avec Denise Boulanger de l’École de Mime de Montréal et de la compagnie Omni-
bus. Tous les deux sont des anciens élèves, puis assistants de Decroux dans les années 70.
368 Jean Asselin: «Présentation de la compagnie Omnibus, Canada», Compte rendu de la table ronde Paro-
les sur les Théâtres du Geste. Ed. Premières Rencontres Internationales de Compagnies de Mime Contemporain.
Villeneuve - lez - Avignon, Mars 1985. page 24.
128
Leur proposition pédagogique: l’objectif et le contenu des cours, que nous avons
extraits de la brochure( 369) de l’année scolaire 1986 - 87 de leur école, nous montre clairement
les rapports de leur enseignement avec le répertoire «Decroux» et les principes du mime
corporel:
« Les deux cours, technique de base et technique avancée, sont une initiation
au vocabulaire dramatique du mouvement dans la perspective d’une pratique
théâtrale où l’interprète fait ce qu’il veut et non seulement ce qu’il peut. Ils se
distinguent par l’apprentissage élémentaire, puis global de l’harmonie et de la
virtuosité corporelle.
Ici ils font référence à l’idée présentée par Decroux dans l’article qui nous a servi
comme base pour présenter l’enseignement de ce dernier. En outre, le rapport direct entre leur
proposition pédagogique et le mime corporel est établi, dans leur brochure, avec l’inclusion
d’un texte signé par Decroux en 1974, qui s’intitule: «Explication sommaire de la nature du
mime corporel».
369 Programme de l’année scolaire 1986 - 87. Ed. École de Mime de Montréal. Direction artistique: Asselin -
Boulanger. 3673, Saint - Dominique, Montréal, QC H2X 2X8, Canada. Tél. (514) 843 - 3009.
370 Asselin - Boulanger: Programme de l’année scolaire 1986 - 87. Ed. École de Mime de Montréal. Mon-
tréal, 1986.
129
Avec l’École de Mime de Montréal, nous avons trouvé notre première école. Le travail
fait chez eux, nous a permis pour la première fois, d’entrer en contact avec le répertoire
«Decroux» en tant que récepteur dans la communication et surtout, de prendre conscience des
principaux problèmes concernant la mémoire( 371) pour l’apprentissage du mime corporel et
pour l’entraînement.
Corinne Soum, dans un entretien fait et publié par Guy Benhaim, explique quels sont
les objectifs du travail qu’elle fait avec Steven Wasson dans leur école:
130
… il était bien évident que ça nous avait été donné pour le transmettre à
d’autres.
Le contenu des cours de leur brochure, nous renseigne du rapport objectif entre le
répertoire «Decroux» et leur proposition:
376 Corinne Soum dans Entretien avec Corinne Soum par Guy Benhaim. Guy Benhaim: Le mime corporel
selon Etienne Decroux, op. cit. page 463.
377 C. Soum et S. Wasson: Brochure de l’École de Mime corporel Dramatique de Paris (cette brochure était
distribuée à l’école autour de 1990 - 91). Ed. École de Mime corporel Dramatique de Paris, s / d.
131
répertoire relatif au mime corporel, figures, enchaînements et pièces. Connaissance
des différents styles de jeu. » (378).
Avec l’École de Mime corporel Dramatique de Paris, nous avons trouvé l’exemple le
plus achevé de formation, et notre travail chez eux nous a permis de passer toutes les étapes du
processus d’apprentissage du mime corporel.
378 Idem.
379 Atelier International de Mime corporel - AToM. 16, square Dunois, 75013 Paris. Tél : (1) 5361 0202.
atomlinks@laban-decroux.org (AToM, De l’anglais «Actors Training on Mime»).
132
- la recherche sur la notation du mime corporel, pour permettre d'en
sauvegarder l'essence et de développer l'écriture de partitions de futurs
chorégraphes / réalisateurs / interprètes - mimes
L’extrait du «contenu des cours» que voici, est un reflet de la conception de l’atelier,
sur les rapports idéaux entre le répertoire «Decroux», l’enseignement du mime corporel et sa
pratique professionnelle:
- accordéon
- barre
- chaîne,
• improvisation
2) L'atelier
380 Griet Maes - Jorge Gayon: Acte de création de «l’Atelier International de Mime Corporel - AToM», do -
cument d’archives d’AToM, Paris 1995.
133
3) Répertoire
Durant 2 mois, l'étude des pièces du répertoire est réservée aux élèves ayant
acquis le niveau nécessaire aux pièces travaillées.
Ce cours, à partir de la Cinétographie Laban, est ouvert à tous les élèves, quel
que soit leur niveau. Son apport non - négligeable à l'assimilation du vocabulaire
corporel, est effectif à partir d'un an, au minimum, de suivi régulier.
5) Pédagogie
Cette option est ouverte à l'élève avancé en formation, elle implique un suivi
particulier et la pratique dans l'enseignement. »
Une de nos intentions dans le travail proposé à l’Atelier est de donner au projet Laban -
Decroux, le cadre matériel qui en permette la réalisation au sein même de la pratique
professionnelle du mime corporel, en effet, nous considérons que sans cette pratique, la
réalisation du projet Laban - Decroux est inintéressante, non - viable et inutile.
Nous ne voulons pas dire que la prétention de l’Atelier est de se considérer comme le
seul cadre possible du projet Laban - Decroux, ni que ses objectifs se réduisent à la réalisation
de ce dernier. Les objectifs de l’Atelier dépassent ceux du projet Laban - Decroux, qui pour sa
réalisation a besoin en outre, d’un large échange d’informations et d’expériences, ainsi que de
la collaboration d’autres professionnels en mime corporel et en cinétographie Laban.
134
Nous œuvrons ainsi à la recherche des solutions dans les domaines de: la
communication, la compréhension, la préservation et la mémoire des informations
«mouvement» du répertoire «Decroux», l’étude et l’assimilation des principes et fondements
du mime corporel.
Pour finir cette première partie, nous présentons un sommaire des idées qui ont été
explorées dans ce chapitre, et sur lesquelles sera construite la suite de notre étude:
381 Le vocabulaire, les exercices d’entraînement, les figures dramatiques et les pièces de répertoire de De-
croux, ensemble que nous avons appelé: le répertoire «Decroux».
382 Les développements de Decroux dans les différents niveaux du mime corporel: la grammaire de mouve-
ment dramatique, le langage artistique pour l’expression théâtrale, la méthode d’entraînement, les protocoles
d’improvisation, et la dramaturgie.
383 Précision des choix concernant l’utilisation des ressources corporelles, ses voies d’évolution, ses rapports
internes, inter - partenaires et ceux avec l’espace scénique.
384 La tradition.
385 En tant que mémoire première du mime corporel.
135
Hypothèse que nous avons vérifiée par l’analyse du rôle du répertoire «Decroux» dans
l’apprentissage du mime corporel, à l’intérieur de sa tradition.
386 Sans le limiter dans l’absolu, à cette utilisation. Nous rappelons que notre façon de voir et de traiter le ré-
pertoire «Decroux» est limitée dès l’abord au cadre de notre projet de notation du mime corporel.
136
Deuxième Partie
« L’apprentissage du mime corporel »
387 Etienne Decroux: Dossier n° 42 «début 1950», page 7. Fonds Decroux, op. cit.
137
L’objectif de cette étape de notre étude, est de déterminer la situation actuelle des cibles
de notre projet. Les aspects du processus d’apprentissage du mime corporel concernés sont:
138
Pour réaliser notre analyse, nous devrons considérer que si le contact entre l’acteur et le
répertoire «Decroux» est «normalement» assuré par l’école, le centre de formation ou le
professeur, il reste encore à savoir si ce contact est suffisant pour l’apprentissage du mime
corporel.
Le contenu des partitions est l’ensemble de données nous renseignant avec précision
sur: l’utilisation du poids, les parties du corps impliquées, la chronologie des mouvements, la
direction dans l’espace, les rapports intercorporels, la vitesse, les rythmes, les inter - rythmes,
le degré de tension musculaire ou de relâchement, les pauses, la respiration, le focus( 390), et
d’autres informations en rapport aux actions, personnages, charges émotives, intentions,
motivations ou états représentés.
Dans ce contexte, la définition des objectifs du projet Laban - Decroux concerne, dans
les domaines de:
388 Les informations «mouvement» (le contenu des partitions) : ce sont les valeurs concrètes relatives aux pa-
ramètres qui caractérisent le mouvement de chaque matériau - objet d’étude.
389 Ses pièces de répertoire (crées pour leur représentation sur scène), ses figures dramatiques, ses enchaîne-
ments et exercices d’entraînement, sont des exemples concrets des divers aspects et niveaux du mime corporel.
390 De l’anglais: point focal du regard.
139
l’apprentissage: la communication et la mémorisation des informations
«mouvement» de ces partitions
Ainsi, pour remplir les objectifs assignés dans la méthodologie de notre bilan, cette
deuxième partie devra répondre aux questions suivantes:
concernant la communication et la mémorisation des partitions du répertoire
«Decroux»pour l’apprentissage du mime corporel:
140
chapitre 4
Le répertoire « Decroux » et
l’apprentissage du mime corporel
Faire l’exposé de l’expérience de notre passage par l’école «Decroux» nous permettra
d’introduire le développement du processus d’apprentissage du mime corporel. Dans l’absolu,
ce processus est considéré comme le contexte pratique du projet Laban - Decroux. En même
temps, cet exposé sera l’occasion de délimiter l’importance de notre projet et les proportions
que garde la problématique qui nous concerne, à l’intérieur de la tradition du mime corporel.
En guise d’introduction, nous avons choisi deux citations de Decroux qui présentent de
façon générale les objectifs, les moyens et les limites de l’apprentissage du mime corporel. Ces
extraits englobent, également, notre problématique. Voici le premier:
• l’objectif final de cet apprentissage est que l’acteur soit en état de «faire ce
qu’il veut, de savoir ce qu’il fait, d’inventer ce qu’il faut» .
D’où il ressort que l’apprentissage proposé par Decroux cherche à libérer l’acteur en lui
donnant les moyens d’assumer sa responsabilité artistique dans la création théâtrale. Cette idée
nous est confirmée par Decroux lui - même:
« Nous voulons que l’acteur s’établisse à son compte, soit l’auteur unique du
plaisir pris au spectacle, qu’il égale en indépendance les autres artistes, soit majeur
comme eux. » (393)
391 Etienne Decroux: Dossier n° 57 «Mai 1953», pages 18 et 19, Fonds Decroux, op. cit, (Nous avons souli-
gné en cratères gras).
392 Nous l’avons appelé: le répertoire «Decroux».
141
Il faut cependant signaler que cette «libération» est fondée sur l’assimilation de la
«gymnastique» de Decroux, or, c’est ici que la participation active et positive de l’acteur est
capitale, car elle relève de son investissement personnel( 394)
Dans le deuxième texte choisi, Decroux approfondit son explication:
Il reste bien plus à dire sur l’apprentissage du mime corporel : une fois que
l’on peut faire, il reste à découvrir ce qu’il faut vouloir faire.
En approfondissant à notre tour notre analyse, nous voyons plus clairement les phases
par lesquelles l’acteur passe dans sa formation, et ceci avant de se confronter aux questions de
la création, du jeu et du spectacle. Nous pouvons en déduire qu’il y a:
Cette dernière, est le creuset où les choix et les mélanges( 397) peuvent être faits avec
plus ou moins de bonheur.
393 Etienne Decroux: « Le mime sans visage», publié dans Le Rouge et le Bleu du 25 / 04 / 42, texte original
dans le dossier N° 12, «1942, (5», page 3, Fonds Decroux, op cit,
394 «Sans envisager des prouesses acrobatiques ou chorégraphiques, sans se prescrire de devenir homme -
serpent, il faut environ dix années d’efforts; ce qui ne dispense pas d’avoir du talent et de la culture»
Étienne Decroux: Dossier N° 17, « Fin 1943», page 1, Fonds Decroux, op. cit, (Nous avons souligné en caractè-
res gras).
395 Etienne Decroux: « Mime et mime», Paroles sur le mime, op. cit, page 115 (Nous avons souligné en ca-
ractères gras).
396 Stade que certains appellent « avoir de la technique», terme qui pour certains artistes a une connotation
négative, quand nous parlons de «technique» à propos de mouvement, il est évident qu’il ne s’agit pas d’un état
pur de perfection absolue, ni d’une possession acquise une fois pour toutes. Ceux qui un jour se sont essayés à la
maîtrise de leurs ressources corporelles, savent qu’elle est dépendante, au jour le jour, de leur entraînement.
397 Le choix des langages et / ou des esthétiques directrices, et les mélanges des formes et des modèles, voir:
danse, texte, mime corporel, chant, acrobatie, manipulation d’objets, etc, et de leurs proportions et doses.
142
Ceci nous permet de dégager, les phases du processus d’apprentissage du mime
corporel que nous allons traiter: l’apprentissage et l’entraînement. Ainsi que le pivot
fondamental de ces deux pratiques qu’est leur rapport au répertoire «Decroux».
Avant de présenter la façon dont ce processus s’est déroulé pour nous, nous voudrions
signaler que d’après notre expérience( 398), l’apprentissage et l’entraînement nécessaires à
l’assimilation et la maîtrise du mime corporel, comme langage physique de l’acteur, sont
étroitement liés au répertoire «Decroux», car, cet ensemble de compositions de mouvement
contient:
• des exercices pour l’acquisition, l’entretien et la maîtrise des «facultés radi-
cales», compétences physiques intrinsèques à l’expression corporelle du
drame( 399) matérialisant le fondement biologique du mime corporel.
398 Neuf ans de formation, et des discussions avec nos professeurs: Jean Asselin, Denise Boulanger, Thomas
Leabhart, Corinne Soum et Steven Wasson (tous des anciens assistants d’Etienne Decroux), et avec Maximilien
Decroux.
399 Concernant les «facultés radicales», fondement biologique du mime corporel, nous trouvons autant chez
Etienne Decroux que chez Rudolf Laban, des réflexions présentant les natures de mouvement du mime et de la
danse comme différentes, voire opposées.(Par ailleurs, la mise en rapport des découvertes de ces deux pionniers
des arts scéniques du XX Siècle, mériterait une nouvelle thèse de Doctorat).
Voir: Etienne Decroux: «Originalité de l’art de Decroux» Dossier No 2. s / d, «Explication de l’art de
l’acteur», pages 6 et 7. Fonds Decroux, op. cit, (Nous avons souligné en caractères gras), où il dit:
« Chacun voit bien ce qui oppose le mime au théâtre parlant alors que leurs essences sont identiques tandis
qu’on voit fort mal ce qui oppose le mime à l’art chorégraphique alors que leurs essences sont des antinomies».
Voir aussi: Rudolf Laban: The mastery of movement, op. cit, pages 9 et 14. (Nous avons traduit de l’anglais
et souligné en caractères gras), où il dit:
«Le mime, construit d’occurrences de mouvement autant dans sa forme que dans son contenu, est l’art théâ-
tral de base. Les efforts conflictuels de l’homme dans sa lutte pour atteindre ses valeurs sont révélés par le mime
de la façon la plus vraisemblable...
...La ressemblance à la lutte de la vie n est pas aussi évidente dans la danse» .
400 Les pièces de répertoire de Decroux (lesquelles, dans notre définition font partie du répertoire
«Decroux», sont jusqu’aujourd’hui, le sommet artistique du mime corporel, et la difficulté de leur exécution ou
de performance physique est des plus hautes, d’où l’intérêt que nous leur portons en tant que matériel pédagogi-
que et d’entraînement.
143
caractéristique en termes de mouvement( 401): la précision. La réalisation des objectifs de
l’apprentissage, dépend du degré de fidélité recherchée dans la reprise et la répétition, en
réponse à la précision( 402) des indications des partitions, lors de l’entraînement.
Cependant, l’objectif de ces exercices par le travail sur la précision, ne se limite pas à
une exécution correcte ou en virtuose( 403), il vise surtout à l’accroissement de conscience des
moyens et des ressources personnelles d’expression de l’acteur, par l’exécution d’un
mouvement corporel aux limites concrètement définies au préalable( 404).
Enfin, dernier point, et non le moins important, cet apprentissage est inconcevable sans
entraînement; partie la plus importante de la participation active et positive de l’acteur,
investissement de sa personne( 407) pour l’assimilation du mime corporel.
401 La précision des choix concernant l’utilisation des ressources corporelles de l’acteur, ses voies
d’évolution, ses rapports internes, inter - partenaires et ceux avec l’espace scénique, est la clé qui permettra à
l’acteur l’assimilation de ce langage physique.
402 La précision des indications de mouvement est inutile sans la contrepartie de fidélité d’exécution et de
performance recherchées dans l’apprentissage et l’entraînement. Cette correspondance est l’accès à l’assimilation
et à la maîtrise du mime corporel comme langage physique de l’acteur.
403 Ce qui implique déjà un investissement énorme de la part de l’acteur exécutant, en relation à l’acquisition
des compétences et à la mémoire neuro - musculaire (sans parler de celle cognitive) nécessaires pour y arriver.
D’ailleurs, parmi ceux qui blâment la virtuosité, nous ne connaissons aucun qui y soit arrivé.
404 Mouvement corporel aux limites définies au préalable, est en quelque sorte une définition de répertoire,
celle de n’importe quel répertoire de n’importe quel art du spectacle, et qui se trouve en dehors de la question des
choix esthétiques respectifs à chaque langage.
405 Quand nous disons «ressources corporelles», nous parlons du corps et d’un corps - en - mouvement, non
seulement comme l’ensemble de ses différents membres visibles a d’oeil, mais aussi de ses possibilités de mobili-
sation neuro - musculaire pour rendre visibles les ressorts du jeu dramatique.
406 Étienne Decroux: «Le mime Decroux part en guerre contre la pantomime », Combat, 22 / 12 / 62.
407 Voir note N° 394 plus haut.
144
Dans l’entraînement, l’effort nécessaire pour arriver a l’exécution fidèle des
indications du répertoire « Decroux»( 408), met l’acteur à l’épreuve en l’amenant à établir un
rapport expérimental unique avec les causes et les effets dramatiques de l’utilisation de son
corps comme « instrument - présence» vivant, au service du spectacle.
C’est cet effort seul qui permet à l’acteur, d’œuvrer à l’épanouissement de ses
ressources au delà des conditionnements( 409) divers auxquels elles sont assujetties. Il est
aussi, le seul chemin d’accès à la maîtrise, porte de la liberté artistique.
Selon Decroux:
- la technique élimine les médiocres, elle utilise le talent moyen et elle exalte
le génie » (410).
408 Cela n’a rien de commun avec des codes ou des esthétiques imposés par l’extérieur. Ceux - ci ne sont que
formalisations, des outils d’une méthode de recherche
409 De mouvement; accidentels ou héréditaires.
410 Étienne Decroux: «Enseignement», Paroles sur le mime op. cit page 177. (Nous avons souligne en ca-
ractères gras).
411 Assimilation qui permet à terme: «d ’être vrai, intelligible, émouvant...» sur scène. Cf. page N° 142 .
412 D’un côté, la participation capitale et les compétences des enseignants: (voir plus loin: l’oeil expert ex-
terne) et de l’autre, la qualité de l’effort et la quantité du travail d’entraînement fourni par l’acteur pendant les
cours, mais surtout en dehors des cours, déterminent à terme l’issue de la transmission du mime corporel.
413 Nous avons signalé dans notre chapitre précédent, que d’autres exemples plus «contemporains» ou au
145
essayerons de garder en vue les objectifs, les limites et l’approche que nous avons établis pour
notre étude.
Enfin, la réserve utilisée pour dire que: «l’assimilation du mime corporel est, en
principe, à la portée de tout apprenti - mime (ou acteur)...», correspond à la supposition que
l’accès permanent aux informations «mouvement» des partitions du répertoire « Decroux»
est possible au plus grand nombre. Supposition qui, avant tout, reste à vérifier( 414). Une fois
présentées les précautions nécessaires avant l’expose de notre parcours, nous pouvons
continuer.
Jusqu’à aujourd’hui, notre apprentissage( 415) du mime corporel s’est réalisé dans un va
- et - vient de réflexions fondées sur notre expérience de spectateur, notateur( 416) de
mouvement et chercheur( 417), et notre pratique d’acteur (interprète), professeur, et créateur.
goût du jour, peuvent être développés et enrichir a leur tour le répertoire du mime corporel. La seule condition
serait que, dans leur définition en mouvement, ils soient fondés sur les principes et fondements du mime corporel
et les développements d’Etienne Decroux (Sa grammaire de mouvement, son vocabulaire, son langage dramati-
que, les styles de jeu et sa dramaturgie), en déterminant clairement leur précision.
Les nouveaux répertoires du mime corporel, à côté de celui que nous appelons le répertoire «Decroux», ne
sont pas encore significatifs, compte tenu des possibilités artistiques du mime corporel qu’ils ouvrent ou couvrent.
414 N’oublions pas la condition d’inaccessibilité des traces du travail d’Etienne Decroux, évoquée dans notre
introduction, sans parler du degré d’adéquation des supports aux fonctions indispensables de préservation et de
retour des informations «mouvement» qu’ils sont censés contenir, quand il s’agit de la tradition d’une pratique
spectaculaire.
415 Ce rapport et les réflexions correspondantes ont un lien chronologique avec notre expérience pendant no-
tre formation. Leur valeur y est relative.
416 Formation en cinétographie Laban, au sein du CNEM (France), sous la direction de Mme Jacqueline
Challet - Haas.
417 DEA Théâtre, Danse et Arts de la Scène, sous la direction du Prof. Jean - Marie Pradier de l’Université de
Pans VIII, et notre thèse actuelle.
418 «Beau Monde» de la troupe «Omnibus» de Montréal, dirigée par Jean Asselin. Le programme de la
deuxième soirée comprenait «Zizi et la lettre» et quelques pièces de répertoire d’Etienne Decroux, notamment le
duo amoureux «Dieu les conduit». Spectacles présentés dans le cadre de la «IV Rencontre Nationale et Interna -
tionale de mime et de pantomime», à Guanajuato, Mexique.
146
instantanément. Ce qui nous frappait c’était leur précision dans le mouvement et leur capacité
à exploser sur place.
C’est alors que nous avons décidé d’apprendre à jouer comme ils le faisaient. Il nous
fallait trouver la formation qui pourrait nous donner les moyens d’arriver à de telles
performances( 419) en tant qu’artiste du corps.
Pour nous entraîner en dehors des stages( 423), nous essayions de répéter et de réussir la
reprise( 424) des exercices vus et des indications reçues. Notre compréhension de la « logique
419 Qu’est - ce qui nous attirait dans cette «performance»? C’était beau à regarder et jusqu’à aujourd’hui
nous portons encore les traces de cette étonnante vision.
420 Nous avions fait une ébauche d’initiation a la danse classique et contemporaine d’une année en 1981 - 82,
au Mexique.
421 Un an de judo, deux ans de Karaté - Do et encore deux autres de Tae - Kwan - Do.
422 De quatre a cinq semaines avec Jean Asselin et Denise Boulanger. Deux au Mexique (1981 et 1985) et un
a Montréal (1984).
423 Presque cinq ans se sont écoulé entre le premier spectacle de mime corporel vu et notre arrivée à Paris.
Les stages pris, ont eu lieu à l’intérieur de cette période.
147
du système»( 425) devait nous aider pour aller plus loin. Cependant, dans notre mémoire il ne
restait qu’un souvenir fragmentaire de beaucoup de ces exercices que nous n’arrivions plus à
exécuter.
C’est ainsi que nous avons pris conscience du problème de la mémorisation. Pour
nous en souvenir, il aurait fallu noter (426) ces exercices d’une façon quelconque afin de
pouvoir revenir plus tard sur ces indications, en attendant que l’entraînement et la répétition
construisent des nouvelles structures neuro - musculaires (l’assimilation).
Plus tard, en formation dans un cadre scolaire( 427), les exercices, le vocabulaire, les
figures, les pièces, et l’improvisation, étaient devenus nous cours au quotidien. Petit à petit,
notre compréhension de ce langage et nos compétences physiques grandissaient, des notions et
des noms tels les styles de jeu( 428), les dynamorythmes, les contrepoids, « le menuisier», «
le prophète», etc. nous devenaient familiers.
Au fil de nos études, se sont soulevées des questions de plus en plus précises sur
lesquelles nous tournions en rond:
Quels sont les principes du mime corporel? Quelles sont les compétences à
développer? Comment les acquérir? Quels exercices répéter? Comment se souvenir des
exercices, des vocabulaires, des figures, des pièces de répertoire? Et si l’on ne s’en souvient
pas, est - ce que ces pièces sont essentielles à l’apprentissage? S’en souvenir, est - ce
important? Enfin que doit - on apprendre? Comment apprendre?
Nous posions cette question après sept ans d’apprentissage du mime corporel. A
l’époque, nous étions dans une compagnie( 429) de mime, dont le spectacle en cours
comprenait des pièces de répertoire de Decroux( 430). Cette question correspondait à notre
431 Car, nous pensons que ces pièces - là sont aussi pour être jouées.
432 Ce qui veut dire que certains des principes et fondements du mime corporel n’étaient pas encore assimilés,
car si l’exécution de ces pièces n’est certainement pas une garantie de l’assimilation de ce langage, elle n’en est
pas moins une condition.
433 On nous disait de temps en temps: «fais - le et tu comprendras», et quelques fois assorti d’un «si tu as le
talent tu pourras le faire, sinon, il n’y a rien à faire».
434 S’il s’agissait d’une séquence longue; une figure ou une pièce.
149
Questions qui se posent de façon évidente avant de songer à l’interprétation( 435) et au
jeu.. Dans les solutions possibles envisagées, nous avions trouvé:
Pour nous en sortir, nous pensions à l’écriture du mouvement qui nous permettrait de
faire des notes « aide - mémoire» personnelles, qui nous serviraient de relais temporaire( 438)
dans le processus d’assimilation physique du mime corporel.
Au début de la pièce de répertoire «le menuisier»( 446); nous avons une suite de
mouvements des bras très simples anatomiquement, géométriquement et mécaniquement.
Notre problème d’exécution résidait, selon nous, dans la performance rythme - dynamique du
mouvement (l’effort). En apparence nous savions (ou connaissions, ou comprenions) le
mouvement a exécuter, mais nous n’y arriviions pas.
Questions:
Pourquoi est - il si difficile d’exécuter ces mouvements quand nous avons passe tant de
temps à l’école? Nous étions censés avoir acquis les compétences nécessaires (nous être
entraînés convenablement), sinon, à quoi bon avoir suivi des cours si longtemps?
Dans cet exemple, nous ne pouvons pas dire qu’il avait un problème de mémorisation.
Si cela avait été le cas, qu’aurait - il fallu retenir? A quel gendre de mémoire aurions - nous dû
faire appel? … Mais alors, de quoi est - il question au juste? Quelle était la solution? Existe -
t - elle? La réponse se trouve - t - elle dans le «talent»: si tu l’as, tu peux «exécuter» la
partition? N’est - elle pas une question d’apprentissage ou d’enseignement? De méthode
pédagogique? Peut - être d’entraînement? Ou tout simplement d’assimilation?
Notre apprentissage tournait à vide et malgré notre meilleure mémoire et notre meilleur
niveau physique, au mieux de nos capacités de compréhension intellectuelles et corporelles,
443 Attitude reconnue par tous ceux qui ont un jour observé les «mimes corporels», et que nous connaissons
comme l’attitude du «consommateur de supermarché du répertoire», ou «vite, pour apprendre le mime corporel,
apprenons les figures».
444 Joli terme utilisé par Thomas Leabhart.
445 Les musiciens parlent entre - eux de la différence entre «jouer la musique et jouer les notes».
446 Pièce de répertoire de Decroux.
151
l’exécution( 447) de notre objet d’apprentissage n’arrivait pas à se conformer avec fidélité aux
indications( 448), notre exécution n’etait pas «remplie»( 449).
Réfléchir au fait que nous avions partagé avec eux les mêmes cours, nous a donné une
nouvelle piste à suivre dans la recherche de la réponse a nos questions. Peut - être avaient - ils
un rapport particulier avec l’information concernant les dimensions concrètes de notre objet
d’étude( 453), mais le plus important c’était, comment avaient - ils fait?
Mais leurs explications ne nous livraient pas grand - chose malgré que, selon eux, cela
leur aurait permis de construire petit à petit leur mémoire, de développer et d’acquérir la
compréhension et les compétences nécessaires et enfin, d’exécuter «sans souci»( 454) les
pièces de répertoire de Decroux et, par dessus tout, de jouer comme ils le faisaient dans les
spectacles de la troupe.
Alors si le secret de nos camarades, était le bon, le temps passé à étudier et répéter la
fameuse «gymnastique» de Decroux était la solution aux problèmes d’apprentissage et
d’assimilation du mime corporel( 455). C’est - à - dire, pour améliorer notre réflexion:
qui, même si elle est guidée par le professeur pendant les cours, ne suffit pas
pour avancer. Il faut aussi le faire dans l’entre - cours( 457), donc
qui deviennent alors essentielles. Sans elles, il n’y aura pas d’apprentissage
ni d’assimilation possible.
Mais répéter et étudier quoi? nous souvenons - nous, en dehors des cours?
Car c’est ici que
la mémoire
454 L’esprit libre du souci de mémoire, et le corps libre du souci des compétences Ce qui ne veut pas dire, par
exemple, que jouer ou interpréter «l’usine» leur est devenu un jour «facile».
455 Nous insistons sur la dimension physique de l’assimilation, malgré le risque de tautologie.
456 Notre participation active et positive comme apprenti - mime, investissement de notre personne.
457 C’est en dehors des cours qui se réalise la partie la plus importante de notre participation active et positive
comme apprenti - mime, investissement de notre personne, condition fondamentale de l’apprentissage du mime
corporel: l’entraînement.
458 En cours et surtout, en dehors des cours.
153
des indications «mouvement» reçues est capitale. Elle nous permet la
répétition et l’étude, qui nous amènent enfin, par la compréhension, a
l’assimilation
Théoriquement cette «formule» semblait efficace, c’était très claire. Pourtant, ce n’est
qu’un discours qui tend facilement à cacher et nous faire oublier que dans l’apprentissage
d’une pratique spectaculaire, il faut assimiler des fondements biologiques, et pas seulement
connaître par cœur et comprendre intellectuellement le discours sur ses «principes».
Néanmoins, cette compréhension intellectuelle acquise, la phase suivante est le travail
pour l’intégrer physiquement, ce qui est long et difficile, car le corps n’obéit pas facilement.
Ainsi, la question de l’expérience concernant l’assimilation des fondements du mime corporel
restait entière.
Cette expérience est devenue pour nous aussi, une vraie découverte. La valeur de
l’entraînement, que nous avons trouvée dans notre pratique, s'est révélée en jouant la pièce de
répertoire de Decroux «l’usine», à l’occasion des tournées du spectacle «L’homme qui
voulait rester debout»( 461). Nous la rapportons ici comme «témoignage», c’est - à - dire, en
première personne:
Il va sans dire que la difficulté de cette pièce est telle que je ne considère pas
l’avoir ‘ conquise ’, et que je ne crois pas que cela soit possible. Cette pièce restera
460 Guy Benhaim: Le mime corporel selon Etienne Decroux, op. cit, page 69.
461 Spectacle hommage à Etienne Decroux, reconstitution des pièces majeures de son répertoire. Mise en
scène de S. Wasson, pour sa compagnie «Théâtre de l’Ange Fou» (Voir l’historique des représentations dans les
annexes).
155
pour moi, la mesure du plus haut degré de difficulté d’exécution et de
performance » (462).
C’est ainsi que nous avons compris corporellement comment le jeu musculaire, la
manipulation dramatique du poids et de la colonne vertébrale( 463), leur utilisation extra -
quotidienne( 464), sont la base biologique du jeu dramatique.
A partir de cette expérience, il nous est clairement apparu pourquoi Decroux disait que
le «premier drame» est: «tout pèse»( 465), et pourquoi les contrepoids sont la base qu’il a
utilisée pour l’édification du mime corporel en langage physique de l’acteur.
Tout à coup, le travail sur le répertoire «Decroux» est devenu pour nous l’occasion
d’explorer et développer nos ressources corporelles pour l’expression dramatique( 466). Dès
lors, l’utilité et l’importance du répertoire «Decroux» dépassaient son apparente intention
première dans le processus d’apprentissage. Il n’était plus seulement «le catalogue des
compositions de mouvement qui matérialisent les principes et fondements du mime corporel»,
mais un outil pour œuvrer à l’épanouissement de nos ressources( 467), et le chemin d’accès à
leur maîtrise. Dorénavant, nous pouvions aller corporellement au delà du discours sur le mime
corporel.
Le travail de précision sur les commandes externes telles que: la géométrie, la vitesse,
le rythme, etc. est le premier niveau, celui qui pourrait ne mener qu’à la virtuosité, si nous en
avons la «facilité» physique (voire la disposition d’esprit).
C’est à force de buter contre les difficultés d’exécution fidèle des partitions du
répertoire «Decroux»( 468), que nous parvenons au deuxième niveau, celui des sensations
toutes aussi physiques mais profondes, celui des attaches des os, là où il est possible de sentir
462 Jorge Gayon: «Jeu théâtral et mime corporel» article inédit, document d’archives de l’Atelier Internatio -
nal de Mime corporel - AToM, Pans, 1994.
463 La «plage» de jeu dont nous disposons en tant qu’interprète.
464 «Éclatement» ou «amplification».
465 Quand Lecoq dit «tout bouge», Decroux répond: «tout pèse».
466 D’une façon la plus complète et systématique que nous n’ayons jamais vu. Le répertoire «Decroux» est
devenu un vaste territoire d’exploration aux frontières très larges. Aujourd'hui, nous comprenons ce que signifie:
«dépasser le travail de Decroux». Assez peu y sont sans doute parvenus.
467 Nous parlons des ressources corporelles à notre disposition pour l’expression dramatique.
468 Ou de tout autre répertoire (selon l’art du spectacle en question), et non grâce à nos capacités de compré-
hension intellectuelle (ou de digestion de discours verbaux).
156
ses muscles «gonfler» et se relâcher, tirer et pousser les os ou d’autres muscles, travailler
pour soulever ou déplacer le poids d’un membre ou du corps tout entier.
Ces sensations physiques, réveillent d’autres sensations qui sont métaphysiques et qui
touchent autant l’acteur que le public. Selon Decroux,
« Le fait est un effet ; dès qu’on le fait, on sent la cause qui se réveille » (469).
Le travail acharné( 470) sur des limites imposées au mouvement par des partitions
concrètes nous permet de libérer l’être qui peut alors s’exprimer par le corps - en - mouvement.
Dès lors, jouer corporellement est possible, si nous pouvons retrouver cette sensation et,
« … dès qu’on a l’esprit géométrique, pour parler comme Pascal, l’esprit
géométrique qui nous arrive et qui dit : voilà, droite, droite, arrière, amputation de
rotation, de latérale, alors voilà la chose. Quand je le fais, je me sens dans un état
intellectuel exceptionnel et ca y est, on a de la poésie qui pousse dans l’action la
poésie qui n’aime pas les paresseux. ; ‘des fleurs qui poussent entre les
pavés’ » (471).
Cependant, si nous disons que: « jouer corporellement est possible, quand nous
pouvons retrouver cette sensation», c’est parce qu’elle n’est pas permanente, et qu’elle
dépend de l’entraînement( 472) et de la répétition.
Ainsi, parvenir à cette sensation, est enfin à quoi servent répertoire, mémoire,
compétences, apprentissage, étude, et entraînement. C’est aussi la raison pour laquelle la
«technique» n’est jamais acquise, car, ce n’est que l’entraînement quotidien qui peut, au jour
le jour, ouvrir la porte de cette sensation qui alors se présente comme l’assimilation physique
des fondements du mime corporel, et cela grâce à la précision du répertoire, qui en est la clé.
469 Etienne Decroux: «Programme d’études», Paroles sur le mime, op. cit, page N° 167.
470 L’objectif ce n’est pas la fatigue. Elle ne garantit pas le résultat même si elle est indispensable.
471 Etienne Decroux: Conférence à son école, 16 / 01 / 81. Enregistrement sonore, document d’archives pri-
vées.
472 Et dans l’entraînement, du degré de fidélité recherchée dans la performance et l’exécution des indications
des partitions, en contrepartie de leur précision. Cette correspondance est la porte d’accès de l’assimilation et de
la maîtrise du mime corporel comme langage physique de l’acteur.
157
anatomiques, mécaniques, géométriques et dynamo - rythmiques que nous révèle l’analyse du
mouvement.
bien qu’étant les conditions fondamentales, n’en constituent pas une garantie( 475).
2) La connaissance et la «performance» de l’ensemble des compositions du
répertoire «Decroux»( 476)
L’importance de ce rôle correspond au fait que nous ne pouvons pas bouger et nous
regarder en même temps( 478). Et même dans ce cas il est impossible pour l’acteur d’apprécier
sa propre précision du mouvement avant de l’avoir assimilé( 479). Ainsi, une grande partie du
résultat de la communication des partitions que fait le professeur, dépend à terme( 480) de son
expérience( 481) et de ses compétences( 482).
En tout cas, pour l’élève, seule la participation active de l’«œil expert externe», peut
lui assurer la communication( 483) de l’intégralité des informations «mouvement» des
475 Voir plus haut, «Le mime corporel, pratique marginale» dans notre chapitre: Le répertoire «Decroux»
et la tradition du mime corporel..
476 Comme celles de n’importe quel autre répertoire de mouvement des arts du spectacle.
477 Raison pour laquelle nous appelons les praticiens de mime corporel à s’engager dans l’enseignement.
478 Dès l’apprentissage et jusqu’à la création de spectacles.
479 Ce qui ne l’empêche pas d’utiliser la vidéo, le miroir ou même la projection de son ombre, afin de vérifier
les résultats de ses efforts.
480 Sans oublier la participation active et positive de l’acteur, investissement de sa personne.
481 Dans l’idéal, notre professeur devrait être quelqu’un qui, ayant la maîtrise physique du mime corporel,
s’en sert sur scène et a la mémoire du répertoire «Decroux».
482 S’il a besoin de tout exécuter pour le montrer et démontrer.
483 Au delà des moyens utilisés, cette communication est le premier échelon de l’apprentissage. Selon la for-
mule populaire dédiée aux élèves et en cours dans les écoles:
«Quelqu’un te montre le mouvement, te l’explique.
T’apprends à le connaître, tu le comprends.
Tu fais des exercices pour apprendre à le faire, tu sais comment le faire.
159
partitions du répertoire «Decroux»( 484), qui remplira ses principaux besoins de connaîssance
du mouvement qu’il doit répéter, et de compréhension de ce qui lui est demandé comme
exécution, pour être en mesure d’y engager ses efforts.
• n’est pas, en elle - même, une garantie pour la transmission du mime corporel,
ni pour sa survie en tant que tradition.
Cependant, elle en est une des conditions fondamentales.
Le contenu de leurs partitions nous renseigne avec précision( 488) sur les choix faits
dans leur composition en ce qui concerne: l’utilisation du poids, les parties du corps
impliquées et l’ordre de leur mise en mouvement, ainsi que leur direction dans l’espace, leurs
rapports intercorporels, leur vitesse, leurs rythmes, leurs inter - rythmes, le degré de tension
musculaire ou de relâchement, les pauses, la respiration, le «focus»( 489), et d’autres
informations en rapport aux actions, personnages, charges émotives, intentions, motivations ou
états représentés.
La démonstration - exécution
Montrer et démontrer l’exécution de la partition objet d’étude, est le principal moyen
utilisé pour faire connaître à l’acteur le matériau «mouvement» correspondant. C’est aussi le
moyen de lui faire voir le résultat qu’il peut attendre de sa propre exécution, au bout de
l’apprentissage. Quand le professeur a, à sa disposition, des élèves avancés, ceux - ci font la
démonstration du mouvement à étudier. Dans le cas contraire, c’est le professeur lui - même
qui le fait.
La réussite de la communication visuelle de l’ensemble des informations des partitions,
demande à l’acteur la capacité d’analyse - synthèse - mémorisation en temps réel du
486 Les pièces de répertoire de Decroux (qui, dans notre définition font partie du répertoire «Decroux»), sont
jusqu’aujourd’hui, le sommet artistique du mime corporel. La difficulté de leur exécution et / ou la performance
physique qu’elles requièrent sont des plus hautes, d’où l’intérêt que nous leur portons en tant que matériel péda-
gogique et d’entraînement.
487 Une des plus intéressantes expériences pour l’acteur est d’avoir l’occasion d’étudier, reconstituer et jouer
les pièces de répertoire de Decroux. Indépendamment de leur intérêt spectaculaire de par leur richesse et profon-
deur, la grande difficulté d’exécution qui les caractérise, fait de cette expérience un vrai défi.
488 Voir note N° 484 plus haut.
489 De l’anglais: point focal du regard.
490 Ici, nous parlons des écoles que nous avons fréquentées dans notre formation et notre pratique profession-
nelle.
161
mouvement observé. Capacité rarement présente en début de formation( 491), sauf dans le cas
d’élèves ayant une forte expérience de mouvement.
La manipulation
Parfois, la correction est accompagnée de la manipulation de l’élève, mais il n’y a pas
de règle, car elle dépend de l’individualité de l’élève et de la méthode du professeur. Ce qui est
à signaler ici, c’est que cette manipulation s’accompagne toujours des explications sur la
sensation physique ou la posture à chercher, toutes deux sont aussi des indications de
mouvement.
D’autres indications
L’appel à l’imaginaire n’est, à proprement parler pas un moyen de communication. Il
est un moyen pour provoquer, chez l’élève, certaines attitudes ou impulsions physiques, qui
491 Quand l’acteur n’a pas d’expérience de mouvement, et qu’il n’a pas les compétences nécessaires à
l’analyse - synthèse - mémorisation du mouvement pendant son observation en temps réel, elles sont développées
en même temps que toutes les autres compétences que suppose l’assimilation du mime corporel.
492 Les informations «mouvement» (le contenu des partitions): ce sont les valeurs concrètes relatives aux pa -
ramètres qui caractérisent le mouvement de chaque matériau - objet du répertoire.
162
peuvent correspondre aux actions, charges émotives, intentions, motivations, états, etc.,
représentés.
Toutefois, les indications qui font appel à l’imaginaire sortent du cadre stricte du
mouvement. Des lors, elles se trouvent en dehors de notre étude, même si elles peuvent faire
partie des informations des partitions du répertoire «Decroux».
493 Dans toutes les écoles que nous avons fréquentées, il y avait de temps en temps une séance consacrée à vi-
sionner des documents audiovisuels du répertoire «Decroux». Mais, ces documents n’étaient pas des matériaux
d’étude (du moins pour les élèves), leur fonction était plutôt de montrer «ce que monsieur Decroux avait pu faire
avec le mime corporel».
494 Notamment avec Georges Molnar, qui lui - même fait, de temps en temps, des séances où il montre ce
type de documents.
495 Autant dans leur support (vidéocassettes) que dans leur contenu (l’image), datant des années 60 (approxi-
mativement 30 ans d’écart). Il faut dire que ces documents étaient ceux en possession et usage à l’époque, à
l’Ecole de mime de Montréal, à l’Ecole de Mime Decroux, et à l’Ecole de Mime corporel Dramatique de Paris.
Il faut aussi dire que depuis, le spectacle «L’homme qui voulait rester débout» de la compagnie «Théâtre de
l’ange fou / Cie. S. Wasson et C. Soum» a été filmé pendant ses représentations en 1992 à Philadelphia, États
Unis, et puis la même année à Amsterdam, par le Neederlands Mime Centrum.
496 Celui qui est la cible de notre proposition, vecteur et base de la tradition.
163
Les notes d’étude et aide - mémoire pour
l’entraînement
Évidemment ce n’est pas possible dans la même mesure pour tous les élèves. Cette
capacité dépend principalement de l’expérience du mouvement de chacun, mais surtout, de
l’entraînement personnel fait en dehors des cours, pour la majorité des élèves.
Or, la réalisation de l’entraînement n’est pas possible sans mémoire, sans une
«certaine» mémoire des informations vues et entendues (voire éprouvées) pendant les cours,
lesquelles correspondent aux partitions étudiées. C’est ainsi que, pour combler cette
lacune( 497), pour lutter contre l’oubli de ces informations indispensables à l’entraînement
personnel, l’élève a besoin d’élaborer des notes d’étude et aide - mémoire, où il essayera de
consigner les informations «mouvement» susceptibles de lui permettre la reprise des partitions
qu’il a « apprises» dans les cours.
497 Qui d’ailleurs, n’est peut - être pas générale, car, elle dépend de l’expérience de mouvement de chacun.
498 cf. Mémoire: voir note N° Erreur! Signet non défini. , plus haut
499 Le traitement des informations «mouvement» que demande l’étude de nos partitions comprend, entre au-
164
Pour avoir un aperçu de telles difficultés, faisons d’abord un survol des
correspondances qui peuvent être établies entre les divers aspects et niveaux des partitions,
avec les informations «mouvement» qui en permettront la reprise:
• charges émotives
• états, etc.
• l’utilisation du poids
• les parties du corps impliquées
• la direction dans l’espace et l’amplitude
• les rapports intercorporels
• le degré de tension musculaire ou de relâchement
• la respiration, etc.
Plus difficile à réussir, est la notation des aspects du niveau mouvement des
partitions. Celle - ci devrait idéalement être faite de façon analytique pour permettre d’abord,
l’étude de chacun des composants du niveau mouvement, ensuite l’intégration au mouvement
recomposé (ou la synthèse grâce à la reprise) et enfin la répétition.
La notation du mouvement
L’élaboration des notes du niveau mouvement des partitions étudiées présente à l’élève
les difficultés suivantes qui sont intimement liées:
• l’analyse du mouvement observé en temps réel.
• la notation de ses divers aspects.
Concernant la première de ces difficultés, nous avons vu que si la réussite de la
communication visuelle demande à l’acteur la capacité de faire l’analyse - synthèse -
mémorisation en temps réel du mouvement observé, le même problème s’applique à
l’élaboration des notes d’étude.
C’est - à - dire que l’élève doit réaliser «à la volée», l’analyse du mouvement de la
partition étudiée et la mémorisation des données résultant de cette analyse. Cette activité «en
interne», ne doit pas le déranger pour suivre «à l’externe» le déroulement du cours; ceci
constitue un exercice dont la difficulté s’ajoute à celle de l’exécution physique (ou synthèse)
du mouvement en question.
501 Dans la pratique, ce type de notation est rarement fait et l’élève, en général, le confie à sa mémoire cogni-
tive. Cependant la raison de ce fait n’a pas de rapport avec l’absence d’une méthode de notation adaptée. Celle -
ci est, en général, à la portée de tout un chacun. (Sauf pour les élèves qui ne comprenant pas la langue utilisée
pendant les cours, ce qui peut arriver dans le contexte international et multi - langue des écoles de notre échantil-
lon).
166
Bien que cette faculté d’analyse - synthèse - mémorisation du mouvement en temps réel
soit développée comme toutes les autres compétences que suppose l’assimilation du mime
corporel, le besoin que l’élève a de noter les aspects du niveau mouvement des partitions,
pour soutenir son entraînement, est présent depuis le début de la formation.
Jusqu’à maintenant, les diverses méthodes de notation du mouvement que nous avons
rencontrées dans la pratique, représentent plus ou moins:
dans le domaine du langage verbal,
• la description langagière et / ou les abréviations écrites, ou enregistrées sur des
documents sonores, des contours du mouvement en question. Ces annotations
verbales peuvent inclure les indications et commentaires du professeur.
dans le domaine du langage musical (dans son rapport aux aspects temporaux),
• L’écriture de la partition rythmique de la «chanson» (503)
502 Nous considérons que la MÉMOIRE du répertoire «Decroux» est très précisément cet «accès perma-
nent, aux informations ‘mouvement’ nécessaires à l’étude et la reprise des partitions».
503 La «chanson»: suite sonore onomatopéique «illustrant» les aspects rythmiques et de l'effort du mouv e-
ment en question.
504 Vues de face, latérales, de dos ou orthogonales, détails ou vues d’ensemble.
167
compte des limites des renseignements qu’elles rapportent, en fonction de la diversité des
informations à traiter dont nous avons besoin.
Ainsi, des méthodes utilisées, certaines ne peuvent pas traiter les informations
temporelles du mouvement, par exemple:
• l’utilisation du poids
• les parties du corps impliquées
• la direction dans l’espace et l’amplitude
• les rapports intercorporels
Certes, aucun des procédés cités n’est exclusif, et les descriptions verbales de nos
partitions peuvent être accompagnées de dessins et de partitions rythmiques, ce qui pourrait
représenter le cas le plus «heureux» de notation analytique. A l’exception citée des dynamo -
rythmes, le mélange de ces notes partielles couvrirait l’ensemble des divers composants du
niveau mouvement des partitions.
Un public peut se contenter d’un support médiatique (bande son, CD, film ou vidéo)
pour apprécier aussi bien le son que le mouvement, mais l’élève a besoin d’un matériel d’étude
qui lui permette l’analyse objective et détaillée de l’œuvre aux fins de répétition.
L’analyse de l’œuvre étudiée exige une exécution physique des partitions neutre et
fidèle, lors de l’enregistrement des notes. Or, ces besoins particuliers ne peuvent être
satisfaits par une simple bande sonore ou vidéo qui présente en même temps la partition et
l’interprétation de cette dernière.
Ainsi, nous trouvons pertinentes les remarques suivantes concernant l’utilisation du
film et de la vidéo:
or dans une situation d’apprentissage, l’étude et la reprise des partitions demandent l’analyse
de l’ensemble des aspects du mouvement. Analyse qui, malgré l’existence de tels documents,
doit encore être faite. N’oublions pas que dans l’optique de l’étude du mouvement, la qualité
cinétique des solutions audiovisuelles ne pourra jamais se substituer à l’exécution réelle des
partitions( 510).
sique des partitions à l’étude, mais aussi de prise de vue, etc, contraintes que le prix de l’équipement nécessaire ne
saurait combler.
509 Leur consultation en individuel demande l’utilisation d’un équipement de lecture (magnétoscope - poste
T.V. ou moniteur, et (il serait possible de l’imaginer) dans un proche avenir, d’un ordinateur multimédia avec
lecteur de cédérom et carte graphique) qui n’est pas toujours à la portée de toutes les bourses.
510 La tendance dans la recherche sur les outils audiovisuels et ses documents - supports, est la préservation
de la qualité cinétique qui se rapprocher le plus possible d’une performance «réelle», alors la question n’est
même pas de modifier notre affirmation en disant «actuellement». Dans le contexte des pratiques théâtrales,
aucune technologie n’a pour objectif de remplacer l’acteur.
170
Comme mémoire du mouvement
Au delà de ce qui vient d’être décrit, l’apparente «facilité»( 511) d’élaboration des
documents peut induire des glissements indésirables dans leur utilisation.
Le premier glissement serait de passer de notes d’étude à moyens de communication, à
partir desquels, un nouveau glissement conduirait à le considérer comme moyens de
préservation et enfin comme la mémoire - même du mouvement auquel ils font référence.
Ce qui représente les risques suivants:
I. - pour l’acteur
• la substitution des documents audiovisuels à la communication directe des in-
formations «mouvement» des partitions du répertoire «Decroux», et l’idée
que se procurer de tels documents peut remplacer les cours effectivement sui-
vis.
La préservation et la mémoire
Cette dernière section du quatrième chapitre, cherche à mettre en évidence les liens
d’inter–dépendance des notions de préservation du répertoire «Decroux» et de mémoire du
mime corporel. Il nous importe également, d’établir comment la «tradition» de cette pratique
spectaculaire est dépendante des supports de mémoire utilisés actuellement pour la
préservation du répertoire «Decroux».
• la seule certitude d’une tradition du mime corporel pourrait être apportée par
des acteurs pour qui ce langage est la base du travail artistique, c’est - à - dire,
par des acteurs qui possèdent physiquement le mime corporel, qui sont en
mesure de l’apprendre à d’autres acteurs et qui s’en servent sur scène.
Notre critique estime que, d’une part, cette tradition est improbable sans la pratique
des acteurs formés en mime corporel, et d’autre part, que cette pratique comprend l a
préservation et la transmission du mime corporel.
Autrement dit, la tradition du mime corporel n’est possible que si chaque génération
d’acteurs qui en fait partie:
Plus haut, dans notre texte concernant la tradition du mime corporel, nous avons
expliqué que le rôle idéal de l’école, en tant que manifestation objective, porte d’entrée de
cette tradition et vecteur de l’apprentissage du mime corporel, est d’assurer et d’assumer la
transmission des pratiques.
Cette dernière condition est capitale pour une tradition du mime corporel. Elle seule
justifierait que le mime corporel, patrimoine artistique de Decroux, prenne la dénomination
172
que Benhaim( 514) et de Marinis( 515) lui donnent: l’héritage vivant légué par Étienne
Decroux aux acteurs qui feront le théâtre du futur.
Or, c’est ici que nous abordons un des aspects cruciaux du problème qui nous occupe,
et qui avait été mis en évidence par le nombre limité de professeurs( 516) engagés dans ce rôle
à cause des exigences matérielles d’une telle entreprise.
514 Voir Guy Benhaim: Le mime corporel selon Étienne Decroux, op. cit, page N° 491.
515 «L' héritage vivant du mime corporel et de Decroux pour le théâtre de demain, lequel est aussi - si la
perspective ne semble pas excessive - celui du théâtre du nouveau millénaire».
Marco de Marinis: Mimo e teatro nel Novecento, op. cit, page 299. (Nous avons traduit de l’italien).
516 Ici, nous ne pouvons plus parler d’écoles ou centres de formation, car ceux capables d’assumer cette tâche
ne sont que des individus.
517 Voir la définition de Répertoire «Decroux» dans l’Introduction.
173
• des pièces de répertoire (518), exemples des différentes possibilités dramatur-
giques et des styles de jeu du mime corporel.
Nous pouvons dire que la «définition par le mouvement» de ce matériel, a été possible
grâce à la précision des choix concernant l’utilisation des ressources corporelles, des voies
d’évolution, des interactions corporels( 519), des rapports inter - partenaires, et des relations
avec l’espace scénique.
Cette précision, permet de matérialiser par le mouvement chacun des éléments du
répertoire «Decroux», et c’est ce qui donne un sens fondamental aux termes de préservation,
transmission et apprentissage du mime corporel.
518 Les pièces de répertoire de Decroux (qui, dans notre définition font partie du répertoire «Decroux»), sont
jusqu’aujourd’hui, le sommet artistique du mime corporel. La difficulté de leur exécution et / ou la performance
physique qu’elles requièrent sont des plus hautes, d’où l’intérêt que nous leur portons en tant que matériel péda-
gogique et d’entraînement.
519 Rapports entre les parties du corps, dits aussi: rapports inter - corporels.
174
• l’existence du répertoire «Decroux»( 520) est, et sera toujours, conditionnée
par le degré de précision dont les acteurs sont (et seront) capables dans la
«lecture»( 521) des «textes» de cet ensemble.
C’est pourquoi dans notre étude, quand nous portons notre attention sur la préservation
du mime corporel, nous sommes nécessairement intéressés par la mémoire de l’intégralité( 522)
des informations «mouvement» des partitions du répertoire «Decroux», qui permettrait aux
acteurs en formation, l’assimilation des principes et fondements du mime corporel, par
l’apprentissage et l’entraînement.
520 Et la survie de quelque tradition du mime corporel que ce soit, dans la mesure où nous avons l’intention de
traiter cette tradition comme celle d’une pratique spectaculaire actuelle.
521 La «lecture» en termes de mouvement veut dire: l’exécution ou la performance physique, reprise et i n-
terprétation concomitantes, du «texte» de la partition en question.
522 Ici, nous parlons du degré de précision que nous pouvons attribuer à Decroux, concernant ses choix
d’éléments de mouvement dans ses compositions, et surtout du degré de certitude que nous pouvons avoir de la
préservation de ces choix.
175
Par opposition, parler aujourd’hui d’une tradition vivante du mime corporel,
équivaudrait à dire que dans la pratique, la préservation( 523) et la mémoire de l’objet, le
répertoire «Decroux», sont assurées, ce qui reste à prouver.
523 Il est évident que la mémoire du répertoire «Decroux» dépasse le contexte de l’exclusif processus
d’apprentissage du mime corporel, en considérant la possibilité d’utiliser des pièces de répertoire de Decroux
comme du matériel spectaculaire par leur reconstitution et leur interprétation, non seulement par des acteurs en
formation, mais aussi par d’autres professionnels ayant été préalablement formés au mime corporel.
524 Voir le texte du parragraphe à l’origine de la note N° 521.
176
Arrivé à ce point, notre lecteur sera peut - être surpris d’apprendre de notre part, que
nous trouvons l’œuvre de Decroux et la tradition du mime corporel en état de détresse au point
de risquer la disparition pure et simple par insuffisance de «rappel musculaire»( 525).
Cependant, notre intention n’est pas d’écrire le requiem du mime corporel, mais de
signaler des attitudes que nous considérons comme étant à l’origine d’une situation, dans
laquelle parler de tradition, de préservation et de transmission des principes et fondements du
mime corporel, etc., est un non - sens stérile quand ce discours, ou celui sur l’influence de
l’œuvre d’Etienne Decroux, reste sans référence concrète à la pratique effective( 526) du mime
corporel.
Notre intention n’est pas, non plus, de mettre en cause les quelques acteurs pour qui ce
langage est le fondement du travail artistique, mais de les encourager dans leur pratique, car
justement notre texte les met au centre de la tradition du mime corporel, en signalant qu’il n’y
a pas de mémoire ni de transmission des principes et fondements du mime corporel sans une
l’assimilation physique préalable à la pratique.
N’oublions pas que cette assimilation physique est seulement possible grâce à l’effort
des acteurs pour la reconstitution fidèle des «textes de mouvement» du répertoire
«Decroux».
Enfin, ce qui n’est pas le moins important, l’entraînement est le travail de rappel
musculaire qui fait l’entretien de la mémoire du mime corporel: la préservation.
527 Qu’ils soient culturels ou personnels(exemple : ses «tics» et «manies» ou «habitudes» en mouve-
ment).
528 Voir note N° 394, plus haut.
529 L’accès permanent, aux informations du mouvement, nécessaires à l’étude et la reprise des partitions.
178
Les supports extra–corporels
Pour traiter ces supports de la mémoire du mime corporel, nous voudrions revenir sur
notre exposé concernant le processus d’apprentissage. Nous avons exposé alors les conditions
pratiques qui nous ont montré la nécessité de garder mémoire du répertoire «Decroux»
pendant la phase d’apprentissage.
Notations
En effet, dans ce texte, nous avons indiqué que pour nous souvenir des partitions du
matériau d’étude, il aurait fallu savoir prendre des notes sur les exercices, d’une façon
quelconque, pour revenir plus tard sur ses indications, en attendant que l’entraînement et la
répétition construisent des nouvelles structures neuro - musculaires (l’assimilation), ce qui fait
des notes d’étude «aide - mémoire» personnelles, le premier des supports de mémoire extra -
corporels à la disposition des acteurs en formation.
Évidement, cette considération serait banale si elle ne prenait pas en compte que
l’élaboration de ces notes dépend principalement de:
• l’exécution physique matérialisant le répertoire «Decroux» par des acteurs de
la génération précédante( 530).
• des méthodes d’analyse et de notation du mouvement utilisées.
• des compétences des apprentis - mimes (les acteurs) pour faire l’analyse -
synthèse de mouvement observé en temps réel.
conditions discutées précédemment.
Il y a également d’autres documents, dont les notes et descriptions verbales des anciens
étudiants (celles de tout un chacun), des photos et / ou vidéos diverses de spectacle ou des
cours, des dessins, etc. mais qui sont rarement utilisées comme supports de mémoire des
partitions du répertoire «Decroux», dans un cadre scolaire d’apprentissage professionnel du
mime corporel( 531).
Néanmoins, certains de ces documents sont parfois utilisés en tant que supports extra -
corporels de la mémoire de pièces de répertoire de Decroux. Cette utilisation, à notre avis,
devrait être considérée très attentivement, surtout à cause des contraintes citées plus haut, en ce
qui concerne les documents audio - visuels( 532).
Le film et la vidéo.
Ce genre de documents ont déjà été décrits par nos devanciers, René - Jean Dufour et
Guy Benhaim, quand ils parlent des films ou vidéos produits par Decroux, ou sous sa
Il nuance ensuite:
Pour sa part Benhaim en reconnaissant aux films et vidéos une qualité de supports
iconiques de l’œuvre de Decroux( 535), nous en parle en regrettant que:
« Lorsque nous avons entrepris cette thèse, il était encore possible de louer à
l’Institut National des Sports un film qui reproduisait le spectacle monté à New
York en 1960. Puis des vidéo - cassettes en furent tirées. Mais la vente en a été
arrêtée par une action judiciaire. D’autres films se trouvent en possession du fils
d’Étienne Decroux. Jusqu’à ce jour, par crainte de vols, il n’en autorise pas la
vision. Pour tout support iconique, il ne nous reste donc que la
photographie. » (536).
Pour notre part, sous le titre concernant le processus d’apprentissage du mime corporel,
nous avons fait référence aux films et vidéos que nous avons eu l’occasion de visionner dans
les écoles que nous avons fréquentées, notamment lors de notre participation au spectacle
«l’homme qui voulait rester débout» avec le Théâtre de l’Ange Fou. Nous pouvons citer aussi
les films que Georges Molnar (ancien assistant de Decroux) montre encore aujourd’hui, films
où il exécute de superbes études scolaires.
D’autres films existent sur l’œuvre de Decroux (ou sur des œuvres que lui sont
attribuées). Jean - Claude Bonfanti( 537) dans le générique de son émission télévisée en
hommage à Etienne Decroux, cite les films d’archives suivants: Corinne Soum et Steven
Wasson («l’homme qui voulait rester débout», reconstruction de pièces de répertoire de
Decroux par le Théâtre de l’Ange Fou, 1992), Pierre Richy («La grammaire», exécution de
533 Voir la liste de ses films d'archives sur le mime corporel dans les annexes.
534 René - Jean Dufour, Petite Histoire d'un grand art : Le mime hier et aujourd’hui; Perspective historique,
op. cit.
535 Nous rappelons la condition nécessaire pour les considérer comme des supports de mémoire: ayant servi à
la préservation, ils devront être en mesure de restituer les informations «mouvement» qui leur ont été confiées.
La première et la plus importante limite de ces supports, est leur situation actuelle d’inaccessibilité.
536 Guy Benhaim: Le mime corporel selon Étienne Decroux, op. cit, page 6.
537 Jean - Claude Bonfanti: Pour saluer Etienne Decroux, op. cit,
180
Decroux en 1953), Département de théâtre de l’Université de Baylor, Texas («Corporeal
mime», exécution de Decroux en 1961), Del Danske Filmmuseum («Etienne Decroux in
Amsterdam» conférence - démonstration de Decroux de 1967).
Néanmoins, ces films ou vidéos, sont pour la plupart aujourd’hui introuvables. Des
questions concernant leur qualité ou leur contenu suscitent encore des discussions( 538), et leur
existence est mise en question malgré des rumeurs concernant de nombreuses collections
privées. Leur disponibilité et utilisation réelles en tant que support extra - corporel de mémoire
du répertoire «Decroux» aux fins d’apprentissage du mime corporel, est pratiquement nulle,
non seulement du fait des contraintes liées à leur collecte et consultation, mais aussi à cause de
leur vétusté matérielle( 539).
Nous ne négligeons pas qu’il y a d’autres films sur le mime corporel, ou sur le
répertoire «Decroux». Guy Benhaim, dans sa thèse, en cite un( 540) réalisé par Yves Lebreton,
et la Bibliothèque du Neederlandse Theater Instituut d’Amsterdam a une collection de films de
Will Spoor( 541).
Cependant, de notre passage dans les écoles, nous pouvons dire qu’il n’existe pas
d’archives intégrant tous les films faits par Decroux ou sous sa direction, et que ceux qu’y sont
visionnés, ne sont pas utilisés comme mémoire des partitions du répertoire «Decroux» pour
l’apprentissage du mime corporel, mais pour faire connaître (aux élèves) certains exemples des
possibilités de mouvement, ou de composition et de dramaturgie.
Enfin, ce développement nous ramène à l’affirmation au départ de cette discussion
concernant la contrainte d’inaccessibilité à laquelle est prédisposée l’œuvre de Decroux.
Affirmation que nous avons enrichie en expliquant que d’une part, elle est inaccessible par
manque de rappel musculaire( 542), et d’autre part, par la précarité des supports de mémoire
utilisés comme traces matérielles.
Ce qui nous confirme qu’aujourd’hui, pour la mémoire des compositions du répertoire
«Decroux» essentielle à la tradition du mime corporel, nous devrons compter principalement
sur la possibilité de trouver des acteurs( 543) pour qui ce langage est le fondement du travail
artistique, c’est - à - dire, des acteurs qui possèdent physiquement le mime corporel, qui sont
en mesure de l’apprendre à d’autres acteurs et qui s’en servent sur scène.
538 A ce sujet, voir les commentaires que Guy Benhaim leur consacre.
Guy Benhaim: Le mime corporel selon Étienne Decroux, op. cit, page 136.
539 Le plus récent daterait des années 70. Voir dans les annexes la liste des films sur l’œuvre de Decroux (ou
qui lui est attribuée), publiée dans le catalogue des films sur le théâtre et l’art du Mime. En Octobre 1997, nous
avons pu nous procurer à l’INSEP, une copie vidéo du film du spectacle de Decroux fait en New York en 1960,
les images et la bande son du début sont abîmées du fait des nombreuses manipulations que ce document a subies.
540 Guy Benhaim: Le mime corporel selon Étienne Decroux, op. cit, page 139.
541 Acteur de la compagnie d’Etienne Decroux dans les années 50.
542 Voir: «le rappel musculaire du répertoire ‘Decroux’ et la mémoire du mime corporel, page 175.
543 Voir les conditions d’existence du répertoire «Decroux», page N° 176.
181
Troisième partie
« L’application de la cinétographie Laban
au mime corporel »
« Je fus forcé d’analyser les figures que je proposais aux élèves pour qu’ils
puissent les refaire.
Peu à peu, j’édifiais non seulement une doctrine mais une pédagogie. » (544)
544 Étienne Decroux: «Autobiographie d’Étienne Decroux», Dossier n° 42 « début 1950», page 5. Fonds
Decroux, Bibliothèque de l’Arsenal à Paris.
182
Cette partie sera fondée sur notre étude concernant la pertinence des méthodes Laban
en tant qu'outils d’étude appliqués au mime corporel, et sur les possibilités que cette
application ouvre pour la communication, la mémorisation et la préservation des informations
«mouvement» du répertoire «Decroux».
183
Cet examen sera fondé sur l’analogie: «répertoire - partition», et sur les rapports:
«répertoire - processus d’apprentissage» présentés plus haut, dans les troisième et quatrième
chapitres.
Avant de commencer, il sera utile de rappeler d’une part, certains des concepts
fondamentaux concernant la définition du mime corporel et du répertoire «Decroux» comme
«objets» dans le cadre de cette étude, et d’autre part, quelques observations issues de cette
dénomination.
Tout d’abord, revenons sur la mise en garde que nous avons exprimée dans le troisième
chapitre, concernant la distance existant entre la pratique et le discours( 548) du mime corporel.
Conscient que toute étude sur les pratiques, spectaculaires ou non, implique des risques
inhérents à la confrontation entre les faits d’une part, et d’autre part les outils théoriques
utilisés ainsi que les discours périphériques produits, nous avons exprimé l’intention de garder
notre approche physique du sujet afin de rester en dehors du «discours sur le discours du
mime corporel».
Le premier des risques induits par la confrontation entre discours et pratique est de
donner au premier un crédit prioritaire qui méprise la distance qui sépare, au mieux le discours
du pratiquant, au pire celui du théoricien, des faits. Dans notre cas, ce risque se traduirait dans
le scepticisme qui refuserait de voir la difficulté majeure (549) de cette thèse, qui consiste dans
les limites auxquelles se voit confronté le langage verbal quand il est utilisé comme moyen
pour «objectiver» le mouvement en général, et le mime corporel et le répertoire «Decroux»,
en particulier.
Ces limites prennent toute leur signification dans les conditions de notre étude car, les
éléments qui font référence au répertoire «Decroux», n’ont pas d’existence «objective» autre
que leur énonciation( 550). Celle - ci par ailleurs, n’est pas en mesure d’évoquer, pour la plupart
des lecteurs, une quelconque expérience ou un référent. Ainsi, le secours que le langage verbal
184
nous prête dans notre exposé, se trouve cette fois - ci, limité par la nature de l’objet en
question. En effet, notre «objet» est défini a priori comme du mouvement.
Enfin, en plus de la distance entre l’énoncé et l’objet que le discours est incapable de
franchir, nous avons un double inconvénient supplémentaire induit par la nature même de cet
objet:
Cette somme de difficultés réclame une vigilance particulière. C’est la raison pour
laquelle, bien que veillant à la clarté tout au long de notre exposé, nous avons fait appel à la
bienveillance du lecteur.
Pour finir, et concernant plus précisément notre «objet» d’étude, il nous semble
nécessaire de rappeler au sujet du matériau répertoire «Decroux» , que:
3 Cette définition nous permet de désigner les «partitions» (ou les «textes»)
des développements et compositions d’Étienne Decroux( 552) comme l’objet
dont il est question dans cette étude.
551 Information «mouvement» : ce sont les valeurs concrètes relatives aux paramètres qui caractérisent le
mouvement de chaque matériau - objet analysé.
552 Les pièces de répertoire (crées pour leur représentation sur scène) de Decroux, les figures dramatiques, les
enchaînements et exercices d’entraînement, exemples concrets des divers aspects et niveaux du mime corporel.
185
5 Ces informations sont les indications «mouvement» composées et
assemblées en «texte» par Decroux. Elles sont utilisées comme du matériau
«mouvement» dans le processus d’apprentissage du mime corporel.
6 Les partitions sont les «textes» fondamentaux qui guident l’acteur dans
l’étude du mime corporel.
A partir de ces points, les objectifs du projet Laban - Decroux ont été précisés. Ils sont
dorénavant, en ce qui concerne les domaines de:
l’apprentissage: la communication et la mémorisation des partitions du répertoire
«Decroux»
l’entraînement( 553): l’élaboration de notes d’étude et aide - mémoire à partir de
ces partitions
la préservation: la mémoire (ou la conservation, la restitution et l’accès de / aux
informations) des «textes» de ces partitions
Ainsi, pour remplir les objectifs assignés dans la méthodologie de notre bilan, cette
troisième partie devra répondre aux questions suivantes en ce qui concerne:
• la communication des partitions du répertoire «Decroux»pour
l’apprentissage du mime corporel: quels sont les moyens complémentaires de
communication proposés?
• l’élaboration des notes d’étude pour l’entraînement, à partir des partitions du
répertoire «Decroux»: quelles sont les méthodes d’analyse de notation pro-
posées?
553 Après notre exposé sur l’apprentissage et la préservation, nous considérons l’entraînement comme le seul
moyen de rester en possession physique du langage du mime corporel donc, le projet Laban - Decroux doit
l’intégrer comme un élargissement logique du terrain d’application des méthodes Laban d’analyse et notation de
mouvement.
186
Les derniers rappels, et non les moins importants, concernent certaines notions que
nous considérons comme fondamentales pour des études sur le mime corporel, entre autres:
des caractéristiques particulières du répertoire «Decroux» et des remarques à propos du
processus d’apprentissage.
554 Assimilation qui pour nous signifie à terme: «d ’être vrai, intelligible, émouvant...» sur scène.
555 Nous avons signalé dans notre chapitre précédent, que d’autres exemples plus «contemporains» ou au
goût du jour, peuvent être développés et enrichir a leur tour le répertoire du mime corporel. La seule condition
serait que, dans leur définition en mouvement, ils soient fondés sur les principes et fondements du mime corporel
et les développements d’Etienne Decroux (Sa grammaire de mouvement, son vocabulaire, son langage dramati-
que, les styles de jeu et sa dramaturgie), en déterminant clairement leur précision.
Les nouveaux répertoires du mime corporel, à côte de celui que nous appelons le répertoire «Decroux», ne
sont pas encore significatifs, compte tenu des possibilités artistiques du mime corporel qu’ils ouvrent ou qu’ils
couvrent.
556 Etienne Decroux: Dossier n° 57 «Mai 1953», pages 12, 18 et 19, Fonds Decroux, op. cit. (Nous avons
souligné en cratères gras).
187
Cet état qui représente la capacité de jouer corporellement, nous pouvons l’assimiler à
la sensibilité d’ordre mixte (psychophysique et dramatico - esthétique) qui, en situation de
représentation, se présente à l’acteur comme un « état de vigilance plus large qui permet de
dépasser l’exécution physique, en se débarrassant du souci de performance et de mémoire, et
en se relâchant suffisamment pour intégrer le choix du moment et du degré pour l’application
de l’énergie musculaire».
Cependant, si nous disons que: « jouer corporellement est possible, quand nous
pouvons retrouver cette sensation», c’est parce que cette dernière n’est pas permanente, elle
dépend de l’entraînement( 559) et de la répétition au quotidien.
Ainsi, et ce qui est le plus important, arriver à cette sensation est ce à quoi servent
partitions, répertoire, mémoire, compétences, apprentissage, étude, et entraînement. C’est aussi
la raison pour laquelle la «technique» n’est jamais acquise, car, ce n’est que l’entraînement
quotidien qui peut, au jour le jour, ouvrir la porte de cette sensation fruit de l’assimilation
physique des fondements du mime corporel, et dont la précision du répertoire est la clé.
557 Etienne Decroux: Conférence à son école, 16 / 01 / 81. Enregistrement sonore, document d’archives pri-
vées.
558 Ce travail ne cherche pas à atteindre la fatigue. Cette dernière ne garantit pas le résultat même si elle est
indispensable.
559 Et dans l’entraînement, du degré de fidélité recherchée dans la performance et l’exécution de ses indica-
tions, en contrepartie de leur précision. Cette correspondance est la porte a l’assimilation et à la maîtrise du mime
corporel comme langage physique de l’acteur.
560 Les Styles de jeu du mime corporel sont: L’homme de sport, l’homme de salon, la statuaire mobile et
l’homme de songe. Leur définition physico - dramatique a été développée plus haut sous le titre «Le mime corpo-
rel, un langage physique pour l’acteur».
188
Nous devons dire que si l’analyse du mouvement révèle concrètement le fameux
«esprit géométrique» et en permet la compréhension comme support structurel des
«principes» du mime corporel, notre expérience nous a permis de voir que cette
compréhension reste stérile sans la matérialisation corporelle des fondements biologiques de
l’action dramatique: le jeu (comédie) musculaire et la manipulation dramatique (extra -
quotidienne) du poids et de la colonne vertébrale.
189
chapitre 5.
Nous avons utilisé à plusieurs reprises la notion d’objet d’étude appliquée au mime
corporel et au répertoire «Decroux». Une brève description des études possibles concernant
cet «objet» nous permettra d’écarter le risque de confusion auquel prête cette dénomination.
190
Nous considérons que la thèse de Guy Benhaim( 563), Le mime corporel selon Étienne
Decroux, en est un bon exemple.
Matérialité de l’objet
Nous avons défini l’objet répertoire « Decroux», comme l’ensemble des compositions
de mouvement de Decroux. Il contient concrètement:
563 Voir: Guy Benhaim: Le mime corporel selon Étienne Decroux, op. cit.
564 Fondement biologique du mime corporel.
565 Les pièces de répertoire de Decroux (qui, dans notre définition font partie du répertoire «Decroux»), sont
jusqu’à aujourd’hui, le sommet artistique du mime corporel, et la difficulté de leur exécution ou performance
physique est des plus hautes, d’où l’intérêt que nous leur portons en tant que matériel pédagogique et
d’entraînement.
566 Une des plus intéressantes expériences pour l’acteur en formation est d’avoir l’occasion d’étudier, recons-
tituer et jouer les pièces de répertoire de Decroux. Indépendamment de leur intérêt spectaculaire de par leur ri-
chesse et profondeur, leur grande difficulté d’exécution fait de leur reprise un vrai défi.
191
« L’acquisition d’une compétence et son exécution sont des conditions
importantes de la production du mouvement qui demandent notre
compréhension ».
Notre proposition de notation du mime corporel est née de ces dernières réflexions et de
notre expérience dans la pratique. L’objectif de l’application de l’analyse et de la notation du
mouvement au processus d’apprentissage du mime corporel et à la préservation du répertoire
«Decroux» est de satisfaire:
567 J. R. Higgins.: Human Movement: an integrated approach, The C. V. Mosby Company. Saint Louis,
1977. «Introduction», page viii. (Les textes de cet auteur, cités ici et ceux qui suivent, nous les avons traduits de
l’anglais).
568 Moore & Yamamoto: Beyond Words, Movement Observation and Analysis, Ed. Gordon and Breach
Science Publishers S. A., New York, 1988. page 99. (Les textes de ces auteurs, cités ici et ceux qui suivent, nous
les avons traduits de l’anglais).
569 Le terme de «compétence», dans son acception linguistique, nous paraît le moins impropre pour traduire
l'anglais «skill», défini par les dictionnaires comme «the ability to utilize one's knowledge effectively and rea-
dily».
570 J. R. Higgins: Human Movement: an integrated approach, op. cit, page 119.
192
• dans l’étude, le besoin de compréhension de notre matériau «mouvement»
(besoin qui implique le recours à l’analyse).
• dans l’entraînement, le besoin de stabilisation de la mémoire( 571) de notre
matériau «mouvement» (besoin qui implique le recours à la notation).
Par ailleurs, nous considérons que le défaut d’une méthode d’analyse et de notation du
mouvement qui satisferait ces besoins, constitue pour la plupart des élèves, un obstacle concret
à l’assimilation des partitions, et limite en même temps la réussite de la communication du
répertoire «Decroux» pour l’apprentissage du mime corporel.
571 Danièle Dubois définit la notation comme: la stabilisation des constructions cognitives individuelles, et
partagées postérieurement à leur notation.
Danielle Dubois: Conférence du 21 mars 1997 à Lyon, dans le cadre du Colloque «Musique & Notations»
des Rencontres Musicales Pluridisciplinaires / Festival Musiques en Scène 1997 - Lyon, organisé par la Direction
de la Musique et de la Danse du Ministère de la Culture et Grame.
572 Paramètres: dimensions objectives qui nous permettent de présenter de façon la plus simple et complète
l'ensemble des caractéristiques d'un mouvement donné.
573 Nous utilisons cette condition de façon arbitraire pour déterminer la nature de l’étude de mouvement qui
nous intéresse.
193
les rapports entre l’œuvre analysée (et à noter), l’exécutant et l’interprétation, nous serons
confrontés à des antagonismes probables, dont:
• L’intention dramatique de l’auteur - versus - l’interprétation( 574).
574 Interprétation en mouvement dont il convient de souligner qu’elle est soutenue par des notions culturelles
propres à l’exécutant.
575 Voir les titres: «Le mime corporel, pratique marginale» et «L’élaboration des notes d’étude», plus haut.
194
L’analyse du mouvement
Définition
L’analyse est, par définition, la décomposition d’un tout en parties ou éléments
constituants. Elle n’est qu’un outil de connaissance, d’étude et d’apprentissage, car elle peut
fournir les informations sur les composants d’un tout, comme sur ce «tout» lui - même. Les
informations révélées par l’analyse sont le matériau qui permettra a posteriori, l’étude
nécessaire à l’apprentissage.
Quand il s’agit d’apprentissage du mouvement, dont le contexte a été défini plus haut,
et dont la discipline est le mime corporel, les informations produites par l’analyse doivent
correspondre nécessairement à celles qui permettraient l’accomplissement du processus
d’apprentissage visé.
Justification
L’apprentissage du mouvement, ou l’entraînement, impose deux directions à nos efforts
et à notre attention. La première, est l’analyse qui nous permettra de savoir ce que nous faisons.
La seconde, est la reprise et la répétition des informations dégagées de l’analyse, pour arriver à
faire ce que nous voulons.
Moshe Feldenkrais explique les liens entre ces deux directions, en disant que:
« Si nous ne savons pas ce que nous faisons, nous ne pouvons pas faire ce que
nous voulons » (576)
« …Ce que j’entends par technique, c’est la faculté de faire ce qu’on veut ; et
pour le moins, ce qu’on croit faire » (577).
A partir de ces deux déclarations nous pouvons déduire que l’analyse est une condition
inséparable de l’assimilation et de la maîtrise. Dans le cas du mime corporel, ou de tout autre
langage de mouvement corporel, l’apprentissage passe donc par l’analyse du mouvement dont
il est fait. En parlant des arts du mouvement corporel, qui dit assimilation et maîtrise, dit
analyse et étude.
576 Moshe Feldenkrais: cité par Françoise Figuière: «Méthode Feldenkrais», Danse et Enseignement, Télex
Danse N° 34. Février 1991, page 7
577 Étienne Decroux: «Ce que l'école ne peut donner», op. cit.
195
La recherche de la méthode.
Dans la pratique, les besoins d’analyse et de notation du mouvement pour
l’apprentissage du mime corporel et pour la préservation du répertoire «Decroux», nous ont
motivé à rechercher des procédés idoines.
Or, dans le domaine des études de mouvement, les diverses méthodes d’analyse et de
notation offrent une grande variété d’applications, pour des types différents de mouvement, des
approches, des niveaux d’application, et des objectifs aussi variés et spécifiques que les études
de mouvement qui y font appel. Dans ce vaste domaine de possibilités, la recherche des
méthodes adéquates d’analyse du mouvement, devait être délimitée autant que possible. Il
fallait donc, circonscrire notre recherche au type d’étude de mouvement qui nous concerne.
La spécificité de notre étude de mouvement est qu’elle doit concourir à la
compréhension et à la mémorisation du répertoire «Decroux», dans le cadre de
l’apprentissage du mime corporel. C’est - à - dire, que l’application des méthodes choisies
d’analyse et de notation du mouvement, doivent faciliter aux acteurs:
578 Information de mouvement: ce sont les valeurs concrètes relatives aux paramètres qui caractérisent cha-
que mouvement ou exercice. L'obtention de cette «information» est l'objectif principal de l'analyse du mouve-
ment, selon la définition donnée plus haut.
579 Voir la définition de mémoire que nous avons donnée plus haut: l’accès permanent, la préservation et la
restitution de / aux informations du mouvement des partitions du répertoire «Decroux».
196
de recherche, déterminent chacune des approches spécifiques, mais finalement, le critère qui
décide du niveau d’application de l’analyse, est défini par les objectifs propres à chaque étude
de mouvement et, concrètement, par les informations «mouvement» recherchées.
Le mouvement humain
Le mouvement est défini par les sciences physiques comme le changement de position
d’un corps dans l’espace, en fonction du temps. Les études que la Mécanique fait sur les
phénomènes du mouvement cherchent à découvrir les principes et les lois qui les gouvernent,
pour les appliquer pratiquement à la solution des problèmes auxquels l’homme est confronté
dans ses efforts pour dominer la matière.
Bien que cette science ait fourni les moyens théoriques pour une application à tout type
de matière en vue de solution d’une grande partie des problèmes que cette dernière peut
présenter, il reste cependant une matière qui a résisté à l’application systématique. Cette
matière est l’un des mécanismes les plus complexes de la nature: le corps humain.
En tant qu’organisme formé de multiples systèmes coexistants et synergiques, le corps
humain - que nous ne pouvons étudier sans prendre en considération l’individu -, présente des
problèmes particuliers que l’application des lois de la Mécanique, ne peut résoudre à elle seule.
La «matière» du corps humain n’est pas soumise uniquement aux forces de la
pesanteur, de la masse et de l’inertie. Tout en répondant aux lois fondamentales de la
Physique( 580), elle est aussi soumise à d’autres forces d’origines différentes.
Or, l’étude du mouvement humain doit prendre ceci en considération, car, c’est un
phénomène complexe et multidimensionnel qui est tour à tour:
Première et dernière manifestation de vie,
197
Langage universel, expression culturelle et code personnel,
Moyen d’expression et expression,
Message et symbole,
Contenant et contenu,
Art, création et technique artistique.
C’est par le mouvement que, de l’infiniment petit à l’immensément grand, la vie se
manifeste en nous et dans l’univers.
582 More & Yamamoto: Beyond Words, op. cit, page 129.
583 J. R. Higgins: Human Movement: an integrated approach, op. cit, page 9 (Nous avons traduit de
l’anglais).
198
Les approches proposées par chacune des disciplines diffèrent selon leurs objectifs, et
le traitement de chacun des aspects des phénomènes de mouvement, fait l’objet de protocoles
de recherche et d’analyse particuliers hautement spécialisés.
Faire un historique des études sur le mouvement serait une longue entreprise: il
faudrait exposer pour chacune des approches: les origines, les objectifs, les niveaux du
mouvement envisagés comme cadre d’application de l’analyse, les outils développés, les
chercheurs qui s’y sont employés, les disciplines qui s’en servent, etc. Une typologie sommaire
distinguerait trois attitudes différentes.
Il y a ceux pour qui les aspects matériels des phénomènes de mouvement sont l’objet
d’étude en eux - mêmes, c’est sur le mouvement (mécanique, anatomique, physiologique et
fonctionnel) que portent leurs recherches.
Il y a ceux qui dirigent leurs recherches sur d’autres aspects, afin de trouver les forces à
l’origine du mouvement (les motivations fonctionnelles, pathologiques, psychologiques,
comportementales, sociales et culturelles, etc.) ou ses interprétations philosophiques et
esthétiques aux niveaux de la communication et de l’expression, etc. Leur principal objet
d’étude n’est pas le mouvement proprement dit.
Et il y a ceux qui dans le mouvement ont vu une manifestation intégrale de l’homme,
corps, âme et esprit. Les études qu’ils font cherchent à comprendre le mouvement dans toutes
ses dimensions sans les dissocier. C’est ce que nous pouvons appeler une approche
holistique( 584).
A défaut donc d’un historique complet, nous nous contenterons de présenter un tour
d’horizon (même partiel), qui puisse montrer les axes principaux de la recherche en matière de
mouvement, et la façon dont est née l’approche holistique qui est à la base des théories de
mouvement de Rudolf Laban.
L’approche médicale
Nous avons par exemple, en ce qui concerne les sciences de la vie, des approches
médicale et thérapeutique qui cherchaient à comprendre le fonctionnement normal du corps
humain en mouvement. Depuis Hippocrate et Galien, en passant par l’anatomie fonctionnelle -
aussi appelée «anatomie du mouvement» ou «anatomie pour le mouvement» -, et jusqu’aux
584 Cette typologie ne prétend pas à être exhaustive: nous pourrions ajouter par exemple «les idéologies»
scientistes et non - scientistes qui en matière de mouvement sont aujourd'hui largement diffusées dans les milieux
académiques et le grand public.
199
recherches toutes récentes de la neurobiologie, où les aspects comportementaux du mouvement
jouent un rôle aussi important que les aspects fonctionnels en tant qu’objet d’étude.
La biomécanique et la kinésiologie
Une approche similaire s’est dégagée de la recherche purement médicale, axée sur le
fonctionnement normal ou pathologique, et c’est celle de la biomécanique ou kinésiologie, où
l’analyse du mouvement…
Cette double approche mécanique et fonctionnelle( 586) des études sur le mouvement a
été développée dans la perspective d’une application concrète dans le domaine du sport, aux
niveaux de l’entraînement, de la prévention des blessures et des accidents, et pour la
rééducation. Elle a été récemment un des fondements sur lequel des artistes de la scène ont
développé des applications adaptées à leur formation( 587).
La conception industrielle et le développement de machines et outils plus adaptés aux
dimensions humaines du mouvement, l’application des possibilités du mouvement humain en
conjonction avec les techniques de production industrielle, la formation des travailleurs aux
tâches productives (ergonomie)( 588), aussi bien que la fabrication des appareils médicaux
(prothèse et orthopédie) en ont profité d’une façon similaire.
200
proposées par Wilheim Reich, Mathias Alexander et Alexander Lowen (Bioénergétique) dans
le domaine comportemental.
Le mode d’approche «moteur» (ou neuromusculaire) du comportement, assimilé
parfois aux approches psychologiques quoique différent de ces dernières, a des applications qui
sont aussi «thérapeutiques»: elles cherchent à rendre à l’individu l’usage «normal» de ses
capacités motrices, et à résoudre par ce biais divers problèmes liés au comportement. Nous
pouvons citer dans ce cas Moshe Feldenkrais qui a développé une méthode qu’il appelle
«Prise de Conscience par le mouvement»( 589) et Irmgard Bartenieff qui a développé une
application particulière des théories de mouvement de Rudolf Laban, qu’elle a appelée
«Bartenieff Fundamentals ™»( 590).
C’est finalement dans cette approche mais en ajoutant une dimension qui inclut l’appel
à l’imaginaire, qu’ont été développées des applications telles que le «Rolfing»,
«l’Idéokinesis», le «Gestalt», etc.( 591)
Les approches développées par la Psychologie (comportementale, non
neuromusculaire), la Sociologie, la Philosophie, l’Esthétique, et même par les recherches
portant sur ce qu’on appelle «Communication non - verbale» ont une différence intrinsèque
qu’il est important de ne pas perdre de vue
En effet, ces diverses approches donnent au mouvement sous son aspect de «processus
par lequel s’opèrent les changements»( 592), une place secondaire elles se concentrent
principalement sur certaines facettes du phénomène. Suivant des perspectives qui leur sont
propres, elles cherchent des significations( 593) et des motivations profondes, émotionnelles,
psychologiques, sociales et culturelles.
Il existe encore d’autres approches possibles dans le cadre des études sur le mouvement
portant sur des aspects divers du phénomène, elles sont souvent différentes, parfois
radicalement opposées; elles ont développé leurs propres méthodes et applications d’analyse.
Citons par exemple les approches développées par les naturalistes: celle de Darwin,
portant sur les aspects gestuels et expressifs du phénomène,( 594) et celle de Marey,
fonctionnelle, celles de l’Anthropologie et de l’Ethnologie, que représentent Marcel Mauss
589 Moshe Feldenkrais: Awareness Trough Movement, Ed. Harper & Row Publishers, New York, 1979 (Nous
avons traduit de l’anglais).
590 Irmgard Bartenieff, avec Dori Lewis: Body movement, Coping with the environment, Ed. Gordon and
Breach Science Publishers, New York, 1980, réimpression 1990. (Nous avons traduit de l’anglais).
591 Bob Fleshman, Ed: Theatrical Movement: a bibliographical anthology, Methuen, (N. J. ), Scarecrow
Press, 1986, page 33 et ss. (Nous avons traduit de l’anglais).
592 Aspect du phénomène du mouvement qui correspond le mieux à la définition d'un processus d'apprentis-
sage, et qui s'approche le plus aux objectifs de notre étude.
593 Paul Buissac: La Mesure des gestes: prolégomènes à une sémiologie gestuelle. La Haye, Mouton. 1973.
594 Charles Darwin: L’expression des émotions chez l’homme et les animaux, C. Reinwald, Paris, 1890.
201
avec ses propositions de définition d’une classification des «Techniques du corps», et Marcel
Jousse avec ses travaux sur «l’Anthropologie du Geste»( 595), et finalement l’approche
personnelle de Le Boulch( 596), et qu’il appelle «psychocinétique».
Il nous semble que les approches présentées par les diverses disciplines, sciences et
domaines de recherche, portent sur des aspects du phénomène de mouvement qui s’éloignent
des objectifs de notre étude, c’est pourquoi, nous avons fait une séparation arbitraire qui nous
permet d’exposer maintenant les approches portant sur des aspects plus proches de nos intérêts.
L’art et le mouvement
Dans les paragraphes précédents, nous n’avons pas fait mention des recherches
réalisées sur le mouvement, dans le cadre des arts, avec l’intention de les présenter ici d’une
façon plus précise. Dans ce domaine, un des pionniers de la recherche sur le mouvement fut
Léonard de Vinci. Tout comme lui, d’autres artistes ont cherché à comprendre le mouvement
humain par des observations qui devaient leur permettre de rendre à leurs oeuvres la force et
«l’expressivité» du vivant; selon Belluge,
595 Voir les références de l'article de Mauss: «Techniques du corps», et du livre Anthropologie du Geste de
Jousse dans la bibliographie.
596 Jean Le Boulch,: Vers une science du Mouvement Humain (introduction à la psychocinétique), Encyclo-
pédie Moderne d’Éducation, Les Éditions E S F. Paris, 1971.
597 Paul Belluge: À propos d'art, de forme et de mouvement, Ed. Librairie Maloine s. a. Paris, 1963.
«L'imitation et le rêve chez Rodin». pages 107 - 108.
598 Notons ici que nous n'avons pas l'intention de minimiser l'importance que Vinci portait aux aspects anato-
miques, fonctionnels et autres. Nombre d'exemples laissés par le maître témoignent de l'intérêt qu'il leur portait.
599 Paul Belluge: op. cit, «L'anatomie et l'art chez Léonard de Vinci». pages 88 - 106
202
ils vu dans l’application de l’analyse et de l’observation du mouvement, certains des procédés
normaux de leur démarche.
« On ne saurait assez insister sur le fait que Delsarte a consacré sa vie entière
à la découverte de la vérité éternelle de la nature de l’homme, et de son expression à
travers les gestes et la parole.
600 Ted Shawn: Every Little Movement (A Book About François Delsarte), réédition revue et élargie de la se-
conde édition. Dance Horizons Inc. New York, 1963, page 26. (Les textes de cet auteur, cités ici et ceux qui sui-
vent, nous les avons traduits de l’anglais).
203
Néanmoins, de nos jours, dans le monde occidental, il est certain que nous
devons admettre qu’avant Delsarte, personne n’avait réussi une formulation si
complète des principes et des lois qui gouvernent l’utilisation du corps humain
comme un instrument d’expression ».
Ainsi, à partir d’études sur le mouvement, dont l’objectif était la recherche des
principes cités, Delsarte abouti à des conclusions sous la forme de Lois d’apparence plus
ésotérique qu’objective, lois qui règlent l’utilisation artistique du corps en mouvement.
Delsarte a été à l’origine d’un mouvement important aux États Unis. Il semble qu’il
jouisse en France d’un intérêt nouveau. Pour certains il a été le fondateur de ce qu’on nomme
aujourd’hui «la Science du Mouvement», par les objectifs, les méthodes, et les applications
qu’il propose.
Giraudet, qui en 1895 publia son livre: Mimique, Physionomie et Gestes; Méthode
Pratique du Système de François Del Sarte (sic. )( 601) dit à propos de Delsarte:
…Pendant les soixante années qui sont passées depuis que Delsarte a
commencé ses enseignements, ses lois ont été confirmées et approuvées par les
écrits et les découvertes des plus importants scientifiques de nos jours, Darwin et
Montegazza entre autres… »
En 1853, Balzac publia sa Théorie de la Démarche (602), sujet sur lequel il considère
être le premier à travailler,
« Dans l’état actuel des connaissances humaines, cette théorie est, à mon
avis, la science la plus neuve (…). Elle est quasi vierge… » (603)
Hélas ! (…) personne (…) n’a voulu penser aux lois du mouvement
appliquées à l’homme ».
601 A. Giraudet: Mimique, physionomie des gestes, Librairie Imprimerie Réunie, Paris, 1895
602 Honoré de Balzac: Théorie de la démarche, Eugène Didier, Paris, 1853
603 Ibidem, page 259 et ss.
204
« Pour moi, dès lors, le MOUVEMENT comprit la Pensée, l’action la plus
pure de l’être humain ; le Verbe, traduction de ses pensées ; puis la Démarche et le
Geste, accomplissement plus ou moins passionné du Verbe. (…)
Plus proche de nous, Rudolf Laban, qui dans son enfance avait étudié, puis abandonné,
insatisfait, la danse classique, avait eu l’occasion, lors de voyages en Aise avec son père, de
voir des exemples des danses d’extase et des danses religieuses (exécutées en réponse à un
besoin interne et non pour un public). Ces expériences l’avaient convaincu de l’existence d’une
danse autre, désirable et valable en soi. Après son retour en Europe, il devint l’élève d’un des
disciples français de Delsarte, auprès de qui il étudia un certain temps.
De l’étude de la science de Delsarte, Laban reprit les principes; en les appliquant à la
danse et au mouvement, il a établi les bases de la Danse Moderne Allemande et développé ses
théories du mouvement, avec une approche particulière, des méthodes, des outils d’analyse, et
des applications diverses. Nous présenterons plus loin une brève biographie, les théories sur le
mouvement et les développements de Rudolf Laban.
Il reste de cette exploration des études sur le mouvement, à présenter les niveaux
d’analyse, les diverses méthodes, les outils, les problèmes d’application rencontrés et les
solutions proposées.
Cette présentation sera accompagnée de sa critique simultanée, ce qui permettra d’une
part, une première sélection des niveaux d’application de l’analyse du mouvement représentant
un intérêt particulier pour notre étude, et d’autre part, l’établissement des liens nécessaires avec
l’approche particulière qui supporte notre proposition, cela afin de réduire les risques de
confusion dus à la multitude de directions prises par les études sur le mouvement.
205
La clarté de son exposé est remarquable, ainsi que son objectivité dans un domaine qui,
au niveau de la pratique, reste la plupart du temps flou dans ses définitions. Nous en ferons la
critique qui nous permettra, par élimination, de dégager les niveaux correspondant à nos
objectifs.
« Au début, nous avons établi d’une façon arbitraire l’existence de deux
modes d’approche, qui comportent chacun deux niveaux d’analyse. Ceci a été fait
pour clarifier l’approche analytique et pour mettre en évidence la pertinence de la
dichotomie donnée par la peau (604).
Il est évident que dans le cadre de notre proposition, l’intérêt portera sur le premier
mode ou mode comportemental. Car ce que nous voulons analyser, ce sont des événements qui
se produisent «à l’extérieur de la peau». Mais continuons avec Higgins pour voir ce qu’il nous
propose comme niveaux d’analyse dans les divers modes.
206
Il nous semble que le niveau comportement de l’analyse est plutôt celui qui correspond
à l’observation et à la qualification des résultats du passage par un processus d’apprentissage
ou d’entraînement pour l’acquisition d’une compétence donnée, en relation avec un patron
établi ou avec un comportement idéal. Ce niveau d’analyse correspond à une application
pédagogique de l’analyse du mouvement par les professeurs, afin d’évaluer les performances
des élèves; il ne correspond donc pas à une application dite d’étude pour l’apprentissage du
mouvement.
Higgins, ne fait pas d’autre commentaire sur ce dernier facteur et suggère qu’on fasse
davantage intervenir la biomécanique et l’analyse de mouvement dans le domaine de la
communication non - verbale.
Pour nous, le plus important est de voir que le niveau de «mouvement» du mode
comportemental est celui qui peut nous intéresser, dans notre perspective d’application de
l’analyse du mouvement à l’apprentissage d’une technique artistique de mouvement corporel,
si nous considérons que:
606 L'utilisation du terme français «patron», traduction du terme anglais «pattern», nous paraît acceptable
dans sa connotation de modèle ou configuration reconnaissable. Il sera désormais utilisé dans ce sens.
207
pas de mesures, ce niveau représente une analyse subjective - descriptive des
éléments essentiels qui composent le mouvement ».
Le niveau musculaire de l’analyse désigne les « réponses qui ont lieu dans les
éléments contractiles du système », c’est - à - dire : les muscles.
Ce mode d’analyse, dépasse les intentions d’une application dans le cadre d’un
processus d’apprentissage; notre attention a été ainsi portée vers le mode comportemental de
l’analyse, et principalement vers le niveau «mouvement» de ce mode. Une fois défini le
niveau d’application de l’analyse correspondant à nos objectifs, la question reste de choisir une
méthode adéquate.
607 Dans ce cas, notre traduction du terme «skill» est appliquée dans un autre contexte.
208
Les outils et les méthodes
Le choix de la catégorie générale de la méthode dépend de la nature des questions
posées, des objectifs de l’analyse et des informations «mouvement» recherchées.
608 Ici, nous parlons du mouvement observable et reproductible, qui dans le cadre de l'apprentissage est le
matériau - objet.
609 Des mesures des divers paramètres du mouvement: déplacement, vitesse, accélération, contraction mus-
culaire, et d'autres paramètres semblables.
209
Cependant, quand le système utilisé a une base théorique solide et est construit de façon
simple pour l’observation et la description du mouvement, son utilisation fondée sur
l’expérience personnelle et la connaissance du chercheur en relation à la compétence étudiée,
peut réduire la subjectivité de la méthode d’une façon significative.
L’observation et la description du mouvement sont des outils pratiques d’une grande
valeur parce qu’elles:
1. relèvent la séquence des événements de mouvement.
2. identifient, donc dirigent notre attention sur les aspects les plus significatifs
d’une compétence particulière ou d’une séquence de mouvement.
3. systématisent la pensée sur le rapport entre la compétence du mouvement et
la performance ou l’exécution.
4. identifient les éléments de mouvement qui sont importants dans un processus
d’apprentissage et d’entraînement.
5. aident à l’évaluation du développement du niveau de compétence, tout en
améliorant la performance avec le temps.
Divers outils de l’analyse qualitative du mouvement ont été clairement identifiés.
Cependant, au - delà de l’outil sélectionné, l’entraînement à l’observation systématique est la
clé de voûte d’une analyse objective et fiable. La description de ces outils sortait de nos
objectifs, ainsi, nous avons utilisé l’analyse critique des fonctions, des problèmes et des
applications, pour établir les bases pratiques qui justifient notre choix. Avant de continuer, il
est important de procéder à une récapitulation des éléments essentiels que nous avons déjà
établis:
L’objectif principal de notre étude de mouvement est d’apporter une aide à
l’apprentissage du mime corporel en facilitant la compréhension et la
mémoire du mouvement - objet d’étude, le répertoire «Decroux».
Le terrain d’application des méthodes d’analyse à sélectionner se situe dans le
mode comportemental (pour des événements de mouvement qui se
produisent à l’extérieur de la peau), et dans le niveau «mouvement» pour
l’application de l’analyse.
Les facteurs qui seront principalement pris en compte pour notre analyse sont le
cinématique et le cinétique, qui, dans l’apprentissage du mime corporel, se
trouvent en deçà du niveau d’interprétation.
Enfin, les méthodes choisies devront être qualitatives, fondées sur l’observation et
la description du mouvement comme outils de l’étude du mouvement.
210
Les objectifs
Les informations «mouvement» recherchées sont la dernière considération à prendre
en compte avant le choix des méthodes d’analyse et de notation du mouvement.
610 Celui - ci est un point important de vérification de la correspondance entre les méthodes d'analyse de mou-
vement et le matériel auquel elles s'appliqueront.
611 Marcel Mauss: Sociologie et Anthropologie, P. U. F., (1966), 1980.
612 Ici notre proposition de la définition d'action humaine est: l'application des possibilités du mouvement
corporel intentionnel.
613 Le terme «Kinésiologue» est une francisation du mot anglais «Kinesiologist». Ce n'est pas exactement
ce que nous appellerions kinésithérapeute (une profession), mais le nom que reçoit le spécialiste qui utilise ce type
d'approche, indépendamment de sa profession.
211
Higgins( 614) nous présente six systèmes identifiés pour la classification du mouvement et des
compétences; ces classifications se font par: les composants anatomiques, la fonction,
l’origine, le caractère, la physiologie et la biomécanique( 615).
Quelques auteurs font une classification du mouvement selon les objectifs recherchés
dans l’exécution des activités motrices. Leur attention est dirigée principalement vers l’action
musculaire large et les activités sportives.
Les mouvements sont classifiés selon l’utilisation du corps ou de ses parties pour une
activité particulière. Dans ce système de classification ont été identifiés cinq types de
mouvements: A) Mouvements de support du corps. B) Mouvements de suspension du corps.
C) mouvements de transport du corps. D) Mouvements donnant une impulsion à un objet
externe. E) Mouvements permettant de recevoir une force externe.
A l’intérieur de chacun de ces types de mouvement, il y a des sous - classes établies
selon l’espace environnant dans lequel le mouvement est exécuté (surface solide, «en l’air»,
614 J. R. Higgins: Human Movement: an integrated approach, op. cit, page 12 et ss.
615 L'intérêt qu'il y a à exposer la totalité de ces systèmes de classification du mouvement réside dans la possi-
bilité de rendre compte de l'amplitude de la perspective que Rudolf Laban ouvre avec ses théories de mouvement,
et en particulier avec ses méthodes d'analyse, ce qui sera exposé plus bas.
212
dans l’eau, etc. ). Ce système comporte la notion de «patrons de mouvement»
identifiables (616)
Plusieurs investigateurs ont établi une classification des mouvements selon leurs
origines. Le fondement de ce système réside dans la dépendance du mouvement par rapport au
stimulus que le précède ou le provoque. Il participe d’une approche comportementale, et son
intérêt est orienté sur la relation stimulus - mouvement produit.
Le mouvement classé selon son origine peut entrer dans quatre catégories générales.
Ces catégories sont: a) Mouvements produits comme effet des réflexes inconditionnels. b)
Mouvements produits comme résultat de l’application sur le corps d’une force externe (y
compris les mouvements passifs). c) Mouvements produits comme une séquence déclenchée
par un stimulus (réflexes conditionnés). d) Mouvements volontaires.
Cette classification est donc relative au couple stimulus - réflexe. Son application
principale est l’identification et la compréhension des mouvements purement réflexes.
* Le mouvement classé selon son caractère( 617).
1) Mouvements de locomotion: l’acte de changer la position du corps dans le
temps et dans l’espace.
2) Manipulation des parties du corps: changements isolés de position des
parties du corps ou de ses segments, en relation au reste du corps, ou entre
elles.
3) Mouvements posturaux: la position du corps pendant des actions telles que:
s’asseoir, s’arrêter, sauter. Ces mouvements peuvent inclure aussi la fonction
de stabilité générale du corps.
Les mouvements classés selon leur caractère sont vus comme non - réflexes,
fonctionnels et volontaires. Ce système de classification est utilisé dans l’étude de
l’organisation et du contrôle moteur du mouvement.
* La classification du mouvement selon la physiologie.
Les physiologistes, principalement les entraîneurs physiques classent les mouvements
selon le type de contraction ou de travail musculaire développé. Ce système comprend trois
catégories:
213
a) Mouvement ou contraction isotonique. b) Mouvements ou contraction
isométrique. c) Mouvement ou contraction philométrique.
Ces catégories sont utilisées principalement dans l’élaboration de programmes de
développement de force musculaire et d’endurance.
* Le mouvement classé d’après la biomécanique.
Le système de classification fondé sur les principes de la biomécanique comporte les
facteurs principaux suivants: a) les forces externes et internes qui agissent sur le corps ou ses
parties pour produire le mouvement. b) la nature de l’espace investi pendant le mouvement, et
c) le temps ou les composants temporels du mouvement.
Ce schéma est très utile pour l’étude des forces à l’origine du mouvement (cinétique).
Les mouvements sont classés en trois catégories:
1) Selon la dynamique: l’effet sur le mouvement des forces externes et internes.
Y sont inclus les mouvements affectés par les forces: de la pesanteur, de
l’énergie potentielle due à la position du centre de gravité du corps, et des
forces musculaires générées ailleurs.
2) Selon ses caractéristiques spatiales: la description du parcours effectué par le
corps ou ses parties, numériquement ou géométriquement. Il y a trois types
de mouvement qui peuvent être identifiés à l’intérieur de cette catégorie:
i)mouvements rectilignes - mouvements en ligne droite (dans le mouvement
humain il n’y a pas de mouvements «purement» rectilignes).
ii)mouvements de rotation ou angulaires - mouvements autour d’une
articulation par un des deux segments adjacents. iii)Mouvements de
translation ou combinés - ils sont faits de combinaisons de mouvements
rectilignes et de rotation.
3) Selon ses caractéristiques temporelles: l’identification des caractéristiques
d’accélération et de vitesse du mouvement, et les aspects de durée des
diverses phases des patrons de mouvement.
Les diverses études sur le mouvement appliquent un ou plusieurs des systèmes de
classification décrits. Nous verrons leur utilisation dans l’exposé des théories et des méthodes
d’analyse et de notation de Rudolf Laban.
Une fois identifiées ces actions, dont nous aurions fait une première description,
comprenant l’information du phénomène de mouvement par rapport à l’environnement et / ou
au corps de l’exécutant, à l’espace et au temps, la structure générale de l’action( 618), le patron
spatial suivi, la séquence des mouvements qui composent l’action, son phrasé et son rythme,
214
selon la classification choisie, l’analyse nous permettra de faire une deuxième description
complémentaire et plus approfondie afin de:
619 Rudolf Laban: The Langage of Movement, Ed. Lisa Ullman. Boston, 1974 page 7 et ss. (Nous avons tra-
duit de l’anglais).
215
a) la perspective corporelle, à travers l’immersion dans le courant continu du
mouvement. Elle est vécue de l’intérieur; donc, elle n’est pas objective.
b) La perspective analytique, développée à partir de l’application des protocoles
systématisés d’observation, ce qui permet aux chercheurs de faire une
observation que nous pourrions qualifier d’objective.
La solution la plus amplement proposée par les diverses méthodes est donc la
systématisation de l’observation du mouvement et du compte rendu de l’information
recherchée, dans un cadre cohérent qui permette l’intégration des données selon la nature des
objectifs de l’étude en question.
B) La systématisation de l’observation peut être établie concrètement à partir
de:
i) feuilles - recueil des informations qui guident l’attention de l’observateur
sur le choix des facteurs et des éléments à observer. ii) le calibrage des outils
et le contrôle des conditions des expériences faites avec des instruments
électromécaniques, photographiques et cinématographiques.
Car, si l’observation se fait en général sur un événement en cours, elle peut être aussi
faite sur des films, bandes vidéo, strobo - photos, séries de photos ou dessins, ou montages à
répétition multiple. Cependant, la façon de rendre compte des observations réalisées, n’en
reste pas moins un problème indépendant de ces conditions.
Il ne suffit pas de pouvoir voir l’événement à plusieurs reprises, il faut dégager les
informations recherchées pour avoir la possibilité d’en faire une étude détaillée. Même si dans
le cadre d’une application pédagogique: «l’imitation est une façon de commencer à
comprendre ce que nous voyons» (622), cela n’élimine pas la nécessité de cette étude.
216
Les divers outils photographiques utilisés pour enregistrer le mouvement, ne
sélectionnant pas les éléments d’information requis sauf dans des conditions strictement
contrôlées, il faut encore appliquer l’analyse du mouvement à ces enregistrements et à
l’information de mouvement qu’ils sont capables de rendre, avec les limitations que cela
suppose: une exécution particulière, un point d’observation et un horizon limités, une image bi
- dimensionnelle (alors que l’événement a lieu en trois dimensions) et, dans le cas d’une
performance artistique, les interférences dues aux interprétations individuelles des
exécutants( 623).
C) Les moyens pour rendre compte des observations ou des mesures prises.
Nous avons signalé plus haut dans la présentation des catégories générales
des méthodes d’analyse du mouvement, que l’information générée peut
prendre deux formes en rapport avec chaque catégorie. Ces deux formes
sont: des valeurs numériques pour les méthodes quantitatives, et la
description pour les méthodes qualitatives.
D) Le compte - rendu des informations.
Les valeurs numériques qui sont obtenues de façon manuelle ou automatique à partir
des instruments de mesure, peuvent être utilisées pour constituer des tableaux ou des
graphiques.
Les descriptions peuvent être verbales ou symboliques et faites avec des arrangements
«en tables» ou à l’aide de dessins et / ou de chiffres (si elles sont mixtes).
Pour les études sur le mouvement dans le cadre de la pratique des arts du mouvement
corporel, une solution aux problèmes qui concernent et le compte - rendu de l’analyse et le
623 Voir aussi notre exposé sur «Les notes d’étude et les outils audio - visuels», plus haut.
217
registre de la description du phénomène observé, fut développée et proposée pour la première
fois il y a presque 300 ans: la notation du mouvement.
Le premier système développé est appelé à l’époque: «chorégraphie», son domaine
d’application, fut la Danse( 624), selon Pino Mlakar:
« Un des premiers systèmes à avoir été appliqué avec un certain succès est
celui développé par Beauchamps - Feuillet, publié en 1699, et utilisé pour le style de
Danse existant à l’Académie Royale de Danse pendant le XVIII siècle.
Malheureusement, il n’était pas conçu pour satisfaire les exigences requises par les
styles de danse qui ont suivi, raison pour laquelle il est devenu obsolète. Il a fallu
attendre le XX siècle pour que d’autres systèmes plus ouverts et souples voient le
jour ». (625)
« … méthode d’écriture non verbale (symbolique) qui permette, non pas de
faire une description du mouvement, mais de l’écrire, la méthode doit être fondée
sur l’observation des facteurs objectifs du mouvement et de ses règles, ainsi que de
ses interactions et de ses influences réciproques telles qu’elles sont projetées par le
mouvement humain » (626)
Cette écriture donne idéalement l’information sur les éléments ou les facteurs du
mouvement( 627) à partir de l’analyse. Le compte - rendu écrit de l’observation, que nous avons
appelé plus haut «cinétogramme» est le registre concret des résultats corpo - spatio -
temporels de l’exécution matérialisant la partition analysée.
« Pour ce qui est des intentions et des états d’âme (lesquels précédent et
suivent le mouvement) et qui peuvent être complètement différents et d’une grande
importance, la notation du mouvement ne peut pas les codifier ni les enregistrer. Ils
peuvent être circonscrits par des notes verbales ajoutées au cinétogramme, mais
ceci n’est pas différent de la musique, où la notation des nuances est faite par des
624 Notons au passage qu'à l'origine, le mot chorégraphie désignait précisément le système d'écriture de la
danse.
625 Pino Mlakar: «Thoughts of a Choreographer on the Importance of Kinetography Laban». Dans: Al-
brecht Knust: Dictionary Of Kinetography Laban (Labanotation)
Macdonald and Evans Ltd. Estover, Plymouth PL67PZ, U. K., 1979. op. cit, page XVII. (Nous avons traduit de
l’anglais).
626 Maria Szentpal: «The perception of movement». Communication présentée dans le cadre du 1er.
Congrès International sur la Notation du Mouvement a l'Université de Tel Aviv (Israël), août 1984, page 8 (Nous
avons traduit de l’anglais).
627 Informations que nous avons appelées: «mouvement».
218
notes et des signes ajoutés, lesquels offrent des indications sur l’exécution ;
toutefois les sentiments, les états d’âme et le «comment» sont décrits à l’aide des
instructions verbales. Cela ne diffère pas non plus du théâtre, où le texte écrit offre
un objet de perception, mais les sentiments et l’attitude interne ont besoin d’être
établis ». (628)
Les trois principaux systèmes de notation utilisés aujourd’hui dans le monde entier sont
basés sur des symboles géométriques, chiffres, lignes et d’autres symboles écrits, et chacun de
ces systèmes, selon ses possibilités et ses limites, permet d’avoir un registre du mouvement
«noir sur blanc», qui peut être comparé au langage écrit ou à la notation musicale.
Ces systèmes sont:
La Cinétographie Laban ou Labanotation, publiée en 1922 par Rudolf Laban, qui a été
développée sous une forme hautement technologique. Cette méthode est amplement utilisée
aux États Unis, et dans les pays de l’Est.
La Notation Benesh, qui a été développée en l’Angleterre depuis 1956 par Rudolf et
Joan Benesh dans leur travail avec le Royal Ballet et avec des chorégraphes anglais. Ce
système est amplement utilisé, principalement par des grandes troupes de ballet en Europe
Occidentale.
La Notation Eshkol - Wachmann, qui a été présentée pour la première fois en 1958 par
Noa Eshkol et Abraham Wachmann. Grâce à sa grande flexibilité comme système de notation,
due à ses techniques et à sa cohérence interne, elle peut être appliquée à d’autres domaines de
recherche que la danse.
Il existe d’autres systèmes moins développés et / ou moins utilisés, par exemple:
Conté, en France. Chaque système est le reflet d’une méthode d’analyse du mouvement
particulière qui suit des objectifs et des perspectives définies par ses créateurs, lequels
conditionnent ses applications.
Un grand débat existe autour de l’écriture ou notation du mouvement( 629), débat qui
fait abstraction du fait qu’elle n’est qu’un outil de l’analyse du mouvement, et que même s’il y
a plusieurs systèmes qui prétendent analyser et écrire ou décrire le mouvement, il faut faire une
réflexion sur les rapports existants entre les méthodes d’analyse du mouvement, les systèmes
de notation et les comptes - rendus ou cinétogrammes. Un des premiers points du débat porte
sur le lien de subordination apparente entre l’analyse du mouvement et la notation
Question sur laquelle nous proposons une analyse à partir des constats suivants:
219
a) Premier constat: sans l’analyse du mouvement, il n’y a pas de notation, il
nous faut donc une méthode d’analyse du mouvement solide et simple,
capable de décrire les événements de mouvement tel qu’ils sont produits.
220
• les cinétogrammes n’étaient pas capables d’enregistrer l’amplitude, la profon-
deur, et la complexité du mouvement, sans être trop simple, et que le mouve-
ment en fût rendu incomplet, ou trop compliqué, au point qu’il fût impossible
de les lire correctement.
La notation du mouvement est aujourd’hui, un outil générateur de concepts de
mouvement dans un langage autre que verbal, qui s’articule à partir de l’analyse du mouvement
pour créer des cinétogrammes. Réciproquement, l’analyse du mouvement est devenue un
processus réflexif qui utilise des concepts générés par le langage qu’est la notation.
Les cinétogrammes sont le «texte écrit», le support, la preuve et la manifestation de
l’activité de la pensée qui les a produits, au même titre qu’elle a produit le mouvement
exécuté; ils présentent l’avantage sur les traditions purement orales et physiques de constituer
un moyen qui abolit le temps et parcourt l’espace( 630) permettant ainsi la communication, la
transmission et la préservation des développements et des créations des arts du mouvement
corporel.
En revenant sur les intentions de cette exploration concernant les études de mouvement,
il ne reste qu’à prouver que la triade choisie est adéquate à remplir nos objectifs, et que
l’application facilitera pour les acteurs:
La critique de notre proposition qui dit que les méthodes Laban pourraient correspondre
aux besoins du «Projet Laban - Decroux», sera faite à partir de l’origine, des possibilités et
des applications de ces méthodes. Il sera nécessaire de déterminer dans quelle mesure
630 Laurence Louppe: «Les imperfections du papier», dans Danses tracées, op. cit, page 29.
631 Information de mouvement: ce sont les valeurs concrètes relatives aux paramètres qui caractérisent cha-
que mouvement ou exercice. L'obtention de cette «information» est l'objectif principal de l'analyse du mouve-
ment, selon la définition donnée plus haut.
221
l’application de ces méthodes aide à la compréhension des partitions du répertoire «Decroux»
et à leur mémorisation dans l’apprentissage du mime corporel.
A l’origine de ces méthodes, une théorie globale du mouvement et, derrière celle - ci,
un homme: Rudolf Laban. Dont nous présentons ici une biographie sommaire afin de le situer
dans son contexte historique et culturel. Nous ferons ensuite l’exposé et l’examen de la théorie
et des méthodes d’analyse et de notation du mouvement d’après Laban.
632 Extraits de: a) I. Bartennieff, M. Davis, F. Paulay: Four Adaptations of Effort Theory In Research and
Teaching. Second printing. Danse Notation Bureau, Inc. New York, 1973. page vii. b) Irmgard Bartenieff avec
Dori Lewis: Body movement, Coping with the environement, Ed. Gordon and Breach Science Publishers. New
York, 1980, réimpression 1990. page ix., et c) Carol - Lynne Moore & Kaoru Yamamoto: Beyond Words, Move-
ment Observation and Analysis, Ed. Gordon and Breach Science Publishers S. A., New York, 1988. pages 181 et
182. (Nous avons traduit de l’anglais).
633 Samuel Thornton: A movement Perspective of Rudolf Laban, MacDonald & Evans. London, 1971. page 4.
Cite par Moore & Yamamoto, op. cit. (Nous avons traduit de l’anglais).
634 Voir plus loin: «La méthode d’analyse ‘effort’».
222
Dans les années vingt et le début des années trente, la rigidité du dix - neuvième siècle
qui ne met l’accent que sur les «humanités», s’éloigne . A l’ombre du nouvel essor des
sciences biologiques, médicales, psychologiques, et des nouvelles orientations en physique et
en mathématiques, la pensée de Laban mûrit et participe aux grands changements qui
bouleversent le domaine des arts.
Laban se caractérise par la multitude de directions dans laquelle il déploie son activité:
il chorégraphie et danse lui - même, il entraîne des danseurs; il établi des écoles à Basel, à
Stuttgart, à Hambourg, à Prague, à Budapest, à Zagreb, à Rome, à Vienne, à Essen et à Paris,
toutes dirigées par ses anciens élèves; il organise en Allemagne le syndicat des danseurs; il
dirige des compositions récréatives de mouvement, qu’il appelle «choeurs de mouvement»,
dansés par des amateurs; enfin, il écrit et publie des livres sur la danse.
A Hambourg, à Wuerzburg et à Berlin, il se entoure d’étudiants en art théâtral. Un de
ses soucis le plus important est le mouvement choral: Bewegunschor( 635). Il a l’intention de
développer une forme contemporaine non professionnelle de danse d’ensemble, qui pourrait
délasser les gens fatigués par l’environnement urbain et le travail industriel monotone et
répétitif.
Laban observe le processus du mouvement sous tous les aspects de la vie: depuis les
arts martiaux, les «patrons» spatiaux des danses «sufi», les tâches de travail en usine, les
«patrons» rythmiques des danses folkloriques, les mouvements propres aux arts et métiers,
jusqu’au comportement des gens émotionnellement affectés. C’ést le processus du mouvement
qui attire son attention, et pas seulement les positions ou attitudes finales, ni les buts de
l’action.
Au cours du Premier Congrès de la Danse Moderne à Magdebourg en 1927, il présente
trois créations pour montrer son approche de la tradition: le «Ritterballet» (pièce
romantique), un travail expressionniste appelé «Minuit», et un travail choral, appelé «pour la
Cinquième symphonie de Beethoven». Dans ce dernier il fait la démonstration d’un travail
choral fondé sur une chorégraphie de groupe.
Un des résultats les plus importants du travail, présenté à cette occasion (Magdebourg,
1927) et qui fait partie de ses théories, est le développement de son système d’écriture du
mouvement.
Schrifttanz, premier texte dans lequel il expose les grandes lignes de ce système, est
publié en 1928 à Vienne par Alfred Schlee d’Universal - Edition, maison d’édition musicale
aux choix précurseurs. Il expose dans un article publié à l’occasion de cette publication sa
vision de ce que doit être un système de notation:
635 Le texte original porte le mot allemand. Curieusement Étienne Decroux travaillera un peu plus tard sur le
même sujet, il l’appellera: mouvement de masses.
223
« La cinétographie ou notation du mouvement a deux objectifs qui doivent
être clairement distingués.
Le second objectif est d’un point de vue conceptuel bien plus important. Il a
trait à la définition du processus moteur à travers l’analyse et le libère ainsi de ce
flou qui a pu faire apparaître le langage de la danse comme peu clair et monotone
(...)
Il développe cette écriture du mouvement parce qu’à la différence des chefs d’oeuvre
des arts vivants tels que le théâtre et la musique, qui sont préservés sous forme de textes écrits
ou de partitions musicales, les grandes oeuvres de l’histoire de la danse sont complètement
perdues par manque de moyen d’écriture.
Des essais de développement de systèmes de notation de la danse à l’époque Baroque
se limitent à la description des actions des jambes et du parcours au sol. Les mouvements du
torse et des bras ne peuvent pas être écrits avec exactitude.
Avec son système de notation, Laban prétend résoudre ces problèmes, en rendant
possible pour la première fois, l’écriture des actions de toutes les parties du corps du danseur.
Laban et ses collègues ont affiné l’observation du mouvement dans une méthode
extrêmement précise d’expérimentation, d’analyse et de notation permettant de faire apparaître
de plus en plus nettement les implications fonctionnelles et expressives du mouvement.
Les développements postérieurs, réalisés par ses élèves, Albrecht Knust et Ann
Hutchinson ont fait du système Laban de notation du mouvement, un système éminemment
pratique, qui est aujourd’hui amplement utilisé pour l’écriture des chefs - d’oeuvre de la danse
contemporaine, et pour d’autres applications multiples dans les divers domaines de la
recherche sur le mouvement.
En 1929 - 30 à Vienne, Laban fait la mise en scène du Festival des artisans.
L’expérience acquise en ritualisant l’activité traditionnelle du travail va devenir le fondement
636 Rudolf Laban, cité par R. Lange in: The principles and basic concepts of Laban’s movement notation, In-
ternational Council of Kinetography Laban, 1985. (Traduction de l’anglais par Marion Bastien)
224
de ses recherches sur l’effort humain dans l’industrie anglaise pendant la deuxième guerre
mondiale.
Malheureusement cette période hautement productive de la carrière de Laban est arrêtée
net en 1936. Face à la rigidité du parti Nazi et du régime d’Hitler, la plupart de ses efforts
artistiques sont anéantis; les écoles fondées par ses élèves sont fermées.
Lui - même est banni, et, en 1938, découragé et malade, quitte son poste de Maître de
Ballet de l’Opéra de Berlin pour s’installer à Paris. Grâce à ses collègues qui ont réussi à
obtenir pour lui l’asile politique en Angleterre, Laban passe finalement Outre - Manche, pour
rejoindre Kurt Joos .
Son arrivée en Angleterre est aussi un tournant décisif de sa vie et de sa carrière. Après
1938, Laban quitte son rôle actif de danseur, et consacre son énergie à l’étude de la fonction de
l’effort dans le travail industriel, à la promotion de l’éducation par le mouvement dans le
milieu scolaire anglais, et à l’évaluation de la personnalité par l’observation et l’interprétation
du mouvement. A cette période Laban consolide et publie la plupart de ses théories du
mouvement humain, en particulier celle de l’effort, dans leur forme la plus complète. Laban
meurt en 1958 à Addlestone, dans le Surrey, où il a fondé le Centre de l’Art du Mouvement
avec sa collègue Lisa Ullman.
Il est évident qu’aucune des relations de la vie de Laban n’est complète si elle ne cite
pas son influence en tant que professeur. Depuis 1910, et jusqu’à sa mort, Laban travaille en
contact étroit avec des étudiants; au théâtre, au studio et même à l’usine. Il est vu comme un
éducateur charismatique, doué d’une remarquable aptitude à percevoir et à faire éclore le
potentiel de ses élèves. Laban utilise aussi l’enseignement pour développer ses idées, il
expérimente dans la salle des cours tous les problèmes qui le préoccupent. Cette méthode de
travail joue certainement un rôle de catalyseur dans la carrière de ses élèves, comme dans ses
propres recherches.
Il établit les bases d’un nouveau concept ou d’une pratique nouvelle, puis il en confie
l’approfondissement à l’un de ses élèves, pendant que lui - même passe à d’autres problèmes
ou d’autres idées.
Il résulte de cette façon de travailler que Laban ne systématise pas son propre travail. Sa
carrière entière est caractérisée par une multiplicité de directions d’engagement, et non par une
pensée unidirectionnelle consacrée à une discipline en particulier. Ceci est peut - être dû au fait
que la ligne directrice qui relie entre elles toutes ses activités, est un intérêt constant pour le
mouvement. Mouvement qui, pour Laban, est l’essence de la vie et le miroir de l’humanité.
Sa découverte des éléments de base et des principes généraux d’organisation communs
à tous les mouvements unifie sa vision et ses efforts tout au long de sa carrière. Encore
225
maintenant, la vision de Laban continue à donner une perspective de synthèse à d’autres
chercheurs intéressés par l’étude du mouvement humain, au delà des approches particulières.
La défense et l’attaque
Laban a trouvé les traces des règles du comportement de survie dans les danses
cérémonielles et dans les rites. Ces règles sont inscrites dans des «patrons» répétés
constamment. Elles servent à l’intérieur de chaque activité, à donner un sentiment
d’affirmation, de protection et de régulation à tous les membres d’une culture donnée.
637 Désormais, la théorie et les méthodes d'analyse du mouvement de Laban seront présentées à partir d'une
sélection de textes écrits par d'anciens disciples et collaborateurs de Laban. Notre intention est de faire la présen-
tation la plus sommaire (mais complète ! ) possible, qui serve de base à l’examen envisagé. Nous avons sélection-
né et traduit de l’anglais. Cette sélection reflète de façon inévitable notre intérêt. Nous citons en premier lieu:
Irmgard Bartenieff, «Laban Space Harmony in Relation to Anatomical and Neurophysiological Concepts»: Four
adaptations of Effort Theory In Research and Teaching. op. cit, page 43 et ss.
638 Pour Laban, ils sont reflétés dans les structures des danses cérémonielles et des rites des premières formes
culturelles.
639 C'est - à - dire se produisant à l'extérieur de la peau
226
En étudiant des séquences de mouvement de défense - attaque, il découvre l’ordre de
succession des parties du corps dans chacune d’entre elles, pour se protéger, ou pour attaquer
un adversaire.
Ces séquences, qui se trouvent intégrées aux cérémonials ou aux danses, représentent
une tradition d’entraînement des hommes dans la meilleure façon de lutter. Nous pouvons en
trouver des exemples dans les gammes de l’escrime de plusieurs cultures, comme dans le Tai
Chi Chuan chinois, sous son aspect de technique de boxe.
Toutes ces activités ont deux points en commun. Le premier est la façon dont des
changements réguliers - grands ou petits - interviennent entre les flexions vers le corps et les
extensions pour s’éloigner du corps. Le deuxième, est la façon spécifique dont l’homme utilise
ou se sert de l’espace, c’est - à - dire, la projection du corps dans l’espace environnant à sa
portée.
640 Ici, nous parlons de l'espace environnant à sa portée, que Laban a appelé «la kinésphère».
227
Il voit que les séquences de mouvement peuvent être perçues en relation avec des
formes géométriques - le cube, l’octaèdre, l’icosaèdre - lesquelles témoignent des possibilités
multiples du mouvement de l’homme en station debout.
Ici, Laban est très proche des toutes récentes études sur la structure cristalline des
molécules des virus, et d’autres organismes unicellulaires, de même que des concepts
révolutionnaires de Buckminster Fuller (641) en architecture.
228
Sans doute, il faut un certain temps avant de s’habituer au spectacle, au déroulement
continu, du mouvement en tant que processus de changement. Mais la perception d’une petite
portion du changement, au moment où il est en train de se dérouler, est simplifiée par
l’existence, sous - jacents à l’apparence d’une fluctuation constante, d’un patron qui le
gouverne et d’un ordre qui lui évite d’être chaotique.
Les lois des arrangements séquentiels de l’alternance des rythmes de stabilité / mobilité
et d’exertion( 643) / récupération, tout comme le fait que les gens développent des habitudes
qui sont répétées, donnent au changement des patrons sous - jacents, la possibilité d’être perçus
et identifiés.
Ainsi l’ordre d’utilisation des zones du corps et de ses parties suit - elle un
enchaînement logique de séquences. De même l’alternance rythmique de la stabilité et de la
mobilité fournit un autre type de patron.
Finalement, l’utilisation de l’énergie est gouvernée par l’alternance rythmique de
l’exertion et de la récupération. De même que les phases de travail et de repos sont couplées
avec l’action involontaire du cœur et des poumons, l’alternance de l’activité et de la
récupération, est couplée avec les actions volontaires du corps entier.
« on peut distinguer deux attitudes internes opposées, selon lesquelles l’effort
(qui précède d’une façon invariable tout mouvement) peut être fourni.
643 Terme anglais devenu courant dans le cadre des études sur le mouvement, pris dans le sens donné par le
dictionnaire anglais de «to take upon (oneself) the effort of doing something». Exertion fera, dans notre étude,
référence à l'effort nécessairement fourni lors de toute action, indépendamment du niveau qualitatif spécifique de
cet effort.
644 Rudolf Laban: Mastery of movement, op. cit, page 1 (Nous avons traduit de l’anglais).
229
effort - physique ou mental - et l’effort fourni sans lutte, en cédant, ne comporte pas
forcément un degré bas d’exertion. » (645)
645 Idem, «The Rhythm of Effort and Recovery», dans Rudolf Laban Speaks about Movement and Dance,
éd. Lisa Ullman, page 44 (Addlestone, Surrey, England: Laban Art of Movement Centre, 1971). Cité par Moore
& Yamamoto, op. cit, page 185 (Nous avons traduit de l’anglais).
646 Idem, The Mastery of Movement, page 115. Cité par Moore & Yamamoto, ibid. (Nous avons traduit de
l’anglais et souligné en caractères gras).
647 Niveau moléculaire du mouvement: les éléments fondamentaux compris dans l'action.
648 Niveau molaire du mouvement: les lois qui gouvernent les séquences et les patrons rythmiques.
230
synthétique de perception et de fonction» (649). Ils forment la structure de ce qui est connu
comme «Les méthodes Laban d’analyse et de notation du mouvement».
Première confrontation
Pour la critique des matériaux exposés, nous verrons d’abord quel est le type d’étude de
mouvement proposé par Laban, quel est le système de classification des mouvements par
rapport à ses conceptions, et enfin quels sont les niveaux et le mode d’approche qu’il signale
comme idéaux pour la compréhension du mouvement.
Ensuite, nous continuerons par la présentation et l’examen des méthodes Laban
d’analyse du mouvement, afin de déterminer si les informations «mouvement» livrées par ces
méthodes, et les modalités pratiques de leur application, correspondent aux besoins de notre
étude de mouvement appliquée à l’apprentissage du mime corporel et à la préservation du
répertoire «Decroux».
Avant de commencer, voyons un récapitulatif des concepts dégagés précédemment et
qui seront utilisés pour cette confrontation:
1. Le contexte de notre proposition d’application des méthodes Laban à l’étude
de mouvement du mime corporel est l’apprentissage de ce dernier et la
préservation du répertoire «Decroux».
2. Dans ce contexte, les besoins de l’acteur sont:
• la compréhension des partitions du répertoire «Decroux»
649 Rudolf Laban: The Language of Movement, Plays Inc., Boston, 1974, page 4. cité par Moore & Yama-
moto, op. cit, page 187. (Nous avons traduit de l’anglais).
231
d’analyse et de notation du mouvement pour faciliter, l’obtention, et la
mémorisation des informations «mouvement» du répertoire «Decroux»,
ainsi que la possibilité d’avoir un accès permanent à ces informations.
«Les concepts qui deviennent cruciaux pour l’étude du mouvement sont ceux de l’ordre
de la séquence de mouvement observable à vue (650), …»
Et plus loin:
«Son attention (celle de Laban) a toujours été dirigée sur des événements de
mouvement visibles: son intérêt était centré autour des façons dont l’homme (en mouvement)
a toujours…»
Ce qui nous permet de considérer que le type d’étude de mouvement proposé par Laban
correspond au contexte «processus d’apprentissage», signalé au points 1 et 4, noté plus haut.
«Les concepts qui deviennent cruciaux pour l’étude du mouvement sont ceux de l’ordre
de la séquence de mouvement observable à vue, l’utilisation des parties du corps, leur dessin
spatial et la variété de patrons qu’il est possible de décrire».
232
Les auteurs signalent donc quatre catégories pour une classification du mouvement: a)
l’ordre des séquences de mouvement, b) l’utilisation des parties du corps, c) leur dessin spatial
et d) la variété des patrons qu’il est possible de décrire.
«Au long de son étude des mouvement humains dans une variété de contextes, Laban a
découvert les éléments fondamentaux des actions physiques qui sont communs à tout
mouvement humain.
Que nous les appelions «concepts» ou «éléments fondamentaux», une chose est
claire, ces catégories et cet alphabet du langage du mouvement, comportent des vocabulaires.
Ce qui, rapporté au matériau qui fait l’objet de notre étude, peut bien correspondre au
vocabulaire de mouvement élaboré par Decroux, et qui comprend des éléments divers dans les
niveaux: a)anatomique, b)géométrique et spatial, c)mécanique et d)dynamique ou de
l’effort.
La correspondance avec les paramètres de mouvement et le système de classification
exposés plus haut, au point 4, comme base pour notre analyse critique, apparaît clairement.
«…Tout essai pour saisir ce processus doit inclure la description de chacun de ces
aspects.
On doit encore prendre en considération la façon dont les éléments spatiaux, corporels
et d’énergie sont combinés et mis en séquence dans le mouvement en question».
«L’étude du mouvement, comme le voyait Laban, doit comporter des niveaux multiples
d’analyse. L’observateur doit considérer non pas seulement ‘de quoi est fait le mouvement’,
mais aussi ‘du comment il est mis en place’».
233
Ce qui nous montre que la correspondance entre les méthodes Laban d’analyse du
mouvement et notre étude de mouvement appliquée au processus d’apprentissage du mime
corporel est fondée selon les points 1, 3 et 4 signalés plus haut.
Il nous reste encore deux aspects à examiner pour pouvoir affirmer que les méthodes
Laban d’analyse et de notation du mouvement sont adéquates pour notre étude. Ces deux
aspects sont: les informations «mouvement» que ces méthodes sont capables de donner, et les
modalités pratiques relatives à leur propre application.
L’exposé et la critique des méthodes Laban d’analyse et de notation du mouvement
permettront de vérifier que ces deux aspects répondent aux points 2 et 3.
Parmi toutes ces réalisations, deux ont assis la notoriété de Laban: l’élucidation des
éléments centraux et des principes d’organisation communs à tous les mouvements et le
développement d’un système de notation du mouvement.
Dans les paragraphes antérieurs, nous avons présenté les principes qui ont guidé les
recherches de Laban sur le mouvement, principes qui sont aujourd’hui le fondement structurel
sur lequel sont construites les méthodes Laban d’analyse et d’écriture du mouvement.
Les éléments fondamentaux qui sont communs à tous les mouvements, tels que les
distinguent les méthodes Laban d’analyse du mouvement, peuvent être classés dans les
catégories générales qu’il propose: 1)l’utilisation du corps, 2)l’utilisation de l’espace et
3)l’utilisation de l’énergie dynamique.
A l’intérieur de ces catégories, nous pouvons maintenant citer des divisions primaires
qui nous seront utiles pour l’application de ses méthodes d’analyse.
234
1) La différentiation des gestes, des postures, et du type d’initiation du
mouvement, qui nous donnera les outils analytiques pour déterminer
l’utilisation du corps.
235
L’aptitude à la notation symbolique demande une observation extrêmement précise,
alliant, dans l’idéal, une capacité réflexive à l’expérience concrète du mouvement. La notation
n’est pas un simple processus mécanique; l’enregistrement doit refléter l’expérience du
mouvement selon la conception initiale de Laban.
Le choix des symboles n’a pas été arbitraire. Le génie de leur simplicité réside dans le
rapport que les symboles individuels entretiennent entre eux, rapports qui reflètent clairement
les conceptions de Laban sur les principes du mouvement corporel.
Laban considérait Feuillet comme un maître de l’écriture symbolique, parce qu’à
travers ses symboles, il est possible de percevoir certains principes. La notation Feuillet peut
par exemple communiquer exactement le principe du transfert du poids pendant la marche, au
moyen du tracé des gestes des jambes.
L’impact dramatique et la signification des mouvements sont relevés par l’ordre dans
lequel les symboles se succèdent. En contraste, la description verbale d’un événement perd
souvent le support contextuel par des énumérations surchargées de détails qui finissent par lui
ôter toute cohérence du fait d’ambiguïtés inévitables.
Les symboles, compris dans leur contexte, représentent directement quelle partie du
corps fait quoi dans l’espace et dans le temps et avec quel type d’exertion dynamique. Le
notateur entraîné peut identifier les rythmes et les tensions du couple corps - espace dans le
mouvement; ces rythmes et ces tensions sont les clés du contenu expressif.
Cette possibilité fait la différence entre la Cinétographie Laban et la plupart des autres
systèmes de notation du mouvement, qui sont essentiellement des indicateurs du
positionnement de la figure humaine (système Benesh); ou définissent le mouvement en
termes d’angles autour des articulations (système Eshkol - Wachmann); ou choisissent des
chiffres, ou des lettres, ou d’autres abstractions qui n’ont pas de connexion graphique ou autre
avec le processus du mouvement (système Conté); ou utilisent des figures avec des traits
comme un aide - mémoire visuel des configurations du corps et de ses parties, figures qui
représentent fondamentalement des positions (système Zorn).
Systèmes «captifs», du fait qu’ils utilisent un deuxième système( 653) de référence:
chiffres, lettres, mots, notation musicale, etc. pour coder des notions anatomiques, rythmiques,
et spatiales. La Cinétographie Laban décrit la structure du mouvement - direction, partie du
corps et relation au temps - en utilisant des symboles géométriques propres, placés sur un
graphique vertical qui représente le corps et le passage du temps. Même le plus petit geste -
lever d’un sourcil ou d’un doigt - peut être consigné avec exactitude et précision( 654).
236
Laban devait inventer un nouvel alphabet s’il voulait développer les idées de
Beauchamps - Feuillet. Il a repris la ligne centrale de l’ancien système, qui représente la
division latérale du corps.
655 Marion Bastien, Jorge Gayon: «Notation de la Danse et du Mouvement», Musique & Notations, Ed. H.
Genevois et Y. Orlarey, Ministère de la Culture / GRAME, Lyon 1977. page 108.
656 Reproduite à partir de: I. Bartenieff et D Lewis: Body movement, op. cit, page 219.
237
Ces signes furent adaptés dans le schème des symboles principaux de son nouvel
alphabet. De telles adaptations en rendent méconnaissable l’origine, mais pour un oeil expert,
cette continuité est évidente( 657).
La Cinétographie Laban peut montrer avec un seul symbole: le lieu dans l’espace vers
lequel se dirige le mouvement du corps, la partie du corps qui bouge, le moment où est fait le
mouvement et sa durée.
Un «notateur» entraîné peut voir instantanément ce qui est en train de se passer, à
n’importe quel moment et pour toutes les parties du corps; par exemple si le corps et ses
parties bougent en synchronie totale ou partielle; ou bien la façon dont plusieurs événements
rythmiques - spatiaux différents peuvent avoir lieu en même temps et en différentes parties du
corps.
Notation
a) La portée( 659): les signes qui servent à écrire le mouvement se placent dans
une portée. Elle est formée par le tracé de trois lignes verticales et
657 Pino Mlakar: «Thoughts of a Choreographer on the Importance of Kinetographie Laban», dans Knust,
Albrecht: Dictionary Of Kinetography Laban (Labanotation) Macdonald and Evans Ltd. Estover, Plymouth
PL67PZ, U. K., 1979. page xviii.
658 I. Bartenieff et D Lewis: Body movement, op. cit, page 220.
238
équidistantes: deux colonnes intérieures, de part et d’autre de la ligne
médiane, sont ainsi habituellement définies (Figure 1). De part et d’autre de
la portée, quatre à six colonnes non représentées complètent le
cinétogramme.
Les quatre premières colonnes de part et d’autre de la ligne médiane ont des
attributions déterminées.
b) La forme des symboles indique la direction de l’espace vers laquelle se dirige
le mouvement du corps, le remplissage des symboles nous indique le niveau.
(Figure 2)
c) La longueur des signes nous indique la durée d’exécution du mouvement,
aussi bien que le moment de son début et de sa fin. (Figure 3)
d) Par son placement dans les différentes colonnes centrales de la portée, le
symbole nous indique la partie du corps qui bouge. Dans les colonnes
externes sont utilisés les symboles du corps (Figure 4).
659 Jacqueline Challet - Haas: Cinétographie Laban, deuxième volume, C. N. E. M. Crèpy - en - Valois, 1986,
page 1.
660 Reproduite à partir de: LabanWriter Manuel, Labanotation Software for the Macintosh ©, The Dance
Notation Bureau Extension for Education and Research. The Ohio State University Department of Dance. Colum-
bus, Ohio. 1990 - 91, page 29.
239
L’exécution du mouvement exige, selon la durée, la direction et la partie du corps
impliquée, une certaine quantité d’énergie variable, cette quantité d’énergie, qui est fonction de
la nature du mouvement et qui découle de son exécution «normale», n’a pas besoin de
notation; par contre, la qualité de l’énergie, c’est - à - dire les attitudes internes de l’exécutant
vis - à - vis des facteurs du mouvement et le contenu expressif ou fonctionnel peuvent être
consignés en utilisant la méthode d’analyse «Effort»( 661).
L’analyse de l’«effort»
Une des plus importantes réalisations de Laban (en collaboration avec F. C. Lawrence)
est la méthode d’analyse et de description systématique des changements qualitatifs du
mouvement: la méthode «Effort».
Cette méthode a pris son origine dans les concepts de «l’Eukinetics» que Laban avait
développés dans les années 20, pour la description et la compréhension de la dynamique du
mouvement, l’équivalent pour le mouvement de concepts tels que «forte», «dolce»,
«pianissimo», etc. en musique. Cette méthode était le complément de «Choreutics»( 662), qui
concernait l’analyse et la compréhension des harmonies, des dessins et des échelles spatiales.
Bien que la Cinétographie Laban (inventée en 1927) comporte quelques uns des
concepts d’effort ou de l’«Eukinetics», la méthode d’analyse «Effort» fut cristallisée
quelques années plus tard. Les premiers essais de Laban pour développer une méthode
d’analyse du mouvement d’application universelle prirent la forme d’un système de notation
du mouvement: la Cinétographie Laban ou Labanotation.
A ses origines, ce système était conçu comme une description du mouvement qui
combinait les aspects qualitatifs et quantitatifs de ce dernier. Cependant, Laban a été confronté
avec des situations où les aspects qualitatifs du mouvement devaient être vus isolés dans un
contexte particulier.
Cette situation s’est présentée pendant la deuxième guerre mondiale. En Angleterre,
Laban commençait à faire des études d’efficience pour l’industrie. Il a été confronté au
problème d’analyser et d’améliorer l’efficience des mouvements de travail des ouvrières( 663),
il fit appel à ses premières expériences d’observation des rythmes et des styles de mouvement
des artisans de l’Europe Centrale.
661 Cette méthode sera exposée à partir des textes suivants de Cecily Dell: A Primer for Mouvement Descrip-
tion, Revised Edition, Danse Notation Bureau. New York, 1977 page 5 et ss, et de Martha Davis: «Effort - Shape
Analysis of movement» dans Bartennieff, I. Davis, M. Paulay, F.: Four Adaptations of Effort Theory In Research
and teaching, op. cit, page 29 et ss. (Nous avons traduit de l’anglais).
662 Rudolf Laban: Choreutics, Macdonald and Evans. London, 1966.
663 Pendant la Deuxième Guerre Mondiale, en Angleterre, les femmes ont remplacé les hommes dans les usi-
nes. Remplacement qui a demandé l’adaptation des tâches et de l’effort nécessaire aux possibilités corporelles des
femmes.
240
Avant d’être banni par Hitler, Laban avait organisé des larges «choeurs de
mouvement» avec des paysans et des ouvriers, ainsi que des défilés et des parades où les
artisans exécutaient des «danses de travail», qui n’étaient que la mise en forme
«chorégraphique» (ou rythmique) des mouvements de leurs métiers.
L’approche de Laban pour résoudre le problème de l’efficience dans le travail était
dynamique, non pas mécanique. C’est - à - dire qu’au lieu de déterminer la façon la plus
courte, la plus rapide et probablement la plus mécanique pour réaliser une tâche( 664), il en
développait la forme chorégraphique, avec des rythmes et des patrons spatiaux qui permettaient
de conserver l’énergie et la récupération musculaire à l’intérieur du mouvement même. Ce qui
d’ailleurs était plus agréable et motivait davantage les travailleuses.
Une possibilité unique de cette approche est la description des styles individuels de
mouvement des travailleurs et l’analyse de la façon dont leur mouvement est adéquat ou non à
une tâche spécifique.
A partir de ces études, Laban et son collègue Lawrence ont publié le livre
«Effort»( 665), où ils examinent les changements qualitatifs des facteurs du mouvement.
Il n’y a rien d’étonnant dans le fait que peu de temps après, Laban étudiait le
mouvement chez des directeurs et des cadres d’entreprise, afin de déterminer d’après leur style
de mouvement, les postes les plus adéquats à leur potentiel.
Plus tard, un autre collègue de Laban, Warren Lamb, qui travaillait à l’évaluation
d’aptitude des ouvriers pour le compte des administrations industrielles, a formulé le concept
de «Shape»( 666) comme corrélatif à l’effort.
Ce concept a été développé à partir des affinités de certaines qualités de l’effort avec
des dimensions spécifiques de l’espace que Laban avait présentées dans son étude de
l’harmonie spatiale, «Choreutics». Lamb a introduit une série de symboles de «Shape»,
fondés sur de telles affinités, et qui correspondent aux symboles de «l’Effort» et aux
adaptations spatiales du corps, critères déterminants pour la mesure de l’aptitude.
C’est ainsi qu’«Effort / Shape»( 667) est devenu une méthode pour décrire les
changements de la qualité du mouvement en termes de type d’exertion et de type d’adaptation
spatiale du corps.
664 L'approche proposée par Taylor et a l'origine du "taylorisme" dans le management industriel.
665 R. Laban and F. C Lawrence: Effort, Macdonald and Evans. London, 1956. «Effort», traduction du terme
allemand «Antrieb», est le nom donné par Laban aux changements qualitatifs que font les ouvriers dans l'exer -
tion de leurs mouvements.
666 Shape, en français: «forme spatiale». Devenu un terme technique d'utilisation générale dans le cadre des
applications des méthodes Laban d'analyse de mouvement.
667 Tel qu'il est connu aux États Unis.
241
Néanmoins, Laban est allé plus loin dans l’application de sa méthode d’analyse
«Effort» en la dirigeant vers la compréhension de la personnalité et du comportement, ainsi
que le diagnostic et la thérapie des malades mentaux. Développements qui ont servi de base à
la «Danse thérapie» actuelle.
668 Ce qui est intéressant pour les comédiens et acteurs au niveau de l'interprétation des personnages.
669 Ou ce que les chercheurs en «kinésique» appellent le «parakinésique».
242
Tous ces ingrédients se combinent constamment les uns avec les autres, se précèdent ou
se suivent, surgissent ou disparaissent. Ces changements sont reconnaissables en termes
d’éléments ou de qualités irréductibles, et leur présence ou leur absence, leurs combinaisons,
leurs séquences et leur fréquence d’utilisation composent l’ensemble des mouvements
humains.
Notation
La méthode «Effort / Shape» n’est pas utilisée de nos jours comme un système de
notation pour la préservation des oeuvres des arts du mouvement ou pour son application
pédagogique directe. Cependant, même si cette méthode a un potentiel d’application en tant
que système de notation complémentaire de la Cinétographie, ses principales applications ont
été dirigées vers les études du comportement et, pour les artistes du mouvement, uniquement
en tant qu’outil de recherche et technique d’observation.
Nous ferons la critique de la méthode de description et de notation de l’effort, sans nous
avancer dans le terrain des derniers développements, que Lamb et d’autres collaborateurs de
Laban appliquent surtout dans le domaine des études du comportement et de la thérapie.
670 Reproduit à partir de Rudolf Laban: Mastery of movement, op. cit, page 77.
243
Dans le cadre de notre étude de mouvement appliquée au processus d’apprentissage du
mime corporel, c’est la méthode originale «Effort» de Laban qui nous intéresse, en tant que
système de notation et de description des changements qualitatifs du mouvement. Voyons donc
cette méthode
Les variations qui caractérisent le mouvement humain sont déterminées par la façon
dont l’exécutant utilise son énergie. Cette exertion de «l’effort» peut à un certain moment être
concentrée sur des changements qualitatifs de l’un des aspects du mouvement suivants: la
tension ou le flux du mouvement, l’utilisation du poids, et le rapport au temps ou à l’espace.
Laban a appelé ces aspects: «Facteurs de l’effort». Les changements qualitatifs
relatifs à chacun de ces facteurs, se produisent entre deux extrêmes. Chaque extrême a été
appelé «élément» ou «qualité». (Figure 5).
671 Reproduit à partir de: Rudolf Laban: Mastery of Movement, op. cit, page 76.
244
Les facteurs de l’effort sont toujours présents dans le mouvement, comme quantités.
Tout mouvement inclut une certaine mesure de tension et de poids utilisés; il faut mettre un
certain temps pour son exécution, qui se fait dans une dimension déterminée de l’espace.
Quand l’exécutant est concentré sur le changement de la qualité d’un de ces facteurs, il est
possible de le percevoir comme le surgissement d’une des huit( 672) qualités de l’effort.
Les changements qualitatifs dans le flux du mouvement peuvent aller de contrôlé à
libre, dans l’utilisation du poids ils peuvent varier de léger à lourd, la qualité de l’attitude
envers le temps peut aller de la rapidité à la lenteur, enfin celle de l’attention portée à l’espace
peut passer de directe à indirecte.
Au delà du fait que ces changements soient inconscients ou volontaires, il ne faut pas
oublier que la qualité du mouvement est un aspect du comportement, et qu’elle peut être
considérée comme un produit de l’apprentissage, du métabolisme, de la perception de
l’environnement ou de n’importe quelle autre cause qui puisse produire des changements dans
le comportement.
Pour leur utilisation, les symboles de notation de l’effort, issus du graphique présenté
dans la Figure 6, sont placés à côté du cinétogramme qui fait la description quantitative du
mouvement analysé, de façon à ce que l’utilisation conjointe des deux méthodes en produise la
description complète.
Deuxième confrontation
Cet exposé des méthodes Laban d’analyse du mouvement permet d’en avoir un aperçu
global et de vérifier qu’elles répondent aux besoins de notre étude. Ainsi, les informations
«mouvement» que ces méthodes sont susceptibles de donner et les modalités pratiques de leur
application, seront confrontées aux besoins de notre étude de mouvement appliquée à
l’apprentissage du mime corporel et à la préservation du répertoire «Decroux».
245
Les informations «mouvement»
Dans notre introduction, nous avons défini les informations «mouvement» qui nous
permettront la compréhension du matériau que comporte le processus d’apprentissage du mime
corporel. Ces informations peuvent se résumer comme suit:
La Cinétographie
«La Cinétographie Laban décrit la structure du mouvement (direction, partie du corps
et la relation au temps) en utilisant des symboles géométriques …
Les symboles, compris dans leur contexte représentent directement: quelle partie du
corps fait quoi dans l’espace et dans le temps et avec quel type d’exertion dynamique.
246
Un notateur entraîné peut voir …par exemple si le corps et ses parties bougent en
synchronie totale ou partielle ; ou la façon dont plusieurs événements rythmiques - spatiaux
différents peuvent avoir lieu en même temps et en différentes parties du corps.
La méthode « Effort »
Au sujet de l’application de la méthode originale «Effort» de Laban (675), Cecily Dell
explique:
Il est alors possible de percevoir que les aspects qui changent sont réduits en nombre:
674 Il serait étonnant de ne pas voir l'extraordinaire parallèle entre les travaux de Rudolf Laban et ceux
d’Étienne Decroux que cette comparaison met en évidence. Cependant, des réticences de Decroux face à la culture
Allemande de la première moitié de ce siècle, ont certainement contribué à empêcher la rencontre des deux hom-
mes.
675 Nous rappelons que les changements des aspects correspondants au Développement «Shape» de Lamb,
ne seront pas pris en compte pour notre étude de mouvement.
676 Cecilly Dell: A Primer for Mouvement Description, op. cit, page 8. (Nous avons traduit de l’anglais et
souligné en caractères gras).
677 Deidre Sklar: «Etienne Decroux's Promethean Mime», op. cit, page 68. (Nous avons traduit de l’ anglais).
247
La solution aux problèmes d’application
Nous avons vu plus haut( 678) les problèmes auxquels est confrontée l’application de
l’analyse du mouvement, rappelons - les:
L’application de l’analyse suscite des difficultés à plusieurs niveaux. Les premiers, sont
relatifs à l’expérimentateur, et à sa méthode de travail; il s’agit de:
a) L’objectivité - subjectivité de l’analyse
b) La systématisation de l’observation.
Les problèmes suivants sont relatifs au traitement et à l’interprétation de l’information
«mouvement» recueillie:
Ces deux exigences de Laban quant aux modalités d’application de ses méthodes
d’analyse nous renseignent clairement sur le degré d’objectivité nécessaire de la part du
notateur.
Quant au point suivant, relatif à la systématisation de l’observation, la solution qu’il
propose en résout clairement la difficulté.
Rappelons - nous en effet que, dès l’origine, la théorie du mouvement de Laban, est
conçue comme une méthode systématique d’observation et de consignation de ces
observations, comme l’expose Bartenieff( 679):
248
« La formulation de sa théorie fut conçue comme une large structure
descriptive qui avait été mise en oeuvre pour englober la totalité des multiples
aspects de l’expression humaine par le mouvement… »
Pour ce qui est des points c) et d), notre discussion sur les notations correspondant aux
deux méthodes les a déjà résolus.
L’avantage des méthodes Laban d’analyse du mouvement, est qu’ils furent conçus
comme triade «Analyse - Notation - Cinétogramme».
Pertinence et faisabilité
permet d‘établir que l’application proposée en est pertinente, ce qui nous permet de poursuivre
l’examen des implications que notre proposition soulève.
En effet, nous avons vu jusqu’à présent que:
680 Information de mouvement: ce sont les valeurs concrètes relatives aux paramètres qui caractérisent cha-
que mouvement ou exercice. L'obtention de cette «information» est l'objectif principal de l'analyse du mouve-
ment, selon la définition donnée plus haut.
681 Le répertoire «Decroux».
682 Nous avons défini la mémoire du répertoire «Decroux» comme: l’ensemble des fonctions de conserva -
tion, de restitution et d’accès permanent des / aux informations «mouvement» des compositions d’Etienne De-
croux.
683 Idem.
249
• les besoins qui ont motivé notre projet sont réels (chapitres 3 et 4).
• l’application des méthodes Laban d’analyse et de notation du mouvement à
nos matériaux «mouvement» ( 684) est pertinente (chapitre 5).
• la maîtrise du langage du mime corporel par les acteurs qui réalisent ladite
exécution.
250
chapitre 6
Ce chapitre présentera et commentera les modalités du projet. Pour remplir les objectifs
assignés dans la méthodologie de notre bilan, il devra répondre aux questions suivantes:
En ce qui concerne la communication des partitions du répertoire «Decroux»pour
l’apprentissage du mime corporel:
Ce chapitre contiendra:
251
• l’utilisation de la cinétographie Laban comme méthode d’analyse et de nota-
tion du mouvement dans l’élaboration des notes d’étude et aide - mémoire né-
cessaires pour l’entraînement.
Préambule
La notion de répertoire d’Étienne Decroux utilisée communément, désigne l’ensemble
de ses oeuvres majeures. Dans le contexte de ce projet, nous élargissons cette signification en
y rattachant les développements de Decroux concernant le langage du mime corporel, en
partant de ses définitions et de son vocabulaire, ses exercices d’apprentissage - entraînement et
jusqu’à ses figures de style. Dorénavant, il sera désigné comme: le répertoire «Decroux».
Proposition
252
Objectifs
La proposition de «Notation du mime corporel» a comme principal objectif de
soutenir les acteurs, en ce qui concerne les domaines de:
l’apprentissage: dans la communication et la mémorisation des partitions du
répertoire «Decroux»
l’entraînement( 690): dans l’élaboration des notes d’étude et aide - mémoire à partir
de ces partitions
la préservation: dans la mémoire( 691) des «textes» de ces partitions
690 Après notre exposé sur l’apprentissage et la préservation, nous considérons l’entraînement comme le seul
moyen de rester en possession physique du langage du mime corporel donc, le projet Laban - Decroux l’intègre
comme un élargissement logique du terrain d’application des méthodes Laban d’analyse et notation du mouve-
ment.
691 Voir note N° 688.
692 Un de leurs usages les plus significatifs.
253
Ce projet entend :
• un travail en concertation avec les anciens assistants de Decroux( 693) qui se-
raient intéressés. Leur participation amènerait un intérêt non négligeable.
Par thèmes, en suivant des plans élaborés à propos d’un thème déterminé.
ainsi,
Les étapes
La méthodologie pour la réalisation de ce projet comprend les étapes suivantes:
254
Figure 7: Diagramme de flux du projet «Laban - Decroux»
255
La Classification des matériaux
Cette étape consiste dans l’identification des matériaux à noter et dans leur organisation
à l’intérieur du vocabulaire et des classifications développés par Decroux.
Dans la mesure du possible, les parallèles nécessaires avec d’autres classifications
existantes seront établis afin de garder les liens entre les noms et les appellations d’origine et
ceux en usage courant.
Études systématiques
Cette proposition présente deux lignes méthodologiques pour l’étude de nos matériaux,
afin de couvrir le mieux possible leur étendue.
Progressives
En suivant les degrés de difficulté de notation, de complexité technique ou d’exécution.
Par exemple: l’étude de l’ondulation en un seul plan suivi de celle de l’ondulation en triples
dessins, etc.
Thématiques
En suivant des thèmes précis, tels que l’étude des contrepoids, le travail des bras et
mains, l’étude des annelés, etc.
256
Figure 8: Diagramme de flux optionnel
257
Vérifications (Travail à réaliser avec la participation de personnes
externes)
Vérification de Notation(écriture) (696)
Par des notateurs expérimentés suivant un double processus de vérification -
correction(actuellement réalisée par Mme Jacqueline Challet - Haas( 697).
Bibliothèque / Médiathèque
Dans l’idéal, la création d’une bibliothèque / médiathèque contenant les
cinétogrammes, livres, articles, thèses et autres documents audio et / ou en images relatifs au
mime corporel serait souhaitable. Cette étape n’est pas indispensable dans le cadre du projet.
Applications
696 Voir la liste au jour des cinétogrammes vérifiés en écriture dans «l’État des lieux 98» dans les annexes.
697 Présidente du Centre National d’Écriture du Mouvement et membre expert de l’ICKL (International Coun-
cil of Kinetography Laban).
698 Voir «L’État actuel des cinétogrammes» dans «l’État des lieux 98» dans les annexes.
258
cinétographie Laban comme méthode d’écriture pour l’élaboration des notes d’étude sera à la
portée des acteurs (apprentis - mimes) qui s’y intéresseraient.
Spectaculaire (reconstitution)
L’utilisation des cinétogrammes des pièces de répertoire n’est envisagée que comme
«support - mémoire» pour leur étude. La reconstitution du répertoire à des fins spectaculaires
bien que possible, n’est souhaitable que sous la supervision directe des anciens assistants de
Decroux et avec l’autorisation de ses ayants - droit.
Option de complémentarité
Cette option comprend l’utilisation des supports «vidéo», en tant qu’outils de
documentation accessoires à l’analyse et à la notation. Les vidéos et les cinétogrammes
produits seront des supports de communication et de mémoire complémentaires ayant les
mêmes applications (Figure 8), ce qui ne doit pas modifier outre mesure la structure du cadre
méthodologique proposé.
Exemples
Les documents suivants sont une compilation des développements correspondants aux
propositions de ce projet dans leur état actuel (1998). Ils ne sont et ils ne prétendent pas à être
définitifs. Ils ne montrent que des axes possibles pour une application des méthodes Laban
d’analyse et de notation du mouvement au mime corporel. Sont inclus en fin de texte, quelques
cinétogrammes.
Facultés radicales
259
Thème Nom Version
Le lapin à la verticale en 1ère
en 2nde
en 4ème
Comédie musculaire
La tour Eiffel Inclinasion latérale appui tendu
appui fléchi
Le tronc Inclinasion
Translation
Colonne vertébrale Concavité de ceinture couteau dans le ventre
Convexité de poitrine la goutte d’eau froide
Jambes et pieds Rotation coxo - fémorale Balançoire
Articulation - extension - pliés et relevés
flexion
Appuis des pieds
Descentes, Dans l’eau à la verticale
chutes Buste en avant
Buste en arrière
Dans le tombeau
Les genoux Vers l’avant
descendent Latérale
continuellement Diagonale
Buste en 3D’s
Montées Envol
Travail au sol
Scolarités
260
Thème Nom Version Variation
Contrepoids Suppression à la 1ère
de support 1ère à 1ère
2nde à 4ème en profil Sur tronc droit
Sur tronc incliné
Étais latéraux
en profondeur
Diphtongue
Canon
Chassé
Tomber sur la Tête décomposé
enchaîné sans décoller les
pieds
en sautant
en sautant + dépla-
cement
Cardeuse décomposé poids avant
poids milieu
poids arrière
sautée
en annelé
Piston
Extenseurs sur le toit
Scolaires niveau d’eau
sur la - V -
devant
croisé
Chassé + bascule
croisé, buste 3D
Exercices Poussées latérales
Sissonne + transla-
tion (le chien)
Sissonne TE inclinée
chevalier de carton
Sissonne l’épaule contre la
porte
l’épaule sous
l’étagère
261
Thème Nom Version Variation
Dynamo - rythmes Toc moteur
Dynamo - rythmes Toc butoir
Toc absolu
Ponctuation
Vibration
Antenne d’escargot TE sur translation
bras / mains
Tête la dame de Nice
(c’est encore Elle)
tête la mauvaise nou-
velle
Dieu
Triphtongue sur une
ligne (ricochet)
Gravure
Trait de violon de TE à TE
sur un bras
sur deux bras
Résonance
Fondu
Ralenti
Absence d’accent
statique
Ressort spiroïde
Pression
Causalités Bâton
Ficelle
Bateau (départ im-
perceptible)
Nuage
Chiffon
Queue de poisson sur un bras la gaze
sur deux bras la soie, le voile
Ski sur un bras
Doubletake (tête) Simple
Double
Bras Formes Épée
262
Thème Nom Version Variation
Aile d’aigle
Aile d’aigle à
l’envers
Bras Formes bras en cerf
bras en couronne
sorcière du moyen
âge
l’oiseau de feu
Cape mouillée
bras en lierre
l’ange sur le bal-
connet
Pamplemousse - >
main d’offrande
hélicoptère (protec-
tion)
catch à l’envers
(dans la statuaire)
Niveaux Toit
D’eau
la - V -
Plans Latéral
Frontal
Porte - voix
Ange de feu
Gammes Progressive
Dégressive
Ondulation Base fixe
Compensation
Mains Symétriques Palette
Trident
Coquille
Salamandre
Marguerite
Asymétriques Désignation
Toucher
Prendre (petit objet)
Négligence
263
Thème Nom Version Variation
Positions il pleut
mendiant
exercices Schubert
Exercices La voiture
des bras la queue de
et mains l’hippocampe
La queue du chat
Show - biz
changement d’aile trois mouvements
d’aigle à la - V - deux mouvements
Schubert
La voiture
Annelés… progressif aller
… base fixe retour
dégressif aller
retour
… compensé progressif aller
dégressif aller
… double vers le haut
compensé vers le bas
De courbe à courbe base fixe progressif
dégressif
compensé progressif
dégressif
Translation sur progressif aller
une courbe retour
Translation sur dégressif aller
une courbe retour
Rétablis à partir d’une
courbe (aller cher-
cher)
Ondulation main sur bras plusieurs niveaux
Avant - bras et plusieurs niveaux
main
Bras / avant - bras /
main
Avec le buste Buste + bras réso-
nance
264
Thème Nom Version Variation
Bras + Tire / pousse
buste
en singe
Les yeux Yeux peints
Yeux remorqueurs
Les yeux Yeux en retard
Gammes Dessins simples Latérale
Profondeur
Rotation
Triples dessins
Translation latéral progressif
dégressif
profondeur
Contradictions Dessins simples latéral
profondeur
rotation
Triples dessins simples
multiples
Amputations Triples dessins simples
multiples
Rétablis Dessins simples au milieu normal
l’icelander
tahitienne
piston
à la TE
à la 5e / 1ère
à la 5e / 1ère (du côté
du poids)
à la TE
avec déplacement /
chassé
à partir d’une
courbe
à partir d’une droite
= tête fixe
265
Thème Nom Version Variation
à partir d’une droite
(sans déplacement)
= base et direction
fixes
Triples dessins à la T. E. en 3D’s
Annelés Base fixe Progressive
Dégressive
Compensation Progressive
Dégressive
Annelés la belle courbe
Exercices (plan latéral)
Le tremblement de
terre en St - Fran-
cisco
Retour en branche
Tête / buste / tronc latéral en 1ère
profondeur en 4ème
rotation en 2nde
Triples dessins
de courbe à courbe progressif
/ translation de tête dégressif
Ondulation Base fixe Progressive
Dégressive
Compensation Progressive
Dégressive
Scoop
Casque à pointe
Pas du duo
Ballonnet
Peau de banane
Le lion
Pas de Basque droit
le bon
le méchant
Le moulin à vent
Le quart de Valse
esquive / petit cha-
ton
266
Thème Nom Version Variation
Marches Soldat anglais droit
appui devant
tendu derrière
New York
Polonaise droit
Napoléon
La maîtresse
d’école de jeunes
filles
Marches Polonaise Balade (bras en
appui corde, épaules en
tendu cintre)
Base
Neutre
Sans accent statique
Des Anges sur les nuages
La Belle dame simple
qui reçoit un com-
pliment
Marche de luxe
Marches Du Sport
appui Le haleur
fléchi Chevalier du moyen
Âge
Entrée de l’Usine
Guetteur
Course dans le brouillard
Marche dans le trou
Liverpool
Tours Par accroc orteil (par terre)
talon (en l’air)
+ Translation du
tronc (contrepoids)
Tour ainsi - dessiné
Chapeau mexicain
le grand tour
Envol en tournant
267
Thème Nom Version Variation
envol en tournant +
chapeau mexicain +
le grand tour
En marchant
Figures de Style
268
Thème Série Nom Version
désigner L’idiot
Énervé
Travail Le forgeron
la hache Par le bas
Horizontale
Par le haut
Sport Extenseurs GGa
professionnels GDa
L’homme fort du
Boulevard du Tem-
ple
Homme de sport Sport l’haltérophile
Lanceur de poids
Le discobole
Homme de salon La pensée pure
L’écoute
le huit Horizontal
Vertical
Désignations Petit
Le juge
Le bras éternel
Théocrate
Gendarme
Les offrandes Classique DDA
Supp de support et
3 / 4 rond de buste
pied de nez
La belle figure
L’homme des îles
Le berger
Prise et pose DDA
DGA
DDa
DGa (Quasimodo)
Comme dans l’eau
Boire un verre en
26 mouvements
269
Thème Série Nom Version
On boit un coup
(3D)
Prendre sans regar- Progression (du
der, poser sans voir plus léger au plus
lourd
poser en haut
doute, poser à côté
changement, fina-
lement derrière
Les adieux Le lys dans la val-
lée
la jeune fille du
boucher
le fils prodige
Homme de salon Les adieux au - dessus de la
tombe
Le câlin au petit
animal
Le mousquetaire
L’épée du général
Le voleur de tartes
le joueur de cartes
au bar le maître d’hôtel
C’est pour vous
La chope de bière
l’affichiste Lignes
Le point - le pin-
ceau
Points
Le huit
le pic fleurs
La prière
St. Sébastien
Le scientifique
Tiré par une force Main
extérieure Pied
Le Chat
270
Thème Série Nom Version
Espoir - desespoir
(toucher et être tou-
ché)
Les cheveux dans le
bain
Caresse sur le dos
de Vénus
Le baiser
L’amour en trois
actes
Le tiroir
Statuaire mobile Endymion
Le serpent dans le
tube
Homme de songe Le dernier verre
Pièces de répertoire
699 A notre connaissance, les seules traces de cette pièce seraient les souvenirs de ses témoins (des élèves de
Decroux autour du début des années 80, et les souvenirs de sa seule interprète (?).
271
Catégorie Thème Nom
Passage des hommes sur la
terre
Pièces d’autres répertoires ( 701) Alpha
Le sommeil
La chaise
Le journal
La Table
La table, la chaise et le verre
Études systématiques
700 A notre connaissance, les seules traces de cette pièce seraient, autre les textes que Decroux lui a dédiés,
quelques photos et les souvenirs de ses interprètes vivants (première à Tel - Aviv, Israël, 1950).
701 Nous connaissons ces pièces de Thomas Leabhart, d’après l’enseignement reçu de Steven Wasson.
702 Voir plus loin «Adaptations».
272
Exemple d’étude thématique
Notation des annelés
La notation des annelés est à notre avis un sujet fondamental d’étude dans la mesure où
elle contient des pièges d’analyse et des problèmes complexes de notation qu’il est nécessaire
d’essayer de déjouer et auxquels il faut proposer des solutions vraisemblables. La complexité
de notation a pour origine la façon singulière par laquelle les différents éléments du tronc
participent à la construction des annelés, ce qui est unique au mime corporel.
Notre intention est de mettre en relief les rapports existant entre les différents
composants corporels (spécifiquement ceux du tronc( 703)), les aspects géométriques et
mécaniques des mouvements possibles pour la construction des annelés avec leur notation.
Pour cette étude, il nous semble pertinent de limiter l’analyse et la notation du
mouvement aux annelés les plus simples, ceux qui en l’occurrence devraient être en même
temps représentatifs de la richesse, de la variété et de la complexité de cette «forme».
Nous nous servirons en tant que base, des annelés construits à partir d’une droite, cette
fois - ci celle définie comme: la station debout (droite verticale) en seconde et quatrième
positions. Les autres possibilités de construction, telles que les annelés construits à partir d’une
droite diagonale, à partir d’une courbe, en première position, sur les genoux, etc. ne seront pas
utilisées.
A la fin de notre étude sur la notation des annelés, nous devrons être en mesure de
proposer en glossaire, des «formules»( 704) de notation «standardisées» des différents
annelés, applicables aux diverses situations de mouvement dans la pratique du mime corporel.
Définition
Les courbes ou annelés sont la première forme complexe construite dans l’esprit de la
géométrie corporelle. L’inclinaison d’un élément corporel s’ajoutant à celle du précédent en
serait la définition plus simple.
Si nous parlons d’inclinaison latérale (cf. cinétogramme 30 dans les annexes), à la fin
du mouvement qui nous mène à la construction de l’annelé (temps 6 du cinétogramme), nous
avons affaire à un dessin corporel similaire à:
703 Dans l'esprit de M. Decroux : bassin, taille, poitrine, cou et tête. Cf. «Glossaire d'Anatomie du mime cor-
porel», plus loin.
704 Voir «Formules» plus loin.
273
lequel est l’annelé le plus simple. En analysant les deux cinétogrammes (30 et 74) plusieurs
questions se profilent en rapport aux annelés et à leur notation.
Pourquoi deux cinétogrammes?
Pourquoi deux portées sur chaque cinétogramme? Ici, chaque portée est une réponse en
soi, et chacune montre une des façons de construire l’annelé: Progressive ou Dégressive.
Pourquoi les angles des éléments corporels (et l’amplitude finale) de chaque annelé
noté sont - ils différents?( 705)
Différents annelés
La liste suivante prend en compte seulement les annelés choisis comme base pour notre
étude.
Absolu (150° et 135°)
• global (tout intervient à 30°)( 706)
• partiel (tête, buste, tronc à 45° chacun)
Scolaire (75° et 90°)
• Global (par pas de 15°)
• Partiel (par pas de 30°)
Petits annelés
En rotation
• Absolu (225°)
• Scolaire (135°)
705 Les réponses à ces deux dernières questions ont été trouvées quelques mois plus tard, actuellement elles se
trouvent sur des notes manuscrites en attente d'une étude plus approfondie avant leur publication.
706 Sous un principe idéal d'égalité ou de «solidarité musculaire».
274
Construction fragmentée (ou géométrique) (707)
Base fixe, progressive
• Latéral en 2ème
• Profondeur en 4ème, en avant
• Profondeur en 4ème, en arrière
Base fixe, dégressive
• Latéral en 2ème
• Profondeur en 4ème en avant
• Profondeur en 4ème en arrière
• Latéral en 2ème
• Profondeur en 4ème en avant
• Profondeur en 4ème en arrière
En compensation progressive
• Latéral en 2ème
• Profondeur en 4ème en avant
• Profondeur en 4ème en arrière
En compensation dégressive
• Latéral en 2ème
707 Pour une meilleure clarté, cette approche introduit certaines notions de développement mécanique du
mouvement sans impliquer encore des notions de dymamique - effort.
275
• Profondeur en 4ème en avant
• Profondeur en 4ème en arrière
Ondulation
progressive
• base fixe
• en compensation
dégressive
• base fixe
• en compensation
Rétablissement
à la diagonale
à la verticale
dans le cas d’une étude systématique des annelés, il serait possible d’y ajouter:
• des commentaires et notes de Decroux
• des exercices et figures avec des annelés en une dimension
• le passage aux annelés en trois dimensions (triple dessins: 3D’s), en suivant
le cheminement décrit pour les annelés à une seule dimension
• des exercices et figures avec des annelés en 3D’s
Adaptations
Glossaires
Les glossaires contiennent ce que nous pouvons appeler des «définitions en
mouvement». Ils font la relation entre la notation et le vocabulaire, c’est - à - dire, l’analyse
d’un élément du vocabulaire dans son expression nécessaire et suffisante.
Leur utilité sera d’enrichir les sources d’information pour l’apprentissage de la notation
appliquée au mime corporel, et dans l’avenir ils pourront être utilisés comme une base d’étude
dans les deux disciplines.
276
Exemple:
Glossaire d’Anatomie du mime corporel
277
Dès lors, les perles se suivent en ligne droite. Et l’on meut la tige à son gré
sans qu’elle cesse d’être rectiligne.
III . La pensée n’a point d’articulation. Elle n’a donc pas de rebelle
2. - Les articulations des organes contigus, tels que : tête, cou, poitrine,
bassin, cuisse, et qui fonctionnent dans le même sens, ne le font pas avec égalité
3. - Leur inégalité, pour comble, est, si je puis ainsi dire, inégale : celle du
bassin qui est trop complaisante quand elle participe à une courbe du corps en
avant, est la plus rebelle dans une courbe arrière.
La région lombaire, trop complaisante dans ladite courbe arrière est très
rebelle dans une courbe du corps en avant. (711)
278
IV. Dans notre mime corporel, la hiérarchie des organes d’expression est la
suivante : le corps d’abord, bras et mains ensuite, enfin, visage. (712)
V. Ce que j’appelle le tronc c’est tout le corps y compris les bras et les
jambes... pourvu que ces bras et ces jambes ne se meuvent qu’à l’appel du tronc et
prolongent sa ligne de force comme une corde molle a fini par se tendre quand on a
projeté la pierre attachée à son bout.
Définitions
I. Groupements progressifs
«le mouvement est contagieux : qui ne veut mouvoir que la tête, meut son
cou sans le savoir. Il ne suffit donc pas que la tête consente à se pencher, il faut que
le cou refuse »
Mime et Mime.
«L’exactitude Géométrique»( 713)
ou
DKL - 315 a et DKL - 338a
279
N OTE : ce symbole (le marteau), n’existe pas (tel quel) dans le Dictionnaire de
Cinétographie Laban( 715) ni dans le livre Labanotation( 716). Toutefois il est
possible de le créer selon les indications de la description des sections du
corps augmentées; DKL - Part F XIV, deuxième paragraphe: Les symboles
pour ces sections (du corps augmenté) sont constitués par les symboles du
corps des deux sections extrêmes, placées dans un rectangle. Le symbole du
bas indique l’extrémité fixe (de laquelle sont jugées les directions), et le
symbole d’en haut indique l’extrémité libre, (laquelle se dirige vers la
direction indiquée). Et selon la règle d’utilisation de ces symboles consignée
dans la référence DKL - 440 n - r: le signe de direction au - dessus d’un
symbole du corps augmenté, signifie que la section entière, de l’extrémité
fixée à l’extrémité libre doit s’incliner dans cette direction en une ligne
droite. Ce qui correspond avec la définition élaborée par Decroux.
Le buste : pour Decroux c’est le bloc formé par les deux éléments antérieurs ajoutés à
la poitrine.
Anatomiquement, la description de la poitrine correspond à la section de la cage
thoracique, c’est - à - dire la section dorsale de la colonne vertébrale limitée en bas, par la
charnière frontière avec la section lombaire (vertèbres D11, D12, L1 et L2).
Dans la cinétographie Laban le symbole de la poitrine sous entend aussi le cou et la
tête, lesquels suivent le mouvement de la poitrine d’une façon passive: DKL - 418 f. La tête
est comprise dans tous les mouvements du tronc (418 e), de la poitrine (418 a) et de la section
des épaules (418 d). Seulement dans des cas exceptionnels il est établi, de manière explicite,
que la section en question comprend aussi la tête. Dans ces cas - là, le symbole de la tête est
placé dans le rectangle
ou
DKL - 418 a et DKL - 418 f
715 Ibid.
716 A. Hutchinson, Labanotation, Theatre Art Books, New York 1954 - 1970
280
Le symbole Laban pour le torse sera donc, selon la référence citée plus haut, ou en
suivant le même ordre que pour le buste:
Symboles Laban pour le torse
ou
DKL - 418 i et, selon DKL - F XIV
NOTE : il est important de mentionner que dans les cas de flexion ou enroulement
des sections tels que le marteau, le buste, le torse et le tronc, l’inclusion de la
tête, comme extrémité libre dans le symbole de section de corps augmentée,
y est indispensable du fait de sa participation à ce que Decroux appelle la
«solidarité organique». Principe du mime corporel selon lequel tous les
éléments corporels inclus dans un mouvement, participent de façon solidaire.
ou
DKL - 315 j et DKL - 418 g et 338 b
Symboles Laban
ou
DKL - 316 g’ et DKL - 440 a
La Tour Eiffel : aussi appelé «la statue», est le corps entier, de la tête aux pieds.
Symboles Laban
ou
DKL - 440 g et DKL - 440 e
281
II. Groupements dégressifs
En suivant le même esprit de groupement des parties du corps, il existe d’autres
métaphores d’appellation:
vase
socle
poisson
bouteille
Formules
Il y a des mouvements dont l’exécution et la notation présentent un haut degré de
complexité( 717), cependant d’après leur analyse il est possible d’en établir des «formules» de
notation simplifiées pour les représenter. Ces formules sont mises en égalité avec le
cinétogramme contenant l’analyse du mouvement des partitions en question, et indiquent en
même temps, que chaque fois que cette «formule» est rencontrée à la lecture, le mouvement à
exécuter est celui auquel elle fait référence (DKL 886( 718)).
Dans d’autres cas, où la cinétographie nous offre plusieurs possibilités de notation
correspondant au même élément du vocabulaire, il est possible de développer des «formules»
de notation «standard» pour en faciliter autant la notation que la lecture.
Exemple de «formule»:
Les cinétogrammes suivants, montrent la «formule» appliquée à la notation du
contrepoids «suppression de support coupé en 2nde position». Grâce à l’analyse, la
simplification apportée par l’utilisation d’une formule de notation, tient au fait que celle - ci
peut remplacer avantageusement les différentes écritures possibles d’un même mouvement, qui
bien que produisant des cinétogrammes différents, donneront à la «lecture» (exécution) le
même mouvement.
717 Par des contraintes de temps (très courts) et des directions (à peine ébauchées) spatiales et intercorporelles
impliquées, exemple: le "scoop".
718 A. Knust, A Dictionary of Kinetography Laban (Labanotation), Macdonald et Evans, Londres 1979. Le si-
gle DKL utilisé ici, correspond à l'identification donnée dans ce dictionnaire des références citées.
282
A na l ys e F or m ul e
Notes de style
Dans le cadre du projet «Laban - Decroux / notation du mime corporel», ces notes
seront développées pour rendre compte des limites données à la tolérance avec laquelle,
l’application des principes de la cinétographie est conforme au mouvement réel observé dans la
phase d’analyse.
Justification:
D’après la note incluse dans le cinétogramme N° 19 «Gamme latérale simple»( 719):
« NOTE : L’inclinaison des différents éléments est exécutée dans leur limite
anatomique et jusqu’à la direction indiquée par le symbole. »
nous pouvons dire que cette note ouvre la porte à une notation «symbolique» et «idéale»,
fondée plus sur la «théorie» du mime corporel, qu’objective et fondée sur le mouvement
observé. Notation qui traduirait plutôt le «langage» du mime corporel et non le mouvement en
soi. Nous pouvons nous demander jusqu’à quel point cela est nuisible à cette discipline, à la
notation ou à toutes les deux.
Cette perspective conduit à faire la réflexion suivante:
Faut - il installer dans la pratique des deux disciplines une tolérance telle que la
notation nous parle du mouvement voulu et le mime corporel de celui dont nous sommes
capables?
283
Distance réelle, que seules la pratique du mime et les conformations anatomiques
privilégiées seront capables de franchir pour parvenir un jour à «jouer» la note choisie par
Decroux.
Cela est parler de la prééminence qui d’emblée serait accordée au mime sur la notation.
Mais, quelle serait donc la fonction de la notation quand elle s’applique à un art, sinon de
devenir son outil et de lui prêter ses capacités?
Il est important enfin, de noter les partitions du mime corporel en ayant à l’esprit la
définition que donne Decroux au terme «technique»:
« Ce que j’entends par technique c’est la faculté de faire ce qu’on veut ; et
pour le moins ce qu’on croit faire… »
il continue;
à notre avis, c’est parce que le corps nous trahit qu’il faut que l’idéal du mime corporel soit
gardé comme but à atteindre.
284
Inclinaison de tête plan sagittal
C C
C C
C C C C C C C C
285
Cinétogrammes
Ces exemples sur les modalités pratiques du projet de notation du mime corporel,
seraient incomplets sans des cinétogrammes qui montrent concrètement les possibilités que
cette application peut offrir.
Ces cinétogrammes, sans prétendre couvrir toutes les possibilités, illustrent certains
points d’application choisis pour leur simplicité. En même temps, ils nous permettent, soit
attirer l’attention sur un détail pédagogique important, soit de faire une remarque sur
l’utilisation des méthodes Laban.
Le premier exemple (Figure 9) est le cinétogramme d’un exercice appelé «Contrepoids
et Tours en 4 ème», qui est une des premières applications d’un contrepoids au déplacement
dramatique.
En même temps qu’il peut être représentatif d’un élément du vocabulaire, le
cinétogramme de cet exercice contient les indications pour l’exécution, l’apprentissage et
l’acquisition de la compétence demandée, ainsi qu’une note pédagogique explicative de
l’attitude corporelle générale recommandée.
Le deuxième exemple (Figure 10) nous permet d’illustrer d’une façon assez simple le
problème de la compréhension d’un mouvement pour arriver à l’exécution et à l’apprentissage.
286
Figure 9: Premier exemple des cinétogrammes.
720 Ces cinétogrammes ont été réalises à l'aide du Logiciel : Laban Writer Labanotation Software for the Ma-
cintosh® Version 3.2.1. © 1990 - 95, The Ohio State University, Department of Dance.
287
mime corporel, et où la simple imitation ne peut pas assurer la transmission et la
compréhension des détails. La nécessité de l’analyse et l’utilité du cinétogramme sont donc
évidents
288
Figure 11: Troisième exemple des cinétogrammes
289
Des possibilités d’application au mime corporel
Questions pratiques
Le contexte de la Notation
En ce qui concerne l’écriture du répertoire «Decroux» envisagée dans ce projet, il est
capital de ne pas perdre de vue son «contexte de notation». Voyons, par exemple la notation
des inclinaisions des différents éléments corporels (voir la note du cinétogramme N° 19, dans
les annexes). Nous pouvons dire que la lecture sur un cinétogramme d’une «inclinaision
latérale du buste, d’une huitième en haut à droite», peut signifier plusieur choses à la fois, est -
ce:
• une indication à suivre? (intention de l’auteur)
• un mouvement exécuté réelement par quelqu’un? et si cela s’avère vrai,
• une interpretation personnelle, donc ponctuelle?
Or, la «lecture» des cinétogrammes dépend du contexte de notation dont ces derniers
sont issus. Ce contexte doit être mis en évidence pour tout travail de notation et toute
production de cinétogrammes.
Dans notre cas, étant donné que notre intention est d’analyser et de noter des matériaux
d’apprentissage du mime corporel, aux fins d’entraînement, notre contexte sera, sauf indication
précise: «l’indication à suivre» (contexte préscriptif).
721 Petit à petit, dans la mesure où il sera possible de les retracer physiquement, il serait possible de docu-
menter l’ensemble des compositions de Decroux.
722 Et moteur de motivation.
290
Notation et Variation
Dans le travail d’analyse et de notation du répertoire «Decroux», chaque «note» de la
partition «objet d’étude» doit être consignée le plus complétement possible, dans les niveaux:
• corporel, l’utilisation du poids et / ou la partie du corps concernée
• spatial, la direction principale, l’amplitide et la déviation (s’il y a lieu)
• mécanique, la séquence chronologique ou le type d’enchaînement
L’entraînement et la notation
A partir du cinétogramme de la définition (expression minimale de la partition - object
distinct) de chaque élément du vocabulaire et des exercices, il sera possible de passer
physiquement à la variation qui en modifiant un composant «mouvement» à la fois, ne
changerait pas ladite définition.
NOTE: s’assurer que le bassin reste aligné dans la ‘Tour Eiffel’ et que la colonne vertébrale
n’a aucune déviation.
Cela crée une tension car, il faut forcément pousser cette jambe contre le sol en même
temps que la colonne vertébrale tire vers le haut et que tout notre poids passe sur la jambe
«d’appui fléchi».
723 Sensation objective ou perception qui n’est pas d’origine émotionnelle ni intellectuelle.
724 Cf. Figure 12.
291
De l’aptitude à suivre ces indications résulte le développement d’ensembles neuro -
musculaires; ceux permettant le contrôle de cette tension musculaire et visuelle( 725), et ceux
nécessaires à sa construction anatomique( 726).
Dernières propositions
725 Ne pas oublier que l’image donnée par cette «forme» est d’une tension «graphique» évidente.
726 L’inclination du bassin dans l’ensemble du tronc est une des compétences des plus difficiles et longues à
développer.
292
«Les cahiers du projet Laban - Decroux»
A la fois outil et rapport de cette application, ces cahiers organisés par thèmes
concernant les divers aspects de l'art du mime, contiendraient des articles consacrés, par
exemple, à «l'articulation», «les causalités», «la composition», etc. Non pas pour clore ou
boucler l’étude du mime corporel, car leur intérêt serait de rester ouverts afin de servir de guide
à l’approfondissement de cette application.
Ces cahiers serviront aussi de base pour des applications autres, dans de domaines tels
que: la pédagogie, la recherche et la création.
En outre, à mesure du développement de l’intérêt des acteurs, il sera possible de se
servir des nouvelles technologies pour faire des documents «multimédias» associés entre eux
par des liens «hypertexte» et contenant outre le cinétogramme, une fenêtre d'animation -
vidéo, une zone de texte dédiée aux notes sur des aspects historiques, les principales difficultés
d'exécution, les objectifs et champs d'application pédagogique, et les domaine et thème d'étude,
etc.
b). former des acteurs - lecteurs qui pourraient participer au projet dans la phase de
vérification en lecture.
c). enfin, étant donné que les bénéficiaires de la réalisation du projet seront les
acteurs, ce cours est la clé qui permettra de fermer la boucle.
293
Problèmes liés au cours de cinétographie adressé aux acteurs.
L’établissement de ce cours ne va pas sans posser certains problèmes fondamentaux, le
plus important étant son rattachement à un centre de formation physique d’acteurs fondé sur
l’apprentissage et la pratique du mime corporel( 727).
Il y certainement des points de discusion qui concernent spécialement ce cours, mais ils
sortent du cadre de la thèse donc, nous ne ferons que les signaler, entre autres:
• A qui doit être ouvert ce cours?
Une des premières questions à traiter: doit - il être offert seulement aux élèves qui
assurent un niveau minimmum (avancé) d'exécution physique (technique)? Pour ne pas donner
la possibilité d'instaurer l'idée que l'analyse et la notation du mouvement peuvent à eux seuls se
substituer aux cours et à la pratique régulière du mime corporel( 729).
727 Où la formation est assurée et assumée par un acteur ou une actrice qui, ayant la maîtrise physique du
mime corporel dramatique, est en train de l’apprendre à d’autres acteurs, s’en sert sur scène et a la mémoire du
répertoire «Decroux».
728 Problème à l’origine de la proposition du projet «Laban - Decroux» et un des principaux objets de discus-
sion de cette Thèse. Nous reviendrons sur ce point dans «le Bilan», plus bas.
729 Danger réel qui motive la plupart du rejet manifesté à l’encontre du projet «Laban - Decroux».
730 En mime corporel et en cinétographie.
294
Etant donné que le mime corporel a des caractéristiques de mouvement propres, et que
cette proposition est la première du genre, il sera nécessaire de développer une progression
spécifique à l’apprentissage du système.
Le traitement d’autres problèmes, des changements, adaptations, etc. pourront être
consultés dans les «Etats des lieux» annuels qui seront publiés.
Le projet «Laban - Decroux», tel qu’il est développé ici, est actuellement en cours
(1998) et loin d’avoir été mené à son terme. Qu'aujourd’hui son «bilan» ne soit que théorique
est évident. Ces travaux demandent et ont déjà demandé beaucoup de temps et d'efforts. Les
fruits seront eux aussi longs à venir …
295
Quatrième Partie
« Les avantages et les risques »
731 Etienne Decroux, en parlant des origines du mime corporel: Paroles sur le mime, op. cit, page 33.
296
Ce bilan théorique du projet Laban - Decroux, consiste dans l’évaluation de l’apport de
l’application de la cinétographie Laban à l’apprentissage et à la préservation du mime corporel.
C’est - à - dire, qu’en vue de la proposition faite aux acteurs de:
• supports «écrits» qui servent à la communication et à la préservation du ré-
pertoire «Decroux», les cinétogrammes
• la maîtrise du langage du mime corporel par les acteurs qui réalisent ladite
exécution.
Sans ces acteurs, seuls en mesure d’exécuter les partitions, il est impossible de
les connaître et les apprécier.
297
En ce qui concerne cette expérience, dans le chapitre IV, nous citons Decroux( 732) qui
donne comme objectif à l’apprentissage sa gymnastique( 733), de: «mettre l’acteur en état de
faire ce qu’il veut, de savoir ce qu’il fait et d’inventer ce qu’il faut» .
Cette expérience, comme nous l’avons exprimée plus loin dans ce même chapitre, en
situation de représentation se présente à l’acteur comme un « état de vigilance plus large qui
lui permet de dépasser l’exécution physique (des partitions), en se débarrassant du souci de
performance et de mémoire, et en se relâchant suffisamment pour intégrer le choix du moment
et du degré pour l’application de l’énergie musculaire»; ainsi elle donne à l’acteur, l’accès au
jeu corporel.
En outre, nous avons signalé que: « jouer corporellement est possible, quand l’acteur
peut retrouver cette sensation» qui n’est pas permanente, car elle dépend de
l’entraînement( 734) et de la répétition au quotidien.
Ainsi, et ce qui est le plus important, seule cette expérience permettra à l’acteur de
comprendre que
732 Etienne Decroux: Dossier n° 57 «Mai 1953», pages 12,18 et 19, Fonds Decroux, op. cit. (Nous avons
souligné en caractères gras).
733 Le mime corporel.
734 Et dans l’entraînement, du degré de fidélité recherchée dans la performance et l’exécution de ses indica-
tions du répertoire «Decroux», en contrepartie de leur précision. Cette correspondance est l’accès à
l’assimilation et à la maîtrise du mime corporel comme langage physique de l’acteur.
735 Ou posséder.
736 Les Styles de jeu du mime corporel sont: L’homme de sport, l’homme de salon, la statuaire mobile et
l’homme de songe. Leurs définitions physico - dramatique ont été présentées plus haut sous le titre «Le mime
corporel, un langage physique pour l’acteur».
298
Après presque dix ans de travail autour du projet Laban - Decroux, nous devons dire
que si l’analyse du mouvement appliquée au répertoire «Decroux» révèle concrètement le
fameux «esprit géométrique» et en permet la compréhension comme support structurel des
«principes» du mime corporel, notre expérience nous a montré que cette compréhension reste
stérile sans la matérialisation corporelle des fondements biologiques de l’action dramatique:
le jeu (comédie) musculaire et la manipulation dramatique (extra - quotidienne) du poids
corporel et de la colonne vertébrale.
avec le degré de précision qu’il est possible aujourd’hui d’attribuer à Decroux. Au delà du fait
que si: communication, préservation, mémoire, intégralité des informations et précision des
partitions, ne sont pas les ingrédients d’une garantie quelconque de:
elles n’en sont pas moins les conditions fondamentales. Conditions qui par conséquence, sont
le seul moteur pour la réalisation du projet Laban - Decroux.
Enfin, il n’est pas inutile de rappeler que quand nous parlons de préservation,
communication, mémorisation, analyse et notation du mouvement, notre «objet» est constitué
par:
qui se trouvent «en deçà» du niveau d’interprétation( 739), et qui restent dans le terrain de
la formation et de l’entraînement propres au mime corporel. Informations qui concernent:
299
et qui sont mises en évidence par l’analyse des facteurs physiques du mouvement des
partitions, en considérant les liens organiques des séquences avec le contexte dramatique qui
les fonde.
Sans entraînement, point d’acteurs capables de matérialiser le jeu physique que suppose
l’assimilation et la maîtrise du mime corporel, et point de pratique( 740). Sans cette dernière, il
n’est certainement pas possible d’envisager une tradition, voire une influence quelconque,
héritée de Decroux.
Nous avons présenté le rôle de l’entraînement à plusieurs étapes de cette thèse, en
résumé, il est:
• le seul chemin d’accès à la maîtrise des dites ressources, porte de la liberté ar-
tistique
Ainsi, nous pouvons affirmer que sans l’entraînement des acteurs, il n’y a et il n’y aura
point de projet de préservation, communication, et / ou mémorisation du répertoire
«Decroux», qui donnera la moindre possibilité de survie au mime corporel, ou qui servira de
740 Le terme «pratique», utilisé en rapport au mime corporel, fait référence aux trois volets de cette
«définition»: être en possession physique de ce langage, en mesure de l’apprendre à d’autres acteurs et s’en
servir sur scène.
741 Qu’ils soient culturels ou personnels(ex. : ses «tics» et «manies» ou «habitudes» en mouvement).
300
support à sa tradition, indépendamment des méthodes d’analyse ou de notation du mouvement
utilisées( 742).
Dans ce contexte, nous rappelons au lecteur que la définition des objectifs du projet
Laban - Decroux, telle que nous l’avons vue dans le chapitre intitulé: le répertoire
«Decroux» et l’apprentissage du mime corporel , concerne
742 Voir plus loin «Des initiatives similaires concernant le mime corporel et / ou le répertoire «Decroux»,
page N° 319.
743 Fixant les cibles du projet Laban - Decroux dans chacun des domaines cités.
301
chapitre 7
et par conséquence
ce qui signifie que la préservation matérielle dont il s’agit, étant celle d’une pratique
spectaculaire, est dépendante surtout
• du rappel musculaire (la remise en mémoire par l’exécution physique) de notre
«objet»,
744 Et la survie de la tradition du mime corporel en tant que pratique spectaculaire actuelle.
745 La «lecture» en termes du mouvement signifie: l’exécution ou la performance physique, reprise et inter -
prétation concomitantes du «texte» de la partition en question. Pour établir un parallèle «parlant» à l’intention
du lecteur, nous l’invitons à imaginer l’intention de préservation d’un texte classique, disons de Racine, réalisée
par le moyen de son interprétation par des bègues non francophones.
302
La réalisation de ces deux nécessités réciproques fournit une des conditions
précedamment citées( 746) à la réalisation de notre projet..
A partir de là, considérant remplies les conditions qui permettraient la réalisation du
projet, et parmi des acteurs qui s’entraînent quotidiennement, voyons comment les
cinétogrammes issus de l’application des méthodes Laban, en tant que supports extra -
corporels de mémoire détermineraient (théoriquement) la préservation.
La première condition dans laquelle l’utilisation des cinétogrammes pourrait déterminer
d’une quelconque façon la préservation du répertoire «Decroux», est que les acteurs soient en
mesure de s’en servir, ce qui demande que la deuxième condition de notre cadre de référence
soit remplie.
Après quoi, et selon ce que nous avons vu dans le chapitre sur les méthodes Laban, la
«lecture»( 747) des hypothétiques cinétogrammes pourrait renseigner les acteurs avec
précision sur: l’utilisation du poids, les parties du corps impliquées, la chronologie des
mouvements, la direction dans l’espace, les rapports intercorporels, la vitesse, les rythmes, les
inter - rythmes, le degré de tension musculaire ou de relâchement, les pauses, la respiration, le
focus( 748), etc.
Grâce aux cinétogrammes, les acteurs auraient un accès permanent à ces
renseignements «mouvement», sous la forme de symboles qui pourront être «lus» et
«traduits» directement en mouvement( 749) pour l’étude, la reprise et l’entraînement essentiels
à la préservation du répertoire «Decroux»( 750).
Le restant des informations des partitions se trouvant en dehors du domaine stricte du
mouvement et liées organiquement à leur contexte dramatique: le but des actions, les
personnages, charges émotives, intentions, motivations ou états représentés, etc. peut être
consigné, préservé, communiqué et mémorisé à l’aide du langage écrit, tel que le montre
l’exemple: «inclinaison de ‘Tour Eiffel’ appui fléchi»( 751).
746 Voir plus haut «Conditions de réalisation du projet Laban - Decroux» page N° 297 .
747 A - linguistique et impliquant la mise en mouvement des informations «mouvement» lues.
748 De l’anglais: point focal du regard.
749 Cf. le sous - titre «Deuxième confrontation» dans le chapitre 5: «Le mime corporel, l’analyse et la nota-
tion du mouvement».
750 Voir aussi le titre «La préservation et la mémoire», plus haut, dans le chapitre IV.
751 Cf. «Cinétogrammes, matériel pédagogique», plus haut, dans le chapitre VI.
303
cinétogrammes comme «moyens extra - corporels de mémoire» complémentaires dans la
préservation du répertoire «Decroux».
Cependant, il est nécessaire de rappeler que le premier désavantage réel pour les
acteurs, est l’obligation de l’apprentissage( 752) des méthodes Laban d’analyse et d’écriture du
mouvement, comme discipline additionnelle à l’étude du mime corporel.
Face à cet «écueil», nous invitons le lecteur à revoir l’analyse des autres supports extra
- corporels de mémoire pouvant être utilisés( 753), lesquels conservent les informations
«mouvement» des partitions, au mieux dans un état «synthétique», et au pire éparpillées et
incomplètes, et qui en aucun cas, ne donnent la clé de l’analyse du mouvement des partitions.
De ce fait, avec ces supports, nous sommes toujours en présence d’un «objet» qui, aux fins
d’apprentissage, but ultime de la préservation, sera tout de même à analyser.
« ...L’objet doit être un travail d’auteur original, qui ait été fixé dans une
forme tangible d’expression.
Cela révèle la double nature de cette question; d’un côté, l’oeuvre notée et de l’autre, le
travail de notation en soi. La notation du mouvement peut donner une forme fixe et tangible
d’expression aux créations, ce qui leur permettra d’être protégées au même titre que les
752 Cependant, à notre avis, trois ans d’étude permettraient de tirer tous le avantages de cet apprentissage.
753 Voir «Les supports extra–corporels», plus haut sous le titre «La préservation et la mémoire», du chapitre
IV.
754 Patricia W. Rader, Rapport de la conférence: «A forum on Legalities and Notation». Apparu dans le
Dance Notation Journal, Volume 5 Number 1, New York. Dance Notation Bureau. Printemps 1987, page 41.
(Nous avons traduit de l’anglais, souligné et mis le gras des caractères).
304
créations musicales non enregistrées, et le travail de notation peut être protégé de façon
similaire à celui du traducteur.
Aux États Unis, peut être protégé l’objet défini dans le cadre de la loi comme «un
arrangement graphique et visuel des signes» , ce qui d’ailleurs ne satisfait pas complètement
les notateurs( 755). Il y a aussi les droits de reproduction et de représentation sur scène et dans
des lieux publics. Dans ces cas, la notation sert l’intérêt des auteurs.
En tout état de cause le débat n’est pas clos et la notation du mouvement comme
procédé de sauvegarde des travaux artistiques est à peine une nouvelle donnée dans le domaine
de la loi. Aux artistes et aux notateurs de lui trouver une place face aux législateurs.
que leur utilisation effective aux fins de préservation des informations «mouvement» des
partitions est conditionnée à:
• leur adéquation aux diverses natures de ces informations( 756)
• leur aptitude à contenir, conserver et restituer lesdites informations
305
Inaccessibilité qui, par ailleurs, pénalise gravement leur utilisation aux fins de
préservation, et cela malgré l’existence certaine des films et vidéos que nous avons eu
l’occasion de visionner dans les écoles que nous avons fréquentées( 759), et des films que
Georges Molnar( 760) montre encore aujourd’hui.
Quelques films sur l’œuvre de Decroux (ou sur des œuvres que lui sont attribuées) ont
été utilisés par Jean - Claude Bonfanti( 761) dans son émission télévisée en hommage à Etienne
Decroux. Il cite les films d’archives suivants:
Corinne Soum et Steven Wasson: «l’homme qui voulait rester débout»,
reconstruction de pièces de répertoire de Decroux, exécution par le Théâtre
de l’Ange Fou, 1992.
Pierre Richy: «La grammaire», exécution de Decroux, 1953.
Département de théâtre de l’Université de Baylor, Texas: «Corporeal mime»,
exécution de Decroux, 1961.
Del Danske Filmmuseum: «Etienne Decroux in Amsterdam» conférence -
démonstration de Decroux, 1967.
Au fait que ces films ou vidéos sont pour la plupart aujourd’hui introuvables( 762),
s’ajoutent des questions concernant leur qualité matérielle ou des doutes sur leur contenu( 763),
au point que leur existence ou leur valeur intrinsèque peut être mise en question, malgré des
rumeurs concernant de nombreuses collections privées( 764). Leur disponibilité et utilisation
réelles en tant que support extra - corporel de mémoire du répertoire «Decroux» aux fins
d’apprentissage du mime corporel, sont pratiquement nulles, non seulement du fait des
contraintes liées à leur collecte et consultation, mais aussi à cause de leur vétusté
matérielle( 765).
Guy Benhaim; Le mime corporel selon Étienne Decroux; op. cit. page 136.
764 Entre autres celle de Maximilien Decroux (cité par Guy Benhaim: Le mime corporel selon Etienne De-
croux, op. cit. page 6), qui en dénie l’existence.
765 Le plus récent daterait des années 70’s. Voir dans les annexes la liste des films sur l’œuvre de Decroux (ou
que lui est attribuée), publiée dans le catalogue des films sur le théâtre et l’art du Mime.
306
Parmi les films les plus récents sur le mime corporel, ou sur des pièces de répertoire de
Decroux qui peuvent être cités, il y a notamment les enregistrements du spectacle «l’homme
qui voulait rester débout / hommage à Etienne Decroux»( 766), avec le «Théâtre de l’Ange
Fou», faits à: Philadelphia (1992), Amsterdam (1992) et Périgueux (1994).
En outre, Guy Benhaim( 767) fait référence à un film réalisé par Yves Lebreton, et la
Bibliothèque du Neederlandse Theater Instituut d’Amsterdam possède une collection de films
de Will Spoor( 768). Cependant, des sources consultées, et de notre passage dans les écoles,
nous ne retirons pas d’information qui nous permettrait d’affirmer qu’il existe quelque part, des
archives intégrant l’ensemble des films faits par Decroux, sous sa direction, ou dont le contenu
lui est attribué.
Enfin, à la fin de cet exposé, nous devons nous rendre à l’évidence, et retourner à
l’affirmation exprimée dans l’introduction, sur l’inaccessibilité à laquelle est prédisposée
l’œuvre de Decroux.
Ceci nous conduit à signaler qu’à présent, en ce qui concerne la préservation et la
mémoire des compositions du répertoire «Decroux», essentielles à la tradition du mime
corporel, nous devrons compter principalement sur la possibilité de trouver des acteurs( 769)
pour qui ce langage est le fondement du travail artistique, c’est - à - dire, des acteurs qui
possèdent physiquement le mime corporel, qui sont en mesure de l’apprendre à d’autres
acteurs, s’en servent sur scène, et qui par ailleurs, ont la mémoire du répertoire «Decroux».
Ce n’est qu’à partir de cette rencontre que les supports de mémoire extra - corporels,
nécessaires à l’entraînement dans l’apprentissage du mime corporel, proposés avec le projet
Laban - Decroux, pourront modifier d’une façon quelconque l’état actuel de préservation du
répertoire «Decroux», surtout parce que les cinétogrammes issus de la notation du mime
corporel( 770) ouvriront aux acteurs un accès( 771) permanent aux informations «mouvement»
des partitions( 772) et permettront le reste des applications proposées.
En Octobre 1997, nous avons pu nous procurer, grâce à l’autorisation de Maximilien Decroux et à la collabo-
ration de Mme Trévelo du Département audiovisuel de l’INSEP, une copie vidéo du film du spectacle de Decroux
fait en New York en 1960, les images et la bande son du début sont abîmées du fait des nombreuses manipulations
que ce document a subies.
766 Voir dans les annexes l’historique des représentations de ce spectacle.
767 Guy Benhaim, Le mime corporel selon Étienne Decroux; op. cit. page 139.
768 Acteur de la compagnie d’Etienne Decroux dans les années 50.
769 Voir les conditions d’existence du répertoire «Decroux», page N° 297.
770 Dépendante des conditions matérielles de la notation du mime corporel. Voir plus loin, page N° 316.
771 Voir note N° 757, plus haut.
772 A notre avis, raison suffisante pour motiver l’apprentissage des méthodes Laban d’analyse et notation du
mouvement comme complément à l’étude du mime corporel.
307
Par ailleurs, nous insistons sur le fait que le projet Laban - Decroux ne se propose pas
en concurrence, et encore moins en remplacement, des méthodes ou des supports utilisés
éventuellement pour la préservation du répertoire «Decroux», tout au plus en tant que
complément.
Alors, ce n’est qu’en présumant remplies ces conditions supplémentaires, que nous
essayerons de répondre à la question: comment les cinétogrammes, en tant que moyens de
communication et de mémorisation, détermineraient - ils l’apprentissage?
308
Le fait que les partitions du répertoire «Decroux» soient écrites (dans n’importe
quel langage ou support, d’ailleurs) et que l’accès permanent aux
informations «mouvement» soit garanti aux acteurs, sera certainement une
motivation suffisante pour apprendre au moins à déchiffrer ladite écriture, ce
qui aura comme avantage supplémentaire pour le projet Laban - Decroux de
développer un «effet de boule de neige».
Le temps des cours est utilisé au profit d’autres activités, notamment la correction
par «l’œil expert externe» ou la communication( 774) des nouvelles
partitions (un parallèle peut être tiré avec le travail des acteurs, ou des
musiciens, sur des textes qu’ils étudient avant d’aller aux cours).
309
Chronologiquement, le premier glissement dans l’utilisation des supports extra -
corporels de mémoire, est celui qui consiste à passer de notes d’étude, ou aide - mémoire, à
moyens de communication. Puis par glissements successifs, les moyens de communication
deviennent moyen de préservation, et en fin sont considérés comme la mémoire - même des
pratiques dont ils ne sont qu’une référence.
I. - pour l’acteur
• la substitution de ces documents à la communication directe des informations
«mouvement» des partitions du répertoire «Decroux», et surtout l’idée que
l’accès à de tels documents peut remplacer les cours effectivement suivis.
II. - pour la tradition
• la substitution de ces documents,
- à la pratique( 779), en ce qui concerne la préservation et la transmission des
principes et fondements du mime corporel
D’autres risques
Ils concernent:
• La fuite (ou le vol) des informations dites «sensibles»( 780) et leur utilisation
«frauduleuse»: le plagiat.
Ce qui signifie, par exemple que: qu'une personne, lisant la cinétographie, sans jamais
avoir étudié le mime corporel, pourrait vouloir enseigner, en se fondant sur les cinétogrammes,
des pièces dont il prétendrait être l’auteur.
Analysons cette question multiple. Si le «plagiaire» peut lire le cinétogramme:
a) il est certain qu’il a une formation physique.
779 Nous nous permettons de rappeler le sens que nous avons donné au terme «pratique», utilisé en rapport
au mime corporel, lequel fait référence aux trois volets de sa définition: être en possession physique de ce lan-
gage (la préservation par le rappel musculaire), en mesure de l’apprendre à d’autres acteurs (la transmission) et
s’en servir couramment sur scène.
780 Des partitions des pièces de répertoire de Decroux jugées «litigieuses» du fait de leur possession par un
nombre réduit d’acteurs. Possession qui leur permet d’asseoir une absurde et prétendue légitimité de seuls et
«authentiques héritiers» de Decroux.
310
Jusqu’à aujourd’hui la plupart des notateurs et de ceux qui lisent la
cinétographie Laban, sont des artistes qui s’en servent d’une façon
professionnelle. Il n’y a aucun intérêt à apprendre une langue différente de la
sienne si ce n’est pas pour l’utiliser.
b) cela ne veut pas dire qu’il soit capable d’exécuter la partition concernée.
Il suffit de penser au musicien, dont la spécialité est le violon, face à une
partition pour piano, ou à l’apprenti comédien face à un texte de Racine.
Mais supposons qu’après un grand travail et d’innombrables répétitions le «plagiaire»
arrive à «jouer» la partition en question (ce qui prouverait son niveau professionnel en mime
corporel). Dans ce cas:
781 Thomas Leabhart parle d’imitation par la «coquille». Cf. «La communication, la mémoire du répertoire
‘Decroux’ et l’écriture des notes d’étude» sous le titre «l’École, une expérience» du chapitre N° IV.
782 Maria Szentpal. «The perception of movement». Communication présenté dans le cadre du 1er. Congrès
International sur la Notation du Mouvement à l'Université de Tel Aviv, Israël. août 1984. page 5, (Nous avons
311
« ... les obligations de celui qui apprend le mèneront de façon inévitable à
faire une copie, une imitation dans laquelle non seulement les éléments objectifs du
mouvement seront imités, mais aussi le résultat des caractères subjectifs de celui
qui enseigne, lesquels détermineront le sens et l’intention du mouvement. Il est
nécessaire d’avoir une grande habileté pour être capable d’une imitation aussi
proche de la perfection que possible.
Question que nous élargissons en nous demandant si celui qui apprend, n’ajoutera pas à
son tour, au moment de le transmettre, ses propres caractères subjectifs, de sorte qu’au fil des
générations qui se succèdent, l’objet d’étude se trouve de plus en plus éloigné. L’application de
la cinétographie Laban permet d’ouvrir une nouvelle voie de perception, entre autre, grâce à la
systématisation de l’analyse et de l’écriture du mouvement.
D’autre part, la sauvegarde d’un texte fixe n’a jamais limité les possibilités
d’interprétation personnelle, et cela se voit clairement dans la musique, de même que dans le
théâtre. Par contre, l’absence de référence au «texte» original des partitions peut conduire à
des variations parfois malheureuses, voire à des déformations et, à terme, à la perte de ce qui
fait la spécificité du mime corporel.
En fin, n’oublions pas que l’utilisation des cinétogrammes constitue un moyen qui
abolit le temps et parcourt l’espace( 783) permettant la communication, la transmission et la
préservation des informations «mouvement» des partitions, en évitant les déperditions que
rend inéluctable l’entropie des traditions orales.
• Diminution du «texte» des partitions via les cinétogrammes, ou les limites
concrètes de la notation du mouvement
Le fait que la cinétographie Laban comporte des limites dans ce qu’elle peut noter des
partitions, n’est pas un argument pour la rejeter, mais pour l’améliorer et l’adapter dans le
contexte même du Projet Laban - Decroux, comme une partie intégrale de celui - ci, pour
arriver un jour à surmonter ces prétendues difficultés.
Les traditions de la poésie, du théâtre et de la musique (qui sont, à l’origine, tous des
arts du spectacle) ont été hautement renforcées par l’utilisation de l’écrit, dans le cas des deux
premières, et de la notation musicale pour la dernière. L’affirmation que cette utilisation leur a
été nuisible, serait invraisemblable.
traduit de l’anglais).
783 Voir aussi ce que Laurence Louppe dit dans: «Les imperfections du papier», dans Danses tracées; op.
cit. page 29.
312
• Des difficultés d’apprentissage de la cinétographie et de l’utilisation des ciné-
togrammes.
Il s’agit d’un des défauts majeurs dont la plupart des artistes accusent l’analyse et la
notation du mouvement. Cependant il faudrait réfléchir au fait que cette même écriture qui
nous permet de communiquer est le résultat d’un processus de conceptualisation d’un haut
degré, au même titre que tous les langages symboliques (par exemple: les mathématiques,
l’écriture des réactions chimiques et même le code de la route …). Le chorégraphe hongrois
Pino Mlakar( 784) explique:
« Le fait que l’écriture d’une partition exacte et détaillée d’une oeuvre de
ballet (et par extension, celles du répertoire « Decroux »), demande beaucoup
d'efforts et de temps, ne peut pas être utilisé comme un chef d’accusation contre la
cinétographie.
313
- la technique élimine les médiocres, elle utilise le talent moyen et elle exalte
le génie »
Dans tous les cas néanmoins, il est du rôle du professeur de transmettre les autres
aspects du mime corporel, et de vérifier que le résultat du travail des acteurs correspond bien à
ce qu’il leur a demandé, en tant que «œil expert externe»( 788).
Cette liste n’est certes pas exhaustive, d’autres questions pourront encore être posées,
cependant, seule l’utilisation quotidienne de l’analyse et de l’écriture du mouvement, intégrée à
la pratique du mime corporel, pourra montrer les possibilités et les limites des méthodes Laban,
et permettra d’établir les vraies questions.
Enfin, il ne faut pas oublier qu’il ne s’agit pas d’une proposition de remplacement des
moyens de communication et de mémorisation des partitions du répertoire «Decroux»
utilisées couramment, et encore moins de renforcer la dictature de l’écrit sur la pratique. Les
cinétogrammes ne sont proposés que comme moyens complémentaires de communication et de
mémorisation.
A partir de notre expérience, il nous semble que la mise en contact des acteurs avec les
partitions du répertoire «Decroux», essentielle à l’apprentissage du mime corporel et à la
survie de sa tradition, doit être assurée et assumée impérativement par des acteurs( 789) pour
qui ce langage est le fondement du travail artistique, c’est - à - dire, des acteurs qui possèdent
physiquement le mime corporel, qui sont en mesure de l’apprendre à d’autres acteurs et qui
s’en servent sur scène.
Pour cette mise en contact, encore faut - il compter sur la possibilité de trouver ces
acteurs, car, ce n’est qu’à partir de cette rencontre que les propositions contenues dans le projet
Laban - Decroux pourront affecter, d’une façon quelconque, la tradition du mime corporel.
788 Voir le titre «L’œil expert externe» plus haut, dans le chapitre IV.
789 Voir les conditions d’existence du répertoire «Decroux», page N° 297.
314
Bilan pour l’élaboration des notes d’étude
• l’élaboration des supports extra - corporels de mémoire( 793) (ou mnémo - re-
lais) qui permettront la reprise et la répétition des partitions dans
l’entraînement.
Dans l’esprit du projet Laban - Decroux, les notes d’étude et aide - mémoire réalisées
par l’élève devront lui:
315
Ceci definit le premier points du débat sur l’application proposée des méthodes Laban:
la pertinence. Le deuxième point, celui qui concerne la faisabilité, n’est pas aussi évident, car,
il dépend directement des conditions matérielles de notation.
• les compétences des apprentis - mimes (les acteurs) pour faire l’analyse - syn-
thèse - mémorisation du mouvement observé en temps réel.
• les méthodes d’analyse et de notation du mouvement utilisées.
ces deux dernières conditions, devront être normalement satisfaites par le cours de
cinétographie Laban adressé aux acteurs et rattaché à leur centre de formation en mime
corporel.
La condition qui représente le point critique de cette proposition, c’est le besoin absolu
d’exécution physique matérialisant le répertoire «Decroux» par des acteurs de la génération
précédante, ayant la maîtrise du mime corporel, car, de nos jours la plus grande difficulté est
bien de trouver ces acteurs. Comme du temps de Decroux, qui en 1946, déclara:
… « La plus petite difficulté que j’ai rencontrée fut l’étude du mime, dit - il,
la moyenne difficulté, l’étude de la gymnastique ; la plus grande difficulté,
conserver les élèves parce que le théâtre et le cinéma les dérobaient au fur et à
mesure que je les préparais.
797 Le traitement des informations «mouvement» qui demande l’étude de nos partitions comprend, entre au-
tres, l’analyse - synthèse - incorporation.
798 «L’apprentissage du mime corporel», plus haut.
799 Étienne Decroux; "La compagnie Étienne Decroux" (Paru dans les programmes du 26 juin 1946, de
l'automne 1946, 17 mars 1947. Dossier N° 28, «26 juin 1946 - 17 mars 1947», pages 3 et 1 bis. Fonds Decroux,
op. cit. (Nous avons souligné en caractères gras).
316
« … Pour découvrir si le chant par exemple peut s’installer sur scène après
un très long temps de langage parlé, la difficulté n’est pas grande. Aussi bien :
pour créer le climat mental qui rendra le chant nécessaire, le fera gonfler ou surgir,
cela suppose un savoir - faire.
Mais ce qui conditionne surtout cette réussite, c’est d’avoir des acteurs à
sa disposition. » (800).
Cette situation à présent, n’a pas changé. Elle est la même qui au départ de notre exposé
nous a conduit à considérer le mime corporel comme une pratique marginale, et cela malgré les
déclarations enflammés des spécialistes concernant la vitalité du mime corporel( 801).
Pour la survie du mime corporel, il est capital, en premier lieu d’admettre que sans les
acteurs charnels ayant la maîtrise de ce langage, seuls capables de maintenir vivante la tradition
du mime corporel, il n’y a, et n’y aura que de la spéculation autour de cette pratique et de
l’héritage d’Etienne Decroux.
Non que nous voulions écrire le requiem du mime corporel, notre intention est de
signaler des attitudes que nous considérons comme étant à l’origine d’une situation, dans
laquelle parler de tradition, de préservation et de transmission des principes et fondements du
mime corporel, etc., est un non - sens stérile quand ce discours, ou celui sur l’influence de
l’œuvre d’Etienne Decroux, reste sans référence concrète à la pratique effective( 802) du mime
corporel.
Nous ne voulons pas, non plus, mettre en cause les quelques acteurs pour qui ce
langage est le fondement du travail artistique, mais les encourager dans leur pratique, car
justement notre démarche entière les met au centre de la tradition du mime corporel, en
signalant qu’il n’y a pas de mémoire ni de transmission des principes et fondements du mime
corporel sans l’assimilation physique préalable à la pratique professionnelle.
Enfin, une fois de plus, ce n’est qu’à partir de la rencontre possible avec ces acteurs,
que la question:
800 Idem: «Explication de l’art de l’acteur», Dossier N° 2, s / d, page 17. Fonds Decroux, op. cit. (Nous
avons souligné en caractères gras).
801 Comme exemple voir «Conclusioni» in: Marco de Marinis, Mimo e teatro nel Novecento, op. cit. pages
287 et ss, notamment son dernier paragraphe de la page 299, où il affirme:
«… la questione dell’attore non puó più essere la stessa dopo Decroux. Independentemente dai risultati artis-
tici che il teatro mimico ha conseguito in questi decenni, a prescindere dal fatto che gli spettacoli silenziosi pos-
sano avere o no un futuro, qui sta l’ereditá viviente dal mimo corporeo e di Decroux al teatro di domani, che é
anche ormai - se la prospettiva non sembrerá eccessiva - il teatro di un nuovo millennio».
(Nous avons souligné en caractères gras).
802 Cf. le titre «Les manifestations matérielles de la tradition du mime corporel», chapitre III, plus haut.
317
- comment les méthodes Laban d’analyse et de notation du mouvement
détermineraient - elles (théoriquement) l’étude, la reprise et la répétition des
partitions dans l’entraînement? -
trouvera son sens, puisque l’application des Méthodes Laban d’analyse et de notation du
mouvement n’est proposée que comme un outil complémentaire.
• donner au mime corporel un support «écrit» qui permettra son approche «in -
concreto», en facilitant la communication, l’étude et la mémoire au - delà et
en dehors du discours
ensuite:
• L’apprentissage de l’analyse et de la notation du mouvement, donnera à
l’acteur les moyens que lui permettront de se placer comme un observateur at-
tentif et actif de sa propre formation.
• La systématisation nécessaire à l’analyse et à la notation du mouvement donne
à l’acteur une structure de perception objective qui lui facilite l’étude, la mé-
morisation et la reprise des partitions.
803 Bien que nous hésiterions à considérer en désavantage un acteur ayant appris lesdites méthodes.
318
• d’étude, entre celui dédié à l’entrâinement et celui dédié à l’apprentissage et
les exercices d’analyse et notation du mouvement
cependant, nous avons aussi signalé que la prétension d’efficacité du temps d’étude, ne doit pas
cacher les besoins de l’acteur concernant les méthode d’analyse et de notation du mouvement
adaptées à l’étude du mime corporel, car si ces besoins ne sont pas satisfaits ou s’ils ne sont
satisfaits que partiellement, ceci constitue un obstacle concret pour l’étude des partitions, en
limitant la communication et la mémorisation du répertoire «Decroux» pour l’apprentissage
du mime corporel.
Nous considérons que le bilan du projet Laban - Decroux serait incomplet s’il ne
comportait pas un aperçu des propositions semblables, exprimées par d’autres personnes, et qui
reflètent d’une façon ou d’une autre l’existence de motivations suffisantes pour juger
nécessaire, voire urgente, la réalisation d’un travail visant à la revalorisation et la sauvegarde
de l’œuvre de Decroux.
319
Cela peut s’expliquer par le fait que parfois pour Decroux, un approfondissement
particulier était nécessaire aux recherches en cours, ce qui demandait surtout
des interprètes capables de reprendre une pièce en particulier et de donner
«corps» à ses nouvelles indications. Le défaut de la personne adéquate
pouvait certainement limiter le choix des pièces qui devaient être reprises.
Choix ou non - choix, le fait est qu’aujourd’hui nous ne pouvons pas compter sur
un grand nombre d’entre elles. Certaines de ces pièces, du fait des
circonstances de leur création, sont connues seulement de leurs interprètes.
Eux sont aujourd’hui, si leurs activités et intérêts actuels ou si la mémoire
qu’ils en gardent le leur permettent, les seuls en mesure de les apprendre aux
générations présentes.
D’autres, heureusement ont été filmées( 807), et malgré le sévère travail d’analyse
demandé pour leur reconstitution, certaines d’entre elles ont été reprises dans
le spectacle «L’homme qui voulait rester debout / Hommage à Étienne
Decroux» par le «Théâtre de l’Ange Fou» dans une mise en scène de
Steven Wasson( 808).
Si nous devions parler des pièces de répertoire, en fonction du critère cité( 809),
nous aurions une liste commençant avec le programme du dit spectacle: «La
Méditation», «L’usine», «Combat antique», «Le menuisier»,
«Croisements du matin» (ou «Duo amoureux I»), «La femme oiseau»,
«L’esprit malin», «La lavandière», «Le fauteuil de l’absent», «Le
prophète» et «Les arbres».
A cette liste, nous pourrions ajouter, sans prétendre être exhaustifs:
• les duos amoureux «Ils regardent autre chose» et «Dieu les conduit», «Le
feu» «La terre», «L’eau», pièces que nous avons vu interprétées par Jean
Asselin et Denise Boulanger avec leur troupe «Omnibus»
• la première pièce de Decroux: «Vie primitive», le «passage des hommes sur
la terre» et le duo amoureux «le matin», dont nous avons étudiées des ex-
traits pendant notre formation ou à la reconstitution desquelles nous avons tra-
vaillé avec le «Théâtre de l’Ange Fou» (notamment les deux dernières)
807 Voir: «D’autres documents reconnus capables de garder des traces matérielles des partitions du réper-
toire «Decroux». Page N° 305.
808 Création à Philadelphia pour le Movement Theater International, à laquelle nous avons participé. Ce
spectacle a été filmé à Philadelphia et à Amsterdam (par le Neederlands Mime Centrum).
809 Celles dont il y a des traces, qu’elles soient des documents filmés, des photos, textes, ou des souvenirs de
ses interprètes.
320
• «Les petits soldats», pièce considèrée par Decroux comme la préfiguration du
théâtre du futur
et enfin
Si les pièces de répertoire de Decroux se limitent à cette liste, dont nous mesurons
maintenant l’inaccessibilité, la précarité des supports et la fragilité des traces, nous ne pouvons
être rassurés quant à la préservation de l’œuvre de Decroux. Cependant, les propositions
concomitantes du «Théâtre de l’Ange Fou» et du Mime Centrum d’Amsterdam, ont offert à
quelques unes de ces pièces, un véritable sursis.
En 1992, à Philadelphia (États Unis), pendant le festival «New mime: a tribute to
Etienne Decroux»( 810), s’est tenue la table ronde «Perserving the Legacy: Recreating mime
repertoire through reconstruction and other documentation». Pour la première fois, la
préservation de l’héritage de Decroux était le sujet d’une table ronde, dans le cadre d’une
rencontre internationale autour du mime corporel.
A part le projet Laban - Decroux, présenté ici pour la première fois au public( 811), deux
autres propositions ont été présentées:
321
«Récupération, préservation et diffusion du travail du Maître Étienne Decroux / Analyse de la
technique du mime corporel et sa transcription en cinétographie Laban»( 813), et dont nous
présentons aujourd’hui le bilan théorique.
Un projet semblable, quant à ses objectifs, a été lancé peu de temps après par Yves
Lebreton( 814). Il crée une association qui se donne comme buts principaux:
il demande aux anciens élèves de Decroux, dans une lettre circulaire, de lui indiquer:
« … éventuellement, les documents que vous possédez sur Etienne Decroux
(photos, enregistrements, écrits, articles de presse ou vos propres notes de travail si
vous êtes un ex - élève de son école) afin de pouvoir constituer une archive aussi
complète que possible de son oeuvre »
813 En réfléchissant aujourd’hui à notre premier titre, il est clair que la signification du mot français
«Récupération» ne traduit pas exactement notre intention exprimée pour la première fois en espagnol. Nous
aurions dû utiliser plutôt celui de «Reconstitution». (Cf. l’Introduction).
814 Yves Lebreton: Lettre circulaire relative à l’appel de solidarité internationale en faveur de Mr. et Mme.
Decroux, Montespertoli, Italie, le 15 juillet 1989.
815 Fransjoris de Graaf: Een onderzoek naar mimennotatie, ontwikkeling van een universeel mime - notatie
systeem, Zeist 1982.
322
En tout état de cause, si les conditions d’existence du matériau «mouvement» qui nous
intéresse (ou les partitions du répertoire «Decroux», ou les pièces de répertoire de Decroux,
etc.), sont les mêmes pour tous, et que toute notation est contrainte à l’exécution physique qui
matérialise notre objet, il est certain que ce travail ne peut pas se faire en solitaire, et encore
moins, éloigné de la pratique du mime corporel.
323
Conclusions
« Que demandai - je pour que l’acteur que l’on entend parfois et que l’on voit
toujours, s’allonge en mime ?
816 Etienne Decroux; Paroles sur le mime, op. cit, page 66.
Cette étude se réfère principalement à nos recherches sur le terrain. Elle s’est nourri de
nos réflexions en tant que spectateur et notateur, et de nos expériences dans l’apprentissage,
l’entraînement et la pratique spectaculaire et pédagogique du mime corporel. Les textes
consultés nous ont permis d’en établir le tissu contextuel.
« …ce qui compte c’est ce que suggère le courant central de sa pensée, et que
celle - ci se condense quelque part » (817).
La troisième question concerne l’intérêt de notre projet. Cette question est la plus
importante. Sa réponse ne dépend plus des besoins des acteurs au cours de
l’apprentissage du mime corporel ou en vue de la préservation du répertoire
«Decroux». Elle s'élargit jusqu’à interpeller les pratiques spectaculaires
actuelles: quel est l’intérêt que présente le mime corporel aux acteurs en tant
que langage physique? quel est l’intérêt que présente l’intégration des
acteurs possédant ce langage aux productions actuelles?
La recherche des réponses à ces questions, nous a mené à faire une exploration
approfondie du lien entre l’œuvre de Decroux et la possibilité que l’on a de percevoir
820 Etienne Decroux: dans Genèse d’une pièce Dossier N° 57, «Mai 1953», page 21. Fonds Decroux, op. cit.
327
Ces indices permettant d’identifier l’influence héritée de Decroux et d’attester de la
réalité de la tradition du mime corporel, nous devons reconnaître qu’ils ne sont pas nombreux;
peu sont les acteurs qui maîtrisent physiquement le mime corporel, l’apprennent à d’autres
acteurs et s’en servent sur scène.
Aujourd’hui, la première génération d’acteurs formés au mime corporel par Decroux lui
- même, partage avec ses cadets de la deuxième génération, la gageure de préserver et de
transmettre le mime corporel pour enfin donner corps à sa tradition.
Nous sommes certains que du succès de cette transmission vers la troisième génération
dépendra que le mime corporel survive à son créateur. Cent ans aprés la naissance d’Étienne
Decroux, le mime corporel survivra - t - il à son créateur?
Tout dépendra des acteurs formés au mime corporel qui ne s’arrêteront pas en cours de
route et qui, brisant l’inertie qui veut que l’école de mime corporel forme des acteurs à perte,
relèveront le défi en faisant de l’enseignement une partie intégrante de leur exercice
professionnel.
Dans ces conditions uniquement, la communication et la mémoire des informations
«mouvement» du répertoire «Decroux», définies comme cibles du projet Laban - Decroux,
auront pour épreuve suprême d’assurer au mime corporel son accession au rang de tradition
vivante d’une pratique spectaculaire, et l’application que propose notre projet, aurait un intérêt
quelconque.
Enfin, nous ne pouvons pas ne pas signaler que la tradition du mime corporel en tant
que pratique, la préservation et la recherche subséquentes concernant ses divers aspects et
niveaux, sont impossibles et inconcevables si
• des acteurs ne les assument ni ne les assurent comme une entreprise collective
intégrant plusieurs générations.
328
• Une méthode d’entraînement qui vise à réveiller et à préparer l’acteur à
l’assimilation et à la maîtrise de ce langage.
• Une série de protocoles d’improvisation pour guider l’acteur dans l’exploration
des chemins spectaculaires qui lui permettent de rendre objectives, par le biais
de son «corps - en - action», les subtilités du jeu dramatique.
• le temps investi par l’acteur à son entraînement personnel (en dehors des
cours)
329
• l’accès que l’acteur peut avoir aux indications «mouvement» du répertoire
«Decroux», en attendant que la reprise et la répétition construisent les nou-
velles structures neuro - musculaires qui lui permettront de se servir de ce lan-
gage, comme d’une seconde nature, aux fins de représentation spectaculaire.
Nous considérons que les questions posées au projet Laban - Decroux / notation du
mime corporel dans son bilan théorique, sont moins importantes que celles relevées par cette
étude en ce qui concerne la pratique du mime corporel.
Nous devons dire qu’un jour, Decroux et le mime corporel ont été rangés dans le tiroir
réservé aux «mimes, clowns et autres artistes du cirque» de ce que nous appelons
«l’armoire» du spectacle. Depuis, le mime corporel n’a fait qu’un timide retour sur scène,
notamment, en se faufilant parmi les danseurs qui, étonnés des aptitudes au mouvement
dramatique de ces nouveaux venus, les ont bien accueillis.
Cependant, le plus grand risque de confusion qu’affronte le mime corporel n’est pas
dans ses rapports avec la danse, puisqu'elle devient de plus en plus dramatique comme
Decroux l’avait prédit( 821), mais paradoxalement dans ses rapports avec le théâtre, du fait que
les recherches théâtrales sur le «mouvement scénique»( 822) n’abordent jamais les
propositions de Decroux aux acteurs. N’est - ce pas étrange?
821 «Le jour serait venu où ç’aurait été moi qui aurais pris l’initiative de dire à eux ce qu’ils on dit à moi, à
savoir: ‘C’est notre art que vous pratiquez’».
Dans Etienne Decroux: Paroles sur le mime, op. cit. Page 69.
822 «Le terme ‘mouvement scénique’ est d’origine relativement récent. Il s’applique à la fois à la gestuelle de
330
Parmi les chercheurs présents au colloque de Saintes en 1991, sur «Les fondements du
Mouvement Scénique», combien se sont étonnés du fait que Decroux et le mime corporel
soient absents du programme?
A côté des recherches et expérimentations sur l’art de l’acteur, que mènent Barba,
Grotowski et leurs confrères (Brook, Wilson, etc.), nous pouvons nous demander quelle est la
place du mime corporel? existe - t - il encore un besoin de le préserver ou de le transmettre?
pourquoi préserver le mime corporel? mais surtout, pour qui?
La préservation de cet art justifie en partie notre entreprise, si toutefois, il existe des
acteurs qui s’intéressent à ce langage, et qui ressentent le besoin demontré par Decroux
d’acquérir les compétences qui permettent à l’acteur de se servir dramatiquement de son corps,
par l’apprentissage du mime corporel.
et qui en lisant Rudolf Laban, reconnaissent avec lui, le mime comme l’art théâtral de base.
l’acteur et à ses déplacements dans l’aire de jeu: cette géométrie de l’espace à laquelle Rudolf Laban était parti-
culièrement sensible et qu’a brillamment illustrée Jerzy Grotowski.»
Dans la postface de : Alain Porte, Peter Brinson, Béatrice Picon - Vallin, Vladislav Ivanov, Serguei Nikolae-
vitch, Raymonde Temkine, Yves Winkin; Les fondements du Mouvement Scénique. Communications du colloque
de Saintes «Par delà Stanislavski». Ed. Rumeur des âges et Maison de polichinelle, Saintes, 1993
823 Ibidem. Page 7. (Nous avons souligné en caractères gras).
824 Etienne Decroux; Paroles sur le mime, op. cit. page 195.
825 Rudolf Laban; Mastery of movement, op. cit. page 9. (Nous avons traduit de l’anglais). Nous voudrions
signaler que c’est en 1950 que Laban regrette la perte du mime. A cette date, il n’a certainement pas connu les
travaux de Decroux, une tournée de ce dernier en Angleterre a eu lieu en 1952.
331
… dans le nouvel art de l’acteur, les règles fondamentales de l’ancien art du
mime sont à nouveau au premier plan. Quand le mime, et avec lui la signification
du mouvement, est entièrement oublié ou négligé, le théâtre est mort. (826)
Ces déclarations nous laissent penser qu’il célèbre quelque chose. Veut - il dire que le
mime est «dans l’air»? qu’il nous «appartient» à nous tous, les acteurs du prochain
millénaire? et qu’il suffit de le cueillir? Si c’est le cas, nous voudrions signaler que cette
situation s’est présentée auparavant, car déjà en 1953, Decroux ironisait:
« Dire que le mime est dans l’air ne dispense pas de le poser par terre ». (828)
Le même auteur affirme, à la fin de la conclusion de son livre : «la question de l’acteur
ne peut plus être la même après Decroux. Indépendamment des résultats artistiques que le
théâtre mimique a obtenus les dernières décennies, à côte du fait que le spectacle du silence
puisse ou non avoir un avenir, il ne reste pas moins que l’héritage vivant du mime corporel et
de Decroux au théâtre de demain, est aussi — si la perspective ne semble excessive— celui du
théâtre du prochain millénaire» .
précoce. (829)
Et nous pour en finir, nous affirmons que sans acteurs qui maîtrisent physiquement ce
langage, l’apprennent à d’autres acteurs, s’en servent sur scène et, d’autre part, ont la mémoire
du répertoire «Decroux», le fameux héritage tant célèbré ne sera plus que des fleurs en papier.
A la fin de cette étude, nous avons pris connaissance du projet de célébration mondiale
du centenaire de la naissance de Decroux, lancé par la Délégation Flamande (Belgique) de
l’Institut International du Théâtre de l’UNESCO. Ainsi, l’année 1998, a été déclarée «l’Année
du mime» en hommage à Decroux.
Pour notre part, c’est dans notre pratique au sein de l’Atelier International du mime
corporel - AToM que s’inscrit le projet Laban - Decroux. Notre volonté est de le réaliser afin
de surmonter les limites actuelles d’accès aux autres supports de mémoire du travail d’Etienne
Decroux. Cette contribution nous paraît indispensable pour éviter de couper les racines de
l’arbre du mime corporel qui nourrit de sa sève l’héritage d’Etienne Decroux.
FIN.
333
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Annexes
344
"Explication de l’art de l’acteur"
ETIENNE DECROUX
Dossier N° 2, s / d, Bibliothèque de l’Arsenal, Paris
345
Page 1
(Pour la Palestine)
346
Page 2 Page 3
1 - Le théâtre antique est littéraire: lui ne l’est pas … puisque
ses pièces ne supportent point la lecture hors de scène.
"Originalité de l’art de Decroux" 2 - La Commedia dell’arte est toujours comique; lui, l’est
Dans le meilleur des cas, il est audacieux de prétendre que cet quand il le faut mais sait être sérieux, tragique, peut s’élever jus-
art est nouveau. En conséquence, nous devons parcourir, au qu’au songe.
moins à vol d’oiseau, l’Occident et l’Extrême - Orient pour déga- La commedia dell’arte est improvisation sur la scène même :
ger la physionomie de cet art en le comparant aux théâtres passés. jamais il ne s’y livre. C’est au laboratoire qu’il improvise. Ceux
A ceux d’entre eux, bien entendu, qu’il nous est donné de des mouvements qu’il en retient sont ensuite passés un à un au
connaître et que nous croyons bien connaître ; à raison ou à tort. laminoir de la critique.
Pensant comme Bacon qu’une erreur précise fait moins tort au 3 - Quant à la pantomime:
monde qu’une vérité confuse, nous sommes amenés à croire que A. Qu’on la prenne dans l’antiquité ou dans les temps moder-
si les caractéristiques que nous attribuons à tel ou tel théâtre nes, elle ne se montre guère didascalos. Ses imitations, plus
s’avéraient incomplètes et même fausses, il ne faudrait pas trop se cruelles que soucieuses d’amender sont celles de nos défauts phy-
plaindre si nos erreurs avaient permis de mieux poser nos vérités. siques alors que dans les pièces de la troupe visiteuse bougent des
Bien qu’ayant échoué dans l’essai de prouver que l’art de De- idées morales aussi grandes que celles qui animent la dramaturgie
croux est nouveau, nous aurions la consolations d’avoir bien pré- littéraire.
cisé ce qu’il aime être. B. Outre ce grave défaut d’être moquerie plus que satire, la
pantomime avait celui d’être silencieuse à la lettre plutôt que de
l’être à l’esprit.
Voulant dire sans parler, des choses que le mot peut
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mieux dire, elle semblait présenter comme condition humaine ce D. Le fait enfin qu’il n’y ait point danger physique à se servir
cas accidentel où l’homme se trouve réduit à essayer de faire en- des mains et du visage qui assumaient l’explication eut suffi à
tendre par des gestes les idées mêmes qu’il a coutume de faire ôter toute noblesse à cet art si son expressionnisme lui en avait
entendre par des mots. laissée.
La pantomime avait donc pris pour jeu normal, d’imiter 4 - Et cependant, avec Chaplin, la pantomime prend un sens
l’anormal. pénétrant de civisme et évite le travers de l’excessive explication.
Avant d’avoir compris l’idée particulière de la pièce commen- Mais il reste que ce grand homme se sert du cinématographe,
cée, le public avait de quoi rire car l’idée permanente sur laquelle lequel résout sans mal tels problèmes qui demeurent redoutables
cet art reposait était déjà plaisante. sur scène. De plus, son tragique ne parvient qu’en résonance d’un
Ce n’était pas un art qui se met, certain jour, au service du co- style qui s’est voulu grotesque. S’il est risqué de dire que Charlot
mique ; c’était un art comique par tache originelle. nous fait rire d’abord, on peut se risquer à penser qu’il fait rire
dès l’abord.
C. La pantomime n’avait pas de noblesse.
Ce regard rapide à l’excès que nous venons de diriger sur
Puisqu’il faut plus d’effort pour se faire comprendre par ges-
l’Occident, portons - le sur l’Extrême - Orient.
tes, celui qui use de ce moyen nous prouve ainsi qu’il tient à ce
qu’on sache ce qu’il éprouve, plus que n’y tient celui qui parle. 5 - Pour ce qui est du théâtre chinois :
Ce muet orateur se montrait plus bavard que l’orateur verbal. Il S’il est frère aîné de l’art dont nous parlons, du fait que ce qui
révélait son impuissance à souffrir sans se plaindre, réclamait se- y domine est le jeu corporel calculé, il n’en est pas le frère ju-
cours ou concours, se faisait quémandeur, candidat, poupon éplo- meaux.
ré, comme tout faiseur de confidence: toutes choses pardonna-
bles d’ailleurs, souvent utiles à tous aussi bien: sans noblesse.
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Les pièces y sont «écrites» et de surcroît écrites avant qu’on l’art chorégraphique alors que leurs essences sont des antinomies.
ne les «répète»; les auteurs de ces pièces n’y sont point comé- Il convient donc de s’attarder à différencier ces deux arts:
diens dans la troupe qui les joue.
Le mime et la danse s’opposent contradictoirement par
Dans la compagnie théâtrale que nous vous présentons, rien ne l’esprit.
vient de dehors: ni le texte, ni le décor, ni la musique.
Au sein de la réalité, on ne peut mimer foncièrement dans
Lorsqu’on y prépare un spectacle, on agit pour penser, donc l’instant où l’on danse. D’autre part : on mime en parlant. Il ferait
ignorant encore son idée principale. Ce n’est qu’en «répétant» beau voir l’assassin, quand il reconstitue son crime, danser devant
qu’on découvre celle - ci, que sur ce tronc on fait pousser des son juge ; l’instituteur, quand il dessine sur le tableau ou dans
branches, que l’on ordonne en phases logiques les matériaux l’espace une figure de géométrie, tressauter rythmiquement de-
trouvés et qu’en suite on épure, cisèle. vant ses élèves. Mais qu’ils miment en parlant, joignent le geste à
Il se peut qu’à la pointe du geste, un mot perle parfois en sueur la parole : rien de plus naturel.
de mouvement. Mime et danse ne peuvent se confondre que dans l’esprit de
6 - Quittant la scène des comédiens pour la scène des dan- ceux qui n’ont pas vu de mime. Pour distinguer ces deux arts l’un
seurs, nous y voyons un mime parfois empreint de gravité et qui de l’autre s’ils apparaissent l’un près de l’autre, nulle finesse
parfois émeut mais sans émotionner. n’est requise. La différence éclate.
Jouée par des danseurs, suggérée par des musiciens, cette Égrenons en style lapidaire, pour orienter, non pour prouver,
danse «expressive» est espèce de lyrisme, lequel libère le coeur. une petite partie du chapelet des caractères différentiels entre le
Or le drame le contracte. mime et la danse.
Chacun voit bien ce qui oppose le mime au théâtre parlant
alors que leurs essences sont identiques tandis qu’on voit fort mal
ce qui oppose le mime à
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Le mime fabrique le rythme qui engendre la danse. Il ne convient donc pas de dire que cette équipe rénove.
La danse a le rythme dans le dos, le mime l’a devant lui. Elle innove.
La danse s’élance, le mime hésite. Non point par éclat de génie : l’innovation n’a d’autre auteur
Le danseur danse et le mime marche. qu’une patience de vingt ans.
Le danseur voit le ciel et le mime voit la terre. Il ne s’agit pas de trouvaille, nouveauté ou formule que dispo-
serait d’autre façon des matériaux déjà connus ou encore de cette
Il arrive au mime de simuler l’action de grimper à un arbre ou
autre chose : mode d’expression pour personne seule.
de démonter une horloge. On voit mal un danseur dans cette opé-
ration. Si une idée heureuse à jailli de cette troupe ce fut au début de
sa marche : quand il fut décidé que pour discerner l’essence du
La danse est un instant du monde.
théâtre et, seulement ensuite, sa richesse, l’acteur serait mis nu
Le mime est le monde ; la danse, son hirondelle. devant mur nu, sur plateau nu, dépourvu d’accessoires, visage
Le mime a l’esprit du parleur; le danseur, l’esprit du chanteur. voilé, muet, entouré de silence.
Le rythme est l’ornement du mime qui pourrait s’en passer Il s’agissait de dépouiller l’adjectif "dépouillé" de son manteau
sans perdre sons essence, qui deviendrait en s’en passant, abso- de métaphore.
lument conforme à son essence. S’il y eut génie, ce fut d’ainsi continuer pendant vingt ans sans
Le rythme n’orne point la danse, il est partie de sa structure ; il se laisser séduire par des voies plus rentables,
ne la fleurit pas : la fonde; il ne s’y ajoute pas : la constitue ; il de compléter Buffon par cette nouvelle maxime :
n’en est pas une qualité: il siège dans sa définition.
«La patience est un long génie».
Le danseur pur ne peut représenter qu’une espèce du mouve-
ment des hommes. Ce que l’acteur mime envisage:
«c’est une comédie aux cent actes divers
Et dont la scène est l’Univers.»
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Cette équipe érige un acteur nouveau qu’on nomme un numéro?
Non par l’âme : par le corps d’abord, par le corps ensuite, en- Ses moyens d’expression sont nombreux.
fin par le corps.
Voyons - en quelques uns:
Les hommes eussent deviné que de tous les instruments, le
corps est le plus riche si la paresse physique de ceux qui pensent Jeu saccadé d’abord.
ne leur eut interdit d’apprendre à en jouer. Puis son contraire: le jeu fondu, rappelant le ralenti du cinéma
ou évoquant une statue mobile.
"l’intérêt du mime corporel"
D’autre part: le jeu élastique, tantôt léger, tantôt puissant.
Fixé sur l’originalité de cet art, soyons - le sur son intérêt.
Vient ensuite un art d’illusion par lequel on croit voir l’objet
Intelligibilité qui est absent.
N’est - il pas un tissus d’énigmes? de gestes ayant un sens Et voici jonglerie, acrobatie, danse, chant, diction, musique
convenu? instrumentale jouée par l’acteur même.
— Non. A l’encontre du mime extrême - oriental, la chaîne de Quant aux humeurs du jeu, elles sont nombreuses aussi: hu-
ses actions rend chacune d’elles intelligible par le fait que les di- meur à la Rodin, à la Daumier, à la Goya, et l’humeur aussi du
tes actions sont reliées entre elles de cause à effet. Vaudeville.
Ce qu’il faut à cet art, ainsi qu’à la statuaire, c’est un public Convenance et bonne venue du moyen d’expression
sensible et non pas initié.
Mais ces moyens d’expression, pour variés qu’il soient, ne
Diversité des moyens d’expression font - ils songer au music hall……
«de variétés»?
Mais cet art n’est - il pas monotone? Peut - il divertir, une soi-
rée entière? Ne convient - il qu’à ce Les acteurs qui les utilisent n’ont - ils pas l’air d’avoir pour
souci dominant de nous prouver leur «savoir - faire»?
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— Un écueil si grossier devait être entrevu. Ainsi :
Aucun des moyens d’expression que nous venons de voir ne se Le jeu musculaire saccadé qui fait éclater le mouvement et le
permet d’intervenir s’il n’est point requis puissamment par foudroie en attitude, exprime la désespérée décision de l’homme
l’étape de l’histoire qui va se dérouler. las d’hésiter qui plonge enfin dans l’acte pour aussi tôt après
On sait que tout sujet a son art préféré; que tel qui veut un douter de sa convenance.
peintre se refuse au statuaire, que tel qui veut vivre en roman se Le fondu ou lenteur sans accélération ni perte de vitesse ex-
froisse à bouger dans un film, que tel qui aime être suivi par prime autre angoisse et continue, celle - là, et que l’action toute
l’amoureux cameraman, est gêné sur la scène. aussi continue porte avec elle aussi continûment qu’un corps
Or ce que nous appelons "des moyens d’expression", ce sont porte son coeur. Pour lors, si l’homme hésite, ce n’est plus avant
des arts scéniques établis de longue date; et ce que nous appelons d’agir : aussi régulier qu’une aiguille de montre, il se rend vers un
sujet, n’est pas exclusivement le sujet de la pièce. point dont il sait qu’il ignore si c’est un paradis ou un enfer.
Si la pièce se divise en actes qui chacun se divise en scènes, Le jeu musculaire élastique convient au travailleur manuel.
lesquelles se divisent en actions telles que mouvement Si les objets impliqués par l’histoire sont absents, si l’acteur
d’altruisme ou d’agression, il doit y avoir un sujet, non seulement les évoque par un jeu d’illusion où l’on croit voir saisir une sup-
pour une pièce mais aussi pour un acte, une scène, une action. posée matière, c’est qu’alors l’acte de mouvoir les choses a plus
C’est donc l’ondulation du sujet qui détermine l’ondulation d’importance que n’en ont les choses mêmes et que l’acteur libéré
des moyens d’expressions. des dites choses stylise d’autant leur manipulation imaginaire.
N’en va - t - il pas ainsi dans l’art des vers où l’espèce de Si au contraire, l’objet matériel est présent devant nous, c’est
rythme et de rime doit ne sembler venir que par besoin du sens, que l’intelligibilité de l’événement repose
non par plaisir des sens.
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sur l’identification immédiate de l’objet. découvrons l’acrobate ; cela ne doit pas être acrobatie de luxe .
L’acteur dispensé en ce cas du travail d’illusion, doit par com- Ce doit être l’urgence d’agir qui a décidé l’homme au fulgurant
pensation manipuler les dits objets avec l’habilité d’un jongleur. contour ou au bond franchiseur ; c’est la joie explosive ou encore
la colère qui l’a conduit d’un saut à atterrir sur le bureau ; c’est le
Sans jongler néanmoins.
hasard de la poursuite qui l’a déterminé à passer par dessous. S’il
Au sens propre, jongler veut dire que l’on rattrape ce que soi - danse, ce n’est point là ballet qui joue à l’Opéra le rôle d’un
même on a lancé. L’occasion de le faire est dramatiquement rare. agréable entr’acte : c’est la fleur de sa force et de son insou-
Nous pensons à une seule de ces opérations : soit rattraper ce ciance.
qu’un autre a lancé, soit lancer pour qu’un autre rattrape ou pour S’il parle, on n’en doit pas être choqué ainsi qu’il arrive qu’on
que l’objet atterrisse où l’on veut qu’il se pose. le soit lorsque le cantateur choit de son ciel lyrique pour se livrer
S’il arrive pourtant que l’acteur pratique la jonglerie au sens à la diction.
propre du terme, il faut que le fil de l’histoire ait besoin de cette S’il chante, cela ne doit pas engendrer l’étrange frisson du ri-
perle. Même en ce cas exceptionnel, l’acteur ne doit pas laisser dicule comme c’est souvent le cas dans l’opérette filmée où la
voir l’intention de jongler. Le jongleur sait d’avance ce qui va se chanson prend un départ indécent.
passer. L’acteur type ignore son destin:
Tout ce qui prend naissance implique une gestation. La nature
S’il s’empare d’un objet, c’est par désir, s’il s’en défait, c’est ne fait pas de saut.
par dégoût ou embarras, et s’il le rattrape, c’est par regret : tout
Si l’acteur change à notre vue le cadre de son jeu, il doit sem-
cela: dans un esprit utilitaire.
bler ne déplacer les éléments de ce décor que par besoin de ses
Et si l’acteur contourne un meuble ou le franchit ou se pose actions présentes et non pour y loger les actions du futur.
sur son fait avec une telle aisance que nous
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Chaque moyen d’expression doit être intégré à la logique pro- Pour découvrir si le chant par exemple peut s’installer sur
fonde de l’histoire. scène après un très long temps de langage parlé, la difficulté n’est
pas grande. Aussi bien: pour créer le climat mental qui rendra le
Au lieu d’avoir envie de dire comme il arrive d’avoir envie de
chant nécessaire, le fera gonfler ou surgir, cela suppose un savoir
dire devant un numéro d’acrobatie «moderne» : que les figures
- faire.
acrobatiques ayant été données d’abord, on se mît en quête d’une
histoire justifiant leur venue; on doit avoir envie de dire que Mais ce qui conditionne surtout cette réussite, c’est d’avoir des
l’histoire donnée tout d’abord a rendu nécessaire telle figure acteurs à sa disposition.
d’acrobate ou de jongleur… Le comédien, pour peu qu’il étudie ces choses régulièrement,
Si une prouesse gratuite vient à se prolonger, il y a pourra chanter en suffisance, danser de même, jongler, faire de
«intermède». Ce qu’on appelle intermède, soit officiel, soit offi- l’acrobatie, tout cela en suffisance. Le spécialiste, lui, ne pourra
cieux, est un travail de spécialiste. Il se pose à froid sur une ac- pas en suffisance jouer la part de comédie qu’on a cru pouvoir lui
tion chaude ou s’accroît comme un Kyste au sein de cette action. confier.
Qu’il éclate ou q’il gonfle, l’excellence du travail de cet inop- L’escalier des moyens d’expression
portun virtuose distrait ou méduse le Scandale et un malaise
Si de tels moyens d’expression sont pour le praticien, d’une
curieux parce que verni d’admiration s’installe insidieusement
difficulté toujours grande, ils ne sont point pour le public, égale-
dans l’esprit du public.
ment nobles.
Sermon intervenant à l’heure des paillardises,
Lorsque tel d’entre eux entre en scène, le spectateur se sent un
rose cuisse entrevue sous les voûtes d’église, peu chez lui, de plain - pied avec le plateau et pour un rien, il y
blonde surgie dans l’institut, monterait.
qui traite en chaire de l’électron; Avec tel autre, il est conquis sans peine, enthousiasmé.
si le sermon est fort, la cuisse rose, la blonde pâle, Avec un troisième, il éprouve l’impression de vivre en un
aucun ne se plaindra au profond de soi même monde étrange dont il lui incombe de découvrir les mystérieux
de son profond malaise. rapports avec le nôtre.
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Ainsi, la présence des objets matériel impliqués par l’histoire:
décor, meubles, accessoires, costumes — surtout si les sons et les
mots s’ajoutent — rend l’action claire.
La jonglerie se fait admirer. L’acrobatie, de même.
La danse et la musique, aussitôt que parues, réjouissent
comme un alcool.
Quant à la «statuaire mobile», moment où l’acteur, dépourvu
de visage, de costumes, d’accessoire, de meubles, de décor, joue
sans secousse aucune dans un parfait silence, elle communique un
noble froid.
C’est qu’on est au sommet.
Puisque ces moyens d’expression ne sont pas situés à une
égale distance de notre monde de tous les jours, l’idée d’en faire
un escalier devait éclore naturellement.
Escalier sur lequel, sans s’en apercevoir, le spectateur pourrait
gravir la montagne artistique, de sa base familière à sa sublimité.
C’est ainsi que «Petits soldats» prend son départ en comédie
légère, divertissante sans plus, prend du style, devient grave,
émotionne, et se pose sur un monde lunaire
— Fin. —
355
Les dossiers du Fonds Decroux
Cette liste est un arrangement à peu près chronologique des écrits de Decroux, la
plupart des documents sont dactilographiés, ils contiennent quelques notes manuscrites. Dans
notre nomenclature, nous avons inscrit:
• à la première ligne: le numéro du dossier et la date, quand celle - ci fait partie
de la légende qui figure sur la couverture du dossier.
• aux lignes suivantes: entre guillemets, le titre figurant sur la couverture du
dossier, et quand celui - ci n’a pas de titre en couverture, celui ou ceux des do-
cuments contenus.
• à la dernière ligne: parfois, quelques mots significatifs de Decroux, parfois
nos commentaires personnels concernant le dossier en question, il sont identi-
fiés avec des astérisques, (*) = Decroux, (*)(*) = nous.
Dossier N° 1, s / d,
«La méthode»
Dossier N° 2, s / d,
«Explication de l’art de l’acteur»
Dossier N° 3, s / d,
«sur Gordon Craig»
Dossier N° 4, 1931, (1
«D’une définition du théâtre à Georges Pomiés. Incarnation partielle du comédien
futur»
Dossier N° 5, 1931, 1 bis
«Le phare de la misère»
(*)(*), Decroux critique une pièce de Marcel Thoreaux
Dossier N° 6, 1932
«La grande patouille»
«La strambouille»
Dossier N° 7, 1939, (2
«… prend sa source au Vieux Colombier»
830 André Veinstein: Dans le prologue de Paroles sur le mime, op cit. page 10.
356
Dossier N° 8, 1940, (3
«Réponse d’Etienne Decroux au questionnaire de ‘Jeune France’»
«Esprit de mon contrat avec ‘Jeune France’»
Dossier N° 9, 1940, 3 bis
«Nos deux doctrines théâtrales»
(*)(*), Decroux présente un Programme et le budget previsionnel d’ouverture d’une
école théâtrale
Dossier N° 10, 1941, 4
«Dialogue pour la radio (Grimod)»
Dossier N° 11, Eté 1941 - Eté 1942
«Exhibition intéressante»
«Séance de Mime chez Bonvoisin» (été 1941).
Présentation animée du programme de l’école théâtrale Etienne Decroux.»
«Note Doctrinale» — En Eté 1942 - Période rue de la Neva —
Dossier N° 12, 1942, (5
«Le mime sans visage».
Article de Decroux paru dans Le Rouge et le Bleu, le 25 / 04 / 42.
Dossier N° 13, 1942, (6
«Avant d’être complet, l’art doit être»
(*)(*)… Il finit en disant: «Il vaut mieux faire le mime que d’écrire à son sujet»
Dossier N° 14, 1942 7
«Copeau ne peut plus maîtriser le mime qu’il a dechaîné»
(*)(*)… Il finit en disant: «… c’est la vie. Ainsi: Copeau est bien le père du mime dit
corporel et j’ai élevé l’enfant.»
Dossier N° 15, 30 mai 1942, 8
«Jeunesse s’acquiert»
(*), paru dans Comœdia sous l’occupation, le 30 mai 1942. Le journal préféra le titre
«Jeunesse doit s’acquérir»
Dossier N° 16, 1943
« IVES LE BOULANGER, Haltérophile sur la place publique».
(*), Petite pièce comique écrite pour la télévision française, elle fut refusée.
Dossier N° 17, Fin 1943
«Mime corporel et pantomime». Radio (Christiane Fournier)
(*), Note: il s’agissait d’établir un lien entre l’activité mimique d’Etienne Decroux et
le rôle qu’il venait de tourner dans Les enfants du paradis.
Dossier N° 18, 1943, 9
«Servitude sans grandeur, l’embauche»
Dossier N° 19, 1944, 10 bis.
«Rapport pour Albert Savy à propos d’ouverture d’école»
Dossier N° 20, 1944, 10 bis suite
Dossier N° 21, 27 juin 1945.
«Mime Corporel et ancienne Pantomime». Conférence lue à la Salle de la Chimie le
27 juin 1945.
«Manifeste sur le Mime Corporel». Lu à la Salle de le Chimie après le spectacle du
27 juin 1945.
Dossier N° 22, Avant juin 1945
Article sans titre
(*)(*), il s’agit de le critique d’un festival de danse présidé par Jean Dorcy.
Dossier N° 23, 20 juillet 1945
«Au futur comédien»
Dossier N° 24, octobre 1945
Parades: «Pour le dressage d’un lion»
Dossier N° 25, 1946
«Ordre d’importance de ce qu’il faut enseigner au futur comédien»
357
Dossier N° 26,1946
«Rapports du mime et de la parole»
Dossier N° 27, 15 nov 1946
Parade (texte sans indication de mise en scène)
Présentation d’un spectacle avec Maximilien, Éliane Guyon, Maryse Lo Jacomo (dan-
seuse) et lui même.
Dossier N° 28, 26 juin 1946 - 17 mars 1947
«La compagnie Étienne Decroux» (Paru dans les programmes du 26 juin 1946, de
l’automne 1946, 17 mars 1947.)
Dossier N° 29, 17 mars 1947
«Présentation verbale du spectacle donné à Liège le 17 mars 1947. (en séance uni-
que)». Lu par Suzanne Lodieu.
Dossier N° 30, Été 1947
«Explication sommaire sur la nature du mime corporel»
Dossier N° 31, Été 1947
«Une critique rêvée», Ainsi nous voulons voir du mime!
(*), Decroux fait le récit imaginé de la critique d’un spectacle de mime tel qu’il le
rêve. (le spectacle, pas la critique).
Dossier N° 32, Été 1947
«Valeur morale du Mime Corporel»
Dossier N° 33, 6 nov 1947
«— Allocution du 6 novembre 1946 —»
Dossier N° 34, Décembre 1947
«Première Suisse en Décembre 1947» (Neuchatel et Laussanne)
Dossier N° 35, Décembre 1947 suite
Dossier N° 36, Décembre 1947
«Monsieur Noël», Comédie pour enfants, trois personnages.
Dossier N° 37, Début 1948
«Manifeste Doctrinal».
(*)(*), Il est incomplet. Ses feuillets ne sont plus attachés et leur numérotation est: 1,
2 et 6. Manquent les pages: 3, 4 et 5.
Dossier N° 38, Été 1948
«La promotion du mime. De l’utile à l’agréable»
Dossier N° 39, Octobre 1948
«Un spectacle de mime vous est offert».
(*)(*), Texte de Decroux présenté aux délégations de Tourisme et du Travail avec
l’intention de faire connaître son travail et sa troupe en vue des tournées.
Explication du mime corporel et de ses différences avec la pantomime.
Dossier N° 40, Octobre 1948
«… Vous présente la troupe d’Étienne Decroux».
(*), Intègre le dossier précèdent dans un article paru dans le «Bulletin de Tourisme et
Travail», numéro d’octobre 1948.
Dossier N° 41, Été 1949
«le Malabar» (monologue).
Dossier N° 42, début 1950
«Autobiographie d’Étienne Decroux»
Dossier N° 43, Mars 1950
«parade poétique» et «Prologue verbal de ‘Petits soldants’»
Dossier N° 44, Mars 1950
«Ce que le public doit savoir» (Pour la Palestine)
Dossier N° 45, Mars 1950
«Explication de Petits soldats»
358
Dossier N° 46, Juillet 1950
«L’acteur de récital doit avoir un air d’homme d’état»
Dossier N° 47, Décembre 1951
«à - propos de la différence respective entre les arts du mime et de la danse».
Dossier N° 48, décembre 1951
«Prologue pour ‘le toréador’»
Dossier N° 49, janvier 1952
«Notes pour la télévision de Hollande» Janvier 1952
(*), écrites pour M. Willy van Hemert qui voulait présenter oralement la troupe de
Decroux, en la situant sur le plan de la doctrine artistique.
Dossier N° 50, 1er janvier 1952
Préparé pour la tournée en Hollande
Dossier N° 51, 12 mai 1952
«Psychanalyse», pièce à trois personnages
Dossier N° 52, 12 mai 1952
«Prise de contact», pièce à deux personnages
Dossier N° 53, juin 1952
«Deux mouvements contraires».
(*)(*), signé et daté du 13 / 01 / 53
Dossier N° 54, Été 1952
«Angleterre. Présentations orales»
Explications orales — Du spectacle donné en Angleterre au cours de l’été 1952.
Dossier N° 55, août 1952
«La forme et le contenu. le Jardin des Beaux - Arts n’est pas un potager»
Dossier N° 56, Été 1952
«Prologue pour faire passer Marise Flach d’une certaine pièce de mime à la récitation
de ‘La fiancée du Timbalier’».
Prologue de «l’esprit Malin» pour le théâtre des Quatre Saisons
Prologue pour la «Marquise Antoinette» de Victor Hugo
Explication humoristique de «l’oeil noir te regarde» ou «Il s’aperçoit que le public
est dans la salle».
Dossier N° 57, Mai 1953
Sans Titre
(*)(*), il a l’air d’un bilan de parcours
Dossier N° 58, décembre 1953
«Senile maladie infantile de l’expansion du mime».
(le titre sur P / M est «Senilité precoce»), article imprimé sur un programme de la
Casa della Cultura de Milan, le 15 décembre 1953.
Dossier N° 59, Janvier 1954
(*)(*), cet article nous le retrouvons sous le titre «Dosage du mime pour l’acteur
parlant» de Paroles sur le mime, pages 51 à 57.
Dossier N° 60, Eté 1954
«Le Mime et la santé»
(*)(*), Paru à Stockholm le… septembre 1954 dans … (mention manuscrite)
Dossier N° 61, 7 mai 1954
Présentation verbale du spectacle donné à Milan au Piccolo teatro, le 7 mai 1954, lue
par M. Parmeggiani.
Dossier N° 62, Eté 1954
«Le mime sous globe»
Dossier N° 63, décembre 1954
«Le mime», paru dans le journal suisse Connaître, Numéro Novembre - Décembre
1954. Ecrit à Zurich le 25 novembre 1954.
359
Dossier N° 64, Eté 1955
Scandinavie. Présentations orales.
Explications orales du spectacle donné en Scandinavie au cours de l’Eté 1955
Dossier N° 65, Mars 1956,
«Pour le meilleur et pour le pire»
(*), daté du 17 février 1956.
Dossier N° 66, Octobre 1956
«Présentation du cours de Mime corporel d’Etienne Decroux»
(*), pour cours chez Irène Popard.
360
Projet de
"Récupération, préservation et diffusion du travail du
Maître Étienne Decroux"
Deuxième version
Octobre 1988
Paris
361
DÉDIÉ AU MAÎTRE ÉTIENNE DECROUX.
831 Étienne Decroux: "Mime et mime", Paroles sur le mime, Librairie Théâtrale, Ed. Gallimard Paris, 1963.
362
Remerciements:
A mes professeurs, qui m’ont ouvert les portes et
m’ont montré le chemin.
en mime corporel :
Jean Asselin
Denise Boulanger
Corinne Soum
Steven Wasson
en cinétographie Laban :
Adela Adamova
Rodolfo Sorbi
Jacqueline Challet - Haas
A tous mes collègues et amis qui, avec leur intérêt pour mon projet m’ont encouragé à
continuer.
363
CONTENU
I Antécédents
II Pourquoi Decroux?
V Considérations finales
VI Notes et bibliographie
364
I ANTÉCÉDENTS
J’ai vu un mime pour la première fois quand j’avais dix - huit ans. Je connaissais, plus
ou moins, la signification du mot "pantomime", et j’avais entendu parler de Marcel Marceau.
Mais ce premier contact avait marqué ma vie en me révélant une vocation insoupçonnée.
Après, j'ai voulu étudier le mime. Mon passage par différents studios, ateliers et stages, avec
des professeurs de diverses origines géographiques et artistiques, m’avait montré combien
d’écoles, styles et esthétiques existaient. Tous, malgré des différences d’opinion, parlaient
d’une "technique", qui, pour la plupart d’entre eux, avait été la source. A mes yeux, si cette
technique avait été le tremplin pour autant de dérivés et développements personnels et avait
inspiré ces artistes sans les limiter, si elle était assez solide pour transformer le corps humain
en un instrument fiable pour l’expression dramatique, cela valait la peine de chercher à
l’apprendre.
C’était la technique de mime d’Étienne Decroux. Or, il y avait très peu d’écoles où il
était possible d'étudier le mime corporel et, généralement son enseignement reflétait, de façon
inévitable, l’interprétation personnelle du professeur, avec des variations de l’une à l’autre. Il
fallait aller plus loin et essayer d’étudier avec lui. J’ai eu l’opportunité de suivre ses cours (un
peu trop tard, il avait 88 ans). L’école fut fermée seulement quelques mois après. Il fallait
trouver une alternative. J’étais convaincu de la valeur de la technique d’Étienne Decroux.
• - le comédien n’est rien d’autre qu’un mime;
• - le mime est une vraie technique;
• - la technique immunise celui qui la possède contre deux arbitraires : celui de
la mode et celui du maître;
• - la technique élimine les médiocres, elle utilise le talent moyen et elle exalte
le génie.( 832).
Cette situation m’a éveillé à l’incertitude qui entourait l’avenir de l’héritage artistique
d’Étienne Decroux. Le fruit de plus de cinquante ans de travail. Pourrions nous le préserver?
Est - ce que je pourrais faire quelque chose? Je savais que son héritage existait, il était quelque
La cinétographie Laban pouvait être une réponse aux deux questions car elle est
capable d’enregistrer toute la gamme du mouvement humain, même les plus petits
mouvements ou les plus fins. Mais qu’est - ce que c’est, la cinétographie Laban?
La cinétographie Laban ou Labanotation est le système d’enregistrement de
mouvement développé par Rudolf Laban dans les années 20. Avec cette méthode scientifique,
toutes les formes de mouvement peuvent être écrites de façon précise. Ce système à été
appliqué avec succès dans tous les domaines où il y a le besoin d’enregistrer le mouvement du
corps humain. La danse (son application la plus répandue), l’Anthropologie, le sport et la
physiothérapie, pour en citer quelques - uns. Nous pourrions dire la même chose pour le mime.
Les applications pratiques de le cinétographie Laban:
a) un moyen de communication internationale. Ses symboles non - verbaux ne
posent pas de barrière linguistique pour les échanges internationaux et la
recherche.
b) elle est un équivalent de la notation musicale. Le cinétographie Laban sert l’art
du mouvement autant que la notation musicale sert la musique.
c) c’est un moyen de préservation de créations.
d) avec les films, elle est un outil d’analyse du mouvement et de préservation des
créations, sans substituer l’un à l’autre.
e) un outil d’éducation en mouvement.
f) un outil pour la recherche en mouvement ( 833).
833 Ann Hutchinson: «Introduction to Labanotation», Labanotation, Theatre Art Books, DNB, New York,
1977.
834 «The Danse Notation Bureau», Notated Theatrical Danses, Danse Notation Bureau, New York, 1988.
366
"Il est évident que la cinétographie Laban peut remplir les besoins des
différents domaines des études du mouvement, d’une façon, qu’aucun autre
système passé ou présent peut songer approcher".
IV LE PROJET
Ce projet a plusieurs objectifs, qui ont été définis dans sa première version( 841). Je
voudrais les réutiliser ici pour exposer leur développement.
837 « La Mime, genre né en France, se propage dans le monde entier. Peut - on prévoir son avenir? Est - il
suffisamment vigoureux pour survivre à ceux qui l’ont crée… Pour la survie du genre, nous miserons plus sur
l’école d’Étienne Decroux que sur les réussites du réalisateur Marcel Marceau»
Jean Dorcy, A la rencontre da la Mime, Les Cahiers de la Danse et de la Culture, Neuilly - sur - Seine, 1958.
838 cf. Note antérieure.
839 « Une bibliographie de la danse et du mime, en symboles de mouvement, est aussi désirable que néces-
saire tel que les registres historiques de la poésie et de la musique réalisés grâce à l’écriture et à la notation
musicale»
Rudolf Laban, «Movement and the body (part I)», The mastery of movement, 4th Edition, Mcdonalds and
Evans, Great Britain, 1980.
840 Source : General Cataloge 1988 DNB, New York. Consulté sur place en Octobre 1988
841 Jorge Gayon, Proyecto de recuperación, preservación y difusión de los trabajos del Maestro Etienne De-
croux, Première version, Paris, Mars 1988
368
OBJECTIF 1
La compilation des documents relatifs au travail d’Étienne Decroux. A réaliser par:
a)la demande, à certains de ses anciens élèves, des copies des écrits ou des enregistrements
des conférences, articles de presse, qu’ils pourraient avoir, ou des informations les concernant
(i.e. La date, le lieu, le journal, etc.). b)la recherche dans des bibliothèques, filmothèques ou
vidéothèques spécialisées (Bibliothèque Nationale de Paris, Centre Pompidou, Cinémathèque
Internationale de la Danse, etc.). et c)l’acquisition, si nécessaire, de copies des films et vidéos
réalisées par Étienne Decroux ou sous sa direction, en France et à l’étranger.
OBJECTIF 2
a) Faire les cinétogrammes de la technique du mime corporel, depuis sa base, les
marches, les figures, et jusqu’aux oeuvres majeures d’Étienne Decroux telles que «Petits
soldats», «l’Usine», etc., à partir de mon travail d’analyse et transcription en cinétographie
Laban fait avec des écoles et des professeurs différents. J’ai établi un choix d’au moins deux
écoles ou professeurs, et un nombre idéal de cinq pour réaliser ce travail. Les deux premiers
sont : l’École de Mime Corporel Dramatique de Paris et l’École de Mime Corporel de
Montréal. Les autres trois sont : Thomas Leabhart, Daniel Stein et Maximilien Decroux.
Concernant le travail à faire avec eux, je suis depuis deux ans dans la première école
citée, et vraisemblablement j’y resterai en 1988 - 89. Par rapport à la deuxième, j’ai fait une
demande de bourse au Gouvernement Canadien pour l’année scolaire 1989 - 1990. Les deux
écoles sont au courant de ce projet et de ses objectifs et ont accepté que je travaille avec elles.
Avec MM. Leabhart, Stein et Decroux, je crois qu’une collaboration serait possible si le temps
et le support financier sont suffisants (et s’ils acceptent, évidement).
b) La transcription en cinétographie Laban des films et vidéos, en utilisant comme
support les scénarios techniques et dramatiques des pièces.
OBJECTIF 3
Publication, édition et diffusion. Grâce à la compilation de ces matériaux, leur diffusion
sera possible pour en permettre l’accès aux artistes, critiques, professeurs et étudiants. Pour cet
objectif, le premier pas doit être la publication des cinétogrammes et de tout autre matériau
écrit, en incluant les transcriptions des conférences enregistrées de M. Étienne Decroux. Ce qui
peut être fait en français, anglais ou espagnol, en collaboration avec des organisations ou
groupes de mimes et de notateurs du mouvement du monde entier. Le deuxième pas serait la
copie, restauration et / ou édition des films et vidéos. A cela s'ajoute, bien entendu, la diffusion
et distribution de tous ces matériaux aux écoles de mime, bibliothèques et filmothèques par la
réalisation de…
369
OBJECTIF 4
La création d’un Centre et École International de Mime Corporel au Mexique. Pourquoi
au Mexique? Parce qu'en Europe, aux États Unis et au Canada il existe déjà des écoles. Pour
ce qui est d’un Centre International, à l’idéal, c’est un vieux projet européen et français, conçu
par plusieurs organisations, écoles et professeurs, sa réalisation dépend donc d’eux. Ce que je
peux faire c’est offrir mon travail de recherche pour l’analyse de la technique du mime
corporel et sa transcription en cinétographie Laban tel que c’est présenté dans l’objectif
principal de ce projet. Finalement, parce que je suis mexicain. Peut - être que l’intérêt principal
de ce projet est de collaborer à la préservation d’une forme artistique, fruit du travail d’une vie
entière, d’un grand Maître français, trop oublié en France( 842), le créateur du mime moderne:
Étienne Decroux.
Pour finir ce chapitre, j’ai inclus les exemples des cinétogrammes concernant deux
figures classiques du mime «le gondolier» et «le discobole». Je rappelle que leur
utilisation est limitée à l’enseignement et non à la représentation publique.
842 Le Teatro Testoni de Bologne vient d’organiser une importante manifestation consacrée à Théâtre et Uni-
versité à l’occasion du 900ème anniversaire de l’Université de Bologne, la première crée en Europe…A cette
occasion le titre de docteur honoris causa à été décerné à Étienne Decroux, un grand maître du geste, et le profes-
seur Franco Ruffini a présenté ce personnage d’exception. L’Italie a honoré un maître trop oublié en France.…
«Étienne Decroux, dans un moment où les principes vacillent, nous le rappelle; et le titre de docteur honoris
causa qui aujourd’hui lui est conféré inscrit cet avertissement parmi les mérites qui ne sont pas les moindres de
l’Athénée de Bologne».
Franco Ruffini, «Étienne Decroux un Maître» dans Notes et Hommages, L’art du Théâtre, Faire Événement
N°9 Automne 1988, Actes Sud / Théâtre National de Chaillot, Paris, 1988.
370
371
372
VI CONSIDÉRATIONS FINALES
373
Cinétogramme n° 19
374
Cinétogramme N° 30
375
Cinétogramme N° 74
376
Projet Laban - Decroux,
état des lieux 1998
Toutes les propositions du projet Laban - Decroux ont été entamées. Parmi les débuts
des développements, nous avons les suivants:
• l’élaboration des diagrammes de flux concernant les méthodologies à utiliser
comme support de ce projet et pour l’application de l’analyse du mouvement.
• l’élaboration d’une grille de classification des matériaux fondée sur leur dési-
gnation
843 Ce cours a lieu depuis 1997, au sein de l’Atelier Internatinal de Mime Corporel - AToM.
377
A l’exception du cinétogramme de la pièce La table de Thomas Leabhart( 844), la
vérification des cinétogrammes par leur mise en mouvement reste encore à faire. De ce fait, ils
comportent un certain degré de subjectivité. Néanmoins, ils donnent un apperçu (bien que
partiel) du matériau «mouvement» des cours de mime corporel pris à l’École de Mime
Corporel Dramatique de Paris entre 1987 et 1993.
Les cinétogrammes plus récents, n’ont pas encore été répertoriés, ils restent en attente
de la soutenance de la thèse: «Bilan théorique du projet Laban - Decroux / notation du mime
corporel, et la reprise générale des travaux de ce dernier.
Il faut aussi noter que la concordance des cinétogrammes de cette liste avec le
mouvement auquel ils font référence est relative à nos niveaux de formation et de maîtrise dans
les deux disciplines et que, logiquement, cette concordance s’accroît au fil du temps.
(Cinétogrammes datant de 1988 à 1993).
Cinétogrammes achevés
Nom Thème Date
La Corde Facultés radicales 1967 (845)
Sissone Scolaire I, II, III Scolarités 14 Avr. 1988 (846)
Rétablissement à la diagonale Scolarités 15 Avr. 1988
«tête contre…»
Marche neutre Scolarités 20 Avr. 1988
Chassés Scolarités 4 Mai 1988
Le serpent dans le tube Figures 24 Mai 1988
L’offrande Figures 17 Juin 1988
Le puits Figure 22 Juin 1988
Annelé Latéral Progressif et Scolarités 24 Juin 1988
dégressif, base fixe (std)
Ondulation Progressive, base Scolarités 3 Août 1988
fixe
Pas de Basque (Le «gentil» et Scolarités 26 Oct. 1988
le «méchant»)
Le Discobole Figures 5 Avr. 1989
Contrepoids avec tours Scolarités 10 Avr. 1989 (847)
Descente I Scolarités 25 Avr. 1989
Extenseur en Gga Figures 1 Mai 1989
La prière Figures 15 Mai 1989
Regrets Figures 15 Mai 1989
Marche du Haleur Scolarités 3 Sep. 1989
Marche sans accent statique Scolarités 3 Sep. 1989
Le quart de valse Scolarités 12 Sep. 1989
«Le verre» Figures 16 Sep. 1989
Tomber sur sa tête Scolarités 26 Sep. 1989
L’affichiste I (fragment) Figures 30 Oct. 1989
la fleur (L’homme de salon et Figures 30 Oct. 1989
l’homme des îles)
Contrepoids en déplacement Scolarités 1 Déc. 1989 (848)
844 Vérification par le mise en mouvement réalisée par Étienne Bonduelle (interprète d’après le cinéto-
gramme), en présence de Thomas Leabhart (auteur), Steven Wasson (interprète originale), Jorge Gayon (nota-
teur), et la Cie «Théâtre de l’Ange Fou», à l’Ecole de Mime Corporel Dramatique de Paris, le 2 novembre 1994.
845 Cinétographie de Deidre Sklar, d'après M. Decroux.
846 Deux feuillets
847 D'après C. Soum
848 Idem.
378
Nom Thème Date
Jeté du bras (dét. Le menuisiser) Pièces de répertoire 14 Fév 1990
Suppression de support coupé de Scolarités 1 Mar. 1990
dème à 2nde
Gamme latérale simple Scolarités 18 Mai 1990
Gamme latérale composée (849) Scolarités 18 Mai 1990
Marche de Base Scolarités 12 Juin 1990
Déplacement en Arrière avec 1 / Scolarités 16 Juin 1990 (850)
4 de Tour
Envol I Scolarités 19 Oct. 1990
Musicalité (851) Figures 30 Oct. 1990
Bras et Mains I Scolarités 26 Nov. 1990
Marche «New York» Scolarités 26 Nov. 1990
Envol 2 Scolarités 28 Nov. 1990
Désignations en 3D’s Figures 28 Nov. 1990
Symboles du corps Facultés radicales 12 Déc. 1990
Le gondolier Figures 1 Jan. 1991
La montre (l’usine, fragment) Répertoire 23 Sep. 1991
Entrée de «l’usine» Répertoire 15 Nov. 1991
Extenseur Simple 3’D Figures 7 Fév. 1992
Annelé Latéral progressif et Scolarités 2 Juin 1992
dégressif, base fixe (corp)
Gamme profondeur simple Scolarités 13 Oct. 1992
Gamme rotation Simple Scolarités 24 Nov. 1992
Gamme Translation Composée Scolarités 24 Nov. 1992
Translation en profondeur Scolarités 24 Nov. 1992
L’homme fort / La Foire Figures 28 Nov. 1992
Extenseur global Figures 30 Nov. 1992
Offrande I Figures 30 Nov. 1992
Marche sur les nuages Scolarités 8 Déc. 1992
Contrepoids + Déplacement + Scolarités 9 Déc. 1992
Tour (852)
La table (auteur: Thomas Leab- Pièces d’autres répertoires 19 Déc. 1992
hart)
Cinétogrammes en révision
Nom Thème Date
Lapin en 1ère Facultés radicales 20 Mai 1990
L’écoute Figures 30 Nov. 1992
«Chapeau Mexicain» ( 853) Scolarités 8 Déc. 1992
Offrande 2 (854) Figures 15 Déc. 1992
Marche «La polonaise» + Scolarités 15 Déc. 1992
«Napoléon» ( 855)
Bras et mains 2 Scolarités 15 Déc. 1992
Suppression de support (Défini- Scolarités 1 Jan. 1993
tions)
379
Cinétogrammes en manuscrit (856)
Nom Thème Date
Annelé progressif en 3D’s, re- Scolarités 12 Juin 1987
tour en branche
«Le théocrate I» Figures 23 Sep. 1987
Extenseur latérale avec dépla- Scolarités 28 Nov. 1987
cement
Contradiction en 3D’s Scolarités 2 Déc. 1987
Marche du soldat Anglais I Scolarités 11 Fév 1988
Marche «Petrouchka» Scolarités 8 Mar. 1988
Le maître d’hôtel: «c’est pour Figures 8 Mai 1988
vous»
Extenseur Gda Figures 14 Mai 1988
Ondulation en avant progressive, Scolarités 18 Juin 1988
compensée
Ondulation latérale progressive, Scolarités 20 Juin 1988
compensée
Annelé en Avant Dégressif, Base Scolarités 24 Juin 1988
Fixe
Ondulation latérale par paires Scolarités 18 Août 1988
Amputation en 3D’s + Contra- Scolarités 20 Oct. 1988
diction
Sup. Sup. 1ère + T. E. + 3D’s Scolarités 21 Oct. 1988
Tremblement de terre à San Scolarités 12 Nov. 1988
Francisco
Ondulation en 3D’s Progressive, Scolarités 21 Déc. 1988
base fixe
Envol + 3D’s Scolarités 3 Jan. 1989
Ondulation en 3D’s progressive, Scolarités 25 Jan. 1989
compensée
Piston Latéral Scolarités 9 Avr. 1989
Le forgeron Figures 8 Mai 1989
Sommeil Figures 8 Juin 1989
Le réveil Figures 12 Sep. 1989
L’attaque du chevalier Scolarités 13 Oct. 1989
Annelé an Avant Progressif, Scolarités 21 Nov. 1989
Base Fixe
L’adieu du Lys sur la colline Figures 18 Mar. 1990
Le pic fleurs I et II Figures 29 Mar. 1990
Le berger et la princesse Figures 20 Mai 1990
Cardeuse Scolarités 25 Mai 1990
Marche «La belle Dame» Scolarités 14 Juin 1990
Prise et pose (Dérrière - devant) Figures 4 Déc. 1992
Suppression de support (Exerci- Scolarités 13 Jan. 1993
ces)
856 Cinétogrammes et notes éparses de qualité inégale (du cinétogramme fini de 1993 aux notes en «motif -
writing» de 1989) qui ne sont pas encore passés en révision.
380
Programme et historique du spectacle :
Au programme:
La Méditation I, l’Usine, la Méditation II, Combat antique, Duo amoureux, le
Menuisier, Transition infernale, la Femme Oiseau, l’Esprit malin, la Lessive (ou la
Lavandière), Duo amoureux dans le parc de St. Cloud, le Fauteuil de l’absent, le Prophète, les
Arbres.
381
Périgueux (France), «12ème Festival International du mime», La Visitation,
le 4 août (une représentation).
Bergamo (Italie), Teatro Tascabile di Bergamo, le 6 septembre (une
représentation).
Ces documents, en 16 mm et en noir et blanc, réalisés par Etienne Decroux, ont été
recensés par André Veinstein pour intégrer le Catalogue des films sur le théâtre el l’art du
mime, que l'UNESCO a publié en 1965.
382
Les petits Soldats; s. d. (sans durée).
Protectorat; 1962, 3 minutes.
Le Salut final; 1962, 3 minutes.
Scènes du parc; 1962, 4 minutes.
383
TABLE D'ILLUSTRATIONS
La cinétographie Laban
Figure 1: la Portée .............................................................................................................................................237
Figure 2 : Niveaux et directions principales ............................................................................................237
Figure 3: Le temps et la durée .....................................................................................................................238
Figure 4: Symboles des parties du corps ..................................................................................................239
L'analyse de l'Effort
Figure 5: Les Facteurs et les éléments de l’effort ..................................................................................243
Figure 6: Le graphique de «l’Effort» ......................................................................................................244
Le Projet Laban-Decroux
Figure 7: Diagramme de flux du projet «Laban - Decroux» ..........................................................255
Figure 8: Diagramme de flux optionnel ....................................................................................................257
Figure 9: Premier exemple des cinétogrammes. ....................................................................................287
Figure 10: Deuxième exemple des cinétogrammes ...............................................................................288
Figure 11: Troisième exemple des cinétogrammes ...............................................................................289
Figure 12: Cinétogramme de l’exercice: «Inclinaison de ‘Tour Eiffel’ appui flechi» (sans
déraciner) .....................................................................................................................................................292
Remerciements ii
Avant - Propos iii
Introduction 3
Etienne Decroux, ou l’empreinte musculaire de l’esprit 3
L’œuvre de Decroux, ou lorsque la pensée se matérialise dans le corps () 4
Le recherche autour de Decroux et de son œuvre 6
Nos recherches sur le mime corporel 7
Les limites de notre champ de recherche 9
Notre approche du sujet et nos références 10
Des études précédentes dans notre sphère disciplinaire ou ayant un rapport avec notre
sujet 11
Notre rapport avec des recherches précédentes portant sur Etienne Decroux et son
œuvre. 12
Mise en garde ou «le discours sur notre sujet» 15
Notre thèse: Le bilan théorique du projet Laban - Decroux 21
Définitions 22
La question principale 24
Méthodologie 26
385
Les contours 94
Matérialité dans les caractéristiques 95
Caractéristique principale 96
Répertoire - Partition 96
Note explicative sur le répertoire du mime corporel 98
La tradition du mime corporel 99
Le répertoire «Decroux» dans la tradition du mime corporel 99
La fragilité paradoxale de la tradition du mime corporel. 101
Les manifestations matérielles de la tradition du mime corporel 105
L’École Decroux 117
Les programmes des écoles 126
Précis de notre exposé 135
386
L’approche comportementale; modes psychologique et moteur (ou neuromusculaire)
200
Les études sur le mouvement et les Pratiques et Comportements Humains Spectaculaires
Organisés 202
L’art et le mouvement 202
Les arts du spectacle 203
Les niveaux d’application de l’analyse du mouvement 205
Les outils et les méthodes 209
Les objectifs 211
Les problèmes de l’application de l’analyse du mouvement 215
Les solutions proposées par les diverses méthodes d’analyse du mouvement. 215
La notation (écriture) du mouvement 217
La théorie du mouvement et les méthodes de Rudolf Laban 221
Rudolf Laban, (notes biographiques) 222
Concepts et principes fondamentaux de la théorie de Laban 226
Les concepts les plus importants pour l’évaluation du mouvement 228
Première confrontation 231
Le type d’étude de mouvement proposé par Laban 232
Le système de classification des mouvements 232
Les niveaux et le mode d’approche 233
Les méthodes Laban d’analyse et de notation du mouvement 234
La Cinétographie Laban (Labanotation) 235
L’analyse de l’«effort» 240
Deuxième confrontation 245
Les informations «mouvement» 246
La solution aux problèmes d’application 248
Pertinence et faisabilité 249
chapitre 6 Les Propositions 1998 du projet «Laban - Decroux / notation du mime
corporel» 251
Préambule 252
Proposition 252
Objectifs 253
Principes généraux de méthodologie 254
Les étapes 254
Applications 258
Option de complémentarité 259
Exemples 259
Grilles de classification proposées 259
Études systématiques 272
Adaptations 276
Cinétogrammes 286
Des possibilités d’application au mime corporel 290
Questions pratiques 290
Dernières propositions 292
«Les cahiers du projet Laban - Decroux» 293
Cours d’analyse et de notation du mouvement adressé aux acteurs. 293
Note sur le projet Laban - Decroux 295
387
D’autres documents reconnus capables de garder des traces matérielles des partitions
du répertoire «Decroux». 305
Bilan pour la communication et la mémorisation 308
La communication et la mémorisation du répertoire «Decroux» 308
Des avantages de l’utilisation des cinétogrammes 308
Des risques de l’utilisation des cinétogrammes 309
Bilan pour l’élaboration des notes d’étude 315
Concernant l’élaboration des notes d’étude
à partir des partitions du répertoire «Decroux»: 315
Des avantages de l’utilisation des méthodes Laban 318
Des risques de l’utilisation des méthodes Laban 318
Des initiatives similaires concernant le mime corporel et / ou le répertoire «Decroux» 319
Pour la préservation de pièces de répertoire de Decroux 319
Le rassemblement et la diffusion de l’œuvre de Decroux 321
La notation du mime corporel 322
Conclusions 324
Sur le Bilan théorique du projet Laban - Decroux 325
Sur notre Démarche 326
Sur Etienne Decroux et son œuvre 327
Sur la tradition du mime corporel et l’héritage de Decroux 327
Sur le mime corporel et le répertoire «Decroux» 328
Sur l’apprentissage du mime corporel 329
Sur l’entraînement des acteurs 329
De l’intérêt du projet Laban - Decroux 330
«Dissolution» contre «patrimoine inaliénable» 332
De la préservation et de la diffusion de l’oeuvre de Decroux 333
BIBLIOGRAPHIE 334
Générale 334
Thématique 334
Analyse et Notation du mouvement 334
Mime, Théâtre du mouvement 336
Théâtre, Ethnoscénologie 338
Articles, Revues et documents divers 339
Annexes 344
"Explication de l’art de l’acteur" par Etienne Decroux 345
Les dossiers du Fonds Decroux 356
Projet de "Récupération, préservation et diffusion du travail du Maître Étienne Decroux" /
L’analyse de la technique du mime corporel et sa transcription en cinétographie Laban (projet
Laban-Decroux, Seconde version — Octobre 1988.
I ANTÉCÉDENTS 365
II POUR QUOI ÉTIENNE DECROUX? 365
III POURQUOI LABAN? 365
IV LE PROJET 367
V L’ANALYSE DE LA TECHNIQUE DU MIME CORPOREL ET SA
TRANSCRIPTION EN CINÉTOGRAPHIE LABAN. (deux exemples) 368
OBJECTIF 1 369
OBJECTIF 2 369
OBJECTIF 3 369
OBJECTIF 4 370
VI CONSIDÉRATIONS FINALES 373
Cinétogramme n° 19 374
388
Cinétogramme N° 30 375
Cinétogramme N° 74 376
Projet Laban - Decroux, état des lieux 1998 377
Les propositions et l’état actuel 377
Rapport de l’avance «Analyse et notation» 377
L’état actuel des cinétogrammes 377
Cinétogrammes achevés 378
Cinétogrammes en révision 379
Cinétogrammes en manuscrit 380
Notes relatives aux cinétogrammes 380
Programme et Historique du spectacle: 381
«L’homme qui voulait rester debout / hommage à Etienne Decroux» 381
Parcours des 72 représentations. 381
Films d'archives sur le mime corporel. 382
389