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UNIVERSITÉ DE PARIS 8

Vincennes - Saint - Denis


U. F. R. ARTS, PHILOSOPHIE & ESTHÉTIQUE
Doctorat nouveau régime. Esthétique, sciences et technologie des arts - option études
théâtrales et chorégraphiques.

ANNÉE UNIVERSITAIRE 1997 - 1998

THÈSE

La cinétographie Laban et le mime corporel


d’Etienne Decroux.
Bilan théorique du projet
Laban - Decroux / notation du mime corpo-
rel

Sous la direction de: M. Jean - Marie PRADIER.

GAYON LOPEZ Jorge Arturo


N° d’étudiant: 54601 Automne 1998
En raison de l’opposition qu’a soulevée notre sujet, et des
réactions et critiques rencontrées lors de l’élaboration et de
la soutenance de cette thèse, nous avons tenu à inclure ici le
rapport d’expertise de Mme Marielle Cadopi.
En même temps, nous voulons la remercier pour sa
reconnaissance objective de la nature du sujet traité.

IV
V
VI
Remerciements

La réalisation de cette thèse a demandé beaucoup d’efforts et de sacrifices de ma part,


lesquels n’auraient pas été suffisants sans l’active participation d’autres personnes: seul je
n’aurais rien pu faire.
Ainsi, je tiens à exprimer ma gratitude d’abord à quelques personnes dont la
contribution a été capitale. Entre autres, mon directeur de recherche M. Jean - Marie Pradier:
sans son intérêt pour le projet Laban - Decroux cette thèse n’aurait pas vu le jour. Mme Claude
Desforges, qui par sa compétence et son dévouement dans la nécessaire correction de langue et
de style a permis à ce travail de prendre forme et de sortir de l’atelier des idées. Mlle Griet
Maes, qui par son exceptionnelle vigilance et son intérêt sur l’ensemble de ma démarche, a
donné à cette thèse sa valeur professionnelle. M. Maximilien Decroux, qui avec générosité et
bienveillance envers ma personne et le projet de notation du mime corporel, a permis la
consultation de sources irremplaçables d’informations sur Etienne Decroux et son œuvre.
Ensuite, ma reconnaissance va à d’autres personnes, inconnues au départ, puis
collaborateurs ou amis et collègues, qui par leur intérêt pour mon travail, ou par leur
contribution dans le débat, ou leur concours et encouragements, ont entretenu en moi l’envie
de continuer et de finir cette entreprise de longue haleine. Je citerai : Mme Jacqueline Challet -
Haas, Mlle Marion Bastien, Mme Catherine Maupu - Morel, M. Christian DellaGaspera, M.
Gérard Petit, Mme Christine Grauls, Mlle Trui Maes, M. Étienne Bonduelle, M. Sylvain Piron,
M. Thomas Leabhart, Mme Joëlle Trévelo du Département audiovisuel de l’INSEP. D’autres
personnes m’ont certes aidé, directement ou indirectement, je voudrais les remercier toutes …

Jorge A. Gayon L.

Je dédie ce travail à mes parents:


Mme Laura E. Lopez E. et M. Hector M.Gayon G.

ii
Avant - Propos

Ma relation au mime corporel et à l’École Decroux

La découverte d’une vocation n’est pas prévisible, et l’une des grandes questions de
notre enfance est toujours: que ferai - je quand je serai grand? En même temps que notre
vision du monde évolue, nous trouvons nombre de réponses à cette question apparemment
innocente.
Mais personne ne peut nous révéler le rôle que nous sommes appelés à jouer dans cette
vie. Ce n’est qu’au moment magique de la révélation qu’apparaîtra la voie de notre réalisation
personnelle et professionnelle.
Cette révélation, pour moi, s’est faite en deux temps. La première rencontre fut un
spectacle de musique, chanson et théâtre. Un des intervenants était un mime. J’avais une vague
idée de ce que pourrait être la pantomime, car j’avais entendu parler de Marcel Marceau, sans
l’avoir jamais vu.
Cette rencontre a été la source de l’inspiration qui motive mon travail et mes projets
pour l’avenir. Elle m’a permis de rencontrer l’art qui aujourd’hui me passionne.
Pour moi, à partir de ce moment magique, une chose était claire: si je voulais être un
mime, il fallait apprendre le langage de cet art, mon talent(grand ou petit) ferait le reste. Dès
lors, ma vie a été dirigée par le désir de suivre cet apprentissage, et d’aller toujours plus loin,
plus profondément pour apprendre à m’exprimer dans le langage artistique qui à mes yeux est
le mien.
La seconde rencontre s’est produite plus tard, alors que je regardais émerveillé un
spectacle de mime, qui provoqua en moi un deuxième moment magique aussi fort que le
premier: c’était la révélation du mime corporel.

Plein de l’évidence de cette dernière révélation, je suis parti à la recherche de l’école où


je pourrais sans crainte investir mes jours et le meilleur de mes efforts pour devenir un mime.

L’École Decroux
Mon premier contact avec «l’école Decroux» en tant qu’élève, fut un stage de mime
corporel au Mexique en 1981 avec Jean Asselin et Denise Boulanger, de la troupe
«Omnibus». D’autres contacts se sont succédé, notamment l’été 1984 à l’École de Mime
corporel de Montréal.

iii
Je suis finalement arrivé à Paris en 1986, où j’ai eu la chance de rencontrer et de suivre
les cours d’Étienne Decroux pendant les trois derniers mois d’existence de son école à
Boulogne - Billancourt( 4).

Depuis 1987, et jusqu’au début de 1995, j’ai participé aux travaux de l’École de Mime
corporel Dramatique de Paris( 5). D’abord en tant qu’élève, ensuite comme acteur - mime à
l’intérieur de la compagnie «Théâtre de l’Ange Fou» de cette même école, puis comme
enseignant, et finalement en tant que collaborateur des tous derniers projets de spectales et de
recherches de l’école et de la compagnie, dont le spectacle «L’homme qui voulait rester
debout / hommage à Étienne Decroux»(reconstruction des pièces majeures de son répertoire)
qui fut joué pendant plus de deux ans en Allemagne, Angleterre, États Unis, France et Italie.
En outre, une courte période de travail sous la direction de Thomas Leabhart, et
plusieurs stages pris sous la direction de Yves Marc et Claire Heggen du «Théâtre du
Mouvement» se sont ajoutés à mon expérience sur les divers approches autour du mime
corporel. Petit à petit s’est dessiné devant moi «l’École Decroux»( 6).

En 1988, j’ai commencé l’élaboration d’un projet de recherche portant sur l’application
de la cinétographie Laban dans les domaines de l’apprentissage du mime corporel et de la
préservation du répertoire d’Étienne Decroux.

Mon intérêt pour l’analyse et la notation du mouvement appliquées au mime corporel et


à la préservation du répertoire d’Étienne Decroux a pour origine ma propre formation et une
pratique artistique professionnelle et pédagogique de la «Pantomime - Théâtre» durant
plusieurs années au Mexique. Intérêt qui s’est accru par la découverte en 1986, de la
cinétographie Laban. La vision des possibilités de son utilisation pour la communication du
répertoire d’Étienne Decroux et pour sa préservation a été déterminante à m’engager dans cette
voie.

Ayant suivi une formation d’ingénieur avant de me consacrer exclusivement au mime,


j’ai une certaine familiarité avec une approche scientifique et analytique. Ce qui explique que
le rapport entre le mime corporel et la cinétographie Laban ait vite été établi dans mon esprit.

Pour répondre aux objections de principe que pourrait attirer un tel projet, qui demande
aussi bien une sensibilité artistique qu’une capacité scientifique, j’aimerais citer Rudolf
Laban:

« Ce n’est qu’à partir du moment où le scientifique apprendra de l’artiste


comment acquérir la sensibilité nécessaire pour apprécier les significations du

4 Celle - ci fut fermée au début de 1987, et non en 1985 comme l’affirme Guy Benhaim.
5 Laquelle a fermée ses portes à Paris le mois de mai pour les rouvrir à Londres en octobre 1995.
6 Un court passage chez Jacques Lecoq, et plusieurs stages avec d’anciens élèves de Marcel Marceau, ainsi
qu'avec certains de ses collaborateurs, et encore avec d'autres mimes représentant d'autres «écoles», m'ont per -
mis de percevoir «de l'intérieur» en quoi elles différent entre elles et de l'école Decroux.
iv
mouvement, et où l’artiste apprendra du scientifique comment donner un ordre à
sa conscience visionnaire des significations profondes, qu’il sera possible de créer
un tout équilibré. » (7)

En tant que Notateur en Cinétographie Laban( 8), mime professionnel et pédagogue, je


souhaite et j’espère que ma proposition sera à son tour bien accueillie par les milieux artistique
et universitaire, comme ma contribution personnelle à l’avenir du mime corporel et de l’École
Decroux.

7 Rudolf Laban : The Mastery of Movement, Fourth Edition revised and enlarged by Lisa Ullman, Macdonald
and Evans. Estover, Plymouth PL6 7 PZ. U. K., 1980. page 95
8 J'ai fait ma formation en Cinétographie Laban au sein du Centre National d’Écriture du Mouvement, sous la
direction de Mme. Jacqueline Challet - Haas.
v
SOMMAIRE

Première partie
«Le mime corporel et son créateur: Etienne Decroux»
chapitre 1
Étienne Decroux
Biographie
La rencontre avec Copeau
L’acteur parlant
Créateur et Maître du mime corporel
chapitre 2
L’édification du mime corporel
Deux bilans.
Les origines
Se vouer à une image
Les idées du départ, les premiers fondements
Decroux et l’art de l’acteur
La nature du jeu musculaire
Les objectifs
Propositions pour les atteindre
Développement
Le poids, la lutte, le sport
De la vie primitive à la Statuaire Mobile
(en passant par la vie médiévale et la vie industrielle)
La constitution du répertoire
Un langage physique pour l’acteur: le mime corporel
Les pièces de répertoire de Decroux
Les Styles de jeu
Les figures dramatiques et de style
Le vocabulaire
Les exercices d’entraînement
chapitre 3
Le répertoire «Decroux» et la tradition du mime corporel
La notion de répertoire «Decroux»
Répertoire - Partition
Note explicative sur le répertoire du mime corporel
La tradition du mime corporel
Le répertoire «Decroux» dans la tradition du mime corporel
La fragilité paradoxale de la tradition du mime corporel.
Les manifestations matérielles de la tradition du mime corporel
Voir le mime corporel
Le mime corporel et les pratiques spectaculaires actuelles
Chercher et trouver l’école
L’École Decroux
L’apprentissage du mime corporel par Étienne Decroux
L’apprentissage du mime corporel après Decroux
(ou de la réalité de la tradition du mime corporel)
Les programmes des écoles
L’École de Mime de Montréal
L’École de Mime Corporel Dramatique de Paris
L’Atelier International de Mime Corporel

vi
Deuxième Partie
«L’apprentissage du mime corporel»
chapitre 4
Le répertoire «Decroux» et l’apprentissage du mime corporel
L’école, une expérience
L’œil expert externe, le rôle du professeur
La communication du répertoire «Decroux» pour l’apprentissage
La situation actuelle de la communication du répertoire «Decroux»
Les moyens de communication utilisés
Les notes d’étude et aide - mémoire pour l’entraînement
L’élaboration des notes d’étude et aide - mémoire
La notation du mouvement
Les notes d’étude et les outils audiovisuels
La préservation et la mémoire
Préservation, mémoire et tradition vivante
L’assimilation du mime corporel: sa préservation première
La mémoire du répertoire «Decroux» dans l’apprentissage
Le rappel musculaire du répertoire «Decroux»: mémoire première du mime corporel.
L’entraînement en mime corporel et la mémoire du répertoire «Decroux»
Les supports de mémoire du mime corporel

Troisième partie
«L’application de la cinétographie Laban au mime corporel»
chapitre 5.
Le mime corporel, l’analyse et la notation du mouvement
Le mime corporel et le répertoire «Decroux» comme objets d’étude
L’analyse du mouvement
Pourquoi l’analyse du mouvement
Diverses approches disciplinaires.
Les études sur le mouvement et les Pratiques et Comportements Humains Spectaculaires Or-
ganisés
La notation (écriture) du mouvement
La théorie du mouvement et les méthodes de Rudolf Laban
Première confrontation
Les méthodes Laban d’analyse et de notation du mouvement
Deuxième confrontation
Pertinence et faisabilité
chapitre 6
Les Propositions 1998 du projet «Laban - Decroux / notation du mime corporel»
Proposition
Objectifs
Principes généraux de méthodologie
Les étapes
Applications
Option de complémentarité
Exemples
Grilles de classification proposées
Études systématiques
Adaptations
Cinétogrammes
Des possibilités d’application au mime corporel
Questions pratiques
Dernières propositions
«Les cahiers du projet Laban - Decroux»
Cours d’analyse et de notation du mouvement adressé aux acteurs.
Note sur le projet Laban - Decroux
vii
Quatrième Partie
«Les avantages et les risques»
chapitre 7
Bilan théorique du projet Laban - Decroux
Bilan pour la préservation
La préservation du répertoire «Decroux»
Note sur les droits d’auteur
D’autres documents reconnus capables de garder des traces matérielles des partitions
du répertoire «Decroux».
Bilan pour la communication et la mémorisation
La communication et la mémorisation du répertoire «Decroux»
Des avantages de l’utilisation des cinétogrammes
Des risques de l’utilisation des cinétogrammes
Bilan pour l’élaboration des notes d’étude
Concernant l’élaboration des notes d’étude à partir des partitions du répertoire
«Decroux»
Des avantages de l’utilisation des méthodes Laban pour l’élaboration des notes d’étude
Des risques de l’utilisation des méthodes Laban pour l’élaboration des notes d’étude
Des initiatives similaires concernant le mime corporel et / ou le répertoire «Decroux»
Pour la préservation de pièces de répertoire de Decroux
Le rassemblement et la diffusion de l’œuvre de Decroux
La notation du mime corporel

Conclusions
De l’intérêt du projet Laban - Decroux

BIBLIOGRAPHIE
Annexes
«Eplication de l’art de l’acteur» (Etienne Decroux)
Les dossiers du Fonds Decroux (Bibliothèque de l’Arsenal, Paris)
«Recupération, préservation et diffusion du travail du Maître Etienne Decroux»
(Projet Laban - Decroux. Version octobre 1988)
Projet Laban - Decroux, état des lieux 1998
Programme et Historique du spectacle:
«L’homme qui voulait rester debout / hommage à Etienne Decroux»
Films d'archives sur le mime corporel.

viii
La cinétographie Laban et le

mime corporel d’Étienne De-

croux.

Bilan théorique du projet

« Laban - Decroux / notation

du mime corporel ».
« Cette équipe érige un acteur nouveau

Non par l’âme : par le corps d’abord, par le corps ensuite, enfin par le
corps.

Les hommes eussent deviné que de tous les instruments, le corps est le plus
riche si la paresse physique de ceux qui pensent ne leur eut interdit d’apprendre à
en jouer. » 

Etienne Decroux, « Explication de l’art de l’acteur »  (9)

9 Etienne Decroux: Dossier n° 2, s / d, «Explication de l’art de l’acteur», page 10, Fonds Decroux, Biblio-
thèque de l’Arsenal, Paris. (Nous avons souligné en caractères gras).

2
Introduction

Etienne Decroux, ou l’empreinte musculaire de l’esprit


En 1978, dans l’édition du Mime Journal, dédiée à la célébration du quatre - vingtième
anniversaire d’Etienne Decroux, Thomas Leabhart publie une entrevue qui frappe en quelques
lignes par la façon dont Decroux présente sa démarche personnelle. A la question; Comment
avez - vous commencé le mime corporel ? Decroux répond:

« D’abord, il y a ma nature. Par nature je suis ce que vous pouvez appeler un


matérialiste spirituel. C’est - à - dire que le spirituel m’intéresse dès qu’il a donné
sa forme à la matière » (10)

Comment en 1998, année du centenaire de la naissance de celui qui est considéré


comme le père du mime moderne( 11), ne pas célébrer l’extraordinaire fermeté avec laquelle il
investit sa vie pour donner une forme matérielle aux fruits de son esprit?
Avec une ardeur inouïe dans son dessein, lors d’une pause au milieu de sa route,
Decroux releve l’état des lieux que voici:

« J’ai pris ma première leçon de diction il y a trente et un an et la dernière, ce


matin. J’ai pris ma première leçon de danse classique, il y a trente et un an et la
dernière hier matin.

Depuis que j’ai quitté Copeau, j’ai fait du « parlant » en sursis et pour ce qui
est du théâtre agissant, je n’ai pensé qu’à lui sans jamais y rêver et j’ai tout négligé
pour ajouter le faire à la pensée…

… Et chaque jour, cependant, je suis en short, le torse nu, continuant à me


prendre au sérieux, à me hâter lentement … » (12)

A la lecture des notes rédigées à plusieurs moments de sa vie, nous pouvons


comprendre que l’expression «au milieu de sa route», n’est pas du tout exagérée. Plus tard,
dans une de ses inombrables conférences données à son école, le 19 mai 1978, il expliquait:

10 Étienne Decroux: «The origin of corporeal mime», Mime Jornal num. 7 & 8. Thomas Leabhart Ed. Cla-
remont, Californie 1978. Page 8, (Nous avons traduit de l’anglais).
Son éditeur explique: Cette entrevue faite par Thomas Leabhart a été publiée pour la première fois dans le
premier numéro du Mime Journal . Elle fut traduite du français par Sally Leabhart et Thomas Leabhart. (Nous
avons traduit de l’anglais).
11 Annette Lust: «Etienne Decroux, Father of Modern Mime», Mime Journal, vol. 1, 1974, pages. 17 - 21.
12 Etienne Decroux: Dossier N° 57, «Mai 1953», page 27, op. cit.

3
« Je passais mon temps comme ça, comme je pouvais, autant que je pouvais, à
monter une pièce, alors, je ne pouvais pas m’occuper de la scolarité, ou à faire de la
prospection de la scolarité. Quand je ne montais pas de pièces, n’importe comment,
chaque jour, ça avançait. Ca ne pouvait pas ne pas avancer, et maintenant mon
grand regret c’est qu’il ne me reste pas beaucoup à vivre pour réaliser les projets
que je veux. Le mime, je n’en vois pas le bout, j’estime pauvre ce que j’ai fait quand
je pense à ce qui pourrait être fait. ». (13)

La même année, dans une lettre adressée à Thomas Leabhart, Decroux confirme son
sentiment en constatant que la tâche n’est pas encore fini.

« La longévité a des airs de postérité. Elle donne le temps d’entendre le merci
pour la durée de la passion. Donc merci pour votre merci.

Mon désir qui j’espère, ne me quittera jamais est de ne pas entrer dans la
légende afin de rester dans la lutte. Courage à vous et aux vôtres.

Il reste encore à faire. »  (14).

L’œuvre de Decroux, ou lorsque la pensée se matérialise dans le


corps (15)
Le mime corporel ; espèce d’art dramatique dont l’organe dominant est le corps de
l’acteur( 16), selon une des définitions que Decroux aimait lui donner, est la manifestation
concrète de son parcours, et la réalisation matérielle de ses idéaux artistiques, il représente
aujourd’hui, pour le monde du théâtre, son legs incontestable.

Au départ de sa démarche pour l’édification du mime corporel, Decroux cherche à


régénérer le théâtre en régénérant l’art de l’acteur par la voie du corps, comme il l’explique
dans la présentation de son spectacle lors de sa tournée en Israël au début des années 50,

« Cette équipe érige un acteur nouveau

13 Idem Conférence du 19 / 05 / 78 à son école. Document audio inédit


14 Idem: Lettre adressée à Thomas Leabhart à l’occasion de la publication du Mime Journal commémorant
son 80ème anniversaire. Dans Thomas Leabhart: The Mime Journal, no 7 - 8, op.cit. (en français dans le texte).
15 Idem: «Valeur morale du mime corporel », dans Dossier N° 32, «Été» 1947, Page 1. Fonds Decroux, op.
cit.
16 Idem: Dossier N° 2, s / d, « Explication de l’art de l’acteur», page 1. Fonds Decroux, op. cit.

4
Non par l’âme : par le corps d’abord, par le corps ensuite, enfin par le
corps.» (17)

son intention est de donner à l’acteur les moyens d’assumer sa responsabilité artistique dans la
création théâtrale.
Son œuvre présente trois visages à celui qui veut l’approcher: d’une part, sa
production pour la scène, composée de plus de soixante - douze pièces( 18) couvrant tous les
genres dramatiques, d’autre part, son énorme collection d’écrits dont André Veinstein nous
raconte dans la préface de Paroles sur le mime( 19):

« L’œuvre écrite de Decroux est considérable. Intimement liée à


l’enseignement et à son travail de création, elle traduit, chez lui, une impérieuse
nécessité d’élucider ses actes. Séries de notes, essais ou articles, inédits ou non,
arguments de spectacles et textes de présentation fourniraient certainement la
matière de plusieurs ouvrages. » (20).

et enfin, le corpus de principes et fondements physiques à la base de l’utilisation


dramatique des ressources corporelles à disposition de l’acteur aujourd’hui connu
mondialement comme: le mime corporel.

Malgré l’apparence de plusieurs aspirations distinctes, ces trois visages de l’œuvre de


Decroux forment un tout cohérent, et la première partie de cet ensemble, que nous pouvons
appeler la pointe de l’iceberg du mime corporel, n’est que son reflet spectaculaire. A ce titre,
Decroux nous explique:

« J’ai monté quantité de spectacles, dont chacun était la mise en œuvre


spectaculaire des techniques conquises en studio dans l’année écoulée. C’était
autant d’indications sur ma conception de cet art ». (21)

Ainsi, aux yeux de l’observateur attentif, les œuvres spectaculaires de Decroux et son
énorme production écrite( 22), trouvent un sens en rendant compte, comme les mailles d’un
même filet, de l’essentiel de son travail:

17 Ibidem: page 10. (Nous avons souligné en cratères gras).


18 Guy Benhaim: Le mime corporel selon Étienne Decroux, Thèse de Doctorat nouveau régime, Faculté des
Lettres, Arts et Sciences Humaines, Université de Nice Sophia Antipolis, 1992. page 265.
19 Etienne Decroux: Paroles sur le mime, Gallimard, Paris, 1963.
20 André Veinstein: dans la «Préface» de Paroles sur le mime, op. cit. page 10.
21 Étienne Decroux: Paroles sur le mime, Gallimard, Paris, 1963, page. 87
22 Dont le livre: Paroles sur le mime n’assemble qu’une petite partie, le gros de la production écrite de De-
croux reste à ce jour inédite et méconnue.

5
« Ce fut mon corps, ce fut celui de mes élèves, ce furent les ‘périodes’ : celles
du saccadé, du fondu, du ressort, celles du corps nu sur plateau vide avec évocation
d’accessoires, sans sonorité, puis du maillot, puis des ganses en volume, de la
sonorisation, de l’occupation du sol par corps neutre, de la jonglerie, de l’acrobatie,
de la musique portative à usage dramatique. Aujourd’hui, c’en est une autre : une
folie tasse l’autre ? Jamais je n’ai dit sans le faire ce que mon élève devait
faire. » (23).

Pendant plus de cinquante ans, les recherches et expérimentations de Decroux lui ont
permis de développer le mime corporel (24). qui avec les moyens permettant son assimilation
par les acteurs, furent ses principaux soucis afin d’en assurer la pérennité, clé de la réussite de
son projet.

« …Peu à peu, de dizaine d’années en dizaine d’années, un art dramatique


réellement nouveau s’élèvera comme un arbre s’élève, avec la même lenteur, avec la
même richesse, aussi durable. » (25)

Le recherche autour de Decroux et de son œuvre


Ces dernières années, la vie et l’œuvre de Decroux ont été l’objet de plusieurs études
visant à démontrer l’importance de son influence sur les pratiques du théâtre contemporain.
Nous citerons notamment:

Petite Histoire d’un grand art: Le mime hier et aujourd’hui; Perspective


historique par René - Jean Dufour( 26).

Modern and Post - Modern Mime par Thomas Leabhart( 27).

Le mime corporel selon Étienne Decroux par Guy Benhaim( 28).

Mimo e teatro nel Novecento par Marco de Marinis( 29).

23 Etienne Decroux: Dossier N° 57, «Mai 1953», page 27, Fonds Decroux, op. cit. (Nous avons souligné en
caractères gras).
24 Les développements de Decroux concernant l’utilisation dramatique des ressources corporelles à disposi-
tion de l’acteur: La grammaire du mouvement, le vocabulaire, les styles de jeu, les exercices d’entraînement, la
dramaturgie et les protocoles d’improvisation propres au mime corporel.
25 Etienne Decroux: Dossier n° 42 «début 1950», page 7. Fonds Decroux, op. cit.
26 René - Jean Dufour: Petite Histoire d'un grand art : Le mime hier et aujourd’hui. Perspective historique,
Mémoire de Maîtrise d'Art présenté à l'Université de Québec à Montréal, 1989 (exemplaire informatique).
27 Thomas Leabhart: Modern and Post - Modern Mime, Col. Modern Dramatists, Ed. St Martin’s Press, New
York, 1989.
28 Guy Benhaim: Le mime corporel selon Étienne Decroux, op. cit.

6
Études qui pour cette thèse, sont une référence des plus importantes. Cependant, à leur
lecture, plusieurs questions s’imposent à notre esprit: dans ces études,

• le traitement de l’éventuelle tradition du mime corporel, n’est - il pas engagé


un peu trop tôt? Puisque ces ouvrages se référent principalement à des élèves
de Decroux de la première génération (formés par lui - même), et la tradition
n’ayant pas encore eu l’occasion de faire ses preuves par la préservation et le
passage de cette pratique de la deuxième à la troisième génération…
• Est - il légitime de trouver l’influence de Decroux chez des metteurs en scène,
quand la matérialisation des principes et fondements physiques du mime cor-
porel ont besoin d’abord de leur «in corporation» par des acteurs charnels et
non dans des approches dits «théoriques»( 30)?

Certes, les questions sont difficiles, et nombreux sont les pièges qui attendent celui qui
tenterait d’y répondre.

Nonobstant, de notre expérience et de notre pratique du mime corporel, il nous est


impossible de ne pas signaler que pour la «tradition» du mime corporel, ces questions sont
fondamentales et que, à notre avis, la seule certitude d’une tradition pourrait être apportée par
des acteurs pour qui le mime corporel est le fondement du travail artistique, c’est - à - dire, par
des acteurs qui le possèdent physiquement, qui sont en mesure de l’apprendre à d’autres
acteurs et qui s’en servent sur scène( 31).
Sur ces acteurs, sur leur pratique, repose la clé de cette tradition, et celle de «l’école
Decroux». Selon la formule de Decroux:

« …J’ai fait. D’autres feront mieux, indéfiniment. A la condition toutefois


que j’ai fait assez bien pour suggérer qu’on puisse faire mieux.… » (32).

Nos recherches sur le mime corporel


Dans notre thèse, il sera aussi question de l’œuvre d’Etienne Decroux et de la tradition
du mime corporel, mais surtout de ce qui en est le fondement: son apprentissage, impératif
préalable à sa pratique. Notre problématique concerne principalement la communication,

29 Marco de Marinis : Mimo e teatro nel Novecento, La casa Usher, Firenze, 1993.
30 Manière personnelle du metteur en scène, d’appliquer les «principes» du mime corporel à la création de
spectacles où le mime corporel n’est pas le langage physique de ses acteurs.
31 Désormais, le terme «pratique», utilisé en rapport au mime corporel, fera référence aux trois volets de
cette «définition»: être en possession physique de ce langage, en mesure de l’apprendre à d’autres acteurs et s’en
servir sur scène.
32 Etienne Decroux: Dossier n° 42 «début 1950», page 7. Fonds Decroux, op. cit. (Nous avons souligné en
cratères gras).

7
l’étude, et la mémoire des «principes et fondements du mime corporel »( 33), étapes obligées
pour aboutir à leur assimilation( 34), seule garantie de la transmission et la préservation de
l’héritage d’Etienne Decroux.
Ces thèmes d’étude, nous les avons abordés il y a quelques années. Nous avons enrichi
et approfondi nos recherches à mesure de notre engagement dans la pratique, surtout à partir de
notre découverte de la cinétographie Laban. Une idée s’est alors dessinée, il s’agissait d’utiliser
la notation du mouvement comme une aide à la solution des problèmes relatifs à la
communication, l’étude, et la mémoire des «principes et fondements du mime corporel »,
auxquels l’acteur est confronté pendant sa formation.
C’est ainsi qu’en 1988, pour donner une structure formelle à cette idée, nous avons
présenté le projet de «Récupération, préservation et diffusion du travail du Maître Étienne
Decroux / Analyse de la technique du mime corporel et sa transcription en cinétographie
Laban»( 35), projet qui, au fil des années, a pris l’appellation de: «Laban - Decroux / notation
du mime corporel ». Ce projet a pour fonction de présenter et d’établir les objectifs et les
principaux axes d’orientation de nos recherches, dont cette thèse fait partie.
Dans la progression de notre travail et de sa critique simultanée, nous présentons
aujourd’hui notre thèse de doctorat. Ces années passées à entretenir notre projet, depuis sa
première présentation, ont été parallèlement mis au profit de plusieurs activités liées
étroitement à sa réalisation.

D’une part, la pratique du mime corporel était fondamentale, dans le domaine de notre
propre apprentissage d’abord, et ensuite dans celui de son enseignement et de sa pratique
spectaculaire( 36).
D’autre part, il y a eu notre formation à la recherche et en cinétographie Laban, puis nos
activités comme notateur, professeur et, dernièrement, comme collaborateur du «Projet
Cinétographique Marcel Marceau - Laban( 37)», similaire au nôtre.

33 Avec « mime corporel », c’est un raccourci qui sera utilisé tout au long de notre étude pour nommer «le
corpus de principes et fondements physiques à la base de l’utilisation dramatique des ressources corporelles à
disposition de l’acteur» développé par Decroux.
34 L’apprentissage du mime corporel est la seule garantie de sa transmission de génération en génération, il
s’accomplit par la communication, l’étude, la mémoire et l’assimilation des «principes et fondements du mime
corporel » par les acteurs.
35 En réfléchissant aujourd’hui à notre premier titre, il est clair que la signification du mot français
«Récupération» ne traduit pas exactement notre intention exprimée pour la première fois en espagnol. Nous
aurions dû utiliser plutôt celui de «Reconstitution».
36 Dont, notre participation en tant qu'acteur au sein du «Théâtre de l'Ange Fou / Cie. S. Wasson et C. Soum»
pour des spectacles de son répertoire et celui de la mise en scène d'une partie du répertoire d’Étienne De-
croux(«L'homme qui voulait rester debout / Hommage à Étienne Decroux». Voir l'historique des représentations
dans les annexes).
37 Nous avons participé début 1995 à la vérification par la lecture, c’est - à - dire la mise en mouvement, du
cinétogramme de la pièce de style La Création du Monde de Marcel Marceau, notée par notre collègue mime -

8
Le présent document est le fruit de nos expériences et des réflexions autour du projet
«Laban - Decroux»( 38). Il est le résultat d’une étude visant à en établir un bilan théorique( 39)
et il ne faut pas y chercher une étude critique sur le mime, le mime corporel ou sur Étienne
Decroux.

Cette thèse, entreprend l’évaluation des apports possibles de l’application de la


cinétographie Laban à l’apprentissage et à la préservation du mime corporel, en continuation
des recherches consignées dans notre mémoire de DEA( 40), fait sous la direction du Professeur
J. M. Pradier, où il était question de la pertinence de cette application.

C’est ainsi que nos travaux actuels partagent avec les précédents le même contexte
disciplinaire. Nous considérons que réussir un développement cohérent nous impose de rester
sur les directives tracées dans le passé, et que garder un tel ancrage nous a permis
d’approfondir nos recherches grâce aux limites que nous nous sommes imposés, quant à leur
cadre. Nous utiliserons la présentation de ce contexte pour mieux expliquer nos intentions.

Les limites de notre champ de recherche


• Nous avons choisi de le réduire aux aspects de mouvement du processus
d’apprentissage du mime corporel, et à la préservation du répertoire d’Étienne
Decroux.
En limitant ainsi notre champ de recherche, nous ne perdons pas de vue que
l’apprentissage du mime corporel ne se borne pas à la communication du répertoire d’Etienne
Decroux( 41). Il n’est donc pas de notre intention d’interpréter ni de présenter ce processus de
façon simpliste et / ou réductrice, nous ne négligeons pas non plus qu’il existe des répertoires
crées par d’autres artistes du mime corporel.

• Nous considérons que le répertoire de Decroux rassemble matériellement ses


indications sur le mime corporel (42).

notateur Étienne Bonduelle, qui en 1993 lança le projet cinétographique «Marcel Marceau - Laban».
38 LEXIQUE
Le projet «Laban - Decroux / notation du mime corporel » sera désormais cité comme : le(notre) projet, la(notre)
proposition.
Le bilan(théorique) du projet «Laban - Decroux / notation du mime corporel » sera désormais cité comme :
le(notre) bilan, l’(notre) étude, la(notre) thèse.
39 Idem.
40 Jorge Gayon: Application des méthodes Laban d’analyse du mouvement au processus d’apprentissage du
mime corporel, Mémoire de D. E. A., Esthétique sciences et technologies des arts, option Théâtre, Danse et Arts
de la Scène. Université de Paris VIII, octobre 1991.
41 D'autres pratiques comme l'improvisation, la composition, les ateliers de mise en scène, etc. en font partie.
42 Indications qui font partie du processus d'apprentissage du mime corporel.

9
En effet, d’après lui, ses créations sont l’aboutissement des recherches en studio sur la
technique du mime corporel (43).

Ainsi, l’intérêt que nous portons aux compositions et aux œuvres du répertoire de
Decroux, concerne plus leur perspective de matériel pédagogique et de consignes
d’entraînement que ses possibilités spectaculaires, et à nos yeux, l’importance de la
préservation d’un tel répertoire réside dans le fait qu’il est La Mémoire première( 44) des
conceptions d’Étienne Decroux sur le mime corporel.

Notre approche du sujet et nos références


La réalisation de nos recherches impose une approche physique du mime qui respecte
la nature de notre sujet, notre approche est née de la pratique( 45) et de façon inévitable nos
reflexions en portent l’empreinte musculaire.
Pour le traitement de son processus d’apprentissage, nous faisons surtout, référence à
notre formation à l’école Decroux, à notre connaissance des programmes pédagogiques de
l’École de Mime de Montréal (1984, 1985, 1986( 46), de l’ancienne École de Mime corporel
Dramatique de Paris (de 1987 à 1995), et à notre expérience pédagogique au sein de: cette
dernière (1990 - 91), et de celui de l’Atelier International de Mime corporel - AToM (1995 -
98)( 47).
En outre, nous avons réalisé des rencontres de travail sur notre sujet avec Corinne
Soum, Steven Wasson et Thomas Leabhart, tous trois anciens assistants d’Étienne Decroux,
ainsi qu’avec Maximilien Decroux( 48). Ces discussions et cette expérience sont autant de
références fondamentales pour notre démarche.

43 Voir la citation de Decroux correspondant à la note N° 21, plus haut.


44 En mouvement [en action, dynamique].
45 Même si dans le cadre de la recherche universitaire elle est une des plus difficiles à garder car, il ne s'agit
pas d'un «état d'esprit» mais d'une activité quotidienne qui ne se combine pas facilement avec le temps néces-
saire au travail d'élaboration d'une thèse.
46 Des Stages suivis sous la direction de Jean Asselin et Denise Boulanger les étés de 1984 à Montréal, et de
1985 à Guanajuato(Mexique), et brochure 1986 - 87 des cours offerts.
47 L'Atelier International de Mime corporel - AToM à été fondé en 1995 par d’anciens membres de la compa-
gnie «Théâtre de l'Ange Fou». Griet Maes en est la directrice artistique. (AToM: Sigle de l'anglais «Actors
Training based On Mime»).
48 Fils de Etienne Decroux et de Suzanne Lodieu, né à Paris en 1930.

10
Des études précédentes dans notre sphère disciplinaire ou ayant un
rapport avec notre sujet

Autour du mime corporel


Parmi de nombreuses études sur le mime( 49), nous avons constaté que peu d’entre elles
ont porté sur le mime corporel, encore moins nombreuses sont celles faites du point de vue du
mouvement ou qui traitent concrètement de l’apprentissage de cet art en particulier, et que dire
de la présence d’un regard sur les répertoires! Si dans la musique, la danse ou le théâtre les
chercheurs des diverses disciplines reconnaissent le rôle joué par les répertoires pour
l’apprentissage, l’étude, et la préservation de chacun de ces arts, nous ne pouvons pas dire que
la même conviction les anime en ce qui concerne le mime.
Plus proches de notre démarche, nous pouvons signaler Anne Dennis( 50) et le
Neederlands Mime Centrum( 51) qui abordent le mime corporel. Leur approche y est aussi
pratique, ils traitent leurs matériaux comme des indications «mouvement .»( 52). Dans leurs
ouvrages, le mouvement matérialisant certains des fondements ou des éléments du répertoire
est expliqué à l’aide de descriptions verbales et / ou de graphismes (dessins représentant le
corps, appelés «figurines»).
Ainsi, même sans en avoir l’intention et avec les limites propres des codes et des
supports employés( 53) pour faire référence au mime corporel, leur travail représente un apport
relatif à la communication et la préservation du répertoire par le simple fait d’en parler.

Autour de la notation du mouvement.


Historiquement, la cinétographie Laban a été appliquée principalement à la danse.
D’autres champs d’application reconnus de la notation du mouvement sont: l’éducation,
l’anthropologie, l’ethnologie, la musicologie, la psychiatrie, la médecine, la thérapie, la
télévision et la programmation informatique( 54).
Auparavant, et jusqu’au lancement du projet de notre collègue Etienne Bonduelle( 55)
en 1993, nous n’avons pas eu connaissance d’études systématiques portant sur la notation du

49 Voir la bibliographie.
50 Anne Dennis: The Articulate Body / The Physical training of the actor, Drama Book Publishers, New
York, 1995.
51 Neederlands Mime Centrum: Ed : Handboek voor de Mime, Amsterdam 1987.
52 Matériau et indications «mouvement» : barbarismes que nous utiliserons tout au long de notre thèse pour
désigner, avec le premier: les mouvements (ou exercices) objet de la discussion, et avec le deuxième: l’énoncé de
leur contenu.
53 Le langage verbal écrit et les «figurines» (graphique).
54 Rolf Garske: «Movement Notation» Rapport du The first International Congress on movement notation,
Israël, Tel - Aviv, Jérusalem, août 2 - 22, 1984. (Nous avons traduit de l’anglais).
55 Etienne Bonduelle : Projet cinétographique «Marcel Marceau - Laban». E. Bonduelle Ed. Paris, 1993.

11
mime. Ses répertoires n’avaient été traités qu’à titre d’exemple et de façon très limitée à
l’intérieur d’études autour du mime, dont l’approche n’était pas le mouvement. Par ailleurs, les
cinétogrammes( 56) jusqu’alors existants( 57) concernant le mime, la pantomime ou les
expressions mimiques, sont plutôt des références aux «ballets d’action».

Avant nous, Deidre Sklar( 58) a fait une étude portant sur Étienne Decroux et le mime
corporel où elle inclue quelques cinétogrammes. Malgré le fait que pour cette étude l’approche
de Mme Sklar n’est pas strictement le mouvement, l’utilisation qu’elle fait des cinétogrammes
pour illustrer ses propos, semble nous indiquer que notre idée est sur une bonne voie.

Notre rapport avec des recherches précédentes portant sur Etienne De-
croux et son œuvre.
Le projet de notation du mime corporel, qui condense les axes principaux de nos
recherches actuelles, a été présenté pour la première fois en 1988. Cependant, il pourrait
s’inscrire dans la continuation d’une ligne stratégique que nous tirons de façon arbitraire, à
partir de l’étude de René - Jean Dufour( 59) dans laquelle il «examine la question de l’art du
mime, hier et aujourd’hui, dans une perspective historique…» , et «… s’efforce à la fois de
dégager, dans la pratique artistique du mime, une continuité historique depuis l’Antiquité
jusqu’à nos jours, et d’apprécier l’influence déterminante d’Étienne Decroux à(sic) l’évolution
du mime contemporain» ( 60).

En conclusion de son mémoire, René - Jean Dufour signale la nécessité d’une étude sur
les fondements du mime decrousien, et annonce de ce fait, le deuxième point de notre tracé
stratégique.

« Au terme de ce mémoire, l’on constate qu’il reste beaucoup à faire pour
assurer la poursuite des recherches d’Étienne Decroux. Le mime corporel est un
« système » de règles, de protocoles et de styles de jeu fondant à la fois une
grammaire du corps, une dramaturgie centrée sur l’acteur et un langage artistique
cohérent.

Projet de notation du répertoire de Marcel Marceau, inspiré du nôtre, et auquel nous avons participé début
1995 à la vérification par la lecture du cinétogramme de la pièce de Marceau: «La création du monde».
56 Cinétogramme : sont ainsi nommées les «partitions de mouvement» écrites en cinétographie Laban.
57 Déposés au DNBet enregistrés au Notated Theatrical Dances (a listing of theatrical dance scores at de
Dance Notation Bureau), Ed. Danse Notation Bureau, New York, 1988.
58 Deidre Sklar: «Étienne Decroux’s Promethean Mime», Tulane Drama Review, vol. 29, no 4, Winter ‘85,
p. 64 - 75.(Ethnologue de la danse, Ancienne élève de Decroux et notatrice Laban).
59 René - Jean Dufour: Petite Histoire d'un grand art : Le mime hier et aujourd’hui. op. cit.
60 Ibidem, dans le sommaire.

12
Une étude attentive de la poétique du mime decrousien s’impose de toute
nécessité. En ce sens, il faut souhaiter que le travail d’analyse vienne compléter le
travail d’atelier accompli depuis plus d’un demi - siècle par les praticiens, afin
d’établir les fondements du mime actuel » (61)

Le deuxième point que toucherait notre ligne stratégique serait l’étude réalisée par Guy
Benahim( 62) qui, comme une réponse à René - Jean Dufour signale qu’il

« …s’en tiendra aux principes fondamentaux qui ont guidé la recherche


d’Étienne Decroux, elle ne visera pas plus haut que les fondations du mime
corporel. C’est - à - dire qu’elle évoquera, selon les besoins les exercices de la
technique decrousienne, mais n’en fera pas une liste exhaustive. Un tel travail eût
pu constituer une thèse complémentaire de Doctorat d’État. Elle sortirait donc de
notre champ » (63)

Benhaim finit en exprimant son espoir que:

« … d’autres études viendront. Certains disciples d’Étienne Decroux, qui


l’ont assisté dans ses recherches, pourraient, eux, publier des études plus
techniques. Elles seraient destinées, à notre avis, non pas aux élèves, mais aux
enseignants du mime corporel qui, n’ayant pas travaillé aussi longtemps ni aussi
intensément avec Decroux, pourraient y trouver un adjuvant précieux à leur
pratique pédagogique. Nous les appelons de tous nos voeux. » (64)

Placé à l’extrémité de cette ligne, notre projet se différencie de ces deux études par ses
intentions, par son approche et par le traitement proposé de l’œuvre de Decroux.

Les intentions des deux études citées sont animées principalement par un souci
historique, et l’approche et le traitement du mime corporel y sont exclusivement intellectuels.
Peut - être en aurait - il été autrement si ses auteurs avaient eu les moyens de montrer ce dont
ils parlent( 65). La nôtre prétend demontrer qu’il est possible et souhaitable de donner au mime
corporel un support «écrit» qui permette son approche «in - concreto», pour ainsi en faciliter
la communication, l’étude et la mémoire au - delà et en dehors de son discours.
Rudolf Laban en avait déjà exprimé ce besoin, en affirmant que:

61 Ibidem, dans la conclusion.


62 Guy Benhaim: Le mime corporel selon Étienne Decroux, op. cit.
63 Ibidem. page 8.
64 Ibidem page 8.
65 En effet, Guy Benhaim regrette de ne pas pouvoir le faire, comme nous le signalons plus bas, voir les cita-
tions de son texte, correspondant à la note N° 77 et suivantes.

13
« Une bibliographie de la danse et du mime, en symboles de mouvement, est
aussi désirable que nécessaire, tel que les registres historiques de la poésie et de la
musique réalisés grâce à l’écriture et à la notation musicale » (66)

Par ailleurs, quand Guy Benhaim, dans l’introduction de sa thèse, présente comme une
des principales motivations de son travail de recherche sur Decroux — "le désir de réparer une
injustice, de commencer à faire reconnaître la place qui revient à Decroux dans l’histoire du
Mime et celle du Théâtre contemporain"(67) — nous nous demandons si la condition
d’inaccéssibilité( 68) à laquelle est prédisposée l’œuvre de Decroux, et pour laquelle Benhaim
ne présente que des regrets mitigés, n’est pas aussi une autre injustice faite à Decroux, cette
fois sur son œuvre.
Car selon Levy - Strauss, supprimer au hasard dix ou vingt siècles d’histoire
n’affecterait pas de façon sensible notre connaissance de la nature de l’homme, ce qui serait
regrettable c’est la perte de leurs œuvres.

« Vues à l’échelle des millénaires, les passions humaines se confondent. Le


temps n’ajoute ni retire rien aux amours et aux haines éprouvées par les hommes, à
leurs engagements, à leurs luttes et à leurs espoirs : jadis et aujourd’hui, ce sont
toujours les mêmes. Supprimer au hasard dix ou vingt siècles d’histoire
n’affecterait pas de façon sensible notre connaissance de la nature humaine. La
seule perte irremplaçable serait celle des œuvres d’art que ces siècles
auraient vu naître. Car les hommes ne différent, et même n’existent, que par
leurs œuvres. Comme la statue de bois qui accoucha d’un arbre, elle seule apporte
l’évidence qu’au cours des temps, parmi les hommes, quelque chose s’est réellement
passé. » (69)

Cette injustice rejoint nos inquiétudes à l’origine du projet «Laban - Decroux».


Benhaim, quant à lui, se sent confiant malgré la question posée de la survie du mime corporel.

Signalons cependant que même s’il minimise l’importance des pièces «chefs -
d’œuvre» de Decroux qu’il considère comme des «œuvres modèles», Benhaim met en avant

66 Rudolf Laban : «Movement and the body (part I)», The mastery of movement, 4th Edition, Mcdonalds and
Evans, Great Britain, 1980. page 22. (Nous avons traduit de l’anglais).
67 Guy Benhaim: Le mime corporel selon Étienne Decroux, op. cit. page 5.
68 Principalement à cause de la dégradation progressive de la mémoire des œuvres, dont la seule matérialisa-
tion possible est l’exécution physique.
69 Claude Levy - Strauss: Regarder, Écouter, Lire, Ed. Plon, Paris, 1993. page 176. (Nous avons souligné en
cratères gras).

14
ce que nous appelons le matériau «mouvement» ( 70) qui comporte le processus
d’apprentissage du mime corporel »

« Son importance (de l’œuvre de Decroux)réside moins, aujourd’hui, en


des œuvres - modèles qu’en une théorie claire, précise, et sur tout en un
rayonnant monument d’exercices et de figures, édifié sur les fondations
jetées par Copeau, véritable patrimoine que Decroux en mourant, vient de
léguer aux générations futures » (71)

Mise en garde ou «le discours sur notre sujet»


Nous serons confrontés, de la même façon que nos devanciers, au problème capital du
choix de l’approche verbale capable de rendre compte de l’objet de notre attention: le mime
corporel. La confrontation, tout au long de notre parcours, de notre expérience aux diverses
opinions( 72) lues ou entendues à propos de l’œuvre d’Etienne Decroux (ou du mime corporel)
nous a vite fait remarquer ce problème.
Dans les milieux professionnels, ou au sein des centres de formation physique des
acteurs et d’Universités, quand il s’agit de discussion, certaines questions sont à éviter:

Qu’est - ce que Decroux a voulu dire? qu’est - ce concrètement que le mime corporel
? de quoi parlons - nous au juste?

Chacun trouve sa propre réponse, et a chaque fois que l’une de ces questions a été posé,
le dialogue devient vite impossible, si ce n’est pas une source de malentendus.
Nous pouvons nous demander si, l’impossibilité de trouver un terrain d’entente tient au
caractère «insaisissable» de ce langage dramatique du corps aux limites de la légende?
Quelques - unes des opinions rencontrées nous permettront de justifier cette question. Par
exemple:
pour Jean Perret, Étienne Decroux

« … aura été et est encore le grand provocateur vénéré ou abhorré, qui sans
doute aura permis l’émergence de nombreuses approches corporelles du théâtre et
de la danse modernes, telles les expériences de Grotowski, de Barba ou de Kantor ;
celles du Living Theater, du Bread and Puppet ; telles encore les créations d’un Bob

70 Voir note N° 52, plus haut.


71 Guy Benhaim: Le mime corporel selon Étienne Decroux, op. cit. page 491. (Nous avons souligné en cratè-
res gras).
72 Fruits d’impressions diverses selon le rapport de la personne émettrice avec la pratique du mime corporel.

15
Wilson ou d’une Pina Bausch ; Telles aussi les recherches et les innovations d’une
Arianne Mnouchkine ou d’un Peter Brook » (73).

pour Eugenio Barba, il est

« … peut - être l’unique maître européen qui ait élaboré un ensemble de
règles comparables à celui d’une tradition orientale » (74).

nous pourrions citer aussi Gordon Craig, dans son article «Enfin un créateur au théâtre…»,

« Nous assistions à la création d’un alphabet - un A. B. C. de Mime : ou, si


vous refusez d’admettre le mot ``création’’, disons ``redécouverte’’ […] car
redécouvrir n’est - il pas le maximum que nous puissions accomplir ? On dit qu’il
se révélera comme le maître du mime je considère que ce titre lui est déjà dû » (75).

ou Tristan Rémy, qui en parlant de l’œuvre de Decroux exprimait que:

« … cette réussite d’école ne débouche sur aucune perspective théâtrale » (76)

Mais, leur discussion apporterait - elle une lumière sur notre propos? Nous n’en
sommes pas si sûrs, car ce serait justement rester dans la périphèrie du problème que nous
voulons signaler: le manque apparent d’objectivité pour traiter le sujet. Cette objectivité qui
devrait permettre le dialogue concernant l’art du mime en nous permettant de voir ses
différents aspects matériels.
En tout cas, peut - on dire que la confrontation de ces opinions constitue une aide pour
trouver l’approche pertinente au traitement du discours sur mime corporel ? Certainement pas.
Par contre, leur confrontation peut nous pousser à nous demander, en fait, quel est
concrètement l’objet que nous voulons cerner? et encore une fois, de quoi parle - t - on?

Gordon Craig et Tristan Rémy ont vu le travail d’Étienne Decroux, et Jean Perret? Et
nous tous? Si nous nous arrêtons un peu seulement, nous pourrons nous rendre compte, par de
nombreux témoignages, que la manifestation matérielle de «l’objet» en question nous
manque. Nous saurons alors qu’il n’est pas facilement accessible à notre vue.

73 Jean Perret: «Étienne Decroux, maître de mime», dans : Jacques Lecoq: Le théâtre du geste, mimes et
acteurs, Bordas, Paris 1987, pages 64 à 67. Opinion que nous considérons excessive, aux vues des influences
diverses reconnues par certains des artistes nommés. Voir plus bas, notre texte sous le titre «la tradition du mime
corporel ».
74 Eugenio Barba et Nicola Savarese: Anatomie de L'Acteur, Bouffonneries Contrastes / Zeami Libri / I. S. T.
A. Domaine de Lestanière, 11570 Cazilhac, France / Rome / Holsterbo, Danemark, 1986, page 5.
75 Edward Gordon Craig: «Enfin un Créateur au théâtre», Arts, 3 août 1945.
76 Tristan Remy: «Le mime», Histoire des spectacles, Revue Esthétique, mars 1960, «Présence en corps»,
pages 1493 - 1519.

16
Guy Benhaim, dans l’introduction de sa thèse, considère cette absence comme «un
obstacle majeur» certes, mais pas insurmontable. Nous rapportons ici ce témoignage, car,
même sans être le plus important, il nous semble un des plus significatifs au regard de notre
projet.

« Il fallait, pour cela, surmonter un obstacle majeur : la quasi incapacité


du mot à rendre compte du geste. Certes les ouvrages ne manquent pas qui
traitent des arts, tout particulièrement de la musique, le plus ineffable d’entre eux.
Mais au moins peuvent - ils renvoyer à des reproductions photographiques ou
discographiques » (77)

Par rapport aux supports( 78) ayant servi pour préserver des traces matérielles du travail
d’Étienne Decroux, il explique

« Lorsque nous avons entrepris cette thèse, il était encore possible de louer à
l’Institut National des Sports un film qui reproduisait le spectacle monté à New
York en 1960. Puis des vidéo - cassettes en furent tirées. Mais la vente en a été
arrêtée par une action judiciaire. D’autres films se trouvent en possession du fils
d’Étienne Decroux. Jusqu’à ce jour, par crainte de vols, il n’en autorise pas la
vision. Pour tout support iconique, il ne nous reste donc que la
photographie. » (79).

Il finit ce témoignage en exprimant ses regrets de ne pas pouvoir renvoyer ses lecteurs à
ces sources de consultation, et s’en remet au temps pour la solution du problème.

« Aucun conflit n’est éternel et le jour viendra forcément ou l’Institut


National des Sports pourra louer ou vendre ses cassettes. » (80).

or c’est un problème qu’il n’a pas trouvé insurmontable( 81) pour la réalisation de sa thèse, et
dont il a —bien mesuré l’inconvénient.. Pour sa part, Thomas Leabhart critique vivement les
travaux universitaires sur le mime corporel entrepis par des chercheurs qui n’ont de leur objet
d’étude qu’une connaissance livresque. A propos d’un exemple précis il écrit:

77 Guy Benhaim: Le mime corporel selon Étienne Decroux, op. cit. page 6.(Nous avons souligné en caractères
gras).
78 Nous les appellerons: supports de mémoire. Ayant servi à la préservation, ils devront être en possibilité de
restituer les informations «mouvement» que leur ont été confiées. La première et plus importante limite de ces
supports de mémoire est leur position actuelle d’inaccessibilité.
79 Guy Benhaim: Le mime corporel selon Étienne Decroux, op. cit. page 6.
80 Ibidem.
81 Nous devons signaler que Guy Benhaim fut l’élève de Decroux pendant quatre ans. Voir: Guy Benhaim:
op. cit. page 5.

17
« (cette étude) fut écrite par une personne qui avait admis, dans une
conversation avec moi, qu’il n’avait jamais vu une seule composition dirigée ou
jouée par Étienne Decroux, ni sur scène, ni en film. Cette même personne n’avait
jamais pris une seule leçon avec Étienne Decroux et ne l’avait jamais interviewé.
Ce n’est qu’avec une grande difficulté que je l’ai convaincue d’essayer de voir
l’enseignement et les spectacles de quelques - uns des artistes qui avaient été formés
par Decroux » (82).

et il se demande encore:

« Quel chercheur universitaire pourrait écrire un article sur un poète dont il


n’a jamais lu les travaux ? ou sur un peintre dont il n’a jamais vu les tableaux,
même en reproduction ? ou sur un compositeur dont il n’a jamais étudié les
compositions en profondeur ? » (83).

Plus loin, Thomas Leabhart revient sur le manque de référence matérielle qui
caractérise le discours sur l’œuvre de Decroux. Cette fois - ci, en la comparant avec celle de
Picasso.

« Le travail de Decroux, comme celui de Picasso, montre un grand nombre de


styles et d’approches différents tout au long de sa carrière. De la même façon que le
cubisme était significatif, et en différentes façons, une approche récurrente de
Picasso, il l’a été pour Decroux. Mais il n’est (le cubisme) qu’une des approches
qu’a prise Decroux. La différence est qu’avec Picasso, il est possible de voir ses
différents styles quand ses tableaux sont accrochés l’un à côté de l’autre dans un
musée, tandis que avec Decroux, ses compositions ont été écrites « en l’air »,
éphémères, elles ne se donnent pas facilement à la comparaison et à
l’analyse. » (84).

Il est clair qu’en l’absence de la manifestation corporelle de l’œuvre de Decroux


(matérialisation de ses conceptions sur l’art du mime), dont les témoins se sont exprimés, les
autres auteurs ne peuvent faire qu’un «discours sur le discours» le concernant.

82 Thomas Leabhart: Modern and Post - Modern Mime, op. cit. page 54 (Nous avons traduit de l’anglais et
souligné en cratères gras).
83 Ibidem. (Nous avons traduit de l’anglais et souligné en cratères gras).
84 Thomas Leabhart: Modern and Post - Modern Mime, op. cit. page 55. (Nous avons traduit de l’anglais et
souligné en cratères gras).

18
Nous pouvons poser la question de savoir si le genre de confusion ambiante constatée
quand il s’agit d’une discussion autour de l’art du mime( 85), des langages corporels au service
de l’art dramatique (86), de la technique( 87), des styles( 88), des genres de théâtre( 89), ou de
spectacles( 90) n’est pas une conséquence directe du manque de référence matérielle à l’objet
en question? ce qui reflète le discours sur le discours.
La réunion( 91) de la Fédération Européenne de Mime du 25 janvier 1992 était un bon
exemple de la confusion invoquée dans notre dernier paragraphe. Les questions débatues à
cette rencontre traitaient indistinctement: du nom donné aux spectacles faits actuellement par
des mimes, de la qualité de leur performance, de la dramaturgie, de la formation, de la
«mémoire artistique», du support journalistique (sic) à l’art du mime, jusqu’aux festivals
organisés pour promouvoir la rencontre des mimes avec le public.
Pour notre part, depuis la présentation de notre projet, et jusqu’à cette thèse, en passant
par notre DEA, nous n’avons pas l’intention de nourrir la discussion sur le discours concernant
l’art du mime.
Notre intention avec le projet Laban - Decroux est de proposer une sortie de cette
discussion, en donnant au mime corporel un support «écrit» qui permette son approche «in -
concreto», pour ainsi en faciliter la communication, l’étude et la mémoire au - delà et en
dehors du «discours sur son discours», et nos recherches toucheront plutôt à des aspects
pratiques liés à l’apprentissage et l’assimilation corporelle de ce langage qu’à son discours.
Rappelons ce que Decroux disait, en parlant de la doctrine de Gordon Craig,
« …ce qui compte c’est ce que suggère le courant central de sa pensée, et que
celle - ci se condense quelque part » (92).

Nous pouvons l’appliquer à son travail. De notre expérience, le langage du mime


corporel se condense matériellement dans les compositions d’Etienne Decroux, depuis les
exercices de sa «gymnastique» et jusqu’à ses œuvres majeures.

85 Qui est aujourd'hui, aux yeux de la majorité du public, celui de Marcel Marceau. Par ailleurs, nous ne pou-
vons que regretter l’abandon de ce nom par d’autres artistes, ce qui place Marceau comme seul représentant de
facto.
86 Le mime corporel, par exemple.
87 Qui n'est qu'adresse, compétence d'exécution ou maîtrise d'un langage, voir l'article inédit «Ce que l’école
ne peut donner» à la fin de cette introduction.
88 Celui de Decroux ou de quelqu’un d'autre.
89 Celui dit «du mouvement» ou «de geste», ou tout autre qui peut être choisi parmi ses nombreuses appel-
lations.
90 En particulier, vu dans des circonstances précises.
91 Tenue à Paris et à laquelle nous avons assisté.
92 Etienne Decroux: Paroles sur le mime, op. cit. page 24.

19
Dans le cadre de l’apprentissage du mime corporel, l’assimilation de ces exercices
permet à l’acteur d’acquérir les compétences nécessaires pour remplir son rôle dans le théâtre
de demain( 93), non pas en tant que «formule magique» qui transformerait nos façons de faire
du théâtre, mais comme des indications pour transformer l’acteur grâce à l’entraînement.

Ainsi identifié, l’objet qui nous intéresse est le matériau «mouvement» que Decroux
appelait au départ sa «gymnastique». Dans ce sens, notre travail s’adresse à ceux qui veulent
faire du spectacle, et pour qui le discours énonçant des «règles», «fondements» ou
«principes pratiques» des arts du spectacle ne peut satisfaire leur besoin d’apprentissage -
entraînement.
Dans les fondements de notre démarche, nous partageons avec J - M. Pradier, l’idée
que:

« Le discours sur le corps n’implique ni une virtuosité, ni un savoir - faire, ni


une sensualité qui serait du corps » (94).

notre expérience nous rapproche aussi de ce qui déclare Nakamura Yujiro:

« seul le Kei - ko ou shuggyô (exercice) conduisent à la maîtrise de ces


arts » (95).

Et nous ne prétendons donc pas à faire l’analyse des notions touchant au spectacle en
général, ni à l’esthétique, le style, ou la dramaturgie propres à Decroux (ou à d’autres
créateurs), en particulier. Des études critiques portant sur les définitions du mime corporel, son
histoire, le contexte socioculturel de son développement, la personne et la personnalité de son
créateur ont déjà été faits( 96) selon maintes approches. Nous n’en ferons pas ici une nouvelle.
Sont concernés par nos recherches, seulement certains aspects de l’art du mime: la
communication, l’étude et la mémoire du répertoire d’Étienne Decroux pour l’apprentissage et
la préservation du mime corporel. Son concernés concrétement les fondements du mime
corporel ; le vocabulaire et ses définitions en mouvement, ainsi que les exercices qui en

93 Giorgio Streheler, dans l’introduction de la version Italienne de Paroles sur le mime considère que:

«… le mime n’est pour Decroux (peut - être qu’il me pardonnerait l’hérésie) qu’un prétexte. Un prétexte pour
tracer à la base, le profil d’un théâtre nouveau, la forme de théâtre de demain, lequel, en partant (commençant)
du «corps» , et à lui tout seul, dans l’espace de l’univers, dans le vide, dans la nudité, dans le silence (ou dans la
musique des sphères), il retrouve le sens et la forme de la théâtralité humaine la plus essentielle»
Dans Etienne Decroux: Parole sul Mimo, a cura de Valeria Magli, Edizioni del Corpo, Milano, 1983. Pages 5
à 8. (Nous avons traduit de l’italien).
94 Jean - Marie Pradier: «L’Acteur, Aspects de l’Apprentissage», Internationale de l’Imaginaire, Maison des
Cultures du Monde, Numéro 6 / 7, Paris, Automne 1986. page 95.
95 Nakamura Yujiro: «L’intuition active et l’art japonais», Dossier : «Japon : du nouveau sur le théâtre»,
Internationale de l’Imaginaire, Maison des Cultures du Monde, Numéro 4, Hiver 85 - 86, Paris, page 18.
96 Voir la bibliographie thématique sur le mime et le théâtre du mouvement.

20
permettent l’assimilation et la maîtrise en vue d’une pratique spectaculaire et / ou pédagogique
postérieure.
Dans un essai pour rester en dehors du «discours sur le discours du mime», et malgré
l’opposition qu’elle pourrait susciter, nous tenons à affirmer notre approche physique du sujet,
tout en établissant clairement pour une dernière fois, que nos recherches n’entendent pas
réduire l’idée du mime corporel au seul mouvement, ni l’apprentissage de cet art à celui du seul
répertoire dont il fait l’objet.

Nous sommes conscients que la notation du mime corporel et du répertoire d’Étienne


Decroux( 97), en tant qu’outils d’apprentissage et comme un ensemble d’indications
d’entraînement, demande une analyse de ses facteurs physiques du mouvement qui respecte ses
liens organiques avec le contexte dramatique qui les fonde. Cette condition figure au même
niveau que celle de notre pratique quotidienne dans notre dessein.
Notre voulons, à terme, proposer aux acteurs une méthode d’analyse et de notation
(écriture) du mouvement «a - linguistique»( 98) et impliquant la reprise du mouvement
comme méthode de «re - lecture» aux fins de reprise.
Notre intuition est que l’utilisation de la cinétographie Laban pour l’étude, la
communication et la mémoire des fondements du mime corporel et pour la préservation du
répertoire d’Étienne Decroux, en leur donnant un support matériel, nous permettra de les
regarder objectivement et de réduire, autant que possible, ce caractère «insaisissable» du
mime corporel, dont nous parlions plus haut. La notation ne sera faite qu’au service de l’art du
mime.

Notre thèse : Le bilan théorique du projet


Laban - Decroux

Dans la présentation du contexte de notre thèse, nous avons indiqué que nous veillerons
à ce que cette dernière reste en dehors du «discours sur le discours du mime corporel », donc
nous ne ferons pas d’étude critique portant sur l’histoire, la poétique, ou les principes
fondamentaux qui ont guidé la recherche de Decroux et lui ont permis de bâtir son œuvre.
Parmi d’autres( 99), René - Jean Dufour et Guy Benhaim l’ont déjà fait.

97 Le premier support et exemple du mime corporel.


98«a - linguistique»: barbarisme utilisée pour désigner ce qui se trouvent en dehors du domaine du langage
verbal.
99 Notamment notre observateur professionnel de longue date: Marco de Marinis.

21
Notre travail sera centré sur le bilan théorique de notre projet. Il s’agit d’évaluer
l’apport de l’application de la cinétographie Laban à l’apprentissage et à la préservation du
mime corporel. Proposition fondée sur notre intention de donner au mime corporel un support
«écrit» qui serve à sa communication, son étude et sa préservation au - delà et en dehors de
son discours.
Pratiquement, cette évaluation consiste à déterminer ce qu’apporterait à la pratique de
cet art, l’analyse du mouvement (appliquée au vocabulaire, aux figures, et aux exercices
d’entraînement du mime corporel), et la notation cinétographique (du répertoire d’Etienne
Decroux).

Définitions
Les définitions suivantes( 100) nous permettront de poser les fondements sur lesquels
nous développerons notre discours.

Le mime corporel
Nous considérons le mime corporel (101) comme «une façon particulière( 102) d’utilser
ses ressources corporelles pour l’expression théâtrale»

Ressources corporelles
Ici, nous parlons d’un corps «dynamique», qui au - delà de l’ensemble de ses
différents membres visibles à l’oeil et des aspects psychiques et «spirituels» de l’acteur,
possède des facultés neuro - musculaires dont la mobilisation rend visibles les ressorts du jeu
dramatique.

100 L’ensemble de ces définitions constitue notre première hypothèse.


101 Il est bien entendu que l’adjectif «corporel» chez Etienne Decroux, lequel est repris tout au long de cette
étude, n’est pas sous - tendu par l’idée de l’homme - machine, héritée de notre tradition médicale et philosophi-
que. Concernant ce qualificatif, il explique:
«Nos deux doctrines théâtrales; Première :
Art de l’acteur seul
L’acteur est le seul créateur d’émotion
Pour qu’il y ait création, il faudrait qu’il y eût synthèse ou métaphore.
Par les gestes et les sons dont il s’agit, on crée.
Par le visage, on re - présente ce qu’on vit dans le réel.
Cela explique que soit qualifié de corporelle la pantomime que nous préconisons.»
Etienne Decroux: Dossier N° 9, «1940, 3 bis», page 3, Fonds Decroux, op. cit. (Nous avons souligné en ca-
ractères gras).
102 Fondée sur le corpus de principes et fondements physiques à la base de l’utilisation dramatique des
ressources corporelles à disposition de l’acteur développé par Etienne Decroux.

22
L’apprentissage du mime corporel
Cet apprentissage relève de l’exploration (pratique) des ressources précedement citées,
afin de les connaître et les comprendre, pour les amener à un épanouissement par l’assimilation
et la maîtrise.

Discipline
L’exigence de cette formation tient au fait que le plus haut dégréé de performance
donne comme résultat, non pas un exploit physique, mais l’occasion d’une exploration
approfondie de nos ressources corporelles. Les indications de cet apprentissage ne cherchent
pas à asservir l’exécutant à une forme externe mais à réveiller ses capacités internes et à les
développer.

Entraînement
L’entraînement( 103) est l’outil de l’apprenti - mime (l’acteur) pour travailler à
l’épanouissement de ses ressources, au delà des conditionnements( 104) divers auxquels elles
sont asujetties. L’entraînement est le seul chemin d’accès à la maîtrise des dites ressources,
porte de la liberté artistique.

Répertoire « Decroux »
La notion de «répertoire d’Étienne Decroux» utilisée communément, désigne
l’ensemble de ses oeuvres majeures. Dans le présent document, nous élargissons cette
signification en y rattachant les développements de Decroux concernant le langage du
mime corporel, en partant de ses définitions et de son vocabulaire, ses exercices
d’apprentissage - entraînement et jusqu’à ses figures de style. Dorénavant, nous l’appellerons:
le répertoire «Decroux».

La valeur du répertoire « Decroux »


Son importance réside dans le fait qu’il est actuellement l’ensemble le plus complet
de compositions de mouvement représentant, d’une part, un «catalogue» des possibilités
d’exploration des ressources corporelles de l’acteur et d’autre part, une indication
d’entraînement pour la maîtrise de ces dernières, en vue de leur utilisation sur scène.

103 L’entraînement, partie fondamentale de la pratique du mime corporel, au delà de la formation, est aussi le
seul moyen pour rester en possession physique du langage du mime corporel, le projet Laban - Decroux se doit de
considérer sérieusement la possibilité de le regarder comme un nouveau terrain d’application pour sa proposition.
104 Soient - ils culturels ou personnels(ex. : ses «tics» et «manies» ou «habitudes» en mouvement).

23
La mémoire du répertoire « Decroux »
Nous appelons ainsi l’ensemble des fonctions de conservation, de restitution et d’accès
permanent des / aux informations «mouvement» (105) des compositions d’Etienne Decroux.

Le projet Laban - Decroux


C’est notre proposition d’utiliser la Cinétographie Laban pour l’analyse du mouvement
et la notation cinétographique du mime corporel dans les domaines de l’apprentissage et de
l’entraînement, et pour la préservation du répertoire «Decroux». Il prétend donner au mime
corporel un support «écrit» pour servir à sa communication, son étude et sa mémoire, au -
delà et en dehors des discours s’y rapportant.

La Cinétographie Laban
C’est l’ensemble des systèmes d’analyse et de notation du mouvement développé par
Rudolf Laban. De son application résultent principalement des documents appelés
«cinétogrammes», qui sont au mouvement ce que la portée musicale est à la musique.
Si historiquement son premier domaine est la danse, ses principes permettent
néanmoins des applications plus étendues. Le projet Laban - Decroux propose, pour la
première fois, une application approfondie au mime.

La question principale
Vu notre proposition, la présente étude cherche des réponses possibles à la question:

Quel serait le bilan(théorique) de l’application de la Cinétographie Laban au mime


corporel dans les domaines de l’apprentissage et de l’entraînement, et pour la préservation du
répertoire «Decroux»?

Pour chercher la réponse nous devons déterminer plus précisément quels sont les
aspects de l’apprentissage, de l’entraînement et de la préservation qui sont visés par notre
proposition. Nous avons défini les aspects de ces pratiques qui nous intéressent, ils sont, de:
l’apprentissage: la communication et la mémorisation du répertoire.
l’entraînement: l’élaboration des notes d’étude.
la préservation: la mémoire du répertoire.
Et les cibles concrètes de notre proposition sont les moyens mis en œuvre pour la
communication, la mémorisation et la conservation du répertoire «Decroux», ainsi que la
méthode de notation utilisée pour l’élaboration des notes d’étude.

105 Voir note N° 52, plus haut.

24
Notre proposition d’application de la cinétographie Laban donne comme résultat des
documents appelés «cinétogrammes», dont le contenu «a–linguistique» fait référence directe
aux informations « mouvement»( 106) correspondant à l’objet étudié.

Ces cinétogrammes peuvent être utilisés comme support de mémoire et moyen de


communication. La cinétographie elle - même présente l’intérêt d’être plus qu’un «simple»
outil de notation, elle est surtout un système d’analyse du mouvement apte pour l’étude
approfondie de nos matériaux.
Ainsi, la question principale peut alors être décomposée comme suit:

Quels sont les risques et les avantages que comporte notre proposition pour:
• la préservation du répertoire «Decroux», si des cinétogrammes sont utili-
sés( 107) comme support de mémoire?

• la communication du répertoire «Decroux» pour l’apprentissage du mime


corporel, si des cinétogrammes sont utilisés( 108) comme moyen de communi-
cation?
• l’élaboration des notes d’étude pour l’entraînement, si la cinétographie Laban
est utilisée( 109) comme méthode d’analyse du mouvement et des cinétogram-
mes comme documents d’étude et aides - mémoire?

Pour les évaluer nous devons estimer de chacun des aspects de l’apprentissage du mime
corporel visés, quelle est:

• leur situation actuelle


• les modifications possibles du fait de l’application proposée
et pour chacune de ces modifications:
• les risques
• les avantages
D’autres questions
Simultanément à ce travail, il sera nécessaire d’apprécier la faisabilité et l’intérêt de
notre projet. Dans notre mémoire du D. E. A.( 110) nous avons démontré la pertinence de la
cinétographie Laban aux fins de l’application proposée, en considérant que l’objet de cette

106 Voir note N° 52, plus haut.


107 Nous devons rappeler que ces utilisations ne sont pas proposées comme exclusives mais complémentaires.
108 Idem.
109 Idem.
110 JorgeGayon: Application des méthodes Laban d’analyse du mouvement au processus d’apprentissage du
mime corporel, op. cit.

25
application est le matériau «mouvement» qui fait partie du processus d’apprentissage du mime
corporel, les questions qui alors n’avaient pas été posées, sont précisément celles de savoir si
sa réalisation est possible, et quel est son intérêt.
Les réponses à ces questions dépendent des rapports effectifs entre le répertoire
«Decroux» et l’apprentissage du mime corporel, c’est - à - dire:

• Le rôle effectif du répertoire «Decroux» dans la tradition du mime corporel,


ou sa correspondence réelle avec le matériau «mouvement» communiqué pour
l’apprentissage du mime corporel.

• Etant donné qu’un cinétogramme est la transcription d’une «partition de mou-


vement», il nous faut voir si ce que nous voulons noter, le répertoire
«Decroux», peut - être considéré comme un ensemble de partitions de mou-
vement.
• Pour l’entraînement, y - a - t - il un besoin réel d’élaboration de notes d’étude
et aides - mémoire?

Ce qui demandera une analyse du processus d’apprentissage du mime corporel


spécialement attentive pour chacune de ces interrogations.
La confrontation des études sur

• les pratiques actuelles concernant l’apprentissage du mime corporel et la pré-


servation du répertoire «Decroux» et
• les possibilités et limites de la cinétographie Laban comme méthode d’analyse
et de notation du mouvement appliquée au mime corporel (Cf notre mémoire
de DEA),
sera la clé qui nous permettra de trouver les éléments de réponse à notre question principale.

Méthodologie

La recherche des éléments de réponse à notre question principale nous a amenés à


établir comme nécessaires trois étapes successives. Les deux premières nous serviront à
exposer, respectivement, la situation actuelle des cibles de notre projet et les modifications
proposées. La dernière, à évaluer les avantages et les risques possibles résultant de leur
application.
En outre,

26
Les rapports entre notre notion de répertoire «Decroux» et le matériau «mouvement»
effectivement utilisé pour l’apprentissage du mime corporel, seront établis par la confrontation
de cette notion avec les programmes d’étude des écoles que nous avons fréquentées.
de plus,
Nous serons aménés à développer la correspondance entre les notions de répertoire et de
partition, et à faire une analyse du processus d’apprentissage du mime corporel afin de montrer
le besoin d’élaboration de notes d’étude et des aides - mémoire pour l’entrainement. Analyse
qui sera faite, d’une part à partir de notre expérience en tant qu’apprenti - mime, et d’autre part,
à partir de notre pratique pédagogique et spectaculaire.
Sept chapitres en quatre parties en contiendront le déroulement :

Première partie : « Le mime corporel et son créateur Etienne De-


croux »
chapitre 1. Étienne Decroux
• Biographie qui nous permettra de présenter de façon sommaire le contexte de
l’édification du mime corporel par Étienne Decroux.

chapitre 2. L’édification du mime corporel


• Exposé de la démarche suivie par Étienne Decroux, à partir de notre perspec-
tive de praticien.

chapitre 3. Le répertoire «Decroux» et la tradition du mime corporel


• La notion de répertoire «Decroux», la correspondance entre la notion de ré-
pertoire et celle de partition.

• L’analyse de la tradition du mime corporel et la place qu’y tient le répertoire


«Decroux».
• La confrontation du répertoire «Decroux» avec les programmes
d’enseignement du mime corporel dont nous disposons, afin de discerner les
rapports effectifs entre répertoire et enseignement.

Deuxième partie : « L’apprentissage du mime corporel »


chapitre 4. Le répertoire «Decroux» et l’apprentissage du mime corporel

L’école, une expérience


• Aperçu du processus d’apprentissage du mime corporel afin d’en exposer
d’une part, la problématique, d’autre part, les besoins concernant la communi-
cation et la mémoire du répertoire «Decroux», et ceux concernant
l’élaboration de notes d’étude.

27
• L’analyse des moyens utilisés actuellement pour la communication et la mé-
morisation du répertoire «Decroux»
• L’analyse de l’influence de ces moyens sur l’apprentissage

• L’analyse des notes d’étude et aide - mémoire personnels utilisés actuellement.


• L’analyse de l’influence de ces outils sur l’entraînement

La préservation et la mémoire
• Analyse de la question de la préservation du mime corporel et de la mémoire
du répertoire «Decroux» afin de mettre en évidence leurs rapports avec les
supports de mémoire, les moyens de communication et les méthodes de nota-
tion du mouvement utilisées actuellement.
• L’analyse des moyens utilisés actuellement pour la mémoire du répertoire
«Decroux».
• L’analyse de l’influence de ces moyens sur la préservation.

Troisième partie : « L’application de la cinétographie Laban au


mime corporel »
Fondée sur notre étude concernant la pertinence des méthodes Laban en tant qu'outils
d’étude appliqués au mime corporel et sur les possibilités que cette application ouvre pour la
communication, la mémorisation et la préservation des informations «mouvement» du
répertoire «Decroux».

chapitre 5. Le mime corporel, l’analyse et la notation du mouvement


Ce chapitre sera dédié à l’analyse de notre proposition concrète en ce qui concerne la
possibilité d’:
• utilisation des cinétogrammes comme moyen complémentaire de communica-
tion et de mémorisation du répertoire «Decroux» pour l’apprentissage du
mime corporel.

• utilisation de la cinétographie Laban comme méthode de notation pour


l’élaboration des notes d’étude et aide - mémoire
• utilisation des cinétogrammes comme support extra - corporel de mémoire du
répertoire «Decroux» pour la préservation du mime corporel

Analyse fondée sur les rapports «répertoire - partition du mouvement» et «répertoire -


processus d’apprentissage».

chapitre 6. Les Propositions 1998 du projet Laban - Decroux


Exposé actualisé et commenté du texte du projet, contenant:

28
• Objectifs, conditions, propositions
- Classification des matériaux
- Etudes Systématiques: progressives, thématiques

- Adaptations: Glossaires, Formules, Notes de Style


- Les cahiers du projet Laban - Decroux
- Cours d’analyse et notation du mouvement adressé aux acteurs
• Exemples de réalisations

Quatrième partie : « Les avantages et les risques, l’intérêt »


chapitre 7. Le bilan théorique du projet «Laban - Decroux»
Fait en trois parties:

Bilan pour la préservation et la mémoire


Concernant les aspects de la préservation et de la mémoire du répertoire
«Decroux» qui sont les cibles de notre proposition
• L’analyse des modifications possibles suite à l’application de notre proposi-
tion.
• L’évaluation des avantages et des risques suite aux modifications.

Bilan pour la communication et la mémorisation du répertoire «Decroux» et la trans-


mission du mime corporel
Concernant les aspects des pratiques liées à l’apprentissage qui sont les cibles de
notre proposition
• L’analyse des modifications possibles suite à l’application de notre proposition

• L’évaluation des avantages et des risques suite aux modifications.

Bilan pour l’élaboration des notes d’étude et des aides mémoire pour
l’entraînement (111)
Concernant les aspects des pratiques liées à l’entraînement qui sont les cibles de
notre proposition
• L’analyse des modifications possibles suite à l’application de notre proposition
• L’évaluation des avantages et des risques

111 Voir note n° 103, plus haut.

29
Pour finir cette introduction, nous nous permettons d'inclure un fragment de l'article
inédit d'Etienne Decroux intitulé : "Ce que l'école ne peut donner", où il présente sa conception
du processus d'apprentissage du mime corporel, et du matériau qu'il comporte.

"CE QUE L'ECOLE NE PEUT DONNER"

L'école enseigne la technique et l'art du Beau mais elle ne donne


pas la passion.

Ce que j'entends par technique, c'est la faculté de faire ce qu'on


veut; et pour le moins, ce qu'on croit faire. Pour l'acquérir,
la lutte est longue car le corps nous trahit.

Ce que j'entends par art du Beau, c'est l'ensemble des procédés


qu'on emploie pour être compris…

Il faut que le public comprenne ce qu'on voulait lui dire et non


pas le contraire…

Si la musique ne nous doit pas d'histoire, elle nous doit des sons
propres et les donne.

Ayant à dire du Mallarmé devant un public dont on sait qu'il n'en


comprendra pas l'idée, il faut tout de même articuler au-
tant qu'on le ferait pour Boileau.

Le mime ne doit pas moins que rendre perceptible chaque mou-


vement qui doit l'être.

Or quelle éducation pour en arriver là !…

Etre compris est le but capital de l'art du beau.

Oter ceci sans que cela soit incompris, épurer ce qui reste ou en-
core l'agrandir, tout cela est analogue à l'art de dire.

Cela s'enseigne…

Quant à vous dire ce qu'il faut dire, qui va le dire sinon votre
passion?

30
La valeur que chacun donne aux choses est connue de chacun et
non du professeur…

L'Ecole n'apprend pas à créer.

Elle libère l'esprit créateur, le met à l'aise, donne la confiance


mais elle n'apprend pas à créer.

Car elle ne donne pas la passion quelque soit le prix de ses le-
çons…

Payer ses leçons très cher coûte moins que de les suivre. …

Le seul fait de s'inscrire donne déjà l'impression de savoir quel-


que chose…

Pour ceux qui se font ponctuels, attentifs et prodigues en effort


musculaire, il n'est pas garanti qu'ils auront de ce fait le
pouvoir de créer…

L'Ecole n'est pas le fournisseur des observations qu'on peut


faire.

Et ne donnant pas la passion, elle ne donne même pas le moyen


de faire ces observations…

Et si vous n'avez rien à dire, à quoi vous servirait l'art de bien


savoir dire?…

Le Mime doit avoir dans sa tête l'humeur d'un romancier et il


doit avoir dans son corps les muscles d'un gymnaste.

ETIENNE DECROUX

31
Première partie
« Le mime corporel et son créateur : Etienne De-
croux »

« …J’ai fait. D’autres feront mieux, indéfiniment. A la condition toutefois


que j’ai fait assez bien pour suggérer qu’on puisse faire mieux.… » (112)

112 Etienne Decroux: Dossier n° 42 «début 1950», page 7. Fonds Decroux, op. cit.

32
Cette partie de notre thèse se développe en trois chapitres. Au départ, dans un premier
niveau de lecture, le sommaire biographique d’Étienne Decroux servira d’introduction
chronologique à sa démarche pour l’édification du mime corporel, enfin seront examinés le
répertoire «Decroux» et la tradition du mime corporel.
Dans un second niveau de lecture, ces trois chapitres nous permettront de fonder la
faisabilité de notre projet. Leur exposé abordera la correspondance du répertoire «Decroux»
avec le processus d’apprentissage du mime corporel, il sera également l’occasion de présenter
le lien unisant les notions de repertoire et de partition.
Avant de commencer nous rappelons au lecteur, dans la perspective de nos recherches,
la spécificité de ce travail de thèse:

• les aspects du mime corporel visés sont: le processus d’apprentissage et la


préservation du répertoire «Decroux».

• le mode d’approche du sujet est fondé sur notre pratique du mime corporel.
Nous appelons cette approche: «physique».
La façon de présenter et d’utiliser les informations contenues dans la biographie
d’Étienne Decroux et dans les développements que nous ferons ensuite sur l’édification du
mime corporel et sur la notion de répertoire «Decroux», est le reflet de ces caractéristiques.

Dans ce contexte, une des tâches les plus difficiles est d’établir le traitement théorique
du mime corporel correspondant à nos intentions. Il nous a fallu garder une distance prudente
avec le discours sur Etienne Decroux et sur le mime corporel. Nous voudrions développer,
dans le traitement du sujet, non pas une façon «nouvelle», mais celle qui refléterait le mieux
notre expérience.

Nous ne prétendons pas, non plus, proposer une définition «originale» du mime
corporel fondée sur l’étude critique des textes qui ont été consultés. Ce serait hors de notre
propos.

33
chapitre 1
Étienne Decroux

L’intention de cet exposé se limite à présenter une structure chronologique


d’introduction au chapitre sur l’édification du mime corporel. En tant que sommaire
biographique, il n’est qu’un recueil de notes, des extraits( 113 ) concernant la vie et l’œuvre
d’Etienne Decroux, le mime ou le mime corporel. Notes écrites par lui - même, par quelques -
uns de ses anciens assistants ou par d’autres auteurs. Nous utilisons également comme sources
quelques documents audiovisuels.
En avertissement, nous devons dire que si l’analyse critique des diverses opinions,
jugements ou anecdotes concernant la personne et / ou la vie d’Étienne Decroux est hors de
notre intention, il en est de même pour une étude historique le concernant.
Les quelques inexactitudes ou contradictions relevées lors de la confrontation des
sources consultées, portent principalement sur des dates ou des différences d’appellation de
pièces de répertoire. Nous ne voyons aucun intérêt à les commenter.

Principalement ont été consultés, une mise en perspective historique du mime (René -
Jean Dufour, 1989), une thèse consacrée exclusivement à Decroux et à son œuvre (Guy
Benhaim, 1992), des études sur le rôle et l’influence du mime corporel dans le théâtre
contemporain (Thomas Leabhart, 1989 et Marco de Marinis, 1993), un projet de spectacle
(Corinne Soum et Steven Wasson, 1992), quelques notes autobiographiques de Decroux (1963,
1978), ainsi que les enregistrements d’une émission radio (J. P. Pagliano et D. Fontanarrosa,
1992) et d’un film fait en son hommage (Jean - Claude Bonfanti, 1993).
Pour commencer, nous voudrions signaler le sentiment qui se dégage fortement de la
consultation de ces documents: pour la plupart des auteurs, Decroux et le mime corporel sont,
sinon inconnus, du moins méconnus.

113 Extraits de textes de : a) Guy Benhaim: Le mime corporel selon Étienne Decroux, Thèse de Doctorat
nouveau régime, Faculté des Lettres, Arts et Sciences Humaines, Université de Nice Sophia Antipolis, 1992. b)
Étienne Decroux: Paroles sur le mime, Gallimard Paris, 1963, c) Rene - Jean Dufour: Petite Histoire d'un grand
art : Le mime hier et aujourdui; Perspective historique, Mémoire de maitrise d'Art présenté à l'Université de
Quebec à Montrèal, 1989. (exémplaire informatique). d) Thomas Leabhart: Modern and Post - Modern Mime,
Col. Modern Dramatists, Ed. St Martin's Press, New York, 1989, pages 35 à 59. e) Marco de Marinis: Mimo e
teatro nel Novecento, La casa Usher, Firenze, 1993. f) Jean Peret: «Étienne Decroux», dans Jacques Lecoq: Le
théâtre du geste / mimes et acteurs, pages 65 à 67. g) Corinne Soum et Steven Wasson: Projet Spectacle hom-
mage à Étienne Decroux, Ed. Théâtre de l'Ange Fou / Cie. Steven Wasson et Corinne Soum, Paris 1992. (Nous
avons traduit de l’anglais et de l’italien).
Extraits des documents audio - visuels : a) Jean - Claude Bonfanti: Pour Saluer Étienne Decroux, film pré-
senté le 10 février 1993 à la Vidéothèque de Paris, Atmosphère productions. b) J. P. Pagliano et D. Fontanarrosa:
Profil perdu : Étienne Decroux, émission radiophonique avec des extraits de documents des archives de l’INA,
France Culture, Paris novembre 5 et 12, 1992.

34
Par exemple, dans l’introduction de sa thèse, Guy Benhaim présente comme une des
principales motivations de son travail de recherche sur Decroux « le désir de réparer une
injustice, de commencer à faire reconnaître la place qui revient à Decroux dans l’histoire du
Mime et celle du Théâtre contemporain»( 114). Thomas Leabhart, en le comparant à Jacques
Copeau nous dit: « Entre un succès tout relatif et une obscurité totale, Decroux, comme
Copeau avant lui, est resté fermement marié à ses idéaux» ( 115). De Marinis nous parle de:
« l’invisibilité de Decroux comme théoricien et pédagogue» ( 116). Egalement significatif est le
titre d’une émission de radio à laquelle nous faisons référence: « Profil perdu»( 117). Il nous
est difficile de ne pas remarquer cette presque «obscurité totale» qui entoura Decroux et le
mime corporel.

L’extrait qui suit, provient de la présentation de Decroux que font Corinne Soum et
Steven Wasson dans leur projet de spectacle « l’Homme qui voulait rester debout / Hommage
à Étienne Decroux». Il vise à sensibiliser les représentants des institutions culturelles à
l’importance de l’œuvre de ce créateur français plutôt mal compris et presque oublié.

« Étienne Decroux (1898 - 1991).

Le 12 mars 1991 Étienne Decroux nous à quitté à l’âge de 92 ans, après avoir
consacré sa vie à l’édification d’un art : le mime corporel dramatique.

Créateur, mais aussi infatigable pédagogue, il influença quelque cinq


générations d’artistes qui, partageant sa ferveur pour un théâtre physique, ont
suivi son enseignement rigoureux et ont découvert ainsi un langage corporel d’une
extraordinaire richesse.

Plus de cinquante années de travail, de recherches et d’inspiration ont fait


d’Étienne Decroux l’auteur d’un répertoire qui constitue aujourd’hui de par son
originalité, sa qualité esthétique et sa difficulté d’exécution, un véritable trésor
pour le patrimoine culturel français » (118).

114 Guy Benahim: Le mime corporel selon Étienne Decroux, op.cit. page. 5 (Nous avons souligné en cratères
gras).
115 Thomas Leabhart: Modern and Post - Modern Mime, op. cit. page 54 (Nous avons traduit de l’anglais et
souligné en cratères gras).
116 Marco de Marinis: Mimo e teatro nel Novecento, op. cit. page 133. (Nous avons traduit de l’italien et
souligné en cratères gras).
117 Pagliano et Fontanarosa: Profil perdu : Étienne Decroux, op. cit.
118 Corinne Soum et Steven Wasson: Projet Spectacle hommage à Étienne Decroux, op. cit. (dans l'introduc-
tion).

35
Selon René - Jean Dufour, « son œuvre est pratiquement inconnue( 119)» et il ajoute
« mais il est cité en référence dans nombre de travaux savants sur l’art dramatique» ce qui est
paradoxal pour cet «illustre inconnu» du grand public.

« Étienne Decroux, le mime Decroux, le grand maître d’un art méconnu,


mal défini, mal situé par le public, quelque part entre le théâtre et la danse. Étienne
Decroux, lui - même, reste un illustre inconnu. Lorsqu’il est mort en mars 1991,
dans sa 93 ème année, on l’a davantage célébré à l’étranger qu’en France »  (120).

Heureusement tout n’est pas «obscurité» autour de Decroux. En 1988 dans le cadre
des célébrations du 900 ème anniversaire de sa fondation, l’Université de Bologne lui décerna
le titre de Docteur Honoris Causa des Arts de la Musique et du Spectacle. Dans son
intervention, le professeur Franco Ruffini présenta Étienne Decroux comme un « personnage
d’exception». Par cet événement, l’Italie a honoré un maître trop oublié en France( 121).

Biographie

Étienne - Marcel Decroux naquit le 19 juillet 1898 dans le X ème arrondissement de


Paris. Il était le cadet d’une famille de deux enfants. La personnalité originale de son père
exerça sur lui une influence déterminante( 122). Peut de gens certainement, dans la classe
ouvrière de leur voisinage, lisaient des poèmes à haute voix à leurs enfants, ou les amenait en
visite à une famille de sculpteurs italiens.
Son père le condusait chaque Lundi au Café - concert. C’est ici que Decroux vit pour la
première fois les dernières lueurs de la pantomime du dix - neuvième siècle. Le père de
Decroux, un ouvrier du bâtiment, avait construit de ses propres mains la maison familiale de
Boulogne - Billancourt, celle que Decroux occupera jusqu’à sa mort. Il s’intéressait à la
politique autant qu’aux techniques de construction, et avait avec son fils des longues
discussions à propos de la justice.

119 René - Jean Dufour: Petite Histoire d'un grand art, op. cit. s / p. (Nous avons souligné en cratères gras).

Aussi, selon Thomas Leabhart : «(le travail produit par Etienne Decroux) a été pendant cinquante ans, pres-
que invisible, un art souterrain pour quelques initiés. Il - y - a peut - être seulement 500 ou 1000 personnes au-
tour du monde qui ont vu son type de mime et qui pourraient l’identifier». Dans Thomas Leabhart: Modern and
Post - Modern Mime, op. cit. page 109. (Nous avons traduit de l’anglais)
120 Pagliano et Fontanarosa: Profil perdu : Étienne Decroux, op. cit. (Nous avons souligné en cratères gras).
121 Franco Ruffini: "Étienne Decroux, un maître", Faire Evénement, Coll. L'Art du Théâtre n° 9. Ed. Actes
Sud / Théâtre National de Chaillot, Paris, 1988, pages 181 à 184. (En français dans le texte).
122 Guy Benhaim: Le mime corporel selon Étienne Decroux, op. cit. page 67.

36
De son enfance et adolescence, Decroux fit un pittoresque recueil de souvenirs
qu’André Veinstein publie dans l’introduction de Paroles sur le mime.

« Durant une longue période, mon père, chaque lundi, me conduisait au


music - hall de variétés qu’on appelait Café - Concert.

Ce père construisait des maisons avec ses mains.

Il m’incitait à des prolongées discussions sur le juste et l’injuste. Dans notre


quartier, les idées qu’il avait, il était seul à les avoir.

Il fréquentait une famille de sculpteurs italiens.

Il me lavait le corps d’un air tout naturel, préparait à manger, badigeonnait


ma gorge et, avec réflexion, il me coupait les cheveux.

Parfois, il me lisait des vers d’un ton retenu.

Jusqu’à ma vingt - cinquième année, j’ai travaillé surtout dans le bâtiment,


mais je me suis frotté à tout.

Il me souvient d’avoir été peintre, plombier, maçon, couvreur, boucher,


terrassier, docker, réparateur de wagons, laveur de vaisselle, infirmier. J’ai même
posé du tube de caoutchouc aux portes des glacières pour les rendre hermétiques.
J’ai fait la fenaison et la moisson.

Tout de même, il y en eut des choses à voir !

Il y a des pauvres gens qui n’ont rien vu de tout ça.

Je me demande comment ils font pour mettre une pièce en scène.

Ces choses vues et même manipulées son passées peu à peu dans l’arrière de
la tête, descendues le long de l’arrière des bras, sont arrivées au bout des doigts où
elles ont modifié mes empreintes digitales » (123).

L’adolescence du jeune Decroux se termina par l’épreuve décisive à laquelle furent


confrontés tous les hommes de sa génération: celle de la guerre. Enrôlé comme aide -
soignant, il ne combattit pas, mais aida à soigner les victimes.
Les discussions avec son père, sur la nature de ce qui est juste ou injuste, l’amenèrent à
de fortes convictions. Devenu anarcho - syndicaliste, il fit partie de divers groupes de réflexion
poétique et politique, avec lesquels il fit des expériences d’écriture automatique. Dans la

123 Étienne Decroux: cité par André Veinstein dans le préface de Paroles sur le mime, op. cit. page 8.

37
perspective d’une activité politique, il décida de cultiver ses moyens vocaux et sa capacité
oratoire.
Quatre ans après avoir quitté l’armée, au mois d’octobre 1923, dans une annonce parue
dans «l’humanité», il apprit que le théâtre du Vieux - Colombier, dirigé par Jacques Copeau
depuis 1921, avait ouvert une école de formation et de culture théâtrale, qui accueillait
également ceux qui n’avaient pas l’intention de se consacrer professionnellement au théâtre.
Decroux se présenta et fut admis.

La rencontre avec Copeau


Quand Decroux arriva à l’École du Vieux - Colombier, il avait fait trente - six métiers
manuels. On classa le jeune aspirant dans la section «B», c’est - à - dire dans le groupe
d’élèves qui ne se destinaient pas directement au métier d’acteur. Le personnage coloré de
Decroux, habillé en costume, chapeau et large cravate des premiers militants socialistes,
impressionna ses collègues. Bientôt on l’appela «l’orateur».
Il se lança dans ses études avec la passion qu’il mettait en toute chose. Il suivit les
cours d’improvisation sans parole et avec un masque neutre. Plus tard, Decroux fut admis dans
le groupe des «apprentis» où se faisaient les recherches qui, aux yeux de Copeau, donnaient
sa raison d’être au Vieux - Colombier. Les conditions étaient ainsi créées pour permettre au
jeune homme de recevoir l’influence du maître, influence qui, selon Decroux lui - même, fut
extrêmement profonde.
Decroux prit à coeur l’enseignement de Copeau. La dévotion de ce dernier au théâtre et
son purisme nourrirent le jeune idéaliste. Quelques années plus tard, Decroux reconnaissait
qu’il n’aurait jamais fait ce qu’il a fait, sans les exercices dont il avait été le témoin: les
improvisations avec masque inexpressif à l’école du Vieux Colombier.
C’est au début, dans les exercices pour les élèves de la section «A», que Decroux a vu
le potentiel d’un mime corporel, révélé à lui sous forme embryonnaire dans le travail avec
masque. Il était sûr que c’était de l’art dramatique, lequel ne pouvait qu’être affaibli, au moins
dans son premier état de développement, si on l’assujettissait à la parole, et que cet art pouvait
se suffir à lui - même.

« Le mime, pensai - je, a mieux à faire que de compléter un autre art.

Parce qu’il peut devenir suffisant par lui - même, supérieur au théâtre et égal
à la danse dont il diffère par la racine…. » (124).

124 Ibidem:page 34

38
Si Decroux adhéra de façon complète et définitive à l’esthétique du Vieux - Colombier,
ce fut par l’effet d’un événement majeur qui le bouleversa en moins d’une heure, et qui orienta
définitivement son existence.

Il se convertit au langage du mime par un revirement du destin. En 1924, lors d’un


spectacle de fin d’année à l’Ecole du Vieux - Colombier, il assista en séance privée à une
démonstration de «jeu masqué» par les élèves les plus anciens: travail à dominante
corporelle, issu des courtes pièces qu’ils composaient ordinairement, « en un rapide
conciliabule - trois minutes maximum».

« N’ayant encore qu’une année d’étude, je ne fus pas admis à y participer.

Tranquille dans mon fauteuil, je vis un spectacle inouï

C’était du mime et des sons. Le tout sans une parole, sans maquillage, sans
costume, sans un jeu de lumière, sans accessoires, sans meubles et sans décor.

Le développement de l’action était assez savant pour qu’on fit tenir plusieurs
heures en quelque secondes et plusieurs lieux en un seul.

On avait simultanément sous les yeux le champ de bataille et la vie civile, la


mer et la cité.

Les personnages passaient de l’un à l’autre en toute vraisemblance.

Le jeu était émouvant, compréhensible, plastique et musical » (125).

Le choc fut violent; ce qu’il vit, Decroux le définit plus tard comme du Mime corporel.

Peu après, le 15 mai 1924, Copeau ferma le Théâtre du Vieux Colombier pour se
consacrer entièrement à son école, et décida d’amener ses élèves en Bourgogne, fuyant ainsi
les distractions de Paris. Parmi les étudiants invités se trouvait Étienne Decroux.
En Bourgogne, de novembre 1924 à février 1925, les cours continuèrent ainsi que les
répétitions de deux pièces écrites par Copeau, pour un spectacle destiné à amener un soutien
financier pour la compagnie. Finalement, les multiples difficultés matérielles finirent par
prendre le dessus et la communauté fut dissoute.
En février 1925, Decroux quitta la Bourgogne. De cette époque passée à l’Ecole du
Vieux - Colombier sous la direction de son «patron», il garda un souvenir éloquent:

« Copeau nous avait si bien allumés que ceux d’entre nous qui le quittèrent
avaient du feu après eux » (126).

125 IbIdem:page 18

39
L’acteur parlant
Quand le premier groupe d’étudiants de l’École du Vieux Colombier en Bourgogne, se
dispersa après cinq mois, Decroux partit travailler à Paris avec Gaston Baty, puis avec Louis
Jouvet chez qui il resta durant la saison de 1925 - 26.

Decroux à cette époque avait perçu dans le jeu de Jouvet «… les débuts, un arrière -
goût de la marionnette… une certaine façon de tourner la tête, de se servir du cou, une
certaine façon de prendre place sur scène». Il était possible de voir en lui « l’homme
articulé». Decroux pourra dire: « le style m’est venu de Jouvet»( 127).

En 1926 et jusqu’en 1934, il fut acteur dans la compagnie et professeur de mime de


l’école de Charles Dullin au théâtre de l’Atelier à Montmartre. Dullin avait été, comme Jouvet
et Baty, un membre de la compagnie de Copeau. Decroux admirait le jeu de Dullin, et trouvait
excitant de travailler avec lui. Il reconnut avoir été formé par Dullin, qui le prennant dans un
état rudimentaire, avait formé son goût, son sens de la mesure et attisé sa passion dans le jeu.
Le comédien Étienne Decroux joua dans une quarantaine de pièces du répertoire
européen et dans environ trente cinq films; il était un acteur très actif sur scène, au cinéma et à
la radio dès 1925 et jusqu’en 1945. Il interpréta plus de soixante - cinq rôles différents issus de
pièces de divers auteurs: Marcel Achard, Aristophane, Ben Jonson, Molière, Pirandello, Jules
Romains, Ruzzante, Shakespeare, Strindberg, Tolstoi. Ses metteurs en scène furent entre
autres, Copeau, Gaston Baty, Jouvet, Dullin, Artaud et Marcel Herrand. Au cinéma, il fut
dirigé souvent par Jaques Prévert et Marcel Carné notamment dans «Les Enfants du
Paradis». Gagnant sa vie en tant qu’acteur, il continua, néanmoins, à créer, nourrir et faire
évoluer le mime corporel.

Créateur et Maître du mime corporel


Étienne Decroux, acteur brillant, se livra dès le début de ses études à une réflexion sur
l’art du comédien, véritable source de l’expression dramatique. C’est en effet par une
incessante travail physique qu’il édifia ce théâtre, dont le moyen d’expression est le corps.
Jean Dorcy (128) retient l’année 1924 comme la date( 129) à partir de laquelle, Decroux
« ne vit plus - désormais - que pour travailler la mime (sic.)» (130), n’exerçant la profession de
comédien « que pour gagner sa vie».

126 IbIdem:page 16.


127 Idem: «The origin of corporeal mime», Mime Journal num. 7 & 8. Thomas Leabhart Ed. Claremont,
Californie 1978. p.14. (Nous avons traduit de l’anglais).
128 Jean Dorcy: A la rencontre de La Mime, Cycle des Initiations à la Danse, Les Cahiers de Danse et
Culture, Neuilly - sur - Seine, 1958, page 63.

40
Au début de 1928, Decroux commença à travailler avec des jeunes acteurs dont
l’inconstance ne permettra pas la formation d’une troupe de mime.
Trois ans plus tard, le 13 juin 1931 à la salle Lancry, il créa avec sa femme Suzanne
Lodieu, «La vie primitive». Unique représentation qui marqua le début d’un nouveau cycle
d’expérimentations.
La même année, Jean - Louis Barrault, qui avait alors 22 ans, vint au Théâtre de
l’Atelier suivre les cours de Dullin. C’est ici qu’il rencontre Decroux, alors membre de la
troupe. Barrault se souvint de Decroux comme d’un excentrique qui stylisait ses rôles au point
de les danser, et dont tout un chacun parlait avec une sourire au coin des lèvres.
Decroux, à l’époque «révolutionnaire puritain» cultivant le «plus - que -
parfait»( 131), cherchait des gens pour continuer le travail corporel qu’il avait commencé au
Vieux Colombier. Le jeune et enthousiaste Barrault fut facilement conquis; il devint le
premier réel élève et disciple de Decroux.
La même année, il donna à nouveau « la vie primitive», en y incorporant Jean - Louis
Barrault, et plus tard «La vie artisanale» avec les mêmes participants.
Pendant deux ans, tout en étant régisseur et acteur dans la troupe de Dullin, il se
consacra à l’art du mime, fort du solide talent de Jean - Louis Barrault:

« Les deux hommes travaillent jour et nuit. Non pour produire, mais pour
tenter de trouver […] une à une des conventions nouvelles. Leurs recherches
patientes aboutissent à des prouesses fameuses : la « marche glissée »en est une des
plus spectaculaires […] » (132).

Les documents de l’époque sur Decroux, et les débuts du mime corporel, témoignent de
la communauté d’expérience des deux hommes. Ils étaient inséparables: nudistes, végétariens,
complices dans la recherche du «nouveau mime»( 133). L’histoire de ces deux ans à été
souvent racontée: Decroux écrivait, Barrault improvisait — Le premier, en codificateur
attentif, le deuxième en expérimentateur intuitif.

129 Date de la fameuse séance de la section «A» de l'école du Vieux Colombier, et à laquelle Decroux assista
comme spectateur.
130 Dans sont avant - propos, Jean Dorcy explique : «… on lira : La MIME. Ce féminin indiquera le genre,
l'œuvre, l'art; le masculin, lui, désignera l'agent d'action…»
131 Jean - Louis Barrault: Reflections on the Theatre, traduction de Barbara Wall, Rockliff, Londres, 1951,
pages. 21 à 23, cité par Thomas Leabhart, op. cit. page 41. (Nous avons traduit de l’anglais).
132 Yves Lorelle: L’expression corporelle, du mime sacré au mime de théâtre, La Renaissance du Livre,
Bruxelles, 1974, page 108.
133 Jean - Louis Barrault: Souvenirs pour démain, Editions du Séuil, Paris 1972, page 72. Cité par Thomas
Leabhart, op. cit. page 41. (Nous avons traduit de l’anglais).

41
A la fin de cette période, ils jouèrent pour Dullin leur «Combat antique». Dullin, qui
les encourageait dans leur travail, non sans scepticisme, fut convaincu par la performance,
qu’il trouvait proche de la perfection technique des acteurs japonais.

La ferveur de ces deux années de créativité et de découvertes ne dura pas, car Barrault
découvrit ce que la majorité des élèves de Decroux avaient déjà vu: la passion de Decroux
pour son art n’acceptait pas de compromis, et la rigueur de sa dévotion était finalement
oppressive pour tous sauf pour lui - même.
La rigueur de Decroux dépassait la salle de classe pour aller jusqu’à la scène, où il
pouvait arrêter un spectacle qui ne se passait pas comme il le voulait. Il lui arriva d’insulter le
public s’il riait hors propos sans comprendre son travail expérimental.
Les représentations publiques de mime de Decroux finirent par ne pas être nombreuses.
Son amour de la perfection le poussait à demander tellement à ses acteurs et à lui - même
d’une part, et au public d’autre part (lequel voyait en géneral, du mime moderne pour la
première fois), qu’il préféra finalement se produire pour deux ou trois personnes, car, il
considérait qu’un public réduit était plus apte à apprécier une forme nouvelle.
En 1933, Barrault partit faire son service militaire. Ceci marqua la fin d’une époque. Ils
se retrouvèrent plus tard sur scène, mais le fil était rompu. Barrault choisit de faire un théâtre
incluant le mime. Decroux poursuivit donc son travail en solitaire, tout en cultivant, de 1932 à
1939, le «Chœur parlant» dans les fêtes socialistes( 134).
Pendant cette période ses pièces évoluèrent. En 1938, il donna des centaines de
représentations en solo dans sa salle à manger, pour un public de deux ou trois personnes.
Démobilisé en 1940, il continua à fignoler son esthétique du mime, s’attardant à la
ligne et au rythme des pièces: «La machine», «Le menuisier» et «Les marches de
personnages sur place», et créa: «la lessive», «le Professeur de boxe», et «l’haltérophile».
Il joua encore une centaine de fois face à des audiences de trois à quatre personnes.
D’ores et déjà, Decroux était en pleine possession de son langage. Sa démarche mettait
de plus en plus l’accent sur l’abstraction géométrique dans le mouvement corporel.
En 1941, il ouvrit une première école de mime et donna, en représentation privée à la
Comédie des Champs - Élysées «Camping», sa première grande pièce collective.
En 1942, l’art decrousien se concrétisait de plus en plus: il livra les numéros
«Chirurgie esthétique», «La dernière conquête», « le feu» et « Le Passage des hommes sur
la terre», des numéros qui avaient de l’étendue, et qui nécessitaient une troupe de mimes.
Une centaine de représentations eurent lieu dans une «grande» salle à manger, devant
un public de cinq à dix personnes. En octobre de la même année, il donna une représentation

134 Yves Lorelle: L’expression corporelle, du mime sacré au mime de théâtre, op. cit, page 111 et suivantes.

42
publique au Salon d’Automne et au Théâtre des Ambassadeurs. Puis les élèves se dispersèrent
et la jeune troupe se défit. Decroux ne se laissa cependant pas abattre.
En 1943, il joua dans le film «Les enfants du paradis». L’année suivante, Decroux,
avec ses élèves, donna des représentations privées pour des audiences de dix à quinze
personnes averties dans le Foyer des Beaux Arts.
Toujours en 1944, Marcel Marceau s’inscrivit aux cours qu’il donnait, chez Dullin, au
Théâtre Sarah - Bernhardt. Le 28 avril 1945, il joua, avec Jean - Louis Barrault, dans «Antoine
et Cléopâtre» à la Comédie - Française un numéro extraordinaire intitulé: «Combat
antique».
Un des événements les plus importants de cette période fut le spectacle présenté le 27
juin 1945 à la Maison de la Chimie où un public de plus de 1000 personnes vint voir la
représentation de mime corporel d’Étienne Decroux, de Jean - Louis Barrault et d’Éliane
Guyon. Jean Dorcy était le Maître des Cérémonies et Gordon Craig président d’honneur. Craig
salua le rare triomphe d’Étienne Decroux:

« Nous assistions à la création d’un alphabet - un A. B. C. de Mime : ou, si


vous refusez d’admettre le mot ``création’’, disons ``redécouverte’’ […] car
redécouvrir n’est - il pas le maximum que nous puissions accomplir ?. On dit qu’il
se révélera comme le maître du mime je considère que ce titre lui est déjà dû » (135).

Gordon Craig eut sur Étienne Decroux une influence pacifiante par le vigoureux
soutien qu’il lui exprima publiquement très tôt. Aussi, il n’est pas étonnant d’entendre Decroux
lui faire un vibrant hommage et se réclamer de lui plus que de tout autre artiste de la
profession:

« Craig n’est pas un doctrinaire. [Il est] plus animé par l’esprit de finesse que
par l’esprit de géométrie […]. Il se réjouit de la victoire d’un autre pour peu qu’elle
soit honnête […]. Nous avons bien choisi notre patron » (136).

Après la guerre, Étienne Decroux consacra de plus en plus de temps à l’enseignement.


Son fils, Maximilien (âgé alors de 16 ans), l’assistait. En 1946 Decroux et ses élèves
présentèrent «L’usine », «Les arbres» et «l’esprit malin» au Théâtre d’Iéna à Paris.
Les années passaient, les étudiants se succédaient, Decroux et une petite troupe, tout en
se présentant à Paris, se produisirent en Belgique, Italie, Suisse, Pays Bas, Angleterre et Israël
où, en mai 1950, sa troupe donna sa première présentation publique à Tel - Aviv. Suivi d’un

135 Edward Gordon Craig: «Enfin un Créateur au théâtre», Arts, 3 août 1945.
136 Étienne Decroux: Paroles sur le mime, op. cit, page 25.

43
Séjour à Milan, au «Piccolo teatro», sur l’invitation de Giorgio Strehler, en tant que
professeur de mime.
Parmi les nouveaux travaux crées pendant cette période, il y eut: «Petits soldats»,
«Prise de contact», «Poète vaincu», «Croisements du matin», «Relais de Dulcinea», «Jeu
de dames» et «Soirée».
En octobre 1957, Decroux partit aux États Unis pour une longue tournée de
conférences, spectacles et enseignement. Il ouvrit une école à New York, laquelle donna jour à
une troupe américaine de mime qui joua avec lui au Kaufmann Concert Hall, au Carnegie Hall
et au Cricket Theatre.
En même temps, il fit des conférences - démonstrations et donna des stages dans
plusieurs universités américaines, entre autres: Tufs à Medford dans le Massachussets, et
Baylor à Waco dans le Texas. Il publia quelques articles, et son renom s’étendit sur les cinq
continents.
Le répertoire de sa troupe américaine comprenait quelques reprises des travaux produits
auparavant en Europe, «l’usine» et «les arbres», certains solos et le nouveau duo «la
statue», où Decroux jouait le sculpteur. Parmi les solos joués pour des audiences surprises et
incapables de le comprendre était sa pièce - clé, «le menuisier».
Sa dernière véritable représentation publique date de 1961, au Carnegie Hall, à New
York. Decroux resta sept ans aux États Unis, et quand il retourna à Paris, il prit résidence à la
maison qu’avait construite son père à Boulogne - Billancourt, dans la proche banlieue
parisienne.

En 1963, fut publié son livre Paroles sur le mime. C’est un recueil de notes, essais ou
articles, inédits ou non, arguments de spectacles et textes de présentation, fruit de son intense
activité réflexive concernant le mime corporel. Il y retrace la genèse du mime corporel et
expose l’essentiel de sa doctrine.
Après New York( 137), l’intérêt de Decroux pour la scène s’est réduisit de jour en jour,
jusqu’à disparaître pratiquement au profit du développement du mime corporel, de la
formation d’acteurs, et surtout, il prénnait plaisir à faire jouer les autres. Dans un interview
fait le 1er. mai 1978 à son école, Decroux expliquait:

« … il se trouve que je suis doué pour le mime. Tu vois, je ne m’en sers pas,
ça ne m’amuse pas.

137 Il a 65 ans.

44
Ce qui m’amuse, c’est de faire jouer les autres, tu comprends ? C’est quand -
t - on fait jouer les autres qu’on a une émotion bien plus grande que quand - t - on
joue soi même, tu comprends ?… » (138)

Malgré cette retraite de la scène, il continua à jouer chaque jour dans ses cours, enfin,
entre un succès tout relatif et une obscurité totale, Decroux, comme Copeau avant lui, resta
fermement marié à ses idéaux.
Son école, dans le sous - sol de sa maison, fleurit de 1964 à 1987, en produisant une
succession d’acteurs et de professeurs de toute nationalité. Le nombre d’élèves inscrits pouvait
varier de huit à une centaine en trois groupes séparés dans la journée.
Dans cette dernière période, il continua à créer avec ses élèves et ses assistants.
Production particulièrement riche qui donna naissance à un travail de plus en plus élaboré, tant
sur le plan technique que sur le plan de la conception dramatique. Les pièces furent
représentées au sein de l’école, devant un public choisi, ou filmées et archivées.

En 1988, l’Université de Bologne lui décerna le titre de Docteur Honoris Causa des
Arts de la Musique et du Spectacle.
Doué d’une santé robuste et d’une persévérance exceptionnelle, il put, au fil des
années, enseigner à quelque cinq générations d’artistes. Ses élèves, venus de partout, se
comptaient par milliers. L’influence d’Étienne Decroux fut considérable, mais il n’eut jamais
de succès critique véritable. Sa préoccupation fut tout autre:

« Je ne suis pas terriblement intéressé en jouer. Pour moi, il n’est pas


terriblement important que quelqu’un me dise que je suis un mime extraordinaire.
Même si j’ai du talent. Ce n’est pas très important. Le génie passe, l’art est
éternel « (139).

Néanmoins, le nom de Decroux évoque plusieurs images différentes. Parmi les


professionnels, il est amplement reconnu en tant que figure majeure du développement du
mime moderne. Un grand nombre d’entre eux a étudié avec lui, même brièvement, pendant ses
cinquante années d’enseignement.
Mais, à cause de son insolite aversion à se produire sur scène, très peu, parmi les
spécialistes, l’ont vu jouer ou ont eu l’occasion de voir un des spectacles dirigé par lui. Pour le
public, même aujourd’hui, le mime est assimilé à l’image popularisée par Marceau; Nous
pouvons dire que virtuellement, le nom d’Étienne Decroux est inconnu.

138 Etienne Decroux: Interview du 1er Mai 1978 à son école, document audio inédit.
139 Idem: "The Origin of Corporeal Mime", The Mime Journal, no 7 - 8, op.cit, page 16. (Nous avons traduit
de l’anglais).

45
Pourtant, Decroux est resté l’homme d’une idée forte, qu’il a vu naître chez Copeau et
dont il a assumée le développement:

« Je n’ai inventé que d’y croire » (140).

Il semble conscient, depuis le début, que sa mission ne peut que se heurter à


l’incompréhension de son époque, et même au - delà. Ce qui paraît le stimuler à poursuivre,
c’est sa conviction d’être sur la bonne «voie»:

« Et cependant, par coquetterie, pour prouver que notre art peut tout faire,
j’ai fait des histoires sans paroles et mon succès fut nul ou terne. Je dois dire ces
choses - là. Je ne voudrais pas que l’autorité que donne le seul fait d’écrire dans un
livre décourage d’autres ouvriers dans leur essai de vaincre là où j’ai échoué. J’écris
pour faire penser, non pour en dispenser et je mourrai jeune homme au pied du
Grand Projet » (141).

Ce qu’on retient de lui, c’est qu’il est le «mime des mimes», le pédagogue émérite
dont le projet ne connaît pas le succès immédiat.
Il a effectué une recherche artistique édifiante, en réinventant pour lui - même un art
d’acteur selon les découvertes qui jalonnent sa longue existence. Il a voulu le partager,
enseigner ses méthodes à des artistes patients et dévoués à la cause du renouveau de l’art de
l’acteur; tout devait être expliqué, car il paraissait recommencer à partir de rien.
La concentration martiale et l’infaillible analyse du mouvement chez Decroux
surpassent les volutes de la légende créée autour de lui et de son art. Il clairsème les épuisantes
répétitions d’équilibre et d’isolations de segments, avec des considérations théoriques sur l’art,
et des directives pratiques.
Decroux ira jusqu’à construire une erreur afin de faire évoluer un élève. En revanche, il
capitule devant un groupe d’acteurs qui le deçoit sans cesse:

« Il y a des fois où l’on abandonne un travail technique particulier pendant


des mois ou même des années tant on est déçu par les élèves » (142).

L’étude du mime, sous la gouverne de Decroux, consiste en un savoir - faire et une


philosophie du mouvement qu’on tâche d’acquérir, allant du plus simple au compliqué, et du
concret à l’abstrait. Il pousse sans arrêt ses exigences, surtout si l’élève est talentueux:

140 Idem: Paroles sur le mime, op. cit, page 33.


141 IbIdem, page 143.
142 Idem: le 11 avril 1981, cité par René - Jean Dufour, Petite Histoire d'un grand art, op. cit. s / p.

46
« Vous serez surpris de me voir irrité contre une très belle exécution, parce
que cette réussite se sera posée orgueilleusement à côté de la question » (143).

Juste retour des choses, ses élèves l’ont conduit à ses intuitions les plus fortes, comme
ce fut le cas avec la technique de l’articulation des segments: la tête, puis le cou, puis la
poitrine, la ceinture, etc.. La difficulté des élèves à bouger les parties du corps une à une ont
forcé Decroux à préciser ses méthodes, à décomposer les mouvements complexes et à fonder
une pédagogie qui lui est propre:

« Mais il y a une chose qui a préfiguré entièrement la forme que j’ai


construite. Un des instructeurs faisait une démonstration de l’art d’écouter. Il m’a
montré la différence de la façon d’écouter dans la vie et dans le théâtre avec une
translation de la tête dans la direction d’où vient le son. Cela m’a frappé.» (144).

Mais encore reconnaît - il la dynamique des échanges entre lui et ses élèves, dynamique
qui fait évoluer sa compréhension du mime:

« Un jour, un de mes élèves m’a dit : <<Le jour où vous avez dit ‘Tête sans
cou’, vous avez trouvé votre système>>. Je n’aurais pas pensé à cette définition,
mais je crois que cela est vrai (…). C’est ce qui vaut d’avoir ses propres
étudiants ! » (145).

Le praticien Decroux, poussé à la création et à l’expérimentation par ses disciples qui le


stimulent, a produit un nombre considérable de figures, de pièces et de spectacles. Ainsi, avec
le temps, il reconnaît être devenu «un chef de file» et formateur, après avoir été, longtemps
un créateur, un interprète et un homme de scène (146).
Decroux est décédé le 12 mars 1991, à l’âge de 92 ans, laissant à ses anciens élèves et
disciples, ainsi qu’à tous ceux qui d’une façon ou d’une autre ont été marqués par le Maître, le
sentiment d’avoir perdu la source, l’ancrage, et le symbole de leur art.
Cette perte pour le monde du Théâtre pourrait en entraîner une autre, plus
dommageable encore, affectant l’art du mime corporel lui - même, s’il n’y avait pas le travail
et les efforts quotidiens de ceux qui, à travers le monde, œuvrent à la préservation, la
transmission et la diffusion du riche héritage artistique du mime corporel.

143 Idem: Paroles sur le mime, op. cit, page 171


144 Idem: «The Mask», The Mime Journal, no 7 - 8, op.cit. page 39. (Nous avons traduit de l’anglais).
145 Etienne Decroux, cité par Vernice Klier: «The Man Who Created An Art Form», The Paris Metro, Paris,
vol. 3, 14, July 5, 1978, p. 18. Dans: Rene - Jean Dufour, Petite Histoire d'un grand art, op. cit (Nous avons
traduit de l’anglais).
146 Yves Lorelle: L’expression corporelle, du mime sacré au mime de théâtre, op. cit. page 116.

47
chapitre 2
L’édification du mime corporel

Le mime corporel traduit par le mouvement: la doctrine, la philosophie, l’éthique et


l’esthétique que Decroux considérait fonder l’art de l’acteur.

Notre intention avec cet exposé est d’esquisser verbalement les contours du matériau
«mouvement» ( 147) qui constitue le répertoire «Decroux» (148), indication concréte de ses
conceptions du mime.

Le parcours de Decroux pour l’édification du mime corporel emprunte en même temps


plusieurs voies entremêlées qu’il a approfondies, enrichies et renforcés à mesure de son
avance.
Une démarche progressive et distincte dans chacune de ces voies était impossible. Leur
interdépendance était telle que les solutions de l’une devenaient des questions dans l’autre.
Tantôt c’était un aspect technique concernant l’application d’une idée ou un principe
esthétique qui retenait son attention, tantôt c’était l’approfondissement de ces principes ou la
création d’une pièce.

« Je passais mon temps comme ça, comme je pouvais, autant que je pouvais, à
monter une pièce, alors, je ne pouvais pas m’occuper de la scolarité, ou à faire de la
prospection de la scolarité. Quand je ne montais pas de pièces, n’importe comment,
chaque jour, ça avançait. Ca ne pouvait pas ne pas avancer, et maintenant mon
grand regret c’est qu’il ne me reste pas beaucoup à vivre pour réaliser les projets
que je veux. Le mime, je n’en vois pas le bout, j’estime pauvre ce que j’ai fait quand
je pense à ce qui pourrait être fait. » (149).

Un exposé de cette démarche, qui suivrait le cours linéaire du temps n’est peut - être
pas ce qui conviendrait le mieux à nos objectifs. Heureusement, Decroux a toujours écrit, son
carnet de route est bien rempli. Nous puiserons dans ce recueil le matériel nécessaire.
L’oeuvre écrite de Decroux( 150) couvre chacun des aspects de ses recherches, ses
articles, essais et conférences témoignent des efforts ininterrompus pour clarifier et faire

147 Nous entendons par matériau «mouvement» , les mouvements ou exercices qui constituent l'objet d'ap-
prentissage.
148 Voir la définition de répertoire «Decroux» dans notre introduction.
149 Étienne Decroux: Conférence du 19 / 05 / 78 à son école. Document audio inédit.
150 « L’oeuvre écrite de Decroux est considérable. Intimement liée à l’enseignement et à son travail de créa-
tion, elle traduit, chez lui, une impérieuse nécessité d’élucider ses actes. Séries de notes, essais ou articles, inédits

48
connaître les fondements de la doctrine artistique qui préfigure le mime corporel. Ils couvrent
une longue période, depuis son premier article intitulé «Ma définition du théâtre» publié en
1931 et jusqu’à la publication de son livre «Paroles sur le Mime» en 1963 (Il y en a eu
certainement d’autres après cette date).
D’autres textes, plus techniques ceux - ci, témoignent de ses réflexions concernant les
différents aspects et niveaux d’étude qui ont été nécessaires pour le développement d’un
langage corporel dramatique, depuis ses implications anatomiques jusqu’à celles
spectaculaires. Il présente, explique, justifie ce qu’il a fait et ce qu’il a voulu faire.
En outre, d’après la lecture des écrits de Decroux, nous pouvons déduire qu’avec la
création spectaculaire il a entrepris de faire connaître les possibilités artistiques du mime
corporel

« J’ai monté quantité de spectacles, dont chacun était la mise en oeuvre


spectaculaire des techniques conquises en studio dans l’année écoulée. » (151).

et, en même temps, de le faire évoluer par le contact avec le public.

« Le progrès d’un art implique un artiste.

Qui ne peut se parfaire qu’en soumettant son travail à des juges suprêmes,
c’est - à - dire au public. »(152)

Néanmoins, la recherche en studio est devenue par la force des choses son activité
principale, recherche des moyens qui lui permettraient d’aboutir au mime corporel et à la
formation des acteurs capables de lui donner corps; Thomas Leabhart nous explique:

« Pour Decroux, la recherche a eu toujours la priorité sur le spectacle.


Généralement, ses spectacles sont sortis nécessairement du travail en studio car, la
seule façon pour lui d’avoir des acteurs capables de réaliser ses conceptions
scéniques a été de les former. De la même façon qu’il n’y avait pas des danseurs
« Graham » avant que Martha Graham ne les forme, il n’y avait pas non plus des
mimes « corporels » avant que Decroux ne les forme » (153).

ou non, arguments de spectacles et textes de présentation fourniraient certainement la matière de plusieurs ou-
vrages.»
André Veinstein, Dans la Préface de: Étienne Decroux, Paroles sur le mime, op. cit. page 10.
Voir dans les Annexes le liste des dossiers du « Fonds Decroux» de la Bibliothèque de l’Arsenal à Paris.
151 Étienne Decroux: Paroles sur le mime, op. cit, page 87.
152 IbIdem, page 182.
153 Thomas Leabhart: Modern and Post - Modern Mime, op. cit. page 58. (Nous avons traduit de l’anglais)

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Pendant notre collaboration avec Corinne Soum et Steven Wasson, nous avons eu
l’occasion de lire des textes de Decroux concernant cette recherche. Ils témoignent des
problèmes rencontrés pour traduire corporellement les ressorts du jeu dramatique, de ceux
posés par la formation de ses acteurs, et des solutions qui l’ont conduit à la conception de sa
«gymnastique» et celle de la pédagogie nécessaire à son intégration dans un tout artistique
cohérent.

« Je fus forcé d’analyser les figures que je proposais aux élèves pour qu’ils
puissent les refaire.

Peu à peu, j’édifiais non seulement une doctrine mais une pédagogie. » (154)

« Enfin, d’une façon générale, j’ai voulu qu’entre ce que j’enseigne et ce que
l’on peut voir sur scène, il n’y ait point cloison étanche. » (155).

Nous utiliserons pour notre exposition des extraits de certains des textes cités, des
interviews de Decroux faits par d’autres auteurs et quelques unes de ses conférences,
enregistrées à son école entre 1978 et 1983, en faisant des aller - retours parmi ces documents
en dehors de leur stricte linéarité temporelle. La cohérence de l’oeuvre de Decroux est assez
solide pour nous permettre ce traitement.

Deux bilans.

Des sources consultées, il nous semble qu'à deux moments précis de son travail,
Decroux à fait une pause, si non dans l’action, au moins dans la réflexion. Pauses
suffisamment importantes à ses yeux pour en faire la mention écrite.
En 1945, après quelque 20 ans de recherches et d’expérimentations quasi sécrètes, le 27
juin, Decroux présenta à la Maison de la Chimie une «Séance de Mime corporel» sous la
présidence honoraire de Gordon Craig (qui assiste) et celle effective de Jean Dorcy. Spectacle
qui marque pour le Mime corporel son « baptême public et premier grand succès de Decroux
mime»( 156), plus de mille personnes composent son public.

Pour cette soirée, où « l’art decrousien dévoile surtout ses sommets»( 157) et où
« s’agit de prouver que le Mime est un art»( 158), en plus des titres de la partie spectaculaire et

154 Étienne Decroux: «Autobiographie d’Étienne Decroux», Dossier n° 42 « début 1950», page 5. Fonds
Decroux, Bibliothèque de l’Arsenal à Paris.
155 Idem: Dossier 20 «1944, 10 bissuite», page 20, Fonds Decroux, op. cit.
156 Marco de Marinis: Mimo e teatro nel Novecento, op. cit. page 12.
157 Guy Benahim: Le mime corporel selon Étienne Decroux, op. cit. page 120.

50
de ceux des conférences données par lui - même et par Jean Dorcy, Decroux a fait imprimer,
dans le postface du programme, une chronologie intitulée «Bilan». Dans cette chronologie,
nous pouvons voir l’intention qu’a Decroux de soumettre son travail au jugement du public,
d’inviter ce même public à faire une sorte d’analyse de sa démarche et de ses résultats.

L’article de Gordon Craig: « Enfin un créateur au théâtre issu du théâtre», lui donne
une réponse plus que encourageante,

« Nous assistions à la création d’un alphabet - un A. B. C. de Mime : ou, si


vous refusez d’admettre le mot ``création’’, disons ``redécouverte’’ […] car
redécouvrir n’est - il pas le maximum que nous puissions accomplir ?.

On dit qu’il se révélera comme le maître du mime je considère que ce titre lui
est déjà dû » (159).

Suite à cette soirée et à l’article cité, une série de tournées en Europe et en Israël se sont
enchaînées de 1946 à 1957 et l’ont amené à confronter son art avec des publics et des critiques
divers tout en créant des nouvelles pièces et en développant sa gymnastique et sa pédagogie.
En 1953, Decroux fait une autre sorte de bilan où, tout en reconnaissant la prolifération
du mime, regrette qu’en fait

« Parfois, les adeptes lointains de ce mot (mime) ne devaient qu’exhumer la


pantomime ancienne.…

Parfois, il s’agissait d’un mime ayant en soi de la valeur, mais qui


intervenait dans une pièce dont l’auteur n’avait en rien prévu une telle
intervention, et dont la pièce ne pouvait qu’en souffrir. » (160).

il est conscient que pour l’observateur externe, l’image du mime ne correspond pas à celle
qu’il voulait en donner.

« Si bien que constatant avec plaisir l’expansion d’un désir de mouvement, je
regrette d’en constater aussi la sénilité précoce. » (161)

Néanmoins, ce bilan de la mi - parcours n’a guère entamé sa détermination

« Si j’avais suivi les conseils (de la critique), j’aurais renoncé : à dire toutes
les syllabes d’un vers, au choeur parlant, à l’art du mime corporel en bloc, et, en

158 Ibidem.
159 GordonCraig: «Enfin un Créateur au théâtre», op. cit.
160 Étienne Decroux: Paroles sur le mime, op. cit. pages 87 et 88.
161 Ibidem, page 88.

51
particulier j’aurais abandonne l’Usine, le Menuisier, les Arbres, surtout Chirurgie
Esthétique, dont durant dix années, l’insuccès sur les gens de goût n’eut aucun
succès sur le mien. » (162)

désormais son temps sera consacré sans concession à son objectif.

« Et chaque jour, cependant, je suis en short, le torse nu, continuant à me


prendre au sérieux, à me hâter lentement comme un fou froid. » (163)

En 1978, à l’âge de 80 ans, dans une lettre adressée à Thomas Leabhart, il considère
que sa tâche n’est pas encore fini.

« La longévité a des airs de postérité. Elle donne le temps d’entendre le merci
pour la durée de la passion. Donc merci pour votre merci.

Mon désir qui j’espère, ne me quittera jamais est de ne pas entrer dans la
légende afin de rester dans la lutte. Courage à vous et aux vôtres.

Il reste encore à faire. » (164).

Les origines

Nous écrivions plus haut que Jean Dorcy (165) retient l’année 1924 (166) comme la date
à partir de laquelle, Decroux « ne vit plus - désormais - que pour travailler la mime (sic.)»
(167), n’exerçant la profession de comédien « que pour gagner sa vie».

Or, comment mieux présenter les origines du mime corporel que par ce qu’Étienne
Decroux lui - même a dit?( 168). Pour expliquer sa démarche il invoque plusieurs raisons:
d’abord, il idéntifie dans son propre caractère des prédispositions qu’il trouve déterminantes.

162 Idem:Dossier n° 57 «Mai 1953», page 4, Fonds Decroux, op. cit.


163 Ibidem, page 28
164 Idem: lettre adressée à Thomas Leabhart à l’occasion de la publication du Mime Journal commémorant
son 80ème anniversaire. Dans Thomas Leabhart: The Mime Journal, no 7 - 8, op.cit. (En français dans le texte).
165 Jean Dorcy: A la rencontre de la mime et des mimes, op. cit. page 63.
166 Date de la fameuse séance de la section «A» de l'école du Vieux Colombier, et à laquelle Decroux assista
comme spectateur.
167 Dans sont avant - propos, Jean Dorcy explique : «… on lira : La MIME. Ce féminin indiquera le genre,
l'oeuvre, l'art: le masculin, lui, désignera l'agent d'action…».
168 Étienne Decroux: Paroles sur le mime, op. cit, pages 8 à 29 et 29 à 34.

52
En tant que matérialiste, il aime l’oeuvre concrète, fruit de l’effort et de l’esprit. Les
idées commencent à l’intéresser à partir du moment où elles se manifestent matériellement. —
«L’esprit ne vaut que filtré par la pierre» — dira - t - il.

Il aime le mime, il se sait doué.

J’aurais voulu être sculpteur …. J’aurais voulu être poète J’étais fait pour
aimer le mime …. J’étais doué. Imiter m’est facile et m’amuse. Mes muscles sont
forts, ils sont souples. J’ai du rythme …. Je dessine dans l’espace comme si je me
voyais. J’analyse aisément et j’explique aisément. J’étais donc fait pour faire et
démontrer

Son amour de la poésie et son admiration pour la sculpture conditionnent d’une façon
déterminante ses choix par rapport au mime. Il désire que l’acteur, en acceptant l’artifice de la
versification — «sculpte l’air et fasse sentir où le vers se commence et où il se finit».

« Le corps est un gant dont le doigt serait la pensée.

Pensée, poussée, pouce et pincée qui sont presque homonymes, sont presque
synonymes.

Notre pensée pousse nos gestes ainsi qu’un pouce de statuaire pousse des
formes ; et notre corps, sculpté de l’intérieur s’étend.

Notre pensée, entre son pouce et son index, nous pince le revers de notre
enveloppe et notre corps, sculpté de l’intérieur, se plie.

Le mime est à la fois statuaire et statue… » (169)

Se vouer à une image


Cependant, tout n’est pas venu de lui, il considère que pour se résoudre à servir l’idée
du mime corporel, il ne suffit point de l’avoir en soi. Decroux nous explique que pour se vouer
à l’image de cet art, il avait du aperçevoir cette image auparavant. Pour lui, le mime corporel
existait déjà, il s’est simplement révélé à lui en trois phrases.
Au café - concert où, à l’âge d'onze ans, il avait vu un numéro que l’avait marqué.

"… Malgré que ce numéro fût schématique, dépourvu d’une moralité, eût eu
des personnages sans épaisseur, l’espèce en appartenait au mime corporel.  » (170)

169 Ibidem, page 30.


170 Ibidem, page 31

53
Un peu plus tard, Il a été impressionné par Georges Carpentier, jeune boxeur qui par sa
« vigueur et grâce, force élégance, fulgurance et pensée, goût du risque et sourire» marquait
l’horizon sportif. Georges Carpentier était bien loin de se douter « qu’il fut l’image motrice»
du mime corporel (section tragédie).

Enfin, Jacques Copeau. Une des études de l’École du Vieux - Colombier consistait à
jouer sans paroles, le visage couvert, le corps presque nu, de petites pièces dont un bon nombre
étaient pathétiques.

"C’est en 1923, à l’école du Vieux - Colombier de Jacques Copeau, que


m’apparut le mime corporel. L’essentiel de cet art y était. Il restait à l’enrichir de
lois divisionnaires, à en étendre la destination, à la limiter"(171).

"L’idée d’un art de représentation par mouvement du corps, abritant sous


son vaste toit, non point exclusivement ce qui fait rire, mais aussi ce qui doit
susciter terreur, pitié et songe, … était déjà trouvé, son application était déjà faite à
l’École du Vieux Colombier.

"Je n’ai inventé que d’y croire"(172)

Pour Decroux, cet art avait mieux à faire que d’en compléter un autre, pouvant
« devenir suffisant par lui - même, supérieur au théâtre et égal à la danse», il fallait l’édifier.

Les idées du départ, les premiers fondements

Decroux et l’art de l’acteur


Notre discours sur ce point empruntera un chemin particulier avec l’intention de mettre
en évidence des dimensions du travail et de la démarche de Decroux que nous avons peu, ou
pas de tout, vu traitées ou relevées dans les ouvrages consultés. Ces aspects nous semblent
assez significatifs pour être signalés d’une façon particulière, par la lumière dont ils éclairent
notre étude:
• l’attachement foncier de Decroux à la doctrine esthétique de Gordon Craig
comme la base sur laquelle il a construit la sienne et

171 Ibidem, page 87.


172 Ibidem, page 33.

54
• la base biologique concernant la qualité de l’effort musculaire (qu’il appelle
«nature musculaire») et sur laquelle le mime corporel s'érige comme «art de
l’acteur».
Au départ de sa recherche, Étienne Decroux s’appui sur l’idée qu’il se fait du mime, sur
un bagage de connaissances relatives à l’art corporel qu’il a apprises au Vieux - Colombier et,
surtout, sur une forte expérience du travail physique acquise dans sa jeunesse(à 25 ans il a fait
trente - six métiers manuels).
Dès le début il se livre à une profonde réflexion sur l’art du comédien, il cherche à
trouver les sources profondes de l’expression dramatique, sa voie c’est «le corps». C’est en
effet par une incessante épreuve physique qu’il édifie ce théâtre, dont le moyen d’expression
est le corps de l’acteur.

« J’ai étudié l’art du théâtre comme pas un. Dans les livres je devins fourmi,
dans la pratique je fus charron. » (173)

Parallèlement, il a fait avec succès une carrière d’acteur du «parlant» (théâtre, radio et
cinéma) pendant 20 ans. Decroux connaît de l’intérieur les rouages de la profession, mais il
déplore l’état dans lequel se trouve le théâtre malgré les efforts de Copeau, Dullin, Jouvet,
Artaud, Barrault, etc. Il le voit plongé dans le réalisme, autant dans l’action dramatique que
dans l’exposition de la personne, avec ses manques et déficiences, en détriment du jeu de
l’acteur.

« J’ai joué sous la direction indirecte de Prévert, je veux dire, sous la


direction directe de Pierre Prévert, bien sûr. Ca marchait très bien, je n’avais pas
en lui l’homme qui invoque la réalité, on avait un point commun, c’est que nous
étions ‘antiréalistes’. On voulait jouer ce qui se passe à l’intérieur d’une âme, et
cætera.

Pareil quand j’ai joué sous la direction d’Antonin Artaud c’était pareil. Lui
aussi était antiréaliste, il était aussi dans le jeu.

Et ce n’est pas peu dire, parce que vous avez des personnes dans tout ce vaste
mouvement qui sont antiréalistes pour ce qui est de la littérature, de la peinture, de
la statuaire, et quand il s’agit de l’acteur, ça y est ! ils retombent dans un réalisme
qui rappelle l’époque d’Antoine ou de Stanislavski. » (174)

173 Idem: «Autobiographie d’Étienne Decroux», Dossier n° 42 «début 1950», page 5. Fonds Decroux,
op.cit.
174 Étienne Decroux: Conférence du 19 / 05 / 78 à son école. op. cit.

55
Dans la lettre ouverte qu’il a adressé à Gaston Baty en 1942, il exprime ce qu’il
reproche au théâtre en expliquant:

« Pour un peu, le théâtre ne serait un art puisqu’il évoque la chose par la


chose même : l’obèse par un obèse, la femme par une femme, le corps par un corps,
le verbe par le verbe, l’exhaussement par l’exhaussement, le déplacement par le
déplacement, le volume colorié par le volume colorié…

…Une infirmité d’un acteur y devient un spectacle qui nous cache le vrai.

Et parmi ces infirmités, il faut compter le charme d’une actrice, la beauté


d’un acteur qui se posant sans bruit entre jeu et public nous troublent le
jugement. » (175)

Il trouve que la doctrine exprimée par Gordon Craig au début du siècle, contient des
postulats encore valables pour régénérer le Théâtre; l’opposition au réalisme dans l’art,
l’intention de muer le théâtre en art original. Il partage avec Craig le principe selon lequel — le
plateau, au lieu d’être une maison de tolérance, du fait qu’elle est de rendez - vous pour tous
les arts, devrait être avant tout le tremplin du mouvement.

Decroux, dans Paroles sur le mime, signale les ressemblances entre le mime corporel et
la doctrine esthétique de Craig. Au moins, une ressemblance par le désir. En ce qui concerne
l’acteur, il fait une analyse qui relève les points suivants:
Premier, lorsque l’acteur joue, son esprit doit exploiter son émotion et non son
émotion exploiter son esprit. L’état d’ivresse n’est pas recommandable
surtout en oeuvre d’artifice.

Deuxième, le style et le symbole sont le propre de l’art.


Troisième, l’acteur doit savoir son métier avant de paraître sur scène. Ce n’est pas
en public qu’il doit se faire la main et son apprentissage devrait durer six ans.
Quatrième, l’acteur de tradition expose les explosions de sa personne intime et cela
devant tout le monde: ce qui est impudique.
Cinquième, l’acteur doit s’inspirer des méthodes employées par les autres artistes.
Sixième, l’acteur doit aussi bien repousser les conseils de ces autres artistes
lorsqu’ils pénètrent sur la scène afin de la coloniser.
Septième, les lois du théâtre restent à trouver. Ce qui presse c’est leur découverte
et non pas les «essais» au petit bonheur de la pensée.

175 Idem: Paroles sur le mime, op. cit. page 46.

56
Decroux relève aussi du jugement exprimé par Craig que le jeu de l’acteur est
insuffisant parce que réaliste et plus sonore que visuel, c’est pour résoudre cela qu’il souhaite
que son jeu ait du style et soit plus visuel que sonore. Mais Craig en considérant que le corps
est incapable d’obéir à la commande de l’esprit et qu’on ne peut pas compter sur lui pour
engendrer la poésie du drame, propose que l’acteur soit remplacé par une marionnette idéale.
Decroux accepte l’idée de la marionnette idéale, et à la place de Craig il désire la
naissance de cet acteur en bois, il la voit:

« Physiquement grande, suscitant par l’aspect et le jeu un sentiment de


gravité et non pas de condescendance.

Elle ne doit faire rire ni attendrir comme le font les ébats d’un enfant en bas
âge.

Elle doit inspirer la terreur et la pitié, et de là, s’élever jusqu’au songe. » (176)

En élargissant l’intention de Craig de donner à l’acteur pour compagnons, des éléments


externes mieux conçus, tels que: costume, éclairage, construction scénique, texte, etc., il
ajoute qu’il faudrait bien que l’acteur servi par tous ces éléments mieux conçus soit, lui -
même mieux construit.

Sa recette: « rendre l’acteur Robinson Crusoé»( 177), le placer sur scène sans autre
recours artistique que lui - même.
Enfin, quand Craig au milieu de ses contradictions affirme que cette idée de substituer à
l’acteur la marionnette dont il parle n’était qu'une image de combat, et à laquelle il n’a jamais
cru très sérieusement, Decroux se pose la question:

« Si Craig ne veut pas d’acteur traditionnel, pas de marionnette, pas d’acteur
corporel : avec quoi allons - nous jouer ? »  (178)

A son avis — l’acteur corporel peut être la réponse, en considérant que lorsque Craig
affirme l’impuissance du corps, il ne pense qu’aux difficultés certes grandes mais
surmontables éprouvées par le corps lorsqu’il tente d’obéir aux commandes de l’esprit.

Pour Decroux, si la marionnette est au moins l’image de l’acteur idéal, il faut essayer
d’acquérir les vertus de la marionnette idéale. Il propose pour les acquérir, de pratiquer une
gymnastique adéquate à cette fonction. Or selon lui, — cette gymnastique est le mime
corporel.

176 Ibidem, page 24.


177 Ibidem, page 24.
178 IbIdem, page 21.

57
Encore, cet instrument cher à Craig, il faut le construire et déterminer la nature de son
jeu. La doctrine de Craig aurait bien des chances de s’appliquer un jour.

« N'est - il pas évident que le terrain sera sérieusement déblayé le jour où la


pratique du mime dit corporel sera devenue savante, puisque les mouvements de
celui - ci se laissent déjà aspirer par les lignes cardinales de la géométrie. » (179)

En se posant la question s’il a bien compris Craig, Decroux se dit: peu importe, ce qui
compte c’est ce que suggère le courant central de sa pensée, et que celle - ci se condense
quelque part. Le mime corporel, selon lui, répond bien aux revendications de Craig, voici
comment:

1. Pour découvrir les lois du théâtre,


— Y a - t - il une méthode plus scientifique que celle qui déshabille l’acteur
afin de voir ce qu’il en reste? qui consiste d’abord et ceci pour longtemps à
le priver de tout ce qui n’est point son être: décor, costume, accessoires,
texte? Lorsque l’acteur, livré à lui - même, aura découvert ce qu’il peut et ce
qu’il ne peut vraiment pas, ne verrons - nous pas mieux quel rôle jouaient les
choses que l’on a supprimées? et donc dans quelle mesure, et aussi pour
quelle fin, il faut réintégrer ce qui fut congédié?
2. Concernant la maîtrise de l’émotion
— Quand l’acteur entreprend de s’exprimer en lignes de scrupuleuse
géométrie, au péril de son équilibre, souffrant ainsi dans sa chair et cela dit
sans métaphore, il est bien obligé de retenir son émotion, de se comporter en
artiste; artiste du dessin.

3. La pudeur sur scène


— Le visage seul est impudique puisque lui seul révèle notre personne
intime, ce que nous sommes. Le corps, lui, a la faculté de tracer dans l’espace
des lignes grandes qui distraient de celles de notre forme. Ainsi substitue - t -
il au dessin que nous sommes celui que nous voulons.
4. Atteindre le style et le symbole
— Il suffit dans un cadre nu, vidé de parole, vidé de musique, d’être nu soi -
même pour que style et symbole deviennent obligatoires: eux seuls habillent.
Le public n’admettrait jamais qu’un homme dépouillé de vêtements se
comportât comme un monsieur. Le comique serait indécent.
5. Remplir le besoin de visualité au théâtre

179 IbIdem, page 24.

58
— Comment s’en dispenser quand on ne donne que cela?
6. Promouvoir l’apprentissage prolongé avant de jouer
— Ce qui révèle notre impréparation lorsque celle - ci a lieu c’est qu’elle
provoque une chute physique qui nous protège d’une chute morale. L’acteur
devenu seul devine vite ce qu’il vaut et appréhende la fin de son
apprentissage.
7. Pour ce qui est de s’inspirer de la méthode des autres arts
— Nous nous informons des faits et gestes d’ordre technique d’un Rodin,
d’un Maillol, d’un Ingres, d’un Signac; et aussi d’un Boileau, d’un Banville
et d’un Edgar Poe, non point par curiosité pure, mais pour en faire notre
profit.
8. Tout en se méfiant des autres artistes lorsqu’ils veulent aider le théâtre sans
se faire naturaliser.
— Le stade de cette méfiance n’est - il dépassé quand on est seul sur scène?
Comment ne pas voir dans ces derniers extraits, exprimée clairement, l’intention de
Decroux d’associer son idée première du mime corporel à la doctrine esthétique de Craig?
(même si ce texte( 180) date de 1947, n’oublions pas qu’il a toujours considéré Gordon Craig
comme «son patron»).
C’est la raison pour laquelle nous avons extraits ces citations presque sans altération de
Paroles sur le mime . Il nous semble que l’importance que Decroux donne à cette association,
en les plaçant dans le chapitre dédié aux sources du mime corporel, justifie qu’elle soit mise en
avant.
Revenons en 1945; dans la soirée de la Salle de la Chimie, comme partie des
conférences destinées à être lues, il en avait préparée une qui justifiait son rattachement à une
doctrine en art. Voici un extrait de l’introduction (laquelle finalement n’a pas été lue):

« Certains esprits contestent qu’il y ait à raisonner sur l’art que l’on
pratique. Pourtant les grands artistes ont assez souvent laissé trace de leur
méditation sur l’esthétique. Le Lénine qui a dit : « Il vaut mieux faire la révolution
qu’écrire à son sujet. » a dit tout aussi bien : « Pas d’action révolutionnaire sans
théorie révolutionnaire ».

L’avantage d’une doctrine est de constituer un cadre d’investigation. Elle est


quant à la fabrication de l’oeuvre d’art, une canalisation de la pensée, un alambic.

180 «Gordon Craig» dans le chapitre consacré aux sources du mime corporel, dans: Étienne Decroux: Pa-
roles sur le mime, op. cit. pages 19 à 25.

59
Elle restreint l’activité créatrice en largeur et l’accroît en profondeur. Elle est ainsi
féconde.

Mais elle a un autre avantage : elle protège de la décadence parce qu’elle nous
avertit de son imminence. Un poète sans théorie finirait par écrire en prose. Et si
les clowns célèbres en avaient eu, on n’aurait point vu ces artistes déchoir de leur
première manière pour glisser vers l’usage d’accessoires amusants pouvant nous
amuser sans les clowns en question.

Une doctrine n’a d’ailleurs besoin d’être vraie. Telle qu’un problème
imaginaire permet une solution, telle qu’une règle de jeu permet un jeu ; une
théorie en art nous permet une manière. » (181)

Est aussi significatif, le titre de la conférence lue par Jean Dorcy à cette occasion,
laquelle dégage le lien doctrinal «de Craig à Copeau, de Copeau à Decroux, de Decroux à
Barrault».
Decroux a longtemps mûri les postulats de sa doctrine. Tout en partant de ceux de
Craig, en 1940, il expose, dans sa réponse au questionnaire de l’association «Jeune France»
concernant une subvention pour l’ouverture de sa première école, ce qu’il appelle: «Nos deux
doctrines théâtrales»

« Première :

Art de l’acteur seul

L’acteur est le seul créateur d’émotion

Pour qu’il y ait création, il faudrait qu’il y eût synthèse ou métaphore.

Par les gestes et les sons dont il s’agit, on crée.

Par le visage, on re - présente ce qu’on vit dans le réel.

Cela explique que soit qualifié de corporelle la pantomime que nous


préconisons.

… Tous les éléments étrangers à l’acteur ; parole, costumes, maquillage,


perruques, accessoires, décor, musique, danse ; lesquels chassés du plateau en tant
qu’art, c’est - à - dire en tant que facteurs d’émotion, y reviennent comme sous -
titre ou facteur d’orientation.

181 Étienne Decroux « Mime corporel et ancienne Pantomime», Conférence lue à la Salle de la Chimie le 27
juin 1945, Dossier n° 21 «27 juin 1945», page 3. Fonds Decroux, op. cit.

60
… Ces éléments non artistiques s’abstiendront donc de créer l’ambiance.

Deuxième :

Notre conception théâtrale essaie, on le voit, de reposer sur le bon sens : ne


produire sur scène que ce qu’on ne saurait goûter ailleurs.

— Notre besoin profond est de poétiser le théâtre —

Synthèse artificielle

Si l’acteur reproduit cette synthèse par imitation ou par inspiration il se


comporte en réaliste. Il y a mieux, c’est de perfectionner chacun des éléments
comme s’il aspirait à une vie propre puis à les synthétiser ensuite deux à deux
jusqu’à ce que tous rentrent dans la synthèse. De la sorte, on a une chance de
découvrir la synthèse des éléments stylisés au préalable ou synthèse
artificielle. (182)

Plus tard, en 1951, dans ses écrits consacrés à sa pièce «Petits soldats», qu’il considère
comme la préfiguration du théâtre du futur, il expose un résumé.

« Doctrine :

Le théâtre ne sera digne de ce nom que lorsque celui qui agit refusera d’obéir
à celui qui écrit.

D’abord, il faut improviser sans même savoir sur quoi.

Ainsi : trouver un thème, puis un second, puis un troisième.

Il faut donc agir pour penser.

En mettant en ordre logique les idées rencontrées en bougeant, une pièce se


dessine sans qu’aucun mot n’ait gâché le silence.

On découvre l’utilité de la parole en s’en passant.

On verra qu’elle sert à quelque chose et qu’elle ne sert pas à grand’ chose.

Peu à peu, de dizaine d’années en dizaine d’années, un art dramatique


réellement nouveau s’élèvera comme un arbre s’élève, avec la même lenteur, avec la
même richesse, aussi durable.

182 Idem: Dossier n° 9 «1940, 3 bis», pages 3 et 6, Fonds Decroux, op. cit.

61
J’ai fait. D’autres feront mieux, indéfiniment. A la condition toutefois que
j’ai fait assez bien pour suggérer qu’on puisse faire mieux. » (183)

La nature du jeu musculaire


Nous avons vu plus haut, lorsque nous parlions du texte de Decroux sur la doctrine de
Gordon Craig, qu’il écrivait à son tour: — Encore, cet instrument cher à Craig, il faut le
construire et déterminer la nature de son jeu(voir page 58).

En ce qui concerne la construction de l’acteur corporel préfiguré par la marionnette


idéale, il dit qu’il faut essayer d’acquérir ses vertus. Il propose pour les acquérir, de pratiquer
une gymnastique adéquate à cette fonction: le mime corporel.

Après avoir défini le théâtre comme «l’art de l’acteur»( 184), Decroux va plus loin en
considérant que la caractéristique principale de l’art dramatique se trouve dans la nature même
du jeu musculaire de l’acteur, qui lui s’inspire du jeu musculaire du travail.
Notons ici que pour Decroux, le «travail» n’est pas seulement lié à l’idée de
production économique mais comprend toute activité dont la qualité de l’effort engagé est
déterminée par l’attention que porte le sujet sur son résultat.

« Quand je dis que le mime (le mien) fait le portrait du travail, c’est du
mouvement musculaire que je parle, non du sujet traité.

Le lecteur peut croire que mon mime ne se propose que de jouer les métiers,
alors que par exemple je classe le flirt dans le travail, lequel occupe presque toute
notre vie : surgissement de problèmes, essai de les résoudre, incapacité de
jouir du présent » (185).

« Or, personne n’y échappe (au travail).

Dans le plus éloigné des cas : l’amoureux, pour séduire, le désoeuvré, pour se
distraire ; le jouisseur, pour régler le mouvement du plaisir : on travaille.

183 Idem: Dossier n° 42 «début 1950», page 7. Fonds Decroux, op. cit.
184 «…la définition ne comporte pas d’autres propriétés que l’essentiel et l’essentiel reste sans exception le
propre de la chose. Or, tous les arts hormis celui de l’acteur ayant cessé leur service au moins un instant, aucun
n’est donc l’essentiel du théâtre.
En d’autres termes : aucun ne peut entrer dans sa définition.
Il reste à trouver la forme logique de cette dernière que nous exprimerons substantiellement comme ceci:
Le théâtre c’est l’art de l’acteur.»
Étienne Decroux: Paroles sur le mime, op. cit. page 41.
185 IbIdem, page 79. (Nous avons souligné en caractères gras).

62
L’effort est partout.

Et aussi cette vertu qui rend supérieur l’homme :

la maîtrise. » (186).

De cette caractéristique et des postulats de sa doctrine découle la principale ligne


directrice de ses recherches.

Les objectifs
Voulant faire de l’acteur le seul facteur d’émotion sur scène, et que celui - ci n’en
produise que ce qu’on ne saurait goûter ailleurs, le premier et plus important des objectifs de
Decroux cherche à redonner au jeu de l’acteur sa nature musculaire. Il insiste surtout sur le fait
que pour la reconquérir, l’acteur doit se former, tout doit commencer par lui.

« …je suis convaincu que tout pèche par la base et non par le sommet.

Tant que les socles des statues seront penchés, les statues, pour rester sur
leur socle penché, devront se faire tordues.…

…Voyons pourtant ce qu’il faut faire.

Tout doit partir de l’acteur.

Le futur médecin n’apprend pas la médecine dès l’abord mais, mathématique,


physique, chimie, histoire naturelle et seulement après, la médecine. Lorsqu’il est
enfin apte à soigner les malades, il a trente ans…

…l’aspirant comédien n’apprendrait pas d’abord à jouer l’art chinois,


japonais, commedia dell’arte ou l’esquisse moderne et occidental de ces choses.

Prenant modèle sur les futurs instrumentistes qui n’apprennent pas d’abord
la neuvième symphonie, il apprendrait pour commencer, une gymnastique
particulière dont l’assimilation le mettrait en état ; de faire ce qu’il veut,
de savoir ce qu’il fait, d’inventer ce qu’il faut.

Donc de jouer du corps comme on joue du piano.

Le style une fois acquis dans les actions courantes, il apprendra la jonglerie
en veillant à ce que cette lutte ne l’incite pas à oublier le style conquis.

186 Idem:«Présentation verbale du spectacle donné à Milan au Piccolo Teatro le 7 mai 1954», Dossier n° 61,
«7 mai 1954», page 17. Fonds Decroux, op. cit.

63
Nul n’est doué en suffisance pour paraître sur scène en artiste du corps sans
cette préparation. » (187)

Or, cette préparation n’existe pas, ce n’est pas dans les conservatoires où la formation
corporelle de l’acteur à pris parfois une petite place en tant que cours annexe dans un cours
essentiel; cours annexe et facultatif, à travers lequel les futurs comédiens pourront participer
directement au renouveau du théâtre poursuivi par Decroux, celui - ci;

« …vise essentiellement la regénérescence de l’acteur qui, pour lui


(Decroux), est inférieur parce que sa profession n’est pas métier et, partant, pas
un art. L’acteur, dit - il, « expose » son intelligence, son charme, son génie. Mais
cela ne fait pas un art ; c’est de la figuration de choix. Seuls, le mime et le respect
du vers codifié sont susceptibles de rendre à l’acte de l’acteur sa valeur
humaine. » (188)

Les objectifs de Decroux en édifiant le mime corporel sont de donner aux futurs acteurs
la possibilité d’acquérir le style dans les actions courantes, d’être en état de faire ce qu’ils
veulent, de savoir ce qu’ils font, d’inventer ce qu’il faut tout en jouant du corps comme du
piano, et de ce que l’exercice de leur profession soit enfin un métier d’art.

Propositions pour les atteindre


Dans les textes concernant la pièce «Petits soldats», Decroux explique ce qui a été son
point de départ:

« Si une idée heureuse à jailli de cette troupe ce fut au début de sa marche :
quand il fut décidé que pour discerner l’essence du théâtre et, seulement
ensuite, sa richesse, l’acteur serait mis nu devant mur nu, sur plateau nu,
dépourvu d’accessoires, visage voilé, muet, entouré de silence.

Il s’agissait de dépouiller l’adjectif "dépouillé" de son manteau de métaphore.

S’il y eut génie, ce fut d’ainsi continuer pendant vingt ans sans se laisser
séduire par des voies plus rentables,

de compléter Buffon par cette nouvelle maxime :

187 Idem: Dossier n° 57 «Mai 1953», pages 12,18 et 19, Fonds Decroux, op. cit. (Nous avons souligné en
caractères gras).
188 Idem: Dossier n° 28 «26 juin 1946 - 17 mars 1947», page 3, Fonds Decroux, op. cit.

64
‘La patience est un long génie’. » (189)

« Cette équipe érige un acteur nouveau

Non par l’âme : par le corps d’abord, par le corps ensuite, enfin par le
corps.

Les hommes eussent deviné que de tous les instruments, le corps est le plus
riche si la paresse physique de ceux qui pensent ne leur eut interdit d’apprendre à
en jouer. » (190)

Les contraintes inhérentes au choix du corps - en - action comme la base pour le


renouveau du théâtre ont amené Decroux à enrichir, en cours de route, sa doctrine d’une série
de principes qui définissent son cadre d’application tout en prenant en compte la nature
musculaire propre au jeu dramatique.
Ces principes, véritables directives d’encadrement du jeu corporel de l’acteur, ont entre
autres, la finalité de le faire sortir du réalisme,

« Ayant vu tant de choses dans la réalité, de choses de l’esprit et du corps, si


je vois sur scène que la masse du corps suit les mouvements de l’âme, je reçois la
double impression du déjà vu et de non encore vu. » (191)

de préserver le mime corporel des dérives possibles,

« … puisque dans notre art le corps de l’homme est la matière, il faut que ce
soit lui qui imite la pensée. » (192)

« Il ne peut déléguer le visage à cette fin car celui ci, parce que exempt de
poids et de danger ne peut prouver la force de l’âme. » (193)

ou de lui fixer sa destination.

« Que demandai - je pour que l’acteur que l’on entend parfois et que l’on voit
toujours, s’allonge en mime ?

189 Idem:Dossier n° 2, s / d, «Explication de l’art de l’acteur», page 9, Fonds Decroux, op. cit. (Nous avons
souligné en caractères gras).
190 Ibidem, page 10 (Nous avons souligné en caractères gras).
191 Idem: Paroles sur le mime, op. cit. page 103.
192 IbIdem, page 114
193 IbIdem, page 116

65
Que le mouvement qu’il tasse contre un mur ou qu’il commence, il l’épure et
le continue sans pourtant en changer la nature musculaire, qu’il tende jusqu’au
bout son arc et accorde à sa flèche le droit de s’envoler. »  (194)

« Notre mime qui tente d’évoquer par l’exclusif mouvement du corps la vie
mentale sera, s’il y parvient, un art complet. » (195)

Parmi ces principes, nous en trouvons quelques uns qui s’érigent, de façon évidente, en
exigence de nature physique:

« Dans notre mime corporel, la hiérarchie des organes d’expression est la


suivante : Le corps d’abord, bras et mains ensuite, enfin, visage. » (196)

« Ce que j’appelle le tronc, c’est tout le corps, y compris les bras et les
jambes… pourvu que ces bras et ces jambes ne se meuvent qu’à l’appel du tronc et
prolongent sa ligne de force comme une corde molle a fini par se tendre quand on a
projeté la pierre attachée à son bout. » (197)

« La masse du corps, nous l’avons vu, a pour mission - privilège d’être en
état :

soit de s’installer dans l’instable,

soit, s’il s’agit d’un arrêt court en équilibre instable, de tenir celui - ci de telle
sorte que le public soit persuadé que la dite masse du corps est en puissance de
s’installer dans le dit équilibre. » (198)

Ces principes, parmi d’autres, constituent une partie des indications de Decroux qui
dans la pratique sont matérialisés par sa «gymnastique», base de la technique de l’acteur.

« La technique de la scène est quelque chose de plus que l’habitude de s’y
mouvoir. Familiarité n’est pas science. » (199)

Franco Ruffini, dans son allocution lors de la remise du doctorat Honoris Causa à
Decroux à l’Université de Bologne en 1988, signale le rapport concret entre ces principes et la
pratique:

194 Ibidem, page 66


195 IbIdem, page 46
196 IbIdem, page 89
197 IbIdem, page 60
198 IbIdem, pages 108 et 109
199 Idem: Copeau ne peut plus maîtriser le mime qu'il a déchaîné, Dossier N° 14 «1942 7», page 3. Fonds
Decroux, op. cit.

66
« La ‘science du théâtre’, les ‘principes de théâtre’ ont une mauvaise presse
notoire. On voit là un risque d’abstraction, que tout le pragmatisme de ceux qui
font du théâtre ne réussit pas à dissiper. Tant il est vrai que souvent les paroles de
ceux qui font du théâtre sont lues comme des métaphores : comme les
cryptogrammes de principes ésotériques et non, au contraire, comme la formulation
difficile de principes pratiques.

Pour nous tenir à Decroux : son principe de la primauté du tronc par rapport
aux autres parties du corps n’est pas un principe esthétique ni ésotérique ; c’est
seulement le principe pratique qui sert de base à l’acteur pour contrôler son énergie
et qui, en tant que principe pratique, se retrouve dans de nombreuses autres
cultures théâtrales. Le principe de ‘malaise’, lui aussi, n’est pas un principe
artistique ou ascétique, mais seulement le principe pratique qui permet à l’acteur
de contrôler son ‘artificialité’ sur scène, c’est - à - dire son organicité reconstruite,
fictive dans le sens littéral du terme ». (200)

Développement

Le poids, la lutte, le sport


De son idée de départ, en mettant l’acteur nu, devant mur nu, sur plateau nu, dépourvu
d’accessoires, visage voilé, muet, entouré de silence, en partant de zéro, Decroux cherche
comment l’acteur peut rendre visible, par son seul mouvement corporel, l’essence du drame.

Pour Decroux, le drame est l’abstrait pugilat du libre - arbitre et du déterminisme( 201),
or selon lui, le premier drame en date, c’est la lutte de l’homme contre la gravité terrestre;
«tout pèse», dira - t - il. Toute action a comme base le déplacement d’un poids, en
l’occurrence, si l’acteur est seul sur scène, c’est son corps le premier objet qu’il aura à
déplacer. Voici donc par quoi l’édification du mime corporel a commencé.

La présentation verbale du spectacle donné à Liège le 17 mars 1947, lue par Suzanne
Lodieu, en fait la référence( 202):

« … vous allez voir une chose bien modeste et qui précisément fut une des
premières réalisations d’Étienne Decroux.

200 Franco Ruffini: «Étienne Decroux, un maître», op. cit. page 183.
201 Étienne Decroux: Paroles sur le mime, op. cit. page 83.
202 Idem: Dossier n° 29 «17 mars 1947», pages 6 à 10. Fonds Decroux, op. cit.

67
… ce sont elles qui ont permis à l’artiste d’entrevoir les possibilités de son art
en les composant,…

Dans le tout premier numéro que vous allez voir, il s’agit de mimer bout à
bout, des actions matérielles.

la Marche sur place.

la Marche de l’athlète.

la Course à pied.

Monter et descendre l’escalier.

la Périssoire.

Grimper à l’arbre.

Suggérer la pesanteur des objets imaginaires.

le Coureur cycliste

deuxième partie :

‘Passants vus d’ma f’nêtre’,

Personnages 1900,

1. le Monsieur du Champ de course.

2. la Dame du Champ de course.

3. l’Employé de bureau.

4. le Jeune paysan.

5. l’Aspirant souteneur.

6. le Lutteur invité en soirée mondaine. Il est en smoking.

7. l’Algérien dans les rues de Paris.

8. Chaussée d’Antin.

Personnages modernes

1. la Femme intelligente

2. la Vedette de la semaine entre deux prises de vue.

68
Autres personnages 1900

le Professeur de boxe

les poids et la lutte

le Bureaucrate

Et voici terminé la série des numéros individuels par lesquels, le Mime


corporel a fait dans notre temps ses premiers pas. »

Ainsi, dans les présentations orales du spectacle donné en Angleterre au cours de l’été
1952, consignées dans les pages 2 et 8 du Dossier n° 54 «Été 1952»:

« Nous avons pensé qu’il pouvait être agréable au public de voir quelques
unes des petites découvertes par lesquelles Decroux débuta dans son art vers 1930.

Bien que ces petites découvertes, au demeurant fort modestes, puissent avoir
en soi un caractère amusant, elles n’étaient destinées qu’à servir d’outil
grammatical à une véritable histoire mimée.

Vous verrez aussi quelques marches illusionnistes.

Sont présentés :

‘l’aviron’

‘le Canoë’

Deuxième partie

‘Le poids sur l’homme’

Parmi les réalisations qui inaugurèrent les recherches de Decroux, toujours


vers 1930, il y eu surtout l’attitude du mime devant un poids imaginaire. »

Nous pouvons voir dans ce court récit les origines de la découverte d’un des
fondements du mime corporel, lequel a tracé une des lignes directrices de la recherche de
Decroux.

La transposition sur scène de cet abstrait pugilat entre le libre - arbitre et le


déterminisme, représentés d’abord, par la qualité de l’effort musculaire de l’homme, ensuite,
par les effets de la gravité terrestre, établit un des principaux fondements du mime corporel: le
contre - poids.

69
Ensuite, l’amplification du conflit l’a conduit à l’affrontement entre personnages, c’est
alors que «le combat antique» a vu le jour. La plupart des récits (même ceux de Decroux)
concernant cette pièce situent sa création à l’occasion de la mise en scène de «Antoine et
Cléopatre» de Jean - Louis Barrault à la Comédie Française en avril 1945. Néanmoins,
Decroux raconte en 1954, dans la présentation verbale du spectacle donné à Milan au Piccolo
Teatro le 7 mai:

« Le Combat antique fut crée à la comédie Française le 25 avril 1945.

Ses deux acteurs étaient Étienne Decroux et Jean Louis Barrault.

Pourtant, son origine réelle remonte à 1931 ; année où Decroux le donna en


soliste. Puis, en 1932, il y inséra un antagoniste réel et ce fut Jean Louis Barrault.

Le mime fit ses premières armes dans le « Combat ».

N’est - ce qu’un jeu de mots ?

Observons que le théâtre chinois n’a guère de pièces sans combat.

Et quel plus simple symbole de la rivalité des hommes que deux combattants
armés du glaive ? » (203)

La recherche de Decroux sur les implications corporelles et dramatiques de la lutte


contre le poids et l’étude approfondie de cette confrontation dans des situations diverses,
extrêmes ou non, l’ont conduit vers le sport.

« Le sport devait être naturellement un sujet tentant pour le mime.

Qu’est - ce que le sport ?

c’est une abstraction du travail.

Depuis le travail de la chasse, de la cueillette préhistoriques jusqu’à celui de


l’artisan ; nous voyons les actions de soulever, de porter, de lancer, de frapper, de
marcher, de courir, de franchir, d’esquiver, et de toucher juste, entremêlées ou bien
se suivant sans arrêt.

Cela c’est le travail.

Or, le sport en est l’analyse.

Il abstrait ou tout au moins isole les opérations du travail.

203 Idem: Dossier n° 61 «7 mai 1954» page 11. Fonds Decroux, op. cit.

70
Pour nous, les hommes, la vue du sport est donc la vue presque artistique de
la lutte pour la vie.

Pour aimer le sport, il suffit de connaître le travail.  » (204)

Cette étude lui a donné les bases pour la transposition dramatique et le développement
technique conséquents et qui, plus tard, sont devenus ce qu’aujourd’hui nous connaissons
comme le style de jeu de «l’homme de sport», modèle d’abstraction du jeu musculaire propre
au travail.

« — Bien qu’elle ne soit pas que de moi, c’est une thèse et je le sens bien.
Voyons pourtant ceci encore : Le sportif ayant en vue la plus grande efficience sur
le monde extérieur, donc de fournir le moindre effort pour le plus grand effet,
rejoint en quelque sorte notre homme de la Nature. Il produit des mouvements qui
dramatiquement beaux par leur rythme et leur force, son laids dans le dessin et ceci
non seulement dans les départements populaires de la boxe, du catch de
l’haltérophilie, mais encore dans ceux, distingués, de l’escrime, du tennis.

Non soucieux de l’efficience, l’artiste - mime pourrait montrer comment il


court, saute, lance, soulève ; et nous verrions alors ce qui peut être fait. » (205)

Sont nés aussi de cette ligne de recherche les pièces, les figures et exercices autour du
sport et du travail accumulés au fil du temps. L’étude de ces matériaux permette à l’apprenti -
mime (l’acteur) de tendre vers la maîtrise de l’utilisation dramatique de son poids corporel et
de la comédie musculaire qui sont à la base du jeu de l’acteur: la marche expressive et les
contrepoids.

De la vie primitive à la Statuaire Mobile


(en passant par la vie médiévale et la vie industrielle)
L’étude du mouvement de l’homme en situation de travail, donna a Decroux l’idée de
considérer qu’un mime devrait pouvoir exprimer les trois âges économiques de l’histoire de
l’humanité( 206).

Il n’est pas étonnant que la première pièce de Decroux «la vie primitive», présentée à
la Salle Lancry avec sa femme en 1931, met en scène la vie de l’homme dépourvu de toute
force extérieure à lui - même.

204 Idem: présentation orale de sport, Dossier n° 61 «7 mai 1954», pages 16 et 17. Fonds Decroux, op. cit.
205 Idem. Dossier n° 20 «1944, 10 bis suite», page 20. Fonds Decroux, op. cit.
206 Idem, dans : J. P. Pagliano et D. Fontanarosa: Profil perdu : Étienne Decroux, op. cit.

71
La même année, il donnera encore « la vie primitive» en y incorporant pour la
première fois Jean - Louis Barrault. Avec sa collaboration, il peut élargir son champ de
recherche. Pendant deux ans, ils se livrent à l’analyse des illusions, à la manipulation d’objets,
et à l’approfondissement du jeu masqué. A la fin de cette période, ils jouent pour Dullin le
«Combat antique», Decroux a finalement trouvé un adversaire réel sur scène.
De 1932 à 1940, tout en faisant évoluer ses premiers numéros il crée «La vie
artisanale», laquelle intégrait «le menuisier» et «la lessive»( 207), son crées aussi: «le
Professeur de boxe» et «l’haltérophile». D’ores et déjà, Decroux est en pleine possession de
son langage.
Deux lignes se dessinent clairement: Nous avons vu plus haut que de la manipulation
du poids et de la représentation des actions matérielles sont à l’origine des pièces ou numéros
concernant la marche, le sport et la lutte, en ce qui concerne l’homme dépourvu de toute force
extérieure à lui même.
Dans le deuxième volet de l’analyse du mouvement de l’homme en situation de travail,
sa pièce «la vie artisanale» (appelée aussi «la vie médiévale») représente l’homme
manipulant des outils dans sa lutte pour dominer la matière. La manipulation évoquée par cette
pièce ouvre la voie de recherche qui a mené Decroux à la représentation de la pensée par le
seul mouvement corporel.
Une des oeuvres majeures de Decroux appartenant à cette dernière ligne, qu’il n’a
pratiquement jamais cessé de faire évoluer, c’est «le menuisier». Si au début cette pièce est le
résultat artistique de l’application de son idée doctrinale de départ et du choix d’un métier
«noble» (208), en tant qu’exemple d’activité économique du modèle de production artisanal,
comme nous pouvons le voir dans la présentation orale qu’il en fait en 1947.

Dans la présentation citée, la pièce «le menuisier» est présentée comme « une
idéalisation du travail du bois»( 209), néanmoins elle a permis à Decroux, surtout, de
concrétiser les résultats des recherches de différentes périodes à mesure de leur développement
tout au long de sa carrière.
Elle contient: les résultats de ses recherches sur les sources du drame;
« L’agression de l’homme contre la matière et la sourde résistance de celle - ci
est le premier drame en date et sera sans doute le dernier. » (210)

207 Ibidem.
208 Inspiré par J. J. Rousseau qui dans l’Émile, choisit ce métier pour son pupille.
209 Étienne Decroux: Présentation verbale du spectacle donné à Liège le 17 mars 1947, Dossier N° 29, «17
mars 1947», page 13, Fonds Decroux, op. cit. (Nous avons souligné en caractères gras).
210 Étienne Decroux: Dossier N° 50, «1er janvier 1952», page 3, Fonds Decroux, op. cit.

72
et la représentation de la pensée, grâce à l’abstraction géométrique dans le mouvement
corporel.

« Le menuisier est le mime abstrait, on joue la pensée, la méditation,


l’hypothèse, l’hésitation. Le menuisier passe par tous ces états et en faisant le
portrait de la matière il fait le portrait de la pensée. » (211)

Bien regardée, cette pièce (avec «la lavandière» ou «la lessive») est non seulement
un pur produit d’une esthétique «decrousienne» tout court, mais un exemple prenant du
cubisme appliqué au mouvement corporel, grâce à l’application soignée de l’analyse
géométrique à sa composition.
En 1940, il fignole toujours son esthétique du mime, s’attardant à la ligne et au rythme
de ses pièces. Selon Jean Dorcy( 212), Decroux arrête a cette époque toute activité
mimique( 213) afin d’interroger sa gymnastique, il découvre alors les vertus de la ligne courbe.
Selon Thomas Leabhart( 214), Decroux abandonne progressivement l’illusion «objective». A
la fin de cette période, il crée «la machine», première pièce concernant la vie industrielle.
Cette pièce et «l’usine», créée en 1946, sont le fruit non seulement de l’application
que Decroux fait des idées que nous avons vues plus haut( 215), mais elles sont en même temps
une exploration à l’extrême et les exemples les plus frappants de l’application, entre autres, de
l’usage du poids et des contrepoids, des différents dynamorythmes, ainsi que de la géométrie
mobile et du principe d’articulation d’«une chose à la fois».

Aujourd’hui, nous retrouvons ces développements concrètement dans le travail scolaire


des «gammes» et des exercices d’exploration de la géométrie intercorporelle et spatiale que
sont à la base de ce que Decroux appele «l’homme de salon».

« l’homme de salon imite la machine parce qu’il imite la raison » (216)

Pour Decroux, la machine est « l’incarnation de la géométrie mobile» , en tant que


manifestation concrète de la pensée.

« … Pouvoir l’imiter, c’est savoir dans quelle mesure on cesse de l’imiter.

211 Idem:Conférence du 4 / 04 / 80 à son école. op. cit.


212 Jean Dorcy: op. cit. page 151.
213 Que veut il dire par activité mimique? Dans le programme de la «Séance de Mime corporel», tenue le 27
juin 1945, dans la salle de la Chimie, Decroux nous informe que de 1938 a 1941, il donne des centaines de repré-
sentations et ouvre sa première école.
214 Thomas Leabhart: op. cit. page 55.
215 Voir la page 71.
216 Étienne Decroux: Conférence du 7 / 04 / 78 à son école. op. cit.

73
Il faut connaître la limite pour, avec art, la dépasser ou succomber avant de
l’atteindre. »  (217)

Ses idées sur la machine sont la clé des principes de décomposition géométrique et
dynamorythmique qui ont permis l’érection du mime corporel en tant qu’art de représentation
qui ne cesse pour autant d’être un art «frère du dessin».

Il faut en résumé, pouvoir se mouvoir comme une mécanique. Non toujours


le faire, car il n’y a rien qu’il faille toujours faire, mais pouvoir le faire. (218)

On doit être en état d’aller d’un pont à un autre en une succession de dessins
simples. Ainsi fait la machine telle qu’on l’imagine spontanément. (219)

En changeant le rythme et la force, on s’inspire de la machine pour jouer :


l’indifférence, le dédain, la majesté, la sagesse sereine, la maîtrise, le déterminisme,
la loi, la justice, le devoir, la logique, le paradis. (220)

Entre 1941 et 1945, après l’ouverture de sa première école de mime, il crée


«Camping», grande pièce collective( 221), l’art decrousien se concrétise de plus en plus, il
livre les numéros «Chirurgie esthétique», «La dernière conquête», « le feu» et «Le Passage
des hommes sur la terre», des numéros longs qui impliquent une troupe de mimes.
En lisant le programme présenté à la Salle de la Chimie le 27 juin de 1945, où selon
Guy Benhaim( 222), « l’art decrousien dévoile surtout ses sommets», tout nous incline à croire
qu’à partir de ce moment, Decroux a déjà établi concrètement les bases du développement
futur du mime corporel.

De ce programme, nous relevons: l’évocation d’actions matérielles avec ses pièces


«Le Menuisier», «La Lessive» et «La Machine». Évocation qui ne prétend pas faire un
portrait fidèle de la matière, ni des actions en elles - mêmes mais celui de la vie mentale, un
des objectifs que Decroux s‘était fixé pour considérer le mime corporel comme art
complet( 223).

217 Idem. Paroles sur le mime, op. cit. page 107


218 Ibidem. page 105.
219 Ibidem. page 105
220 Ibidem. page 107
221 Yves Lorelle: L’expression corporelle, du mime sacré au mime de théâtre, La Renaissance du Livre,
Bruxelles, 1974, page 114.
222 Guy Benahim: Le mime corporel selon Étienne Decroux, op. cit. page 120.
223 Voir page 66, plus haut.

74
Ensuite, la série d’exercices d’élèves dans une étude de «Contrepoids» et dont la place
donnée à cette démonstration d’école dans un programme qui se veut bilan( 224), nous
confirme l’importance que Decroux accorde à ces exercices qui permettent l’exploration et la
maîtrise des divers contrepoids, comme base physique pour l’expression corporelle du drame.
La partie suivante qui contient la présentation de divers personnages, dont nous avons
déjà parlés, issus des premières explorations de Decroux, concerne des exemples d’application
desdits exercices d’utilisation du poids dans la marche et dans le sport, ainsi que des
caricatures en marche (cf. «le bureaucrate» et «Quelques passants»).
Si parfois ses marches et personnages font partie du registre comique, le choeur mimé
symboliste «Passage des Hommes sur la Terre», présenté ensuite, lui, fait partie du registre
pathétique. Cette pièce est une composition fondée presque exclusivement sur la marche:

« ’Le passage des Hommes sur la Terre ’ représente en une marche incessante
toutes les principales vicissitudes par lesquelles passe l’humanité dans son trajet
allant du Néant à la béatitude.  » (225)

La suite, «Matériaux d’une pièce Biblique», représente selon Thomas Leabhart( 226),
un ensemble de pièces en chantier ( 227), Leabhart explique le sous - titre de «Figures
juxtaposées sans lien dramatique» par l’aversion de Decroux à raconter une «histoire» dans
le sens dramatique traditionnel.
Le programme s’est fini sur un autre ton, Jean - Louis Barrault joua sa fameuse pièce
«Le Cheval», extrait de son spectacle de 1935 «Autour d’une mère» (adaptation de «As I
lay Dying» de W. Faulkner), suivi par deux enchaînements de pièces qui représentent les
premiers exemples de ce que Decroux considère comme le procédé - sommet du mime
corporel: «la statuaire mobile».

Barrault et Decroux jouent (avec le visage couvert) chacun, un des enchaînements de


pièces dans le style de la statuaire mobile avec le thème «la Volonté». Sont jouées:
«Maladie - Agonie - Mort» et «la différence entre Admiration - Adoration - Vénération».
Le programme spectaculaire finit avec le «Combat antique». Ainsi, la richesse
artistique dont le mime corporel se montre déjà capable permet à la petite troupe de se produire
partout en Europe et en Israël. Cependant le travail de recherche de Decroux ne s’arrête pas là.

224 Voir page 51, plus haut.


225 Étienne Decroux : Présentations orales du spectacle donné en Angleterre au cours de l’été 1952. Dossier
N° 54, «Été 1952» page 1. Fonds Decroux, op. cit.
226 Thomas Leabhart: Modern and Post - Modern Mime, op. cit. page 51. (Nous avons traduit de l’anglais) .
227 «En chantier»: un des termes utilisés actuellement en français pour traduire l’anglicisme «Work in pro-
gress»

75
La constitution du répertoire

Grâce aux tournées, certaines pièces seront reprises et retravaillées, ce qui leur a permis
de devenir en même temps des pièces de répertoire et le creuset des expérimentations
subséquentes de Decroux. C’est le cas des pièces qu’en 1946, Decroux et ses élèves présentent
au Théâtre d’Iéna à Paris: «L’usine », «Les arbres» et «l’esprit malin».
De 1947 à 1950, sont crées entre autres: «l’Amour détrôné par l’Amitié», «Prise de
contact», «Poète vaincu», «Croisements du matin», «Relais de Dulcinea», «Jeu de
dames», «Soirée» et la pièce collective considérée par Decroux comme la préfiguration du
théâtre de demain: «Petits soldats» où Decroux montre l’exemple le plus complet de la
matérialisation de sa doctrine.
Nous pensons qu’un travail sérieux d’analyse de cette pièce apporterait beaucoup à
l’étude du mime corporel. Malgré le fait que, selon l’information à notre portée, les seules
traces existantes de cette pièce( 228) ne soient pas plus que quelques photos de ses
représentations et les textes de Decroux la concernant. Ceux - ci sont d’une amplitude unique
en proportion à l’ensemble de son oeuvre écrite.
Malheureusement cette analyse sortirait des objectifs de notre thèse, nous ne faisons
pour le moment que de le signaler, et le garder en mémoire pour une meilleure occasion.
Néanmoins, le lecteur intéressé trouvera dans les annexes l’article inédit de Decroux
«Explication de l’art de l’acteur». Conçu comme une présentation de ses «Petits soldats», ce
texte présente en fait, de façon condensée, une analyse et le résultat de toute sa démarche; ce
qu’il a voulu faire, ce qu’il a fait et pourquoi, les rapports existant entre les divers arts du
spectacle et le mime corporel, un survol historique pour le situer dans son contexte,
l’exposition de sa doctrine et de la dramaturgie qui en découle, etc. superbe!
Après la tournée en Israël, Decroux avec sa troupe a continué à tourner en Europe tout
en poursuivant le travail de recherche et le développement de l’art du mime corporel. D’autres
pièces furent crées; «le toréador», «Le Prophète»( 229), «La belle Dame»,
«Psychanalyse», «Prise de contact», «Jeu de Dames», «Marches de vieillards», «Coeur
chaud: source d’eau fraîche», «l’oeil noir te regarde» (ou «Il s’aperçoit que le public est
dans la salle»), «Le fauteuil de l’absent», «Le chanteur et son musicien».

228 Sans oublier les souvenirs de ceux qui y participèrent.


229 « Malgré le fait que la pièce ‘le prophète’ ait été dans le programme de la tournée en Hollande en 1952,
en fait ce n’est que l’idée de la pièce (L’idée paraît, l’esprit l’examine, la bouche l’explique, le prophète est lapi-
dé) plus que la pièce elle même qui est née à cette date. Celle - ci dut attendre encore quelques années avant de
voir le jour».
Étienne Decroux: Dossier préparé pour la tournée en Hollande, dossier N° 50, «1 Janvier 1952», page 02,
Fonds Decroux, op. cit.

76
Le programme de sa troupe américaine comprenait quelques reprises des pièces de
répertoire, «l’usine» et «les arbres», certains solos de Decroux et le nouveau duo «la
statue», où Decroux joue le sculpteur. Parmi les solos joués par Decroux pour des audiences
surprises et incapables de le comprendre était sa pièce - clé, «le menuisier».
Les années 1960’s ont vu l’identification, l’isolation et la conquête des procédés
corporels concernant l’utilisation dramatique de la «profondeur»( 230), ainsi que le
développement des triples dessins( 231) qui sont venus enrichir son vocabulaire, depuis sa base
jusqu’à la statuaire mobile.
Une des recherches de Decroux à cette époque, est portée vers la peinture des relations
humaines: le comportement social des hommes et des femmes seuls ou entre eux, lorsqu’ils ne
se trouvent pas en situation de productivité. C’est ce qu’il appelle «l’homme du salon». Sont
crées «La ville», le duo amoureux «le matin», «la boîte à violon», «Protectorat», «Scènes
du parc», «Table d’hôtes», «Conférence», «Salut final».
De 1964 à 1984, il continuera à créer avec ses élèves et ses assistants. Production qui
donne naissance entre autres, à plusieurs duos amoureux et à «Lyrisme politique»( 232). Ces
pièces concrétisent un travail de plus en plus élaboré, tant sur le plan technique que sur le plan
de la conception dramatique, elles seront représentées au sein de l’école, devant un public
choisi, ou filmées et archivées.
De cette période, datent les développements de la phase supérieure de la synthèse
artistique des procédés corporels concernant la statuaire mobile et l’homme de songe: les
pauses, les inter - rythmes et les causalités.

Un langage physique pour l’acteur :


le mime corporel

Decroux a exploré chacun des différents aspects du mime corporel en tant qu’art de
l’acteur. Sa production pour la scène, reflet spectaculaire de ses recherches, comporte soixante
- douze pièces( 233). Cet ensemble est constitué de solos, duos, trios, groupes, évocations
figuratives ou abstraites, portraits, fresques vivantes, parfois à la limite de la chorégraphie sans

230 La «profondeur», est une des trois principales dimensions spatiales du mouvement résultant de l’analyse
du mouvement particulière appliquée au mime corporel. Les autres dimensions sont: la «latérale» et la
«rotation». L’utilisation analytique de ces trois dimensions dans le mouvement donne les «triples dessins».
Voir plus loin notre chapitre consacrée à l’analyse du mouvement.
231 Idem.
232 Selon le témoignage recueilli auprès d’un élève présent, la création de cette pièce se situe en 1983.
233 Guy Benhaim : Le mime corporel selon Étienne Decroux, op. cit. page 265.

77
jamais rien perdre de leur essence résolument dramatique, les pièces sont autant de formes
pour cerner la condition humaine et nous la restituer à travers le souffle de la poésie
corporelle( 234).

Des diverses explorations de Decroux sont issus aussi ses développements concernant
l’utilisation des ressources corporelles pour l’expression dramatique à disposition de l’acteur.
Ces développements et les moyens qui permettraient leur assimilation par ses élèves furent ses
principaux soucis afin d’assurer la pérennité du mime corporel.

En 1953, dans le bilan précité, il avait écrit:


« Depuis que j’ai quitté Copeau, j’ai fait du « parlant » en sursis et pour ce
qui est du théâtre agissant, je n’ai pensé qu’à lui sans jamais y rêver et j’ai tout
négligé pour ajouter le faire à la pensée.

Ce fut mon corps, ce fut celui de mes élèves, ce furent les « périodes » : celles
du saccadé, du fondu, du ressort, celles du corps nu sur plateau vide avec
évocation d’accessoires, sans sonorité, puis du maillot, puis des ganses en
volume, de la sonorisation, de l’occupation du sol par corps neutre, de la
jonglerie, de l’acrobatie, de la musique portative à usage dramatique.
Aujourd’hui, c’en est une autre : une folie tasse l’autre ? Jamais je n’ai dit sans le
faire ce que mon élève devait faire. » (235).

C’est à partir du travail d’identification, isolation, analyse, étude, synthèse, mise à


l’épreuve, reconstruction et reconstitution artistique des moyens et des voies corporelles de
l’art de l’acteur que Decroux est arrivé à l’édification du mime corporel; technique et langage
physique de l’acteur.

Les pièces de répertoire de Decroux


De la production spectaculaire de Decroux, certaines pièces ont été reprises au long des
années de travail et des représentations. Pouvons - nous nous risquer à les considérer toutes
comme des «pièces de répertoire»? Au moins celles dont il existe encore des traces? Nous
ne pouvons pas en être sûrs. Il serait tout aussi risqué d’affirmer que les traces qui ont
survécu( 236) représentent toutes les pièces qu’il aurait voulu préserver comme exemples qui
matérialisent le mieux les résultats de ses recherches.

234 Corinne Soum et Steven Wasson : Projet Spectacle hommage à Étienne Decroux, op. cit. s / n.
235 Etienne Decroux: Dossier N° 57, «Mai 1953», page 27, Fonds Decroux, op. cit. (Nous avons souligné en
caractères gras).
236 Dans le cas où il serait possible d’y avoir accès actuellement (cf. notre Introduction)

78
Cela peut s’expliquer par le fait que parfois pour Decroux, un approfondissement
particulier était nécessaire aux recherches en cours, ce qui demandait surtout des interprètes
capables de reprendre une pièce en particulier et de donner «corps» à ses nouvelles
indications. Le défaut de la personne adéquate pouvait certainement limiter le choix des pièces
qui devaient être reprises.
Choix ou non - choix, le fait est qu’aujourd’hui nous ne pouvons pas compter sur un
grand nombre d’entre elles. Certaines de ces pièces, du fait des circonstances de leur création,
sont connues seulement de leurs interprètes. Eux sont aujourd’hui, si leurs activités et intérêts
actuels ou si la mémoire qu’ils en gardent le leur permettent, les seuls en mesure de les
apprendre aux générations présentes.
D’autres, heureusement ont été filmées( 237), et malgré le sévère travail d’analyse
demandé pour leur reconstitution, certaines d’entre elles ont pu de 1992 à 1995, être reprises
dans le spectacle «L’homme qui voulait rester debout / Hommage à Étienne Decroux» par le
«Théâtre de l’Ange Fou» d’une mise en scène de Steven Wasson( 238).
Si nous devions parler des pièces de répertoire, en fonction du critère cité( 239), nous
aurions une liste commençant avec le programme du dit spectacle: «La Méditation»,
«L’usine», «Combat antique», «Le menuisier», «Croisements du matin» (ou «Duo
amoureux I»), «La femme oiseau», «L’esprit malin», «La lavandière», «Le fauteuil de
l’absent», «Le prophète» et «Les arbres».
A cette liste, nous pourrions ajouter, sans prétendre être exhaustifs: les duos amoureux
«Ils regardent autre chose» et «Dieu les conduit», «Le feu» «La terre», «L’eau» que
nous avons vu interprétées par Jean Asselin et Denise Boulanger avec leur troupe
«Omnibus»; la première pièce de Decroux: «Vie primitive», le «passage des hommes sur
la terre» et le duo amoureux «le matin», dont nous avons étudié des extraits pendant notre
formation ou travaillé à leur reconstitution avec le «Théâtre de l’Ange Fou» (notamment les
deux dernières); celle du sommet: «Les petits soldats», et enfin; «La ville» et «Lyrisme
politique», pièces dont nous avons entendu, par des témoins de leur représentation, parler avec
enthousiasme.
La diversité des thèmes et de styles des pièces citées nous permet de croire qu’elles
représentent un ensemble d’exemples des possibilités et des chemins artistiques du mime
corporel. Néanmoins, nous voudrions rappeler que quand Decroux cherche dans les diverses

237 Nous parlerons du matériau filmé concernant le répertoire d’Étienne Decroux plus loin, dans la partie
consacrée à la préservation.
238 Création à Philadelphia pour le Movement Theater International, à laquelle nous avons participé. Ce
spectacle a été filmé à Philadelphia et à Amsterdam (par le Neederlands Mime Centrum).
239 Celles dont il y a des traces, qu’elles soient des documents filmés, des photos, textes, ou des souvenirs de
ses interprètes.

79
directions de sa production pour la scène, en fait, il teste et / ou propose une application
spectaculaire des techniques corporelles conquises en studio.

Les Styles de jeu


Un des principaux aspects et / ou niveaux du mime corporel est ce que Decroux a
appelé les «Styles de jeu». Dans notre exposé du développement du mime corporel, nous
avons esquissé les bases «physico - dramatiques» sur lesquelles ils trouvent leur définition.
Chacun d’entre eux, se caractérise par une utilisation particulière des ressources
corporelles( 240) correspondant à la représentation physique des divers états dramatiques de
l’homme.
Ces «styles de jeu» sont la première approche à une définition corporelle (physique)
du jeu de l’acteur. Decroux en a défini quatre:
l’homme de sport, (dont font partie l’homme de peine et l’homme des îles)
l’homme de salon
la statuaire mobile
l’homme de songe

L’homme de sport, ce style de jeu représente un des deux personnages historico -


économiques définis par Decroux (l’autre est l’homme de salon). C’est un homme qui ne
bénéficie pas de la force extra - animale. Il explique( 241) le pourquoi de cette appellation:

« … parce que le sport est comme un vestige de ce que faisait l’homme à
l’époque où il n’avait pas à son service la force extra - animale. »

Il justifie aussi ce choix par respect du sport qui

« semble, comme le mime, un salut qu’est fait à l’homme qui agissait par ses
propres muscles et sa propre habileté. »

Dans sa définition physico - dramatique il nous dit:

« … dans le sport que nous allons jouer, nous allons représenter l’homme qui
soulève quelque chose de très lourd, ça sera par exemple les contre - poids…

240 Quand nous disons «ressources corporels», nous parlons du corps et d’un corps - en - mouvement, non
seulement comme l’ensemble de ses différents membres visibles à l’oeil, mais aussi de ses possibilités de mobili-
sation neuro - musculaire pour rendre visibles les ressorts du jeu dramatique.
241 Étienne Decroux : Conférence à son école le 31 / 03 / 78, op. cit.

80
… lorsque on joue l’homme de sport et notamment les contre - poids, on joue
facilement le moral de l’homme, le moral passionné …

Le littérateur, quand il dit une chose que nous appellerons ‘ spirituelle ’, et il


sent que ça ne suffit pas, que ça manque de crédibilité. Il se dira ‘ avec des mots on
peut mentir, donc puisque on peut mentir, il est probable qu’on ment’, et il dira
…… justement la métaphore à l’envers.

… il s’appuie (le littérateur)sur la matière pour donner de la véracité, de la


crédibilité, comme on dit aujourd’hui, à ce qu’il dit. Il dit, ‘c’est palpable’, c’est lui
qui le dit, il fait peut - être le geste…

Le mime lui, c’est le contraire, il fait la chose, et celui qui regarde, en voyant
la chose matérielle pense à son analogie avec le spirituel.

… le mime fait de la métaphore à l’envers.

… On fait la chose physique qui évoque la morale au lieu que ce soit la


morale qui cherche le physique pour s’appuyer dessus, c’est le physique qui évoque
la morale… 

… pour indiquer la passion on fait des contrepoids …

… ce qui caractérise le poids, et ça fait comprendre pourquoi ça sert de


métaphore dans l’expression de l’affectivité, c’est que tout est poids, c’est la seule
chose qui soit constante.

… tout pèse … »

Dans le style de jeu de «l’homme de sport», nous trouvons aussi «l’homme de


peine», lequel — n’a pas besoin d’être habile, on lui demande d’avoir de la peine … il fait
penser à une tortue verticale, se cristallise dans cet effort ou son dos se ‘convexise’, en argot
de Paris on dit bien d’un homme qui travaille, il ‘bosse’, que son dos est comme une bosse.

«L’homme des îles» fait partie aussi de «l’homme de sport».Ce qui le caractérise et
qui fait qu’on peut le ramener à «l’homme de sport» — c’est la plénitude de ses aptitudes, et
aussi leur coïncidence, et par dessus le marché, la grâce… tout son corps, dont toutes les
articulations sont visitées par de l’huile. Ca s’articule et ça coule, l’harmonie est naturelle,
rien ne le gêne … c’est toujours l’action, l’action de production…

L’homme de salon, lui est aussi un personnage historico - économique, dont la


première définition correspond au type d’homme qui bénéficie de la force extra - animale.

81
Dans la conférence citée, Decroux situe son apparition vers 1800 (mais pas dans toutes
les couches de la population), ou peut - être au 17ème siècle chez les aristocrates qui étaient
autour de Louis XIV, au moment où la machine entre dans le quotidien et la vie devient de
plus en plus abstraite et par conséquent incontrôlable.
Quand au milieu du siècle dernier commence l’expansion du chemin de fer, petit à
petit, — il s’est trouvé que ‘l’homme de salon’ qui était un monopole du temps de Louis XIV,
de la haute aristocratie, est devenu la pratique d’une large partie de la population. Selon
Decroux, aujourd’hui nous sommes tous des «hommes de salon».
Ce qui caractérise «l’homme de salon», dans un sens positif, c’est la politesse;
—nous sommes polis, on est plus poli qu’avant, on a des délicatesses, on a peur de se vexer,
on a des actions de politesse, des actions qui signifient la politesse, et petit à petit, nous avons
mieux que des actions de politesse, nous avons des manières de politesse, et nous nous
amusons à penser aux choses qui font plaisir aux sens physiques, mais sans nous livrer aux
sens physiques.

Quant à ses autres caractéristiques, négatives cette fois - ci, la principale est qu’il ne fait
rien de productif. Il bouge, oui. mais pas pour produire quelque chose, et l’étendue de ses
mouvements est limitée.

« Il fait des mouvements bien sûr, pas trop, pas trop, ça pourrait le fatiguer.
Pas des gestes brusques, laisser la place aux autres. Ne remuez pas comme ça, du
calme, du calme.

… Il n’est pas sorti de ses mains un produit qu’on pourrait vendre … il


déplace des choses, mais il ne fait rien. On ne peut pas vendre, quelque part,
quelque chose qu’il a fait, il a rien fait qu’on puise vendre.

… il a des actions de politesse, il va ramasser quelque chose qu’une dame a


laissée tomber par terre, il va lui remettre à l’oreille. Et il aura des manières qui se
veulent agréables, respectueuses, se tiendra d’une telle façon que ça sera une façon
polie de se tenir, car ce n’est pas poli de se laisser aller. 

… La façon de se tenir indiquait déjà une certaine politesse. On était au


service des gens, fallait pas se tenir avec un effort trop apparent non plus, parce
que les invités auraient été mal à l’aise. »

Concernant le type de mouvement qui caractérise l’homme de salon, Decroux


continue;

82
« Nous voyons cet homme de salon habile quand même. Fallait pas verser le
vin à côté du verre, faut pas prendre une bouteille par le goulot là - haut, comme
ça, parce qu’il faudrait être fort. L’homme de salon se vante de ne pas être fort, il
préfère être habile, c’est ce qui fait qu’il va prendre la bouteille par le bas, et quand
il verse sans peine, mais il faut être habile ».

L’homme de salon s’écarte petit à petit de celui «.… qui était quadrupède dans son
action productive.», semble avoir remporté la victoire sur l’homme de sport, qui «était
aimanté par la quadrupédie prénatale». Il est débout.

« … l’esprit domine, l’homme regarde. Il regarde plus qu’il ne fait, parce
qu’il sait qu’il faut surtout regarder.

… si nous pensons, en principe, que l’homme de salon n’a pas à fléchir les
jambes et à occuper tout son organisme, si vous acceptez ce que je dis, il est surtout
un buste. Le plastron dans le costume qu’on appelle ‘costume de soirée’, il occupe
tout le buste et le gilet fait le tour du plastron, et l’homme peut faire ça, ça, ça, pas
plus. S’il fait plus, la chemise va sortir, il va abîmer le pantalon.

Mais, si c’est ainsi, qu’est - ce qui va styliser l’homme de salon ? Ca sera la


pureté de ses mouvements.… si vous acceptez cette forme - là, par exemple, il faut
qu’il stylise sans altérer son caractère … il sera comme il serait sur une
photographie. Sur une photographie, s’il était photographié comme ça, il suffit de
pencher la photographie et il sera comme ça, de telle sorte qu’il pourra garder son
caractère tout en spiritualisant ce qu’il est déjà. »

La statuaire mobile. Decroux, tout en l’appelant, aussi bien que les deux personnages
historico - économiques antérieures et l’homme de songe, «styles de jeu», lui donne une autre
appellation; avec l’homme de songe, il nous indique qu’ils sont, toux les deux: des portraits
de ce qui se passe à l’intérieur de l’homme.

Pour introduire sa définition, Decroux part de l’homme de salon:

Supposons l’homme de salon, personnage historico - économique qu’on veut


transformer, ou prolonger plutôt, en statuaire mobile. Vous allez voir qu’il ne va
pas perdre son caractère essentiel ; il fait ça, mais à l’intérieur il y a quelque chose
qui continue, et si ça continue, notre métier est de faire,…de mettre à l’extérieur,
de donner à l’extérieur ce qui est à l’intérieur.

83
S’il y a quelque chose à l’intérieur qui continue, comment le public le saura ?
Il va continuer lui. Ca y est, il est parti dans la statuaire mobile, si bien que ce
n’est pas un personnage, c’est un portrait de l’intérieur, il va continuer. Il va se
dégager en même temps une moralité. C’est cela qui m’a frappé au départ, au
début. Continuer c’est une moralité, ce qui manque le plus aux hommes c’est la
continuation.

… Alors, vous voyez cette chose, la valeur morale de la statuaire mobile, …


peut être…, surtout…, elle ne relève pas plus loin que ça maintenant, mais est
surtout spécialisée dans l’idée : ça continue.

Ce qui nous permet de voir quelle est la définition de ce «portrait de l’intérieur» en ce


qui concerne le style dégagé de son mode de jeu. Plus loin, Decroux approfondit ses
explications pour arriver à ce que nous pourrions appeler sa définition physico - dramatique,
laquelle contient les caractéristiques de mouvement impliquées par la statuaire mobile.

« La continuation d’une chose fait qu’on découvre des obstacles qu’on n’avait
pas envisagés, qu’on n’avait pas vu, qui n’existaient même pas. Alors, il faut
continuer quand même ; continuer, continuer, continuer…

…la statuaire mobile va aux confins d’une chute dans ses déplacements, elle
sait qu’elle a intérêt à ne rester là, et qu’elle aurait intérêt à rentrer à la maison, la
maison qui s’appelle ‘la verticale’. Il y a une espèce d’héroïsme là - dedans ;
l’homme est là, il sait qu’il n’est pas bien, ça ne peut pas durer indéfiniment, ‘Je ne
vais pas m’installer là, je vais rentrer à la maison’.

Il y avait ça, et puis après il y a autre chose, on mélange toutes ces


continuations, on obtient des torsades, on obtient quelques fois des superpositions,
etc. C’est que l’esprit commence, quand il se bute contre quelque chose qui fait
pression pour pousser la chose, quand il n’y a pas de déplacement ; la statuaire
mobile raconte ça. Elle raconte par un mouvement ce qui ne se déplace pas mais qui
voudrait se déplacer. »

Enfin, l’homme de songe. Ce portrait de ce qui se passe à l’intérieur de l’homme,


Decroux le considère comme celui qui peut atteindre le sommet de la poésie. C’est la
représentation physique de cet état où l’homme pense aux absents.

La première caractéristique du songe est d’être cohérent.— dit - il, à différence du rêve,
lequel est décousu et incohérent.

84
« On peut imaginer un paysan le soir devant sa porte, au crépuscule. C’est
l’heure de la poésie, c’est l’heure du songe. Il pense à des absents, à son fils qui est
là - bas, ce qu’il avait dit, ce qu’il avait fait, ce qu’il fait peut - être, quand il
reviendra. Et sa femme est assise à côté de lui, et ils sont tous les deux comme ça,
dans la campagne, ils songent. C’est cohérent. »

Ses autres caractéristiques, après la cohérence sont:

« D’abord, il n’y a pas de couleur. C’est noir ou blanc, ensuite il n’y a pas de
secousse, les choses se déplacent comme des nuages, il n’y a pas de sons, il n’y a pas
de cris, c’est le songe. »

Il se différencie de la statuaire mobile, qui sait qu’il faudrait revenir à la verticale, par
l’effet de s’installer dans l’instable;

« …il lui arrive d’être comme ça (242), comme d’autres sont comme ça (243),
comme si on avait changé la gravité terrestre ; au lieu que les choses tombent ainsi,
elles tomberaient comme ça. »

Son mouvement s’apparente un peu à celui de l’homme de salon, mais son domaine
d’expression se trouve ailleurs,

« Et des fois il pivote, dans un sens ou dans l’autre, et le haut bouge, et le
rôle qu’il joue est étonnant parce que c’est le rôle de l’homme de salon. On disait
que l’homme de salon, d’après moi, devrait jouer par son buste ; l’homme de songe
aussi. Regardez, il fait tout, il fait tout ce qu’il rêve, tout ce que l’homme de salon
aurait fait sur sa base verticale, il le fait là, étant installé comme ça, alors il peut
dormir ainsi, il peut avoir sa mère qui se penche sur lui pour l’embrasser avant
qu’il s’endorme, et faire bien des choses. »

Mais la continuation de son mouvement ne va pas aussi loin que celle de la statuaire
mobile

« Il est installé là, il faudrait pas qu’il aille trop loin, il faudrait pas qu’ayant
fait ça, il fasse ça et ça et ça, alors là, non. La construction serait telle que ça
rejoindrait une espèce de statuaire mobile, il faut pas. Et c’est même beaucoup que
dire…, de dire le buste. C’est difficile, remarquez : si vous avez un seul fief, de
mouvement de tête, tout ce qu’on peut faire avec la tête, paf! là, utilisé, à faire

242 En déséquilibre. Selon le traducteur de cette conférence qui regarde ce que fait Decroux et le traduit si-
multanément en anglais tout en commentant ses actions. (Nous avons traduit de l’anglais)
243 A la verticale, idem.

85
autant de cette façon - là, ce n’est pas ?. Et là, quand on arrive au songe, on arrive
probablement au sommet de la poésie. »

Selon Decroux, le songe est difficile à trouver dans les autres arts, car les choses de
songe sont «Comme des apparitions cohérentes et supraterrestres» et «… l’accès le plus
difficile c’est l’accès au songe» . Au point de dire, tout en étant capable de le concevoir: C’est
peut - être nous qui réussirons à faire du mime de songe, dont on ne puisse pas dire que c’est
du mime de statuaire mobile, malgré le voisinage.

Les figures dramatiques et de style


A part sa production spectaculaire, Decroux a crée des centaines de figures dramatiques
et des enchaînements destinées à servir de matériau pédagogique. Ils sont, en général, des
exemples courts qui illustrent dans les divers styles de jeu, des personnages, des situations, ou
des actions (les marches expressives sont à elles seules un grand chapitre). Chacun a été conçu,
on peut dire, comme des micro mises - en - scène, où les caractéristiques physico - dramatiques
du style, les fondements du jeu musculaire, le vocabulaire et les principes du mime corporel se
matérialisent.

Le vocabulaire
L’aspect du mime corporelque nous appelons le «vocabulaire», concerne les voies
corporelles impliquées par la «mise en corps» des principes et fondements du mime corporel.
Decroux l’a développé à mesure que son travail de recherche le poussait à faire l’analyse des
figures dramatiques qu’il proposait aux élèves pour leur apprentissage.

« Je fus forcé d’analyser les figures que je proposais aux élèves pour qu’ils
puissent les refaire.

Peu à peu, j’édifiais non seulement une doctrine mais une pédagogie. » (244)

Travail qui, petit à petit, lui a permis d’identifier, isoler, analyser, recomposer et
synthétiser artistiquement ces voies corporelles dans un ensemble cohérent. Dans ce
vocabulaire, nous trouvons plusieurs grands chapitres, lesquels traitent chacun un aspect ou
niveau différent de ce que nous pourrons appeler une analyse de mouvement: les contrepoids,
les déplacements, l’articulation, les dynamo - rythmes, etc. à leur intérieur, nous avons, entre
autres:

244 Etienne Decroux: «Autobiographie d’Etienne Decroux», Dossier n° 42 «début 1950», page 5. Fonds
Decroux, op. cit.

86
Les contrepoids; contre la gravité terrestre (musculaires), en complicité avec la gravité
terrestre, scolaires, professionnels, moraux, les petits contrepoids, les extenseurs scolaires et
professionnels, les marches sur appui tendu, les marches sur appui fléchi, les belles marches,
les pas, les marches des personnages, descentes au sol, les dessins simples, les triples dessins,
les gammes simples, les contradictions, les gammes composées, les rétablis, les annelés,
l’ondulation, la compensation, le toc moteur, le toc butoir, la vibration, le toc global, les
antennes d’escargot, les causalités; ficelle, bâton, nuage, le violon, la gaze, les différentes
formes de mains, des bras, les yeux peints, les yeux remorqueurs, etc.
Des exemples de chacun de ces éléments du vocabulaire son concrétisés dans des
figures et exercices à contenu autant physique que dramatique, ce qui leur permet d’être
utilisés comme matériel pédagogique et préparation de l’apprenti - mime (l’acteur) à son
entraînement personnel sur une base aux contours définis.

Les exercices d’entraînement


Il y a eu une époque où Decroux donnait l’appellation de «gymnastique dramatique»
ou «gymnastique du beau» aux exercices qu’il avait développés pour la formation physique
de l’acteur. «Gymnastique» dont « l’assimilation le mettrait (l’acteur) en état; de faire ce
qu’il veut, de savoir ce qu’il fait, d’inventer ce qu’il faut». ( 245). Il est arrivé à leur
développement par un travail quotidien de recherche concernant les facultés physiques
requises pour donner «corps» à ses objectifs.
Ces exercices permettent à l’apprenti - mime (l’acteur) un travail approfondi
d’exploration et de développement des ressources corporelles à sa disposition pour
l’expression physique du drame. Les composants de chacun des exercices peuvent être (tour à
tour ou simultanément): l’utilisation du poids, les parties du corps impliquées, l’ordre de leur
mise en mouvement, le degré de tension musculaire ou de relâchement, leur direction dans
l’espace, leurs rapports intercorporels, leur vitesse, leurs rythmes, leurs inter - rythmes, les
pauses, la respiration, le «focus»( 246), etc. Lesquels ne sont pas étrangers à leurs charges
émotives possibles, les intentions, les motivations, les états, etc.
En résumant, nous avons utilisé cet exposé de la démarche de Decroux pour
l’édification du mime corporel afin de retracer verbalement les contours du matériau de
mouvement( 247) qui constitue le répertoire «Decroux» (248) et matérialise ses conceptions du
mime. Dans ses développements, nous avons:

245 Idem : Dossier n° 57 «Mai 1953», page 18, Fonds Decroux, op. cit.
246 De l’anglais: point focal du regard.
247 Nous entendons par «matériau de mouvement» les mouvements ou exercices qui constituent l'objet d'ap -
prentissage.

87
• Une grammaire du mouvement fondée sur la connaissance pratique de la phy-
siologie du travail, appliquée au corps humain en situation de représentation.
• Un langage artistique pour l’expression théâtrale.

• Une méthode d’entraînement physique particulière qui vise à réveiller et à


préparer le corps - actuant à la maîtrise de ce langage artistique.
• Une série de protocoles d’improvisation pour donner à l’acteur - mime la pos-
sibilité d’explorer les chemins spectaculaires pour rendre objective, par le biais
de son «corps - en - action», la subtilité du jeu dramatique.
• Et finalement, une dramaturgie construite sur les bases antérieures.

Lesquels constituent les différents aspects et niveaux d’organisation du mime corporel


dont nous parlions dans notre introduction.
Le travail réalisé pendant plus de cinq décennies a permis à Decroux de cristalliser
l’oeuvre pédagogique et spectaculaire que nous appelons aujourd’hui le répertoire
«Decroux», lequel étant commencé comme une démarche cherchant à former l’acteur
marionnette (la super marionnette demandée par Craig) qui remplacerait l’acteur réaliste, s’est
achevé( 249) avec la proposition d’un acteur dont le mouvement rappelle plutôt celui d’une
statue qui de façon soudaine et mystérieuse se mettrait à bouger pour s’élever jusqu’au songe.
Nous pouvons considérer que les principes et directives d’Etienne Decroux constituent
la «voie» qu’il a tracé avec l’intention de régénérer le théâtre. Le mime corporel sérait la
pratique - véhicule pour le parcourir.
Selon Decroux, la renovation du théâtre ne sera pas possible sans la participation active
de l’acteur. Participation qui, à partir de la formation de l’apprenti - mime (l’acteur),
comprendra son entraînement personnel au quotidien.
Contrairement à ce que certains affirment, aucun discours concernant la doctrine
d’Etienne Decroux, les principes ou fondements du mime corporel, ou même concernant son
répertoire, ne peut être la «formule» pour arriver à cette renovation. Ce que Decroux nous a
legué sont, avant tout, des indications d’entraînement.

Pour finir cette partie de notre exposé, nous présentons ensuite, ce texte de Decroux sur
certains des aspects physiques du mime corporel. Son titre: «ce que je dois aux autres»,
extrait du dossier N° 20 du Fonds Decroux, «1944, 10 bis suite»( 250).

248 Voir la définition de répertoire «Decroux» dans notre introduction.


249 La demarche de Decroux, non pas l’édification du mime corporel, qui n’a trouvé dans cette démarche que
ses fondements.
250 Op. cit. pages 16 à 20.

88
Ce que je dois aux autres :

Le spectacle de la danse classique sur scène et au studio, me sug-


gère plusieurs idées : celles - ci

a. puisque les jambes ayant à subir le poids du tronc sont pour cela

peu aptes à tracer les dessins que notre esprit conçoit, il était
tentant d’essayer de les rendre aussi habiles que nos bras le

seraient

b. Lorsque les jambes sont ouvertes : c’est - à - dire la pointe du


pied tournée vers l’extérieur ; cette attitude qu’elles ont ain-
si est métaphore d’un coeur et d’un esprit ouvert.

c. Lorsque dans un corps en moyenne, vertical, le bassin l’est aussi,


cela est métaphore d’un esprit volontaire et prévoyant.

d. Lorsque la ceinture est érigée verticalement, cela permet à la


poitrine d’être relevée avec autant de nonchaloir qu’elle en a
à être affaissée vers l’avant.

e. on doit être à même de mobiliser un organe sans que les autres


viennent à son secours, on doit par son comportement, évo-
quer une mécanique subtile qui n’engage que l’organe utile. Le
tronc, par exemple, doit sembler ignorer l’activité des jambes.
La marche n’a de majesté qu’à ce prix.

f. l’homme est virtuose en maîtrise lorsqu’il semble avoir une jambe


inutile qui prend ainsi le grade de troisième bras.

Je reproche pourtant à cette danse : ceci :

• elle ouvre les jambes à ce point que l’ouverture est mons-


trueuse.

89
• lorsque l’ouverture des dites jambes est en telle circonstance,
une gêne pour le danseur, il ferme ces jambes à ce point que
dans cette autre direction, la laideur est encore atteinte.

• Dans la pratique, la danse classique néglige la qualité des


particules qu’elle juxtapose. C’est leur succession et rapide

qu’elle met au premier plan. Tél de ses élèves qui pourrait


sans scandale entrer dans un ballet, ne résisterait à l’épreuve

du fondu.

Je puis sans esprit de blâme me refuser à suivre absolument


l’enseignement de cette danse par cette raison que sa spécia-
lité n’est pas la nôtre. Le danseur vise le sautillement et
l’enchaînement indéfini des pas. Il s’en suit que son oeuvre
présente avec le nôtre plusieurs différences subordonnées à
la différence dans le but.

• ses équilibres sont ceux d’une bicyclette en course, les nôtres,


du « sur place ».

L’attitude et le fondu dont nous usons avec fréquence, nécessitent


davantage que ne le font les sauts et déplacements rapides et
indéfinis, la maîtrise de l’équilibre statique.

• Donc, tout en prenant à la classique, ses principes les plus im-


portantes, nous soignons les points qu’elle néglige et négli-
geons ceux qu’elle soigne.

• D’autre part, la danse classique qui semble auteur de ce défi :


« puisque la jambe est prisonnière, libérons la », semble
avoir été incitée à formuler ce commandement : « puisque le
tronc est libre, enchaînons le ».

90
… Il reste que l’acteur qui n’userait pas du tronc déserterait sa tâ-
che.

C’est ainsi qu’après avoir emprunté à la classique, le meilleur d’elle -


même : les jambes expressives, nous empruntons à la sta-
tuaire le meilleur d’elle - même : le tronc expressif. La danse

d’Extrême - Orient, pour ce qui est des bras, nous a fourni


d’autres richesses.

Je ne propose pas qu’on apprenne plusieurs arts dont un seul exi-


gerait la durée d’une vie d’homme pour qu’on l’apprenne et la
cultive. Qu’on se rassure. Parmi les éléments des arts dont j’ai
parlé, je ne demande d’assimiler que ceux qui sont utiles à
l’art du comédien.

Dois - je dire que la pratique raisonnée du théâtre et des arts de la


danse, pratique qui a vingt années d’âge, m’a permis aussi
d’assembler en système autre chose que des emprunts.

ETIENNE DECROUX

91
chapitre 3

Le répertoire « Decroux » et la
tradition du mime corporel

Dernier chapitre sur la situation antécédente à notre étude( 251). Il développera certaines
notions préliminaires et permettra de déterminer la faisabilité du projet Laban - Decroux.
Nous confronterons la définition du répertoire «Decroux» avec les programmes
d’enseignement des écoles que nous avons fréquentées en tant qu’élève et / ou professeur, afin
de discerner d’une part, les rapports entre le répertoire «Decroux» et la tradition du mime
corporel, et d’autre part, le rôle effectif de ce même répertoire dans la transmission du mime
corporel.

Pour commencer, voyons les concepts qui seront développés et leur importance:
• la notion de répertoire «Decroux». C’est sur cette définition que reposera
l’ensemble de notre travail, car c’est la première matérialisation du mime
corporel.

• les rapports existant entre les notions de répertoire et de partition.


L’identification du mouvement comme structure matérielle des œuvres de
Decroux étant une condition préalable à l’analyse.
Enfin, nous ferons l’examen du rôle du répertoire «Decroux» dans la transmission du
mime corporel par la présentation de quelques exemples de programmes d’enseignement. Pour
«dessiner» notre notion de répertoire «Decroux», nous partirons de l’exposé sur le mime
corporel fait dans le chapitre précédent.

Avant de commencer, nous voudrions insister sur la difficulté majeure de cette


thèse( 252), et qui se trouve à l’origine du projet Laban - Decroux: les limites auxquelles le
langage verbale se voit confronté quand il est utilisé comme moyen pour «objectiver» le
mime corporel et le répertoire «Decroux».

Dans les conditions de cette étude, les éléments qui seront «manipulés» n’ont pas
d’existence «objective» autre que leur énonciation, laquelle par ailleurs n’est pas en mesure
d’évoquer, pour la plupart des lecteurs, une quelconque expérience ou un référent. Ainsi, le

251 Pour ce chapitre nous avons bénéficié, à part notre expérience sur le terrain, de plusieurs interviews sur le
sujet avec Thomas Leabhart.
252 Le projet Laban - Decroux se propose comme une solution possible à ce problème.

92
secours que le langage verbal nous prête dans notre exposé, se trouve limité par la nature de
l’objet en question. En effet, notre «objet» est défini a priori comme du mouvement.
Par conséquent, notre discours gardera obligatoirement la distance existant entre
l’énoncé et l’objet, avec un inconvénient supplémentaire induit par la nature de ce dernier: la
seule matérialisation possible de celui - ci est l’exécution physique du mouvement (253)
qui le caractérise. Cette somme de difficultés demande une vigilance particulière. C’est ainsi
que pour ce chapitre en particulier, tout en veillant à la clarté de notre exposé, nous faisons
appel de manière expresse à la bienveillance du lecteur.

La notion de répertoire « Decroux »

Nous la définirons par:

L’extension et le contenu
Dans notre introduction, nous avons présenté les premiers éléments de définition
comme: l’ensemble des œuvres majeures d’Étienne Decroux en y rattachant ses
développements concernant le langage du mime corporel (254).

A partir de cette définition, et dans la mesure où il rassemble matériellement les


indications de Decroux sur le mime corporel, nous voyons dans le répertoire «Decroux»:

L’ensemble le plus complet de compositions de mouvement représentant


actuellement, à la fois, un «catalogue» des possibilités d’exploration des ressources
corporelles de l’acteur et une indication d’entraînement afin de maîtriser ces dites ressources
en vue de leur utilisation sur scène.
Ainsi, nous avons établi comme prémisses que le répertoire «Decroux» est:

• La Mémoire première( 255) du mime corporel, et

• La base minimale sur laquelle peut se fonder son éventuelle tradition.

Prémisses qui nous amènent à désigner le répertoire «Decroux» comme l’objet qui
permet la préservation, la transmission, l’étude et l’assimilation des principes et fondements du
mime corporel dans le cadre de son processus d’apprentissage.

253 Et plus, ce mouvement doit être exécuté obligatoirement par un acteur formé au mime corporel.
254 Voir plus haut l’intitulé «Un langage physique pour l’acteur: le mime corporel»
255 En mouvement [en action, dynamique]

93
L’objet
Nous l’avons défini comme: les principes et fondements du mime corporel qui,
matérialisés dans les développements et le répertoire d’Étienne Decroux, font partie du
processus d’apprentissage( 256) du mime corporel.

La nature
L’objet correspondant à notre notion de répertoire «Decroux», existe seulement en
tant que matériau «mouvement» qui cristallise, comme contenant et contenu, les indications
de Decroux sur son art( 257): ses pièces de répertoire( 258), ses styles de jeu, son vocabulaire,
ses figures dramatiques et les exercices d’entraînement. Développements qui permettent
l’assimilation de ce langage corporel dramatique en vue d’une pratique spectaculaire et / ou
pédagogique postérieure. La seule matérialisation possible du répertoire «Decroux» réside
dans l’exécution physique par un acteur formé en mime corporel.

Les contours
Dans notre dernier chapitre, la présentation des développements de Decroux issus de sa
démarche pour l’édification du mime corporel nous a permis d’esquisser les contours du
matériau «mouvement» qui constitue le répertoire «Decroux». Ces développements sont les
premiers exemples de l’application pratique de ses conceptions sur le mime.
Nous allons présenter les liens entre ces développements et les divers aspects et
niveaux du mime corporel afin d’exposer clairement les contours du matériau «mouvement»
qui correspond à notre notion de répertoire «Decroux» (l’objet):
• Une grammaire du mouvement fondée sur la connaissance pratique de la phy-
siologie du travail, appliquée au corps humain en situation de représentation.
Elle est fruit des découvertes de Decroux relatives à l’utilisation des ressour-
ces corporelles à la disposition de l’acteur pour l’expression physique du

256 Nous rappelons au lecteur que le processus d'apprentissage du mime corporel ne se limite pas à la com-
munication du matériau de mouvement répertoire «Decroux », d'autres pratiques comme l'improvisation, la
composition, les ateliers de mise en scène, etc. en font aussi partie. (Voir l’introduction).
257 Indications faisant partie du processus d'apprentissage du mime corporel.
258 Conçues comme telles pour leur représentation sur scène.
«J'ai monté quantité de spectacles, dont chacun était la mise en œuvre spectaculaire des techniques conquises en
studio dans l'année écoulée. C'était autant d'indications sur ma conception de cet art».
Étienne Decroux: Paroles sur le mime, op. cit. page 87.
Dans notre travail de recherche, l’intérêt porté aux compositions et aux pièces de répertoire de Decroux
concerne plus leur qualité de matériel pédagogique et de consignes d’entraînement que leurs possibilités specta-
culaires.

94
drame à partir de la nature de son jeu musculaire. Dans cette grammaire, le vo-
cabulaire du mime corporel ( 259) est le premier niveau de la matérialisation
en mouvement. Le second niveau est constitué par les figures dramatiques et
enchaînements, exemples( 260) de composition.
• Un langage artistique pour l’expression théâtrale. Il correspond aux différents
styles de jeu( 261) dont les figures dramatiques et les pièces de répertoire, sont
des exemples( 262) et matérialisation en mouvement.

• Une méthode d’entraînement physique particulière qui vise à réveiller et à


préparer le corps - actuant( 263) à la maîtrise de ce langage artistique. Les exer-
cices pour la formation physique de l’acteur, dont — l’assimilation le mettrait
(l’acteur) en état; de faire ce qu’il veut, de savoir ce qu’il fait, d’inventer ce
qu’il faut.( 264), sont la matérialisation en mouvement de cette méthode.

• Une série de protocoles d’improvisation afin de donner à l’acteur - mime la


possibilité d’explorer les chemins spectaculaires pour rendre objective, par le
biais de son «corps - en - action», la subtilité du jeu dramatique. Ces proto-
coles correspondent aux recherches suivies par Decroux pour l’application
spectaculaire de ses développements. Ses indications sont verbales et ne sont
pas concernées par notre projet (quoique).

• Une dramaturgie construite sur les bases antérieures. Des exemples de la ma-
térialisation en mouvement se trouvent depuis les figures dramatiques et jus-
qu’aux pièces de répertoire.

Matérialité dans les caractéristiques


La citation de Decroux qui suit, nous donne un aperçu du type de caractéristiques qui
sont impliquées:

259 Le «vocabulaire» concerne les voies corporelles impliquées par la «mise en corps» des principes et fo n-
dements du mime corporel.
260 Exemples, non pas limite ou plafond impossible à dépasser, mais base à partir de laquelle des explorations
subséquentes sont possibles et souhaitables, voire nécessaires.
261 Chacun d’entre eux se caractérise par une utilisation particulière des ressources corporelles correspondant
à la représentation physique des divers états dramatiques de l’homme. Ils trouvent leur définition sur des bases
«physico - dramatiques» que nous avons analysées dans notre chapitre précédent.
262 Voir: «exemples» plus haut (Note n° 260).
263 Le corps du mime (l’acteur) comme principale élément agissant dans la représentation du drame.
264 Étienne Decroux: Dossier n° 57 «Mai 1953», page 18, Fonds Decroux, op. cit.

95
« Quant au drame d’obéir, voici : on donne à copier à l’élève une figure
définie, celle - ci et pas une autre. On s’aperçoit alors qu’il faut plus d’invention
pour obéir que pour créer. » (265)

Caractéristique principale
Enfin, la définition objective de notre notion de répertoire «Decroux» est fondée sur
sa caractéristique principale en termes de mouvement: la précision des choix concernant
l’utilisation des ressources corporelles, des voies d’évolution, des rapports internes, inter -
partenaires, et ceux avec l’espace scénique.

Grâce à cette précision, le répertoire «Decroux» est la base minimale pour la


préservation, la transmission et l’apprentissage du mime corporel, car, dans l’entraînement la
précision est la clé qui permettra à l’acteur l’assimilation de ce langage physique.
Il n’est pas inutile de rappeler que sans précision, nous ne pouvons pas parler de
définition. Cette caractéristique du répertoire est analogue à celle recherchée par Grotowski
dans son travail sur les «actions physiques», c’est à dire:

« quelque chose de structuré qui soit répétable (sic),qui a un début, un


développement et une fin, où chaque élément a sa place logique, techniquement
nécessaire. » ou « structure performative objectivée dans les détails » (266)

Répertoire - Partition

La précision implique une autre dimension concernant l’œuvre concrète de Decroux;


celle de «texte». En effet, le tissu formel des compositions de Decroux nous permet de les
regarder en tant que «textes» ou arrangements précis de mouvement et de considérer que
chacun des éléments du répertoire est en soi, un «texte de mouvement». Ainsi notre notion de
répertoire «Decroux» fait référence à l’ensemble des textes en mouvement écrits( 267) par
Decroux.
Cela nous donne au moins deux niveaux différents d’analyse possibles:

265 Idem: «Enseignement», Paroles sur le mime, op. cit. page 170. (Nous avons souligné en caractères
gras).
266 Jerzy Grotowski: «De la compagnie théâtrale à l’art comme véhicule»©1993. Dans: Thomas Richards:
Travailler avec Grotowski sur les actions physiques. Coll. Le temps du théâtre. Ed. Actes Sud / Académie expé-
rimentale des théâtres. Arles 1995. Pages 194 et 196.
267 En mouvement, et non «en l’air» comme signalait Thomas Leabhart. Voir: Leabhart, Thomas: Modern
and Post - Modern Mime, Col. Modern Dramatists, Ed. St Martin’s Press, New York, 1989. page 55. (Nous avons
traduit de l’anglais).

96
• Le premier concerne l’écriture des compositions et se prête à l’analyse esthé-
tique.
• Le deuxième, concerne le mouvement en tant que structure matérielle faisant
office de support de texte, qui sera l’objet d’une analyse spécialisée.

Pour notre travail, nous ferons référence au deuxième niveau.


La caractéristique de précision et la dimension de texte de notre notion de répertoire,
nous donnent la possibilité de concevoir comme partition l’ensemble des informations
«mouvement» ( 268) de chacun de ses éléments( 269), et d’établir l’analogie de répertoire -
partition.
Cette proposition n'amoindrit pas la valeur artistique des compositions d’Étienne
Decroux. Lesquelles traitées comme des partitions (comme pour la danse et la musique) ou
comme du texte (comme pour le théâtre et la poésie), gardent la même notion de valeur de
répertoire à l’intérieur de l’éventuelle tradition du mime corporel.

Même si leur création correspond à des moments uniques, et s’il n’est plus possible de
les voir telles qu’elles ont été crées, pour l’apprentissage du mime corporel, nous pouvons
considérer le «texte» des partitions du répertoire «Decroux» comme des informations
«mouvement» correspondant à l’objet d’étude et pouvant servir de base à une nouvelle
matérialisation par des acteurs capables de faire la reprise de ces indications.

Le contenu de ces partitions nous renseigne avec précision sur les choix faits en ce qui
concerne: l’utilisation du poids, les parties du corps impliquées et l’ordre de leur mise en
mouvement, ainsi que leur direction dans l’espace, les rapports intercorporels, les vitesses, les
rythmes, les inter - rythmes, le degré de tension musculaire ou de relâchement, les pauses, la
respiration, le «focus»( 270), et d’autres informations en rapport aux actions, personnages,
charges émotives, intentions, motivations ou états représentés.

Informations qui correspondent aux indications «mouvement» de Decroux, et qui sont


utilisées comme du matériau «mouvement» dans le processus d’apprentissage du mime
corporel. Ces partitions sont le «texte» fondamental qui guide l’acteur dans l’étude du mime
corporel. Leur reprise est le travail de base de l’entraînement pour l’assimilation de ce langage
dramatique.
Dans ce contexte, la définition des objectifs du projet Laban - Decroux concerne, dans:

268 Information «mouvement» : ce sont les valeurs concrètes relatives aux paramètres qui caractérisent le
mouvement correspondant à chaque matériau - objet analysé.
269 Dans notre cas, ceux qui constituent le répertoire «Decroux».
270 De l’anglais: point focal du regard.

97
- la préservation: la mémoire (l’accès à, et la restitution de, cette information)
- l’apprentissage: la transmission et la mémorisation de cette information
- l’entraînement: l’élaboration de notes d’étude et d’aides mémoire à partir des
partitions du répertoire «Decroux»
Et son bilan théorique, l’évaluation des moyens et supports proposés pour la mémoire
et la communication de cette information, ainsi que celle de la méthode pour l’élaboration des
notes d’étude des partitions de ce répertoire.
En rapport à notre proposition pour l’analyse et la notation du mouvement du répertoire
«Decroux», il nous semble intéressant de relever l’affirmation de Farnell et Durr, concernant
sa dimension de texte:

« C'est un axiome de l'analyse du mouvement que de produire des "textes"


de mouvement, pour faciliter l'analyse détaillée depuis la plus petite unité d'un
système (l'élément kinétique) à la suivante ( une kinésème) et ainsi de suite dans
toute l'échelle du mouvement humain théoriquement possible. Et cela ne peut pas
se faire sans textes de mouvement. Comme dans les textes écrits des langues
parlées, la lecture permet la réflexion et l'étude hors du dit "temps réel". Nous ne
sommes pas soumis à la vitesse de quelqu'un en train de parler ou, (dans le cas des
langages du mouvement) en train d'exécuter une suite de mouvements, et le
lecteur peut sauter en arrière ou en avant dans le texte pour comprendre et se
concentrer sur certains éléments à l'exclusion d'autres… » (271)

Où pou finir, Farnell et Durr nous indiquent que:

« … les éléments de l'action (le corps qui bouge dans les quatre dimensions
de l'espace / temps) sont contenus dans la partition ». (272)

Nous encourageant à maintenir notre choix d’orientation.

Note explicative sur le répertoire du mime corporel

Nous voulons insister sur le fait que l’utilisation de l’expression base minimale, en
faisant référence au répertoire «Decroux», ne reflète en aucun cas l’affirmation qui ferait
croire à l’intention de le considérer comme limite «plafond» impossible à dépasser, mais

271 B. Farnell and D. Durr. "Notation and Anthropology: some theoretical considerations." Communication
présentée dans le cadre du 1er Congrès International sur la Notation du Mouvement à l'Université de Tel Aviv,
Israël. août 1984. (Nous avons traduit de l’anglais).
272 Ibidem. (Nous avons traduit de l’anglais).

98
simplement comme le socle à partir duquel, des développements subséquents, des nouveaux
répertoires, ainsi que des versions et interprétations diverses seront toujours possibles.

N'oublions pas que les développements d’Étienne Decroux, matérialisation par le


mouvement des aspects et niveaux du mime corporel signalées plus haut, ne sont que des
exemples. Les partitions du répertoire «Decroux», en tant que mémoire de son œuvre, sont la
base des multiples possibilités d’interprétation, et non pas la limite.
A partir de cette base, d’autres exemples plus «contemporains» ou au goût du jour,
peuvent être développés, et enrichir à leur tour le répertoire du mime corporel. La seule
condition serait que, dans leur définition par le mouvement, ils impliquent au moins les
principes et fondements du mime corporel et les développements d’Étienne Decroux( 273) en
définissant clairement la précision dont nous avons parlé plus haut.

« Je voudrais que l’acteur, en acceptant l’artifice sculpte l’air et fasse sentir
où le vers se commence et où il se finit ». (274)

La tradition du mime corporel

Le répertoire «Decroux» dans la tradition du mime corporel


Dans l’introduction, nous avons signalé que la faisabilité de notre projet dépend de la
place effective accordée par les écoles, centres de formation ou professeurs, au répertoire
«Decroux» dans la formation adressée aux acteurs.
En effet, l’intérêt du projet Laban - Decroux repose sur l’idée que le répertoire
«Decroux» est le matériau de mouvement de base minimum utilisé pour l’apprentissage du
mime corporel, et partant, fondation de son éventuelle tradition. Il nous faudra établir le bien -
fondé de cette idée.
Notre deuxième supposition est que le répertoire «Decroux» est utilisé pour la
transmission du mime corporel par les écoles, centres de formation ou professeurs. Il sera
nécessaire de déterminer la place effective qui lui est accordée dans leurs programmes.
Pour déterminer la faisabilité de notre proposition, nous procéderons donc en deux
étapes:

273 La grammaire du mouvement (le vocabulaire), le langage dramatique (les styles de jeu), les diverses pro-
tocoles d’improvisation et la dramaturgie du mime corporel.
274 Étienne Decroux: Paroles sur le mime, op. cit. page 30.

99
• D’abord nous essayerons de déterminer les rapports entre le répertoire
«Decroux» et l’éventuelle tradition du mime corporel.

• Ensuite, la présentation des propositions actuelles concernant la communica-


tion du répertoire «Decroux» pour la transmission du mime corporel, nous
permettra de déterminer sa place à l’école.
Avant de commencer cet exposé, nous voudrions signaler qu’il est peut - être une des
parties de notre étude la plus conditionnée par notre approche physique du mime par le fait
que la base concrète de notre réflexion est la démarche empirique de notre propre parcours.
Le traitement de notre sujet suivra le modèle «temporel» imposé par la logique propre
à cette démarche. Ceci nous amènera à faire un court détour, en présentant d’abord le chapitre
prochain avant de continuer celui - ci.
Voici le modèle temporel extrait du déroulement de notre démarche:

Première étape: d’abord nous avons vu le mime corporel, pour ensuite chercher
puis trouver l’école qui nous permettrait de passer à la

Deuxième étape: entrer en contact avec le répertoire «Decroux» en tant que


récepteur dans la communication de ce dernier, pour ensuite passer à la

Troisième étape: notre propre apprentissage du mime corporel par le travail


d’entraînement pour la compréhension et la mémoire qui nous
permettraient l’assimilation physique de l’information reçue.

Étapes subséquentes: ont suivi la pratique pédagogique, avec l’enseignement du


mime corporel, notre participation à la reconstruction de pièces de
répertoire d’Étienne Decroux et leur représentation sur scène.

Ce parcours à l’intérieur de la tradition du mime corporel, est constitué d’allers -


retours constants entre la communication, la mémoire, l’étude et la reprise des informations
«mouvement» du répertoire «Decroux». Il nous a révélé la problématique sur laquelle la
proposition contenue dans notre projet veut agir.
Problématique qui concerne précisément l’idée «pilier» du projet Laban - Decroux.
Cette idée considère que la survie( 275) du mime corporel dépend de la préservation et de la
transmission entre générations de ses principes et fondements( 276). Deux points nous
permettront de présenter cette problématique:

275 La tradition.
276 Les principes et fondements du mime corporel se trouvent aujourd’hui, concrétisés dans le répertoire
«Decroux», en tant que mémoire première du mime corporel.

100
• Les difficultés de l’apprentissage du mime corporel, liées à la communication,
la compréhension et la mémoire des informations «mouvement» du répertoire
«Decroux».

• L’état de fragilité paradoxale de la tradition du mime corporel qui, à mesure


que passe le temps, accroît les difficultés dans l’apprentissage.
Le premier point reflète une série de constatations dont nous parlerons dans le chapitre
suivant. Ce chapitre ouvrira la section concernant la transmission du mime corporel et fera une
analyse de l’état actuel des cibles( 277) de notre proposition, à travers l’exposé du processus
d’apprentissage du mime corporel fondé sur notre expérience.

Les questions qui seront traitées dans ce chapitre trouvent leur place dans les domaines
des deuxième et troisième étapes considérées plus haut. C’est - à - dire que si le contact entre
l’acteur et le répertoire «Decroux» est «normalement» assurée par l’école, le centre de
formation ou le professeur, il reste encore à savoir si ce contact est suffisant pour
l’apprentissage du mime corporel.

Car dans ce processus, la compréhension et l’assimilation des informations


«mouvement» du répertoire «Decroux» sont dépendantes des variables qui conditionnent la
communication et la mémoire nécessaires à leur reprise dans l’entraînement, travail lui -
même, soumis à ses propres variables.
Le contenu de notre prochain chapitre étant présenté, nous pouvons revenir sur la fin de
celui - ci. Il s’agit de déterminer les rapports du répertoire «Decroux» avec la tradition du
mime corporel.

Nous partirons du fait que les contacts, d’abord avec la tradition du mime corporel et
ensuite avec le répertoire «Decroux», ont lieu dans les deux premières étapes de notre
modèle temporel. Celles - ci sont en rapport direct avec le deuxième point utilisé pour la
présentation de la problématique qui nous concerne.

La fragilité paradoxale de la tradition du mime corporel.


La principale raison qui nous conduit à considérer que cette tradition est dans une
situation de fragilité, vient de la constatation que le mime corporel est et a été une pratique
marginale dès le départ. Ce qui veut dire que ceux qui possèdent ce langage, qui sont en

277 Les cibles de notre projet sont: les moyens utilisés pour la communication et la mémoire du répertoire
d’Étienne Decroux, et la méthode de notation utilisée pour l’élaboration des notes d’étude pour l’entraînement,
dans le cadre de l’apprentissage du mime corporel. (cf. «Le bilan», dans notre Introduction).

101
mesure de l’apprendre à d’autres et qui s’en servent sur scène( 278), ont été et sont toujours
très peu nombreux.

Cette fragilité est paradoxale si nous partons de la prémisse que le mime corporel
bénéficie d’une extraordinaire force à sa naissance, et dont nous entendons encore les
résonances( 279). Nous avons présenté les atouts du mime corporel dans nos chapitres
précédents: ses origines, ses objectifs, ses moyens, ses méthodes, le répertoire «Decroux»,
etc. Cette «tradition» doit donc avoir quelque part, un point de faiblesse qui détermine la
marginalité de sa pratique.
N’oublions pas qu’en 1945, quand Gordon Craig voit pour la première fois un spectacle
de mime corporel, il exprime son enthousiasme dans l’article où il rend compte de cette
fameuse «Séance de mime corporel»:

« J’ai beaucoup voyagé en Europe, visitant bien des villes en Hollande, en


Allemagne, en Russie, Italie, Angleterre, Écosse, — mais jusqu’à ce jour je n’avais
rien vu de comparable …

… A côté de l’oeuvre de Decroux et de Barrault, les opéras et autres théâtres


d’État de l’Europe me semblent ridicules » (280)

Ce qui ne laisse aucun doute quant à la force qui anime la tradition du mime corporel à
sa naissance. Cependant, paradoxalement deux ans après, Decroux considère le mime comme
«un paria»;

« Est - ce de notre faute si le mime est paria ? s’il n’arrive pas à relever de
l’Assistance Publique ? si nos étudiants de théâtre vont se brûler au cinéma ? s’il
n’ont pas le temps d’apprendre ? » (281)

Tout en nous informant des problèmes auxquels il fait face pour promouvoir la pratique du
mime corporel, il trouve que la naissance de ce dernier est quelque part «fragile».

278 Désormais le terme «pratique», utilisé en rapport au mime corporel, fera référence aux trois volets de
cette «définition»: être en possession physique de ce langage, en mesure de l’apprendre à d’autres et s’en servir
sur scène.
Concernant le métier de l’acteur, la pratique du mime corporel veut dire qu’il s’exprime sur scène avec son
corps avec la même maîtrise qu’il le fait avec sa voix.
279 Voir comme exemples les textes de Jean Perret, Eugenio Barba ou Giorgio Strehler, cités dans notre intro-
duction.
280 Gordon Craig: «Enfin un Créateur au théâtre», Arts, 3 août 1945.
281 Étienne Decroux: «Enseignement», dans Paroles sur le mime, op. cit. page 171. (Nous avons souligné
en cratères gras).

102
« Ce n’est pas à des élèves abstraits, doués d’une fidélité abstraite que le
mime doit sa fragile naissance »  (282).

C’est peut - être aussi la raison pour laquelle, à quelques années de distance, en 1958,
Jean Dorcy s’interroge déjà sur l’avenir du mime:

« Le mime, genre né en France, se propage dans le monde entier. Peut - on


prévoir son avenir ? Est - il suffisamment vigoureux pour survivre à ceux qui
l'ont créé ? (...) pour la survie du genre, nous miserons plus sur l'école d’Étienne
Decroux que sur les réussites du réalisateur Marcel Marceau. » (283)

Nous ne pouvons pas éviter de nous demander: quel est sa faiblesse? Pourquoi Dorcy
craint - il pour la survie de la tradition du mime corporel si près de sa naissance? Se trouve - t
- elle déjà dans une situation de fragilité?
Cette crainte n’est peut - être qu’un écho du reproche fait par Decroux, cinq ans
auparavant, à ceux qui prétendent le suivre sur le chemin du mime, dans son article «Sénilité
précoce»:

« Parfois, les adeptes lointains de ce mot (mime) ne devaient qu’exhumer la


pantomime ancienne.…

Parfois, il s’agissait d’un mime ayant en soi de la valeur, mais qui


intervenait dans une pièce dont l’auteur n’avait en rien prévu une telle
intervention, et dont la pièce ne pouvait qu’en souffrir. » (284).

En fait, la pratique du mime que Decroux voyait proliférer au théâtre, ne correspondait


pas à celle qu’il préconisait. Ce «mime» s’éloignait déjà, sans l’avoir atteint, du résultat
recherché par Decroux en l’édifiant. Il regrette enfin:

« Si bien que constatant avec plaisir l’expansion d’un désir de mouvement, je
regrette d’en constater aussi la sénilité précoce. » (285)

Ceci met en évidence une pratique (le mime corporel) qui dès ses débuts, n’est pas
répandue, une proposition de renouveau du théâtre qui n’atteint pas sa cible, car elle est fondée
sur le renouveau de l’acteur. Le mime corporel est dès le départ une pratique marginale, ce
qui n’arrange pas les choses pour le développement de sa tradition.

282 Ibidem, page 172. (Nous avons souligné en cratères gras).


283 Jean Dorcy, A la rencontre de la Mime, Neuilly - sur - Seine: Les Cahiers de la Danse et de la Culture,
1958. page 100. (Nous avons souligné en cratères gras).
284 Étienne Decroux: Paroles sur le mime, op. cit. pages 87 et 88.
285 Ibidem, page 88.

103
Il est aussi important de signaler que Franco Ruffini, dans son discours( 286) de
présentation à l’occasion de la remise du titre «Docteur Honoris Causa» à Decroux, nous dit
que ce dernier n’est à ce jour l’initiateur d’aucune tradition.

« Il n’existe pas, il n’a jamais existé, au sens stricte du terme, une tradition
du mime héritée de Decroux » (287).

Le mime corporel, pratique marginale.


Enfin, si elle existe ou non, l’intérêt de signaler la fragilité de l’éventuelle tradition du
mime corporel et la marginalité de sa pratique comme des conditions aggravantes réciproques,
tient en premier lieu au besoin de mieux orienter nos efforts. Si nous pouvons trouver les
causes et établir leurs rapports, il serait possible de proposer un remède.
Il est assez étonnant de remarquer que certains spécialistes louent l’influence de
Decroux et du mime corporel sur le théâtre contemporain, alors que ce qui a été considéré
comme une des plus importantes propositions du renouveau théâtrale de ce siècle( 288), de par
la vitalité de ses bases, devient progressivement une légende par la marginalité de sa pratique.
Nous sommes surpris de cette attitude( 289) qui consiste à refuser de voir que le nombre
d’acteurs pratiquant le mime corporel est très réduit, et qu’il se réduit plus encore à mesure que
le temps passe, fragilisant ainsi, par le manque de pratique, la tradition.
Certes, la production théâtrale s’est enrichie des résultats des recherches de Decroux en
adoptant ou ajustant les œuvres aux caractéristiques spectaculaires du mime corporel, mais elle
n’a pas intégré le principal: le langage physique de l’acteur. Les producteurs, directeurs et
metteurs en scène d’aujourd’hui ne trouvent personne (ou presque) qui possède ce langage. Ils
essayent donc de reproduire ses possibilités et ses effets spectaculaires en se passant de son
support essentiel : l’acteur formé à la pratique du mime corporel.

Pour continuer notre analyse, revenons au modèle temporel de notre propre parcours à
l’intérieur de cette tradition. Les deux premières étapes concernent les manifestations qui font
l’«interface publique» de la tradition du mime corporel, c’est - à - dire, celles où le public
établit un premier contact: le spectacle et l’école( 290).

Le spectacle, parce qu’idéalement il est la pratique principale des acteurs, vitrine


et sommet de cette tradition.

286 Lors de la célébration du 900 ème anniversaire de la fondation de l’Université de Bologne en Italie.
287 Franco Rufini: «Étienne Decroux un maître» dans Faire Événement, op. cit. page 182
288 Devrions - nous répéter ce que Craig ou Barba ont dit concernant le mime corporel et Étienne Decroux?
289 Des spécialistes.
290 Le centre de formation ou le professeur en mime corporel.

104
L’école parce qu’idéalement elle assure la transmission des pratiques, elle est
donc la porte d’entrée de cette tradition et le vecteur de l’apprentissage.
De par leur propriété à servir d’«interface publique», nous considérons le spectacle et
l’école comme particulièrement adaptés pour évaluer la marginalité de la pratique du mime
corporel.

Si nous prenons le spectacle, «vitrine» de la tradition: quel est le niveau de la


présence publique de cette manifestation de la tradition du mime corporel? Une des
constatations les plus évidente à faire (d’ailleurs déjà faite par Decroux lui - même dans
l’article cité plus haut) est la quasi impossibilité d’être un témoin direct de la présence
physique des manifestations de cette tradition.
Cette impossibilité nous inclinerait à conclure à l’absence de sa pratique, voire à croire
que nous faisons l’étude d’une légende et non pas d’une pratique spectaculaire actuelle.
En tout cas cette constatation partagée avec Decroux et qui nous a conduits à considérer
le mime corporel comme une pratique «marginale», doit nous permettre de répondre aux
questions qu’elle - même soulève: quels sont les indices de la pratique du mime corporel
cherchés par Decroux et qu’il ne trouve pas dans les spectacles dont il fait le récit?

Les manifestations matérielles de la tradition du mime corporel

Voir le mime corporel


Si nous considérons que dans la tradition du mime corporel, le spectacle représente
idéalement la partie visible de l’«iceberg» en ce qui concerne la pratique, il est un indicateur,
par sa présence ou son absence dans les productions théâtrales d’hier et d’aujourd’hui, et
permet ainsi l’évaluation de la marginalité de la pratique du mime corporel.

Si nous voulions faire cette évaluation, il nous faudrait d’abord reconnaître les
caractéristiques spectaculaires du mime corporel qui nous permettraient de déceler sa présence
physique. C’est - à - dire, au delà de statistiques ou autres études sur les pratiques
spectaculaires, par la perception sur scène du mime corporel.

Dans l’idéal, les caractéristiques spectaculaires du mime corporel correspondraient aux


définitions données par Decroux et qu’il dénonce comme étant absentes quand il constate la
«sénilité précoce» du mime. Elles sont:

105
Des spectacles de théâtre

- affranchis de la littérature.
« … Le théâtre ne sera digne de ce nom que lorsque celui qui agit refusera
d’obéir à celui qui écrit.

… Il faut donc agir pour penser. » (291)

- non réalistes
« Notre conception théâtrale essaie, on le voit, de reposer sur le bon sens : ne
produire sur scène que ce qu’on ne saurait goûter ailleurs. » (292)

- dont le principal facteur d’émotion serait l’acteur


« L’acteur est le seul créateur d’émotion

… Tous les éléments étrangers à l’acteur ; parole, costumes, maquillage,


perruques, accessoires, décor, musique, danse ; lesquels chassés du plateau en tant
qu’art, c’est - à - dire en tant que facteurs d’émotion, y reviennent comme sous -
titre ou facteur d’orientation.

… Ces éléments non artistiques s’abstiendront donc de créer


l’ambiance. » (293)

- où la nature du mouvement de l’acteur est essentiellement dramatique.


« le mime, c’est l’acteur dilaté.

… L’acteur, parlant bien, bougeant mal, le mime devait venir accomplir sa


parole.

Car, entre autres choses, notre art c’est cela :

D’épurer toujours, puis, selon le cas, d’agrandir ou non.

D’épurer et d’agrandir quoi ?

Ce qu’on fait dans la vie toutes les fois qu’on ne danse pas » (294)

« J’aime le mime dont l’humeur est celle du théâtre parlant et qui ne danse
s’il danse que pour représenter la danse » (295)

291 Etienne Decroux: Dossier n° 42 «début 1950», page 7. Fonds Decroux, op. cit.
292 Ibidem.
293 Idem: Dossier n° 9 «1940, 3 bis», pages 3 et 6, Fonds Decroux, op. cit.
294 Idem: Paroles sur le mime, op. cit. page 66.

106
- où le «tronc» de l’acteur est son principal organe d’expression
« Dans notre mime corporel, la hiérarchie des organes d’expression est la
suivante : Le corps d’abord, bras et mains ensuite, enfin, visage. » (296)

« Les mains sont faites pour contacter et les bras pour pousser les mains, et le
tronc pour pousser les bras, et les jambes pour pousser le tronc, et le sol pour servir
d’appui,

… et le reste est littérature. » (297)

Le mime corporel et les pratiques spectaculaires actuelles


Les définitions antérieures peuvent être utilisées pour relever des indices de la pratique
du mime corporel dans le domaine du spectacle. Nous déterminerons dans quelle mesure,
l’analogie entre la perception d’un spectacle et les caractéristiques spectaculaires du mime
corporel, est le reflet de sa pratique et nous indique sa présence.

Pour ce qui est du théâtre affranchi de la littérature, nous pouvons dire que son
foisonnement indiquerait que la pratique du mime corporel est plutôt bien implantée ou que
son influence s’y fait sentir (que cela suffise, est une autre question…).
Cependant, bien que beaucoup de spectacles aujourd’hui soient créés à partir
d’improvisations et que le théâtre y soit libre de celui qui écrit, cela ne peut pas nous rassurer
car d’autres pratiques spectaculaires partagent avec le mime corporel cette définition.

Parmi ces spectacles, combien produisent sur scène « ce qu’on ne saurait goûter
ailleurs», et sont donc non réalistes? Nous pourrions sans doute en trouver. Cependant dans
la production de ce type de spectacle la pratique du mime corporel n’est pas évidente. Parmi
d’autres, les applications théâtrales du cirque sont représentatives de cet état de fait.
S’il suffit d’être un peu bizarre sur scène pour ne pas être réaliste, cette condition à elle
seule ne prouve, ni ne nie, la présence de la pratique du mime corporel.

Un autre écueil à la perception du mime corporel sur scène: si par hasard dans les
spectacles cités, l’émotion est produite principalement par le texte, la musique, les décors, les
lumières, les costumes, les maquillages, ou d’autres effets, seuls ou ensemble, et que nous
n’avons pas eu l’occasion de voir l’acteur comme source principale de l’émotion, encore une
fois la pratique du mime corporel se trouve marginalisée aux yeux du public. Ceci ne signifie
pas qu’elle est absente.

295 Ibidem, page 77.


296 Ibidem, page 89
297 Ibidem, page 128.

107
Un des types de spectacle produits actuellement et qui correspond aux critères
antérieurs, est appelé «danse - théâtre». Le mélange des diverses natures du mouvement qui
le compose, relève de dosages savamment gradués et nommés.

Dans ce cas - là, nous pouvons poser une question en rapport aux exécutants
(performers): sont - ils des acteurs, des danseurs, ou des mimes? ou plutôt aucun des trois en
particulier? Nous n’avons rien contre ce genre d’ambiguïté, le problème c’est que ces
spectacles ne permettent pas de voir à quoi ressemble la pratique qui nous intéresse. Pourtant,
cela ne signifie pas que le mime corporel y est absent.

Certains de ces spectacles, présentent des dosages des diverses natures de mouvement
qui nous permettent de les identifier comme des spectacles d’ordre dramatique ou des espèces
de théâtre, nommes souvent: «théâtre gestuel», «théâtre du mouvement», «théâtre
d’objets», «théâtre d’action», «pantomime» ou autre.
Si la majorité de leurs caractéristiques spectaculaires correspond parfois à celles du
mime corporel, la difficulté pour y déceler la présence de la pratique de ce dernier, vient du fait
que le principal organe d’expression peut être, entre autres: l’objet manipulé, le texte( 298), le
visage ou les mains (seuls ou ensemble), et non le «tronc» de l’acteur.

Pourtant, cela ne veut pas dire que le mime corporel se trouve absent de ces derniers
spectacles. Arrivant à ce point de notre analyse, nous sommes amenés à penser que la
caractéristique spectaculaire du mime corporel qui nous donnerait physiquement et sans
ambiguïté l’indice de sa pratique c’est: « le tronc de l’acteur…» qui «…est son principal
organe d’expression.».

Nous pouvons aussi dire que parmi les caractéristiques spectaculaires du mime corporel
qui peuvent être présentes sur scène, celle - ci est la plus difficile à produire, en particulier
parce qu’elle demande la maîtrise de ce langage par les acteurs, chose impossible s’ils ne
pratiquent pas le mime corporel.

Cette constatation faite, pouvons - nous dire encore que nous avons eu la possibilité
d’identifier sur scène la pratique du mime corporel? N’oublions pas que l’analogie des
caractéristiques d’un spectacle avec les critères d’évaluation utilisés, ne nous garantit pas que
ce que nous voyons sur scène reflète la pratique du mime corporel. Ce qui ne voudrait pas dire
qu’il s’en trouve absent.
A notre avis, nous n’avons eu que rarement cette possibilité. Ceci nous amène à
conclure que, en l’absence d’acteurs qui pratiquent le mime corporel sur scène, ce premier

298 Non littéraire et trouvé par l’acteur, évidement

108
volet de l’«interface publique» de la tradition est pratiquement introuvable, et quoi qu’il en
soit, cela nous confirme la marginalité de la pratique.

Nous pouvons alors nous demander: pourquoi si peu d’acteurs possèdent ce langage et
/ ou sont en mesure de s’en servir sur scène? Question qui nous renvoie à la fragilité de la
tradition du mime corporel, voire à l’incertitude de la transmission de ses pratiques que l’école
et l’apprentissage devraient assurer, car utiliser ce langage implique le posséder, donc
obligatoirement avoir suivi une formation.

C’est peut - être la raison pour laquelle Dorcy( 299) parie sur l’école, plus que sur le
spectacle, en ce qui concerne la tradition du mime. Bien qu’elle soit réellement dépendante du
spectacle, vitrine de ses possibilités, apparemment, la survie du mime corporel ne peut être
fondée que sur sa transmission: l’apprentissage, dont le vecteur principal reste aujourd’hui
comme à ses débuts, l’école d’Étienne Decroux( 300).
En tant que deuxième volet de l’«interface publique» de la tradition, l’existence de
l’école Decroux nous permet de ne pas traiter le mime corporel comme une pratique en voie de
disparition malgré sa marginalité, parce qu’elle a le rôle d’assurer la transmission et la
continuation de la recherche. En paraphrasant Marcel Mauss( 301), nous pouvons dire que ce
n’est que par la transmission de ses pratiques entre générations que cette tradition existe.
L’école est également le foyer de la recherche, selon Grotowski( 302), qui place le
passage entre générations comme condition fondamentale de la recherche:

« On ne peut pas jamais accomplir quelque chose du réel si on travaille tout
seul. Tout est question d’équipe, de passage entre générations. Pour aboutir à
quelque chose il faut plusieurs générations donc, le passage de l’une à l’autre est
fondamental.

Pas seulement transmettre quelque chose à quelqu’un qui a la sensibilité, etc.


mais qu’il puisse aller plus loin que moi même (au minimum 20%). La vraie
tradition est de continuer la recherche.

299 Voir note N° 283 plus haut.


300 Qu’après le décès de son créateur, nous appellerons: l’École Decroux.
301 «Il n'y a pas de technique et pas de transmission, s'il n'y a pas de tradition. C'est en quoi l'homme se dis-
tingue avant tout des animaux; par la transmission de ses techniques ...»
Marcel Mauss: «Les techniques du corps», Communication à la Société de Psychologie le 17 mai 1934. Pu -
bliée par la suite dans le Journal de Psychologie XXXII, ns. 3 - 4, 15 mars - 15 avril 1936. mise en contexte dans
un discours sur le théâtre par Ugo Vogli, dans «Techniques du corps», Anatomie de l'Acteur. op. cit. page 113 à
123.
302 Jerzy Grotowski: Conférence au Théâtre du «Rond Point», Paris, 7 juillet 1996, conférence à laquelle
nous avons assisté.

109
Quand je dis la tradition, je dis recherche. Ce n’est pas de couper la
recherche, mais de la continuer et de ne pas oublier que ce n’est qu’une recherche. »

Chercher et trouver l’école


Si nous considérons que posséder le langage du mime corporel et être en mesure de
l’apprendre à d’autres personnes est, au même titre que son utilisation sur scène, un indice de
sa pratique, trouver qui peut l’enseigner nous parlerait de sa présence, le contraire dirait sa
marginalité.
Pour ceux( 303) qui ont voulu un jour entrer en contact avec le répertoire «Decroux»
pour leur formation, la recherche de l’école a été certainement l’occasion d’une confrontation
avec d’autres indices de la marginalité de la pratique du mime corporel (et partant de la
fragilité de sa tradition).
Toutefois, signalons que ces indices reflètent plutôt, et d’une façon générale, l’absence
traditionnelle d’une formation corporelle pour l’acteur. Absence que Decroux dénonçait, en
proposant l’étude du mime corporel, dans son texte intitulé : « Ordre d'importance de ce qu'il
faut enseigner au futur comédien»( 304)

"Enfin, le comédien se montre sur scène, non seulement en voix, comme au


micro, mais en corps.

Mettre le pied, le pied physique sur le plancher de la scène, c'est entrer


matériellement dans une oeuvre d'art. L'évolution corporelle y devrait donc être
artistique. C’est avec stupeur qu'on apprendra plus tard que le corps du comédien
n'était ni bien préparé, ni mal préparé, mais aucunement préparé à cette fin. »

Ce qui manquait au théâtre n'était ni des «approches», ni des «expériences» ou les


«recherches» axées sur un travail plus ou moins corporel, mais des propositions de formation
corporelle s’adressant à l’acteur.

« A l’école dramatique ’Les exercices des élèves persuadèrent Decroux non
seulement que l’étude du mime était indispensable à la formation du comédien
traditionnel, mais que le mime constituait l’embryon du plus bel art dramatique’ »
 (305)

303 Les apprentis - mimes (les acteurs).


304 Étienne Decroux: Ordre d'importance de ce qu'il faut enseigner au futur comédien, Dossier N° 25,
«1946», page 5, Fonds Decroux, op. cit.
305 Decroux parle de l’école de Copeau, dans: Étienne Decroux: "La compagnie Étienne Decroux" (Paru
dans les programmes du 26 juin 1946, de l'automne 1946, 17 mars 1947. Dossier N° 28, «26 juin 1946 - 17 mars
1947», pages 3 et 1 bis. Fonds Decroux, op. cit.

110
Depuis le début, cette idée était la principale motivation de Decroux. Cependant, quand
il créa son école, il était loin d’imaginer que décider les acteurs à suivre une quelconque
formation, leur faire comprendre ce besoin de formation, serait la partie la plus difficile de son
entreprise. En 1946, il déclara:

« … La plus petite difficulté que j’ai rencontrée fut l’étude du mime, dit - il,
la moyenne difficulté, l’étude de la gymnastique ; la plus grande difficulté,
conserver les élèves parce que le théâtre et le cinéma les dérobaient au fur et à
mesure que je les préparais.

C’est à cette troisième difficulté que Decroux impute la lenteur de


l’ascension du mime. L’obscurité dura une vingtaine d’années, dit - il, et il fut
obligé ainsi à la tache ingrate de monter des numéros individuels, alors que le
propre de l’art dramatique exige justement qu’il y ait heurt entre plusieurs
personnes » (306)

Il est étonnant d’apprendre que, le travail qui a demandé le plus d’efforts au créateur du
mime corporel, a été la mise sur pied de l’école où ce langage pouvait être appris, et où le
germe de cette pratique pouvait grandir et être transmis aux acteurs. Dans ses écrits, Decroux
fait le récit des difficultés rencontrées, ainsi que des causes qu’il leur trouve:

En 1945, dans la postface du programme de la «Séance de mime corporel» à la


Maison de la Chimie, Decroux commence son curriculum( 307) en disant qu’il a du
commencer en solo (vers 1930) à cause de l’inconstance des co - équipiers avec lesquels il
avait entrepris de former une troupe de mimes( 308).
Plus tard en 1950, il disait de ses cours:
« Dans la gent théâtrale, mes cours furent vite célèbres et peu suivis. Tout le
monde venait à moi et repartait de même. » (309)

Tout au long de sa carrière, Decroux s’est confronté à ce fait, comme la plupart de ses
anciens disciples voulant enseigner un jour le mime corporel. Il trouvait que la principale
raison de cette situation était que

306 Ibidem. (Nous avons souligné en caractères gras).


307 Nous rappelons au lecteur que Decroux appelle curieusement ce curriculum: «Bilan».
308 Étienne Decroux: «Bilan», Postface du programme «Séance de Mime corporel» du 27 juin 1945 à la
Maison de la Chimie. Fac - similé reproduit par Jean Dorcy, A la rencontre de la mime et des mimes, op. cit. page
70.
309 Idem: Autobiographie d’Étienne Decroux, Dossier N° 42 «début 1950», page 5, Fonds Decroux, op. cit.

111
« …ceux qui jugent cette étude (celle du mime corporel) inutile sont trop
nombreux.

La doctrine des hommes - nés qui sévit au théâtre est partagée par trop de
mimes. » (310).

Ce qui est devenu sa plainte de toujours contre ceux qui, dans le milieu du théâtre, ne
voient pas la nécessité d’une quelconque éducation corporelle, si par aventure ils ont accepté
de suivre une formation théâtrale. Ainsi, parmi certains obstacles à la pratique du mime
corporel, Decroux voit ce qui peut éloigner les acteurs, d’une façon ou d’une autre de la
formation, et il recommande à ses élèves de:

« Renoncer à se faire un nom dans le théâtre et dans le cinéma, car les


obligations de ce genre de vie sont plus nuisibles que ne sont bénéficiaires le
prestige et les moyens matériels qu’il donne. Tout cela détourne du but et
ajourne (311) la tâche. Le prestige et les moyens matériels sont précieux, mais ils
coûtent trop cher a acquérir » (312)

S’il veut implanter fermement ses idées esthétiques et éthiques concernant l’acteur et le
théâtre, ce n’est que parce qu’il considère que la beauté au théâtre ne s’obtient pas par hasard,

« La beauté ne se couche pas à la première sollicitation, elle veut des preuves
d’amour »(313)

Et pour l’atteindre, il ne suffit pas de se laisser glisser( 314), il renvoie alors les jeunes à
l'école,( 315), car

« …ce n’est pas en commençant l’étude à vingt - cinq ans comme je l’ai fait,
pour poursuivre en travaillant à autre chose, comme je l’ai fait, qu’on se prépare à
l’art d’acteur ; et que le jour ou les parents verront un métier dans cette profession,
en ce métier de quoi remplir une vie avec sérieux ; où le Conservatoire ne verra

310 Idem: En parlant de l’apprentissage du mime corporel. «Mime et mime», Paroles sur le mime, op. cit.
page 115.
311 Il parle de la «tâche» qu’est la formation corporelle de l’acteur.
312 Étienne Decroux: Dossier N° 1, s / d, «La méthode», page 2, Fonds Decroux, op. cit.
313 Idem, dans: Mime corporel et pantomime . entrevue à la radio avec Christiane Fournier. (Note: il s'agis-
sait d'établir un lien entre l'activité mimique d’Étienne Decroux et le rôle qu'il venait de tourner dans "Les enfants
du paradis"). Dossier N° 17, «Fin 1943», Fonds Decroux, op. cit.
314 Reproche que fait Decroux à ceux qui «consentent au mime en vue du théâtre mondain et à celui - ci en
vue du cinéma». Dans Paroles sur le mime, op. cit. page 14.
315 Vois aussi: Étienne Decroux: Dossier N° 15, «30 mai 1942, 8», Jeunesse s’acquiert, paru dans
«Comœdia» sous l’occupation, le 30 mai 1942 (le journal préféra le titre «Jeunesse doit s’acquérir»), Fonds
Decroux, op. cit.

112
plus un cours annexe dans un cours essentiel, cours annexe et facultatif, où les
heures qu’on use en démarches seront investies dans l’étude ; l’acteur
qu’engendrera ces circonstances nouvelles sera auprès de l’aptitude de Jean - Louis
Barrault et de mon attitude, une montagne auprès d’une colline. » (316)

Il regrette enfin que dans ce métier les professeurs ne trouvent pas le temps de jouer les
rôles qui leur reviennent de droit, du fait de la préparation des cours que les élèves ne suivent
pas puisque le temps leur manque étant donné qu’ils tiennent sur scène le rôle que le
professeur n’a pas le temps d’interpréter( 317).
Finalement, si Decroux abandonne tout intérêt à jouer et refuse d’interpréter lui -
même, c’est pour mieux se consacrer au développement du mime corporel et à la formation
des acteurs. Mais dans cette intention, il trouve un obstacle majeur, dont voici le récit:

« L’obstacle :

Une classe de mime est facile à ouvrir.

Sur vingt personnes commençant en Automne, une seule continue au


Printemps. Voici ce qu’on appelle une année de travail : en Été, le jeune homme
pense à son adhésion ; en Décembre, il adhère, en Avril, il déserte.

D’où vient ce manque de constance ?

— De ce que l’animal remonte à la surface.

1 - L’élève a toujours su que dans notre théâtre où personne n’étudie l’art du


Mime corporel, l’acteur n’en fait pas moins fortune. Pour quoi si les choses sont
ainsi se livrer à une telle étude ? — Pour concourir au progrès du théâtre ? Pour
satisfaire à l’intérieur de soi certain goût du travail bien fait ? — Mais ces raisons
ne sont qu’idéalistes.

Et cependant, ces considérations ne gênent point l’ouverture d’une classe,


car l’art, s’il est nouveau y promet son miracle et le nouvel élève y promet sa
constance. Mais ‘Il ne coûte que de tenir’. Chassez le matériel, il revient au galop.

L’étude du Mime qui prend le temps et absorbe l’esprit est un moyen


pratique de rater l’occasion de faire du cinéma, de la radio et du théâtre, d’autant

316 Étienne Decroux: Dossier N° 57, «Mai 1953», pages 12 à 20, Fonds Decroux, op. cit.
317 Idem: «Choses à part», Paroles sur le mime, op. cit. page 187.

113
plus que celui qui recrute les artistes n’admet point qu’on sache dire lorsqu’on sait
agir puisque lui qui sait dire ne peut pas remuer.

Ensuite, il court chez nous de ces bruits merveilleux qui donnent un air
coupable à toute étude sérieuse. Tel rôle qui dort encore en dactylographie va
changer la larve en étoile. Bien comprise, notre profession peut rendre millionnaire
un homme de 17 ans. Ces minutes englouties dans l’actif recueillement sont celles
des occasions perdues. Dès que l’étude est étrangère à ce qu’on nome l’action, à la
lutte pour la vie, elle apparaît passe - temps. Si notre étude est contraire à fortune,
à gloire, à amour, elle l’est donc à la joie de vivre.

2 - La nature d’une étude comme la nôtre répugne au comédien, car la devise


de cette étude est « agir pour penser » alors qu’il ne pense qu’à agir.

3 - L’acteur étant intelligent est comme tel, paresseux du corps.

4 - Il aime se donner, répandre ses forces, projeter son moi. Or, l’étude qui est
pour longtemps réception des pensées d’un maître impose à notre élève le supplice
imprévu de retenir sa pensée. »(318)

Ce qui nous parle d’une problématique externe et tout autre que celle qui concernerait
strictement la tradition du mime corporel, et rend improbable le succès de la proposition de
rénovation théâtrale de Decroux. Improbable parce que même si nous acceptons ce que Jean
Peret nous dit, et que Decroux

« …sans doute aura permis l’émergence de nombreuses approches corporelles


du théâtre et de la danse modernes, telles les expériences de Grotowski, de Barba ou
de Kantor ; celles du Living Theater, du Bread and Puppet ; telles encore les
créations d’un Bob Wilson ou d’une Pina Bausch ; Telles aussi les recherches et les
innovations d’une Arianne Mnouchkine ou d’un Peter Brook » (319).

il n’est pas certain que parmi celles - ci nous en trouverions une qui poursuit, continue ou
accomplit l’objectif principale de Decroux, c’est - à - dire donner à l’acteur les moyens d’être
en état de faire ce qu’il veut, de savoir ce qu’il fait, d’inventer ce qu’il faut( 320),

318 Idem: Dossier N° 20, 1944, «10 bis suite», pages 24 et 25, Fonds Decroux, op. cit.
319 Jean Perret: «Étienne Decroux, maître de mime», dans : Jacques Lecoq: Le théâtre du geste; mimes et
acteurs, Bordas, Paris 1987, pages 64 à 67.
320 Étienne Decroux: Dossier N° 57, «Mai 1953», pages 12 à 20, Fonds Decroux, op. cit.

114
« Nous voulons que l’acteur s’établisse à son compte, soit l’auteur unique du
plaisir pris au spectacle, qu’il égale en indépendance les autres artistes, soit majeur
comme eux. » (321)

Decroux veut fonder le renouveau de l’art théâtral sur le renouveau de l’acteur pour faire en
sorte que l’exercice de cette profession soit enfin un métier d’art.

Par ailleurs, si dans les caractéristiques spectaculaires des productions issues des
approches dont nous avons parlées plus haut, ou d’autres semblables, il y avait des traces de
l’application des «théories» de Decroux ou de son influence, ce n’est que parce que leurs
effets y sont imités, ces «recherches» visant le «nouveau théâtre»; celui qui serait:
affranchi de la littérature, non - réaliste, etc., etc.
Reproduction vaine, hélas, sans le facteur essentiel et seul capable d’assumer ce qui
supposerait une application telle: l’acteur en possession du langage du mime corporel. Sans
lui, il n’y aura pas de recette ni de recherche spectaculaire «miracle», et ce qui était «le
théâtre de demain» reste encore à venir.

« Ce que nous voyons sur la scène : c’est que les arts, hors l’art de l’acteur, se
produisent avec style. Dans un théâtre non boiteux, la place qu’ils laissent au
comédien devrait en conséquence être emplie avec style.

Dans l’esprit de Copeau, l’étude de notre mime devait doter l’acteur du


style qui lui manquait sur le plan corporel.

Vingt ans sont tombés. Et ce progrès n’est qu’un projet. » (322)

Pour Decroux, le renouveau du théâtre doit être fondé sur celui qui n’est jamais absent
de la scène: l’acteur. Il partage avec Copeau l’idée que cette présence corporelle devrait avoir
une nature artistique dès qu’elle se produit à l’intérieur d’un travail d’art.

Il est convaincu que l’enseignement du mime corporel peut transformer le théâtre à


partir de sa base: l’acteur. Et malgré les difficultés auxquelles il est confronté, Decroux
continue à édifier le mime corporel pour permettre aux acteurs de retrouver le langage
physique qui les amènerait au renouveau de leur art, par la pratique: «… par le corps d’abord,
par le corps ensuite, enfin par le corps…» ( 323).

321 Idem, dans: «Le mime sans visage», Article paru dans «Le Rouge et le Bleu» le 25 / 04 / 42. Dossier
N° 12, «1942, (5)», page 3, Fonds Decroux, op. cit.
322 Idem, dans: Copeau ne peut plus maîtriser le mime qu'il a déchaîné . Dossier n ° 14, «1942, 7» . Pages 2
à 4. Fonds Decroux, op. cit. (Nous avons souligné en cratères gras).
323 Idem: Dossier N° 2, s / d, «Explication de l’art de l’acteur», page 10, Fonds Decroux, op. cit.

115
Cependant, quand Decroux veut ouvrir une porte d’entrée à la tradition du mime
corporel et établir le vecteur de l’apprentissage, a - t - il atteint ses objectifs? En tout cas, qu’a
t - il réussi? La question est de savoir si, comme René - Jean Dufour( 324) le dit dans sa
mémoire de Maîtrise, Decroux a fait école. Questions que nous compléterons en nous
demandant: où la transmission du mime corporel est assumée et assurée.

Assumée, car dire autrement nous mènerait à considérer l’école comme une entité
abstraite, et à rester au niveau du discours stérile. Seule une telle école serait en mesure de
«poser et garder par terre» le mime corporel, car elle en assurerait l’enseignement. Selon
Decroux:

« Aucun déterminisme économique n’assumera la révolution si des hommes


ne la prennent en charge : des hommes nommément considérés. Dire que le mime
est dans l’air ne dispense pas de le poser par terre. Il peut bien rester par
terre. »  (325).

École qui serait un ancrage, où des repères, des bases communes seraient partagées,
exploitées et agrandies par l’approfondissement dans la recherche. Où des nouvelles
générations se forment, où la tradition trouve son foyer, et où les acteurs formés, possèdent le
langage du mime corporel, sont en mesure de l’apprendre à d’autres et s’en servent sur
scène( 326).

Est - il possible aujourd’hui de trouver ce que nous pourrions appeler une «École
Decroux» selon cette définition?
A ceux qui verraient dans cette question une provocation, nous voudrions dire qu’il
n’est pas dans notre intention de minimiser le travail spectaculaire fait par la «première
génération» des élèves de Decroux( 327), ou par ses anciens assistants. Notre but est de
différencier clairement les réalisations spectaculaires où le mime corporel est le langage
privilégié, et l’entreprise qui représente la transmission du mime corporel: l’école.

Nous - mêmes, dans les années 1970 - 1980, avons été le témoin ébahi de la vague de
mimes corporels à travers le monde, qui a multiplié les spectacles, les cours et stages de toute
sorte, fondés sur le « mime corporel d’Étienne Decroux», faisant ainsi connaître son
merveilleux potentiel. Ce rayonnement commence en particulier au retour de Thomas Leabhart
aux États Unis et de Jean Asselin et Denise Boulanger au Canada.

324 René - Jean Dufour: Petite histoire d’un grand art, le mime …, op. cit.
325 Étienne Decroux: «Enseignement», Paroles sur le mime, op. cit. page 171.
326 Donc qui pratiquent le mime corporel
327 Ceux formés intégralement au mime corporel par Decroux lui - même.

116
Cependant, cette notoriété n’était pas sans danger puisqu’elle a précipité l’homme et
son œuvre, hâtivement, dans le monde de la légende. Malgré le malentendu parallèle à la
renommée du mime corporel qui tient à un concours de circonstances variées et indépendantes
de la volonté de Leabhart, Asselin et Boulanger, il importe de constater qu’ils ont travaillé
autant sur scène qu’en studio, et que leurs productions ont attiré quantité d’acteurs intéressés
par le mime corporel. C’est alors que trouver une école a semblé possible au plus grand
nombre.

Nonobstant, les difficultés liées au maintien de l’entreprise que représente une


école( 328), et surtout les nécessités pratiques liées à l’enseignement du mime corporel et à
l’approfondissement de la recherche fondée sur les bases héritées de Decroux, ont découragé la
plupart des candidats à l’ouverture et maintien d’une école. De ce fait, une fois l’euphorie
tombée, peu d’écoles de mime corporel ont été crées.

Nous avons déjà signalé ces nécessités pratiques. La première: posséder physiquement
le langage du mime corporel, la deuxième: s’en servir couramment sur scène. La question est
maintenant de savoir quelles sont les bases concrètes héritées de Decroux, sur lesquelles la
tradition du mime corporel trouverait ses fondations matérielles.

L’École Decroux
Nous avons vu plus haut, qu’en tant que porte d’entrée de la tradition du mime corporel
et vecteur de l’apprentissage, idéalement le rôle de l’école( 329) serait d’assumer et d’assurer la
transmission des pratiques. Mais, que signifie «transmettre les pratiques du m i m e
corporel»? Que sont les «pratiques du mime corporel»? … il s’agit de transmettre quoi?

Dans le contexte de notre travail, nous pouvons ramener ces questions à celle que nous
posions en 1993, dans le cadre du projet «Laban - Decroux»( 330), et qui les englobe: Quels
éléments fondamentaux du mime corporel qui, préservés (les matériaux) et transmis (les
pratiques) à travers les générations, permettront sa survie?
Apparemment la plupart des auteurs consultés, ne accordent pas beaucoup
d’importance à cette question fondamentale concernant la survie du mime corporel, malgré les
implications des réponses possibles (331). Par exemple, Guy Benhaim en parle seulement de

328 N’oublions pas le manque d’intérêt des milieux théâtraux pour une formation corporelle en général, et
pour le mime corporel en particulier. Ce qui fait que cette entreprise n’a que rarement des retombées artistiques
ou financieres. Sa seule possibilité d’être gratifiante est de réussir à garder les élèves (cf. page 111).
329 Le centre de formation ou le professeur en mime corporel.
330 Jorge Gayon: Rapport du projet «Laban - Decroux» 1993. Amendement et Suspension des travaux. Do-
cument d’archives de l’Atelier International de Mime corporel - AToM.
331 Nous serions même tentés de dire que cette question est plutôt évitée. Attitude qui nous semble assez sur-

117
façon indirecte quand il considère que la théorie d’Étienne Decroux et la cathédrale de ses
exercices, sont le patrimoine qu’il lègue aux générations futures.

« Son importance (de l’oeuvre de Decroux) réside moins, aujourd’hui, en


des oeuvres - modèles qu’en une théorie claire, précise, et sur tout en un
rayonnant monument d’exercices et de figures, édifié sur les fondations jetées
par Copeau, véritable patrimoine que Decroux en mourant,vient de léguer aux
générations futures »  (332)

Guy Benhaim, sans aller plus en profondeur dans cette affirmation et en minimisant la
portée des pièces «chefs - d’oeuvre» de Decroux, met en avant ses exercices et figures.
Ce qui nous rappelle justement que les fondements et sa conception personnelle du
mime corporel( 333), Decroux les a matérialisés en mouvement. De notre côté, nous
considérons que les pièces de répertoire (334), les figures dramatiques, le vocabulaire, les
enchaînements et les exercices d’entraînement créés par Decroux, sont la matérialisation de ce
fameux héritage comme premier contenant du mime corporel.

Héritage qui pourrait, à notre avis, être à la base de l’Ecole Decroux, voire de
l’éventuelle tradition du mime corporel, si nous pouvons encore trouver des traces
concrètes( 335) des matériaux « mouvement » que nous avons appelé le répertoire
«Decroux»( 336), en attendant qu’il soit transformé, enrichi ou remplacé par des nouveaux
répertoires crées par les nouvelles générations, tout en préservant le contenu: le mime
corporel.

Préservation qui se pose comme l’enjeu majeur de la tradition du mime corporel, car, si
remplacer ou transformer ce répertoire est une envie légitime des générations émergentes, cela

prenante de la part des spécialistes.


332 Guy Benhaim: Le mime corporel selon Etienne Decroux op. cit. page 491. (Nous avons souligné en cratè-
res gras).
333 Indications faisant partie du processus d'apprentissage du mime corporel.
334 Conçues comme telles pour leur représentation sur scène, selon Decroux:

«J'ai monté quantité de spectacles, dont chacun était la mise en œuvre spectaculaire des techniques conquises
en studio dans l'année écoulée. C'était autant d'indications sur ma conception de cet art».
Étienne Decroux: Paroles sur le mime, Gallimard, Paris, 1963, p. 87.
Ainsi, dans le contexte de notre travail de recherche, l’intérêt porté aux compositions et aux pièces de réper-
toire de Decroux concerne plus leur qualité de matériel pédagogique et de consignes d’entraînement que laurs
possibilités spectaculaires.
335 Un acteur ou une actrice qui, ayant la maîtrise du mime corporel, est en train de l’apprendre à d’autres,
s’en sert sur scène et a la mémoire du répertoire «Decroux».
336 Contenant actuel des développements de Decroux dans les différents aspects et niveaux du mime corpo-
rel, et l’ensemble le plus complet d’exemples concrets de: sa grammaire de mouvement dramatique, son langage
artistique pour l’expression théâtrale, sa méthode d’entraînement, ses protocoles d’improvisation et sa dramatur-
gie.

118
ne peut pas se faire sans risquer des pertes. Surtout si le rejet des formes externes qui reflètent
le «style Decroux», n’est pas accompagné d’une proposition cohérente qui garantisse la
préservation des principes et fondements du mime corporel.

Il ne faudrait surtout pas oublier qu’en tant que pratique, la préservation ou la


recherche pour des développements subséquents concernant: la grammaire de mouvement
dramatique, le langage artistique pour l’expression théâtrale, la méthode d’entraînement, les
protocoles d’improvisation, et la dramaturgie du mime corporel, est impossible et inconcevable
sans les acteurs qui l’incarnent au préalable.

Autrement, le mime corporel aura vécu comme utopie théâtrale, et cette fois - ci, la
question que Dorcy se posait voici plus de 40 ans:

« Pourquoi la disparition d’un grand mime a - t - elle toujours entraîné la


disparition de la mime (sic) ? » (337)

nous ne pourrons plus la poser, car nous en connaîtrons la réponse dorénavant.

Voyons maintenant quelques propositions de transmission du mime corporel, où nous


pourrons distinguer le rôle accordé à ce que nous avons appelé le répertoire «Decroux». Nous
commencerons par celle de Decroux lui - même, pour ensuite présenter celles des écoles et
centres de formation que nous avons fréquentés.

L’apprentissage du mime corporel par Étienne Decroux


Qu’apprendre?:
Dans l’apprentissage du mime corporel selon Decroux, nous trouvons des indications
sur le matériau «mouvement» qu’il utilise pour sa transmission. Son article intitulé Ce que
l’école ne peut donner, présente un aperçu général des «objets» d’apprentissage( 338):

« L’école enseigne la technique et l’art du Beau mais elle ne donne pas la


passion »  (339)
Présentant son idée de l’enseignement idéal, composé par deux aspects, il les explique séparé-
ment.
« Ce que j’entends par technique, c’est la faculté de faire ce qu’on veut ; et
pour le moins, ce qu’on croit faire. Pour l’acquérir, la lutte est longue, car le corps
nous trahit. »  (340)

337 Jean Dorcy: A la rencontre de La Mime, op. cit. page 15.


338 Les «choses» à apprendre.
339 Étienne Decroux: Article inédit, s / d. (Nous avons souligné en cratères gras).
340 Ibidem.

119
explication de la technique du beau dont l’acquisition nous renvoie à l’assimilation de sa
«gymnastique» comme matériau concret de mouvement, «gymnastique» qui correspond
sans ambiguïté aux aspects du mime corporel que nous connaissons comme: le vocabulaire, la
grammaire de mouvement dramatique, et la méthode d’entraînement développés par Decroux.

« Prenant modèle sur les futurs instrumentistes qui n’apprennent pas


d’abord la neuvième symphonie, il (l’acteur) apprendrait pour commencer, une
gymnastique particulière dont l’assimilation le mettrait en état ; de faire ce qu’il
veut, de savoir ce qu’il fait, d’inventer ce qu’il faut. » (341)

Il trouve la justification de cette «gymnastique» dans le fait qu’elle peut suggérer ce


qu’on ne conçoit pas de son propre mouvement ( 342), enfin il considère son apprentissage
prioritaire dans la formation théâtrale

« Je résume l’ordre d’importance des diverses parties de l’enseignement idéal


du théâtre :

Dans l’art théâtral : l’art de l’acteur est au premier plan

Dans l’art de l’acteur : le mime corporel est au premier plan.

Dans le mime corporel : la gymnastique du beau est au premier


plan. » (343)

La suite de l’article cité éclaire son idée sur «l’art du beau» et son enseignement par
rapport au mime corporel:

« Ce que j’entends par art du Beau, c’est l’ensemble des procédés qu’on
emploie pour être compris.

Il faut que le public comprenne ce qu’on voulait lui dire et non pas le
contraire…

…Le mime ne doit pas moins que rendre perceptible chaque mouvement qui
doit l’être.

Or quelle éducation pour en arriver là !…

Être compris est le but capital de l’art du beau.

341 Idem: Dossier n° 57 «Mai 1953», pages 12,18 et 19, Fonds Decroux, op. cit. (Nous avons souligné en
cratères gras).
342 Idem: «Programme d’Études», Paroles sur le mime, op. cit. page 167.
343 Idem: Dossier N° 20, «1944, 10 bis suite», page 16. Fonds Decroux, op. cit. (Nous avons souligné en
cratères gras).

120
Ôter ceci sans que cela soit incompris, épurer ce qui reste ou encore
l’agrandir, tout cela est analogue à l’art de dire.

Cela s’enseigne… »  (344)

De plus, concernant l’enseignement de «l’art du beau», Decroux signale que «l’esprit


géométrique» qui ordonne les arts frères, la musique et la poésie notamment, ordonne
également le mime corporel. Grâce à lui, le matériau «mouvement» étudié et repris par
l’acteur, mènera à l’assimilation des styles de jeu, des protocoles d’improvisation et de la
dramaturgie du mime corporel.

Dans l’interview que Thomas Leabhart publia à l’occasion du LXXX anniversaire de


Decroux, ce dernier répond à deux questions que nous nous permettons de rapporter ici car,
elles montrent la façon dont Decroux voit l’application de cet «esprit géométrique» à
l’enseignement:

TL : D’où viennent vos élèves ?

ED : … Il y a ceux qui ont étudié la danse classique, c’est très bien. Mais ils
doivent aussi être capables de penser dramatiquement.

Il y a ceux qui sont plus ou moins maladroits, mais ils ont quelque chose en
eux qui nous laisse voir une promesse, ils sont intenses, ils ont de la présence. Ils
ont quelque chose à dire et petit à petit, ils apprennent à bouger de façon
gymnastique. Ils apprennent les parties de leurs corps, à vivre dans leur
corps, et à ne pas confondre une partie avec une autre.

Il y en a d’autres, qui comprennent tout, tout de suite et qui font ce qu’on


leur demande, mais ils n’ont rien à dire parce qu’ils n’ont pas développé leur
caractère. Quand vous avez le caractère mais pas l’habilité, la solution à ce
problème vient avec le temps ; mais si vous n’avez pas le caractère, tout est
perdu.

TL : Comme professeur, alors, l’accent n’est pas mis en priorité sur la
technique ?

ED : A notre école l’accent est mis sur l’esprit géométrique, comme dirait
Pascal. L’esprit géométrique est souvent confondu avec l’esprit scientifique. Qu’est
- ce que la science ? et qu’est - ce que l’art ? l’art sert à raconter des impressions.
Avec la science il y a des forces externes lesquelles nous respectons, et qui sont les

344 Idem: «Ce que l’école ne peut donner», op. cit. (Nous avons souligné en cratères gras).

121
mêmes pour nous tous. Un cercle pour un homme qui n’a pas bien dormi, c’est le
même que pour celui qui a bien dormi.

Dans notre art, il est nécessaire d’avoir des valeurs qui appartiennent à tous
les deux. - l’esprit géométrique et la finesse poétique. Il est nécessaire que
l’artiste exprime sa douleur, mais non avec des cris. Les poètes ont leur
langage, - leurs cris sont comme un liquide, mais un liquide bouillant qui passe par
l’étroit conduit du langage.

C’est cela ce que les élèves doivent apprendre en premier. De ne pas


simplement crier, mais de le faire à travers cet étroit conduit géométrique, à part
ça, reste à l’élève à apprendre sur son corps, la droite, la gauche, la verticale, une
ligne droite, l’horizontale, qu’est - ce que sa tête ? ou ses jambes ?, l’élève doit
commencer par penser son corps comme un clavier, que le corps déplace l’espace et
il y est déplacé. Il est important de ne pas faire n’importe quoi.

Quand quelqu’un me dit que cette contrainte limite le développement ou la


naissance de l’esprit poétique, je dis : ‘regardez la versification de la poésie, ses
règles. Tous les grands poètes qui nous émeuvent avec leur douleur, expriment
leur douleur, non avec des cris qui viennent de leurs tripes, mais avec un langage
qu’ils ont appris.

C’est la même chose avec la musique. L’art le plus technique de tous c’est
l’art qui arrive le mieux à faire un portrait fidèle de notre âme.  » (345)

Ainsi plus tard, dans la conférence du 16 janvier 1981, à son école, en continuation
avec cette dernière idée,

« Par rapport à la musique, le plus fidèle portraitiste des états d’âme…, et


pourtant cet art est technique. Technique, c’est - à - dire concret. Il y en a des
règles ! il y en a des choses qu’il faut faire et ne pas faire.

Un musicien est aussi un mathématicien, cet art est en même temps le plus
poétique et le plus technique qui existe.

Alors pour notre art, pour nous c’est pareil, il nous faut nous fonder sur
des principes. Quand nous disons par exemple : inclinaison à base fixée,

345 Idem: Extrait de l'interview du 80 ème anniversaire d’Étienne Decroux publié par Thomas Leabhart dans
le Mime Journal N° 7 & 8. op. cit. pages 60 et 61. (Nous avons traduit de l’anglais et souligné en cratères gras).

122
compensée, translation râteau, translation piston, translation râteau - piston, la
grue, etc. triples dessins, etc. Ca nous rappelle la versification.

Quand nous faisons par exemple des triples dessins avec amputation, on
découvre quelque chose, ça ressemble à l’itinéraire de la pensée du penseur. On se
dit, ‘c’est drôle, je n’aurais pas trouvé ça tout seul’. Si, on l’aurait peut - être
trouvé tout seul, mais à la condition de ne pas le chercher. Ca serait joli d’arriver
comme ça. Si tu te mettais à jouer le penseur, la pensée, on n’aurait pas trouvé.

Dès qu’on a l’esprit géométrique, pour parler comme Pascal, l’esprit


géométrique qui nous arrive et qui dit : voilà, droite, droite, arrière, amputation de
rotation, de latérale, alors voilà la chose. Quand je le fais, je me sens dans un état
intellectuel exceptionnel et ça y est, on a de la poésie qui pousse sur l’action.
La poésie qui n’aime pas les paresseux ; ‘des fleurs qui poussent entre les
pavés’. » (346)

Ainsi, le titre de l’article cité au début de cette partie( 347), est une mise en garde concernant
les limites des objectifs de l’école, que Decroux explique plus longuement par la suite.

« l’École n’apprend pas à créer.

Elle libère l’esprit créateur, le met à l’aise, donne la confiance mais elle
n’apprend pas à créer.

Car elle ne donne pas la passion quel que soit le prix de ses leçons…

Et ne donnant pas la passion, elle ne donne même pas le moyen de faire ces
observations…

Et si vous n’avez rien à dire, à quoi vous servirait l’art de bien savoir
dire ?…  » (348)
Enfin, selon Decroux, à la sortie de l’école, l’acteur idéalement
« …doit avoir dans sa tête l’humeur d’un romancier et il doit avoir dans son
corps les muscles d’un gymnaste.  » (349)

346 Idem: Conférence à son école le 16 / 01 / 81. Enregistrement sonore, document d’archives privé.
347 Voir plus haut, page 119.
348 Idem.
349 Idem.

123
Quelle durée d’apprentissage?:
Pour cet aspect pratique et capital qui concerne le temps qui idéalement doit être voué à
cette instruction pour en réussir les objectifs, Decroux donna plusieurs indications. Par
exemple, en 1963, à son retour des États Unis d’Amérique,

« Le grand public ignore trop souvent aujourd’hui le travail de termite des
compagnies de mime. il ne sait pas qu’il faut quatre années pour apprendre à
s’exprimer valablement par d’autres moyens que le langage et qu’ensuite deux ans
sont nécessaires pour monter le moindre spectacle. Au total six ans de labeur et
d’études pour une apparition limitée à une seule soirée. » (350)

Ce qui nuance son indication concernant une durée de la formation d’environ dix ans,

« Un grand art suppose une matière rebelle. Or le corps est rebelle. Sans
envisager des prouesses acrobatiques ou chorégraphiques, sans se prescrire de
devenir homme - serpent, il faut environ dix années d’efforts ; ce qui ne
dispense pas d’avoir du talent et de la culture. » (351)

En tout cas, ceci nous montre que dans l’esprit de Decroux, la durée de la formation en
mime corporel, si elle est sérieusement envisagée, serait analogue à celle de la danse ou de la
musique, dont l’apprentissage demande un long travail. Nous voyons enfin que l’apprentissage
du mime corporel ne serait envisageable sans le long travail corporel qui permet l’assimilation
physique du répertoire «Decroux».

« Dans mon enseignement, je fais travailler le corps jusqu’aux vertèbres. Je


m’emploie à ce que le mime n’ait aucun réflexe accidentel ou héréditaire. Que
notre corps fasse ce que notre esprit conçoit. Et surtout, il faut que le mime fasse
ce qu’il croit faire. » (352)

Il est évident qu’il ne s’agit pas de l’apprentissage théorique des principes et / ou


fondements du mime corporel, ni de leur compréhension intellectuelle.

La formation ne peut prétendre matérialiser un quelconque progrès de l’art théâtral et


constituer la base de la tradition de mime corporel, que si la préservation du répertoire
«Decroux», la transmission des pratiques et la recherche, sont réalisées corporellement par
des acteurs.

350 Étienne Decroux: «Le mime Decroux prend la parole … … et la garde», par Philippe Bouvard. Le Figa-
ro, Paris, 11 avril 1963. (Nous avons souligné en cratères gras).
351 Étienne Decroux: Dossier N° 17, «Fin 1943», page 1. Fonds Decroux, op. cit.
352 Étienne Decroux : «Le mime Decroux part en guerre contre la pantomime». Combat, 22 / 12 / 62

124
Les indications pratiques pour l’assimilation physique du langage du mime corporel,
comme nous l’avons vu plus haut, sont contenues dans l’ensemble des développements de
Decroux, c’est - à - dire, dans le matériau « mouvement » qui constitue le répertoire
«Decroux».

Ceci nous donne les repères de la formation idéale en mime corporel qui permettrait à
cette discipline d’accéder au niveau de «tradition»( 353). Formation destinée au corps de
l’acteur, dont les préceptes concrétisées dans le répertoire «Decroux», doivent être suivis non
pas en tant que «formule» qui transforme l’acteur (ou le théâtre, ou nos manières de faire du
spectacle), mais comme des indications d’entraînement( 354).

C’est alors, et seulement à ces conditions, que le mime corporel, patrimoine artistique
de Decroux, peut devenir comme le disent Benhaim( 355) et de Marinis( 356): L’héritage
vivant qu’Étienne Decroux lègue aux acteurs qui feront le théâtre du futur.

L’apprentissage du mime corporel après Decroux


(ou de la réalité de la tradition du mime corporel)
Après avoir analysé le rôle du répertoire «Decroux» à l’intérieur de la tradition du
mime corporel, il est clair qu’il est le matériau «mouvement» de base, contenant et contenu de
du langage physique de l’acteur, pour la préservation et la transmission des principes et
fondements du mime corporel de génération en génération( 357). Reste à nous assurer de la
présence effective du répertoire «Decroux», parmi les offres de formation en mime corporel
destinées aux acteurs.

En effet, s’il y a une tradition du mime corporel, la seule mesure possible réside dans le
fait que le répertoire «Decroux» soit actuellement utilisé comme matériau «mouvement» de
base pour la transmission du mime corporel par les écoles, centres de formation ou
professeurs, voire de la place qui lui est accordée dans les programmes. Cela constitue la
principale condition qui donnerait un intérêt à notre projet Laban - Decroux et le rendrait
envisageable.

353 Eugenio Barba compare le système de règles inventé par Decroux, à ceux des traditions orientales. Il ne
place pas le mime corporel au niveau de ces traditions. (Voir aussi «Étienne Decroux, un maître» par Franco
Rufini (cf. note N° 121, plus haut).
354 Travail physique qui va jusqu’aux vertèbres, cf. note N° 352.
355 Voir plus haut: Guy Benhaim, Le mime corporel selon Etienne Decroux, op. cit. page N° 118.
356 « … l’héritage vivant du mime corporel et de Decroux pour le théâtre de demain, lequel est aussi - si la
perspective ne semble pas excessive - celui du théâtre du nouveau millénaire»
Marco de Marinis: Mimo e teatro nel Novecento, op. cit. page 299. (Nous avons traduit de l’italien).
357 Sans le limiter à cette utilisation. Nous devons rappeler que cette façon particulière de voir et de traiter le
répertoire «Decroux» est limitée dès l’abord au cadre de notre projet de notation du mime corporel.

125
Voyons quelques propositions actuelles concernant la communication du répertoire
«Decroux» pour l’apprentissage du mime corporel, afin de déterminer sa place à l’école.
Notons au passage que les diverses pédagogies utilisées correspondent aux orientations
particulières des professeurs, écoles et centres de formation qui utilisent ce matériau comme
objet d’apprentissage.

Les programmes des écoles


De nos jours, trouver une école de mime corporel n’est pas une démarche facile, et
notre parcours personnel n’est qu’un exemple parmi d’autres. Pour les acteurs intéressés par
cette formation (ceux qui un jour deviennent des apprentis - mimes), trouver l’école n’est
finalement que le début d’un long parcours, qui le sera plus encore pour posséder un jour ce
langage, et enfin le pratiquer.

La présentation des programmes d’enseignement du mime corporel des écoles et


centres de formation que nous avons fréquentés( 358) en tant qu’élève et / ou professeur, a
l’intention de mettre en évidence les rapports objectifs entre les propositions d’apprentissage
du mime corporel, et la place effectivement accordée au répertoire «Decroux».

L’intérêt de ces programmes réside dans le fait que parmi les offres de formation
corporelle à l’intention de l’acteur, ceux - ci comportent des propositions d’apprentissage sur
le répertoire du mime corporel( 359), avec assez de régularité et de continuité pour envisager le
travail nécessaire à l’assimilation du mime corporel.

Notre choix concernant ces programmes pédagogiques pourrait paraître limité aux
spécialistes, cependant, il ne faut pas oublier que nous les avons suivis ou que nous les
appliquons aujourd’hui, et que ce choix a été déterminé par notre intention( 360)
d’apprentissage, d’assimilation et de transmission du mime corporel au niveau professionnel
de sa pratique.
Ils nous serviront aussi comme exemples d’intentions de communication du répertoire
pour l’apprentissage et l’assimilation du mime corporel. Leur présentation à l’intérieur de cette
étude n’a d’autre intérêt que de vérifier si cette condition de faisabilité du projet «Laban -
Decroux» est remplie.

358 Les deux premières concernent la période de notre formation. Nous les avons fréquentés de 1984 à 1995
(avec une période creuse de 1985 à 1987, dans laquelle nous avons suivis pendant trois mois de 1986, les cours
d’Étienne Decroux, juste les derniers mois d’existence de son école). Le dernier, l’Atelier International de Mime
corporel - AToM, est le centre de formation où nous travaillons actuellement en tant que professeur. Il est aussi le
siège du projet «Laban - Decroux». Pour les deux premiers, les programmes présentés correspondent plus ou
moins aux dates de notre fréquentation.
359 Le «répertoire du mime corporel» comporte outre le répertoire «Decroux», des œuvres d’autres auteurs.
360 Différent de celui d’un observateur externe.

126
Cette présentation nous montre des écoles, et des centres de formation où des
professeurs qui comme nous, considèrent que l’apprentissage du mime corporel doit
idéalement être fondé sur la transmission du répertoire «Decroux», et qu’il est encore
possible d’en trouver des traces( 361), principale condition à la réalisation de notre
proposition( 362).
En même temps, nous voudrions signaler l’urgence de cette réalisation. Deux des
écoles qui seront présentées sont tenues par d’anciens élèves de Decroux( 363) qui
appartiennent, dans la perspective d’une tradition, à la première génération d’acteurs formés au
mime corporel. Si la formation de ces acteurs et les résultats de leur travail sur scène ne
laissent pas de doute concernant une première expérience de transmission du mime corporel
entre générations, ils partagent avec leurs cadets de la deuxième génération, la gageure de
préserver et de transmettre les principes et fondements du mime corporel pour enfin
donner corps à sa tradition.

C’est - à - dire, que la deuxième génération doit, sans pour autant limiter sa pratique
professionnelle, prouver qu’elle est dépositaire de l’héritage de Decroux et qu’elle est en
mesure d’en continuer la transmission.

Nous sommes certains que du succès de la transmission du mime corporel vers la


troisième génération dépendra que cet art survive ou non à son créateur. A cent ans de la
naissance d’Étienne Decroux (il est né en juillet 1898), nous verrons bien s’il a réussi à ce que
son œuvre fasse partie des arts qui survivent à leur créateur.

Tout dépend des acteurs formés en mime corporel, en particulier des apprentis - mimes
qui ne se seront pas arrêtés en cours de route et qui, brisant l’inertie qui veut que l’école de
mime corporel forme des acteurs à perte( 364), relèveront le défi en faisant de l’enseignement
de leur art une partie intégrante de leur exercice professionnel.
C’est dans ces conditions que la communication et la mémoire des informations
«mouvement» du répertoire «Decroux», auront pour épreuve suprême d’assurer au mime
corporel son accession au rang de tradition vivante d’une pratique spectaculaire. Aussi, c’est le
terrain idéal pour l’application que propose notre projet.

361 Quelqu’un qui, ayant la maîtrise physique du mime corporel, est en train de l’apprendre à d’autres, s’en
sert sur scène et a la mémoire du répertoire.
362 Voir: «Conditions, La Notation / exécution» dans la présentation du projet «Laban - Decroux» plus
bas.
363 De surcroît, tous les quatre; Mmes. Denise Boulanger et Corinne Soum, et MM. Jean Asselin et Steven
Wasson, sont des anciens assistants de M. Decroux.
364 C’est - à - dire, que l’école «Decroux» forme, depuis le début, des acteurs qui ne passeront pas à leur tour
l’héritage reçu.

127
L’École de Mime de Montréal
Notre premier contact avec le mime corporel s’est fait avec les spectacles de la troupe
Omnibus dirigée par Jean Asselin et Denise Boulanger. Trois stages pris avec eux entre 1981
et 1985, nous ont permis d’approcher le mime corporel et d’envisager l’étude approfondie du
répertoire «Decroux».
Nous avons choisi de suivre leur enseignement après notre participation à leur stage
offert parmi les propositions présentées( 365) dans le cadre de la «IV Rencontre Nationale et
Internationale de Pantomime» organisée par Sigfrido Aguilar, sous le patronage de
l’Université de Guanajuato au Mexique, en novembre 1981.

Lors des rencontres qui se sont succédées les années suivantes, nous avons eu
l’occasion de participer aux activités de différents studios et ateliers, et de suivre des stages
avec d’autres professeurs( 366) de diverses origines géographiques et artistiques. Ce brassage
nous a permis de connaître le panorama et la diversité des écoles, des styles et des propositions
esthétiques existant. Notre choix est fondé sur ces expériences.
Jean Asselin( 367) présenta sa compagnie dans le cadre des Premières Rencontres
Internationales de Compagnies de Mime Contemporain à Villeneuve - lez - Avignon, en 1985.
Concernant son école, il explique dans son intervention;

« Notre entreprise a toujours été double, il y a eu un enseignement qui a été


entrepris dès la fin de nos études chez Decroux en 77. On a repris le même modèle
et jamais on a eu l’impression de devoir réagir ou s’inscrire en faux par rapport au
Maître Decroux. Il n’y avait pas de raison pour le faire. » (368)

Leur parti pris par rapport à l’enseignement du mime corporel, explique clairement les
raisons de notre choix. l’École de mime de Montréal est un des rares centres de formation en
mime corporel à affirmer et à offrir cette possibilité d’étude à ceux qui voudraient s’initier à ce
langage corporel dramatique.

365 Ateliers professionnels dirigés par Mallory Bagwell, James Donlon, Hideyuki Yano, Sally Goldstein, Bob
Berky, Jean Asselin et Denise Boulanger que nous avons suivis lors de cette rencontre.
366 Sigfrido Aguilar (Pantomime - Théâtre, Mexique - USA), le clown Dimitri (Travail de Clown, Suisse),
Monica Barbieri (Expression corporelle, Argentine), Agnès Limbos (Théâtre corporel, Belgique), Jacques Lecoq
(Mime et Théâtre de mouvement, France), Stephan Nedzialkowski (Pantomime, Pologne), Yves Marquette et
Claire Hegen-Marquette (Mime, France).
367 Fondateur et Directeur avec Denise Boulanger de l’École de Mime de Montréal et de la compagnie Omni-
bus. Tous les deux sont des anciens élèves, puis assistants de Decroux dans les années 70.
368 Jean Asselin: «Présentation de la compagnie Omnibus, Canada», Compte rendu de la table ronde Paro-
les sur les Théâtres du Geste. Ed. Premières Rencontres Internationales de Compagnies de Mime Contemporain.
Villeneuve - lez - Avignon, Mars 1985. page 24.

128
Leur proposition pédagogique: l’objectif et le contenu des cours, que nous avons
extraits de la brochure( 369) de l’année scolaire 1986 - 87 de leur école, nous montre clairement
les rapports de leur enseignement avec le répertoire «Decroux» et les principes du mime
corporel:

« Les deux cours, technique de base et technique avancée, sont une initiation
au vocabulaire dramatique du mouvement dans la perspective d’une pratique
théâtrale où l’interprète fait ce qu’il veut et non seulement ce qu’il peut. Ils se
distinguent par l’apprentissage élémentaire, puis global de l’harmonie et de la
virtuosité corporelle.

L’approche pédagogique vise l’assimilation d’une véritable grammaire


gestuelle qui englobe :

Les organes du corps — les plans et les lignes de l’espace — le dynamisme et


le rythme.

• Le gros du corps (articulation, extension, flexion).

• Le socle, agent d’expression et transporteur du tronc (racines, jambes,


tours et pivots, pas et déplacements, marches).

• Actions au contact de ce qui nous entoure (mains, bras, figures de politesse,


manipulation d’objets réels ou évoqués).

• Les styles de jeu et personnages (sportif, habillé, contrepoids, statuaire


mobile, les sens et les appétits).

Le cours de création sollicite l’imagination des interprètes par le biais d’un


travail d’improvisation où sont explorées les notions de neutralité (solo), de
présence et absence (groupes) et de causalité (duo) ». (370)

Ici ils font référence à l’idée présentée par Decroux dans l’article qui nous a servi
comme base pour présenter l’enseignement de ce dernier. En outre, le rapport direct entre leur
proposition pédagogique et le mime corporel est établi, dans leur brochure, avec l’inclusion
d’un texte signé par Decroux en 1974, qui s’intitule: «Explication sommaire de la nature du
mime corporel».

369 Programme de l’année scolaire 1986 - 87. Ed. École de Mime de Montréal. Direction artistique: Asselin -
Boulanger. 3673, Saint - Dominique, Montréal, QC H2X 2X8, Canada. Tél. (514) 843 - 3009.
370 Asselin - Boulanger: Programme de l’année scolaire 1986 - 87. Ed. École de Mime de Montréal. Mon-
tréal, 1986.

129
Avec l’École de Mime de Montréal, nous avons trouvé notre première école. Le travail
fait chez eux, nous a permis pour la première fois, d’entrer en contact avec le répertoire
«Decroux» en tant que récepteur dans la communication et surtout, de prendre conscience des
principaux problèmes concernant la mémoire( 371) pour l’apprentissage du mime corporel et
pour l’entraînement.

L’École de Mime Corporel Dramatique de Paris


En janvier 1987, quand la fermeture de l’école de M. Decroux( 372) nous poussait à
trouver une alternative pour continuer notre formation, nous avons pris connaissance de l’offre
de l’École de Mime corporel Dramatique de Paris. Steven Wasson et Corinne Soum y
proposaient depuis 1984, un programme de formation régulière et constante qui se voulait
complet.
C’était la première fois que nous rencontrions la proposition d’une formation
professionnelle en mime corporel dans un cadre scolaire. En étant conscient que cette occasion
était unique( 373), nous y sommes resté jusqu’en février 1995. Dans cette école s’est accompli
l’essentiel de notre formation.
Le travail sur le répertoire «Decroux»: les exercices, le vocabulaire, les figures, les
pièces de répertoire, ainsi que l’improvisation selon les protocoles développés par Decroux,
étaient les cours au quotidien que pendant huit ans, nous avons eu l’occasion de suivre.
Nous avons aussi participé au travail spectaculaire de la compagnie( 374) «Théâtre de
l’Ange Fou», notamment à la création et aux représentations de «L’homme qui voulait rester
débout / Hommage à Étienne Decroux», spectacle fondé sur la reconstruction de pièces de son
répertoire( 375). C’est aussi à cette école que notre activité de recherche concernant la notation
du mime corporel a commencé, ainsi que notre activité pédagogique.

Corinne Soum, dans un entretien fait et publié par Guy Benhaim, explique quels sont
les objectifs du travail qu’elle fait avec Steven Wasson dans leur école:

« Notre premier souci est de transmettre la technique, le répertoire et l’esprit


qui accompagne les idées de Monsieur Decroux et toutes les études
d'improvisations qu’il a faites. Nous sommes très ‘fidèles’ à ce répertoire.

371 La mémoire: la conservation et la restitution des informations «mouvement» du répertoire «Decroux».


372 A notre arrivée à Paris en 1986, nous avons eu la chance de rencontrer le vieil homme légendaire: Étienne
Decroux. Il était âgé de 88 ans. Nous avons pu suivre ses cours d’octobre à décembre de cette année, il fermait
définitivement son école au début de 1987.
373 Notre participation à plusieurs festivals internationaux de mime nous avait permis de connaître le panora-
ma d’offres de formation en mime corporel.
374 «Théâtre de l’Ange Fou / Cie. S. Wasson et C. Soum».
375 Voir le programme et l’historique des représentations de ce spectacle dans les annexes.

130
… il était bien évident que ça nous avait été donné pour le transmettre à
d’autres.

Il y a aussi un problème. Peu de gens enseignent cette technique. On peut les


compter sur les doigts des deux mains. Nous, nous y croyons, et nous ne voudrions
surtout pas avoir aidé à sa disparition, mais au contraire à sa propagation » (376)

Leur intention déclarée de transmission de l’héritage de Decroux dans l’apprentissage


du mime corporel, faisait de leur école un site privilégié. Il est aussi important de signaler
qu’au delà de leurs intentions, nous avons trouvé un savoir faire aussi indiscutable dans cette
école que dans celle de Montréal.
Du programme, nous avons extrait la proposition pédagogique que voici:

« Cette école propose une formation professionnelle en mime corporel


dramatique suivant les conceptions théâtrales conçues par M. Étienne Decroux.

Les élèves ont la possibilité de suivre un entraînement quotidien et sont


répartis en plusieurs niveaux. » (377)

Le contenu des cours de leur brochure, nous renseigne du rapport objectif entre le
répertoire «Decroux» et leur proposition:

« Technique de Base : initiation au vocabulaire dramatique du mouvement


dans la perspective d’une pratique théâtrale.

1. Mise en condition physique.

2. Placement de l’acteur corporel au moyen de l’étude détaillée du poids et du


contrepoids, marches et déplacements dans l’espace.

3. Virtuosité des segments corporels, statuaire mobile.

4. Les dynamismes, étude des différentes énergies corporelles et de la


musicalité du geste.

Technique avancée : virtuosité du vocabulaire dramatique afin d’acquérir


une totale maîtrise corporelle au profit d’une liberté d’expression. Étude du

376 Corinne Soum dans Entretien avec Corinne Soum par Guy Benhaim. Guy Benhaim: Le mime corporel
selon Etienne Decroux, op. cit. page 463.
377 C. Soum et S. Wasson: Brochure de l’École de Mime corporel Dramatique de Paris (cette brochure était
distribuée à l’école autour de 1990 - 91). Ed. École de Mime corporel Dramatique de Paris, s / d.

131
répertoire relatif au mime corporel, figures, enchaînements et pièces. Connaissance
des différents styles de jeu. » (378).

Avec l’École de Mime corporel Dramatique de Paris, nous avons trouvé l’exemple le
plus achevé de formation, et notre travail chez eux nous a permis de passer toutes les étapes du
processus d’apprentissage du mime corporel.

Le contact avec le répertoire «Decroux» en tant que récepteur dans la communication,


le travail d’entraînement, la reconstruction et la représentation de pièces de répertoire
d’Étienne Decroux sur scène, nous ont donné l’occasion, non seulement de nous former à la
pratique du mime corporel, mais surtout de connaître de l’intérieur les problèmes que pose
cette formation, concernant la communication, la compréhension, l’étude et l’assimilation des
principes et fondements de ce langage physique, ainsi que ceux posés par la préservation et la
mémoire des informations «mouvement» du répertoire «Decroux».

L’Atelier International de Mime Corporel - AToM


L’Atelier International de Mime Corporel - AToM( 379) est le centre de formation où
nous travaillons actuellement en tant que professeur. Il est aussi le siège du projet «Laban -
Decroux». Sa présentation comporte, du fait de notre investissement personnel, un risque de
subjectivité que nous essayerons de contourner.
En 1995, à notre départ de l’école et compagnie dirigées par S. Wasson et C. Soum,
nous avons crée avec Griet Maes «L’Atelier International de Mime Corporel - AToM», avec
l’intention de:

« … propager les principes de mouvement développés par Étienne Decroux,


homme de théâtre… »

En considérant que son

« œuvre, partie intégrante du patrimoine culturel français, reste méconnue


du grand nombre des praticiens, et ne demande qu'à être exploitée »

Nous entendons développer ceci par le biais de

« - l'enseignement spécifique de cette technique théâtrale, et la formation à


son enseignement.

378 Idem.
379 Atelier International de Mime corporel - AToM. 16, square Dunois, 75013 Paris. Tél : (1) 5361 0202.
atomlinks@laban-decroux.org (AToM, De l’anglais «Actors Training on Mime»).

132
- la recherche sur la notation du mime corporel, pour permettre d'en
sauvegarder l'essence et de développer l'écriture de partitions de futurs
chorégraphes / réalisateurs / interprètes - mimes

En mettant ces objectifs en oeuvre, l'atelier sous - entend favoriser la création


de pièces dites de mime corporel, et, écartant les à priori à son sujet, lui accorder sa
place parmi les autres pratiques du spectacle vivant. » (380)

L’extrait du «contenu des cours» que voici, est un reflet de la conception de l’atelier,
sur les rapports idéaux entre le répertoire «Decroux», l’enseignement du mime corporel et sa
pratique professionnelle:

« 1) Les cours Techniques :

Ils couvrent les différents styles de jeu du mime corporel.

• les différentes utilisations de la colonne vertébrale

- accordéon

- barre

- chaîne,

• l'étude approfondie du poids et des contrepoids,

• l'articulation du corps dans la tridimensionalité du mouvement,

• l'étude de l'espace scénique à travers des enchaînements et les figures

• improvisation

2) L'atelier

Ce cours fait travailler sur l'année, le développement d'improvisations ( en


solo / duo / groupe ) permettant ainsi de consolider l'apprentissage technique, de
solliciter l'imagination et la capacité d'interprétation dramatique et corporelle.
Suivant l'assiduité et l'application de l'élève, elle aboutira sur un travail de fin
d'année qui sera présenté au public.

L'atelier suppose un minimum de 4 cours techniques pris dans la même


semaine

380 Griet Maes - Jorge Gayon: Acte de création de «l’Atelier International de Mime Corporel - AToM», do -
cument d’archives d’AToM, Paris 1995.

133
3) Répertoire

Durant 2 mois, l'étude des pièces du répertoire est réservée aux élèves ayant
acquis le niveau nécessaire aux pièces travaillées.

4) Cours d'analyse et de notation du mouvement

Ce cours, à partir de la Cinétographie Laban, est ouvert à tous les élèves, quel
que soit leur niveau. Son apport non - négligeable à l'assimilation du vocabulaire
corporel, est effectif à partir d'un an, au minimum, de suivi régulier.

5) Pédagogie

Cette option est ouverte à l'élève avancé en formation, elle implique un suivi
particulier et la pratique dans l'enseignement. »

Une de nos intentions dans le travail proposé à l’Atelier est de donner au projet Laban -
Decroux, le cadre matériel qui en permette la réalisation au sein même de la pratique
professionnelle du mime corporel, en effet, nous considérons que sans cette pratique, la
réalisation du projet Laban - Decroux est inintéressante, non - viable et inutile.
Nous ne voulons pas dire que la prétention de l’Atelier est de se considérer comme le
seul cadre possible du projet Laban - Decroux, ni que ses objectifs se réduisent à la réalisation
de ce dernier. Les objectifs de l’Atelier dépassent ceux du projet Laban - Decroux, qui pour sa
réalisation a besoin en outre, d’un large échange d’informations et d’expériences, ainsi que de
la collaboration d’autres professionnels en mime corporel et en cinétographie Laban.

L’intérêt de la présentation du programme de l’Atelier International de Mime corporel -


AToM réside dans le fait qu’il appartient à une proposition de transmission du mime corporel
par ceux que nous avons appelés la «deuxième génération», donc ceux qui doivent encore
faire ses preuves.
Il ne faut pas oublier que la deuxième génération partage, avec ses aînés le gageure de
préserver et de transmettre les principes et fondements du mime corporel pour donner corps à
sa tradition. Elle doit à ce jour prouver qu’elle détient, au même titre que la première
génération, l’héritage d’Étienne Decroux et est en mesure d’en continuer la transmission, sans
limiter à cela la pratique professionnelle.

Notre travail au sein de l’Atelier International de Mime Corporel - ATOM en ce qui


concerne la communication du répertoire «Decroux», l’entraînement quotidien, la création, la
recherche, la reconstruction et la représentation de pièces de répertoire d’Étienne Decroux sur
scène, nous donne l’occasion, non seulement de réaliser notre pratique professionnelle, mais
encore d’étudier de l’intérieur les problèmes que pose la transmission du mime corporel.

134
Nous œuvrons ainsi à la recherche des solutions dans les domaines de: la
communication, la compréhension, la préservation et la mémoire des informations
«mouvement» du répertoire «Decroux», l’étude et l’assimilation des principes et fondements
du mime corporel.

Précis de notre exposé

Pour finir cette première partie, nous présentons un sommaire des idées qui ont été
explorées dans ce chapitre, et sur lesquelles sera construite la suite de notre étude:

Concernant la notion de répertoire « Decroux »


• la définition en tant que première matérialisation du mime corporel nous a
permis d’établir les rapports entre les compositions en mouvement ( 381) de
Decroux et les développements dans chacun des aspects et niveaux de cet
art( 382).
• la définition objective, fondée sur sa caractéristique principale en termes de
mouvement; la précision( 383), nous a permis de considérer le répertoire
«Decroux» comme la base minimale pour la préservation et la transmission
des principes et fondements du mime corporel, dont l’assimilation est possible
pour l’acteur, dans la pratique, grâce à la précision par le biais du travail
d’entraînement sur les dimensions concrètes du répertoire «Decroux».

Concernant la tradition du mime corporel


Nous avons utilisé les deux points antérieurs pour étayer notre hypothèse selon laquelle
la survie( 384) du mime corporel dépend de:

• la préservation de ses principes et fondements, matérialises dans le répertoire


«Decroux»( 385).

• leur transmission entre générations.

381 Le vocabulaire, les exercices d’entraînement, les figures dramatiques et les pièces de répertoire de De-
croux, ensemble que nous avons appelé: le répertoire «Decroux».
382 Les développements de Decroux dans les différents niveaux du mime corporel: la grammaire de mouve-
ment dramatique, le langage artistique pour l’expression théâtrale, la méthode d’entraînement, les protocoles
d’improvisation, et la dramaturgie.
383 Précision des choix concernant l’utilisation des ressources corporelles, ses voies d’évolution, ses rapports
internes, inter - partenaires et ceux avec l’espace scénique.
384 La tradition.
385 En tant que mémoire première du mime corporel.

135
Hypothèse que nous avons vérifiée par l’analyse du rôle du répertoire «Decroux» dans
l’apprentissage du mime corporel, à l’intérieur de sa tradition.

Concernant le rôle du répertoire « Decroux » dans la tradition du


mime corporel
L’analyse nous a permis d’établir qu’effectivement le répertoire «Decroux» est le
matériau «mouvement» de base, utilisé pour la préservation des principes et fondements du
mime corporel et pour la transmission de génération en génération( 386). Il est, actuellement, le
contenant et contenu de ce langage physique pour l’acteur.

Concernant l’importance du répertoire « Decroux » dans le cadre du


projet Laban - Decroux.
Enfin, l’identification du mouvement comme structure matérielle des œuvres de
Decroux, condition préalable à l’analyse, nous a permis d’établir l’analogie entre les notions de
répertoire et de partition. Analogie qui sera utilisée plus tard dans la discussion des
propositions de notre projet Laban - Decroux.

386 Sans le limiter dans l’absolu, à cette utilisation. Nous rappelons que notre façon de voir et de traiter le ré-
pertoire «Decroux» est limitée dès l’abord au cadre de notre projet de notation du mime corporel.

136
Deuxième Partie
« L’apprentissage du mime corporel »

« …Peu à peu, de dizaine d’années en dizaine d’années, un art dramatique


réellement nouveau s’élèvera comme un arbre s’élève, avec la même lenteur, avec la
même richesse, aussi durable. » (387)

387 Etienne Decroux: Dossier n° 42 «début 1950», page 7. Fonds Decroux, op. cit.
137
L’objectif de cette étape de notre étude, est de déterminer la situation actuelle des cibles
de notre projet. Les aspects du processus d’apprentissage du mime corporel concernés sont:

• dans l’apprentissage: la communication et la mémorisation du répertoire


«Decroux».
• dans l’entraînement: l’élaboration des notes d’étude et des aide - mémoire.

• dans la préservation: la mémoire (et l’accès permanent aux informations des


partitions) du répertoire.

et concrètement, les moyens utilisés pour la communication et la mémoire du répertoire, ainsi


que les méthodes de notation utilisées pour l’élaboration des notes d’étude.

Nous avons intitulé le seul chapitre de cette deuxième partie: Le répertoire


«Decroux» et l’apprentissage du mime corporel , il est divisé en deux sections.

L'École, une expérience

• Aperçu du processus d’apprentissage du mime corporel afin d’en exposer


d’une part, la problématique, d’autre part, les besoins concernant la communi-
cation et la mémorisation du répertoire «Decroux» et ceux concernant
l’élaboration de notes d’étude et des aide - mémoire.
La préservation et la mémoire

• Analyse de la question de la préservation du mime corporel et de la mémoire


du répertoire «Decroux» afin de mettre en évidence leurs rapports avec les
supports de mémoire, les moyens de communication et les méthodes de nota-
tion utilisés actuellement.
La problématique concerne principalement la communication, la compréhension et la
mémoire des informations «mouvement» du répertoire «Decroux». Les questions qui seront
traitées trouvent leur place dans les domaines des deuxième et troisième étapes du modèle
«temporel» du processus d’apprentissage du mime corporel, extrait de notre propre parcours
et développé auparavant. Nous reproduisons ici ces étapes, à titre de rappel:

Deuxième étape: entrer en contact avec le répertoire «Decroux» en tant que


récepteur dans la communication de ce dernier.

Troisième étape: notre propre a p p r e n t i s s a g e du mime corporel par


l’entraînement pour la mémorisation et la compréhension qui nous
permettraient l’assimilation physique de l’information reçue.

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Pour réaliser notre analyse, nous devrons considérer que si le contact entre l’acteur et le
répertoire «Decroux» est «normalement» assuré par l’école, le centre de formation ou le
professeur, il reste encore à savoir si ce contact est suffisant pour l’apprentissage du mime
corporel.

Car dans ce processus, la compréhension et l’assimilation des informations


«mouvement» du répertoire «Decroux» sont dépendantes des variables qui conditionnent la
communication et la mémorisation nécessaires à leur reprise dans l’entraînement, travail lui -
même, soumis à ses propres variables.
Avant de commencer, nous voulons signaler l’importance que représente pour notre
projet, et en conséquence pour son bilan, l’analogie de «répertoire - partition» présentée dans
notre troisième chapitre. Celle - ci est fondée sur la caractéristique de précision et la
dimension de texte de notre notion de répertoire «Decroux». Cette analogie, nous donne la
possibilité de concevoir comme partition, l’ensemble des informations «mouvement» ( 388)
correspondant à chacun des éléments - objets qui constituent le répertoire «Decroux».
Ce qui signifie que les compositions d’Étienne Decroux( 389) peuvent être traitées
comme des partitions (comme pour la danse et la musique) ou comme des textes (comme pour
le théâtre et la poésie), tout en gardant leur valeur de répertoire à l’intérieur de la tradition du
mime corporel. Ceci nous permettra de considérer le «texte» des partitions du répertoire
«Decroux» comme de l’ information «mouvement» correspondant à l’objet en question.

Le contenu des partitions est l’ensemble de données nous renseignant avec précision
sur: l’utilisation du poids, les parties du corps impliquées, la chronologie des mouvements, la
direction dans l’espace, les rapports intercorporels, la vitesse, les rythmes, les inter - rythmes,
le degré de tension musculaire ou de relâchement, les pauses, la respiration, le focus( 390), et
d’autres informations en rapport aux actions, personnages, charges émotives, intentions,
motivations ou états représentés.

Informations qui correspondent aux indications «mouvement» de Decroux, et qui sont


utilisées comme du matériau «mouvement» dans le processus d’apprentissage du mime
corporel. Ces partitions sont le «texte» fondamental qui guide l’acteur dans l’étude du mime
corporel. La reprise de ces partitions est la base de l’entraînement pour l’assimilation de ce
langage dramatique. La préservation de ces «textes» correspond à leur mémoire, par la
conservation, la restitution et l’accès aux informations «mouvement» qu’ils contiennent.

Dans ce contexte, la définition des objectifs du projet Laban - Decroux concerne, dans
les domaines de:

388 Les informations «mouvement» (le contenu des partitions) : ce sont les valeurs concrètes relatives aux pa-
ramètres qui caractérisent le mouvement de chaque matériau - objet d’étude.
389 Ses pièces de répertoire (crées pour leur représentation sur scène), ses figures dramatiques, ses enchaîne-
ments et exercices d’entraînement, sont des exemples concrets des divers aspects et niveaux du mime corporel.
390 De l’anglais: point focal du regard.
139
l’apprentissage: la communication et la mémorisation des informations
«mouvement» de ces partitions

l’entraînement: l’élaboration de notes d’étude à partir des partitions du répertoire


«Decroux», afin d’en constituer des aide - mémoire
la préservation: la mémoire (ou la conservation, la restitution et l’accès de / à
l’information «mouvement» ) de ces partitions

Ainsi, pour remplir les objectifs assignés dans la méthodologie de notre bilan, cette
deuxième partie devra répondre aux questions suivantes:
concernant la communication et la mémorisation des partitions du répertoire
«Decroux»pour l’apprentissage du mime corporel:

• quelle est la situation actuelle et quels sont les moyens de communication et de


mémorisation employés?
• comment les moyens de communication et de mémorisation employés déter-
minent - ils l’état actuel de l’apprentissage?
Concernant l’élaboration des notes d’étude et aide - mémoire pour l’entraînement,
à partir des partitions du répertoire «Decroux»:
• quel est le besoin effectif d’élaboration de notes d’étude et aide - mémoire
dans l’entraînement?
• quelles sont les méthodes de notation utilisées actuellement?
• comment ces méthodes déterminent - elles l’état actuel de l’entraînement?
Concernant la préservation des partitions du répertoire «Decroux»:
• quelle est la situation actuelle et quels sont les supports de mémoire em-
ployés?
• comment les supports de mémoire employés déterminent - ils l’état actuel de
la préservation?

140
chapitre 4

Le répertoire « Decroux » et
l’apprentissage du mime corporel

Faire l’exposé de l’expérience de notre passage par l’école «Decroux» nous permettra
d’introduire le développement du processus d’apprentissage du mime corporel. Dans l’absolu,
ce processus est considéré comme le contexte pratique du projet Laban - Decroux. En même
temps, cet exposé sera l’occasion de délimiter l’importance de notre projet et les proportions
que garde la problématique qui nous concerne, à l’intérieur de la tradition du mime corporel.

En guise d’introduction, nous avons choisi deux citations de Decroux qui présentent de
façon générale les objectifs, les moyens et les limites de l’apprentissage du mime corporel. Ces
extraits englobent, également, notre problématique. Voici le premier:

« Prenant modèle sur les futurs instrumentistes qui n’apprennent pas


d’abord la neuvième symphonie, il (l’acteur) apprendrait pour commencer, une
gymnastique particulière dont l’assimilation le mettrait en état ; de faire ce
qu’il veut, de savoir ce qu’il fait, d’inventer ce qu’il faut. » (391).

L’analyse de ce texte nous amène d’abord à identifier trois phases de ce processus:


• l’apprentissage, le départ
• l’assimilation, le noeud
• l’état recherché, la fin
Ensuite, de cette analyse, nous pouvons dire que selon Decroux:

• l’objet de l’apprentissage est sa « gymnastique»( 392)

• l’objectif final de cet apprentissage est que l’acteur soit en état de «faire ce
qu’il veut, de savoir ce qu’il fait, d’inventer ce qu’il faut» .

D’où il ressort que l’apprentissage proposé par Decroux cherche à libérer l’acteur en lui
donnant les moyens d’assumer sa responsabilité artistique dans la création théâtrale. Cette idée
nous est confirmée par Decroux lui - même:

« Nous voulons que l’acteur s’établisse à son compte, soit l’auteur unique du
plaisir pris au spectacle, qu’il égale en indépendance les autres artistes, soit majeur
comme eux. » (393)

391 Etienne Decroux: Dossier n° 57 «Mai 1953», pages 18 et 19, Fonds Decroux, op. cit, (Nous avons souli-
gné en cratères gras).
392 Nous l’avons appelé: le répertoire «Decroux».
141
Il faut cependant signaler que cette «libération» est fondée sur l’assimilation de la
«gymnastique» de Decroux, or, c’est ici que la participation active et positive de l’acteur est
capitale, car elle relève de son investissement personnel( 394)
Dans le deuxième texte choisi, Decroux approfondit son explication:

« J’ai parlé jusqu’ici :

1. De la faculté de faire les mouvements qu’on veut faire.

2. De la difficulté d’acquérir cette faculté.

Il va de soi que la voie rationnelle, c’est d’acquérir cette faculté avant de


jouer,

Il reste bien plus à dire sur l’apprentissage du mime corporel : une fois que
l’on peut faire, il reste à découvrir ce qu’il faut vouloir faire.

Ceci pour être vrai, intelligible, émouvant. » (395)

En approfondissant à notre tour notre analyse, nous voyons plus clairement les phases
par lesquelles l’acteur passe dans sa formation, et ceci avant de se confronter aux questions de
la création, du jeu et du spectacle. Nous pouvons en déduire qu’il y a:

• pour commencer, l’apprentissage du mime corporel. Fondement sur lequel


tout sera construit.
Ce que nous avons déjà signalé.

• ensuite, l’entraînement pour l’assimilation et la maîtrise( 396) de ce langage.

C’est ici que notre expérience devient une donnée intéressante.

• enfin, la création (depuis le rôle jusqu’au spectacle).

Cette dernière, est le creuset où les choix et les mélanges( 397) peuvent être faits avec
plus ou moins de bonheur.

393 Etienne Decroux: « Le mime sans visage», publié dans Le Rouge et le Bleu du 25 / 04 / 42, texte original
dans le dossier N° 12, «1942, (5», page 3, Fonds Decroux, op cit,
394 «Sans envisager des prouesses acrobatiques ou chorégraphiques, sans se prescrire de devenir homme -
serpent, il faut environ dix années d’efforts; ce qui ne dispense pas d’avoir du talent et de la culture»
Étienne Decroux: Dossier N° 17, « Fin 1943», page 1, Fonds Decroux, op. cit, (Nous avons souligné en caractè-
res gras).
395 Etienne Decroux: « Mime et mime», Paroles sur le mime, op. cit, page 115 (Nous avons souligné en ca-
ractères gras).
396 Stade que certains appellent « avoir de la technique», terme qui pour certains artistes a une connotation
négative, quand nous parlons de «technique» à propos de mouvement, il est évident qu’il ne s’agit pas d’un état
pur de perfection absolue, ni d’une possession acquise une fois pour toutes. Ceux qui un jour se sont essayés à la
maîtrise de leurs ressources corporelles, savent qu’elle est dépendante, au jour le jour, de leur entraînement.
397 Le choix des langages et / ou des esthétiques directrices, et les mélanges des formes et des modèles, voir:
danse, texte, mime corporel, chant, acrobatie, manipulation d’objets, etc, et de leurs proportions et doses.
142
Ceci nous permet de dégager, les phases du processus d’apprentissage du mime
corporel que nous allons traiter: l’apprentissage et l’entraînement. Ainsi que le pivot
fondamental de ces deux pratiques qu’est leur rapport au répertoire «Decroux».
Avant de présenter la façon dont ce processus s’est déroulé pour nous, nous voudrions
signaler que d’après notre expérience( 398), l’apprentissage et l’entraînement nécessaires à
l’assimilation et la maîtrise du mime corporel, comme langage physique de l’acteur, sont
étroitement liés au répertoire «Decroux», car, cet ensemble de compositions de mouvement
contient:
• des exercices pour l’acquisition, l’entretien et la maîtrise des «facultés radi-
cales», compétences physiques intrinsèques à l’expression corporelle du
drame( 399) matérialisant le fondement biologique du mime corporel.

• des exercices pour l’apprentissage, mais surtout, l’assimilation physique des


éléments du vocabulaire du mime corporel (par exemple: les contrepoids, les
annelés, etc.).
• des figures dramatiques et de style, qui sont en même temps des exercices et
tout un éventail d’exemples; d’utilisation dramatique des éléments du voca-
bulaire et de composition.

• des pièces de répertoire( 400), exemples des différentes possibilités dramatur-


giques et de style du mime corporel.

Ainsi, dans le contexte de l’apprentissage du mime corporel, le répertoire «Decroux»


est le principal matériau du mouvement qu’on veut faire, ou de ce qu’il faut vouloir faire pour
l’étude et l’assimilation physique du mime corporel, surtout grâce a sa principale

398 Neuf ans de formation, et des discussions avec nos professeurs: Jean Asselin, Denise Boulanger, Thomas
Leabhart, Corinne Soum et Steven Wasson (tous des anciens assistants d’Etienne Decroux), et avec Maximilien
Decroux.
399 Concernant les «facultés radicales», fondement biologique du mime corporel, nous trouvons autant chez
Etienne Decroux que chez Rudolf Laban, des réflexions présentant les natures de mouvement du mime et de la
danse comme différentes, voire opposées.(Par ailleurs, la mise en rapport des découvertes de ces deux pionniers
des arts scéniques du XX Siècle, mériterait une nouvelle thèse de Doctorat).
Voir: Etienne Decroux: «Originalité de l’art de Decroux» Dossier No 2. s / d, «Explication de l’art de
l’acteur», pages 6 et 7. Fonds Decroux, op. cit, (Nous avons souligné en caractères gras), où il dit:
« Chacun voit bien ce qui oppose le mime au théâtre parlant alors que leurs essences sont identiques tandis
qu’on voit fort mal ce qui oppose le mime à l’art chorégraphique alors que leurs essences sont des antinomies».
Voir aussi: Rudolf Laban: The mastery of movement, op. cit, pages 9 et 14. (Nous avons traduit de l’anglais
et souligné en caractères gras), où il dit:
«Le mime, construit d’occurrences de mouvement autant dans sa forme que dans son contenu, est l’art théâ-
tral de base. Les efforts conflictuels de l’homme dans sa lutte pour atteindre ses valeurs sont révélés par le mime
de la façon la plus vraisemblable...
...La ressemblance à la lutte de la vie n est pas aussi évidente dans la danse» .
400 Les pièces de répertoire de Decroux (lesquelles, dans notre définition font partie du répertoire
«Decroux», sont jusqu’aujourd’hui, le sommet artistique du mime corporel, et la difficulté de leur exécution ou
de performance physique est des plus hautes, d’où l’intérêt que nous leur portons en tant que matériel pédagogi-
que et d’entraînement.
143
caractéristique en termes de mouvement( 401): la précision. La réalisation des objectifs de
l’apprentissage, dépend du degré de fidélité recherchée dans la reprise et la répétition, en
réponse à la précision( 402) des indications des partitions, lors de l’entraînement.

Cependant, l’objectif de ces exercices par le travail sur la précision, ne se limite pas à
une exécution correcte ou en virtuose( 403), il vise surtout à l’accroissement de conscience des
moyens et des ressources personnelles d’expression de l’acteur, par l’exécution d’un
mouvement corporel aux limites concrètement définies au préalable( 404).

Les partitions de ce vaste « catalogue» des possibilités d’exploration des ressources


corporelles( 405) de l’acteur pour l’expression dramatique, représentent aussi une indication
d’entraînement pour la maîtrise de ces dernières, en vue de leur utilisation sur scène. De ce
fait, l’apprentissage du mime corporel, grâce à l’exploration approfondie (pratique) de ces
ressources, permet à l’acteur de les connaître et les comprendre, pour les amener à un
épanouissement par l’assimilation et la maîtrise.
Nous devons dire que l’exigence de cette formation exclut d’emblée la recherche de
l’exploit physique et toute idée de virtuosité. Elle ne cherche pas à asservir l’acteur à une
forme externe, mais à réveiller et à développer ses capacités internes. Pour ce faire, Decroux
considérait que ce travail devait aller jusqu’aux vertèbres.

« Dans mon enseignement, je fais travailler le corps jusqu’aux vertèbres. Je


m’emploie à ce que le mime n’ait aucun réflexe accidentel ou héréditaire. Que
notre corps fasse ce que notre esprit conçoit et surtout, il faut que le mime fasse
ce qu’il croit faire. » (406).

Enfin, dernier point, et non le moins important, cet apprentissage est inconcevable sans
entraînement; partie la plus importante de la participation active et positive de l’acteur,
investissement de sa personne( 407) pour l’assimilation du mime corporel.

401 La précision des choix concernant l’utilisation des ressources corporelles de l’acteur, ses voies
d’évolution, ses rapports internes, inter - partenaires et ceux avec l’espace scénique, est la clé qui permettra à
l’acteur l’assimilation de ce langage physique.
402 La précision des indications de mouvement est inutile sans la contrepartie de fidélité d’exécution et de
performance recherchées dans l’apprentissage et l’entraînement. Cette correspondance est l’accès à l’assimilation
et à la maîtrise du mime corporel comme langage physique de l’acteur.
403 Ce qui implique déjà un investissement énorme de la part de l’acteur exécutant, en relation à l’acquisition
des compétences et à la mémoire neuro - musculaire (sans parler de celle cognitive) nécessaires pour y arriver.
D’ailleurs, parmi ceux qui blâment la virtuosité, nous ne connaissons aucun qui y soit arrivé.
404 Mouvement corporel aux limites définies au préalable, est en quelque sorte une définition de répertoire,
celle de n’importe quel répertoire de n’importe quel art du spectacle, et qui se trouve en dehors de la question des
choix esthétiques respectifs à chaque langage.
405 Quand nous disons «ressources corporelles», nous parlons du corps et d’un corps - en - mouvement, non
seulement comme l’ensemble de ses différents membres visibles a d’oeil, mais aussi de ses possibilités de mobili-
sation neuro - musculaire pour rendre visibles les ressorts du jeu dramatique.
406 Étienne Decroux: «Le mime Decroux part en guerre contre la pantomime », Combat, 22 / 12 / 62.
407 Voir note N° 394 plus haut.
144
Dans l’entraînement, l’effort nécessaire pour arriver a l’exécution fidèle des
indications du répertoire « Decroux»( 408), met l’acteur à l’épreuve en l’amenant à établir un
rapport expérimental unique avec les causes et les effets dramatiques de l’utilisation de son
corps comme « instrument - présence» vivant, au service du spectacle.
C’est cet effort seul qui permet à l’acteur, d’œuvrer à l’épanouissement de ses
ressources au delà des conditionnements( 409) divers auxquels elles sont assujetties. Il est
aussi, le seul chemin d’accès à la maîtrise, porte de la liberté artistique.
Selon Decroux:

« - le comédien n’est rien d’autre qu’un mime ;

- Le mime est une vraie technique ;

- la technique immunise celui qui la possède contre deux arbitraires :

celui de la mode et celui du maître ;

- la technique élimine les médiocres, elle utilise le talent moyen et elle exalte
le génie » (410).

Cependant, même si l’assimilation du mime corporel comme langage physique de


l’acteur( 411) est, en principe, à la portée de tout acteur en formation, grâce a l’existence des
partitions du répertoire «Decroux», nous ne voulons pas laisser croire que le processus
d’apprentissage se limite à la communication et à l’étude de ces partitions.
Tout en signalant que l’étude de ces dernières est réalisée par la mise en mouvement de
leurs indications dans les cours et (surtout) dans l’entraînement, nous ne négligeons pas que,
dans ce processus, il y a d’autres pratiques comme l’improvisation, les ateliers de création, de
composition et de mise en scène, etc., qui sont fortement dépendantes des échanges et de
l’investissement personnel des parties( 412) concernées.
Les divers aspects et conditions cités, font que le contexte dans lequel se déroule
l’apprentissage du mime corporel, est assez complexe. Nous ne prétendons pas l’interpréter ni
le présenter de façon simpliste et / ou réductrice. Nous ne négligeons pas non plus qu’il y a
aussi des répertoires crées par d’autres artistes du mime corporel( 413). Simplement, nous

408 Cela n’a rien de commun avec des codes ou des esthétiques imposés par l’extérieur. Ceux - ci ne sont que
formalisations, des outils d’une méthode de recherche
409 De mouvement; accidentels ou héréditaires.
410 Étienne Decroux: «Enseignement», Paroles sur le mime op. cit page 177. (Nous avons souligne en ca-
ractères gras).
411 Assimilation qui permet à terme: «d ’être vrai, intelligible, émouvant...» sur scène. Cf. page N° 142 .
412 D’un côté, la participation capitale et les compétences des enseignants: (voir plus loin: l’oeil expert ex-
terne) et de l’autre, la qualité de l’effort et la quantité du travail d’entraînement fourni par l’acteur pendant les
cours, mais surtout en dehors des cours, déterminent à terme l’issue de la transmission du mime corporel.
413 Nous avons signalé dans notre chapitre précédent, que d’autres exemples plus «contemporains» ou au
145
essayerons de garder en vue les objectifs, les limites et l’approche que nous avons établis pour
notre étude.

En outre, en disant que: « … l’assimilation du mime corporel comme langage physique


de l’acteur est, en principe, à la portée de tout apprenti - mime (ou acteur), grâce a l’existence
des partitions du répertoire « Decroux»… », nous sommes conscients que nous pourrions
laisser croire que la préservation de ces partitions est assurée ou qu’elle va de soi, c’est loin
d’être le cas, et constitue justement une motivations de notre proposition.

Enfin, la réserve utilisée pour dire que: «l’assimilation du mime corporel est, en
principe, à la portée de tout apprenti - mime (ou acteur)...», correspond à la supposition que
l’accès permanent aux informations «mouvement» des partitions du répertoire « Decroux»
est possible au plus grand nombre. Supposition qui, avant tout, reste à vérifier( 414). Une fois
présentées les précautions nécessaires avant l’expose de notre parcours, nous pouvons
continuer.

L’école, une expérience

Jusqu’à aujourd’hui, notre apprentissage( 415) du mime corporel s’est réalisé dans un va
- et - vient de réflexions fondées sur notre expérience de spectateur, notateur( 416) de
mouvement et chercheur( 417), et notre pratique d’acteur (interprète), professeur, et créateur.

Premiers contacts avec la tradition du mime corporel.


En 1981, quand nous avons rencontré le mime corporel en tant que spectateur( 418), il
s’était révélé à nous comme un langage artistique d’une force inouïe. Les acteurs vus à cette
occasion, avaient une force expressive et une clarté qui nous ont séduit presque

goût du jour, peuvent être développés et enrichir a leur tour le répertoire du mime corporel. La seule condition
serait que, dans leur définition en mouvement, ils soient fondés sur les principes et fondements du mime corporel
et les développements d’Etienne Decroux (Sa grammaire de mouvement, son vocabulaire, son langage dramati-
que, les styles de jeu et sa dramaturgie), en déterminant clairement leur précision.
Les nouveaux répertoires du mime corporel, à côté de celui que nous appelons le répertoire «Decroux», ne
sont pas encore significatifs, compte tenu des possibilités artistiques du mime corporel qu’ils ouvrent ou couvrent.
414 N’oublions pas la condition d’inaccessibilité des traces du travail d’Etienne Decroux, évoquée dans notre
introduction, sans parler du degré d’adéquation des supports aux fonctions indispensables de préservation et de
retour des informations «mouvement» qu’ils sont censés contenir, quand il s’agit de la tradition d’une pratique
spectaculaire.
415 Ce rapport et les réflexions correspondantes ont un lien chronologique avec notre expérience pendant no-
tre formation. Leur valeur y est relative.
416 Formation en cinétographie Laban, au sein du CNEM (France), sous la direction de Mme Jacqueline
Challet - Haas.
417 DEA Théâtre, Danse et Arts de la Scène, sous la direction du Prof. Jean - Marie Pradier de l’Université de
Pans VIII, et notre thèse actuelle.
418 «Beau Monde» de la troupe «Omnibus» de Montréal, dirigée par Jean Asselin. Le programme de la
deuxième soirée comprenait «Zizi et la lettre» et quelques pièces de répertoire d’Etienne Decroux, notamment le
duo amoureux «Dieu les conduit». Spectacles présentés dans le cadre de la «IV Rencontre Nationale et Interna -
tionale de mime et de pantomime», à Guanajuato, Mexique.
146
instantanément. Ce qui nous frappait c’était leur précision dans le mouvement et leur capacité
à exploser sur place.

C’est alors que nous avons décidé d’apprendre à jouer comme ils le faisaient. Il nous
fallait trouver la formation qui pourrait nous donner les moyens d’arriver à de telles
performances( 419) en tant qu’artiste du corps.

Notre rapport avec le répertoire « Decroux » pour l’apprentissage


du mime corporel
Notre premier objectif etait d’acquérir cette précision du mouvement et ce mystérieux
jeu musculaire. De notre petite expérience de danseur( 420), il était clair que cela ne serait pas
possible en une courte période de deux ou trois ans. Ayant fait aussi un peu d’arts
martiaux( 421), et ayant vu des performances étonnantes, les notions de vocabulaire de
mouvement, de répertoire d’exercices et de figures d’entraînement (ou de « Katas» dans le
langage des arts martiaux) ne nous étaient pas étrangères. Il nous semblait normale, voire
indispensable, que pour l’étude du mime, il existe quelque chose de semblable.
Il nous fallait, au moins connaître les partitions de mouvement des vocabulaires, des
exercices et des figures nécessaires à l’entraînement pour l’assimilation de ce langage, donc
trouver l’école où il serait possible d’apprendre le mime corporel. Ecole où, comme pour la
musique et pour la danse, il serait possible de recevoir une formation. Nous sommes parti à la
recherche de cette école, guidé par l’image des résultats à atteindre, même si nous n’avions pas
compris clairement quelles étaient les compétences recherchées par le biais du travail
quotidien.

La communication, la mémorisation du répertoire « Decroux » et


l’écriture des notes d’étude.
Nous avons commencé par faire des courts stages( 422) de mime corporel. Ce qu’alors
nous avons vu et compris, c’était la dimension géométrique et la précision appliquées dans le
vocabulaire, les exercices, les figures et extraits de pièces de répertorie de Decroux que nous
étaient présentées comme exemple de matériaux «mouvement» pour l’étude des principes et
fondements du mime corporel, et comme indication d’entraînement pour leur assimilation.

Pour nous entraîner en dehors des stages( 423), nous essayions de répéter et de réussir la
reprise( 424) des exercices vus et des indications reçues. Notre compréhension de la « logique

419 Qu’est - ce qui nous attirait dans cette «performance»? C’était beau à regarder et jusqu’à aujourd’hui
nous portons encore les traces de cette étonnante vision.
420 Nous avions fait une ébauche d’initiation a la danse classique et contemporaine d’une année en 1981 - 82,
au Mexique.
421 Un an de judo, deux ans de Karaté - Do et encore deux autres de Tae - Kwan - Do.
422 De quatre a cinq semaines avec Jean Asselin et Denise Boulanger. Deux au Mexique (1981 et 1985) et un
a Montréal (1984).
423 Presque cinq ans se sont écoulé entre le premier spectacle de mime corporel vu et notre arrivée à Paris.
Les stages pris, ont eu lieu à l’intérieur de cette période.
147
du système»( 425) devait nous aider pour aller plus loin. Cependant, dans notre mémoire il ne
restait qu’un souvenir fragmentaire de beaucoup de ces exercices que nous n’arrivions plus à
exécuter.

C’est ainsi que nous avons pris conscience du problème de la mémorisation. Pour
nous en souvenir, il aurait fallu noter (426) ces exercices d’une façon quelconque afin de
pouvoir revenir plus tard sur ces indications, en attendant que l’entraînement et la répétition
construisent des nouvelles structures neuro - musculaires (l’assimilation).
Plus tard, en formation dans un cadre scolaire( 427), les exercices, le vocabulaire, les
figures, les pièces, et l’improvisation, étaient devenus nous cours au quotidien. Petit à petit,
notre compréhension de ce langage et nos compétences physiques grandissaient, des notions et
des noms tels les styles de jeu( 428), les dynamorythmes, les contrepoids, « le menuisier», «
le prophète», etc. nous devenaient familiers.

Au fil de nos études, se sont soulevées des questions de plus en plus précises sur
lesquelles nous tournions en rond:

Quels sont les principes du mime corporel? Quelles sont les compétences à
développer? Comment les acquérir? Quels exercices répéter? Comment se souvenir des
exercices, des vocabulaires, des figures, des pièces de répertoire? Et si l’on ne s’en souvient
pas, est - ce que ces pièces sont essentielles à l’apprentissage? S’en souvenir, est - ce
important? Enfin que doit - on apprendre? Comment apprendre?

Nous avions de façon évidente un problème de compréhension. Et nous n’étions pas


capables de dépasser un certain degré d’assimilation de ce langage physique. Au bout d’un
certain temps, nous ne nous sentions plus progresser physiquement. Peut - être, aux vues des
objectifs de l’apprentissage du mime corporel, la question n’etait pas la compréhension du
mouvement en soi, mais: comment parvenir à exécuter un mouvement donné?

Nous posions cette question après sept ans d’apprentissage du mime corporel. A
l’époque, nous étions dans une compagnie( 429) de mime, dont le spectacle en cours
comprenait des pièces de répertoire de Decroux( 430). Cette question correspondait à notre

424 Exécution et interprétation concomitantes.


425 En fait, ce qu’à l’époque nous croyions être la « logique du système Decroux», n’est autre chose que la
caractéristique de précision, appliquée à la composante géométrique de son vocabulaire.
426 C’est à cette époque que nous sommes entré en contact avec la cinétographie Laban.
427 A l’ancienne Ecole de mime corporel dramatique de Paris, de 1987 à 1995.
428 Les styles de jeu du mime corporel sont: «l’homme de sport», «l’homme de salon», «l’homme de
songe» et «la statuaire mobile». Voir plus haut «Le mime corporel, langage physique de l’acteur».
429 « Théâtre de l’Ange Fou / Cie. S. Wasson et C. Soum».
430 « L’homme qui voulait rester débout / Hommage à Étienne Decroux», où nous jouons dans plusieurs piè-
ces.
148
désir de jouer (ou au moins d’être en mesure de jouer) tout le répertoire( 431). Si nous
n’arrivions pas à exécuter une pièce, figure ou exercice, nous justifiions notre incapacité( 432)
en nous disant que:
1. - Nous ne connaissions pas ou nous ne nous souvenions pas entièrement des
partitions de ces pièces (pour lesquelles nous avions les compétences
nécessaires) ou,
2. - Nous n’avions pas les compétences requises (évidemment, nous ne
connaissions pas les partitions de ces pièces - là).
Le rapport avec l’information concernant les dimensions concrètes de notre objet
d’étude était devenu capital, car, pensions - nous, avoir accès à cette information devrait nous
aider à l’entraînement pour l’exécution fidèle et précise des indications «mouvement»
contenues dans les partitions du répertoire.

Notre réflexion était la suivante: — nous sommes en formation depuis longtemps, et si


nous avons reçu toutes les informations «mouvement» nécessaires, normalement nous
devrions être en mesure de tout jouer —. Donc si notre exécution d’un exercice ou figure
quelconque n’était pas réussie, nous trouvions que le lien avec ces informations etait toujours
au cœur des raisons qui expliquaient notre échec, c’est - à - dire que:
• notre compréhension était fragmentaire.
• une explication était incomplète( 433).
• nos souvenirs étaient partiels( 434).
• nos compétences étaient insuffisantes.
Nous étions au cœur du contact avec le répertoire « Decroux» en tant que récepteur
dans la communication de celui - ci mais, qui pouvait dire que notre apprentissage était assuré
pour autant? Nous voilà repartis sur ce que nous appelions déjà « les problèmes capitaux de
l’apprentissage», à savoir:
a) Les questions de la communication et de l’accès permanent des / aux
partitions de mouvement des matériaux, objet d’étude que nous voulions
jouer.
b) La question de la mémorisation des partitions, objet d’apprentissage, dans le
cas où la communication et l’accès ont été possibles.
c) La question des compétences nécessaires à la reprise.

431 Car, nous pensons que ces pièces - là sont aussi pour être jouées.
432 Ce qui veut dire que certains des principes et fondements du mime corporel n’étaient pas encore assimilés,
car si l’exécution de ces pièces n’est certainement pas une garantie de l’assimilation de ce langage, elle n’en est
pas moins une condition.
433 On nous disait de temps en temps: «fais - le et tu comprendras», et quelques fois assorti d’un «si tu as le
talent tu pourras le faire, sinon, il n’y a rien à faire».
434 S’il s’agissait d’une séquence longue; une figure ou une pièce.
149
Questions qui se posent de façon évidente avant de songer à l’interprétation( 435) et au
jeu.. Dans les solutions possibles envisagées, nous avions trouvé:

A. - Pour la mémorisation: l’étude mais,

le matériau «mouvement» à étudier devait être disponible pour en faire une


analyse du mouvement observable( 436).
Nouvelle question qui concerne la disponibilité des matériaux. Elle est des lors devenue
un de nos soucis majeurs et le principal objectif de notre proposition concernant la
préservation( 437): la restitution des informations «mouvement» des partitions du répertoire
«Decroux», et surtout, l’accès permanent à ces partirions.

Pour nous en sortir, nous pensions à l’écriture du mouvement qui nous permettrait de
faire des notes « aide - mémoire» personnelles, qui nous serviraient de relais temporaire( 438)
dans le processus d’assimilation physique du mime corporel.

B. - Pour les compétences: suivre les cours mais,


Comment s’acquiert une compétence? il faut savoir où nous sommes et où
nous voulons aller (ce qu’il faut vouloir faire) pour être en mesure de diriger
nos efforts. Sans analyse du mouvement des matériaux, sans informations
«mouvement» qu’ils contiennent, sans leur mémorisation( 439), il était
difficile de reprendre et répéter ce qu’il nous était demandé de faire dans les
cours( 440), donc de l’apprendre( 441).
Pour résoudre nos «problèmes capitaux d’apprentissage», il nous fallait donc nous
assurer de:

- la disponibilité réelle des matériaux « mouvement » en vue de leur étude


objective, par la communication effective de l’intégralité des partitions( 442).

- l’application de l’analyse du mouvement en vue de la compréhension et la


mémorisation des partitions (savoir ce qu’il faut vouloir faire).
Mais, ne sommes - nous pas allés trop vite dans cette réflexion? Cette question est
pertinente puisque notre «solution» impliquait de trouver la mesure de l’apprentissage dans
exécution (la performance) des figures (ou de toute autre partition du répertoire «Decroux»).

435 Voir plus loin: Le jeu dans la contrainte, page N° 189.


436 Quid de l’exécutant. Qui va exécuter la partition et nous donner la possibilité d’en faire l’analyse du mou-
vement?
437 Nous traiterons cette question plus loin dans la deuxième partie de ce chapitre.
438 Aide - mémoire contenant les informations nécessaires à la reprise et la répétition des indications de De-
croux.
439 Accès, préservation et restitution des informations «mouvement» concernant l’objet en question.
440 Tout seul sans la supervision des professeurs.
441 De quelle autre façon évaluer l’apprentissage?
442 Au moins de celles dont nos professeurs disposeraient.
150
Plus tard nous avons compris que cette façon de présenter «le problème» et, surtout,
«sa solution», est justement le reflet d’une vision un peu courte de l’apprentissage, car
soucieuse des seuls aspects superficiels des partitions( 443). En effet, elle donne la priorité à
une «imitation par la coquille»( 444), qui se traduit par une exécution «mécanique» ou, en
tout cas «vide». Les partitions sont «apprises par cœur», ce qui n’est vraiment pas ni
l’assimilation d’un langage( 445), ni l’objectif de l’apprentissage.
Notre question changeait alors de nuance pour devenir: à quoi tient l’apprentissage? A
l’imaginaire? Comment pouvons - nous «remplir» l’exécution d’une partition de
mouvement? Nous avions compris que dans l’étude de toute partition de mouvement il y a
trois niveaux à prendre en compte, qui sont:
• le mouvement donné.
• la (ou les) compétence(s) nécessaire(s) à l’exécution du dit mouvement.

• l’interprétation dramatique du dit mouvement (le jeu comme tâche


«additionnelle»).
Exemple de problème rencontre a l’époque:

Au début de la pièce de répertoire «le menuisier»( 446); nous avons une suite de
mouvements des bras très simples anatomiquement, géométriquement et mécaniquement.
Notre problème d’exécution résidait, selon nous, dans la performance rythme - dynamique du
mouvement (l’effort). En apparence nous savions (ou connaissions, ou comprenions) le
mouvement a exécuter, mais nous n’y arriviions pas.
Questions:
Pourquoi est - il si difficile d’exécuter ces mouvements quand nous avons passe tant de
temps à l’école? Nous étions censés avoir acquis les compétences nécessaires (nous être
entraînés convenablement), sinon, à quoi bon avoir suivi des cours si longtemps?
Dans cet exemple, nous ne pouvons pas dire qu’il avait un problème de mémorisation.
Si cela avait été le cas, qu’aurait - il fallu retenir? A quel gendre de mémoire aurions - nous dû
faire appel? … Mais alors, de quoi est - il question au juste? Quelle était la solution? Existe -
t - elle? La réponse se trouve - t - elle dans le «talent»: si tu l’as, tu peux «exécuter» la
partition? N’est - elle pas une question d’apprentissage ou d’enseignement? De méthode
pédagogique? Peut - être d’entraînement? Ou tout simplement d’assimilation?
Notre apprentissage tournait à vide et malgré notre meilleure mémoire et notre meilleur
niveau physique, au mieux de nos capacités de compréhension intellectuelles et corporelles,

443 Attitude reconnue par tous ceux qui ont un jour observé les «mimes corporels», et que nous connaissons
comme l’attitude du «consommateur de supermarché du répertoire», ou «vite, pour apprendre le mime corporel,
apprenons les figures».
444 Joli terme utilisé par Thomas Leabhart.
445 Les musiciens parlent entre - eux de la différence entre «jouer la musique et jouer les notes».
446 Pièce de répertoire de Decroux.
151
l’exécution( 447) de notre objet d’apprentissage n’arrivait pas à se conformer avec fidélité aux
indications( 448), notre exécution n’etait pas «remplie»( 449).

Cette divergence, nous semblait provoquée par l’inaccessibilité a une «certaine»


information « mouvement», avec toute la précision «requise». Information qui, à nos yeux,
restait «cachée» quelque part, et trop loin de nous pour l’assimiler.
A part les problèmes cités concernant la communication, la compréhension et la
mémorisation du répertoire «Decroux», nous pouvons encore ajouter certains doutes qui
pouvaient planer sur la qualité et la quantité de notre investissement personnel dans le suivi des
cours( 450), et surtout, nos questions commençaient à cerner de plus en plus près, le secret:
qu’est - ce qui fait qu’un mouvement est «rempli» et dépasse la dimension chorégraphique?
Que sont les fondements du mime corporel? A quoi tient leur assimilation? Comment y
parvenir?
Dans notre entourage, nous avons remarqué quelques collègues qui apparemment
avaient atteint les objectifs de l’apprentissage. Ils avaient appris et assimilé les principes et
fondements du mime corporel d’une façon évidente. Il y avait dans leur jeu( 451), et dans leurs
cours( 452) quelque chose de la compréhension et de l’assimilation du mime corporel qui était
indéniable.
La présence de ces collègues, nous donnait l’occasion de confronter leurs performances
avec notre impression que le manque d’informations du répertoire «Decroux» (ou leur
mémorisation précaire), ralentissait l’apprentissage et l’assimilation du mime corporel.

Réfléchir au fait que nous avions partagé avec eux les mêmes cours, nous a donné une
nouvelle piste à suivre dans la recherche de la réponse a nos questions. Peut - être avaient - ils
un rapport particulier avec l’information concernant les dimensions concrètes de notre objet
d’étude( 453), mais le plus important c’était, comment avaient - ils fait?

447 La reprise et l’interprétation concomitantes de la partition.


448 Indications qui nous étaient données par démonstration, description verbale, et parfois, par manipulation.
449 Interprété. Mais ici, il faut faire la différence entre interpréter et changer un mouvement, ce qui n’est pas
la même chose et qui généralement est pris comme «j’interprète à ma façon personnelle». Pour illustrer ce qui
est interpréter un mouvement, il faudrait plutôt penser à la musique qui peut être jouée et interprétée différem-
ment, sans pour autant changer ses partitions.
450 N’oublions pas que nous considérions que:
a) notre participation aux cours se faisait avec «notre meilleure mémoire et notre meilleur niveau physique, et
étant au mieux de nos capacités de compréhension intellectuelles et corporelles», malgré que notre temps
d’étude et d’entraînement en dehors des cours était partagé, pendant toute notre formation, avec nos forma-
tions en parallèle, en cinétographie Laban et troisième cycle universitaire, et avec les répétitions et représenta-
tions au sein de la compagnie «Théâtre de l’Ange Fou», sans compter notre travail alimentaire.
b) les questions concernant notre talent sont ici écartées de façon expresse.
451 Ils étaient comme nous, des membres de la même compagnie.
452 Parce qu'heureusement, ces personnes - là, qui étaient nos camarades de formation, donnaient aussi des
cours à notre école. C’est ce qui, d’ailleurs nous avait permis d’apercevoir leur degré de compréhension du mime
corporel.
453 Avaient - ils reçu l’intégralité de l’information? ou avaient - ils un autre type de mémoire? ou une com-
préhension particulière du mouvement (un don) leur permettant de compléter intuitivement cette information?
152
Leur secret, qui n’en etait pas un d’après eux, c’était l’entraînement (qui est fait
essentiellement de répétition), mais surtout, le t e m p s passé à étudier et répéter
quotidiennement, en dehors des cours, les exercices et les indications « mouvement »
contenues dans le répertoire «Decroux».

Mais leurs explications ne nous livraient pas grand - chose malgré que, selon eux, cela
leur aurait permis de construire petit à petit leur mémoire, de développer et d’acquérir la
compréhension et les compétences nécessaires et enfin, d’exécuter «sans souci»( 454) les
pièces de répertoire de Decroux et, par dessus tout, de jouer comme ils le faisaient dans les
spectacles de la troupe.
Alors si le secret de nos camarades, était le bon, le temps passé à étudier et répéter la
fameuse «gymnastique» de Decroux était la solution aux problèmes d’apprentissage et
d’assimilation du mime corporel( 455). C’est - à - dire, pour améliorer notre réflexion:

d’abord, savoir ce qu’il faut vouloir faire

Donc, se placer comme récepteur dans la communication des indications


« mouvement» contenues dans le répertoire «Decroux», prendre des cours,

ensuite, comprendre comment faire

Les indications « mouvement» du répertoire «Decroux» doivent être suivies


au mieux de notre compréhension intellectuelle et physique( 456),

puis, la reprise du mouvement

qui, même si elle est guidée par le professeur pendant les cours, ne suffit pas
pour avancer. Il faut aussi le faire dans l’entre - cours( 457), donc

continuer avec la répétition et l’étude( 458)

qui deviennent alors essentielles. Sans elles, il n’y aura pas d’apprentissage
ni d’assimilation possible.
Mais répéter et étudier quoi? nous souvenons - nous, en dehors des cours?
Car c’est ici que

la mémoire

454 L’esprit libre du souci de mémoire, et le corps libre du souci des compétences Ce qui ne veut pas dire, par
exemple, que jouer ou interpréter «l’usine» leur est devenu un jour «facile».
455 Nous insistons sur la dimension physique de l’assimilation, malgré le risque de tautologie.
456 Notre participation active et positive comme apprenti - mime, investissement de notre personne.
457 C’est en dehors des cours qui se réalise la partie la plus importante de notre participation active et positive
comme apprenti - mime, investissement de notre personne, condition fondamentale de l’apprentissage du mime
corporel: l’entraînement.
458 En cours et surtout, en dehors des cours.
153
des indications «mouvement» reçues est capitale. Elle nous permet la
répétition et l’étude, qui nous amènent enfin, par la compréhension, a

l’assimilation

physique des principes et fondements du mime corporel.

Théoriquement cette «formule» semblait efficace, c’était très claire. Pourtant, ce n’est
qu’un discours qui tend facilement à cacher et nous faire oublier que dans l’apprentissage
d’une pratique spectaculaire, il faut assimiler des fondements biologiques, et pas seulement
connaître par cœur et comprendre intellectuellement le discours sur ses «principes».
Néanmoins, cette compréhension intellectuelle acquise, la phase suivante est le travail
pour l’intégrer physiquement, ce qui est long et difficile, car le corps n’obéit pas facilement.
Ainsi, la question de l’expérience concernant l’assimilation des fondements du mime corporel
restait entière.

Comprendre pour faire et faire pour comprendre :


de l’apprentissage et de l’entraînement à l’assimilation et au jeu.
Enfin, pour la suite de notre exposé, nous avons considéré le cas où toutes les
informations «mouvement» nécessaires à la reprise du répertoire « Decroux» nous auraient
été communiquées, et où nous aurions la mémoire des indications « mouvement »
d’entraînement. Voyons maintenant la question de l’assimilation. Quelle est donc cette lacune
dans l’apprentissage, dont nous pouvons à peine tracer les contours?
Pour essayer de répondre, disons en tant que prémisse, que pour l’apprentissage du
mime corporel:

- Les matériaux pédagogiques (le répertoire «Decroux») existent et nous les


connaissons. Ils rassemblent des règles et des exemples de composition( 459),
des modes de jeu, un vocabulaire, des exercices, etc.
- La mémoire, trouve sa seule importance dans la préservation de ces matériaux (le
répertoire «Decroux»), afin de les utiliser comme indications
d’entraînement.
Questions: quelles sont les compétences et la compréhension physiques fondamentales
et comment les acquérir, puisque sans elles l’entraînement et / ou la compréhension et la
mémoire intellectuelles, sont inutiles en termes d’assimilation de ce langage? Quels sont les
fondements du mime corporel et comment les assimiler?

Les réponses sont venues de deux pratiques:


• la première: l’entraînement et l’étude en dehors des cours.

459 Matérialisent «les principes» du mime corporel.


154
Quand ils sont tous deux devenus quotidiens et que le temps qui leur était consacré
dépassait celui des cours et s’y ajoutait.

• La deuxième: les répétitions des pièces de répertoire de Decroux en vue de la


scène, et leur représentation.
L’exigence de fidélité à la précision des partitions de ces pièces dans leur performance,
avait finalement réveille ce qu’un jour Decroux racontait à Guy Benhaim( 460):

« Ma fierté,… » confia Decroux, « ...n’est pas d’avoir découvert, mais


d’avoir découvert en faisant ».

Cette expérience est devenue pour nous aussi, une vraie découverte. La valeur de
l’entraînement, que nous avons trouvée dans notre pratique, s'est révélée en jouant la pièce de
répertoire de Decroux «l’usine», à l’occasion des tournées du spectacle «L’homme qui
voulait rester debout»( 461). Nous la rapportons ici comme «témoignage», c’est - à - dire, en
première personne:

« J’étais tellement occupé à exécuter le plus près possible de la ‘ partition ’


que ce n’est qu’après la 40ème représentation (pour ne pas citer les centaines de
répétitions) qu’il m’est apparu que je pouvais me libérer du souci de performance et
choisir le moment et le degré d’application de l’énergie musculaire nécessaire (le
jeu par la maîtrise de l’énergie).

J’ai eu l’impression que cela rendait plus humain le résultat et qu’enfin je


‘ jouais ’ la pièce. Le nombre de fois où j’avais représenté cette pièce m’avait permis
de me débarrasser du souci de performance.

Grâce aussi à la pression de la représentation, j’avais développé un état de


vigilance plus large qui me permettait de dépasser l’exécution pure pour arriver
au ‘ jeu ’ et à ‘ l’interprétation ’. A l’intérieur de toutes ces contraintes, j’avais
trouvé un espace d’expression qui n’appartenait qu’à moi, et enfin, je faisais
l’expérience d’être en état de faire ce que je voulais, de savoir ce que je faisais et
d’inventer ce qu’il fallait !

Il va sans dire que la difficulté de cette pièce est telle que je ne considère pas
l’avoir ‘ conquise ’, et que je ne crois pas que cela soit possible. Cette pièce restera

460 Guy Benhaim: Le mime corporel selon Etienne Decroux, op. cit, page 69.
461 Spectacle hommage à Etienne Decroux, reconstitution des pièces majeures de son répertoire. Mise en
scène de S. Wasson, pour sa compagnie «Théâtre de l’Ange Fou» (Voir l’historique des représentations dans les
annexes).
155
pour moi, la mesure du plus haut degré de difficulté d’exécution et de
performance » (462).

C’est ainsi que nous avons compris corporellement comment le jeu musculaire, la
manipulation dramatique du poids et de la colonne vertébrale( 463), leur utilisation extra -
quotidienne( 464), sont la base biologique du jeu dramatique.
A partir de cette expérience, il nous est clairement apparu pourquoi Decroux disait que
le «premier drame» est: «tout pèse»( 465), et pourquoi les contrepoids sont la base qu’il a
utilisée pour l’édification du mime corporel en langage physique de l’acteur.

Tout à coup, le travail sur le répertoire «Decroux» est devenu pour nous l’occasion
d’explorer et développer nos ressources corporelles pour l’expression dramatique( 466). Dès
lors, l’utilité et l’importance du répertoire «Decroux» dépassaient son apparente intention
première dans le processus d’apprentissage. Il n’était plus seulement «le catalogue des
compositions de mouvement qui matérialisent les principes et fondements du mime corporel»,
mais un outil pour œuvrer à l’épanouissement de nos ressources( 467), et le chemin d’accès à
leur maîtrise. Dorénavant, nous pouvions aller corporellement au delà du discours sur le mime
corporel.

Le jeu dans la contrainte


A ce stade, nous avons compris que dans l’entraînement il y a deux niveaux de
«manipulation» du corps;
• par des « commandes externes»
• par des sensations musculaires profondes

Le travail de précision sur les commandes externes telles que: la géométrie, la vitesse,
le rythme, etc. est le premier niveau, celui qui pourrait ne mener qu’à la virtuosité, si nous en
avons la «facilité» physique (voire la disposition d’esprit).
C’est à force de buter contre les difficultés d’exécution fidèle des partitions du
répertoire «Decroux»( 468), que nous parvenons au deuxième niveau, celui des sensations
toutes aussi physiques mais profondes, celui des attaches des os, là où il est possible de sentir

462 Jorge Gayon: «Jeu théâtral et mime corporel» article inédit, document d’archives de l’Atelier Internatio -
nal de Mime corporel - AToM, Pans, 1994.
463 La «plage» de jeu dont nous disposons en tant qu’interprète.
464 «Éclatement» ou «amplification».
465 Quand Lecoq dit «tout bouge», Decroux répond: «tout pèse».
466 D’une façon la plus complète et systématique que nous n’ayons jamais vu. Le répertoire «Decroux» est
devenu un vaste territoire d’exploration aux frontières très larges. Aujourd'hui, nous comprenons ce que signifie:
«dépasser le travail de Decroux». Assez peu y sont sans doute parvenus.
467 Nous parlons des ressources corporelles à notre disposition pour l’expression dramatique.
468 Ou de tout autre répertoire (selon l’art du spectacle en question), et non grâce à nos capacités de compré-
hension intellectuelle (ou de digestion de discours verbaux).
156
ses muscles «gonfler» et se relâcher, tirer et pousser les os ou d’autres muscles, travailler
pour soulever ou déplacer le poids d’un membre ou du corps tout entier.

Ces sensations physiques, réveillent d’autres sensations qui sont métaphysiques et qui
touchent autant l’acteur que le public. Selon Decroux,

« Le fait est un effet ; dès qu’on le fait, on sent la cause qui se réveille » (469).

Le travail acharné( 470) sur des limites imposées au mouvement par des partitions
concrètes nous permet de libérer l’être qui peut alors s’exprimer par le corps - en - mouvement.
Dès lors, jouer corporellement est possible, si nous pouvons retrouver cette sensation et,

« développer un état de vigilance plus large qui permet de dépasser


l’exécution, en se débarrassant du souci de performance ».

Cette sensibilité d’ordre mixte: « psychophysique (ou psychophysiologique) et


dramatico - esthétique», Decroux la signalait dans sa conférence du 16 janvier 1981. Elle a
comme principal support concret l’application de «l’esprit géométrique», qui comme dans la
musique,

« … dès qu’on a l’esprit géométrique, pour parler comme Pascal, l’esprit
géométrique qui nous arrive et qui dit : voilà, droite, droite, arrière, amputation de
rotation, de latérale, alors voilà la chose. Quand je le fais, je me sens dans un état
intellectuel exceptionnel et ca y est, on a de la poésie qui pousse dans l’action la
poésie qui n’aime pas les paresseux. ; ‘des fleurs qui poussent entre les
pavés’ » (471).

Cependant, si nous disons que: « jouer corporellement est possible, quand nous
pouvons retrouver cette sensation», c’est parce qu’elle n’est pas permanente, et qu’elle
dépend de l’entraînement( 472) et de la répétition.
Ainsi, parvenir à cette sensation, est enfin à quoi servent répertoire, mémoire,
compétences, apprentissage, étude, et entraînement. C’est aussi la raison pour laquelle la
«technique» n’est jamais acquise, car, ce n’est que l’entraînement quotidien qui peut, au jour
le jour, ouvrir la porte de cette sensation qui alors se présente comme l’assimilation physique
des fondements du mime corporel, et cela grâce à la précision du répertoire, qui en est la clé.

L’expérience de cette sensation ouvre à l’acteur la possibilité de comprendre et


d’intégrer à son jeu personnel, les divers styles développés par Decroux, ainsi que les aspects

469 Etienne Decroux: «Programme d’études», Paroles sur le mime, op. cit, page N° 167.
470 L’objectif ce n’est pas la fatigue. Elle ne garantit pas le résultat même si elle est indispensable.
471 Etienne Decroux: Conférence à son école, 16 / 01 / 81. Enregistrement sonore, document d’archives pri-
vées.
472 Et dans l’entraînement, du degré de fidélité recherchée dans la performance et l’exécution des indications
des partitions, en contrepartie de leur précision. Cette correspondance est la porte d’accès de l’assimilation et de
la maîtrise du mime corporel comme langage physique de l’acteur.
157
anatomiques, mécaniques, géométriques et dynamo - rythmiques que nous révèle l’analyse du
mouvement.

Nous devons dire que si l’analyse du mouvement permet la compréhension du fameux


«esprit géométrique», en tant que support qui concrétise les «principes» du mime corporel,
notre expérience nous a permis de voir que cette compréhension est sans intérêt sans la
matérialisation corporelle des fondements biologiques de l’action dramatique: le jeu
musculaire, la manipulation dramatique du poids et de la colonne vertébrale.

En effet, l’analyse du mouvement du répertoire «Decroux», montre les divers aspects


physiques, caractéristiques du mime corporel, qu’un automate pourrait reproduire. Cette
hypothétique exécution permettrait de «voir» par comparaison, entre «l’image» (ou
«l’expression») que dégage un mime en état de représentation et l’exécution «mécanique»
précitée du mouvement, qu’il existe une «plage» de projection capable de montrer le drame
par la manipulation extra - quotidienne du poids corporel, de la colonne vertébrale et de la
tonicité musculaire.

En mime corporel, cette «manipulation» donne sa valeur dramatique au mouvement.


Valeur dramatique qui a comme support, «l’éclatement» de données physiques concrètes:
pour l’expression de la volonté, la poussée vers le haut, pour l’expression de la contrainte, le
poids corporel qui nous tire vers le bas, et pour l’expression du conflit, le jeu musculaire qui
vit cette lutte ou sert de relais à ces deux forces. Les autres aspects (anatomiques,
géométriques, mécaniques et dynamo - rythmiques) du mouvement, bien que faisant partie
intégrante de ce langage, ne servent qu’à lui donner de la clarté et à matérialiser les aspects
quantitatifs de son expression.
Nous avons alors compris que dans l’apprentissage, toute autre solution ou formule
d’entraînement prônant le mouvement en soi, sans faire de ces fondements sa base première,
est inutile pour l’assimilation, la transmission et la préservation du mime corporel. Sans ces
fondements, le mime corporel ne serait plus ce que Decroux cherchait en l’édifiant: un
langage physique pour l’acteur, capable de lui ouvrir les portes de la poésie en mouvement,
point du départ pour le renouveau du théâtre.
Cette compréhension et notre expérience, nous ont poussés aux réflexions suivantes qui
nous permettent de montrer les proportions et les domaines d’intérêt que notre proposition
représente pour la pratique du mime corporel:

1) La communication et la mémoire( 473) de l’intégralité des informations


«mouvement» des partitions du répertoire «Decroux»( 474) pour:

• l’apprentissage du mime corporel

473 La sauvegarde, la restitution et l’accès permanent.


474 Par n’importe quel moyen: démonstration, description verbale, notation du mouvement, vidéo. etc.
158
• la préservation, la reconstitution et l’interprétation des pièces de répertoire de
Decroux

• la transmission et la survie de la tradition du mime corporel

bien qu’étant les conditions fondamentales, n’en constituent pas une garantie( 475).
2) La connaissance et la «performance» de l’ensemble des compositions du
répertoire «Decroux»( 476)

• n’étant pas la condition unique, suffisante, ou sine qua non de l’assimilation


du mime corporel comme langage physique de l’acteur,

ne peuvent constituer les seuls objectifs de l’apprentissage ou de l’entraînement.

L’œil expert externe, le rôle du professeur

Nous ne voulons pas conclure l’exposé sur le processus d’apprentissage du mime


corporel sans insister sur l’importance du rôle du professeur. Celui - ci est fondamental pour
l’apprentissage et l’assimilation du mime corporel, voire pour sa transmission et sa survie en
tant que tradition( 477). Son rôle est celui de l’œil expert externe.

L’importance de ce rôle correspond au fait que nous ne pouvons pas bouger et nous
regarder en même temps( 478). Et même dans ce cas il est impossible pour l’acteur d’apprécier
sa propre précision du mouvement avant de l’avoir assimilé( 479). Ainsi, une grande partie du
résultat de la communication des partitions que fait le professeur, dépend à terme( 480) de son
expérience( 481) et de ses compétences( 482).
En tout cas, pour l’élève, seule la participation active de l’«œil expert externe», peut
lui assurer la communication( 483) de l’intégralité des informations «mouvement» des

475 Voir plus haut, «Le mime corporel, pratique marginale» dans notre chapitre: Le répertoire «Decroux»
et la tradition du mime corporel..
476 Comme celles de n’importe quel autre répertoire de mouvement des arts du spectacle.
477 Raison pour laquelle nous appelons les praticiens de mime corporel à s’engager dans l’enseignement.
478 Dès l’apprentissage et jusqu’à la création de spectacles.
479 Ce qui ne l’empêche pas d’utiliser la vidéo, le miroir ou même la projection de son ombre, afin de vérifier
les résultats de ses efforts.
480 Sans oublier la participation active et positive de l’acteur, investissement de sa personne.
481 Dans l’idéal, notre professeur devrait être quelqu’un qui, ayant la maîtrise physique du mime corporel,
s’en sert sur scène et a la mémoire du répertoire «Decroux».
482 S’il a besoin de tout exécuter pour le montrer et démontrer.
483 Au delà des moyens utilisés, cette communication est le premier échelon de l’apprentissage. Selon la for-
mule populaire dédiée aux élèves et en cours dans les écoles:
«Quelqu’un te montre le mouvement, te l’explique.
T’apprends à le connaître, tu le comprends.
Tu fais des exercices pour apprendre à le faire, tu sais comment le faire.
159
partitions du répertoire «Decroux»( 484), qui remplira ses principaux besoins de connaîssance
du mouvement qu’il doit répéter, et de compréhension de ce qui lui est demandé comme
exécution, pour être en mesure d’y engager ses efforts.

La communication du répertoire « Decroux » pour


l’apprentissage

Nous avons utilisé le développement du processus d’apprentissage du mime corporel


pour justifier l’importance de notre projet et pour montrer, en même temps, les proportions que
la problématique qui nous concerne, garde à l’intérieur de la tradition du mime corporel. Ainsi,
la suite de notre discours, restera à l’intérieur des limites que nous lui avons déterminées, c’est
- à - dire que:

si la communication de l’intégralité des informations485 «mouvement» des


partitions du répertoire «Decroux»
• ne constitue pas le seul moyen, et encore moins le seul objectif, de
l’apprentissage du mime corporel

• n’est pas, en elle - même, une garantie pour la transmission du mime corporel,
ni pour sa survie en tant que tradition.
Cependant, elle en est une des conditions fondamentales.

La situation actuelle de la communication du répertoire «Decroux»


Sous notre titre «Un langage physique pour l’acteur: le mime corporel», nous avons
présenté les divers aspects et niveaux du mime corporel, ainsi qu’une énumération générale
des matériaux «mouvement» qui les concrétisent. Ensuite, notre développement concernant
le répertoire «Decroux», nous a permis de donner une idée de leurs contours. Enfin, dans
notre section précédente, nous avons présenté l’ensemble des compositions de mouvement, qui
sont communiqués dans le processus d’apprentissage, dont voici le résumé:
• des exercices pour l’acquisition, l’entretien et la maîtrise des «facultés radi-
cales» (Fondement biologique du mime corporel).

Tu l’assimiles, te es capable de le faire.


T’attends l’opportunité de le faire».
484 Évidement, avec le degré de précision que nous pouvons attribuer à Decroux, concernant les choix
d’éléments de mouvement de ses compositions, et surtout du degré de certitude que nous pouvons avoir de la
préservation de ces choix
485 Idem.
160
• des exercices et enchaînements de mouvement pour l’apprentissage et
l’assimilation physique du vocabulaire du mime corporel (ex.: contrepoids,
annelés, etc.).
• des figures dramatiques de style.

• des pièces de répertoire( 486), exemples des différentes possibilités dramatur-


giques et des styles de jeu du mime corporel( 487).

Le contenu de leurs partitions nous renseigne avec précision( 488) sur les choix faits
dans leur composition en ce qui concerne: l’utilisation du poids, les parties du corps
impliquées et l’ordre de leur mise en mouvement, ainsi que leur direction dans l’espace, leurs
rapports intercorporels, leur vitesse, leurs rythmes, leurs inter - rythmes, le degré de tension
musculaire ou de relâchement, les pauses, la respiration, le «focus»( 489), et d’autres
informations en rapport aux actions, personnages, charges émotives, intentions, motivations ou
états représentés.

Ainsi, la communication des informations «mouvement» des partitions du répertoire


«Decroux», dans les diverses écoles( 490), est fondée principalement sur trois moyens.

Les moyens de communication utilisés

La démonstration - exécution
Montrer et démontrer l’exécution de la partition objet d’étude, est le principal moyen
utilisé pour faire connaître à l’acteur le matériau «mouvement» correspondant. C’est aussi le
moyen de lui faire voir le résultat qu’il peut attendre de sa propre exécution, au bout de
l’apprentissage. Quand le professeur a, à sa disposition, des élèves avancés, ceux - ci font la
démonstration du mouvement à étudier. Dans le cas contraire, c’est le professeur lui - même
qui le fait.
La réussite de la communication visuelle de l’ensemble des informations des partitions,
demande à l’acteur la capacité d’analyse - synthèse - mémorisation en temps réel du

486 Les pièces de répertoire de Decroux (qui, dans notre définition font partie du répertoire «Decroux»), sont
jusqu’aujourd’hui, le sommet artistique du mime corporel. La difficulté de leur exécution et / ou la performance
physique qu’elles requièrent sont des plus hautes, d’où l’intérêt que nous leur portons en tant que matériel péda-
gogique et d’entraînement.
487 Une des plus intéressantes expériences pour l’acteur est d’avoir l’occasion d’étudier, reconstituer et jouer
les pièces de répertoire de Decroux. Indépendamment de leur intérêt spectaculaire de par leur richesse et profon-
deur, la grande difficulté d’exécution qui les caractérise, fait de cette expérience un vrai défi.
488 Voir note N° 484 plus haut.
489 De l’anglais: point focal du regard.
490 Ici, nous parlons des écoles que nous avons fréquentées dans notre formation et notre pratique profession-
nelle.
161
mouvement observé. Capacité rarement présente en début de formation( 491), sauf dans le cas
d’élèves ayant une forte expérience de mouvement.

Considérant que la communication visuelle des informations «mouvement» est au


départ incomplète, et en attendant que l’élève développe la capacité d’analyse - synthèse -
mémorisation en temps réel du mouvement observé, il est nécessaire de compléter les
informations que l’apprenti a perçues (et retenues seulement après quelques secondes
d’observation). C’est la raison pour laquelle le professeur, en général, complète et / ou
accompagne la démonstration d’indications verbales.

Les indications verbales (et la correction)


Nous avons vu plus haut, que la caractéristique de précision et la dimension de texte de
partitions du répertoire «Decroux», nous permettent leur dénomination. Nous pouvons ainsi
«nommer» l’ensemble des informations «mouvement» (492) à partir des contours de chacun
des éléments de notre matériau.
Ainsi, outre ces informations, les indications verbales qui accompagnent la
démonstration peuvent être des commentaires à l’exécution, des mises en garde concernant
d’éventuelles difficultés pour l’apprentissage des matériaux en question, ou des indications
tendant à en faciliter la reprise par les nouveaux élèves. D’autres indications sont produites, à
l’intention de tous les élèves, à l’occasion de l’exécution d’étude des partitions en question,
c’est la correction.

La correction de l’exécution de l’élève par le professeur, donne lieu à des nouveaux


commentaires et indications qui peuvent, ne concerner que le seul exécutant, ou servir
d’exemple général. Cette correction est, en fait, l’outil du professeur pour peaufiner encore la
communication des informations des partitions qu’il fait, pour la formation de ses élèves.

La manipulation
Parfois, la correction est accompagnée de la manipulation de l’élève, mais il n’y a pas
de règle, car elle dépend de l’individualité de l’élève et de la méthode du professeur. Ce qui est
à signaler ici, c’est que cette manipulation s’accompagne toujours des explications sur la
sensation physique ou la posture à chercher, toutes deux sont aussi des indications de
mouvement.

D’autres indications
L’appel à l’imaginaire n’est, à proprement parler pas un moyen de communication. Il
est un moyen pour provoquer, chez l’élève, certaines attitudes ou impulsions physiques, qui

491 Quand l’acteur n’a pas d’expérience de mouvement, et qu’il n’a pas les compétences nécessaires à
l’analyse - synthèse - mémorisation du mouvement pendant son observation en temps réel, elles sont développées
en même temps que toutes les autres compétences que suppose l’assimilation du mime corporel.
492 Les informations «mouvement» (le contenu des partitions): ce sont les valeurs concrètes relatives aux pa -
ramètres qui caractérisent le mouvement de chaque matériau - objet du répertoire.
162
peuvent correspondre aux actions, charges émotives, intentions, motivations, états, etc.,
représentés.

Toutefois, les indications qui font appel à l’imaginaire sortent du cadre stricte du
mouvement. Des lors, elles se trouvent en dehors de notre étude, même si elles peuvent faire
partie des informations des partitions du répertoire «Decroux».

D’autres moyens de communication


Les documents audiovisuels
Quelques fois, quand cela a été possible( 493), nous avons eu l’occasion de voir des
films ou des vidéos des pièces de répertoire de Decroux, ou les superbes études scolaires faites
par Decroux à l’aide de ses assistants( 494). Néanmoins l’objectif de l’école qui les montrait
était de faire connaître aux élèves certains exemples des possibilités de mouvement, ou de
composition et de dramaturgie, en non pas d’utiliser ces documents strictement comme moyen
de communication des partitions du répertoire «Decroux» en vue d’une étude du mouvement
ou d’apprentissage.
Cependant, dans la compagnie «Théâtre de l’ange Fou», pour la préparation du
spectacle «L’homme qui voulait rester débout», nous avons utilisé principalement de tels
documents comme sources d’information des partitions, afin de reconstituer certaines pièces
de répertoire de Decroux.

Le travail demandé par la reconstitution de ces pièces, à partir de telles sources,


comprenait outre «l’œil expert externe» du metteur en scène, une analyse du mouvement dans
des conditions très difficiles dues à l’état de préservation des dits documents( 495).
Il y a aussi d’autres documents ou traces matérielles des partitions du répertoire
«Decroux», dont les notes et descriptions verbales des anciens élèves (celles de tout un
chacun), des photos et / ou vidéos diverses de spectacles ou de cours, des dessins, etc. mais qui
sont rarement utilisés comme des moyens de communication des informations «mouvement»
des partitions, dans un cadre scolaire d’apprentissage professionnel de mime corporel( 496).

493 Dans toutes les écoles que nous avons fréquentées, il y avait de temps en temps une séance consacrée à vi-
sionner des documents audiovisuels du répertoire «Decroux». Mais, ces documents n’étaient pas des matériaux
d’étude (du moins pour les élèves), leur fonction était plutôt de montrer «ce que monsieur Decroux avait pu faire
avec le mime corporel».
494 Notamment avec Georges Molnar, qui lui - même fait, de temps en temps, des séances où il montre ce
type de documents.
495 Autant dans leur support (vidéocassettes) que dans leur contenu (l’image), datant des années 60 (approxi-
mativement 30 ans d’écart). Il faut dire que ces documents étaient ceux en possession et usage à l’époque, à
l’Ecole de mime de Montréal, à l’Ecole de Mime Decroux, et à l’Ecole de Mime corporel Dramatique de Paris.
Il faut aussi dire que depuis, le spectacle «L’homme qui voulait rester débout» de la compagnie «Théâtre de
l’ange fou / Cie. S. Wasson et C. Soum» a été filmé pendant ses représentations en 1992 à Philadelphia, États
Unis, et puis la même année à Amsterdam, par le Neederlands Mime Centrum.
496 Celui qui est la cible de notre proposition, vecteur et base de la tradition.
163
Les notes d’étude et aide - mémoire pour
l’entraînement

Concernant le besoin d’élaboration de notes d’étude et des aide - mémoire pour


l’entraînement, nous avons vu plus haut, que placé comme récepteur dans communication du
répertoire «Decroux» pendant les cours, l’élève a vu la démonstration, et entendu les
indications verbales correspondant à l’explication de la partition objet de l’étude, ainsi que
senti les indications de la correction et / ou manipulation qui lui a été fait à l’occasion de sa
propre exécution du mouvement en question.

Le traitement de cette information, afin d’en réussir la reprise et la répétition


nécessaires à l’apprentissage et à l’incorporation du mouvement observé pendant les cours,
demande à l’élève d’en faire l’analyse - synthèse - mémorisation en temps réel.

Évidemment ce n’est pas possible dans la même mesure pour tous les élèves. Cette
capacité dépend principalement de l’expérience du mouvement de chacun, mais surtout, de
l’entraînement personnel fait en dehors des cours, pour la majorité des élèves.

Or, la réalisation de l’entraînement n’est pas possible sans mémoire, sans une
«certaine» mémoire des informations vues et entendues (voire éprouvées) pendant les cours,
lesquelles correspondent aux partitions étudiées. C’est ainsi que, pour combler cette
lacune( 497), pour lutter contre l’oubli de ces informations indispensables à l’entraînement
personnel, l’élève a besoin d’élaborer des notes d’étude et aide - mémoire, où il essayera de
consigner les informations «mouvement» susceptibles de lui permettre la reprise des partitions
qu’il a « apprises» dans les cours.

L’élaboration des notes d’étude et aide - mémoire


L’utilité primordiale des notes d’étude et des aide - mémoire réalisées par l’élève, est
de disposer d’un accès( 498) permanent aux informations «mouvement» des partitions - objet
d’étude, afin de s’en servir pour son entraînement personnel en dehors des cours.
Pour que ces notes fonctionnent comme un relais temporaire de mémoire des partitions
étudiées, et en attendant que l’entraînement et la répétition construisent de nouvelles structures
neuro - musculaires (l’assimilation), elles doivent permettre aux acteurs, autre l’accès
permanent aux informations « mouvement » des partitions, une «relecture aisée» et le
traitement( 499) adéquat des informations contenues, or ceci ne va pas sans poser certaines
difficultés.

497 Qui d’ailleurs, n’est peut - être pas générale, car, elle dépend de l’expérience de mouvement de chacun.
498 cf. Mémoire: voir note N° Erreur! Signet non défini. , plus haut
499 Le traitement des informations «mouvement» que demande l’étude de nos partitions comprend, entre au-
164
Pour avoir un aperçu de telles difficultés, faisons d’abord un survol des
correspondances qui peuvent être établies entre les divers aspects et niveaux des partitions,
avec les informations «mouvement» qui en permettront la reprise:

Aspects objectifs du niveau dramatique de la partition


• actions
• le «focus»( 500)

• personnages représentés, etc.


Aspects subjectifs du niveau dramatique de la partition
• intentions
• motivations

• charges émotives
• états, etc.

Aspects corporels du niveau mouvement de la partition

• l’utilisation du poids
• les parties du corps impliquées
• la direction dans l’espace et l’amplitude
• les rapports intercorporels
• le degré de tension musculaire ou de relâchement
• la respiration, etc.

Aspects temporaux du niveau mouvement de la partition

• la chronologie de la mise en mouvement des diverses parties du corps impli-


quées
• les vitesses
• les rythmes
• les inter - rythmes
• les pauses, etc.

Le dernier aspect du niveau mouvement de la partition, lequel englobe des notions


de tension musculaire, d’effort et de temps.
• le dynamo - rythme.

tres, l’analyse - synthèse - incorporation.


500 De l’anglais: point focal du regard. Cet aspect, apparemment corporel, est une indication physique du
rapport, de l’exécutant avec «l’objet» de représentation, il relève donc, dans ce contexte, du niveau dramatique.
165
Or, si pendant les cours, le professeur communique à l’élève l’ensemble des
informations «mouvement» de chacune des partitions étudiées, c’est ici que le problème qui
nous préoccupe commence à se dessiner.
Les notes d’étude et aide - mémoire de l’acteur doivent idéalement couvrir l’intégralité
de ces informations que lui en permettront la mémorisation et le traitement nécessaires à
l’entraînement personnel. C’est ainsi qu’il doit trouver une méthode (ou des méthodes) de
notation adaptée(s) aux diverses natures des informations à traiter.
La notation des aspects du niveau dramatique de la partition ne présente pratiquement
pas de problème, le langage verbal étant entièrement capable de véhiculer les informations qui
concernent ce niveau. Les méthodes possibles pour la notation des aspects du niveau
dramatique de la partition sont donc la transcription par écrit du langage verbale et / ou des
notes sonores, dont fait partie l’enregistrement des indications verbales données par le
professeur pendant les cours( 501).

Plus difficile à réussir, est la notation des aspects du niveau mouvement des
partitions. Celle - ci devrait idéalement être faite de façon analytique pour permettre d’abord,
l’étude de chacun des composants du niveau mouvement, ensuite l’intégration au mouvement
recomposé (ou la synthèse grâce à la reprise) et enfin la répétition.

La notation du mouvement
L’élaboration des notes du niveau mouvement des partitions étudiées présente à l’élève
les difficultés suivantes qui sont intimement liées:
• l’analyse du mouvement observé en temps réel.
• la notation de ses divers aspects.
Concernant la première de ces difficultés, nous avons vu que si la réussite de la
communication visuelle demande à l’acteur la capacité de faire l’analyse - synthèse -
mémorisation en temps réel du mouvement observé, le même problème s’applique à
l’élaboration des notes d’étude.
C’est - à - dire que l’élève doit réaliser «à la volée», l’analyse du mouvement de la
partition étudiée et la mémorisation des données résultant de cette analyse. Cette activité «en
interne», ne doit pas le déranger pour suivre «à l’externe» le déroulement du cours; ceci
constitue un exercice dont la difficulté s’ajoute à celle de l’exécution physique (ou synthèse)
du mouvement en question.

501 Dans la pratique, ce type de notation est rarement fait et l’élève, en général, le confie à sa mémoire cogni-
tive. Cependant la raison de ce fait n’a pas de rapport avec l’absence d’une méthode de notation adaptée. Celle -
ci est, en général, à la portée de tout un chacun. (Sauf pour les élèves qui ne comprenant pas la langue utilisée
pendant les cours, ce qui peut arriver dans le contexte international et multi - langue des écoles de notre échantil-
lon).
166
Bien que cette faculté d’analyse - synthèse - mémorisation du mouvement en temps réel
soit développée comme toutes les autres compétences que suppose l’assimilation du mime
corporel, le besoin que l’élève a de noter les aspects du niveau mouvement des partitions,
pour soutenir son entraînement, est présent depuis le début de la formation.

Ainsi, l’acteur doit trouver une méthode d’analyse et de notation du mouvement


adaptée au mime corporel, qui lui permette

• de sortir de la situation du temps réel,

• d’avoir accès permanent aux informations «mouvement» nécessaires à l’étude


et à la reprise (analyse et synthèse) des partitions( 502).
Cette méthode idéale, non seulement serait la clé de l’élaboration des notes d’étude et
aide - mémoire qui ouvrirait un accès permanent aux informations «mouvement» des
partitions, mais elle représenterait en outre, un secours pour la préservation, voire la survie du
mime corporel.

Jusqu’à maintenant, les diverses méthodes de notation du mouvement que nous avons
rencontrées dans la pratique, représentent plus ou moins:
dans le domaine du langage verbal,
• la description langagière et / ou les abréviations écrites, ou enregistrées sur des
documents sonores, des contours du mouvement en question. Ces annotations
verbales peuvent inclure les indications et commentaires du professeur.
dans le domaine du langage musical (dans son rapport aux aspects temporaux),
• L’écriture de la partition rythmique de la «chanson» (503)

• L’enregistrement sonore de la «chanson»


dans le domaine du visuel «postural» (image fixe)

• Dessins des figurines représentant des positions du corps humain( 504)


• Photo
dans le domaine du visuel «mobile»
• Film ou vidéo
L’ensemble de ces méthodes de notation nous permet de sortir du «temps réel» par la
consultation, «en dehors des cours», des documents produits. Cependant, nous devrons tenir

502 Nous considérons que la MÉMOIRE du répertoire «Decroux» est très précisément cet «accès perma-
nent, aux informations ‘mouvement’ nécessaires à l’étude et la reprise des partitions».
503 La «chanson»: suite sonore onomatopéique «illustrant» les aspects rythmiques et de l'effort du mouv e-
ment en question.
504 Vues de face, latérales, de dos ou orthogonales, détails ou vues d’ensemble.
167
compte des limites des renseignements qu’elles rapportent, en fonction de la diversité des
informations à traiter dont nous avons besoin.

Ainsi, des méthodes utilisées, certaines ne peuvent pas traiter les informations
temporelles du mouvement, par exemple:

• la chronologie de la mise en mouvement des diverses parties du corps impli-


quées
• les vitesses
• les rythmes
• les inter - rythmes
• les pauses, les rétentions, etc.
C’est le cas notamment des méthodes du domaine du visuel «postural»: le dessin et la
photo.
C’est aussi le cas du verbe (écrit ou enregistré), lequel en procédant par succession, est
incapable de nous informer des événements de mouvements entremêlés chronologiquement.
De plus les informations contenues dans les enregistrements sonores des cours ne couvrent pas
l’ensemble des aspects du mouvement. Cependant, parfois le verbe donne des précieuses
informations par analogie ou métaphore.
D’autres méthodes sont incapables de traiter avec la précision requise, des informations
correspondant à certains aspects corporels du niveau mouvement de la partition, comme:

• l’utilisation du poids
• les parties du corps impliquées
• la direction dans l’espace et l’amplitude
• les rapports intercorporels

• le degré de tension musculaire ou de relâchement


• la respiration, etc.
Notamment le langage musical, bien qu’étant une aide d’importance à la consignation
des aspects temporaux du mouvement, ne permet pas la notation des informations corporelles
et spatiales, sous la forme d’une partition rythmique écrite ou d’une «chanson» enregistrée.
Enfin, il y a la méthode qui utilise les moyens audiovisuels( 505). Cependant, malgré
une apparente adéquation aux fins de notation du mouvement, le film et la vidéo comportent
des dangers potentiels dont nous parlerons plus bas( 506).

505 Dans ses différents formats et supports.


506 Outre les inconvénients d’une mise en place compliquée et coûteuse.
168
Le dernier aspect du niveau mouvement de nos partitions, qui présente la plus grande
difficulté de notation, et pour lequel aucune de ces méthodes n’est adaptée est le dynamo -
rythme.

Certes, aucun des procédés cités n’est exclusif, et les descriptions verbales de nos
partitions peuvent être accompagnées de dessins et de partitions rythmiques, ce qui pourrait
représenter le cas le plus «heureux» de notation analytique. A l’exception citée des dynamo -
rythmes, le mélange de ces notes partielles couvrirait l’ensemble des divers composants du
niveau mouvement des partitions.

Cependant, en général, le manque de temps, de compétences et de moyens matériels de


la plupart des acteurs, ne permet pas l’utilisation de cet ensemble de méthodes de notation.
Et enfin, ce qui est le plus important, à l’exception du rythme, dont l’écriture
«musicale» est le résultat obtenu par l’analyse des aspects temporaux du mouvement, le reste
des informations «notées» par l’ensemble des méthodes citées précédemment, n’a pas encore
été analysé.
Ainsi, nos diverses méthodes de notation nous ont permis de sortir du «temps réel».
Cependant, les notes qui en sont issues, ne nous ouvrent pas nécessairement un accès
permanent aux informations indispensables à l’étude (analyse et synthèse) du niveau
mouvement de la partition en question. A ces méthodes de notation, la procédure nécessaire à
l’analyse du mouvement fait encore défaut.
Nous considérons que si ces besoins ne sont pas satisfaits ou s’ils ne sont satisfaits que
partiellement, par manque de méthode d’analyse et de notation du mouvement adaptée au
mime corporel, ceci constitue un obstacle concret pour l’étude des partitions, en limitant la
communication du répertoire «Decroux» pour l’apprentissage du mime corporel.

Bien que la présomption d’efficacité du temps d’étude tende à refouler la


problématique qui en résulte, cette carence mérite d’être considérée avec plus d’attention.

Les notes d’étude et les outils audiovisuels


L’utilisation de tels outils (surtout le film et la vidéo) peut - être considérée comme une
solution à l’élaboration des notes d’étude et des aide - mémoire, mais cette utilisation mérite
une mise en garde particulière, aux vues de l’apparente «facilité» de production( 507) des
«notes» par ces moyens.
Certes, ces «notes» peuvent contenir nombre d’informations précieuses sur notre
partition - objet d’étude. Mais il ne faudrait pas oublier les contraintes liées, d’une part à la
mise en place( 508) des outils audiovisuels, et d’autre part à la manipulation( 509) des

507 Pour certains il suffirait d’un caméscope bas de gamme.


508 Pour constituer des notes d’étude fiables, ces documents audiovisuels doivent être réalisés dans des condi-
tions de tournage satisfaisantes (ce qui n’est pas toujours le cas), notamment en ce qui concerne l’exécution phy-
169
documents lors de la consultation. Aussi, il nous semble pertinent de nous arrêter sur plusieurs
remarques concernant leur application.

Un public peut se contenter d’un support médiatique (bande son, CD, film ou vidéo)
pour apprécier aussi bien le son que le mouvement, mais l’élève a besoin d’un matériel d’étude
qui lui permette l’analyse objective et détaillée de l’œuvre aux fins de répétition.
L’analyse de l’œuvre étudiée exige une exécution physique des partitions neutre et
fidèle, lors de l’enregistrement des notes. Or, ces besoins particuliers ne peuvent être
satisfaits par une simple bande sonore ou vidéo qui présente en même temps la partition et
l’interprétation de cette dernière.
Ainsi, nous trouvons pertinentes les remarques suivantes concernant l’utilisation du
film et de la vidéo:

Comme méthode de notation,


Les informations « mouvement » de la partition, auxquelles donnent accès les
documents qui en sont issus, sont:
• «synthétiques» dans leur présentation. Or cette méthode et ses documents ne
donnent pas la clé de l’analyse du mouvement. Nous sommes toujours en pré-
sence d’un objet qu’il faut analyser pour son étude.
• seulement temporelles et corporelles après analyse. En ce qui concerne cette
information corporelle, il convient de signaler qu’elle n’est donnée qu’à partir
d’un seul axe, celui de la caméra, dont l’image finale est limitée à la bi - di-
mensionnalité de l’écran.
• inexistantes sur les dynamorythmes, en particulier lorsque les lignes des tra-
jectoires des parties du corps, ou celles d’application de la force, sortent des
axes correspondant au plan bi - dimensionnel de l’image produite.

or dans une situation d’apprentissage, l’étude et la reprise des partitions demandent l’analyse
de l’ensemble des aspects du mouvement. Analyse qui, malgré l’existence de tels documents,
doit encore être faite. N’oublions pas que dans l’optique de l’étude du mouvement, la qualité
cinétique des solutions audiovisuelles ne pourra jamais se substituer à l’exécution réelle des
partitions( 510).

sique des partitions à l’étude, mais aussi de prise de vue, etc, contraintes que le prix de l’équipement nécessaire ne
saurait combler.
509 Leur consultation en individuel demande l’utilisation d’un équipement de lecture (magnétoscope - poste
T.V. ou moniteur, et (il serait possible de l’imaginer) dans un proche avenir, d’un ordinateur multimédia avec
lecteur de cédérom et carte graphique) qui n’est pas toujours à la portée de toutes les bourses.
510 La tendance dans la recherche sur les outils audiovisuels et ses documents - supports, est la préservation
de la qualité cinétique qui se rapprocher le plus possible d’une performance «réelle», alors la question n’est
même pas de modifier notre affirmation en disant «actuellement». Dans le contexte des pratiques théâtrales,
aucune technologie n’a pour objectif de remplacer l’acteur.
170
Comme mémoire du mouvement
Au delà de ce qui vient d’être décrit, l’apparente «facilité»( 511) d’élaboration des
documents peut induire des glissements indésirables dans leur utilisation.
Le premier glissement serait de passer de notes d’étude à moyens de communication, à
partir desquels, un nouveau glissement conduirait à le considérer comme moyens de
préservation et enfin comme la mémoire - même du mouvement auquel ils font référence.
Ce qui représente les risques suivants:
I. - pour l’acteur
• la substitution des documents audiovisuels à la communication directe des in-
formations «mouvement» des partitions du répertoire «Decroux», et l’idée
que se procurer de tels documents peut remplacer les cours effectivement sui-
vis.

II. - pour la tradition du mime corporel

• la substitution de ces documents,


- à la pratique( 512), en ce qui concerne la préservation et la transmission des
principes et fondements
- à l’exécution effective du répertoire «Decroux»( 513) comme exercice faisant
partie intégrante de l’apprentissage et clé de voûte de la tradition vivante

La préservation et la mémoire

Cette dernière section du quatrième chapitre, cherche à mettre en évidence les liens
d’inter–dépendance des notions de préservation du répertoire «Decroux» et de mémoire du
mime corporel. Il nous importe également, d’établir comment la «tradition» de cette pratique
spectaculaire est dépendante des supports de mémoire utilisés actuellement pour la
préservation du répertoire «Decroux».

Préservation, mémoire et tradition vivante


Dans notre introduction, quand nous avons critiquons la précocité du traitement de la
tradition du mime corporel par nos devanciers, nous avons exprimé que:

511 Voir Notes N°’s 507 et 508, plus haut.


512 Nous nous permettons de rappeler le sens que nous avons donné au terme «pratique», utilisé en rapport
au mime corporel, lequel fait référence aux trois volets de sa définition: être en possession physique de ce lan-
gage, en mesure de l’apprendre à d’autres acteurs et s’en servir sur scène.
513 Cette substitution est, sauf rares exceptions, l’état réel de la tradition du mime corporel.
171
• la tradition du mime corporel n’a pas encore eu l’occasion de faire ses preuves
en ce qui concerne la préservation et le passage de ses pratiques de la
deuxième à la troisième génération…

• la seule certitude d’une tradition du mime corporel pourrait être apportée par
des acteurs pour qui ce langage est la base du travail artistique, c’est - à - dire,
par des acteurs qui possèdent physiquement le mime corporel, qui sont en
mesure de l’apprendre à d’autres acteurs et qui s’en servent sur scène.

Notre critique estime que, d’une part, cette tradition est improbable sans la pratique
des acteurs formés en mime corporel, et d’autre part, que cette pratique comprend l a
préservation et la transmission du mime corporel.

Autrement dit, la tradition du mime corporel n’est possible que si chaque génération
d’acteurs qui en fait partie:

• est en possession physique du mime corporel

• s’en sert sur scène

• a la mémoire des principes et fondements du mime corporel

• est en mesure de les transmettre à la génération suivante


• fait de la transmission une partie intégrante de la pratique.
Afin d’explorer les différentes facettes de notre problématique, abordons l’analyse de la
pratique du mime corporel, sous l’aspect de «préservation et transmission des principes et
fondements».

Plus haut, dans notre texte concernant la tradition du mime corporel, nous avons
expliqué que le rôle idéal de l’école, en tant que manifestation objective, porte d’entrée de
cette tradition et vecteur de l’apprentissage du mime corporel, est d’assurer et d’assumer la
transmission des pratiques.

Or, si les indications pratiques et l’ensemble des développements de Decroux pour


l’assimilation du mime corporel, sont contenus et concrétisés dans le matériau «mouvement»
que nous avons appelé le répertoire «Decroux», cela veut dire que la tradition du mime
corporel est fonction de la mémoire que l’école peut garder du répertoire «Decroux» ainsi
que de la transmission qu’elle peut en faire.
Plus loin, dans le même texte, nous avons aussi exprimé que la formation ne peut
prétendre être en mesure de constituer la base de la tradition du mime corporel, que si la
préservation du répertoire «Decroux», le transmission de ses pratiques de génération en
génération et la recherche, sont réalisées corporellement par des acteurs.

Cette dernière condition est capitale pour une tradition du mime corporel. Elle seule
justifierait que le mime corporel, patrimoine artistique de Decroux, prenne la dénomination
172
que Benhaim( 514) et de Marinis( 515) lui donnent: l’héritage vivant légué par Étienne
Decroux aux acteurs qui feront le théâtre du futur.

Voyons maintenant l’idée d’une tradition vivante du mime corporel, donc de la


préservation et de la transmission effectives des pratiques; ces dernières sont improbables sans
écoles, centres de formation ou professeurs qui assurent et assument ce rôle.

Or, c’est ici que nous abordons un des aspects cruciaux du problème qui nous occupe,
et qui avait été mis en évidence par le nombre limité de professeurs( 516) engagés dans ce rôle
à cause des exigences matérielles d’une telle entreprise.

Les premières exigences: posséder physiquement le langage du mime corporel et s’en


servir couramment sur scène. Si ces exigences premières pour la transmission du mime
corporel ne sont pas remplies par des acteurs charnels, aucune autre démarche de préservation
ne sera en mesure de constituer la base d’une quelconque tradition.

L’assimilation du mime corporel: sa préservation première


Sous notre titre «Un langage physique pour l’acteur: le mime corporel», nous avons
présenté le répertoire «Decroux» comme l’ensemble des compositions de mouvement, reflet
des explorations de ce dernier sur les divers aspects du mime corporel en tant qu’art de
l’acteur. Cet ensemble, outre la production de Decroux pour la scène (reflet spectaculaire de
ses recherches), inclut ses développements( 517) concernant l’utilisation des ressources
corporelles pour l’expression dramatique à la disposition de l’acteur.
Concrètement, les compositions du répertoire «Decroux» sont:
• des exercices pour l’acquisition, l’entretien et la maîtrise des «facultés radi-
cales».
• des exercices et enchaînements de mouvement pour l’apprentissage et
l’assimilation physique des éléments du vocabulaire du mime corporel (ex.:
contrepoids, annelés, etc.).
• des figures dramatiques et de style.

514 Voir Guy Benhaim: Le mime corporel selon Étienne Decroux, op. cit, page N° 491.
515 «L' héritage vivant du mime corporel et de Decroux pour le théâtre de demain, lequel est aussi - si la
perspective ne semble pas excessive - celui du théâtre du nouveau millénaire».
Marco de Marinis: Mimo e teatro nel Novecento, op. cit, page 299. (Nous avons traduit de l’italien).
516 Ici, nous ne pouvons plus parler d’écoles ou centres de formation, car ceux capables d’assumer cette tâche
ne sont que des individus.
517 Voir la définition de Répertoire «Decroux» dans l’Introduction.
173
• des pièces de répertoire (518), exemples des différentes possibilités dramatur-
giques et des styles de jeu du mime corporel.

Nous pouvons dire que la «définition par le mouvement» de ce matériel, a été possible
grâce à la précision des choix concernant l’utilisation des ressources corporelles, des voies
d’évolution, des interactions corporels( 519), des rapports inter - partenaires, et des relations
avec l’espace scénique.
Cette précision, permet de matérialiser par le mouvement chacun des éléments du
répertoire «Decroux», et c’est ce qui donne un sens fondamental aux termes de préservation,
transmission et apprentissage du mime corporel.

Ceci nous a permis de considérer le répertoire «Decroux» comme la base minimale de


l’éventuelle tradition du mime corporel. Hypothèse que nous avons confortée en établissant, au
début de ce chapitre, le lien pratique entre le répertoire «Decroux» et l’apprentissage du mime
corporel.

C’est - à - dire que:

• le matériau «mouvement » des partitions du répertoire «Decroux», conte-


nant et contenu des principes et fondements du mime corporel, est la base
matérielle pour l’apprentissage et l’assimilation en vue d’une pratique specta-
culaire et / ou pédagogique postérieure.

• la préservation de l’objet: répertoire «Decroux» , est un des piliers de la


transmission des principes et fondements du mime corporel de génération en
génération.
Outre la banalité discursive de ces dernières affirmations, il est essentiel de rappeler
que la seule matérialisation possible du répertoire «Decroux» réside dans l’exécution
physique des partitions par un acteur formé en mime corporel, parce que:

• la définition de chacun des «textes du mouvement» du répertoire


«Decroux», repose inévitablement dans la possibilité d’être jouée par des ac-
teurs ayant préalablement assimilé le mime corporel.

ceci nous amène à admettre qu’en effet:

518 Les pièces de répertoire de Decroux (qui, dans notre définition font partie du répertoire «Decroux»), sont
jusqu’aujourd’hui, le sommet artistique du mime corporel. La difficulté de leur exécution et / ou la performance
physique qu’elles requièrent sont des plus hautes, d’où l’intérêt que nous leur portons en tant que matériel péda-
gogique et d’entraînement.
519 Rapports entre les parties du corps, dits aussi: rapports inter - corporels.
174
• l’existence du répertoire «Decroux»( 520) est, et sera toujours, conditionnée
par le degré de précision dont les acteurs sont (et seront) capables dans la
«lecture»( 521) des «textes» de cet ensemble.

S’agissant d’une pratique spectaculaire, le rappel musculaire (la remise en mémoire


par l’exécution physique) du mime corporel est la seule matérialisation effective possible.
Ainsi, dans un discours sur la tradition du mime corporel, il serait impossible d’envisager la
préservation du répertoire «Decroux», sans l’assimilation du mime corporel par des acteurs
charnels.

La mémoire du répertoire «Decroux» dans l’apprentissage


Nous avons utilisé le développement du processus d’apprentissage du mime corporel
pour justifier de l’importance de notre projet et pour montrer, simultanément, les proportions
que garde la problématique qui nous concerne, à l’intérieur de la tradition du mime corporel.
Ainsi, notre discussion restera à l’intérieur des limites que nous lui avons définies, c’est - à -
dire que:
Si la mémoire de l’intégralité des informations de mouvement des partitions du
répertoire «Decroux»
• ne constitue pas le seul moyen, et encore moins le seul objectif, de
l’apprentissage du mime corporel

• n’est pas, en elle - même, une garantie de la transmission du mime corporel, ni


de la survie en tant que tradition.
Cependant, elle n’en est pas moins une des conditions fondamentales.

C’est pourquoi dans notre étude, quand nous portons notre attention sur la préservation
du mime corporel, nous sommes nécessairement intéressés par la mémoire de l’intégralité( 522)
des informations «mouvement» des partitions du répertoire «Decroux», qui permettrait aux
acteurs en formation, l’assimilation des principes et fondements du mime corporel, par
l’apprentissage et l’entraînement.

Et nous disons «mémoire de l’intégralité de ces informations», car nous considérons


que si des informations «mouvement» de ces partitions se perdent, ou se déforment, ou ne
sont pas accessibles en permanence aux acteurs en formation, la tradition risque d’entrer en
processus d’entropie.

520 Et la survie de quelque tradition du mime corporel que ce soit, dans la mesure où nous avons l’intention de
traiter cette tradition comme celle d’une pratique spectaculaire actuelle.
521 La «lecture» en termes de mouvement veut dire: l’exécution ou la performance physique, reprise et i n-
terprétation concomitantes, du «texte» de la partition en question.
522 Ici, nous parlons du degré de précision que nous pouvons attribuer à Decroux, concernant ses choix
d’éléments de mouvement dans ses compositions, et surtout du degré de certitude que nous pouvons avoir de la
préservation de ces choix.
175
Par opposition, parler aujourd’hui d’une tradition vivante du mime corporel,
équivaudrait à dire que dans la pratique, la préservation( 523) et la mémoire de l’objet, le
répertoire «Decroux», sont assurées, ce qui reste à prouver.

Le rappel musculaire du répertoire «Decroux»: mémoire première du


mime corporel.
Dans notre introduction, nous avons présenté le répertoire «Decroux» comme La
Mémoire première du mime corporel en indiquant que ses partitions matérialisent les
conceptions de Decroux sur l’art du mime. Plus tard, nous avons présenté la principale
exigence quant à la matérialisation effective de l’œuvre de Decroux, qui nous permettrait d’en
évoquer l’existence matérielle:

• l’existence du répertoire «Decroux» est, et sera toujours, conditionnée par le


degré de précision dont les acteurs sont (et seront) capables dans la
«lecture»( 524) des «textes» de l’ensemble des partitions.
Cette exigence nous donne clairement la mesure de la fragilité de l’existence de
l’œuvre de Decroux. Situation qui nous ramène à la marginalité de la pratique du mime
corporel et qui nous renvoie aux points déjà présentés, et lesquels sont capitaux pour notre
analyse actuelle:
• la condition d’inaccessibilité à laquelle est prédisposée l’œuvre de Decroux.

• la fragilité de la tradition du mime corporel et la marginalité de sa pratique


comme conditions aggravantes réciproques.
Il est important de signaler que nous considérons le premier de ces points est à l’origine
de la spirale décrite par le deuxième.
En conséquence, nous pouvons dire que :
• inexécutés, ces «textes» non seulement restent inaccessibles aux acteurs et au
public en général, mais ils n’existent pas.
• sans acteur en mesure de les exécuter, il est impossible de les connaître et de
les apprécier.
Ainsi, leur exécution ou rappel musculaire est équivalent à leur préservation, elle est
aussi la première porte d’accès à la connaissance, l’étude et la mémoire des compositions.
L’assimilation et la transmission du mime corporel en sont directement dépendantes.

523 Il est évident que la mémoire du répertoire «Decroux» dépasse le contexte de l’exclusif processus
d’apprentissage du mime corporel, en considérant la possibilité d’utiliser des pièces de répertoire de Decroux
comme du matériel spectaculaire par leur reconstitution et leur interprétation, non seulement par des acteurs en
formation, mais aussi par d’autres professionnels ayant été préalablement formés au mime corporel.
524 Voir le texte du parragraphe à l’origine de la note N° 521.
176
Arrivé à ce point, notre lecteur sera peut - être surpris d’apprendre de notre part, que
nous trouvons l’œuvre de Decroux et la tradition du mime corporel en état de détresse au point
de risquer la disparition pure et simple par insuffisance de «rappel musculaire»( 525).

Cependant, notre intention n’est pas d’écrire le requiem du mime corporel, mais de
signaler des attitudes que nous considérons comme étant à l’origine d’une situation, dans
laquelle parler de tradition, de préservation et de transmission des principes et fondements du
mime corporel, etc., est un non - sens stérile quand ce discours, ou celui sur l’influence de
l’œuvre d’Etienne Decroux, reste sans référence concrète à la pratique effective( 526) du mime
corporel.

Notre intention n’est pas, non plus, de mettre en cause les quelques acteurs pour qui ce
langage est le fondement du travail artistique, mais de les encourager dans leur pratique, car
justement notre texte les met au centre de la tradition du mime corporel, en signalant qu’il n’y
a pas de mémoire ni de transmission des principes et fondements du mime corporel sans une
l’assimilation physique préalable à la pratique.

L’entraînement en mime corporel et la mémoire du répertoire


«Decroux»
En signalant l’inaccessibilité de l’œuvre de Decroux, à l’origine de la spirale de «la
fragilité de la tradition du mime corporel et de la marginalité de sa pratique», nous voudrions
indiquer qu’à notre avis, cette inaccessibilité est provoquée principalement par la dégradation
progressive de la mémoire des compositions de mouvement de Decroux, dont la pratique est
la seule matérialisation possible.

Cette dégradation concerne principalement les supports de mémoire corporels et extra


- corporels, nécessaires, les premiers, au rappel musculaire (l’exécution) essentiel à l’existence
du mime corporel, et les derniers, à l’entraînement dans l’apprentissage du mime corporel.

Les supports de mémoire du mime corporel

Les supports corporels


Les plus importants s’agissant d’une pratique spectaculaire. Ces supports se dégradent
d’abord, par le manque de rappel musculaire, ensuite, par la dégradation naturelle des
compétences nécessaires à ce rappel.
La dégradation naturelle est principalement fonction de l’âge et / ou de l’état de santé
de l’acteur, et il n’est donc pas à notre portée de faire grand - chose à son encontre. Notons
cependant que cette dégradation peut être retardée grâce à l’entraînement quotidien.

525 Voir page 175.


526 Cf. le titre «Les manifestations matérielles de la tradition du mime corporel», plus haut.
177
Entraînement et rappel musculaire
Cette activité d’apparence anodine consiste dans le rappel musculaire des indications de
mouvement contenues dans les «textes» des compositions de Decroux. L’entraînement est à
lui seul, le point crucial, non seulement de notre exposé sur la mémoire et la préservation, mais
de cette thèse et de notre démarche tout entière.

En effet, l’idée même d’une tradition du mime corporel, et celle de la préservation de


l’œuvre de Decroux, trouvent leur fondement dans l’entraînement. L’importance de celui - ci
réside dans le fait que l’apprentissage, l’assimilation et la maîtrise du mime corporel sont
impensables sans entraînement quotidien. Sans lui, il ne serait pas possible d’envisager une
tradition ou la pratique du mime corporel.

Nous avons présenté le rôle de l’entraînement à plusieurs points de notre exposé, en


résumé, il est:

• l’outil de l’apprenti - mime (l’acteur) pour travailler à l’épanouissement de ses


ressources, au delà des conditionnements( 527) divers auxquels sont assujetties
ces dernières.
• le seul chemin d’accès à la maîtrise des dites ressources, porte de la liberté ar-
tistique.
• la partie la plus importante de la participation active et positive de l’acteur, in-
vestissement de sa personne( 528) pour l’assimilation du mime corporel.

N’oublions pas que cette assimilation physique est seulement possible grâce à l’effort
des acteurs pour la reconstitution fidèle des «textes de mouvement» du répertoire
«Decroux».
Enfin, ce qui n’est pas le moins important, l’entraînement est le travail de rappel
musculaire qui fait l’entretien de la mémoire du mime corporel: la préservation.

Dire qu’il serait impossible d’envisager la préservation du répertoire «Decroux», sans


l’assimilation du mime corporel par des acteurs charnels implique, dans le domaine de
l’apprentissage, que la mémoire du répertoire «Decroux»( 529) soit possible pour les apprentis
- mimes (les acteurs) en attendant que le rappel musculaire construise les nouvelles structures
neuro - musculaires qui mènent à l’assimilation physique du mime corporel.

D’où l’importance et la définition du rôle de relais temporaire que nous pourrions


assigner aux supports de mémoire extra - corporels.

527 Qu’ils soient culturels ou personnels(exemple : ses «tics» et «manies» ou «habitudes» en mouve-
ment).
528 Voir note N° 394, plus haut.
529 L’accès permanent, aux informations du mouvement, nécessaires à l’étude et la reprise des partitions.
178
Les supports extra–corporels
Pour traiter ces supports de la mémoire du mime corporel, nous voudrions revenir sur
notre exposé concernant le processus d’apprentissage. Nous avons exposé alors les conditions
pratiques qui nous ont montré la nécessité de garder mémoire du répertoire «Decroux»
pendant la phase d’apprentissage.

Notations
En effet, dans ce texte, nous avons indiqué que pour nous souvenir des partitions du
matériau d’étude, il aurait fallu savoir prendre des notes sur les exercices, d’une façon
quelconque, pour revenir plus tard sur ses indications, en attendant que l’entraînement et la
répétition construisent des nouvelles structures neuro - musculaires (l’assimilation), ce qui fait
des notes d’étude «aide - mémoire» personnelles, le premier des supports de mémoire extra -
corporels à la disposition des acteurs en formation.
Évidement, cette considération serait banale si elle ne prenait pas en compte que
l’élaboration de ces notes dépend principalement de:
• l’exécution physique matérialisant le répertoire «Decroux» par des acteurs de
la génération précédante( 530).
• des méthodes d’analyse et de notation du mouvement utilisées.
• des compétences des apprentis - mimes (les acteurs) pour faire l’analyse -
synthèse de mouvement observé en temps réel.
conditions discutées précédemment.
Il y a également d’autres documents, dont les notes et descriptions verbales des anciens
étudiants (celles de tout un chacun), des photos et / ou vidéos diverses de spectacle ou des
cours, des dessins, etc. mais qui sont rarement utilisées comme supports de mémoire des
partitions du répertoire «Decroux», dans un cadre scolaire d’apprentissage professionnel du
mime corporel( 531).

Néanmoins, certains de ces documents sont parfois utilisés en tant que supports extra -
corporels de la mémoire de pièces de répertoire de Decroux. Cette utilisation, à notre avis,
devrait être considérée très attentivement, surtout à cause des contraintes citées plus haut, en ce
qui concerne les documents audio - visuels( 532).

Le film et la vidéo.
Ce genre de documents ont déjà été décrits par nos devanciers, René - Jean Dufour et
Guy Benhaim, quand ils parlent des films ou vidéos produits par Decroux, ou sous sa

530 Voir page N° 176.


531 Celui qui est la cible de notre proposition, vecteur et base de la tradition.
532 Voir plus haut «Les notes d’étude et les outils audiovisuels» page N° 169.
179
direction. Ils y voient des documents historiques, dont ils soulignent l’inaccessibilité. Laissons
- leur la parole.

Ainsi, pour René - Jean Dufour:

« S’il est vrai (qu’il y a longtemps)que Decroux a fait du spectacle et qu’il


est difficile d’apprécier sa démarche, en revanche, il nous est resté un grand
nombre de documents sur pellicule. » (533)

Il nuance ensuite:

« …Hormis quelques - uns, les films ne sont pas en circulation, et il a été


pratiquement impossible de les visionner si l’on n’a pas étudié avec lui. » (534)

Pour sa part Benhaim en reconnaissant aux films et vidéos une qualité de supports
iconiques de l’œuvre de Decroux( 535), nous en parle en regrettant que:

« Lorsque nous avons entrepris cette thèse, il était encore possible de louer à
l’Institut National des Sports un film qui reproduisait le spectacle monté à New
York en 1960. Puis des vidéo - cassettes en furent tirées. Mais la vente en a été
arrêtée par une action judiciaire. D’autres films se trouvent en possession du fils
d’Étienne Decroux. Jusqu’à ce jour, par crainte de vols, il n’en autorise pas la
vision. Pour tout support iconique, il ne nous reste donc que la
photographie. » (536).

Pour notre part, sous le titre concernant le processus d’apprentissage du mime corporel,
nous avons fait référence aux films et vidéos que nous avons eu l’occasion de visionner dans
les écoles que nous avons fréquentées, notamment lors de notre participation au spectacle
«l’homme qui voulait rester débout» avec le Théâtre de l’Ange Fou. Nous pouvons citer aussi
les films que Georges Molnar (ancien assistant de Decroux) montre encore aujourd’hui, films
où il exécute de superbes études scolaires.
D’autres films existent sur l’œuvre de Decroux (ou sur des œuvres que lui sont
attribuées). Jean - Claude Bonfanti( 537) dans le générique de son émission télévisée en
hommage à Etienne Decroux, cite les films d’archives suivants: Corinne Soum et Steven
Wasson («l’homme qui voulait rester débout», reconstruction de pièces de répertoire de
Decroux par le Théâtre de l’Ange Fou, 1992), Pierre Richy («La grammaire», exécution de

533 Voir la liste de ses films d'archives sur le mime corporel dans les annexes.
534 René - Jean Dufour, Petite Histoire d'un grand art : Le mime hier et aujourd’hui; Perspective historique,
op. cit.
535 Nous rappelons la condition nécessaire pour les considérer comme des supports de mémoire: ayant servi à
la préservation, ils devront être en mesure de restituer les informations «mouvement» qui leur ont été confiées.
La première et la plus importante limite de ces supports, est leur situation actuelle d’inaccessibilité.
536 Guy Benhaim: Le mime corporel selon Étienne Decroux, op. cit, page 6.
537 Jean - Claude Bonfanti: Pour saluer Etienne Decroux, op. cit,
180
Decroux en 1953), Département de théâtre de l’Université de Baylor, Texas («Corporeal
mime», exécution de Decroux en 1961), Del Danske Filmmuseum («Etienne Decroux in
Amsterdam» conférence - démonstration de Decroux de 1967).
Néanmoins, ces films ou vidéos, sont pour la plupart aujourd’hui introuvables. Des
questions concernant leur qualité ou leur contenu suscitent encore des discussions( 538), et leur
existence est mise en question malgré des rumeurs concernant de nombreuses collections
privées. Leur disponibilité et utilisation réelles en tant que support extra - corporel de mémoire
du répertoire «Decroux» aux fins d’apprentissage du mime corporel, est pratiquement nulle,
non seulement du fait des contraintes liées à leur collecte et consultation, mais aussi à cause de
leur vétusté matérielle( 539).

Nous ne négligeons pas qu’il y a d’autres films sur le mime corporel, ou sur le
répertoire «Decroux». Guy Benhaim, dans sa thèse, en cite un( 540) réalisé par Yves Lebreton,
et la Bibliothèque du Neederlandse Theater Instituut d’Amsterdam a une collection de films de
Will Spoor( 541).
Cependant, de notre passage dans les écoles, nous pouvons dire qu’il n’existe pas
d’archives intégrant tous les films faits par Decroux ou sous sa direction, et que ceux qu’y sont
visionnés, ne sont pas utilisés comme mémoire des partitions du répertoire «Decroux» pour
l’apprentissage du mime corporel, mais pour faire connaître (aux élèves) certains exemples des
possibilités de mouvement, ou de composition et de dramaturgie.
Enfin, ce développement nous ramène à l’affirmation au départ de cette discussion
concernant la contrainte d’inaccessibilité à laquelle est prédisposée l’œuvre de Decroux.
Affirmation que nous avons enrichie en expliquant que d’une part, elle est inaccessible par
manque de rappel musculaire( 542), et d’autre part, par la précarité des supports de mémoire
utilisés comme traces matérielles.
Ce qui nous confirme qu’aujourd’hui, pour la mémoire des compositions du répertoire
«Decroux» essentielle à la tradition du mime corporel, nous devrons compter principalement
sur la possibilité de trouver des acteurs( 543) pour qui ce langage est le fondement du travail
artistique, c’est - à - dire, des acteurs qui possèdent physiquement le mime corporel, qui sont
en mesure de l’apprendre à d’autres acteurs et qui s’en servent sur scène.

538 A ce sujet, voir les commentaires que Guy Benhaim leur consacre.
Guy Benhaim: Le mime corporel selon Étienne Decroux, op. cit, page 136.
539 Le plus récent daterait des années 70. Voir dans les annexes la liste des films sur l’œuvre de Decroux (ou
qui lui est attribuée), publiée dans le catalogue des films sur le théâtre et l’art du Mime. En Octobre 1997, nous
avons pu nous procurer à l’INSEP, une copie vidéo du film du spectacle de Decroux fait en New York en 1960,
les images et la bande son du début sont abîmées du fait des nombreuses manipulations que ce document a subies.
540 Guy Benhaim: Le mime corporel selon Étienne Decroux, op. cit, page 139.
541 Acteur de la compagnie d’Etienne Decroux dans les années 50.
542 Voir: «le rappel musculaire du répertoire ‘Decroux’ et la mémoire du mime corporel, page 175.
543 Voir les conditions d’existence du répertoire «Decroux», page N° 176.
181
Troisième partie
« L’application de la cinétographie Laban
au mime corporel »

« Je fus forcé d’analyser les figures que je proposais aux élèves pour qu’ils
puissent les refaire.

Peu à peu, j’édifiais non seulement une doctrine mais une pédagogie. » (544)

544 Étienne Decroux: «Autobiographie d’Étienne Decroux», Dossier n° 42 « début 1950», page 5. Fonds
Decroux, Bibliothèque de l’Arsenal à Paris.

182
Cette partie sera fondée sur notre étude concernant la pertinence des méthodes Laban
en tant qu'outils d’étude appliqués au mime corporel, et sur les possibilités que cette
application ouvre pour la communication, la mémorisation et la préservation des informations
«mouvement» du répertoire «Decroux».

Son objectif est de présenter les implications et modalités de l’application de la


Cinétographie Laban au processus d’apprentissage du mime corporel et à la préservation du
répertoire «Decroux».

Les aspects de l’apprentissage du mime corporel concernés sont:

• la communication et la mémoire du répertoire «Decroux».


• les méthodes utilisées pour l’élaboration des notes d’étude et aide - mémoire
pour l’entraînement.
Quant à la préservation du répertoire «Decroux», sont visés:
• La mémoire( 545) des informations des partitions

• L’accès aux informations «mouvement» des partitions

Nous avons divisé cette troisième partie en deux chapitres.


Le premier (cinquième de notre thèse), approfondit notre étude( 546) sur la pertinence
des méthodes Laban d’analyse et de notation du mouvement en tant qu’outils d’étude appliqués
au mime corporel, par l’examen de notre proposition concrète en ce qui concerne la possibilité
d’utilisation:
• des cinétogrammes comme moyen complémentaire de communication et de
mémorisation du répertoire «Decroux» pour l’apprentissage du mime corpo-
rel.

• de la cinétographie Laban comme méthode de notation pour l’élaboration des


notes d’étude et aide - mémoire
• des cinétogrammes( 547) comme support extra - corporel de mémoire du ré-
pertoire «Decroux» pour la préservation du mime corporel

545 La mémoire: la conservation et la restitution des informations «mouvement» du répertoire «Decroux».


546 Jorge Gayon: Application des méthodes Laban d’analyse du mouvement au processus d’apprentissage du
mime corporel, op. cit.
547 Des documents appelés «cinétogrammes» résultent de l’application des méthodes Laban d’analyse et de
notation du mouvement. Ils sont au mouvement ce que les portées musicales sont à la musique.

183
Cet examen sera fondé sur l’analogie: «répertoire - partition», et sur les rapports:
«répertoire - processus d’apprentissage» présentés plus haut, dans les troisième et quatrième
chapitres.

Le sixième chapitre (second de cette partie), à partir de la discussion des objectifs du


projet Laban - Decroux, explique les modalités pratiques, et donne quelques exemples des
réalisations de notre application de la Cinétographie Laban au processus d’apprentissage du
mime corporel et à la préservation du répertoire «Decroux».

Avant de commencer, il sera utile de rappeler d’une part, certains des concepts
fondamentaux concernant la définition du mime corporel et du répertoire «Decroux» comme
«objets» dans le cadre de cette étude, et d’autre part, quelques observations issues de cette
dénomination.
Tout d’abord, revenons sur la mise en garde que nous avons exprimée dans le troisième
chapitre, concernant la distance existant entre la pratique et le discours( 548) du mime corporel.
Conscient que toute étude sur les pratiques, spectaculaires ou non, implique des risques
inhérents à la confrontation entre les faits d’une part, et d’autre part les outils théoriques
utilisés ainsi que les discours périphériques produits, nous avons exprimé l’intention de garder
notre approche physique du sujet afin de rester en dehors du «discours sur le discours du
mime corporel».

Le premier des risques induits par la confrontation entre discours et pratique est de
donner au premier un crédit prioritaire qui méprise la distance qui sépare, au mieux le discours
du pratiquant, au pire celui du théoricien, des faits. Dans notre cas, ce risque se traduirait dans
le scepticisme qui refuserait de voir la difficulté majeure (549) de cette thèse, qui consiste dans
les limites auxquelles se voit confronté le langage verbal quand il est utilisé comme moyen
pour «objectiver» le mouvement en général, et le mime corporel et le répertoire «Decroux»,
en particulier.
Ces limites prennent toute leur signification dans les conditions de notre étude car, les
éléments qui font référence au répertoire «Decroux», n’ont pas d’existence «objective» autre
que leur énonciation( 550). Celle - ci par ailleurs, n’est pas en mesure d’évoquer, pour la plupart
des lecteurs, une quelconque expérience ou un référent. Ainsi, le secours que le langage verbal

548 Decroux l’appelait: «Paroles sur le mime».


549 Nous avons présenté cette difficulté dans le troisième chapitre, en exprimant en même temps que celle - ci
se trouve à l’origine du projet Laban - Decroux, lequel se propose comme une solution possible.
550 Nous avons exprimé sous notre titre Le rappel musculaire du répertoire « Decroux»: mémoire première
du mime corporel, que l’existence de celui - ci est, et sera toujours, conditionnée par le degré de précision dont les
acteurs sont (et seront) capables dans la «lecture» (l’exécution) des «textes» de l’ensemble des partitions. Exi-
gence concrète quant à la matérialisation effective de l’œuvre de Decroux, qui nous permettrait d’en évoquer
l’existence.

184
nous prête dans notre exposé, se trouve cette fois - ci, limité par la nature de l’objet en
question. En effet, notre «objet» est défini a priori comme du mouvement.
Enfin, en plus de la distance entre l’énoncé et l’objet que le discours est incapable de
franchir, nous avons un double inconvénient supplémentaire induit par la nature même de cet
objet:

• la seule matérialisation possible de celui - ci est l’exécution physique du


mouvement qui le caractérise,
• l’existence de ce mouvement est obligatoirement conditionnée par une exécu-
tion réalisée par des acteurs formés au mime corporel.

Cette somme de difficultés réclame une vigilance particulière. C’est la raison pour
laquelle, bien que veillant à la clarté tout au long de notre exposé, nous avons fait appel à la
bienveillance du lecteur.
Pour finir, et concernant plus précisément notre «objet» d’étude, il nous semble
nécessaire de rappeler au sujet du matériau répertoire «Decroux» , que:

1 La caractéristique de précision et la dimension de texte, signalées dans notre


définition sur la notion de répertoire «Decroux» , nous ont permis d’établir
l’analogie «répertoire - partition».
2 Fondés sur cette analogie, nous traitons l’ensemble des informations
«mouvement» (551) de chacun des éléments - objets du répertoire
«Decroux», indistinctement comme partition (comme pour la danse et la
musique) ou comme des textes (comme pour le théâtre et la poésie).

3 Cette définition nous permet de désigner les «partitions» (ou les «textes»)
des développements et compositions d’Étienne Decroux( 552) comme l’objet
dont il est question dans cette étude.

4 Pour chacun des éléments du répertoire «Decroux», le texte de la partition


est composé des renseignements précis sur: l’utilisation du poids, les parties
du corps impliquées, la chronologie de la mise en mouvement, les directions
dans l’espace, les rapports intercorporels, les vitesses, les rythmes, les inter -
rythmes, le degré de tension musculaire ou de relâchement, les pauses, la
respiration, le focus, et d’autres informations en rapport aux actions,
personnages, charges émotives, intentions, motivations ou états représentés.

551 Information «mouvement» : ce sont les valeurs concrètes relatives aux paramètres qui caractérisent le
mouvement de chaque matériau - objet analysé.
552 Les pièces de répertoire (crées pour leur représentation sur scène) de Decroux, les figures dramatiques, les
enchaînements et exercices d’entraînement, exemples concrets des divers aspects et niveaux du mime corporel.

185
5 Ces informations sont les indications «mouvement» composées et
assemblées en «texte» par Decroux. Elles sont utilisées comme du matériau
«mouvement» dans le processus d’apprentissage du mime corporel.

6 Les partitions sont les «textes» fondamentaux qui guident l’acteur dans
l’étude du mime corporel.

7 La reprise et la répétition des partitions est le travail de base de


l’entraînement pour l’assimilation de ce langage dramatique.
8 La préservation du répertoire «Decroux» correspond à la conservation de
ces «textes».
9 La mémoire des partitions correspond à la restitution et à l’accès des / aux
informations «mouvement» que contiennent ces «textes».

A partir de ces points, les objectifs du projet Laban - Decroux ont été précisés. Ils sont
dorénavant, en ce qui concerne les domaines de:
l’apprentissage: la communication et la mémorisation des partitions du répertoire
«Decroux»
l’entraînement( 553): l’élaboration de notes d’étude et aide - mémoire à partir de
ces partitions
la préservation: la mémoire (ou la conservation, la restitution et l’accès de / aux
informations) des «textes» de ces partitions
Ainsi, pour remplir les objectifs assignés dans la méthodologie de notre bilan, cette
troisième partie devra répondre aux questions suivantes en ce qui concerne:
• la communication des partitions du répertoire «Decroux»pour
l’apprentissage du mime corporel: quels sont les moyens complémentaires de
communication proposés?
• l’élaboration des notes d’étude pour l’entraînement, à partir des partitions du
répertoire «Decroux»: quelles sont les méthodes d’analyse de notation pro-
posées?

• la préservation des partitions du répertoire «Decroux»: quels sont les sup-


ports extra - corporels de mémoire proposés?

553 Après notre exposé sur l’apprentissage et la préservation, nous considérons l’entraînement comme le seul
moyen de rester en possession physique du langage du mime corporel donc, le projet Laban - Decroux doit
l’intégrer comme un élargissement logique du terrain d’application des méthodes Laban d’analyse et notation de
mouvement.

186
Les derniers rappels, et non les moins importants, concernent certaines notions que
nous considérons comme fondamentales pour des études sur le mime corporel, entre autres:
des caractéristiques particulières du répertoire «Decroux» et des remarques à propos du
processus d’apprentissage.

L’apprentissage du mime corporel est un processus complexe.


Nous avons indiqué dans nos chapitres précédants que l’assimilation du mime corporel
comme langage physique de l’acteur( 554) est, en principe, à la portée de tout acteur, grâce a
l’existence des partitions du répertoire « Decroux». Mais avec cette affirmation, nous ne
voulons pas laisser croire que le processus d’apprentissage se limite à la communication et à
l’étude des partitions.
En effet, quand nous signalons que l’étude des partitions est réalisée par la reprise et la
répétition dans les cours et dans l’entraînement, nous ne négligeons pas que, dans ce processus,
il y a d’autres pratiques comme l’improvisation, les ateliers de création, de composition et de
mise en scène, etc.
Nous sommes conscients aussi, que les divers aspects et conditions cités font que le
contexte de l’apprentissage du mime corporel est assez complexe. Nous ne prétendons pas
l’interpréter ni le présenter de façon simpliste et / ou réductrice. Nous ne négligeons pas non
plus les répertoires crées par d’autres artistes du mime corporel( 555). Simplement, nous
essayons de garder en vue les objectifs, les limites et l’approche que nous avons établis pour
notre étude.

L’objectif de l’apprentissage du mime corporel est une expérience


Decroux, en présentant l’apprentissage du mime corporel( 556), lui donne comme
objectif de mettre l’acteur «en état de faire ce qu’il veut, de savoir ce qu’il fait et d’inventer ce
qu’il faut» .

554 Assimilation qui pour nous signifie à terme: «d ’être vrai, intelligible, émouvant...» sur scène.
555 Nous avons signalé dans notre chapitre précédent, que d’autres exemples plus «contemporains» ou au
goût du jour, peuvent être développés et enrichir a leur tour le répertoire du mime corporel. La seule condition
serait que, dans leur définition en mouvement, ils soient fondés sur les principes et fondements du mime corporel
et les développements d’Etienne Decroux (Sa grammaire de mouvement, son vocabulaire, son langage dramati-
que, les styles de jeu et sa dramaturgie), en déterminant clairement leur précision.
Les nouveaux répertoires du mime corporel, à côte de celui que nous appelons le répertoire «Decroux», ne
sont pas encore significatifs, compte tenu des possibilités artistiques du mime corporel qu’ils ouvrent ou qu’ils
couvrent.
556 Etienne Decroux: Dossier n° 57 «Mai 1953», pages 12, 18 et 19, Fonds Decroux, op. cit. (Nous avons
souligné en cratères gras).

187
Cet état qui représente la capacité de jouer corporellement, nous pouvons l’assimiler à
la sensibilité d’ordre mixte (psychophysique et dramatico - esthétique) qui, en situation de
représentation, se présente à l’acteur comme un « état de vigilance plus large qui permet de
dépasser l’exécution physique, en se débarrassant du souci de performance et de mémoire, et
en se relâchant suffisamment pour intégrer le choix du moment et du degré pour l’application
de l’énergie musculaire».

L’expérience de cette sensibilité permet à l’acteur d’accéder à ce que Decroux appelait


«… de la poésie qui pousse dans l’action, la poésie qui n’aime pas les paresseux.; ‘des fleurs
qui poussent entre les pavés »( 557) et qui a selon lui - même, comme origine, l’assimilation de
«sa gymnastique», et comme condition, l’application de «l’esprit géométrique».
Nous avons signalé que le lien concret entre cet «esprit géométrique» et la sensibilité
recherchée dans l’apprentissage, est développé chez l’acteur grâce au travail acharné( 558) sur
les limites concrètes imposées au mouvement dans les partitions du répertoire «Decroux».

Cependant, si nous disons que: « jouer corporellement est possible, quand nous
pouvons retrouver cette sensation», c’est parce que cette dernière n’est pas permanente, elle
dépend de l’entraînement( 559) et de la répétition au quotidien.
Ainsi, et ce qui est le plus important, arriver à cette sensation est ce à quoi servent
partitions, répertoire, mémoire, compétences, apprentissage, étude, et entraînement. C’est aussi
la raison pour laquelle la «technique» n’est jamais acquise, car, ce n’est que l’entraînement
quotidien qui peut, au jour le jour, ouvrir la porte de cette sensation fruit de l’assimilation
physique des fondements du mime corporel, et dont la précision du répertoire est la clé.

L’expérience de cette sensation ouvre à l’acteur la possibilité de comprendre et


d’intégrer à son j e u personnel, les divers styles ( 560) mis en lumière par Decroux.
Compréhension et intégration qui permettent à l’acteur de jouer au delà des aspects
anatomiques, mécaniques, géométriques et dynamo - rythmiques de ce langage physique, tels
qu’ils peuvent être révélés par l’analyse du mouvement dans l’étude des partitions.

557 Etienne Decroux: Conférence à son école, 16 / 01 / 81. Enregistrement sonore, document d’archives pri-
vées.
558 Ce travail ne cherche pas à atteindre la fatigue. Cette dernière ne garantit pas le résultat même si elle est
indispensable.
559 Et dans l’entraînement, du degré de fidélité recherchée dans la performance et l’exécution de ses indica-
tions, en contrepartie de leur précision. Cette correspondance est la porte a l’assimilation et à la maîtrise du mime
corporel comme langage physique de l’acteur.
560 Les Styles de jeu du mime corporel sont: L’homme de sport, l’homme de salon, la statuaire mobile et
l’homme de songe. Leur définition physico - dramatique a été développée plus haut sous le titre «Le mime corpo-
rel, un langage physique pour l’acteur».

188
Nous devons dire que si l’analyse du mouvement révèle concrètement le fameux
«esprit géométrique» et en permet la compréhension comme support structurel des
«principes» du mime corporel, notre expérience nous a permis de voir que cette
compréhension reste stérile sans la matérialisation corporelle des fondements biologiques de
l’action dramatique: le jeu (comédie) musculaire et la manipulation dramatique (extra -
quotidienne) du poids et de la colonne vertébrale.

Ainsi, dans l’apprentissage du mime corporel, la recherche de cette matérialisation est


la seule justification à la communication et à la préservation( 561) de l’intégralité des
informations «mouvement» des partitions du répertoire «Decroux»( 562) avec le degré de
précision qu’il est possible aujourd’hui d’attribuer à Decroux. Au delà du fait que si:
communication, préservation, mémoire, intégralité des informations et précision des partitions,
ne sont pas les ingrédients d’une garantie quelconque de:

• l’apprentissage du mime corporel

• la préservation, la reconstitution et l’interprétation des pièces de répertoire de


Decroux

• la transmission du mime corporel et la survie de sa tradition.

elles n’en sont pas moins les conditions fondamentales.

Le mime corporel; mouvement de nature dramatique


La nature dramatique du mouvement caractéristique du mime corporel doit être prise en
compte pour toute recherche incorporant la notation du mouvement. C’est - à - dire que dans
notre cas, l’application des méthodes Laban proposée pour la notation du mime corporel et la
préservation du répertoire «Decroux», en tant que matériaux d’apprentissage et comme une
indication d’entraînement, demande une analyse des facteurs physiques du mouvement des
partitions, qui tient compte des liens organiques de ces dernières, avec le contexte dramatique
sur lequel elles sont fondées.

561 La sauvegarde, la restitution et l’accès.


562 Par n’importe quel moyen: démonstration, description verbale, écriture du mouvement, vidéo, etc.

189
chapitre 5.

Le mime corporel, l’analyse et la


notation du mouvement

Ce chapitre présente la démarche qui a permis de considérer les méthodes Laban


comme celles adéquates au projet de notation du mime corporel, à partir d’une discussion
critique de ces méthodes.
Cette discussion s’appuie sur certains concepts fondamentaux au sujet de
l’apprentissage du mime corporel, et de la préservation du répertoire «Decroux», ainsi que sur
certaines notions concernant l’analyse et la notation du mouvement proposées par notre projet.

Le mime corporel et le répertoire « Decroux » comme


objets d’étude

Nous avons utilisé à plusieurs reprises la notion d’objet d’étude appliquée au mime
corporel et au répertoire «Decroux». Une brève description des études possibles concernant
cet «objet» nous permettra d’écarter le risque de confusion auquel prête cette dénomination.

• Le processus d’apprentissage du mime corporel est la première étude dont le


répertoire «Decroux» est l’objet, Cet objet est exploré par les acteurs de façon
pratique.
Dans la définition de notre notion de répertoire «Decroux», nous avons indiqué que la
précision de l’œuvre concrète de Decroux, lui confère une dimension de «texte». C’est - à -
dire que le tissu formel des compositions de Decroux nous permet de les regarder comme des
«textes» ou des arrangements précis de mouvement, enfin de considérer chacun des éléments
du répertoire comme un «texte de mouvement».
Ceci ouvre deux autres possibilités d’étude:

• Celles qui concerneraient l’écriture des compositions et se fonderaient sur une


analyse esthétique.

190
Nous considérons que la thèse de Guy Benhaim( 563), Le mime corporel selon Étienne
Decroux, en est un bon exemple.

• Celles qui concerneraient le mouvement en tant que structure matérielle faisant


office de support de texte. Ces études se fonderaient sur une analyse spéciali-
sée.
Notre proposition est un exemple de ce dernier type d’étude. Elle est fondée sur
l’analyse du mouvement.

Matérialité de l’objet
Nous avons défini l’objet répertoire « Decroux», comme l’ensemble des compositions
de mouvement de Decroux. Il contient concrètement:

• des exercices pour l’acquisition, l’entretien et la maîtrise des «facultés radi-


cales»( 564).

• des exercices et des enchaînements de mouvement pour l’apprentissage et


l’assimilation physique du vocabulaire du mime corporel.

• des figures dramatiques de style.

• des pièces de répertoire( 565), exemples des différentes possibilités dramatur-


giques et des styles de jeu du mime corporel( 566).

L’apprentissage du mime corporel et l’analyse du mouvement


L’exposé sur le processus d’apprentissage du mime corporel montre que dans la
pratique, la démarche d’analyse - synthèse - mémorisation du matériau « mouvement »
répertoire «Decroux» est une condition essentielle à la reprise et à la répétition des partitions
dans l’entraînement.
Pour l’élève, il est de première importance de comprendre ce que lui est demandé, afin
d’être en mesure de fournir l’effort nécessaire dans la direction adéquate. Selon Higgins( 567):

563 Voir: Guy Benhaim: Le mime corporel selon Étienne Decroux, op. cit.
564 Fondement biologique du mime corporel.
565 Les pièces de répertoire de Decroux (qui, dans notre définition font partie du répertoire «Decroux»), sont
jusqu’à aujourd’hui, le sommet artistique du mime corporel, et la difficulté de leur exécution ou performance
physique est des plus hautes, d’où l’intérêt que nous leur portons en tant que matériel pédagogique et
d’entraînement.
566 Une des plus intéressantes expériences pour l’acteur en formation est d’avoir l’occasion d’étudier, recons-
tituer et jouer les pièces de répertoire de Decroux. Indépendamment de leur intérêt spectaculaire de par leur ri-
chesse et profondeur, leur grande difficulté d’exécution fait de leur reprise un vrai défi.

191
« L’acquisition d’une compétence et son exécution sont des conditions
importantes de la production du mouvement qui demandent notre
compréhension ».

Or si cette compréhension commence par l’imitation du mouvement, comme Moore et


Yamamoto( 568) le signalent,

« L’imitation est une façon de commencer à comprendre ce que nous


voyons »,

la répétition et l’entraînement aux fins d’assimilation et de la maîtrise du mime corporel,


réclament de la part de l’acteur, la compréhension approfondie du mouvement en question.
Selon Higgins, l’application de l’analyse du mouvement permet de résoudre les
principaux problèmes de compréhension et de mémorisation du mouvement que nous voulons
apprendre et répéter aux fins d’assimilation,

« La capacité d’analyser et d’évaluer ses propres performances peut faciliter


l’acquisition d’une compétence (569)(skill) » (570)

Ainsi, le premier objectif de l’acteur en formation, en appliquant l’analyse - synthèse -


mémorisation du mouvement lors des cours de mime corporel, est de connaître et de
comprendre «en mouvement» les exercices que lui sont présentés. Le deuxième objectif est le
rappel des partitions au moment de la reprise et de la répétition dans l’entraînement.
Dans ce deuxième objectif, le rôle joué par les notes d’étude et les aide - mémoire est
primordial. Celles - ci constituent des supports extra - corporels de mémoire au service des
acteurs, comme des mnémo - relais des partitions, dans le processus d’assimilation physique du
mime corporel.

Notre proposition de notation du mime corporel est née de ces dernières réflexions et de
notre expérience dans la pratique. L’objectif de l’application de l’analyse et de la notation du
mouvement au processus d’apprentissage du mime corporel et à la préservation du répertoire
«Decroux» est de satisfaire:

567 J. R. Higgins.: Human Movement: an integrated approach, The C. V. Mosby Company. Saint Louis,
1977. «Introduction», page viii. (Les textes de cet auteur, cités ici et ceux qui suivent, nous les avons traduits de
l’anglais).
568 Moore & Yamamoto: Beyond Words, Movement Observation and Analysis, Ed. Gordon and Breach
Science Publishers S. A., New York, 1988. page 99. (Les textes de ces auteurs, cités ici et ceux qui suivent, nous
les avons traduits de l’anglais).
569 Le terme de «compétence», dans son acception linguistique, nous paraît le moins impropre pour traduire
l'anglais «skill», défini par les dictionnaires comme «the ability to utilize one's knowledge effectively and rea-
dily».
570 J. R. Higgins: Human Movement: an integrated approach, op. cit, page 119.

192
• dans l’étude, le besoin de compréhension de notre matériau «mouvement»
(besoin qui implique le recours à l’analyse).
• dans l’entraînement, le besoin de stabilisation de la mémoire( 571) de notre
matériau «mouvement» (besoin qui implique le recours à la notation).

Par ailleurs, nous considérons que le défaut d’une méthode d’analyse et de notation du
mouvement qui satisferait ces besoins, constitue pour la plupart des élèves, un obstacle concret
à l’assimilation des partitions, et limite en même temps la réussite de la communication du
répertoire «Decroux» pour l’apprentissage du mime corporel.

Le répertoire « Decroux » et l’écriture du mouvement


Traiter la notation (ou l’écriture) du mouvement appliquée aux compositions de
Decroux en vue de l’apprentissage et de la préservation du mime corporel, réclame que nous
précisions ce que nous voulons (ou ce qu’il faut) noter de l’objet répertoire «Decroux».

Les informations ou paramètres concernés


L’analyse à appliquer semble devoir mettre en évidence plusieurs paramètres( 572) qui
permettront à l’acteur la reprise et la répétition (voire la compréhension et l’étude) du
mouvement en question.
Dans l’étude des partitions du répertoire «Decroux», les paramètres du mouvement qui
se trouvent «en deçà» du niveau d’interprétation( 573), et qui restent dans le terrain de la
formation et de l’entraînement propres au mime corporel, sont: l’utilisation du poids, les
parties du corps impliquées, la chronologie, les directions dans l’espace, les rapports
intercorporels, les vitesses, les rythmes, les inter - rythmes, le degré de tension musculaire ou
de relâchement, les pauses, la respiration, le «focus», etc.

Partition, exécutant (performer) et interprétation


L’observation des paramètres cités, aux fins de notation, demande de prêter une
attention particulière à la performance de celui qui en fait la démonstration. En effet
l’exécutant ou interprète (performer) est la «pièce maîtresse» de tout processus de notation,
car, la matérialisation de l’œuvre en question ne dépend que de lui. Ainsi, en ce qui concerne

571 Danièle Dubois définit la notation comme: la stabilisation des constructions cognitives individuelles, et
partagées postérieurement à leur notation.
Danielle Dubois: Conférence du 21 mars 1997 à Lyon, dans le cadre du Colloque «Musique & Notations»
des Rencontres Musicales Pluridisciplinaires / Festival Musiques en Scène 1997 - Lyon, organisé par la Direction
de la Musique et de la Danse du Ministère de la Culture et Grame.
572 Paramètres: dimensions objectives qui nous permettent de présenter de façon la plus simple et complète
l'ensemble des caractéristiques d'un mouvement donné.
573 Nous utilisons cette condition de façon arbitraire pour déterminer la nature de l’étude de mouvement qui
nous intéresse.

193
les rapports entre l’œuvre analysée (et à noter), l’exécutant et l’interprétation, nous serons
confrontés à des antagonismes probables, dont:
• L’intention dramatique de l’auteur - versus - l’interprétation( 574).

• Le «texte» de la partition concernée - versus - les compétences et la perfor-


mance particulière de l’exécutant.
• Les aspects géométriques et corporels de la partition - versus - les proportions
corporelles de l’exécutant.
Antagonismes qui devront être pris en considération, la notation étant par essence une
transcription objective du mouvement avec l’intention d’en faciliter la reprise postérieure par
des interprètes différents.
Voyons maintenant certains problèmes qui concernent plus directement la procédure
d’analyse et de notation du mouvement du répertoire «Decroux», dans le contexte de
l’apprentissage du mime corporel.

Conditions matérielles de la notation du mime corporel


L’élaboration des notes d’étude dans l’apprentissage du mime corporel, dépend
essentiellement de:
• l’exécution physique matérialisant le répertoire «Decroux» par des acteurs de
la génération précédante.
• des compétences des apprentis - mimes (les acteurs) pour faire l’analyse -
synthèse - mémorisation du mouvement observé en temps réel.
• des méthodes d’analyse et de notation du mouvement utilisées.
Les deux premières conditions ayant été discuté précédemment( 575), ce chapitre
présente d’une part, la démarche qui a permis de considérer les méthodes Laban comme celles
adéquates au projet de notation du mime corporel, d’autre part, la discussion critique de ces
méthodes et des applications possibles, et enfin quelques exemples.

574 Interprétation en mouvement dont il convient de souligner qu’elle est soutenue par des notions culturelles
propres à l’exécutant.
575 Voir les titres: «Le mime corporel, pratique marginale» et «L’élaboration des notes d’étude», plus haut.

194
L’analyse du mouvement

Définition
L’analyse est, par définition, la décomposition d’un tout en parties ou éléments
constituants. Elle n’est qu’un outil de connaissance, d’étude et d’apprentissage, car elle peut
fournir les informations sur les composants d’un tout, comme sur ce «tout» lui - même. Les
informations révélées par l’analyse sont le matériau qui permettra a posteriori, l’étude
nécessaire à l’apprentissage.
Quand il s’agit d’apprentissage du mouvement, dont le contexte a été défini plus haut,
et dont la discipline est le mime corporel, les informations produites par l’analyse doivent
correspondre nécessairement à celles qui permettraient l’accomplissement du processus
d’apprentissage visé.

Justification
L’apprentissage du mouvement, ou l’entraînement, impose deux directions à nos efforts
et à notre attention. La première, est l’analyse qui nous permettra de savoir ce que nous faisons.
La seconde, est la reprise et la répétition des informations dégagées de l’analyse, pour arriver à
faire ce que nous voulons.
Moshe Feldenkrais explique les liens entre ces deux directions, en disant que:

« Si nous ne savons pas ce que nous faisons, nous ne pouvons pas faire ce que
nous voulons » (576)

d’autre part, Étienne Decroux signale:

« …Ce que j’entends par technique, c’est la faculté de faire ce qu’on veut ; et
pour le moins, ce qu’on croit faire » (577).

A partir de ces deux déclarations nous pouvons déduire que l’analyse est une condition
inséparable de l’assimilation et de la maîtrise. Dans le cas du mime corporel, ou de tout autre
langage de mouvement corporel, l’apprentissage passe donc par l’analyse du mouvement dont
il est fait. En parlant des arts du mouvement corporel, qui dit assimilation et maîtrise, dit
analyse et étude.

576 Moshe Feldenkrais: cité par Françoise Figuière: «Méthode Feldenkrais», Danse et Enseignement, Télex
Danse N° 34. Février 1991, page 7
577 Étienne Decroux: «Ce que l'école ne peut donner», op. cit.

195
La recherche de la méthode.
Dans la pratique, les besoins d’analyse et de notation du mouvement pour
l’apprentissage du mime corporel et pour la préservation du répertoire «Decroux», nous ont
motivé à rechercher des procédés idoines.
Or, dans le domaine des études de mouvement, les diverses méthodes d’analyse et de
notation offrent une grande variété d’applications, pour des types différents de mouvement, des
approches, des niveaux d’application, et des objectifs aussi variés et spécifiques que les études
de mouvement qui y font appel. Dans ce vaste domaine de possibilités, la recherche des
méthodes adéquates d’analyse du mouvement, devait être délimitée autant que possible. Il
fallait donc, circonscrire notre recherche au type d’étude de mouvement qui nous concerne.
La spécificité de notre étude de mouvement est qu’elle doit concourir à la
compréhension et à la mémorisation du répertoire «Decroux», dans le cadre de
l’apprentissage du mime corporel. C’est - à - dire, que l’application des méthodes choisies
d’analyse et de notation du mouvement, doivent faciliter aux acteurs:

• l’obtention des informations «mouvement» (578) nécessaires à l’étude du ma-


tériau - objet d’apprentissage.
• l’élaboration des supports extra - corporels de mémoire( 579) (ou mnémo - re-
lais) qui permettront la reprise et la répétition des partitions dans
l’entraînement.
Ces objectifs sont ceux qui ont guidé notre recherche de méthodes adéquates. Une
exploration sommaire du contexte général des études sur le mouvement nous a permis de
relever les conditions fondamentales que devraient remplir les méthodes adaptées.
Cette présentation évoque l’origine des diverses méthodes d’analyse, les différents
modes et niveaux d’application, les types d’analyses, les outils, les objectifs, les problèmes
rencontrés et les solutions proposées.

Pourquoi l’analyse du mouvement

Le but principal de l’application d’une analyse aux phénomènes de mouvement est


l’obtention des informations relatives aux paramètres qui caractérisent ces phénomènes. Les
différentes sciences ou disciplines qui utilisent les études sur le mouvement comme des outils

578 Information de mouvement: ce sont les valeurs concrètes relatives aux paramètres qui caractérisent cha-
que mouvement ou exercice. L'obtention de cette «information» est l'objectif principal de l'analyse du mouve-
ment, selon la définition donnée plus haut.
579 Voir la définition de mémoire que nous avons donnée plus haut: l’accès permanent, la préservation et la
restitution de / aux informations du mouvement des partitions du répertoire «Decroux».

196
de recherche, déterminent chacune des approches spécifiques, mais finalement, le critère qui
décide du niveau d’application de l’analyse, est défini par les objectifs propres à chaque étude
de mouvement et, concrètement, par les informations «mouvement» recherchées.

Le mouvement humain
Le mouvement est défini par les sciences physiques comme le changement de position
d’un corps dans l’espace, en fonction du temps. Les études que la Mécanique fait sur les
phénomènes du mouvement cherchent à découvrir les principes et les lois qui les gouvernent,
pour les appliquer pratiquement à la solution des problèmes auxquels l’homme est confronté
dans ses efforts pour dominer la matière.
Bien que cette science ait fourni les moyens théoriques pour une application à tout type
de matière en vue de solution d’une grande partie des problèmes que cette dernière peut
présenter, il reste cependant une matière qui a résisté à l’application systématique. Cette
matière est l’un des mécanismes les plus complexes de la nature: le corps humain.
En tant qu’organisme formé de multiples systèmes coexistants et synergiques, le corps
humain - que nous ne pouvons étudier sans prendre en considération l’individu -, présente des
problèmes particuliers que l’application des lois de la Mécanique, ne peut résoudre à elle seule.
La «matière» du corps humain n’est pas soumise uniquement aux forces de la
pesanteur, de la masse et de l’inertie. Tout en répondant aux lois fondamentales de la
Physique( 580), elle est aussi soumise à d’autres forces d’origines différentes.

« L’homme bouge (se meut) pour satisfaire un besoin » (581).

Or, l’étude du mouvement humain doit prendre ceci en considération, car, c’est un
phénomène complexe et multidimensionnel qui est tour à tour:
Première et dernière manifestation de vie,

Fruit de notre volonté d’agir et manifestation malgré nous,


Symptôme de maladie et thérapie,
Moyen et objectif d’apprentissage,
Instrument et compétence,
Arme et armure,
Travail et plaisir,

580 Les lois de Newton: de l'Inertie, de l'Accélération et de la Réaction, etc.


581 Rudolf Laban: The Mastery of Mouvement, Fourth Edition revised and enlarged by Lisa Ullman, Macdo-
nald and Evans. Estover, Plymouth PL6 7 PZ, U. K.,1980. page 1. (Les textes de cet auteur, cités ici et ceux qui
suivent, nous les avons traduits de l’anglais).

197
Langage universel, expression culturelle et code personnel,
Moyen d’expression et expression,
Message et symbole,

Contenant et contenu,
Art, création et technique artistique.
C’est par le mouvement que, de l’infiniment petit à l’immensément grand, la vie se
manifeste en nous et dans l’univers.

Les études sur le mouvement


Tout au long de l’histoire de l’humanité, les diverses facettes du mouvement ont été
présentes dans toutes les cultures: partie intégrante des cérémonies, le mouvement est aussi un
outil d’apprentissage des expressions et des traditions, un moyen d’initiation des jeunes à la vie
des adultes, l’entraînement aux arts de la guerre, aux jeux et aux concours, aux arts et aux
techniques de production, et la liste n’est pas close.
Une telle importance n’a pas échappé à l’attention des philosophes, instituteurs,
hommes politiques, religieux, artistes, scientifiques, etc., lesquels s’y sont intéressés au point
de faire de multiples études portant sur les applications possibles du mouvement, ses diverses
interprétations, ses causes, ses effets, sa portée expressive, etc.
Des déclarations de nombreux spécialistes de l’étude du mouvement nous parlent de
son importance comme un aspect toujours présent de la vie et de ses manifestations. Ainsi pour
Moore & Yamamoto( 582): «…, le mouvement fait partie inextricablement de presque toutes
les expériences de la vie»., et selon Higgins( 583): «Le mouvement est le seul moyen des
organismes pour exprimer leurs activités vitales, et pour agir sur l’environnement» . Ce qui
justifie l’intérêt que le mouvement a toujours éveillé chez l’homme.

Le mouvement, objet d’étude


Différents domaines de la science et des arts utilisent l’analyse du mouvement dans
leurs recherches, pour la première, ou comme une base pour l’entraînement, pour les seconds,
selon leurs divers objectifs. Ainsi font l’anthropologie, la science militaire, la médecine du
sport, le dessin industriel, et les arts de la scène, pour n’en citer que quelques - uns.

582 More & Yamamoto: Beyond Words, op. cit, page 129.
583 J. R. Higgins: Human Movement: an integrated approach, op. cit, page 9 (Nous avons traduit de
l’anglais).

198
Les approches proposées par chacune des disciplines diffèrent selon leurs objectifs, et
le traitement de chacun des aspects des phénomènes de mouvement, fait l’objet de protocoles
de recherche et d’analyse particuliers hautement spécialisés.

Faire un historique des études sur le mouvement serait une longue entreprise: il
faudrait exposer pour chacune des approches: les origines, les objectifs, les niveaux du
mouvement envisagés comme cadre d’application de l’analyse, les outils développés, les
chercheurs qui s’y sont employés, les disciplines qui s’en servent, etc. Une typologie sommaire
distinguerait trois attitudes différentes.
Il y a ceux pour qui les aspects matériels des phénomènes de mouvement sont l’objet
d’étude en eux - mêmes, c’est sur le mouvement (mécanique, anatomique, physiologique et
fonctionnel) que portent leurs recherches.
Il y a ceux qui dirigent leurs recherches sur d’autres aspects, afin de trouver les forces à
l’origine du mouvement (les motivations fonctionnelles, pathologiques, psychologiques,
comportementales, sociales et culturelles, etc.) ou ses interprétations philosophiques et
esthétiques aux niveaux de la communication et de l’expression, etc. Leur principal objet
d’étude n’est pas le mouvement proprement dit.
Et il y a ceux qui dans le mouvement ont vu une manifestation intégrale de l’homme,
corps, âme et esprit. Les études qu’ils font cherchent à comprendre le mouvement dans toutes
ses dimensions sans les dissocier. C’est ce que nous pouvons appeler une approche
holistique( 584).

A défaut donc d’un historique complet, nous nous contenterons de présenter un tour
d’horizon (même partiel), qui puisse montrer les axes principaux de la recherche en matière de
mouvement, et la façon dont est née l’approche holistique qui est à la base des théories de
mouvement de Rudolf Laban.

Diverses approches disciplinaires.

L’approche médicale
Nous avons par exemple, en ce qui concerne les sciences de la vie, des approches
médicale et thérapeutique qui cherchaient à comprendre le fonctionnement normal du corps
humain en mouvement. Depuis Hippocrate et Galien, en passant par l’anatomie fonctionnelle -
aussi appelée «anatomie du mouvement» ou «anatomie pour le mouvement» -, et jusqu’aux

584 Cette typologie ne prétend pas à être exhaustive: nous pourrions ajouter par exemple «les idéologies»
scientistes et non - scientistes qui en matière de mouvement sont aujourd'hui largement diffusées dans les milieux
académiques et le grand public.

199
recherches toutes récentes de la neurobiologie, où les aspects comportementaux du mouvement
jouent un rôle aussi important que les aspects fonctionnels en tant qu’objet d’étude.

La biomécanique et la kinésiologie
Une approche similaire s’est dégagée de la recherche purement médicale, axée sur le
fonctionnement normal ou pathologique, et c’est celle de la biomécanique ou kinésiologie, où
l’analyse du mouvement…

« …prétend donner une connaissance basique du système osseo - musculaire


et des lois de la mécanique, avec l’espoir que les aspects fonctionnels du mouvement
humain seront mieux compris et appliqués à l’enseignement. » (585).

Cette double approche mécanique et fonctionnelle( 586) des études sur le mouvement a
été développée dans la perspective d’une application concrète dans le domaine du sport, aux
niveaux de l’entraînement, de la prévention des blessures et des accidents, et pour la
rééducation. Elle a été récemment un des fondements sur lequel des artistes de la scène ont
développé des applications adaptées à leur formation( 587).
La conception industrielle et le développement de machines et outils plus adaptés aux
dimensions humaines du mouvement, l’application des possibilités du mouvement humain en
conjonction avec les techniques de production industrielle, la formation des travailleurs aux
tâches productives (ergonomie)( 588), aussi bien que la fabrication des appareils médicaux
(prothèse et orthopédie) en ont profité d’une façon similaire.

L’approche comportementale; modes psychologique et moteur (ou


neuromusculaire)
Dans le domaine de la psychologie et des sciences du comportement, l’approche diffère
dans le sens que le mouvement est considéré dans son aspect de manifestation des troubles
d’adaptation à l’environnement, d’origine physique ou psychique.
Les procédés d’analyse et les applications sont donc particuliers aux objectifs
poursuivis par chacune des disciplines concernées; ces objectifs peuvent aller du diagnostic à
la thérapie. Il en va ainsi des approches psychologiques et des applications thérapeutiques

585 J. R. Higgins: Human Movement: an integrated approach, op. cit, page 3


586 Voir: Jean Woestyn: Étude du mouvement, Tome I: «La Mécanique», Tome II: «L'Anatomie Fonc-
tionnelle». Ed. Prodim Bruxelles, 1970.
587 En France, voir les travaux de Odile Rouquet: «Kinésiologie appliquée à la Danse», de Blandine Calais -
Germain: L'anatomie pour le mouvement, entre autres.
588 Moore & Yamamoto: Beyond Words, op. cit, page 140.

200
proposées par Wilheim Reich, Mathias Alexander et Alexander Lowen (Bioénergétique) dans
le domaine comportemental.
Le mode d’approche «moteur» (ou neuromusculaire) du comportement, assimilé
parfois aux approches psychologiques quoique différent de ces dernières, a des applications qui
sont aussi «thérapeutiques»: elles cherchent à rendre à l’individu l’usage «normal» de ses
capacités motrices, et à résoudre par ce biais divers problèmes liés au comportement. Nous
pouvons citer dans ce cas Moshe Feldenkrais qui a développé une méthode qu’il appelle
«Prise de Conscience par le mouvement»( 589) et Irmgard Bartenieff qui a développé une
application particulière des théories de mouvement de Rudolf Laban, qu’elle a appelée
«Bartenieff Fundamentals ™»( 590).

C’est finalement dans cette approche mais en ajoutant une dimension qui inclut l’appel
à l’imaginaire, qu’ont été développées des applications telles que le «Rolfing»,
«l’Idéokinesis», le «Gestalt», etc.( 591)
Les approches développées par la Psychologie (comportementale, non
neuromusculaire), la Sociologie, la Philosophie, l’Esthétique, et même par les recherches
portant sur ce qu’on appelle «Communication non - verbale» ont une différence intrinsèque
qu’il est important de ne pas perdre de vue
En effet, ces diverses approches donnent au mouvement sous son aspect de «processus
par lequel s’opèrent les changements»( 592), une place secondaire elles se concentrent
principalement sur certaines facettes du phénomène. Suivant des perspectives qui leur sont
propres, elles cherchent des significations( 593) et des motivations profondes, émotionnelles,
psychologiques, sociales et culturelles.
Il existe encore d’autres approches possibles dans le cadre des études sur le mouvement
portant sur des aspects divers du phénomène, elles sont souvent différentes, parfois
radicalement opposées; elles ont développé leurs propres méthodes et applications d’analyse.
Citons par exemple les approches développées par les naturalistes: celle de Darwin,
portant sur les aspects gestuels et expressifs du phénomène,( 594) et celle de Marey,
fonctionnelle, celles de l’Anthropologie et de l’Ethnologie, que représentent Marcel Mauss

589 Moshe Feldenkrais: Awareness Trough Movement, Ed. Harper & Row Publishers, New York, 1979 (Nous
avons traduit de l’anglais).
590 Irmgard Bartenieff, avec Dori Lewis: Body movement, Coping with the environment, Ed. Gordon and
Breach Science Publishers, New York, 1980, réimpression 1990. (Nous avons traduit de l’anglais).
591 Bob Fleshman, Ed: Theatrical Movement: a bibliographical anthology, Methuen, (N. J. ), Scarecrow
Press, 1986, page 33 et ss. (Nous avons traduit de l’anglais).
592 Aspect du phénomène du mouvement qui correspond le mieux à la définition d'un processus d'apprentis-
sage, et qui s'approche le plus aux objectifs de notre étude.
593 Paul Buissac: La Mesure des gestes: prolégomènes à une sémiologie gestuelle. La Haye, Mouton. 1973.
594 Charles Darwin: L’expression des émotions chez l’homme et les animaux, C. Reinwald, Paris, 1890.

201
avec ses propositions de définition d’une classification des «Techniques du corps», et Marcel
Jousse avec ses travaux sur «l’Anthropologie du Geste»( 595), et finalement l’approche
personnelle de Le Boulch( 596), et qu’il appelle «psychocinétique».

Il nous semble que les approches présentées par les diverses disciplines, sciences et
domaines de recherche, portent sur des aspects du phénomène de mouvement qui s’éloignent
des objectifs de notre étude, c’est pourquoi, nous avons fait une séparation arbitraire qui nous
permet d’exposer maintenant les approches portant sur des aspects plus proches de nos intérêts.

Les études sur le mouvement et les Pratiques et


Comportements Humains Spectaculaires Organisés

L’art et le mouvement
Dans les paragraphes précédents, nous n’avons pas fait mention des recherches
réalisées sur le mouvement, dans le cadre des arts, avec l’intention de les présenter ici d’une
façon plus précise. Dans ce domaine, un des pionniers de la recherche sur le mouvement fut
Léonard de Vinci. Tout comme lui, d’autres artistes ont cherché à comprendre le mouvement
humain par des observations qui devaient leur permettre de rendre à leurs oeuvres la force et
«l’expressivité» du vivant; selon Belluge,

« … on ne peut exprimer la vie qu’en exprimant le mouvement, puisque la


vie se signifie elle - même par le mouvement » (597)

Si Léonard de Vinci a travaillé sur des cadavres pour comprendre le fonctionnement du


corps au niveau des structures motrices, il a privilégié l’observation du vivant en mouvement,
et une grande partie de ses études sont fondées sur cette dernière( 598). Le rendu des volumes et
de la tonicité musculaire dus à l’action, faisait certainement partie de ses préoccupations
principales( 599).
Préoccupations qui de nos jours font partie de l’apprentissage des nouvelles générations
d’artistes, suivant l’exemple donné il y a cinq siècles par le maître italien. Ainsi, les arts ont -

595 Voir les références de l'article de Mauss: «Techniques du corps», et du livre Anthropologie du Geste de
Jousse dans la bibliographie.
596 Jean Le Boulch,: Vers une science du Mouvement Humain (introduction à la psychocinétique), Encyclo-
pédie Moderne d’Éducation, Les Éditions E S F. Paris, 1971.
597 Paul Belluge: À propos d'art, de forme et de mouvement, Ed. Librairie Maloine s. a. Paris, 1963.
«L'imitation et le rêve chez Rodin». pages 107 - 108.
598 Notons ici que nous n'avons pas l'intention de minimiser l'importance que Vinci portait aux aspects anato-
miques, fonctionnels et autres. Nombre d'exemples laissés par le maître témoignent de l'intérêt qu'il leur portait.
599 Paul Belluge: op. cit, «L'anatomie et l'art chez Léonard de Vinci». pages 88 - 106

202
ils vu dans l’application de l’analyse et de l’observation du mouvement, certains des procédés
normaux de leur démarche.

Les arts du spectacle


Au début de ce siècle, nous avons assisté à une remise en question des idées établies
dans presque tous les domaines de la connaissance humaine. Les arts n’ont pas échappé à cette
impulsion novatrice. En particulier, les arts de la scène ont vu l’application des propositions
nouvelles et des résultats des recherches sur le mouvement faites par une série exceptionnelle
d’artistes.
Artaud, Copeau, Craig, Dalcroze, Duncan, Schlemmer, Wigman et bien entendu:
Laban et Decroux. Des hommes et des femmes remarquables qui ont vu dans le retour au corps
et aux capacités expressives du mouvement corporel, une possibilité de rompre avec un
naturalisme sclérosé dans le théâtre, et un académisme formel dans la danse.

Cependant, bien avant le déclenchement de cette tendance générale pour axer le


renouveau des arts du spectacle sur le retour au corps, au siècle dernier, un grand artiste avait
posé les fondements de la nouvelle esthétique.
Il s’agit de François Delsarte (1811 - 1871), qui suite à une malheureuse rencontre au
Conservatoire et à des méthodes d’enseignement inadaptées, dut renoncer à sa vocation de
chanteur et d’acteur. Cette situation, le poussant hors des sentiers battus de la formation
artistique de son temps, lui a été salutaire.
En effet, sa détermination à toute épreuve lui a permis de consacrer sa vie entière à la
découverte et la formulation des lois et des principes qui gouvernent l’utilisation du corps
humain comme instrument d’expression. Delsarte, de 1839 à 1871 donna des cours, des
lectures et des conférences d’Esthétique Appliquée, «sa science», qu’il croyait être la clé de
tous les arts.

Selon Ted Shawn( 600):

« On ne saurait assez insister sur le fait que Delsarte a consacré sa vie entière
à la découverte de la vérité éternelle de la nature de l’homme, et de son expression à
travers les gestes et la parole.

Cependant, même si nous n’avons pas de traces d’une découverte si complète


dans le passé, il est évident qu’en Inde, dans la Grèce antique, et ailleurs, quelques
fragments de ces lois étaient connus, enseignés, et appliqués.

600 Ted Shawn: Every Little Movement (A Book About François Delsarte), réédition revue et élargie de la se-
conde édition. Dance Horizons Inc. New York, 1963, page 26. (Les textes de cet auteur, cités ici et ceux qui sui-
vent, nous les avons traduits de l’anglais).

203
Néanmoins, de nos jours, dans le monde occidental, il est certain que nous
devons admettre qu’avant Delsarte, personne n’avait réussi une formulation si
complète des principes et des lois qui gouvernent l’utilisation du corps humain
comme un instrument d’expression ».

Ainsi, à partir d’études sur le mouvement, dont l’objectif était la recherche des
principes cités, Delsarte abouti à des conclusions sous la forme de Lois d’apparence plus
ésotérique qu’objective, lois qui règlent l’utilisation artistique du corps en mouvement.

Delsarte a été à l’origine d’un mouvement important aux États Unis. Il semble qu’il
jouisse en France d’un intérêt nouveau. Pour certains il a été le fondateur de ce qu’on nomme
aujourd’hui «la Science du Mouvement», par les objectifs, les méthodes, et les applications
qu’il propose.
Giraudet, qui en 1895 publia son livre: Mimique, Physionomie et Gestes; Méthode
Pratique du Système de François Del Sarte (sic. )( 601) dit à propos de Delsarte:

« Delsarte a étudié les gestes du point de vue de la physiologie du


mouvement ; il a analysé ses rythmes, ses formes et sa nature ; il a examiné les
différents agents de l’expression et leurs relations avec les lois de l’équilibre, de la
grâce et tout autre aspect…

…Pendant les soixante années qui sont passées depuis que Delsarte a
commencé ses enseignements, ses lois ont été confirmées et approuvées par les
écrits et les découvertes des plus importants scientifiques de nos jours, Darwin et
Montegazza entre autres… »

En 1853, Balzac publia sa Théorie de la Démarche (602), sujet sur lequel il considère
être le premier à travailler,

« Dans l’état actuel des connaissances humaines, cette théorie est, à mon
avis, la science la plus neuve (…). Elle est quasi vierge… » (603)

Hélas ! (…) personne (…) n’a voulu penser aux lois du mouvement
appliquées à l’homme ».

Et il continue plus loin,

601 A. Giraudet: Mimique, physionomie des gestes, Librairie Imprimerie Réunie, Paris, 1895
602 Honoré de Balzac: Théorie de la démarche, Eugène Didier, Paris, 1853
603 Ibidem, page 259 et ss.

204
« Pour moi, dès lors, le MOUVEMENT comprit la Pensée, l’action la plus
pure de l’être humain ; le Verbe, traduction de ses pensées ; puis la Démarche et le
Geste, accomplissement plus ou moins passionné du Verbe. (…)

Alors la démarche étant prise comme l’expression des mouvements


corporels… »

Cependant, Giraudet nous dit au sujet de la «Théorie de la Démarche» de Balzac:

« Balzac publia sa ‘Théorie de la Démarche’, quand il y a plus de quinze


années que Delsarte enseigne ; cette théorie a été sans doute prise de ces
enseignements ».

Plus proche de nous, Rudolf Laban, qui dans son enfance avait étudié, puis abandonné,
insatisfait, la danse classique, avait eu l’occasion, lors de voyages en Aise avec son père, de
voir des exemples des danses d’extase et des danses religieuses (exécutées en réponse à un
besoin interne et non pour un public). Ces expériences l’avaient convaincu de l’existence d’une
danse autre, désirable et valable en soi. Après son retour en Europe, il devint l’élève d’un des
disciples français de Delsarte, auprès de qui il étudia un certain temps.
De l’étude de la science de Delsarte, Laban reprit les principes; en les appliquant à la
danse et au mouvement, il a établi les bases de la Danse Moderne Allemande et développé ses
théories du mouvement, avec une approche particulière, des méthodes, des outils d’analyse, et
des applications diverses. Nous présenterons plus loin une brève biographie, les théories sur le
mouvement et les développements de Rudolf Laban.
Il reste de cette exploration des études sur le mouvement, à présenter les niveaux
d’analyse, les diverses méthodes, les outils, les problèmes d’application rencontrés et les
solutions proposées.
Cette présentation sera accompagnée de sa critique simultanée, ce qui permettra d’une
part, une première sélection des niveaux d’application de l’analyse du mouvement représentant
un intérêt particulier pour notre étude, et d’autre part, l’établissement des liens nécessaires avec
l’approche particulière qui supporte notre proposition, cela afin de réduire les risques de
confusion dus à la multitude de directions prises par les études sur le mouvement.

Les niveaux d’application de l’analyse du mouvement


L’exposé du développement des niveaux d’analyse fait par Higgins, nous semble
pertinent, et sa proposition d’une approche intégrale de l’application de l’analyse au
phénomène qui nous intéresse est assez proche de nos objectifs pour être prise en
considération.

205
La clarté de son exposé est remarquable, ainsi que son objectivité dans un domaine qui,
au niveau de la pratique, reste la plupart du temps flou dans ses définitions. Nous en ferons la
critique qui nous permettra, par élimination, de dégager les niveaux correspondant à nos
objectifs.

« Au début, nous avons établi d’une façon arbitraire l’existence de deux
modes d’approche, qui comportent chacun deux niveaux d’analyse. Ceci a été fait
pour clarifier l’approche analytique et pour mettre en évidence la pertinence de la
dichotomie donnée par la peau (604).

Le mode comportemental contient deux niveaux d’analyse, comportement et


mouvement, pour les événements qui se produisent ‘à l’extérieur de la peau’.

Le mode neuromusculaire contient deux niveaux d’analyse ; musculaire et


moteur, pour les événements qui se produisent ‘à l’intérieur de la peau’ ». (605)

Il est évident que dans le cadre de notre proposition, l’intérêt portera sur le premier
mode ou mode comportemental. Car ce que nous voulons analyser, ce sont des événements qui
se produisent «à l’extérieur de la peau». Mais continuons avec Higgins pour voir ce qu’il nous
propose comme niveaux d’analyse dans les divers modes.

« Le mode comportemental est composé par les niveaux d’analyse :


comportement et mouvement.

Le niveau comportement de l’analyse s’occupe principalement des


conséquences du mouvement produit, de son efficience et de son efficacité pour
accomplir une tâche déterminée.

Dans ce niveau, notre intérêt porte sur les résultats de l’exécution du


mouvement dans le temps, la consistance de ces résultats (la variabilité), et
l’efficience des mouvements produits. La meilleure mesure individuelle d’une
compétence, est son ‘taux de consistance’ des objectifs atteints.

Donc, le niveau comportement de l’analyse concerne principalement ce taux


de consistance et les relations entre ce type de mesure et les autres niveaux
d’analyse. »

604 La peau, en tant qu’enveloppe corporelle.


605 J. R. Higgins: Human Movement: an integrated approach, op. cit, page 48 et ss. (Nous avons traduit de
l’anglais). Higgins, chercheur, professeur d'éducation physique et entraîneur du sport, a une approche similaire à
celle qui nous intéresse pour l'enseignement - apprentissage du mouvement.

206
Il nous semble que le niveau comportement de l’analyse est plutôt celui qui correspond
à l’observation et à la qualification des résultats du passage par un processus d’apprentissage
ou d’entraînement pour l’acquisition d’une compétence donnée, en relation avec un patron
établi ou avec un comportement idéal. Ce niveau d’analyse correspond à une application
pédagogique de l’analyse du mouvement par les professeurs, afin d’évaluer les performances
des élèves; il ne correspond donc pas à une application dite d’étude pour l’apprentissage du
mouvement.

Le niveau «mouvement» est utilisé pour étudier les réponses de


comportement, observables dans les déplacements des parties du corps. A ce niveau
il y a trois sortes de facteurs qui sont observés et mesurés :

cinématique, cinétique et kinésique.

Le facteur cinématique comporte les éléments suivants : le déplacement, la


vitesse, l’accélération et leur consistance.

Le facteur cinétique comporte l’élément de force ou d’effort produits, et sa


consistance, ainsi que les problèmes d’analyse des changements du centre de
gravité, lesquels sont observés et mesurés ; c’est - à - dire : l’analyse des patrons
(patterns) (606)de mouvement comme facteurs cinétiques.

Le facteur kinésique est relatif aux observations de la communication non -


verbale du comportement. Celle - ci est une aire d’étude large et en développement
rapide. »

Higgins, ne fait pas d’autre commentaire sur ce dernier facteur et suggère qu’on fasse
davantage intervenir la biomécanique et l’analyse de mouvement dans le domaine de la
communication non - verbale.
Pour nous, le plus important est de voir que le niveau de «mouvement» du mode
comportemental est celui qui peut nous intéresser, dans notre perspective d’application de
l’analyse du mouvement à l’apprentissage d’une technique artistique de mouvement corporel,
si nous considérons que:

« l’élément critique ici est, comme pour le niveau comportement, la


consistance des patrons de mouvement, quel que soit le facteur utilisé, cinématique,
cinétique ou kinésique. Par ailleurs, quand l’observation est simple et ne comporte

606 L'utilisation du terme français «patron», traduction du terme anglais «pattern», nous paraît acceptable
dans sa connotation de modèle ou configuration reconnaissable. Il sera désormais utilisé dans ce sens.

207
pas de mesures, ce niveau représente une analyse subjective - descriptive des
éléments essentiels qui composent le mouvement ».

Cela correspond bien au niveau d’analyse applicable dans un processus


d’apprentissage, même si cette analyse n’impose pas d’observer et de mesurer tous les facteurs
possibles de ce niveau, si l’on tient à rester dans les limites établies dans le cadre de notre
proposition.
Cependant, malgré ces derniers indices, nous avons cherché si dans les niveaux
correspondants au mode neuromusculaire il était possible de trouver des indications sur les
méthodes qui pourraient nous être utiles.

Le mode neuromusculaire est composé par les niveaux d’analyse : musculaire


et moteur.

Le niveau musculaire de l’analyse désigne les « réponses qui ont lieu dans les
éléments contractiles du système », c’est - à - dire : les muscles.

Il y a plusieurs types d’observation possibles dans ce niveau d’analyse :

1) L’analyse de la fonction musculaire pour des activités (skills) (607) o u


tâches particulières. 2) Le rapport entre muscles spécifiques et groupes
musculaires, ainsi qu’avec le système actif du squelette. 3) Les rapports de phase
entre les muscles qui participent à une tâche spécifique. 4) La magnitude et la
durée de l’activité musculaire en fonction de la tâche et du niveau de compétence, et
5) Les changements qui ont lieu pendant l’acquisition d’une compétence, en
incluant un ou plusieurs types des observations susdites.

Le niveau moteur de l’analyse désigne l’activité interne ou les événements


relatifs aux entrées et sorties «sensori - motrices» du SNC (Système Nerveux
Central).

Ce mode d’analyse, dépasse les intentions d’une application dans le cadre d’un
processus d’apprentissage; notre attention a été ainsi portée vers le mode comportemental de
l’analyse, et principalement vers le niveau «mouvement» de ce mode. Une fois défini le
niveau d’application de l’analyse correspondant à nos objectifs, la question reste de choisir une
méthode adéquate.

607 Dans ce cas, notre traduction du terme «skill» est appliquée dans un autre contexte.

208
Les outils et les méthodes
Le choix de la catégorie générale de la méthode dépend de la nature des questions
posées, des objectifs de l’analyse et des informations «mouvement» recherchées.

En général, nous pouvons dénommer deux catégories de méthodes d’analyse et


d’évaluation du mouvement( 608), en fonction des objectifs de l’étude de mouvement en
question: les méthodes qualitatives et les méthodes quantitatives.
Les méthodes qualitatives de l’analyse sont largement fondées sur l’observation. Elles
comprennent des techniques descriptives qui donnent à l’étudiant, au professeur ou au
chercheur les moyens de déterminer de façon systématique la nature ou les caractéristiques
distinctives du mouvement à partir de l’observation directe.
Les méthodes quantitatives d’analyse sont largement orientées vers la prise de mesures
et utilisent des outils et techniques qui permettent de déterminer les dimensions ou les
proportions des éléments structurels du mouvement.
Leur différence après utilisation, c’est que les premières donnent comme résultat une
description, et les secondes une valeur numérique( 609) (parfois sous forme de probabilités ou
de statistiques).
L’observation ou la prise de mesures systématiques augmentent les possibilités de
savoir ce qu’il faut chercher à l’intérieur du mouvement, et aident à comprendre quels sont les
éléments de mouvement essentiels à la compétence ou à la tâche désignée, et leur importance.
Cependant, au delà du fait que l’intérêt de l’application de l’analyse porte sur
l’observation, ou sur la prise de mesures, ou sur les deux, la méthode utilisée doit servir, en
même temps, de plan systématique d’observation en fonction du type d’information
recherchée.
Dans la proposition d’application de l’analyse du mouvement à l’apprentissage du
mime corporel, les méthodes à utiliser seront qualitatives. Ce n’est pas la mesure exacte des
facteurs du mouvement qui nous intéresse, mais la structure, la séquence des événements de
mouvement, etc.

Les outils qualitatifs de l’analyse


L’analyse qualitative est généralement fondée sur l’observation, elle est aussi
descriptive, et pour l’observateur elle est souvent subjective.

608 Ici, nous parlons du mouvement observable et reproductible, qui dans le cadre de l'apprentissage est le
matériau - objet.
609 Des mesures des divers paramètres du mouvement: déplacement, vitesse, accélération, contraction mus-
culaire, et d'autres paramètres semblables.

209
Cependant, quand le système utilisé a une base théorique solide et est construit de façon
simple pour l’observation et la description du mouvement, son utilisation fondée sur
l’expérience personnelle et la connaissance du chercheur en relation à la compétence étudiée,
peut réduire la subjectivité de la méthode d’une façon significative.
L’observation et la description du mouvement sont des outils pratiques d’une grande
valeur parce qu’elles:
1. relèvent la séquence des événements de mouvement.
2. identifient, donc dirigent notre attention sur les aspects les plus significatifs
d’une compétence particulière ou d’une séquence de mouvement.
3. systématisent la pensée sur le rapport entre la compétence du mouvement et
la performance ou l’exécution.
4. identifient les éléments de mouvement qui sont importants dans un processus
d’apprentissage et d’entraînement.
5. aident à l’évaluation du développement du niveau de compétence, tout en
améliorant la performance avec le temps.
Divers outils de l’analyse qualitative du mouvement ont été clairement identifiés.
Cependant, au - delà de l’outil sélectionné, l’entraînement à l’observation systématique est la
clé de voûte d’une analyse objective et fiable. La description de ces outils sortait de nos
objectifs, ainsi, nous avons utilisé l’analyse critique des fonctions, des problèmes et des
applications, pour établir les bases pratiques qui justifient notre choix. Avant de continuer, il
est important de procéder à une récapitulation des éléments essentiels que nous avons déjà
établis:
L’objectif principal de notre étude de mouvement est d’apporter une aide à
l’apprentissage du mime corporel en facilitant la compréhension et la
mémoire du mouvement - objet d’étude, le répertoire «Decroux».
Le terrain d’application des méthodes d’analyse à sélectionner se situe dans le
mode comportemental (pour des événements de mouvement qui se
produisent à l’extérieur de la peau), et dans le niveau «mouvement» pour
l’application de l’analyse.
Les facteurs qui seront principalement pris en compte pour notre analyse sont le
cinématique et le cinétique, qui, dans l’apprentissage du mime corporel, se
trouvent en deçà du niveau d’interprétation.
Enfin, les méthodes choisies devront être qualitatives, fondées sur l’observation et
la description du mouvement comme outils de l’étude du mouvement.

210
Les objectifs
Les informations «mouvement» recherchées sont la dernière considération à prendre
en compte avant le choix des méthodes d’analyse et de notation du mouvement.

L’Identification du phénomène de mouvement observé


C’est le premier objectif de l’analyse du mouvement. La réponse à la question: quel a
été le mouvement observé? a amené les chercheurs à établir des systèmes de classification
applicables aux phénomènes de mouvement corporel. Ainsi marcher, pousser, tirer, lancer, etc.
sont les éléments d’un de ces systèmes de classification.
Dans chaque domaine de recherche, et pour toute étude sur le mouvement, les
chercheurs, professeurs et professionnels ont besoin de connaître pratiquement au moins un
système de classification. Car chaque système contient une conception claire des idées
abstraites et concepts qui sont à l’origine de chaque type de mouvement( 610) observé en
laboratoire, terrain de jeux, gymnase, piscine, ou studio.
Dans le meilleur des cas, toute classification est un système arbitraire construit pour
donner un ordre à nos idées et concepts. Au pire, elle doit donner les bases pour acquérir une
information et une connaissance plus approfondies. Sans une forme systématique de
classification et de catégorisation du mouvement, l’analyse sera parfois inadéquate ou très
compliquée, voire sans signification.
Dans l’histoire des études sur le mouvement corporel, les scientifiques, artistes et
professeurs ont classifié les mouvements et les compétences de plusieurs façons. Ainsi, dans le
domaine de l’Anthropologie, une proposition remarquable est celle de l’étude des «techniques
du corps» de Mauss( 611) (cité à titre d’exemple de système de classification). Dans son article,
il propose une grille de classification des techniques (actes traditionnels efficaces) du corps,
qui n’a pas été suivie, ni dans les définitions, ni dans les applications possibles, par les
anthropologues, malgré la suggestion de Levi - Strauss, et de l’ampleur et de la flexibilité
réelles de ce système de classification des actions humaines.( 612)
Les éducateurs physiques, les kinésiologues( 613), les anatomistes, les techniciens du
facteur humain et les «neurophysiologues», ont chacun leur propre système de classification.

610 Celui - ci est un point important de vérification de la correspondance entre les méthodes d'analyse de mou-
vement et le matériel auquel elles s'appliqueront.
611 Marcel Mauss: Sociologie et Anthropologie, P. U. F., (1966), 1980.
612 Ici notre proposition de la définition d'action humaine est: l'application des possibilités du mouvement
corporel intentionnel.
613 Le terme «Kinésiologue» est une francisation du mot anglais «Kinesiologist». Ce n'est pas exactement
ce que nous appellerions kinésithérapeute (une profession), mais le nom que reçoit le spécialiste qui utilise ce type
d'approche, indépendamment de sa profession.

211
Higgins( 614) nous présente six systèmes identifiés pour la classification du mouvement et des
compétences; ces classifications se font par: les composants anatomiques, la fonction,
l’origine, le caractère, la physiologie et la biomécanique( 615).

Chaque système est adéquat pour un type spécifique d’entraînement, d’apprentissage,


d’enseignement, ou de recherche sur le mouvement. En même temps chaque système a ses
limitations propres, et ses potentialités. Voyons ces systèmes de classification:
* Classification selon les actions des articulations
Les anatomistes et les «kinésiologues» ont choisi de classer les mouvements selon les
actions possibles de chaque articulation, autour d’un système de plans de référence, et à partir
d’une position anatomique déterminée. Ce système a été largement utilisé en médecine et dans
les domaines afférents, tels que la thérapie physique et occupationnelle, la rééducation
corrective et adaptative, les soins et la prévention des blessures sportives.
Cependant, si les kinésiologues d’éducation physique utilisent ce système d’une façon
extensive, il perd de son efficacité quand nous sommes confrontés à des actions plus
complexes que celles qui comportent seulement des mouvements de flexion, d’extension, de
rotation, d’adduction ou d’abduction simples.
Les applications de ce système sont limitées à l’analyse descriptive et anatomique du
mouvement, la description des conditions pathologiques isolées, et la prescription d’exercices
de rééducation.
* La classification fonctionnelle du mouvement, selon ses objectifs

Quelques auteurs font une classification du mouvement selon les objectifs recherchés
dans l’exécution des activités motrices. Leur attention est dirigée principalement vers l’action
musculaire large et les activités sportives.
Les mouvements sont classifiés selon l’utilisation du corps ou de ses parties pour une
activité particulière. Dans ce système de classification ont été identifiés cinq types de
mouvements: A) Mouvements de support du corps. B) Mouvements de suspension du corps.
C) mouvements de transport du corps. D) Mouvements donnant une impulsion à un objet
externe. E) Mouvements permettant de recevoir une force externe.
A l’intérieur de chacun de ces types de mouvement, il y a des sous - classes établies
selon l’espace environnant dans lequel le mouvement est exécuté (surface solide, «en l’air»,

614 J. R. Higgins: Human Movement: an integrated approach, op. cit, page 12 et ss.
615 L'intérêt qu'il y a à exposer la totalité de ces systèmes de classification du mouvement réside dans la possi-
bilité de rendre compte de l'amplitude de la perspective que Rudolf Laban ouvre avec ses théories de mouvement,
et en particulier avec ses méthodes d'analyse, ce qui sera exposé plus bas.

212
dans l’eau, etc. ). Ce système comporte la notion de «patrons de mouvement»
identifiables (616)

* La classification du mouvement selon son origine.

Plusieurs investigateurs ont établi une classification des mouvements selon leurs
origines. Le fondement de ce système réside dans la dépendance du mouvement par rapport au
stimulus que le précède ou le provoque. Il participe d’une approche comportementale, et son
intérêt est orienté sur la relation stimulus - mouvement produit.
Le mouvement classé selon son origine peut entrer dans quatre catégories générales.
Ces catégories sont: a) Mouvements produits comme effet des réflexes inconditionnels. b)
Mouvements produits comme résultat de l’application sur le corps d’une force externe (y
compris les mouvements passifs). c) Mouvements produits comme une séquence déclenchée
par un stimulus (réflexes conditionnés). d) Mouvements volontaires.
Cette classification est donc relative au couple stimulus - réflexe. Son application
principale est l’identification et la compréhension des mouvements purement réflexes.
* Le mouvement classé selon son caractère( 617).
1) Mouvements de locomotion: l’acte de changer la position du corps dans le
temps et dans l’espace.
2) Manipulation des parties du corps: changements isolés de position des
parties du corps ou de ses segments, en relation au reste du corps, ou entre
elles.
3) Mouvements posturaux: la position du corps pendant des actions telles que:
s’asseoir, s’arrêter, sauter. Ces mouvements peuvent inclure aussi la fonction
de stabilité générale du corps.
Les mouvements classés selon leur caractère sont vus comme non - réflexes,
fonctionnels et volontaires. Ce système de classification est utilisé dans l’étude de
l’organisation et du contrôle moteur du mouvement.
* La classification du mouvement selon la physiologie.
Les physiologistes, principalement les entraîneurs physiques classent les mouvements
selon le type de contraction ou de travail musculaire développé. Ce système comprend trois
catégories:

616 Voir note 606.


617 Le sens donné au terme «caractère» est défini par les catégories exposées à l'intérieur de cette classifica -
tion.

213
a) Mouvement ou contraction isotonique. b) Mouvements ou contraction
isométrique. c) Mouvement ou contraction philométrique.
Ces catégories sont utilisées principalement dans l’élaboration de programmes de
développement de force musculaire et d’endurance.
* Le mouvement classé d’après la biomécanique.
Le système de classification fondé sur les principes de la biomécanique comporte les
facteurs principaux suivants: a) les forces externes et internes qui agissent sur le corps ou ses
parties pour produire le mouvement. b) la nature de l’espace investi pendant le mouvement, et
c) le temps ou les composants temporels du mouvement.
Ce schéma est très utile pour l’étude des forces à l’origine du mouvement (cinétique).
Les mouvements sont classés en trois catégories:
1) Selon la dynamique: l’effet sur le mouvement des forces externes et internes.
Y sont inclus les mouvements affectés par les forces: de la pesanteur, de
l’énergie potentielle due à la position du centre de gravité du corps, et des
forces musculaires générées ailleurs.
2) Selon ses caractéristiques spatiales: la description du parcours effectué par le
corps ou ses parties, numériquement ou géométriquement. Il y a trois types
de mouvement qui peuvent être identifiés à l’intérieur de cette catégorie:
i)mouvements rectilignes - mouvements en ligne droite (dans le mouvement
humain il n’y a pas de mouvements «purement» rectilignes).
ii)mouvements de rotation ou angulaires - mouvements autour d’une
articulation par un des deux segments adjacents. iii)Mouvements de
translation ou combinés - ils sont faits de combinaisons de mouvements
rectilignes et de rotation.
3) Selon ses caractéristiques temporelles: l’identification des caractéristiques
d’accélération et de vitesse du mouvement, et les aspects de durée des
diverses phases des patrons de mouvement.
Les diverses études sur le mouvement appliquent un ou plusieurs des systèmes de
classification décrits. Nous verrons leur utilisation dans l’exposé des théories et des méthodes
d’analyse et de notation de Rudolf Laban.
Une fois identifiées ces actions, dont nous aurions fait une première description,
comprenant l’information du phénomène de mouvement par rapport à l’environnement et / ou
au corps de l’exécutant, à l’espace et au temps, la structure générale de l’action( 618), le patron
spatial suivi, la séquence des mouvements qui composent l’action, son phrasé et son rythme,

618 Cf. note 612.

214
selon la classification choisie, l’analyse nous permettra de faire une deuxième description
complémentaire et plus approfondie afin de:

Déterminer comment l’action a été réalisée.


La réponse, selon la méthode appliquée, nous donnera finalement toute l’information
«mouvement» du matériau étudié. Dans notre cas: la partie utilisée du corps, les transferts du
centre de gravité, l’amplitude du mouvement, la direction, la vitesse, l’effort engagé, et
éventuellement, l’attitude de l’exécutant face au phénomène, sont des données qui pourront
faire l’objet d’une application pédagogique.

Les problèmes de l’application de l’analyse du mouvement


L’application de l’analyse suscite des difficultés à plusieurs niveaux. Les premières
sont relatives à l’expérimentateur, et à la méthode de travail; il s’agit de:
a) L’objectivité - subjectivité de l’analyse
b) La systématisation de l’observation.
Les problèmes suivants sont relatifs au traitement et à l’interprétation des informations
«mouvement» recueillies:

c) Les moyens pour en rendre compte.


d) Le compte - rendu, support concret qui contient les informations
«mouvement» du phénomène observé.

e) L’interprétation de ce compte - rendu.

Les solutions proposées par les diverses méthodes d’analyse du mouve-


ment.
A) Le problème de l’objectivité - subjectivité de l’observation peut être présenté
comme un problème de perception. En observant un phénomène de
mouvement, les questions que nous pouvons poser sont:
• quelle est notre relation vis - à - vis de l’«objet»?
• qu’est ce que nous regardons?
Cela dépend de la perspective dans laquelle nous nous plaçons pour observer le
mouvement. Selon Laban( 619), il y a trois perspectives pour l’observation du mouvement:

619 Rudolf Laban: The Langage of Movement, Ed. Lisa Ullman. Boston, 1974 page 7 et ss. (Nous avons tra-
duit de l’anglais).

215
a) la perspective corporelle, à travers l’immersion dans le courant continu du
mouvement. Elle est vécue de l’intérieur; donc, elle n’est pas objective.
b) La perspective analytique, développée à partir de l’application des protocoles
systématisés d’observation, ce qui permet aux chercheurs de faire une
observation que nous pourrions qualifier d’objective.

c) La perspective de ceux qui « plongés dans le monde intangible des idées et


des émotions», avec leur vue intellectuelle et abstraite, « cherchent à y vivre
la réalité. Ceux - là, ne s’intéressent au mouvement qu’à cause de la
méfiance et de l’aversion prononcée qu’ils lui portent.» (620)

Ce qui coïncide avec le point de vue d’Higgins:

« L’habileté dans l’observation du mouvement est acquise seulement avec la


pratique et l’utilisation d’une méthode systématique de travail. » (621)

La solution la plus amplement proposée par les diverses méthodes est donc la
systématisation de l’observation du mouvement et du compte rendu de l’information
recherchée, dans un cadre cohérent qui permette l’intégration des données selon la nature des
objectifs de l’étude en question.
B) La systématisation de l’observation peut être établie concrètement à partir
de:
i) feuilles - recueil des informations qui guident l’attention de l’observateur
sur le choix des facteurs et des éléments à observer. ii) le calibrage des outils
et le contrôle des conditions des expériences faites avec des instruments
électromécaniques, photographiques et cinématographiques.
Car, si l’observation se fait en général sur un événement en cours, elle peut être aussi
faite sur des films, bandes vidéo, strobo - photos, séries de photos ou dessins, ou montages à
répétition multiple. Cependant, la façon de rendre compte des observations réalisées, n’en
reste pas moins un problème indépendant de ces conditions.
Il ne suffit pas de pouvoir voir l’événement à plusieurs reprises, il faut dégager les
informations recherchées pour avoir la possibilité d’en faire une étude détaillée. Même si dans
le cadre d’une application pédagogique: «l’imitation est une façon de commencer à
comprendre ce que nous voyons» (622), cela n’élimine pas la nécessité de cette étude.

620 Ibidem, page 6.


621 J. R. Higgins: Human Movement: an integrated approach, op. cit, page 129.
622 Moore et Yamamoto: Beyond Words, op. cit, page 99

216
Les divers outils photographiques utilisés pour enregistrer le mouvement, ne
sélectionnant pas les éléments d’information requis sauf dans des conditions strictement
contrôlées, il faut encore appliquer l’analyse du mouvement à ces enregistrements et à
l’information de mouvement qu’ils sont capables de rendre, avec les limitations que cela
suppose: une exécution particulière, un point d’observation et un horizon limités, une image bi
- dimensionnelle (alors que l’événement a lieu en trois dimensions) et, dans le cas d’une
performance artistique, les interférences dues aux interprétations individuelles des
exécutants( 623).
C) Les moyens pour rendre compte des observations ou des mesures prises.
Nous avons signalé plus haut dans la présentation des catégories générales
des méthodes d’analyse du mouvement, que l’information générée peut
prendre deux formes en rapport avec chaque catégorie. Ces deux formes
sont: des valeurs numériques pour les méthodes quantitatives, et la
description pour les méthodes qualitatives.
D) Le compte - rendu des informations.
Les valeurs numériques qui sont obtenues de façon manuelle ou automatique à partir
des instruments de mesure, peuvent être utilisées pour constituer des tableaux ou des
graphiques.
Les descriptions peuvent être verbales ou symboliques et faites avec des arrangements
«en tables» ou à l’aide de dessins et / ou de chiffres (si elles sont mixtes).

E) L’interprétation du compte - rendu ne peut pas être faite si les problèmes


précédents ne sont pas résolus à l’intérieur d’un cadre cohérent qui soit guidé
dès sa conception par des objectifs clairement établis par l’étude en question.
Ce qui donne son sens à notre travail est donc la réponse à la question:
pourquoi faire une étude du mouvement?
Dans notre cas, la réponse à cette question est donnée par la nécessité de comprendre le
matériau - objet de l’apprentissage du mime corporel et d’avoir un accès permanent aux
partitions du répertoire «Decroux».

La notation (écriture) du mouvement

Pour les études sur le mouvement dans le cadre de la pratique des arts du mouvement
corporel, une solution aux problèmes qui concernent et le compte - rendu de l’analyse et le

623 Voir aussi notre exposé sur «Les notes d’étude et les outils audio - visuels», plus haut.

217
registre de la description du phénomène observé, fut développée et proposée pour la première
fois il y a presque 300 ans: la notation du mouvement.
Le premier système développé est appelé à l’époque: «chorégraphie», son domaine
d’application, fut la Danse( 624), selon Pino Mlakar:

« Un des premiers systèmes à avoir été appliqué avec un certain succès est
celui développé par Beauchamps - Feuillet, publié en 1699, et utilisé pour le style de
Danse existant à l’Académie Royale de Danse pendant le XVIII siècle.
Malheureusement, il n’était pas conçu pour satisfaire les exigences requises par les
styles de danse qui ont suivi, raison pour laquelle il est devenu obsolète. Il a fallu
attendre le XX siècle pour que d’autres systèmes plus ouverts et souples voient le
jour ». (625)

M. Szentpal explique sur les principaux besoins des systèmes de notation du


mouvement:

« … méthode d’écriture non verbale (symbolique) qui permette, non pas de
faire une description du mouvement, mais de l’écrire, la méthode doit être fondée
sur l’observation des facteurs objectifs du mouvement et de ses règles, ainsi que de
ses interactions et de ses influences réciproques telles qu’elles sont projetées par le
mouvement humain » (626)

Cette écriture donne idéalement l’information sur les éléments ou les facteurs du
mouvement( 627) à partir de l’analyse. Le compte - rendu écrit de l’observation, que nous avons
appelé plus haut «cinétogramme» est le registre concret des résultats corpo - spatio -
temporels de l’exécution matérialisant la partition analysée.

« Pour ce qui est des intentions et des états d’âme (lesquels précédent et
suivent le mouvement) et qui peuvent être complètement différents et d’une grande
importance, la notation du mouvement ne peut pas les codifier ni les enregistrer. Ils
peuvent être circonscrits par des notes verbales ajoutées au cinétogramme, mais
ceci n’est pas différent de la musique, où la notation des nuances est faite par des

624 Notons au passage qu'à l'origine, le mot chorégraphie désignait précisément le système d'écriture de la
danse.
625 Pino Mlakar: «Thoughts of a Choreographer on the Importance of Kinetography Laban». Dans: Al-
brecht Knust: Dictionary Of Kinetography Laban (Labanotation)
Macdonald and Evans Ltd. Estover, Plymouth PL67PZ, U. K., 1979. op. cit, page XVII. (Nous avons traduit de
l’anglais).
626 Maria Szentpal: «The perception of movement». Communication présentée dans le cadre du 1er.
Congrès International sur la Notation du Mouvement a l'Université de Tel Aviv (Israël), août 1984, page 8 (Nous
avons traduit de l’anglais).
627 Informations que nous avons appelées: «mouvement».

218
notes et des signes ajoutés, lesquels offrent des indications sur l’exécution ;
toutefois les sentiments, les états d’âme et le «comment» sont décrits à l’aide des
instructions verbales. Cela ne diffère pas non plus du théâtre, où le texte écrit offre
un objet de perception, mais les sentiments et l’attitude interne ont besoin d’être
établis ». (628)

Les trois principaux systèmes de notation utilisés aujourd’hui dans le monde entier sont
basés sur des symboles géométriques, chiffres, lignes et d’autres symboles écrits, et chacun de
ces systèmes, selon ses possibilités et ses limites, permet d’avoir un registre du mouvement
«noir sur blanc», qui peut être comparé au langage écrit ou à la notation musicale.
Ces systèmes sont:
La Cinétographie Laban ou Labanotation, publiée en 1922 par Rudolf Laban, qui a été
développée sous une forme hautement technologique. Cette méthode est amplement utilisée
aux États Unis, et dans les pays de l’Est.
La Notation Benesh, qui a été développée en l’Angleterre depuis 1956 par Rudolf et
Joan Benesh dans leur travail avec le Royal Ballet et avec des chorégraphes anglais. Ce
système est amplement utilisé, principalement par des grandes troupes de ballet en Europe
Occidentale.
La Notation Eshkol - Wachmann, qui a été présentée pour la première fois en 1958 par
Noa Eshkol et Abraham Wachmann. Grâce à sa grande flexibilité comme système de notation,
due à ses techniques et à sa cohérence interne, elle peut être appliquée à d’autres domaines de
recherche que la danse.
Il existe d’autres systèmes moins développés et / ou moins utilisés, par exemple:
Conté, en France. Chaque système est le reflet d’une méthode d’analyse du mouvement
particulière qui suit des objectifs et des perspectives définies par ses créateurs, lequels
conditionnent ses applications.
Un grand débat existe autour de l’écriture ou notation du mouvement( 629), débat qui
fait abstraction du fait qu’elle n’est qu’un outil de l’analyse du mouvement, et que même s’il y
a plusieurs systèmes qui prétendent analyser et écrire ou décrire le mouvement, il faut faire une
réflexion sur les rapports existants entre les méthodes d’analyse du mouvement, les systèmes
de notation et les comptes - rendus ou cinétogrammes. Un des premiers points du débat porte
sur le lien de subordination apparente entre l’analyse du mouvement et la notation
Question sur laquelle nous proposons une analyse à partir des constats suivants:

628 Maria Szentpal: «The perception of movement», op. cit, page 9.


629 Pour ceux que ce débat intéresse, voir: Laurence Louppe (Ed): Danses tracées, Éditions Dis - voir, Paris,
1991.

219
a) Premier constat: sans l’analyse du mouvement, il n’y a pas de notation, il
nous faut donc une méthode d’analyse du mouvement solide et simple,
capable de décrire les événements de mouvement tel qu’ils sont produits.

b) Deuxième constat: la notation, en même temps qu’elle peut être un des


objectifs de l’analyse du mouvement, est aussi un de ses principaux outils. La
notation du mouvement est un des moyens utilisés dans l’analyse afin de
systématiser l’observation, pour enregistrer les descriptions du mouvement,
et pour en rendre compte d’une façon graphique, symbolique ou visuelle, ou
les trois, étant donné l’inadéquation du langage verbal.
c) Troisième constat: la notation du mouvement en tant que méthode capable
de rendre compte du phénomène, est un langage qui peut être articulé, et
utilisé comme tel pour la communication entre spécialistes.
d) Quatrième constat: les graphiques ou arrangements symboliques ou visuels
qui sont le résultat de la double application d’une méthode d’analyse du
mouvement et d’un langage descriptif non - verbal, appelés
«cinétogrammes», sont des objets - support contenant l’information
«mouvement» du matériau auquel ils font référence, et lesquels peuvent être
utilisés pour des analyses comparatives, par d’autres disciplines ou à d’autres
fins.
Conclusion des constats:
Ce n’est qu’à travers l’analyse du mouvement qu’il est possible d’arriver à la notation,
et grâce à cette dernière nous pouvons avoir finalement les cinétogrammes qui permettront
toutes les applications qu’une écriture, idéalement, est capable de prêter au langage.
Ainsi, aucune prime ne saurait être donnée séparément à un des éléments de la triade
« Analyse - Notation - Cinétogramme», qui permet la communication, et contribue à l’étude
et à la mémoire du mouvement. Il est donc important de relever que les perspectives
d’application de cette triade seraient limitées si elle n’était pas développée dans ces trois
directions.
Nous avons des exemples de ce stade de développement partiel de notre triade tout au
long de l’histoire: en témoignent des systèmes de notation devenus obsolètes, parce que:
• la méthode d’analyse du mouvement n’a pas été développée suffisamment
pour répondre aux questions de la pratique, ou
• la notation utilisée n’était pas capable de rendre compte de la complexité du
phénomène, ou

220
• les cinétogrammes n’étaient pas capables d’enregistrer l’amplitude, la profon-
deur, et la complexité du mouvement, sans être trop simple, et que le mouve-
ment en fût rendu incomplet, ou trop compliqué, au point qu’il fût impossible
de les lire correctement.
La notation du mouvement est aujourd’hui, un outil générateur de concepts de
mouvement dans un langage autre que verbal, qui s’articule à partir de l’analyse du mouvement
pour créer des cinétogrammes. Réciproquement, l’analyse du mouvement est devenue un
processus réflexif qui utilise des concepts générés par le langage qu’est la notation.
Les cinétogrammes sont le «texte écrit», le support, la preuve et la manifestation de
l’activité de la pensée qui les a produits, au même titre qu’elle a produit le mouvement
exécuté; ils présentent l’avantage sur les traditions purement orales et physiques de constituer
un moyen qui abolit le temps et parcourt l’espace( 630) permettant ainsi la communication, la
transmission et la préservation des développements et des créations des arts du mouvement
corporel.
En revenant sur les intentions de cette exploration concernant les études de mouvement,
il ne reste qu’à prouver que la triade choisie est adéquate à remplir nos objectifs, et que
l’application facilitera pour les acteurs:

• l’obtention des informations «mouvement» (631) nécessaires à l’étude du ma-


tériau - objet d’apprentissage.
• l’élaboration des supports extra - corporels de mémoire (ou mnémo - relais)
nécessaires à la reprise et à la répétition dans l’entraînement.
Ainsi pour justifier notre choix, nous chercherons à prouver l’aptitude des méthodes
Laban à remplir les besoins propres à l’étude du mouvement que nous avons appelé «Projet
Laban - Decroux.

La théorie du mouvement et les méthodes de Ru-


dolf Laban

La critique de notre proposition qui dit que les méthodes Laban pourraient correspondre
aux besoins du «Projet Laban - Decroux», sera faite à partir de l’origine, des possibilités et
des applications de ces méthodes. Il sera nécessaire de déterminer dans quelle mesure

630 Laurence Louppe: «Les imperfections du papier», dans Danses tracées, op. cit, page 29.
631 Information de mouvement: ce sont les valeurs concrètes relatives aux paramètres qui caractérisent cha-
que mouvement ou exercice. L'obtention de cette «information» est l'objectif principal de l'analyse du mouve-
ment, selon la définition donnée plus haut.

221
l’application de ces méthodes aide à la compréhension des partitions du répertoire «Decroux»
et à leur mémorisation dans l’apprentissage du mime corporel.

A l’origine de ces méthodes, une théorie globale du mouvement et, derrière celle - ci,
un homme: Rudolf Laban. Dont nous présentons ici une biographie sommaire afin de le situer
dans son contexte historique et culturel. Nous ferons ensuite l’exposé et l’examen de la théorie
et des méthodes d’analyse et de notation du mouvement d’après Laban.

Rudolf Laban, (notes biographiques)


Laban (632) est né en 1879 à Bratislava, appartenant alors à l’empire Austro - Hongrois.
Son père, membre de l’aristocratie et officier de l’armée hongroise, le destinait à une carrière
militaire qu’il refuse pour suivre ses propres intérêts artistiques.
En 1900 il est accepté à l’École des Beaux Arts de Paris, où il étudie sept ans, pendant
lesquels il montre un intérêt particulier pour la production théâtrale: le dessin scénographique,
l’architecture du théâtre, le décor et les costumes. Durant cette période, Laban est pionnier des
premières expériences de danse «libre» (en opposition à la danse classique des ballets),
expériences qu’il mène dans les petits cabarets parisiens.
Cependant, sa vocation réelle n’est devenue évidente qu’en 1910, quand il fonde une
«commune de danseurs» dans une ferme à Ascona en Suisse. Dans cette «colonie
artistique», la communauté entière, après le travail, produit des «danses» fondées sur les
activités de la journée. A partir de ces expériences, Laban comprend que ces « drames, chants
et scènes de mouvement (en dépit de l’utilisation occasionnelle de la parole), n’appartenaient
pas au monde du théâtre ni à celui de l’opéra; mais au monde de la danse »( 633)

Cette réalisation donne une orientation significative à sa carrière. D’ailleurs, c’est de


cette colonie que les premiers grands disciples de Laban sont sortis, parmi eux: Mary Wigman
et Kurt Joos, c’est aussi dans cette période que sont élaborées les premières ébauches de sa
théorie de «l’eukinésis»( 634).
De 1910 à 1935, alors que l’Allemagne voit les expériences du Bauhaus et les
développements de l’expressionnisme, Laban consacre son énergie au développement d’une
danse moderne en Europe Centrale.

632 Extraits de: a) I. Bartennieff, M. Davis, F. Paulay: Four Adaptations of Effort Theory In Research and
Teaching. Second printing. Danse Notation Bureau, Inc. New York, 1973. page vii. b) Irmgard Bartenieff avec
Dori Lewis: Body movement, Coping with the environement, Ed. Gordon and Breach Science Publishers. New
York, 1980, réimpression 1990. page ix., et c) Carol - Lynne Moore & Kaoru Yamamoto: Beyond Words, Move-
ment Observation and Analysis, Ed. Gordon and Breach Science Publishers S. A., New York, 1988. pages 181 et
182. (Nous avons traduit de l’anglais).
633 Samuel Thornton: A movement Perspective of Rudolf Laban, MacDonald & Evans. London, 1971. page 4.
Cite par Moore & Yamamoto, op. cit. (Nous avons traduit de l’anglais).
634 Voir plus loin: «La méthode d’analyse ‘effort’».

222
Dans les années vingt et le début des années trente, la rigidité du dix - neuvième siècle
qui ne met l’accent que sur les «humanités», s’éloigne . A l’ombre du nouvel essor des
sciences biologiques, médicales, psychologiques, et des nouvelles orientations en physique et
en mathématiques, la pensée de Laban mûrit et participe aux grands changements qui
bouleversent le domaine des arts.
Laban se caractérise par la multitude de directions dans laquelle il déploie son activité:
il chorégraphie et danse lui - même, il entraîne des danseurs; il établi des écoles à Basel, à
Stuttgart, à Hambourg, à Prague, à Budapest, à Zagreb, à Rome, à Vienne, à Essen et à Paris,
toutes dirigées par ses anciens élèves; il organise en Allemagne le syndicat des danseurs; il
dirige des compositions récréatives de mouvement, qu’il appelle «choeurs de mouvement»,
dansés par des amateurs; enfin, il écrit et publie des livres sur la danse.
A Hambourg, à Wuerzburg et à Berlin, il se entoure d’étudiants en art théâtral. Un de
ses soucis le plus important est le mouvement choral: Bewegunschor( 635). Il a l’intention de
développer une forme contemporaine non professionnelle de danse d’ensemble, qui pourrait
délasser les gens fatigués par l’environnement urbain et le travail industriel monotone et
répétitif.
Laban observe le processus du mouvement sous tous les aspects de la vie: depuis les
arts martiaux, les «patrons» spatiaux des danses «sufi», les tâches de travail en usine, les
«patrons» rythmiques des danses folkloriques, les mouvements propres aux arts et métiers,
jusqu’au comportement des gens émotionnellement affectés. C’ést le processus du mouvement
qui attire son attention, et pas seulement les positions ou attitudes finales, ni les buts de
l’action.
Au cours du Premier Congrès de la Danse Moderne à Magdebourg en 1927, il présente
trois créations pour montrer son approche de la tradition: le «Ritterballet» (pièce
romantique), un travail expressionniste appelé «Minuit», et un travail choral, appelé «pour la
Cinquième symphonie de Beethoven». Dans ce dernier il fait la démonstration d’un travail
choral fondé sur une chorégraphie de groupe.
Un des résultats les plus importants du travail, présenté à cette occasion (Magdebourg,
1927) et qui fait partie de ses théories, est le développement de son système d’écriture du
mouvement.

Schrifttanz, premier texte dans lequel il expose les grandes lignes de ce système, est
publié en 1928 à Vienne par Alfred Schlee d’Universal - Edition, maison d’édition musicale
aux choix précurseurs. Il expose dans un article publié à l’occasion de cette publication sa
vision de ce que doit être un système de notation:

635 Le texte original porte le mot allemand. Curieusement Étienne Decroux travaillera un peu plus tard sur le
même sujet, il l’appellera: mouvement de masses.

223
« La cinétographie ou notation du mouvement a deux objectifs qui doivent
être clairement distingués.

Le premier objectif est l’enregistrement de séquences de mouvement et de


danses. Les avantages en sont facilement perceptibles ; ceci est admis depuis des
siècles et continuellement recherché au travers d’expériences aux succès divers.

Le second objectif est d’un point de vue conceptuel bien plus important. Il a
trait à la définition du processus moteur à travers l’analyse et le libère ainsi de ce
flou qui a pu faire apparaître le langage de la danse comme peu clair et monotone
(...)

L’objectif artistique final de la cinétographie n’est en conséquence pas une


transcription de la danse [Tanzschrift] mais une écriture de la danse
[Schrifttanz] » (636)

Il développe cette écriture du mouvement parce qu’à la différence des chefs d’oeuvre
des arts vivants tels que le théâtre et la musique, qui sont préservés sous forme de textes écrits
ou de partitions musicales, les grandes oeuvres de l’histoire de la danse sont complètement
perdues par manque de moyen d’écriture.
Des essais de développement de systèmes de notation de la danse à l’époque Baroque
se limitent à la description des actions des jambes et du parcours au sol. Les mouvements du
torse et des bras ne peuvent pas être écrits avec exactitude.
Avec son système de notation, Laban prétend résoudre ces problèmes, en rendant
possible pour la première fois, l’écriture des actions de toutes les parties du corps du danseur.
Laban et ses collègues ont affiné l’observation du mouvement dans une méthode
extrêmement précise d’expérimentation, d’analyse et de notation permettant de faire apparaître
de plus en plus nettement les implications fonctionnelles et expressives du mouvement.
Les développements postérieurs, réalisés par ses élèves, Albrecht Knust et Ann
Hutchinson ont fait du système Laban de notation du mouvement, un système éminemment
pratique, qui est aujourd’hui amplement utilisé pour l’écriture des chefs - d’oeuvre de la danse
contemporaine, et pour d’autres applications multiples dans les divers domaines de la
recherche sur le mouvement.
En 1929 - 30 à Vienne, Laban fait la mise en scène du Festival des artisans.
L’expérience acquise en ritualisant l’activité traditionnelle du travail va devenir le fondement

636 Rudolf Laban, cité par R. Lange in: The principles and basic concepts of Laban’s movement notation, In-
ternational Council of Kinetography Laban, 1985. (Traduction de l’anglais par Marion Bastien)

224
de ses recherches sur l’effort humain dans l’industrie anglaise pendant la deuxième guerre
mondiale.
Malheureusement cette période hautement productive de la carrière de Laban est arrêtée
net en 1936. Face à la rigidité du parti Nazi et du régime d’Hitler, la plupart de ses efforts
artistiques sont anéantis; les écoles fondées par ses élèves sont fermées.
Lui - même est banni, et, en 1938, découragé et malade, quitte son poste de Maître de
Ballet de l’Opéra de Berlin pour s’installer à Paris. Grâce à ses collègues qui ont réussi à
obtenir pour lui l’asile politique en Angleterre, Laban passe finalement Outre - Manche, pour
rejoindre Kurt Joos .
Son arrivée en Angleterre est aussi un tournant décisif de sa vie et de sa carrière. Après
1938, Laban quitte son rôle actif de danseur, et consacre son énergie à l’étude de la fonction de
l’effort dans le travail industriel, à la promotion de l’éducation par le mouvement dans le
milieu scolaire anglais, et à l’évaluation de la personnalité par l’observation et l’interprétation
du mouvement. A cette période Laban consolide et publie la plupart de ses théories du
mouvement humain, en particulier celle de l’effort, dans leur forme la plus complète. Laban
meurt en 1958 à Addlestone, dans le Surrey, où il a fondé le Centre de l’Art du Mouvement
avec sa collègue Lisa Ullman.
Il est évident qu’aucune des relations de la vie de Laban n’est complète si elle ne cite
pas son influence en tant que professeur. Depuis 1910, et jusqu’à sa mort, Laban travaille en
contact étroit avec des étudiants; au théâtre, au studio et même à l’usine. Il est vu comme un
éducateur charismatique, doué d’une remarquable aptitude à percevoir et à faire éclore le
potentiel de ses élèves. Laban utilise aussi l’enseignement pour développer ses idées, il
expérimente dans la salle des cours tous les problèmes qui le préoccupent. Cette méthode de
travail joue certainement un rôle de catalyseur dans la carrière de ses élèves, comme dans ses
propres recherches.
Il établit les bases d’un nouveau concept ou d’une pratique nouvelle, puis il en confie
l’approfondissement à l’un de ses élèves, pendant que lui - même passe à d’autres problèmes
ou d’autres idées.
Il résulte de cette façon de travailler que Laban ne systématise pas son propre travail. Sa
carrière entière est caractérisée par une multiplicité de directions d’engagement, et non par une
pensée unidirectionnelle consacrée à une discipline en particulier. Ceci est peut - être dû au fait
que la ligne directrice qui relie entre elles toutes ses activités, est un intérêt constant pour le
mouvement. Mouvement qui, pour Laban, est l’essence de la vie et le miroir de l’humanité.
Sa découverte des éléments de base et des principes généraux d’organisation communs
à tous les mouvements unifie sa vision et ses efforts tout au long de sa carrière. Encore

225
maintenant, la vision de Laban continue à donner une perspective de synthèse à d’autres
chercheurs intéressés par l’étude du mouvement humain, au delà des approches particulières.

Concepts et principes fondamentaux de la théorie de Laban


Laban applique sa réflexion( 637) dans le domaine des arts, et plus spécifiquement la
danse, au tournant du siècle. Les débuts des changements révolutionnaires dans les arts
deviennent perceptibles quand dans la sphère des sciences on commence à trouver des liens
entre la physique, la biologie, la biochimie et les sciences du comportement. Même si chacun
de ces domaines développe des théories propres, il se construit des points de rapprochement
entre les disciplines.
La théorie du mouvement de Laban, présentée pour la première fois autour de 1920,
dans le livre « Der Welt des Taenzers - Le Monde des Danseurs» -, reflète l’influence décisive
de cette période révolutionnaire où la science défie la philosophie et les théories des arts.
La formulation de la théorie de Laban est conçue comme une large structure descriptive
englobant la totalité des multiples aspects de l’expression humaine par le mouvement. Elle part
des origines primitives de la pensée et des sentiments humains( 638), et en passant par toutes les
possibilités de l’utilisation du mouvement, pousse jusqu’à la complexité du comportement de
l’homme, qui de nos jours, est objet des études des sciences du comportement dans les aspects
cognitif, émotionnel et sensoriel.
L’attention de Laban est toujours dirigée sur des événements de mouvement
visibles( 639): son intérêt est centré sur les façons dont l’homme (en mouvement) ordonne
toujours ses activités pour se protéger, pour modeler son environnement, pour agir sur lui -
même, et pour l’interaction avec ses semblables.

La défense et l’attaque
Laban a trouvé les traces des règles du comportement de survie dans les danses
cérémonielles et dans les rites. Ces règles sont inscrites dans des «patrons» répétés
constamment. Elles servent à l’intérieur de chaque activité, à donner un sentiment
d’affirmation, de protection et de régulation à tous les membres d’une culture donnée.

637 Désormais, la théorie et les méthodes d'analyse du mouvement de Laban seront présentées à partir d'une
sélection de textes écrits par d'anciens disciples et collaborateurs de Laban. Notre intention est de faire la présen-
tation la plus sommaire (mais complète ! ) possible, qui serve de base à l’examen envisagé. Nous avons sélection-
né et traduit de l’anglais. Cette sélection reflète de façon inévitable notre intérêt. Nous citons en premier lieu:
Irmgard Bartenieff, «Laban Space Harmony in Relation to Anatomical and Neurophysiological Concepts»: Four
adaptations of Effort Theory In Research and Teaching. op. cit, page 43 et ss.
638 Pour Laban, ils sont reflétés dans les structures des danses cérémonielles et des rites des premières formes
culturelles.
639 C'est - à - dire se produisant à l'extérieur de la peau

226
En étudiant des séquences de mouvement de défense - attaque, il découvre l’ordre de
succession des parties du corps dans chacune d’entre elles, pour se protéger, ou pour attaquer
un adversaire.

Ces séquences, qui se trouvent intégrées aux cérémonials ou aux danses, représentent
une tradition d’entraînement des hommes dans la meilleure façon de lutter. Nous pouvons en
trouver des exemples dans les gammes de l’escrime de plusieurs cultures, comme dans le Tai
Chi Chuan chinois, sous son aspect de technique de boxe.
Toutes ces activités ont deux points en commun. Le premier est la façon dont des
changements réguliers - grands ou petits - interviennent entre les flexions vers le corps et les
extensions pour s’éloigner du corps. Le deuxième, est la façon spécifique dont l’homme utilise
ou se sert de l’espace, c’est - à - dire, la projection du corps dans l’espace environnant à sa
portée.

Le concept d’échelle spatiale


Laban cristallise ces principes dans ce qu’il appelle les «échelles spatiales». L’homme
s’oriente par rapport à lui - même et à son espace environnant à partir de trois axes corporels:
l’axe vertical, horizontal et sagittal. Il peut utiliser son «espace»( 640) avec des mouvements
de frappe nette, presque unidimensionnels, ou il peut organiser ses patrons de mouvement en
formes spatiales diagonales ou tridimensionnelles, jusqu’à des extrêmes tels que la lourde
utilisation des axes pour les leviers ou le lancer des filets dans le cas des pêcheurs.
Laban découvre ensuite, que l’ordre de la séquence spatiale détermine un certain ordre
dans l’application de la dynamique, de la force et du temps. Il appele cette dynamique:
«l’effort». Quant à l’organisation des patrons spatiaux, il l’appele: «Choréutics» ou
«harmonie spatiale».

La spécificité humaine du mouvement en trois dimensions.


Les concepts de comportement en mouvement décrits ici, sont l’apanage de l’homme.
Grâce à la station debout, il acquiert des caractéristiques de mouvement uniques qui le
distinguent du reste des créatures vivantes: une portée plus large dans l’espace et une plus
grande variété de possibilités des patrons dynamiques et spatiaux.

Des théories contemporaines en résonance avec la théorie de Laban


En fait, Laban systématise les conséquences dynamiques et spatiales de la station
debout, à partir de l’organisation spatiale des activités humaines; il signale aussi les formes
structurelles spatialement organisées de la nature, animées ou inanimées; celles des cristaux,
des roches, celle des cellules des abeilles, des structures cristallines des coquilles et des
couvertures de protection corporelle.

640 Ici, nous parlons de l'espace environnant à sa portée, que Laban a appelé «la kinésphère».

227
Il voit que les séquences de mouvement peuvent être perçues en relation avec des
formes géométriques - le cube, l’octaèdre, l’icosaèdre - lesquelles témoignent des possibilités
multiples du mouvement de l’homme en station debout.

Ici, Laban est très proche des toutes récentes études sur la structure cristalline des
molécules des virus, et d’autres organismes unicellulaires, de même que des concepts
révolutionnaires de Buckminster Fuller (641) en architecture.

Les concepts les plus importants pour l’évaluation du mouvement


Les concepts qui deviennent cruciaux pour l’étude du mouvement sont ceux de l’ordre
de la séquence de mouvement observable à l’oeil nu, de l’utilisation des parties du corps, de
leur dessin spatial et de la variété de patrons qu’il est possible de décrire.
A partir des notions précédentes dégagées de la conception du mouvement de Laban,
Moore & Yamamoto( 642) établissent les principes suivants, qui seront présentés comme une
base pour l’application des méthodes Laban d’analyse du mouvement.

Le mouvement est un processus de changement


Le mouvement est défini communément comme un changement de position. C’est - à -
dire que, si une action commence dans un lieu donné et finit dans un autre, on infère
nécessairement de la perception de ce changement, qu’un mouvement a été accompli.
Mais, si les différences entre les positions du début et de la fin sont indicatrices du
déplacement, le mouvement en soi n’est pas une position, ni même un changement de position.
Il est encore autre chose: le mouvement est le processus du changement.
Différence subtile mais importante, car comme Laban le signale, le mouvement humain
comporte non seulement le changement de position, mais aussi des variations dans la mise en
action du corps, ainsi que de la quantité et de la qualité de l’énergie utilisée pour réaliser ledit
changement.
Autrement dit, le mouvement humain est un passage fluide et dynamique de
changements simultanés de positionnement, de mise en action du corps et d’utilisation
d’énergie.

Le changement suit des patrons ordonnés


La description du mouvement comme un «processus de changement», un «flux
continu», ou un «courant indivisible», donne très souvent à l’observateur un sentiment de
malaise dû au fait que le processus qu’il essaie de voir, cesse d’exister au moment précis où il
commence à le percevoir.

641 Buckminster Fuller, le créateur du dôme géodésique.


642 Moore & Yamamoto: Beyond Words, op. cit, page 183 et ss.

228
Sans doute, il faut un certain temps avant de s’habituer au spectacle, au déroulement
continu, du mouvement en tant que processus de changement. Mais la perception d’une petite
portion du changement, au moment où il est en train de se dérouler, est simplifiée par
l’existence, sous - jacents à l’apparence d’une fluctuation constante, d’un patron qui le
gouverne et d’un ordre qui lui évite d’être chaotique.
Les lois des arrangements séquentiels de l’alternance des rythmes de stabilité / mobilité
et d’exertion( 643) / récupération, tout comme le fait que les gens développent des habitudes
qui sont répétées, donnent au changement des patrons sous - jacents, la possibilité d’être perçus
et identifiés.

Ainsi l’ordre d’utilisation des zones du corps et de ses parties suit - elle un
enchaînement logique de séquences. De même l’alternance rythmique de la stabilité et de la
mobilité fournit un autre type de patron.
Finalement, l’utilisation de l’énergie est gouvernée par l’alternance rythmique de
l’exertion et de la récupération. De même que les phases de travail et de repos sont couplées
avec l’action involontaire du cœur et des poumons, l’alternance de l’activité et de la
récupération, est couplée avec les actions volontaires du corps entier.

Le mouvement humain est intentionnel.


« L’homme bouge (se meut) pour satisfaire un besoin» (644). L’action est toujours
guidée et elle a un objectif. Les intentions de celui qui bouge sont exposées clairement dans sa
façon de bouger.
Alors que l’utilisation du corps et de l’espace montrent l’objectif de la personne qui
bouge, Laban croit que l’utilisation de l’énergie, ou la dynamique d’une action, sont
particulièrement évocatrices de ses intentions.
Il utilise donc le terme «effort» pour délimiter les énergies dynamiques exercées lors
d’un mouvement, et il note que:

« on peut distinguer deux attitudes internes opposées, selon lesquelles l’effort
(qui précède d’une façon invariable tout mouvement) peut être fourni.

L’attitude interne de lutte contre quelque chose s’oppose à l’attitude interne


consistant à céder à quelque chose … Il n’y a pas d’action ou de mouvement sans

643 Terme anglais devenu courant dans le cadre des études sur le mouvement, pris dans le sens donné par le
dictionnaire anglais de «to take upon (oneself) the effort of doing something». Exertion fera, dans notre étude,
référence à l'effort nécessairement fourni lors de toute action, indépendamment du niveau qualitatif spécifique de
cet effort.
644 Rudolf Laban: Mastery of movement, op. cit, page 1 (Nous avons traduit de l’anglais).

229
effort - physique ou mental - et l’effort fourni sans lutte, en cédant, ne comporte pas
forcément un degré bas d’exertion. » (645)

Les éléments fondamentaux du mouvement humain peuvent être ar-


ticulés et étudiés
Au cours de ses études sur le mouvement humain dans différents contextes, Laban
découvre les éléments fondamentaux des actions physiques qui sont communs à tout
mouvement humain.

Ces éléments fondamentaux forment « L’alphabet du langage du mouvement, et il est


possible d’observer et d’analyser le mouvement dans les termes de ce langage».( 646)

Le mouvement doit être approché à des niveaux multiples pour être


compris de façon adéquate
Comme il a été dit plus haut, le mouvement est un processus fluide et dynamique qui
comporte des changements simultanés de positionnement spatial, d’activation corporelle et
d’utilisation de l’énergie. Donc, tout essai pour saisir ce processus doit inclure la description de
chacun de ces aspects, et prendre en considération la façon dont les éléments spatiaux,
corporels et dynamiques sont combinés et mis en séquence dans le mouvement en question.
L’étude du mouvement, comme la voit Laban, doit comporter des niveaux multiples
d’analyse. L’observateur doit considérer non seulement «de quoi est fait le mouvement», mais
aussi «comment il est mis en place».
C’est - à - dire que l’analyse au niveau moléculaire d’un événement donné de
mouvement( 647) nécessite d’être intégrée à l’observation des niveaux molaires( 648) pour en
permettre la compréhension.
Rappelons les principes établis par Laban: 1) le mouvement est un processus de
changement, 2) les changements suivent des patrons ordonnés, 3) le mouvement humain est
intentionnel, 4) les éléments fondamentaux du mouvement humain peuvent être articulés et
étudiés, et 5) le mouvement pour être compris doit être abordé à des niveaux multiples. Tous
ces principes sont utilisés pour nous conduire vers ce que Laban décrit comme: « l’acte

645 Idem, «The Rhythm of Effort and Recovery», dans Rudolf Laban Speaks about Movement and Dance,
éd. Lisa Ullman, page 44 (Addlestone, Surrey, England: Laban Art of Movement Centre, 1971). Cité par Moore
& Yamamoto, op. cit, page 185 (Nous avons traduit de l’anglais).
646 Idem, The Mastery of Movement, page 115. Cité par Moore & Yamamoto, ibid. (Nous avons traduit de
l’anglais et souligné en caractères gras).
647 Niveau moléculaire du mouvement: les éléments fondamentaux compris dans l'action.
648 Niveau molaire du mouvement: les lois qui gouvernent les séquences et les patrons rythmiques.

230
synthétique de perception et de fonction» (649). Ils forment la structure de ce qui est connu
comme «Les méthodes Laban d’analyse et de notation du mouvement».

Première confrontation

Pour la critique des matériaux exposés, nous verrons d’abord quel est le type d’étude de
mouvement proposé par Laban, quel est le système de classification des mouvements par
rapport à ses conceptions, et enfin quels sont les niveaux et le mode d’approche qu’il signale
comme idéaux pour la compréhension du mouvement.
Ensuite, nous continuerons par la présentation et l’examen des méthodes Laban
d’analyse du mouvement, afin de déterminer si les informations «mouvement» livrées par ces
méthodes, et les modalités pratiques de leur application, correspondent aux besoins de notre
étude de mouvement appliquée à l’apprentissage du mime corporel et à la préservation du
répertoire «Decroux».
Avant de commencer, voyons un récapitulatif des concepts dégagés précédemment et
qui seront utilisés pour cette confrontation:
1. Le contexte de notre proposition d’application des méthodes Laban à l’étude
de mouvement du mime corporel est l’apprentissage de ce dernier et la
préservation du répertoire «Decroux».
2. Dans ce contexte, les besoins de l’acteur sont:
• la compréhension des partitions du répertoire «Decroux»

• la mémorisation de ces partitions


3. Pour remplir ces besoins, l’acteur a recours à l’analyse et la notation du
mouvement avec l’intention d’obtenir les informations«mouvement» , de les
mémoriser, et d’y avoir un accès permanent, informations qui lui
permettront la répétition et la reprise des partitions dans l’entraînement.

4. Les informations «mouvement» essentielles à l’étude du mime corporel et à


la préservation du répertoire «Decroux», correspondent aux aspects
objectifs des partitions, se trouvant «en deçà» de l’interprétation de ces
dernières.
5. Les objectifs de notre proposition sont de répondre aux besoins cités. C’est -
à - dire, que le projet «Laban - Decroux» propose les méthodes Laban

649 Rudolf Laban: The Language of Movement, Plays Inc., Boston, 1974, page 4. cité par Moore & Yama-
moto, op. cit, page 187. (Nous avons traduit de l’anglais).

231
d’analyse et de notation du mouvement pour faciliter, l’obtention, et la
mémorisation des informations «mouvement» du répertoire «Decroux»,
ainsi que la possibilité d’avoir un accès permanent à ces informations.

Voyons maintenant, à partir des éléments de la théorie du mouvement de Laban,


comment les études de mouvement qu’il propose peuvent remplir ces objectifs.

Le type d’étude de mouvement proposé par Laban


Selon Bartenieff:

«Les concepts qui deviennent cruciaux pour l’étude du mouvement sont ceux de l’ordre
de la séquence de mouvement observable à vue (650), …»

Et plus loin:

«Son attention (celle de Laban) a toujours été dirigée sur des événements de
mouvement visibles: son intérêt était centré autour des façons dont l’homme (en mouvement)
a toujours…»

Ce qui nous permet de considérer que le type d’étude de mouvement proposé par Laban
correspond au contexte «processus d’apprentissage», signalé au points 1 et 4, noté plus haut.

Le système de classification des mouvements


Moore & Yamamoto affirment, dans la présentation du principe; «le mouvement est
un processus de changement», que

«…le mouvement humain comporte non seulement le changement de position, mais


aussi des changements de mise en action du corps, ainsi que de la quantité et de la qualité de
l’énergie nécessaire pour réaliser ledit changement de position»,

établissant trois directions pour des catégories générales de classification du mouvement, en


relation à la question: «quelle a été l’action?». Ces catégories sont: a) le changement des
positions, b) des changements de mise en action du corps et c) les changements de la qualité et
de la quantité de l’énergie nécessaire.
Continuons l’analyse du premier paragraphe sélectionné:

«Les concepts qui deviennent cruciaux pour l’étude du mouvement sont ceux de l’ordre
de la séquence de mouvement observable à vue, l’utilisation des parties du corps, leur dessin
spatial et la variété de patrons qu’il est possible de décrire».

650 Nous avons souligné en caractères gras.

232
Les auteurs signalent donc quatre catégories pour une classification du mouvement: a)
l’ordre des séquences de mouvement, b) l’utilisation des parties du corps, c) leur dessin spatial
et d) la variété des patrons qu’il est possible de décrire.

De plus, Moore & Yamamoto ajoutent,

«Au long de son étude des mouvement humains dans une variété de contextes, Laban a
découvert les éléments fondamentaux des actions physiques qui sont communs à tout
mouvement humain.

Ces éléments fondamentaux forment «L’alphabet du langage du mouvement: et il est


possible d’observer et d’analyser le mouvement dans les termes de ce langage».

Que nous les appelions «concepts» ou «éléments fondamentaux», une chose est
claire, ces catégories et cet alphabet du langage du mouvement, comportent des vocabulaires.
Ce qui, rapporté au matériau qui fait l’objet de notre étude, peut bien correspondre au
vocabulaire de mouvement élaboré par Decroux, et qui comprend des éléments divers dans les
niveaux: a)anatomique, b)géométrique et spatial, c)mécanique et d)dynamique ou de
l’effort.
La correspondance avec les paramètres de mouvement et le système de classification
exposés plus haut, au point 4, comme base pour notre analyse critique, apparaît clairement.

Les niveaux et le mode d’approche


De l’exposé de Moore & Yamamoto du principe: «Le mouvement doit être approché à
des niveaux multiples pour être compris de façon adéquate», nous pouvons dégager plusieurs
conclusions:
Les méthodes Laban d’analyse du mouvement sont fondées sur l’observation et la
description de l’événement du mouvement,

«…Tout essai pour saisir ce processus doit inclure la description de chacun de ces
aspects.

On doit encore prendre en considération la façon dont les éléments spatiaux, corporels
et d’énergie sont combinés et mis en séquence dans le mouvement en question».

En ce qui concerne les niveaux, le mode d’approche et l’objectif de l’étude de


mouvement, Moore et Yamamoto soulignent que:

«L’étude du mouvement, comme le voyait Laban, doit comporter des niveaux multiples
d’analyse. L’observateur doit considérer non pas seulement ‘de quoi est fait le mouvement’,
mais aussi ‘du comment il est mis en place’».

233
Ce qui nous montre que la correspondance entre les méthodes Laban d’analyse du
mouvement et notre étude de mouvement appliquée au processus d’apprentissage du mime
corporel est fondée selon les points 1, 3 et 4 signalés plus haut.

Il nous reste encore deux aspects à examiner pour pouvoir affirmer que les méthodes
Laban d’analyse et de notation du mouvement sont adéquates pour notre étude. Ces deux
aspects sont: les informations «mouvement» que ces méthodes sont capables de donner, et les
modalités pratiques relatives à leur propre application.
L’exposé et la critique des méthodes Laban d’analyse et de notation du mouvement
permettront de vérifier que ces deux aspects répondent aux points 2 et 3.

Les méthodes Laban d’analyse et de notation du


mouvement

Le système connu aujourd’hui comme les Méthodes Laban d’analyse et de notation du


mouvement, porte encore d’une façon indiscutable les caractéristiques imprimées par son
créateur, malgré l’enrichissement considérable apporté par les derniers développements de ses
collaborateurs et disciples.
Au début, l’intérêt de Laban se portait sur les arts visuels et le dessin, avant de se
tourner vers l’étude du mouvement humain. Cependant, une fois établi, l’intérêt de Laban pour
le mouvement, a atteint une largeur et une profondeur qui englobait les domaines de la danse
professionnelle et de celle des amateurs, ceux de l’étude du travail industriel, de l’éducation et
de la thérapie.

Parmi toutes ces réalisations, deux ont assis la notoriété de Laban: l’élucidation des
éléments centraux et des principes d’organisation communs à tous les mouvements et le
développement d’un système de notation du mouvement.
Dans les paragraphes antérieurs, nous avons présenté les principes qui ont guidé les
recherches de Laban sur le mouvement, principes qui sont aujourd’hui le fondement structurel
sur lequel sont construites les méthodes Laban d’analyse et d’écriture du mouvement.
Les éléments fondamentaux qui sont communs à tous les mouvements, tels que les
distinguent les méthodes Laban d’analyse du mouvement, peuvent être classés dans les
catégories générales qu’il propose: 1)l’utilisation du corps, 2)l’utilisation de l’espace et
3)l’utilisation de l’énergie dynamique.
A l’intérieur de ces catégories, nous pouvons maintenant citer des divisions primaires
qui nous seront utiles pour l’application de ses méthodes d’analyse.

234
1) La différentiation des gestes, des postures, et du type d’initiation du
mouvement, qui nous donnera les outils analytiques pour déterminer
l’utilisation du corps.

2) L’attention portée à la portion d’espace dans laquelle a lieu le mouvement, à


la forme de son parcours et à l’amplitude de l’action, est une aide pour la
description de l’utilisation de l’espace.
3) La perception des variations qualitatives des attitudes internes vis - à - vis de
l’espace, du poids, du temps et du flux du mouvement, permet de connaître
les changements dynamiques de l’effort humain.
La description complète du mouvement doit en considérer chacun des aspects:
l’utilisation du corps, de l’espace et de la dynamique, aussi bien que les séquences rythmiques
dont les variations ont lieu dans le temps.
Sans doute, le mouvement est un phénomène complexe et à multiples facettes, qui
représente un défi aux capacités d’analyse de l’observateur. Néanmoins, la terminologie et la
structure des méthodes Laban d’analyse du mouvement donnent un puissant outil pour
déchiffrer le courant indivisible et toujours changeant qu’est le mouvement humain.

La Cinétographie Laban (Labanotation)


Sous le titre «La notation (écriture) du mouvement», nous avons vu que les systèmes
d’écriture sont proposés par les méthodes d’analyse du mouvement comme une solution
multiple répondant aux besoins de systématisation de l’observation, du compte - rendu des
descriptions des actions observées et de recueil d’information.

L’analyse critique de la cinétographie Laban sera entreprise dans cette perspective; la


notation du mouvement ne sera pas étudiée comme un objectif en soi( 651), ni comme une
«écriture», mais comme un outil plus ou moins perfectible.

Présentons d’abord l’exposé de la Cinétographie Laban, fait par Ingmar Bartenieff et


Dori Lewis( 652). Il servira de base à notre analyse critique.
Dès les premières étapes de son travail, Laban avait commencé à développer un moyen
pour enregistrer les mouvements qu’il observait, en termes autant symboliques que verbaux.
Finalement Laban et ses collègues ont développé un système de notation dont beaucoup
considèrent qu’il surpasse la description verbale des événements de mouvement, parce que les
symboles utilisés communiquent de façon directe - aux notateurs entraînés - la structure et la
progression du mouvement.

651 Voir note 629 plus haut.


652 I. Bartenieff et D Lewis: Body movement, op. cit, page 218

235
L’aptitude à la notation symbolique demande une observation extrêmement précise,
alliant, dans l’idéal, une capacité réflexive à l’expérience concrète du mouvement. La notation
n’est pas un simple processus mécanique; l’enregistrement doit refléter l’expérience du
mouvement selon la conception initiale de Laban.
Le choix des symboles n’a pas été arbitraire. Le génie de leur simplicité réside dans le
rapport que les symboles individuels entretiennent entre eux, rapports qui reflètent clairement
les conceptions de Laban sur les principes du mouvement corporel.
Laban considérait Feuillet comme un maître de l’écriture symbolique, parce qu’à
travers ses symboles, il est possible de percevoir certains principes. La notation Feuillet peut
par exemple communiquer exactement le principe du transfert du poids pendant la marche, au
moyen du tracé des gestes des jambes.
L’impact dramatique et la signification des mouvements sont relevés par l’ordre dans
lequel les symboles se succèdent. En contraste, la description verbale d’un événement perd
souvent le support contextuel par des énumérations surchargées de détails qui finissent par lui
ôter toute cohérence du fait d’ambiguïtés inévitables.
Les symboles, compris dans leur contexte, représentent directement quelle partie du
corps fait quoi dans l’espace et dans le temps et avec quel type d’exertion dynamique. Le
notateur entraîné peut identifier les rythmes et les tensions du couple corps - espace dans le
mouvement; ces rythmes et ces tensions sont les clés du contenu expressif.
Cette possibilité fait la différence entre la Cinétographie Laban et la plupart des autres
systèmes de notation du mouvement, qui sont essentiellement des indicateurs du
positionnement de la figure humaine (système Benesh); ou définissent le mouvement en
termes d’angles autour des articulations (système Eshkol - Wachmann); ou choisissent des
chiffres, ou des lettres, ou d’autres abstractions qui n’ont pas de connexion graphique ou autre
avec le processus du mouvement (système Conté); ou utilisent des figures avec des traits
comme un aide - mémoire visuel des configurations du corps et de ses parties, figures qui
représentent fondamentalement des positions (système Zorn).
Systèmes «captifs», du fait qu’ils utilisent un deuxième système( 653) de référence:
chiffres, lettres, mots, notation musicale, etc. pour coder des notions anatomiques, rythmiques,
et spatiales. La Cinétographie Laban décrit la structure du mouvement - direction, partie du
corps et relation au temps - en utilisant des symboles géométriques propres, placés sur un
graphique vertical qui représente le corps et le passage du temps. Même le plus petit geste -
lever d’un sourcil ou d’un doigt - peut être consigné avec exactitude et précision( 654).

653 Systèmes «non - propriétaires».


654 Notated theatrical Danses (catalogue), Ed. Dance Notation Bureau, New York, 1988, page 5.

236
Laban devait inventer un nouvel alphabet s’il voulait développer les idées de
Beauchamps - Feuillet. Il a repris la ligne centrale de l’ancien système, qui représente la
division latérale du corps.

4° colonne: gestes de bras


3° colonne: mouvements du tronc
2° colonne: gestes de jambes
1° colonne: transferts et supports

partie gauche partie droite du corps

Figure 1: la Portée( 655)

Les colonnes immédiatement à droite et à gauche de la ligne centrale, par lesquelles


Feuillet représentait le sol, ont été utilisées par Laban comme colonnes de support, ce qui
concerne aussi, le rapport de l’exécutant avec le sol.
Finalement, Laban utilise les vieux signes de base pour les pas en arrière et en avant.
Par son placement dans le cinétogramme, le symbole indiquera les changements de la
distribution du poids et de la séquence du mouvement. De petites indications additionnelles
indiquent des nuances et des spécificités.

Figure 2 : Niveaux et directions principales( 656).

655 Marion Bastien, Jorge Gayon: «Notation de la Danse et du Mouvement», Musique & Notations, Ed. H.
Genevois et Y. Orlarey, Ministère de la Culture / GRAME, Lyon 1977. page 108.
656 Reproduite à partir de: I. Bartenieff et D Lewis: Body movement, op. cit, page 219.

237
Ces signes furent adaptés dans le schème des symboles principaux de son nouvel
alphabet. De telles adaptations en rendent méconnaissable l’origine, mais pour un oeil expert,
cette continuité est évidente( 657).

La Cinétographie Laban peut montrer avec un seul symbole: le lieu dans l’espace vers
lequel se dirige le mouvement du corps, la partie du corps qui bouge, le moment où est fait le
mouvement et sa durée.
Un «notateur» entraîné peut voir instantanément ce qui est en train de se passer, à
n’importe quel moment et pour toutes les parties du corps; par exemple si le corps et ses
parties bougent en synchronie totale ou partielle; ou bien la façon dont plusieurs événements
rythmiques - spatiaux différents peuvent avoir lieu en même temps et en différentes parties du
corps.

Méthode et paramètres d’observation


Le processus de notation du mouvement comporte la conversion des éléments de
l’espace, du temps, de l’énergie et des parties du corps concernées, en des symboles qui
pourront être «lus» et «traduits» directement en mouvement.

Figure 3: Le temps et la durée( 658).

Notation
a) La portée( 659): les signes qui servent à écrire le mouvement se placent dans
une portée. Elle est formée par le tracé de trois lignes verticales et

657 Pino Mlakar: «Thoughts of a Choreographer on the Importance of Kinetographie Laban», dans Knust,
Albrecht: Dictionary Of Kinetography Laban (Labanotation) Macdonald and Evans Ltd. Estover, Plymouth
PL67PZ, U. K., 1979. page xviii.
658 I. Bartenieff et D Lewis: Body movement, op. cit, page 220.

238
équidistantes: deux colonnes intérieures, de part et d’autre de la ligne
médiane, sont ainsi habituellement définies (Figure 1). De part et d’autre de
la portée, quatre à six colonnes non représentées complètent le
cinétogramme.
Les quatre premières colonnes de part et d’autre de la ligne médiane ont des
attributions déterminées.
b) La forme des symboles indique la direction de l’espace vers laquelle se dirige
le mouvement du corps, le remplissage des symboles nous indique le niveau.
(Figure 2)
c) La longueur des signes nous indique la durée d’exécution du mouvement,
aussi bien que le moment de son début et de sa fin. (Figure 3)
d) Par son placement dans les différentes colonnes centrales de la portée, le
symbole nous indique la partie du corps qui bouge. Dans les colonnes
externes sont utilisés les symboles du corps (Figure 4).

Figure 4: Symboles des parties du corps( 660).

659 Jacqueline Challet - Haas: Cinétographie Laban, deuxième volume, C. N. E. M. Crèpy - en - Valois, 1986,
page 1.
660 Reproduite à partir de: LabanWriter Manuel, Labanotation Software for the Macintosh ©, The Dance
Notation Bureau Extension for Education and Research. The Ohio State University Department of Dance. Colum-
bus, Ohio. 1990 - 91, page 29.

239
L’exécution du mouvement exige, selon la durée, la direction et la partie du corps
impliquée, une certaine quantité d’énergie variable, cette quantité d’énergie, qui est fonction de
la nature du mouvement et qui découle de son exécution «normale», n’a pas besoin de
notation; par contre, la qualité de l’énergie, c’est - à - dire les attitudes internes de l’exécutant
vis - à - vis des facteurs du mouvement et le contenu expressif ou fonctionnel peuvent être
consignés en utilisant la méthode d’analyse «Effort»( 661).

L’analyse de l’«effort»
Une des plus importantes réalisations de Laban (en collaboration avec F. C. Lawrence)
est la méthode d’analyse et de description systématique des changements qualitatifs du
mouvement: la méthode «Effort».
Cette méthode a pris son origine dans les concepts de «l’Eukinetics» que Laban avait
développés dans les années 20, pour la description et la compréhension de la dynamique du
mouvement, l’équivalent pour le mouvement de concepts tels que «forte», «dolce»,
«pianissimo», etc. en musique. Cette méthode était le complément de «Choreutics»( 662), qui
concernait l’analyse et la compréhension des harmonies, des dessins et des échelles spatiales.
Bien que la Cinétographie Laban (inventée en 1927) comporte quelques uns des
concepts d’effort ou de l’«Eukinetics», la méthode d’analyse «Effort» fut cristallisée
quelques années plus tard. Les premiers essais de Laban pour développer une méthode
d’analyse du mouvement d’application universelle prirent la forme d’un système de notation
du mouvement: la Cinétographie Laban ou Labanotation.
A ses origines, ce système était conçu comme une description du mouvement qui
combinait les aspects qualitatifs et quantitatifs de ce dernier. Cependant, Laban a été confronté
avec des situations où les aspects qualitatifs du mouvement devaient être vus isolés dans un
contexte particulier.
Cette situation s’est présentée pendant la deuxième guerre mondiale. En Angleterre,
Laban commençait à faire des études d’efficience pour l’industrie. Il a été confronté au
problème d’analyser et d’améliorer l’efficience des mouvements de travail des ouvrières( 663),
il fit appel à ses premières expériences d’observation des rythmes et des styles de mouvement
des artisans de l’Europe Centrale.

661 Cette méthode sera exposée à partir des textes suivants de Cecily Dell: A Primer for Mouvement Descrip-
tion, Revised Edition, Danse Notation Bureau. New York, 1977 page 5 et ss, et de Martha Davis: «Effort - Shape
Analysis of movement» dans Bartennieff, I. Davis, M. Paulay, F.: Four Adaptations of Effort Theory In Research
and teaching, op. cit, page 29 et ss. (Nous avons traduit de l’anglais).
662 Rudolf Laban: Choreutics, Macdonald and Evans. London, 1966.
663 Pendant la Deuxième Guerre Mondiale, en Angleterre, les femmes ont remplacé les hommes dans les usi-
nes. Remplacement qui a demandé l’adaptation des tâches et de l’effort nécessaire aux possibilités corporelles des
femmes.

240
Avant d’être banni par Hitler, Laban avait organisé des larges «choeurs de
mouvement» avec des paysans et des ouvriers, ainsi que des défilés et des parades où les
artisans exécutaient des «danses de travail», qui n’étaient que la mise en forme
«chorégraphique» (ou rythmique) des mouvements de leurs métiers.
L’approche de Laban pour résoudre le problème de l’efficience dans le travail était
dynamique, non pas mécanique. C’est - à - dire qu’au lieu de déterminer la façon la plus
courte, la plus rapide et probablement la plus mécanique pour réaliser une tâche( 664), il en
développait la forme chorégraphique, avec des rythmes et des patrons spatiaux qui permettaient
de conserver l’énergie et la récupération musculaire à l’intérieur du mouvement même. Ce qui
d’ailleurs était plus agréable et motivait davantage les travailleuses.
Une possibilité unique de cette approche est la description des styles individuels de
mouvement des travailleurs et l’analyse de la façon dont leur mouvement est adéquat ou non à
une tâche spécifique.
A partir de ces études, Laban et son collègue Lawrence ont publié le livre
«Effort»( 665), où ils examinent les changements qualitatifs des facteurs du mouvement.
Il n’y a rien d’étonnant dans le fait que peu de temps après, Laban étudiait le
mouvement chez des directeurs et des cadres d’entreprise, afin de déterminer d’après leur style
de mouvement, les postes les plus adéquats à leur potentiel.
Plus tard, un autre collègue de Laban, Warren Lamb, qui travaillait à l’évaluation
d’aptitude des ouvriers pour le compte des administrations industrielles, a formulé le concept
de «Shape»( 666) comme corrélatif à l’effort.
Ce concept a été développé à partir des affinités de certaines qualités de l’effort avec
des dimensions spécifiques de l’espace que Laban avait présentées dans son étude de
l’harmonie spatiale, «Choreutics». Lamb a introduit une série de symboles de «Shape»,
fondés sur de telles affinités, et qui correspondent aux symboles de «l’Effort» et aux
adaptations spatiales du corps, critères déterminants pour la mesure de l’aptitude.
C’est ainsi qu’«Effort / Shape»( 667) est devenu une méthode pour décrire les
changements de la qualité du mouvement en termes de type d’exertion et de type d’adaptation
spatiale du corps.

664 L'approche proposée par Taylor et a l'origine du "taylorisme" dans le management industriel.
665 R. Laban and F. C Lawrence: Effort, Macdonald and Evans. London, 1956. «Effort», traduction du terme
allemand «Antrieb», est le nom donné par Laban aux changements qualitatifs que font les ouvriers dans l'exer -
tion de leurs mouvements.
666 Shape, en français: «forme spatiale». Devenu un terme technique d'utilisation générale dans le cadre des
applications des méthodes Laban d'analyse de mouvement.
667 Tel qu'il est connu aux États Unis.

241
Néanmoins, Laban est allé plus loin dans l’application de sa méthode d’analyse
«Effort» en la dirigeant vers la compréhension de la personnalité et du comportement, ainsi
que le diagnostic et la thérapie des malades mentaux. Développements qui ont servi de base à
la «Danse thérapie» actuelle.

Méthode et paramètres d’observation


La méthode d’analyse «Effort / Shape» est un système pour décrire la dynamique et le
style de mouvement, avec un groupe de termes et concepts qui sont corrélatifs les uns des
autres et correspondent aux aspects qualitatifs du mouvement; à la façon ou la manière de
bouger, non à la description des actions répondant à la question: «quelle a été l’action?».
Même si le mouvement peut être décrit comme une série d’actions telles que courir,
marcher, pousser, tirer, se gratter, etc., la méthode «Effort / Shape» donne les moyens de
répondre à la question: «comment est faite l’action?». Par exemple, légèrement, saccadé, de
manière sinueuse, etc. Donc, ce qu’elle décrit est la qualité et le style, séparés du «contenu»
ou du «quoi».
Cette méthode a plusieurs applications dans diverses aires de l’étude du mouvement,
depuis la description d’un style de danse, jusqu’à celle des patrons individuels de mouvement
relatifs à la personnalité( 668), et à l’analyse des désordres moteurs ou autres.
Pour répondre aux questions: comment l’action a été faite? et comment est - il possible
de décrire d’une façon complète toute la richesse et la variation de la qualité du
mouvement( 669) (ce courant continu et indivisible), avec un nombre limité de termes? il faut
chercher les moments où la qualité de ce courant change.
Il est possible alors de constater que les aspects qui changent sont réduits en nombre:
a) ce qui change dans la qualité de l’utilisation du poids du corps.
b) les changements dans le rapport au temps de celui qui bouge.
c) l’attention, focalisée ou absente, qu’il porte aux facteurs ou caractéristiques
de l’espace.
d) les changements qualitatifs de la tension corporelle.
e) l’adaptation spatiale du corps pour créer des formes, son élargissement ou sa
condensation dimensionnelle.
f) les répétitions du mouvement relatives à certaines directions, ou qui
favorisent certaines parties du corps ou le point d’origine des mouvements.

668 Ce qui est intéressant pour les comédiens et acteurs au niveau de l'interprétation des personnages.
669 Ou ce que les chercheurs en «kinésique» appellent le «parakinésique».

242
Tous ces ingrédients se combinent constamment les uns avec les autres, se précèdent ou
se suivent, surgissent ou disparaissent. Ces changements sont reconnaissables en termes
d’éléments ou de qualités irréductibles, et leur présence ou leur absence, leurs combinaisons,
leurs séquences et leur fréquence d’utilisation composent l’ensemble des mouvements
humains.

Notation
La méthode «Effort / Shape» n’est pas utilisée de nos jours comme un système de
notation pour la préservation des oeuvres des arts du mouvement ou pour son application
pédagogique directe. Cependant, même si cette méthode a un potentiel d’application en tant
que système de notation complémentaire de la Cinétographie, ses principales applications ont
été dirigées vers les études du comportement et, pour les artistes du mouvement, uniquement
en tant qu’outil de recherche et technique d’observation.
Nous ferons la critique de la méthode de description et de notation de l’effort, sans nous
avancer dans le terrain des derniers développements, que Lamb et d’autres collaborateurs de
Laban appliquent surtout dans le domaine des études du comportement et de la thérapie.

Figure 5: Les Facteurs et les éléments de l’effort( 670)

670 Reproduit à partir de Rudolf Laban: Mastery of movement, op. cit, page 77.

243
Dans le cadre de notre étude de mouvement appliquée au processus d’apprentissage du
mime corporel, c’est la méthode originale «Effort» de Laban qui nous intéresse, en tant que
système de notation et de description des changements qualitatifs du mouvement. Voyons donc
cette méthode
Les variations qui caractérisent le mouvement humain sont déterminées par la façon
dont l’exécutant utilise son énergie. Cette exertion de «l’effort» peut à un certain moment être
concentrée sur des changements qualitatifs de l’un des aspects du mouvement suivants: la
tension ou le flux du mouvement, l’utilisation du poids, et le rapport au temps ou à l’espace.
Laban a appelé ces aspects: «Facteurs de l’effort». Les changements qualitatifs
relatifs à chacun de ces facteurs, se produisent entre deux extrêmes. Chaque extrême a été
appelé «élément» ou «qualité». (Figure 5).

Le graphique de l’Effort représente les quatre facteurs du mouvement : P = le poids,


T = le temps, E = l’espace et F = le flux. Chacun avec deux extrêmes ou éléments.

Figure 6: Le graphique de «l’Effort»( 671)

671 Reproduit à partir de: Rudolf Laban: Mastery of Movement, op. cit, page 76.

244
Les facteurs de l’effort sont toujours présents dans le mouvement, comme quantités.
Tout mouvement inclut une certaine mesure de tension et de poids utilisés; il faut mettre un
certain temps pour son exécution, qui se fait dans une dimension déterminée de l’espace.
Quand l’exécutant est concentré sur le changement de la qualité d’un de ces facteurs, il est
possible de le percevoir comme le surgissement d’une des huit( 672) qualités de l’effort.
Les changements qualitatifs dans le flux du mouvement peuvent aller de contrôlé à
libre, dans l’utilisation du poids ils peuvent varier de léger à lourd, la qualité de l’attitude
envers le temps peut aller de la rapidité à la lenteur, enfin celle de l’attention portée à l’espace
peut passer de directe à indirecte.
Au delà du fait que ces changements soient inconscients ou volontaires, il ne faut pas
oublier que la qualité du mouvement est un aspect du comportement, et qu’elle peut être
considérée comme un produit de l’apprentissage, du métabolisme, de la perception de
l’environnement ou de n’importe quelle autre cause qui puisse produire des changements dans
le comportement.

Dans son application à l’apprentissage du mime corporel, cette méthode ouvre


d’énormes possibilités pour l’étude et la compréhension du vocabulaire dynamique ou de
l’effort( 673), des codes de composition et des différents styles de jeu développés par Decroux.

Pour leur utilisation, les symboles de notation de l’effort, issus du graphique présenté
dans la Figure 6, sont placés à côté du cinétogramme qui fait la description quantitative du
mouvement analysé, de façon à ce que l’utilisation conjointe des deux méthodes en produise la
description complète.

Deuxième confrontation

Cet exposé des méthodes Laban d’analyse du mouvement permet d’en avoir un aperçu
global et de vérifier qu’elles répondent aux besoins de notre étude. Ainsi, les informations
«mouvement» que ces méthodes sont susceptibles de donner et les modalités pratiques de leur
application, seront confrontées aux besoins de notre étude de mouvement appliquée à
l’apprentissage du mime corporel et à la préservation du répertoire «Decroux».

672 Deux extrêmes de chacun des quatre facteurs.


673 Le parallèle entre le «vocabulaire dynamique» élaboré par Decroux, et les conceptions relatives à
«l'effort» développées par Laban, a été signalé auparavant par Deidre Sklar dans: «Etienne Decroux's Prome-
thean Mime», op. cit, page 68.

245
Les informations «mouvement»
Dans notre introduction, nous avons défini les informations «mouvement» qui nous
permettront la compréhension du matériau que comporte le processus d’apprentissage du mime
corporel. Ces informations peuvent se résumer comme suit:

Les paramètres du mouvement qui se trouvent «en deçà» du niveau d’interprétation, et


qui restent dans le terrain de l’apprentissage et de l’entraînement en mime corporel, sont:

• La partie du corps active et l’utilisation du poids.


• La direction de l’espace vers laquelle est dirigé le mouvement et l’amplitude
de celui - ci (qui implique le degré de contraction ou d’extension de la partie
du corps considérée).
• La façon dont les mouvements se développent: par succession, en
synchronie, en opposition, vers le centre ou vers l’extérieur, etc.
• La vitesse, le temps et l’énergie ou degré d’effort utilisés pour accomplir le
mouvement.

Ce qui correspond au vocabulaire de mouvement du mime corporel développé par


Decroux. Les éléments de ce vocabulaire correspondent aux catégories:
des parties du corps ou de l’anatomique.
des relations de géométrie inter - corporelle et spatiale.
du développement du point de vue de la mécanique.
du dynamo - rythme ou de l’effort.

Ces catégories définissent les informations « mouvement » nécessaires à la


compréhension du matériau objet de notre étude de mouvement.
Voyons maintenant l’information que les méthodes Laban d’analyse du mouvement
sont capables de donner, à partir des textes issus de leur présentation:

La Cinétographie
«La Cinétographie Laban décrit la structure du mouvement (direction, partie du corps
et la relation au temps) en utilisant des symboles géométriques …

…Par son placement dans le cinétogramme, le symbole indiquera les changements de


la distribution du poids et de la séquence du mouvement…

Les symboles, compris dans leur contexte représentent directement: quelle partie du
corps fait quoi dans l’espace et dans le temps et avec quel type d’exertion dynamique.

246
Un notateur entraîné peut voir …par exemple si le corps et ses parties bougent en
synchronie totale ou partielle ; ou la façon dont plusieurs événements rythmiques - spatiaux
différents peuvent avoir lieu en même temps et en différentes parties du corps.

Le processus de notation du mouvement comporte la conversion des éléments de


l’espace, du temps, de l’énergie et les parties du corps concernées, en des symboles qui
pourront être lus et traduits directement en mouvement.

Ce qui dans un ordre différent correspond bien à l’information de mouvement dont


nous avons besoin( 674), et qui correspond aux points 2 et 4 cités dans le résumé de ce chapitre.

La méthode « Effort »
Au sujet de l’application de la méthode originale «Effort» de Laban (675), Cecily Dell
explique:

«Il faut chercher les moments où la qualité de ce courant change.

Il est alors possible de percevoir que les aspects qui changent sont réduits en nombre:

a) ce qui change dans la qualité de l’utilisation du poids du corps.

b) les changements dans le rapport au temps de celui qui bouge.

c) l’attention qu’il porte à l’espace, focalisée ou absente.

d) les changements qualitatifs de la tension corporelle (676).

Changements de qualité qui correspondent à la catégorie rythmo - dynamique élaborée


par Decroux. Ce que confirme l’observation faite par Deidre Sklar( 677).

« La tension et la relaxation créent la dynamique du mouvement. Le concept


de «Dynamorythme» de Decroux combine la durée et la vitesse avec des degrés de
tension musculaire. Les résultats ont quelque chose de similaire aux qualités de
l’Effort de Rudolf Laban. »

674 Il serait étonnant de ne pas voir l'extraordinaire parallèle entre les travaux de Rudolf Laban et ceux
d’Étienne Decroux que cette comparaison met en évidence. Cependant, des réticences de Decroux face à la culture
Allemande de la première moitié de ce siècle, ont certainement contribué à empêcher la rencontre des deux hom-
mes.
675 Nous rappelons que les changements des aspects correspondants au Développement «Shape» de Lamb,
ne seront pas pris en compte pour notre étude de mouvement.
676 Cecilly Dell: A Primer for Mouvement Description, op. cit, page 8. (Nous avons traduit de l’anglais et
souligné en caractères gras).
677 Deidre Sklar: «Etienne Decroux's Promethean Mime», op. cit, page 68. (Nous avons traduit de l’ anglais).

247
La solution aux problèmes d’application
Nous avons vu plus haut( 678) les problèmes auxquels est confrontée l’application de
l’analyse du mouvement, rappelons - les:

L’application de l’analyse suscite des difficultés à plusieurs niveaux. Les premiers, sont
relatifs à l’expérimentateur, et à sa méthode de travail; il s’agit de:
a) L’objectivité - subjectivité de l’analyse
b) La systématisation de l’observation.
Les problèmes suivants sont relatifs au traitement et à l’interprétation de l’information
«mouvement» recueillie:

c) Les moyens pour en rendre compte.

d) Le compte - rendu, support qui contient les informations «mouvement» du


phénomène observé.
e) L’interprétation de ce compte - rendu.
Voyons les solutions que les méthodes Laban d’analyse du mouvement proposent.
En ce qui concerne l’objectivité - subjectivité de l’analyse,

«L’aptitude à la notation symbolique demande une observation extrêmement précise,


alliant, dans l’idéal une capacité réflexive à l’expérience concrète du mouvement.

La notation n’est pas un simple processus mécanique; l’enregistrement doit refléter


l’expérience du mouvement, selon la conception initiale de Laban.

Ces deux exigences de Laban quant aux modalités d’application de ses méthodes
d’analyse nous renseignent clairement sur le degré d’objectivité nécessaire de la part du
notateur.
Quant au point suivant, relatif à la systématisation de l’observation, la solution qu’il
propose en résout clairement la difficulté.
Rappelons - nous en effet que, dès l’origine, la théorie du mouvement de Laban, est
conçue comme une méthode systématique d’observation et de consignation de ces
observations, comme l’expose Bartenieff( 679):

678 Cf. Page N° 215.


679 Ingmar Bartenieff: «Laban Space Harmony in Relation to Anatomical and Neurophysiological
Concepts» dans Four Adaptations of Effort Theory In Research and teaching op. cit, page 44 (Nous avons traduit
de l’anglais).

248
« La formulation de sa théorie fut conçue comme une large structure
descriptive qui avait été mise en oeuvre pour englober la totalité des multiples
aspects de l’expression humaine par le mouvement… »

Pour ce qui est des points c) et d), notre discussion sur les notations correspondant aux
deux méthodes les a déjà résolus.

En ce qui concerne la solution du dernier problème, celui de l’interprétation du compte


rendu, il suffit de reprendre le paragraphe cité plus haut:

«le processus de notation du mouvement comporte la conversion des éléments de


l’espace, du temps, de l’énergie et les parties du corps concernées, en des symboles qui
pourront être lus et traduits directement en mouvement.»

L’avantage des méthodes Laban d’analyse du mouvement, est qu’ils furent conçus
comme triade «Analyse - Notation - Cinétogramme».

Pertinence et faisabilité

L’aptitude des méthodes Laban d’analyse et de notation du mouvement à répondre aux


besoins de l’acteur en ce qui concerne:

• l’obtention des informations «mouvement» (680) nécessaires à l’étude du ma-


tériau - objet( 681) d’apprentissage
• l’élaboration des supports extra - corporels de mémoire( 682) (ou mnémo - re-
lais) qui permettront la reprise et la répétition des partitions dans
l’entraînement

• l’accès permanent aux informations «mouvement» des partitions du répertoire


«Decroux»( 683)

permet d‘établir que l’application proposée en est pertinente, ce qui nous permet de poursuivre
l’examen des implications que notre proposition soulève.
En effet, nous avons vu jusqu’à présent que:

680 Information de mouvement: ce sont les valeurs concrètes relatives aux paramètres qui caractérisent cha-
que mouvement ou exercice. L'obtention de cette «information» est l'objectif principal de l'analyse du mouve-
ment, selon la définition donnée plus haut.
681 Le répertoire «Decroux».
682 Nous avons défini la mémoire du répertoire «Decroux» comme: l’ensemble des fonctions de conserva -
tion, de restitution et d’accès permanent des / aux informations «mouvement» des compositions d’Etienne De-
croux.
683 Idem.

249
• les besoins qui ont motivé notre projet sont réels (chapitres 3 et 4).
• l’application des méthodes Laban d’analyse et de notation du mouvement à
nos matériaux «mouvement» ( 684) est pertinente (chapitre 5).

mais il reste encore à introduire:


• les propositions du projet Laban - Decroux, lesquelles représentent quelques
unes des possibilités de modification des conditions actuelles de communica-
tion, mémorisation et préservation des informations «mouvement» des parti-
tions du répertoire «Decroux» (chapitre prochain).
Cependant, pour être en mesure d’évaluer théoriquement l’apport et l’intérêt du projet
Laban - Decroux, tout en gardant une approche physique du sujet, deux fondements de cette
réflexion ne doivent pas être perdus de vue: les conditions d’existence de notre objet, le
répertoire «Decroux», et les conditions de réalisation de ce projet.

les conditions d’existence de notre «objet», le répertoire «Decroux», sont:

• la matérialisation par l’exécution physique du mouvement qui le caractérise,


et qui est la seule matérialisation possible

• la maîtrise du langage du mime corporel par les acteurs qui réalisent ladite
exécution.

les conditions de réalisation du projet Laban - Decroux, sont:

• son rattachement à un centre de formation physique de l’acteur, fondé sur


l’apprentissage et la pratique du mime corporel et dirigé par un acteur ou une
actrice qui, ayant la maîtrise physique du mime corporel, l’apprend à d’autres
acteurs, l’utilise sur scène et, d’autre part, a la mémoire du répertoire
«Decroux».
• son accompagnement par un cours de cinétographie Laban adressé aux acteurs.

684 Le répertoire «Decroux».

250
chapitre 6

Les Propositions 1998 du projet

« Laban - Decroux / notation du


mime corporel »

Ce chapitre présentera et commentera les modalités du projet. Pour remplir les objectifs
assignés dans la méthodologie de notre bilan, il devra répondre aux questions suivantes:
En ce qui concerne la communication des partitions du répertoire «Decroux»pour
l’apprentissage du mime corporel:

• comment les cinétogrammes, en tant que moyens de communication, détermi-


neraient - ils (théoriquement) l’apprentissage?
En ce qui concerne l’élaboration des notes d’étude pour l’entraînement, à partir des
partitions du répertoire «Decroux»:
• comment les méthodes Laban d’analyse et de notation du mouvement détermi-
neraient - elles (théoriquement) l’étude, la reprise et la répétition des partitions
dans l’entraînement?
En ce qui concerne la préservation des partitions du répertoire «Decroux»:
• comment les cinétogrammes, en tant que supports extra - corporels de mé-
moire détermineraient - ils (théoriquement) la préservation?

Ce chapitre contiendra:

D’abord, l’exposé du projet «Laban - Decroux / notation du mime corporel»:

• Les objectifs et conditions.


Ensuite, le développement et des exemples de modalités de l’application proposée
des méthodes Laban d’analyse et de notation du mouvement:
• l’utilisation des cinétogrammes,
- comme moyen complémentaire de communication du répertoire «Decroux» dans
l’apprentissage du mime corporel,

- comme supports extra - corporels de mémoire du répertoire «Decroux» pour la


préservation du mime corporel.

251
• l’utilisation de la cinétographie Laban comme méthode d’analyse et de nota-
tion du mouvement dans l’élaboration des notes d’étude et aide - mémoire né-
cessaires pour l’entraînement.

Et enfin, quelques exemples.

Préambule
La notion de répertoire d’Étienne Decroux utilisée communément, désigne l’ensemble
de ses oeuvres majeures. Dans le contexte de ce projet, nous élargissons cette signification en
y rattachant les développements de Decroux concernant le langage du mime corporel, en
partant de ses définitions et de son vocabulaire, ses exercices d’apprentissage - entraînement et
jusqu’à ses figures de style. Dorénavant, il sera désigné comme: le répertoire «Decroux».

Proposition

Nous proposons l’application des méthodes Laban d’analyse et de notation du


mouvement au mime corporel et au répertoire «Decroux»( 685), afin de concourir à la
préservation de celui - ci, et à sa compréhension et mémorisation dans le cadre de
l’apprentissage du mime corporel. L’intention de cette application est de faciliter aux acteurs
en formation:

• l’obtention des informations «mouvement» (686) nécessaires à l’étude du ma-


tériau - objet( 687) d’apprentissage.
• l’élaboration des supports extra - corporels de mémoire( 688) (ou mnémo - re-
lais) qui permettront la reprise et la répétition des partitions dans
l’entraînement.

• l’accès permanent aux informations «mouvement» des partitions du répertoire


«Decroux»( 689).

685 Selon la définition donnée plus haut.


686 Information de mouvement : ce sont les valeurs concrètes relatives aux paramètres qui caractérisent cha-
que mouvement ou exercice. L'obtention de cette «information» est l'objectif principal de l'analyse du mouve-
ment, selon la définition donnée plus haut.
687 Le répertoire «Decroux».
688 Nous avons défini la mémoire du répertoire «Decroux» comme: l’ensemble des fonctions de conserva -
tion, de restitution et d’accès permanent des / aux informations «mouvement» des compositions d’Étienne De-
croux.
689 Idem.

252
Objectifs
La proposition de «Notation du mime corporel» a comme principal objectif de
soutenir les acteurs, en ce qui concerne les domaines de:
l’apprentissage: dans la communication et la mémorisation des partitions du
répertoire «Decroux»
l’entraînement( 690): dans l’élaboration des notes d’étude et aide - mémoire à partir
de ces partitions
la préservation: dans la mémoire( 691) des «textes» de ces partitions

Cette application consiste dans :


• l’analyse et l’écriture du mouvement du vocabulaire du mime corporel, des
exercices et des figures de style qui permettent l’assimilation et la maîtrise de
celui - ci, en vue d’une pratique spectaculaire et / ou pédagogique postérieure.

• la notation des pièces de répertoire d’Etienne Decroux.

Ce projet a pour but :


• la création d’un corpus cinétographique du répertoire «Decroux» le plus
complet possible pour son utilisation par les acteurs, dans l’apprentissage du
mime corporel, en tant que support extra - corporel de mémoire, moyen de
communication, et outil pédagogique.

• l’introduction de cette application comme outil pour l’étude du mime corporel


et pour la mémoire du répertoire «Decroux» à usage général.
• la possibilté d’ouvrir l’accès à la protection juridique du répertoire par le biais
des supports cinétographiques( 692).
• la création d’une mémoire écrite afin de constituer la base d’une «littérature»
du mime corporel.

690 Après notre exposé sur l’apprentissage et la préservation, nous considérons l’entraînement comme le seul
moyen de rester en possession physique du langage du mime corporel donc, le projet Laban - Decroux l’intègre
comme un élargissement logique du terrain d’application des méthodes Laban d’analyse et notation du mouve-
ment.
691 Voir note N° 688.
692 Un de leurs usages les plus significatifs.

253
Ce projet entend :
• un travail en concertation avec les anciens assistants de Decroux( 693) qui se-
raient intéressés. Leur participation amènerait un intérêt non négligeable.

• un travail d’adaptation de la cinétographie Laban à la spécificité du mime cor-


porel.

• un travail d’équipe selon le cadre méthodologique proposé( 694) plus bas.

Principes généraux de méthodologie


Considérés comme idéaux, voire indispensables, pour la réalisation du projet. Le travail
proposé devra se faire de façon:

Systématique, afin de couvrir, au mieux possible, l’étendue du matériau visé.

Progressive, par degrés de difficulté d’exécution physique, ce qui permettra


l’adaptation progressive du travail des notateurs à la spécificité du mime
corporel.

Par thèmes, en suivant des plans élaborés à propos d’un thème déterminé.

ainsi,

La Notation et l’exécution, devront faire référence au mouvement exécuté par des


anciens assistants de Decroux; le cas échéant par un élève de ces derniers,
sous leur supervision directe( 695).

Les études théoriques. L’étude de la théorie du mime corporel, selon les


propositions d’Étienne Decroux, pour l’élaboration des notes pédagogiques
d’accompagnement sera faite d’après ses écrits, ses conférences et tout autre
document disponible. Les souvenirs et l’expérience des anciens assistants
sont certainement des sources à ne pas négliger et à consulter avec le même
soin et intérêt.

Les étapes
La méthodologie pour la réalisation de ce projet comprend les étapes suivantes:

693 La première phase de ce projet a bénéficié de la collaboration de. S. Wasson et C. Soum.


694 Voir la Figure 7: Diagramme de flux du projet «Laban - Decroux, en page N° 255
695 Fondamentale, si l'on veut que notre «mémoire» soit une référence la plus proche possible au travail de
Decroux.

254
Figure 7: Diagramme de flux du projet «Laban - Decroux»

255
La Classification des matériaux
Cette étape consiste dans l’identification des matériaux à noter et dans leur organisation
à l’intérieur du vocabulaire et des classifications développés par Decroux.
Dans la mesure du possible, les parallèles nécessaires avec d’autres classifications
existantes seront établis afin de garder les liens entre les noms et les appellations d’origine et
ceux en usage courant.

Études systématiques
Cette proposition présente deux lignes méthodologiques pour l’étude de nos matériaux,
afin de couvrir le mieux possible leur étendue.

Progressives
En suivant les degrés de difficulté de notation, de complexité technique ou d’exécution.
Par exemple: l’étude de l’ondulation en un seul plan suivi de celle de l’ondulation en triples
dessins, etc.

Thématiques
En suivant des thèmes précis, tels que l’étude des contrepoids, le travail des bras et
mains, l’étude des annelés, etc.

Analyse et notation (travail correspondant aux mimes - notateurs)


Une fois déterminées les études à faire, les méthodes Laban seront appliquées selon la pro-
cédure décrite dans la figure 7.L’analyse du mouvement des matériaux et leur notation ciné-
tographique
A faire en collaboration active avec d’anciens assistants de Decroux, d’après leur
propre exécution on celle d’un de leurs élèves sous leur supervision directe.

Établissement de glossaires et recherche des formules


Une des premières actions du projet, en ce qui concerne l’étude des éléments du
vocabulaire, sera l’établissement des glossaires et la recherche des formules de notation
adaptées. Ces développements serviront de fondement à notre application en en facilitant
l’usage aux notateurs à venir et notamment aux futurs lecteurs.

Élaboration des notes de Style


Chaque fois que la notation du mouvement sera utilisée de façon unique et adaptée à
notre matériau les notes de style en rendront compte.

256
Figure 8: Diagramme de flux optionnel

257
Vérifications (Travail à réaliser avec la participation de personnes
externes)
Vérification de Notation(écriture)  (696)
Par des notateurs expérimentés suivant un double processus de vérification -
correction(actuellement réalisée par Mme Jacqueline Challet - Haas( 697).

Vérification de reconstitution (lecture) (698)

Cette dernière étape est hors du cadre de la première phase du pro-


jet, car elle necessite la participation de « lecteurs », qui seront alors
des « exécutants ». A réaliser sous la supervision d’anciens assis-
tants de Decroux. La réalisation de cette étape du projet constituera
une garantie du succès de l’effort engagé pour la création d’une
« mémoire » écrite, outil au service de l’apprentissage du mime cor-
porel et de la préservation du répertoire « Decroux ».
Gestion Documentaire
Archives
Les mimes - notateurs(en premier ressort) auront la responsabilité de la classification
des documents(cinétogrammes, notes et articles) issus ou produits tout au long de la réalisation
de ce projet. Ce travail documentaire sera idéalement à l’origine de la création d’une
bibliothèque / médiathèque sur le mime corporel.

Bibliothèque / Médiathèque
Dans l’idéal, la création d’une bibliothèque / médiathèque contenant les
cinétogrammes, livres, articles, thèses et autres documents audio et / ou en images relatifs au
mime corporel serait souhaitable. Cette étape n’est pas indispensable dans le cadre du projet.

Applications

Pédagogiques (Préservation, communication et étude)


Les cinétogrammes produits de l’écriture du mime corporel et du répertoire
«Decroux» seront une base pour en développer la mémoire et la communication par l’écrit.
Les notes théoriques produites pourront faire partie de l’information dispensée aux
élèves au sein des écoles dans le cadre de leur apprentissage. Enfin, l’utilisation de la

696 Voir la liste au jour des cinétogrammes vérifiés en écriture dans «l’État des lieux 98» dans les annexes.
697 Présidente du Centre National d’Écriture du Mouvement et membre expert de l’ICKL (International Coun-
cil of Kinetography Laban).
698 Voir «L’État actuel des cinétogrammes» dans «l’État des lieux 98» dans les annexes.

258
cinétographie Laban comme méthode d’écriture pour l’élaboration des notes d’étude sera à la
portée des acteurs (apprentis - mimes) qui s’y intéresseraient.

Spectaculaire (reconstitution)
L’utilisation des cinétogrammes des pièces de répertoire n’est envisagée que comme
«support - mémoire» pour leur étude. La reconstitution du répertoire à des fins spectaculaires
bien que possible, n’est souhaitable que sous la supervision directe des anciens assistants de
Decroux et avec l’autorisation de ses ayants - droit.

Option de complémentarité
Cette option comprend l’utilisation des supports «vidéo», en tant qu’outils de
documentation accessoires à l’analyse et à la notation. Les vidéos et les cinétogrammes
produits seront des supports de communication et de mémoire complémentaires ayant les
mêmes applications (Figure 8), ce qui ne doit pas modifier outre mesure la structure du cadre
méthodologique proposé.

Exemples

Les documents suivants sont une compilation des développements correspondants aux
propositions de ce projet dans leur état actuel (1998). Ils ne sont et ils ne prétendent pas à être
définitifs. Ils ne montrent que des axes possibles pour une application des méthodes Laban
d’analyse et de notation du mouvement au mime corporel. Sont inclus en fin de texte, quelques
cinétogrammes.

Grilles de classification proposées


Ces grilles non exhaustives sont fondées sur la définition de chaque objet d’étude, à
partir de thématiques précises et en fonction de leurs caractéristiques essentielles de
mouvement.

Facultés radicales

Thème Nom Version


Extension La corde La statuette
Rotation des bras
Rotation de Buste
Extension La corde Inclinaison de Buste

259
Thème Nom Version
Le lapin à la verticale en 1ère
en 2nde
en 4ème
Comédie musculaire
La tour Eiffel Inclinasion latérale appui tendu
appui fléchi
Le tronc Inclinasion
Translation
Colonne vertébrale Concavité de ceinture couteau dans le ventre
Convexité de poitrine la goutte d’eau froide
Jambes et pieds Rotation coxo - fémorale Balançoire
Articulation - extension - pliés et relevés
flexion
Appuis des pieds
Descentes, Dans l’eau à la verticale
chutes Buste en avant
Buste en arrière
Dans le tombeau
Les genoux Vers l’avant
descendent Latérale
continuellement Diagonale
Buste en 3D’s
Montées Envol
Travail au sol

Scolarités

Thème Nom Version Variation


Contrepoids Sissonne à la verticale
à la TE inclinée
à la translation
Contrepoids Suppression Coupé Sur tronc droit
de support Sur place Sur tronc droit +
déplacement (tran-
slation)
Sur tronc incliné +
inclinez max.

260
Thème Nom Version Variation
Contrepoids Suppression à la 1ère
de support 1ère à 1ère
2nde à 4ème en profil Sur tronc droit
Sur tronc incliné
Étais latéraux
en profondeur
Diphtongue
Canon
Chassé
Tomber sur la Tête décomposé
enchaîné sans décoller les
pieds
en sautant
en sautant + dépla-
cement
Cardeuse décomposé poids avant
poids milieu
poids arrière
sautée
en annelé
Piston
Extenseurs sur le toit
Scolaires niveau d’eau
sur la - V -
devant
croisé
Chassé + bascule
croisé, buste 3D
Exercices Poussées latérales
Sissonne + transla-
tion (le chien)
Sissonne TE inclinée
chevalier de carton
Sissonne l’épaule contre la
porte
l’épaule sous
l’étagère

261
Thème Nom Version Variation
Dynamo - rythmes Toc moteur
Dynamo - rythmes Toc butoir
Toc absolu
Ponctuation
Vibration
Antenne d’escargot TE sur translation
bras / mains
Tête la dame de Nice
(c’est encore Elle)
tête la mauvaise nou-
velle
Dieu
Triphtongue sur une
ligne (ricochet)
Gravure
Trait de violon de TE à TE
sur un bras
sur deux bras
Résonance
Fondu
Ralenti
Absence d’accent
statique
Ressort spiroïde
Pression
Causalités Bâton
Ficelle
Bateau (départ im-
perceptible)
Nuage
Chiffon
Queue de poisson sur un bras la gaze
sur deux bras la soie, le voile
Ski sur un bras
Doubletake (tête) Simple
Double
Bras Formes Épée

262
Thème Nom Version Variation
Aile d’aigle
Aile d’aigle à
l’envers
Bras Formes bras en cerf
bras en couronne
sorcière du moyen
âge
l’oiseau de feu
Cape mouillée
bras en lierre
l’ange sur le bal-
connet
Pamplemousse - >
main d’offrande
hélicoptère (protec-
tion)
catch à l’envers
(dans la statuaire)
Niveaux Toit
D’eau
la - V -
Plans Latéral
Frontal
Porte - voix
Ange de feu
Gammes Progressive
Dégressive
Ondulation Base fixe
Compensation
Mains Symétriques Palette
Trident
Coquille
Salamandre
Marguerite
Asymétriques Désignation
Toucher
Prendre (petit objet)
Négligence

263
Thème Nom Version Variation
Positions il pleut
mendiant
exercices Schubert
Exercices La voiture
des bras la queue de
et mains l’hippocampe
La queue du chat
Show - biz
changement d’aile trois mouvements
d’aigle à la - V - deux mouvements
Schubert
La voiture
Annelés… progressif aller
… base fixe retour
dégressif aller
retour
… compensé progressif aller
dégressif aller
… double vers le haut
compensé vers le bas
De courbe à courbe base fixe progressif
dégressif
compensé progressif
dégressif
Translation sur progressif aller
une courbe retour
Translation sur dégressif aller
une courbe retour
Rétablis à partir d’une
courbe (aller cher-
cher)
Ondulation main sur bras plusieurs niveaux
Avant - bras et plusieurs niveaux
main
Bras / avant - bras /
main
Avec le buste Buste + bras réso-
nance

264
Thème Nom Version Variation
Bras + Tire / pousse
buste
en singe
Les yeux Yeux peints
Yeux remorqueurs
Les yeux Yeux en retard
Gammes Dessins simples Latérale
Profondeur
Rotation
Triples dessins
Translation latéral progressif
dégressif
profondeur
Contradictions Dessins simples latéral
profondeur
rotation
Triples dessins simples
multiples
Amputations Triples dessins simples
multiples
Rétablis Dessins simples au milieu normal
l’icelander
tahitienne
piston
à la TE
à la 5e / 1ère
à la 5e / 1ère (du côté
du poids)
à la TE
avec déplacement /
chassé
à partir d’une
courbe
à partir d’une droite
= tête fixe

265
Thème Nom Version Variation
à partir d’une droite
(sans déplacement)
= base et direction
fixes
Triples dessins à la T. E. en 3D’s
Annelés Base fixe Progressive
Dégressive
Compensation Progressive
Dégressive
Annelés la belle courbe
Exercices (plan latéral)
Le tremblement de
terre en St - Fran-
cisco
Retour en branche
Tête / buste / tronc latéral en 1ère
profondeur en 4ème
rotation en 2nde
Triples dessins
de courbe à courbe progressif
/ translation de tête dégressif
Ondulation Base fixe Progressive
Dégressive
Compensation Progressive
Dégressive
Scoop
Casque à pointe
Pas du duo
Ballonnet
Peau de banane
Le lion
Pas de Basque droit
le bon
le méchant
Le moulin à vent
Le quart de Valse
esquive / petit cha-
ton

266
Thème Nom Version Variation
Marches Soldat anglais droit
appui devant
tendu derrière
New York
Polonaise droit
Napoléon
La maîtresse
d’école de jeunes
filles
Marches Polonaise Balade (bras en
appui corde, épaules en
tendu cintre)
Base
Neutre
Sans accent statique
Des Anges sur les nuages
La Belle dame simple
qui reçoit un com-
pliment
Marche de luxe
Marches Du Sport
appui Le haleur
fléchi Chevalier du moyen
Âge
Entrée de l’Usine
Guetteur
Course dans le brouillard
Marche dans le trou
Liverpool
Tours Par accroc orteil (par terre)
talon (en l’air)
+ Translation du
tronc (contrepoids)
Tour ainsi - dessiné
Chapeau mexicain
le grand tour
Envol en tournant

267
Thème Nom Version Variation
envol en tournant +
chapeau mexicain +
le grand tour
En marchant

Figures de Style

Thème Série Nom Version


Déplacements Explosion en profondeur
et implosion en 3D’s
Déplacements Chasseur antique
(chassés)
St. Jean - Baptiste
Le canoë
l’extenseur chassé
croisé
Le filet du pêcheur
Poisson plat
l’école de poissons
Petrushka
L’attaque du che-
valier
Le semeur
La fourche
Le faux
Le gondolier
La princesse
Le garçon du café
Le serveur
Steve’s
Homme de sport Homme des îles le cocotier
(l’homme primitif)
Homme de peine Sonneur de cloche
Le saladier
La tache
Le puits
La valise

268
Thème Série Nom Version
désigner L’idiot
Énervé
Travail Le forgeron
la hache Par le bas
Horizontale
Par le haut
Sport Extenseurs GGa
professionnels GDa
L’homme fort du
Boulevard du Tem-
ple
Homme de sport Sport l’haltérophile
Lanceur de poids
Le discobole
Homme de salon La pensée pure
L’écoute
le huit Horizontal
Vertical
Désignations Petit
Le juge
Le bras éternel
Théocrate
Gendarme
Les offrandes Classique DDA
Supp de support et
3 / 4 rond de buste
pied de nez
La belle figure
L’homme des îles
Le berger
Prise et pose DDA
DGA
DDa
DGa (Quasimodo)
Comme dans l’eau
Boire un verre en
26 mouvements

269
Thème Série Nom Version
On boit un coup
(3D)
Prendre sans regar- Progression (du
der, poser sans voir plus léger au plus
lourd
poser en haut
doute, poser à côté
changement, fina-
lement derrière
Les adieux Le lys dans la val-
lée
la jeune fille du
boucher
le fils prodige
Homme de salon Les adieux au - dessus de la
tombe
Le câlin au petit
animal
Le mousquetaire
L’épée du général
Le voleur de tartes
le joueur de cartes
au bar le maître d’hôtel
C’est pour vous
La chope de bière
l’affichiste Lignes
Le point - le pin-
ceau
Points
Le huit
le pic fleurs
La prière
St. Sébastien
Le scientifique
Tiré par une force Main
extérieure Pied
Le Chat

270
Thème Série Nom Version
Espoir - desespoir
(toucher et être tou-
ché)
Les cheveux dans le
bain
Caresse sur le dos
de Vénus
Le baiser
L’amour en trois
actes
Le tiroir
Statuaire mobile Endymion
Le serpent dans le
tube
Homme de songe Le dernier verre

Pièces de répertoire

Catégorie Thème Nom


Solos La vie artisanale Le menuisier
La lavandière
La pensée, Le prophète
le souvenir, La méditation
le songe La femme oiseau
Le fauteuil de l’absent
Lyrisme politique( 699)
Duos l’homme de sport Combat antique
l’homme de salon L’esprit malin
Duos amoureux Croisements du matin
Réveil (Le matin)
Dieu les conduit
Ils regardent autre chose
Groupes L’usine
Statuaire mobile Les arbres
Petits soldats( 700)

699 A notre connaissance, les seules traces de cette pièce seraient les souvenirs de ses témoins (des élèves de
Decroux autour du début des années 80, et les souvenirs de sa seule interprète (?).

271
Catégorie Thème Nom
Passage des hommes sur la
terre
Pièces d’autres répertoires ( 701) Alpha
Le sommeil
La chaise
Le journal
La Table
La table, la chaise et le verre

Études systématiques

Exemples des listes progressives


Listes progressives pour l’analyse et la notation du mouvement. Il est important de
noter au minimum un exemplaire de chaque exercice ou définition du vocabulaire en
enrichissant à chaque fois les glossaires et en développant parallèlement les «notes de style»
et les «formules» nécessaires( 702). Pas de variations compliquées pour le moment

Notation des bras

Gammes plan latéral Il pleut Progressive


(différentes plans Dégressive
possibles) mendiant Progressive
Dégressive
Ondulation

Notation des scolarités

Gammes Plans simples


Triples dessins
Contradictions Plans simples
Triples dessins
Annelés Plans simples Base fixe Progressive
Dégressive
Compensation Progressive
Dégressive
En 3D’s

700 A notre connaissance, les seules traces de cette pièce seraient, autre les textes que Decroux lui a dédiés,
quelques photos et les souvenirs de ses interprètes vivants (première à Tel - Aviv, Israël, 1950).
701 Nous connaissons ces pièces de Thomas Leabhart, d’après l’enseignement reçu de Steven Wasson.
702 Voir plus loin «Adaptations».

272
Exemple d’étude thématique
Notation des annelés
La notation des annelés est à notre avis un sujet fondamental d’étude dans la mesure où
elle contient des pièges d’analyse et des problèmes complexes de notation qu’il est nécessaire
d’essayer de déjouer et auxquels il faut proposer des solutions vraisemblables. La complexité
de notation a pour origine la façon singulière par laquelle les différents éléments du tronc
participent à la construction des annelés, ce qui est unique au mime corporel.

Notre intention est de mettre en relief les rapports existant entre les différents
composants corporels (spécifiquement ceux du tronc( 703)), les aspects géométriques et
mécaniques des mouvements possibles pour la construction des annelés avec leur notation.
Pour cette étude, il nous semble pertinent de limiter l’analyse et la notation du
mouvement aux annelés les plus simples, ceux qui en l’occurrence devraient être en même
temps représentatifs de la richesse, de la variété et de la complexité de cette «forme».
Nous nous servirons en tant que base, des annelés construits à partir d’une droite, cette
fois - ci celle définie comme: la station debout (droite verticale) en seconde et quatrième
positions. Les autres possibilités de construction, telles que les annelés construits à partir d’une
droite diagonale, à partir d’une courbe, en première position, sur les genoux, etc. ne seront pas
utilisées.
A la fin de notre étude sur la notation des annelés, nous devrons être en mesure de
proposer en glossaire, des «formules»( 704) de notation «standardisées» des différents
annelés, applicables aux diverses situations de mouvement dans la pratique du mime corporel.

Notion de: degré d’implication, pour la définition de l’amplitude des annelés.

Définition
Les courbes ou annelés sont la première forme complexe construite dans l’esprit de la
géométrie corporelle. L’inclinaison d’un élément corporel s’ajoutant à celle du précédent en
serait la définition plus simple.
Si nous parlons d’inclinaison latérale (cf. cinétogramme 30 dans les annexes), à la fin
du mouvement qui nous mène à la construction de l’annelé (temps 6 du cinétogramme), nous
avons affaire à un dessin corporel similaire à:

703 Dans l'esprit de M. Decroux : bassin, taille, poitrine, cou et tête. Cf. «Glossaire d'Anatomie du mime cor-
porel», plus loin.
704 Voir «Formules» plus loin.

273
lequel est l’annelé le plus simple. En analysant les deux cinétogrammes (30 et 74) plusieurs
questions se profilent en rapport aux annelés et à leur notation.
Pourquoi deux cinétogrammes?
Pourquoi deux portées sur chaque cinétogramme? Ici, chaque portée est une réponse en
soi, et chacune montre une des façons de construire l’annelé: Progressive ou Dégressive.
Pourquoi les angles des éléments corporels (et l’amplitude finale) de chaque annelé
noté sont - ils différents?( 705)

Différents annelés
La liste suivante prend en compte seulement les annelés choisis comme base pour notre
étude.
Absolu (150° et 135°)
• global (tout intervient à 30°)( 706)
• partiel (tête, buste, tronc à 45° chacun)
Scolaire (75° et 90°)
• Global (par pas de 15°)
• Partiel (par pas de 30°)
Petits annelés
En rotation
• Absolu (225°)
• Scolaire (135°)

705 Les réponses à ces deux dernières questions ont été trouvées quelques mois plus tard, actuellement elles se
trouvent sur des notes manuscrites en attente d'une étude plus approfondie avant leur publication.
706 Sous un principe idéal d'égalité ou de «solidarité musculaire».

274
Construction fragmentée (ou géométrique) (707)
Base fixe, progressive
• Latéral en 2ème
• Profondeur en 4ème, en avant
• Profondeur en 4ème, en arrière
Base fixe, dégressive
• Latéral en 2ème
• Profondeur en 4ème en avant
• Profondeur en 4ème en arrière

Construction continue (ou mécanique)


Le passage du mode géométrique au mode mécanique n’est en effet pas autre chose que
le développement lié des mêmes mouvements (sans prendre en considération les changements
dans la dymamique - effort, qui seraient révélés par une application plus approfondie de
l’analyse). L’importance du travail à faire tient dans le fait qu’il permet d’arriver à la maîtrise
de l’amplitude des annelés, de la vitesse et de la précision dans leur construction.
Base fixe progressive
• Latéral en 2ème
• Profondeur en 4ème en avant
• Profondeur en 4ème en arrière
Base fixe dégressive

• Latéral en 2ème
• Profondeur en 4ème en avant
• Profondeur en 4ème en arrière
En compensation progressive
• Latéral en 2ème
• Profondeur en 4ème en avant
• Profondeur en 4ème en arrière
En compensation dégressive
• Latéral en 2ème

707 Pour une meilleure clarté, cette approche introduit certaines notions de développement mécanique du
mouvement sans impliquer encore des notions de dymamique - effort.

275
• Profondeur en 4ème en avant
• Profondeur en 4ème en arrière

Ondulation
progressive

• base fixe
• en compensation
dégressive
• base fixe
• en compensation

Rétablissement
à la diagonale
à la verticale
dans le cas d’une étude systématique des annelés, il serait possible d’y ajouter:
• des commentaires et notes de Decroux
• des exercices et figures avec des annelés en une dimension
• le passage aux annelés en trois dimensions (triple dessins: 3D’s), en suivant
le cheminement décrit pour les annelés à une seule dimension
• des exercices et figures avec des annelés en 3D’s

Adaptations

Glossaires
Les glossaires contiennent ce que nous pouvons appeler des «définitions en
mouvement». Ils font la relation entre la notation et le vocabulaire, c’est - à - dire, l’analyse
d’un élément du vocabulaire dans son expression nécessaire et suffisante.
Leur utilité sera d’enrichir les sources d’information pour l’apprentissage de la notation
appliquée au mime corporel, et dans l’avenir ils pourront être utilisés comme une base d’étude
dans les deux disciplines.

276
Exemple:
Glossaire d’Anatomie du mime corporel

Ce glossaire commence avec quelques citations de Decroux, extraites de «Paroles sur


le Mime»( 708) afin d’introduire de façon théorique la division anatomique propre au mime
corporel.

Puis, il poursuit avec les définitions et descriptions de chacun des éléments


anatomiques; selon l’anatomie traditionnelle, selon Decroux et enfin les symboles Laban qui
seront utilisés comme référence tout au long de ce projet, sauf indication précise.
Citations
I. L’esprit est égalitaire, et le corps ne l’est pas (709)

II. Si je regarde le corps nu et vertical d’un homme, j’en vois l’enveloppe. La


forme de celle - ci vaut plus qu’un tube. Elle impose à mon esprit une division
d’anatomie extérieure. Je vois comme des pays, j’incise des frontières. Le
vocabulaire me confirme et je dis : tête, cou, poitrine, etc. C’est ainsi que regarde le
corps, celui qui se propose de faire une marionnette, ou une maquette articulée pour
le sculpteur.

Toutes choses étant égales d’abord :

Puisque la cuisse en inclinant garde la forme qu’elle avait dans le corps


vertical, le cou en inclinant doit garder, lui aussi, la forme qu’il avait dans le corps
vertical. Et la ceinture, de même.

C’est le principe d’égalité dont notre esprit d’abord réclame l’application,


dont notre corps d’abord refuse l’application

En certaine circonstance, je puis désirer que le corps s’articule comme un


train de wagons s’articule en tournant

Le corps me doit au moins d’être en état de le faire.

Voici une comparaison pour faire clairement comprendre l’exécution :

Imaginons un collier de grosses perles. On en ôte le fil.

On le remplace par une tige absolument inflexible.

708 Paroles sur le Mime, op. cit.


709 Ibid, page 90.

277
Dès lors, les perles se suivent en ligne droite. Et l’on meut la tige à son gré
sans qu’elle cesse d’être rectiligne.

Mais hélas ! la colonne vertébrale ne se laisse pas traiter comme un collier de


perles. Les articulations de l’intérieur du cou que l’on voudrait rebelles sont
complaisantes et l’articulation - frontière du cou que nous voudrions complaisante
est rebelle

Si les obstacles de cet ordre ne sont ni contournés ni écrasés, les conséquences


en sont fâcheuses sur le plan de l’émoi esthétique. (710)

III . La pensée n’a point d’articulation. Elle n’a donc pas de rebelle

Elle plie et déplie tout angle à sa guise.

Si le corps veut régler sa marche sur celle de la pensée, il se découvre des


articulations rebelles. Disant cela, je n’insinue point que l’acteur - mime ait à
souffrir de ce que son coude ou son genou ne puisse se mouvoir en tous sens. S’il
était doté par la grâce d’Apollon d’une faculté manquant à l’homme normal, il
n’aurait pas à s’en réjouir

Voici quelques exemples de ce que j’entends par articulation rebelle :

1. - L’articulation de la poitrine, celle de sa base, et qui fonctionne en tous les


sens n’a point de parcours extrêmes égaux dans tous les sens. Considérant son
inclination, nous voyons qu’elle va plus loin de côté qu’en arrière et plus en arrière
qu’en avant.

2. - Les articulations des organes contigus, tels que : tête, cou, poitrine,
bassin, cuisse, et qui fonctionnent dans le même sens, ne le font pas avec égalité

3. - Leur inégalité, pour comble, est, si je puis ainsi dire, inégale : celle du
bassin qui est trop complaisante quand elle participe à une courbe du corps en
avant, est la plus rebelle dans une courbe arrière.

La région lombaire, trop complaisante dans ladite courbe arrière est très
rebelle dans une courbe du corps en avant. (711)

710 Ibid, page 92.


711 Ibid, page 91.

278
IV. Dans notre mime corporel, la hiérarchie des organes d’expression est la
suivante : le corps d’abord, bras et mains ensuite, enfin, visage. (712)

V. Ce que j’appelle le tronc c’est tout le corps y compris les bras et les
jambes... pourvu que ces bras et ces jambes ne se meuvent qu’à l’appel du tronc et
prolongent sa ligne de force comme une corde molle a fini par se tendre quand on a
projeté la pierre attachée à son bout.

Définitions
I. Groupements progressifs

La tête: elle est définie en mime corporel et en cinétographie Laban, selon

«le mouvement est contagieux : qui ne veut mouvoir que la tête, meut son
cou sans le savoir. Il ne suffit donc pas que la tête consente à se pencher, il faut que
le cou refuse »

Mime et Mime.
«L’exactitude Géométrique»( 713)

« Les signes de direction de la tête, se référent à l’axe principal de la tête, ex.


la ligne qui va de la première vertèbre cervicale (la vertèbre supérieure du cou) au
sommet du crâne.

DKL - 326( 714)


Symboles Laban de la tête

ou
DKL - 315 a et DKL - 338a

Le marteau : c’est l’ensemble formé par le cou et la tête.

Anatomiquement, il correspond au bloc formé par la section cervicale de la colonne


Vertébrale plus la tête.
Symbole Laban pour le marteau

712 Ibid, page 89.


713 E. Decroux: ibid, page 105.
714 A. Knust, A Dictionary of Kinetography Laban (Labanotation), Macdonald et Evans, Londres 1979. Le si-
gle DKL utilisé ici, correspond à l'identification donnée dans ce dictionnaire aux références citées.

279
N OTE : ce symbole (le marteau), n’existe pas (tel quel) dans le Dictionnaire de
Cinétographie Laban( 715) ni dans le livre Labanotation( 716). Toutefois il est
possible de le créer selon les indications de la description des sections du
corps augmentées; DKL - Part F XIV, deuxième paragraphe: Les symboles
pour ces sections (du corps augmenté) sont constitués par les symboles du
corps des deux sections extrêmes, placées dans un rectangle. Le symbole du
bas indique l’extrémité fixe (de laquelle sont jugées les directions), et le
symbole d’en haut indique l’extrémité libre, (laquelle se dirige vers la
direction indiquée). Et selon la règle d’utilisation de ces symboles consignée
dans la référence DKL - 440 n - r: le signe de direction au - dessus d’un
symbole du corps augmenté, signifie que la section entière, de l’extrémité
fixée à l’extrémité libre doit s’incliner dans cette direction en une ligne
droite. Ce qui correspond avec la définition élaborée par Decroux.

Le buste : pour Decroux c’est le bloc formé par les deux éléments antérieurs ajoutés à
la poitrine.
Anatomiquement, la description de la poitrine correspond à la section de la cage
thoracique, c’est - à - dire la section dorsale de la colonne vertébrale limitée en bas, par la
charnière frontière avec la section lombaire (vertèbres D11, D12, L1 et L2).
Dans la cinétographie Laban le symbole de la poitrine sous entend aussi le cou et la
tête, lesquels suivent le mouvement de la poitrine d’une façon passive: DKL - 418 f. La tête
est comprise dans tous les mouvements du tronc (418 e), de la poitrine (418 a) et de la section
des épaules (418 d). Seulement dans des cas exceptionnels il est établi, de manière explicite,
que la section en question comprend aussi la tête. Dans ces cas - là, le symbole de la tête est
placé dans le rectangle

Symboles Laban du buste

ou
DKL - 418 a et DKL - 418 f

Le torse: c’est la taille ajoutée au bloc supérieur

Anatomiquement, nous ajoutons la section lombaire de la colonne vertébrale, dont les


mouvements ne doivent pas altérer le bassin

715 Ibid.
716 A. Hutchinson, Labanotation, Theatre Art Books, New York 1954 - 1970

280
Le symbole Laban pour le torse sera donc, selon la référence citée plus haut, ou en
suivant le même ordre que pour le buste:
Symboles Laban pour le torse

ou
DKL - 418 i et, selon DKL - F XIV

NOTE : il est important de mentionner que dans les cas de flexion ou enroulement
des sections tels que le marteau, le buste, le torse et le tronc, l’inclusion de la
tête, comme extrémité libre dans le symbole de section de corps augmentée,
y est indispensable du fait de sa participation à ce que Decroux appelle la
«solidarité organique». Principe du mime corporel selon lequel tous les
éléments corporels inclus dans un mouvement, participent de façon solidaire.

Le tronc : c’est le bassin en bloc avec les parties supérieures

Anatomiquement sa limite basse sont les articulations coxo - fémorales.


Les symboles à utiliser dans ce cas sont:

ou
DKL - 315 j et DKL - 418 g et 338 b

Demi - Tour Eiffel : le bloc de la tête aux genoux

Symboles Laban

ou
DKL - 316 g’ et DKL - 440 a

La Tour Eiffel : aussi appelé «la statue», est le corps entier, de la tête aux pieds.

Symboles Laban

ou
DKL - 440 g et DKL - 440 e

281
II. Groupements dégressifs
En suivant le même esprit de groupement des parties du corps, il existe d’autres
métaphores d’appellation:

vase

socle

poisson

bouteille

et d’autres métaphores non citées

Formules
Il y a des mouvements dont l’exécution et la notation présentent un haut degré de
complexité( 717), cependant d’après leur analyse il est possible d’en établir des «formules» de
notation simplifiées pour les représenter. Ces formules sont mises en égalité avec le
cinétogramme contenant l’analyse du mouvement des partitions en question, et indiquent en
même temps, que chaque fois que cette «formule» est rencontrée à la lecture, le mouvement à
exécuter est celui auquel elle fait référence (DKL 886( 718)).
Dans d’autres cas, où la cinétographie nous offre plusieurs possibilités de notation
correspondant au même élément du vocabulaire, il est possible de développer des «formules»
de notation «standard» pour en faciliter autant la notation que la lecture.

Exemple de «formule»:
Les cinétogrammes suivants, montrent la «formule» appliquée à la notation du
contrepoids «suppression de support coupé en 2nde position». Grâce à l’analyse, la
simplification apportée par l’utilisation d’une formule de notation, tient au fait que celle - ci
peut remplacer avantageusement les différentes écritures possibles d’un même mouvement, qui
bien que produisant des cinétogrammes différents, donneront à la «lecture» (exécution) le
même mouvement.

717 Par des contraintes de temps (très courts) et des directions (à peine ébauchées) spatiales et intercorporelles
impliquées, exemple: le "scoop".
718 A. Knust, A Dictionary of Kinetography Laban (Labanotation), Macdonald et Evans, Londres 1979. Le si-
gle DKL utilisé ici, correspond à l'identification donnée dans ce dictionnaire des références citées.

282
A na l ys e F or m ul e

Notes de style
Dans le cadre du projet «Laban - Decroux / notation du mime corporel», ces notes
seront développées pour rendre compte des limites données à la tolérance avec laquelle,
l’application des principes de la cinétographie est conforme au mouvement réel observé dans la
phase d’analyse.

Justification:
D’après la note incluse dans le cinétogramme N° 19 «Gamme latérale simple»( 719):

« NOTE : L’inclinaison des différents éléments est exécutée dans leur limite
anatomique et jusqu’à la direction indiquée par le symbole. »

nous pouvons dire que cette note ouvre la porte à une notation «symbolique» et «idéale»,
fondée plus sur la «théorie» du mime corporel, qu’objective et fondée sur le mouvement
observé. Notation qui traduirait plutôt le «langage» du mime corporel et non le mouvement en
soi. Nous pouvons nous demander jusqu’à quel point cela est nuisible à cette discipline, à la
notation ou à toutes les deux.
Cette perspective conduit à faire la réflexion suivante:

La question fondamentale des rapports entre la notation et le mime corporel est de


savoir quelle serait la mesure de la tolérance, envers l’application des principes de la notation,
qui assurerait néanmoins, que celle - ci garde ses capacités descriptives du mouvement, et
qu’en pratique elle ne soit pas réduite au seul idéal du mime corporel.

Faut - il installer dans la pratique des deux disciplines une tolérance telle que la
notation nous parle du mouvement voulu et le mime corporel de celui dont nous sommes
capables?

719 Voir le cinétogramme N° 19 dans les annexes.

283
Distance réelle, que seules la pratique du mime et les conformations anatomiques
privilégiées seront capables de franchir pour parvenir un jour à «jouer» la note choisie par
Decroux.

Cela est parler de la prééminence qui d’emblée serait accordée au mime sur la notation.
Mais, quelle serait donc la fonction de la notation quand elle s’applique à un art, sinon de
devenir son outil et de lui prêter ses capacités?

Il est important enfin, de noter les partitions du mime corporel en ayant à l’esprit la
définition que donne Decroux au terme «technique»:

« Ce que j’entends par technique c’est la faculté de faire ce qu’on veut ; et
pour le moins ce qu’on croit faire… »

il continue;

« …Pour l’acquérir, la lutte est longue, car le corps nous trahit »

à notre avis, c’est parce que le corps nous trahit qu’il faut que l’idéal du mime corporel soit
gardé comme but à atteindre.

Exemple de Note de Style


Relative à la notation des inclinaisons de la tête.
Quand Decroux parle d’une inclinaison «pure» de la tête, il demande que le cou reste
sur place. Pour arriver à faire ce mouvement il faut que la tête s’incline sur son axe naturel:
l’atlas.
Les inclinaisons possibles de la tête sur l’atlas dans le plans latéral et sagittal, sont les
suivantes:

Inclinaison de la tête plan latéral

284
Inclinaison de tête plan sagittal

Étant donné que l’atlas se trouve approximativement au centre géométrique du crâne,


nous pouvons dire que ces inclinaisons sont des rotations dans les plans cités, ce qui
normalement devrait être noté comme suit:

C C

pour les «inclinaisons» latérales et

C C

pour les «inclinaisons» sur le plan sagittal


Cependant, par souci de clarté et pour la cohérence pédagogique dans l’apprentissage
du mime corporel, la notation des «inclinaisons» de tête sera faite sans prendre en
considération leur nature rotationnelle. Cela nous donne:

C C C C C C C C

Ce qui constituera à l’avenir une «note stylistique» de la notation du mime corporel, à


utiliser de manière générale, sauf indication spéciale.

285
Cinétogrammes
Ces exemples sur les modalités pratiques du projet de notation du mime corporel,
seraient incomplets sans des cinétogrammes qui montrent concrètement les possibilités que
cette application peut offrir.
Ces cinétogrammes, sans prétendre couvrir toutes les possibilités, illustrent certains
points d’application choisis pour leur simplicité. En même temps, ils nous permettent, soit
attirer l’attention sur un détail pédagogique important, soit de faire une remarque sur
l’utilisation des méthodes Laban.
Le premier exemple (Figure 9) est le cinétogramme d’un exercice appelé «Contrepoids
et Tours en 4 ème», qui est une des premières applications d’un contrepoids au déplacement
dramatique.
En même temps qu’il peut être représentatif d’un élément du vocabulaire, le
cinétogramme de cet exercice contient les indications pour l’exécution, l’apprentissage et
l’acquisition de la compétence demandée, ainsi qu’une note pédagogique explicative de
l’attitude corporelle générale recommandée.
Le deuxième exemple (Figure 10) nous permet d’illustrer d’une façon assez simple le
problème de la compréhension d’un mouvement pour arriver à l’exécution et à l’apprentissage.

Il s’agit du fragment de la pièce de répertoire «L’Usine» de Decroux, que nous


appelons «la montre». Avec ce cinétogramme, nous pouvons voir que l’explication et
l’apprentissage d’un mouvement complexe peut être facilitée par l’application de la triade
Analyse - Notation - Cinétogramme.

286
Figure 9: Premier exemple des cinétogrammes.

Le troisième exemple (Figure 11) est le cinétogramme de «l’Extenseur GGa»( 720), il


représente une des figures où l’application du langage verbal direct serait inadéquate à rendre
compte objectivement de l’utilisation des divers éléments des catégories du vocabulaire du

720 Ces cinétogrammes ont été réalises à l'aide du Logiciel : Laban Writer Labanotation Software for the Ma-
cintosh® Version 3.2.1. © 1990 - 95, The Ohio State University, Department of Dance.

287
mime corporel, et où la simple imitation ne peut pas assurer la transmission et la
compréhension des détails. La nécessité de l’analyse et l’utilité du cinétogramme sont donc
évidents

Figure 10: Deuxième exemple des cinétogrammes

288
Figure 11: Troisième exemple des cinétogrammes

289
Des possibilités d’application au mime corporel

La réalisation de ce projet permettrait de réunir des matériaux concernant les


éléments( 721) des divers développements de Decroux, ainsi que des notes s’y rapportant. Ce
recueil contiendrait l’ensemble des informations dont nous disposons concernant les partitions
du répertoire «Decroux» : les cinétogrammes, des notes sur le niveau dramatique: motivation,
état, etc. ainsi que des notes sur l'interprétation et d’autres indications.
Ensemble qui servirait de fondement( 722) à la généralisation des applications
présentées auparavant, c’est - à - dire: l’utilisation de l’analyse et de la notation du mouvement
comme outils dans l’étude du mime corporel, et l’utilisation des cinétogrammes en tant qu’aide
- mémoire pour l’entraînement et comme supports pour la préservation des partitions du
répertoire «Decroux».

Questions pratiques

Le contexte de la Notation
En ce qui concerne l’écriture du répertoire «Decroux» envisagée dans ce projet, il est
capital de ne pas perdre de vue son «contexte de notation». Voyons, par exemple la notation
des inclinaisions des différents éléments corporels (voir la note du cinétogramme N° 19, dans
les annexes). Nous pouvons dire que la lecture sur un cinétogramme d’une «inclinaision
latérale du buste, d’une huitième en haut à droite», peut signifier plusieur choses à la fois, est -
ce:
• une indication à suivre? (intention de l’auteur)
• un mouvement exécuté réelement par quelqu’un? et si cela s’avère vrai,
• une interpretation personnelle, donc ponctuelle?
Or, la «lecture» des cinétogrammes dépend du contexte de notation dont ces derniers
sont issus. Ce contexte doit être mis en évidence pour tout travail de notation et toute
production de cinétogrammes.
Dans notre cas, étant donné que notre intention est d’analyser et de noter des matériaux
d’apprentissage du mime corporel, aux fins d’entraînement, notre contexte sera, sauf indication
précise: «l’indication à suivre» (contexte préscriptif).

721 Petit à petit, dans la mesure où il sera possible de les retracer physiquement, il serait possible de docu-
menter l’ensemble des compositions de Decroux.
722 Et moteur de motivation.

290
Notation et Variation
Dans le travail d’analyse et de notation du répertoire «Decroux», chaque «note» de la
partition «objet d’étude» doit être consignée le plus complétement possible, dans les niveaux:
• corporel, l’utilisation du poids et / ou la partie du corps concernée
• spatial, la direction principale, l’amplitide et la déviation (s’il y a lieu)
• mécanique, la séquence chronologique ou le type d’enchaînement

• dynamo - rythmique, la durée relative (ou objective) et le type d’effort impli-


qué
ainsi que:
• Le contenu ou la valeur dramatique, l’objectif physique ou moral, l’état, et
toute autre caractéristique qui l’identifie
Pour être en mesure de déterminer:
• Ce qui fait l’objet «mouvement» en question, sa définition.
• Les principes de variation, les fondements de variation et de modification qui
permettent d’en garder la définition tout en changeant les détails
• Les variations possibles.

L’entraînement et la notation
A partir du cinétogramme de la définition (expression minimale de la partition - object
distinct) de chaque élément du vocabulaire et des exercices, il sera possible de passer
physiquement à la variation qui en modifiant un composant «mouvement» à la fois, ne
changerait pas ladite définition.

Les cinétogrammes, support pédagogique


Les indications d’exécution des exercices donnent la clé de la sensation physique( 723) à
chercher. Par exemple, dans l’exercice «Inclinaison de ‘Tour Eiffel’ appui fléchi (sans
déraciner)»( 724), la ‘Tour Eiffel’ doit s’incliner tout en cherchant la hauteur, la jambe
contraire reste collée au sol. La sensation est de vouloir arracher cette jambe du sol.

NOTE: s’assurer que le bassin reste aligné dans la ‘Tour Eiffel’ et que la colonne vertébrale
n’a aucune déviation.

Cela crée une tension car, il faut forcément pousser cette jambe contre le sol en même
temps que la colonne vertébrale tire vers le haut et que tout notre poids passe sur la jambe
«d’appui fléchi».

723 Sensation objective ou perception qui n’est pas d’origine émotionnelle ni intellectuelle.
724 Cf. Figure 12.

291
De l’aptitude à suivre ces indications résulte le développement d’ensembles neuro -
musculaires; ceux permettant le contrôle de cette tension musculaire et visuelle( 725), et ceux
nécessaires à sa construction anatomique( 726).

Figure 12: Cinétogramme de l’exercice:


«Inclinaison de ‘Tour Eiffel’ appui flechi»
(sans déraciner)

Dernières propositions

Les dernières propositions du Projet «Laban - Decroux / notation du mime corporel»


sont la création des cahiers du projet Laban - Decroux et d’un cours d’analyse et de notation du
mouvement adressé aux acteurs.

725 Ne pas oublier que l’image donnée par cette «forme» est d’une tension «graphique» évidente.
726 L’inclination du bassin dans l’ensemble du tronc est une des compétences des plus difficiles et longues à
développer.

292
«Les cahiers du projet Laban - Decroux»
A la fois outil et rapport de cette application, ces cahiers organisés par thèmes
concernant les divers aspects de l'art du mime, contiendraient des articles consacrés, par
exemple, à «l'articulation», «les causalités», «la composition», etc. Non pas pour clore ou
boucler l’étude du mime corporel, car leur intérêt serait de rester ouverts afin de servir de guide
à l’approfondissement de cette application.
Ces cahiers serviront aussi de base pour des applications autres, dans de domaines tels
que: la pédagogie, la recherche et la création.
En outre, à mesure du développement de l’intérêt des acteurs, il sera possible de se
servir des nouvelles technologies pour faire des documents «multimédias» associés entre eux
par des liens «hypertexte» et contenant outre le cinétogramme, une fenêtre d'animation -
vidéo, une zone de texte dédiée aux notes sur des aspects historiques, les principales difficultés
d'exécution, les objectifs et champs d'application pédagogique, et les domaine et thème d'étude,
etc.

Cours d’analyse et de notation du mouvement adressé aux acteurs.


Finalement, l’application des méthodes Laban d’analyse et de notation du mouvement à
l’apprentissage du mime corporel et à la préservation du répertoire «Decroux», implique leur
intégration dans la pratique quotidienne de la formation des acteurs.
Cette intégration a besoin, en ce qui concerne les acteurs, de:
• l’entraînement à l’analyse du mouvement
• l’apprentissage de la cinétographie
• la pratique de l’écriture / lecture du mouvement
Dans cette optique, le développement d’un cours d’analyse et d’écriture du mouvement
adressé aux acteurs est une priorité qui a trois objectifs principaux :
a). former des notateurs qui pourraient faire partie de l’équipe chargée directement
de la réalisation du projet.

b). former des acteurs - lecteurs qui pourraient participer au projet dans la phase de
vérification en lecture.

c). enfin, étant donné que les bénéficiaires de la réalisation du projet seront les
acteurs, ce cours est la clé qui permettra de fermer la boucle.

293
Problèmes liés au cours de cinétographie adressé aux acteurs.
L’établissement de ce cours ne va pas sans posser certains problèmes fondamentaux, le
plus important étant son rattachement à un centre de formation physique d’acteurs fondé sur
l’apprentissage et la pratique du mime corporel( 727).

Ensuite, en ce qui concerne le rapport au projet Laban - Decroux:


a). la progression limitée du projet à cette date
b). l’absence de matériel de lecture spécifique

c). la disponibilité réelle des matériaux d'étude (728)

Il y certainement des points de discusion qui concernent spécialement ce cours, mais ils
sortent du cadre de la thèse donc, nous ne ferons que les signaler, entre autres:
• A qui doit être ouvert ce cours?
Une des premières questions à traiter: doit - il être offert seulement aux élèves qui
assurent un niveau minimmum (avancé) d'exécution physique (technique)? Pour ne pas donner
la possibilité d'instaurer l'idée que l'analyse et la notation du mouvement peuvent à eux seuls se
substituer aux cours et à la pratique régulière du mime corporel( 729).

• L’overture doit - elle se faire progressivement?


La proposition de l'analyse du mouvement et de la cinétographie ne s'applique, au
départ, qu'aux définitons du matériau d’apprentisage du mime corporel. La constitution des
aide - mémoire des exercices d'entraînement, des figures et des pièces de répertoire est laissée
comme une affaire personnelle dépendante des niveaux acquis en mime corporel et en
cinétographie.
Ainsi, la question de limiter les échanges de cinétogrammes, en tant que matériaux
d’apprentisage à double usage( 730) est pertinente. C’est - à - dire: pas de communication des
cinétogrammes des matériaux (notamment des figures et pièces) n'ayant pas été vus en cours de
mime corporel ? (cf. le danger cité).

• Quelle adaptation à l'apprentissage du mime corporel?

727 Où la formation est assurée et assumée par un acteur ou une actrice qui, ayant la maîtrise physique du
mime corporel dramatique, est en train de l’apprendre à d’autres acteurs, s’en sert sur scène et a la mémoire du
répertoire «Decroux».
728 Problème à l’origine de la proposition du projet «Laban - Decroux» et un des principaux objets de discus-
sion de cette Thèse. Nous reviendrons sur ce point dans «le Bilan», plus bas.
729 Danger réel qui motive la plupart du rejet manifesté à l’encontre du projet «Laban - Decroux».
730 En mime corporel et en cinétographie.

294
Etant donné que le mime corporel a des caractéristiques de mouvement propres, et que
cette proposition est la première du genre, il sera nécessaire de développer une progression
spécifique à l’apprentissage du système.
Le traitement d’autres problèmes, des changements, adaptations, etc. pourront être
consultés dans les «Etats des lieux» annuels qui seront publiés.

Note sur le projet Laban - Decroux

Le projet «Laban - Decroux», tel qu’il est développé ici, est actuellement en cours
(1998) et loin d’avoir été mené à son terme. Qu'aujourd’hui son «bilan» ne soit que théorique
est évident. Ces travaux demandent et ont déjà demandé beaucoup de temps et d'efforts. Les
fruits seront eux aussi longs à venir …

295
Quatrième Partie
« Les avantages et les risques »

« Je n’ai inventé que d’y croire » (731).

731 Etienne Decroux, en parlant des origines du mime corporel: Paroles sur le mime, op. cit, page 33.

296
Ce bilan théorique du projet Laban - Decroux, consiste dans l’évaluation de l’apport de
l’application de la cinétographie Laban à l’apprentissage et à la préservation du mime corporel.
C’est - à - dire, qu’en vue de la proposition faite aux acteurs de:
• supports «écrits» qui servent à la communication et à la préservation du ré-
pertoire «Decroux», les cinétogrammes

• méthodes d’analyse du mouvement qui servent à l’étude du mime corporel, les


méthodes Laban

il s’agit de déterminer ce que l’analyse du mouvement et l’écriture cinétographique


apporteraient à la pratique de cet art, au - delà et en dehors de son discours.
Cette évaluation théorique, suppose qu’il est prêté une attention particulière au premier
et plus important des fondements de notre démarche: la capacité à garder une approche
physique du sujet. En effet, seule cette approche est en mesure de montrer, au delà des
discours, que:

d’abord, les conditions nécessaires à l’existence de notre «objet», le répertoire


«Decroux», sont:

• l’exécution physique du mouvement qui le caractérise, seule matérialisation


possible.
Inexécutés, ces «textes» non seulement restent inaccessibles aux acteurs et au
public en général, mais ils n’existent pas.

• la maîtrise du langage du mime corporel par les acteurs qui réalisent ladite
exécution.
Sans ces acteurs, seuls en mesure d’exécuter les partitions, il est impossible de
les connaître et les apprécier.

ensuite, les conditions irremplaçables pour la réalisation du projet Laban -


Decroux, sont:

• son rattachement à un centre qui assure et assume la formation physique de


l’acteur, fondé sur l’apprentissage et la pratique du mime corporel, et dirigé
par un acteur ou une actrice qui, ayant la maîtrise physique de ce langage,
l’apprend à d’autres acteurs, s’en sert sur scène et, d’autre part, a la mémoire
du répertoire «Decroux».
• son accompagnement par un cours de cinétographie Laban adressé aux acteurs.

enfin, l’objectif de l’apprentissage du mime corporel est une expérience.

297
En ce qui concerne cette expérience, dans le chapitre IV, nous citons Decroux( 732) qui
donne comme objectif à l’apprentissage sa gymnastique( 733), de: «mettre l’acteur en état de
faire ce qu’il veut, de savoir ce qu’il fait et d’inventer ce qu’il faut» .

Cette expérience, comme nous l’avons exprimée plus loin dans ce même chapitre, en
situation de représentation se présente à l’acteur comme un « état de vigilance plus large qui
lui permet de dépasser l’exécution physique (des partitions), en se débarrassant du souci de
performance et de mémoire, et en se relâchant suffisamment pour intégrer le choix du moment
et du degré pour l’application de l’énergie musculaire»; ainsi elle donne à l’acteur, l’accès au
jeu corporel.

En outre, nous avons signalé que: « jouer corporellement est possible, quand l’acteur
peut retrouver cette sensation» qui n’est pas permanente, car elle dépend de
l’entraînement( 734) et de la répétition au quotidien.
Ainsi, et ce qui est le plus important, seule cette expérience permettra à l’acteur de
comprendre que

• arriver à cette sensation est ce à quoi servent partitions, répertoire, mémoire,


compétences, apprentissage, étude, et entraînement.

• acquérir( 735) la «technique» n’est, ni possible ni le but de l’apprentissage,


car, ce n’est que l’entraînement quotidien qui peut, au jour le jour, ouvrir la
porte de cette sensation fruit de l’assimilation physique des fondements du
mime corporel.

Aussi, l’expérience de cette sensation ouvre à l’acteur la possibilité de comprendre et


d’intégrer à son jeu personnel, les divers styles (736) mis en lumière par Decroux.

Seules cette compréhension et cette intégration, fruits de l’expérience citée, permettent


à l’acteur de jouer au delà des aspects anatomiques, mécaniques, géométriques et dynamo -
rythmiques de ce langage, tels qu’ils peuvent être dévoilés par l’analyse du mouvement dans
l’étude des partitions.

732 Etienne Decroux: Dossier n° 57 «Mai 1953», pages 12,18 et 19, Fonds Decroux, op. cit. (Nous avons
souligné en caractères gras).
733 Le mime corporel.
734 Et dans l’entraînement, du degré de fidélité recherchée dans la performance et l’exécution de ses indica-
tions du répertoire «Decroux», en contrepartie de leur précision. Cette correspondance est l’accès à
l’assimilation et à la maîtrise du mime corporel comme langage physique de l’acteur.
735 Ou posséder.
736 Les Styles de jeu du mime corporel sont: L’homme de sport, l’homme de salon, la statuaire mobile et
l’homme de songe. Leurs définitions physico - dramatique ont été présentées plus haut sous le titre «Le mime
corporel, un langage physique pour l’acteur».

298
Après presque dix ans de travail autour du projet Laban - Decroux, nous devons dire
que si l’analyse du mouvement appliquée au répertoire «Decroux» révèle concrètement le
fameux «esprit géométrique» et en permet la compréhension comme support structurel des
«principes» du mime corporel, notre expérience nous a montré que cette compréhension reste
stérile sans la matérialisation corporelle des fondements biologiques de l’action dramatique:
le jeu (comédie) musculaire et la manipulation dramatique (extra - quotidienne) du poids
corporel et de la colonne vertébrale.

Par ailleurs, dans l’apprentissage du mime corporel, la recherche de cette


matérialisation est la seule justification à la communication et à la préservation( 737) de
l’intégralité des informations «mouvement» des partitions du répertoire «Decroux»( 738)

avec le degré de précision qu’il est possible aujourd’hui d’attribuer à Decroux. Au delà du fait
que si: communication, préservation, mémoire, intégralité des informations et précision des
partitions, ne sont pas les ingrédients d’une garantie quelconque de:

• l’apprentissage du mime corporel,

• la préservation, la reconstitution et l’interprétation des pièces de répertoire de


Decroux,

• la transmission du mime corporel et la survie de sa tradition,

elles n’en sont pas moins les conditions fondamentales. Conditions qui par conséquence, sont
le seul moteur pour la réalisation du projet Laban - Decroux.

Enfin, il n’est pas inutile de rappeler que quand nous parlons de préservation,
communication, mémorisation, analyse et notation du mouvement, notre «objet» est constitué
par:

les informations «mouvement» des partitions du répertoire «Decroux»,

qui se trouvent «en deçà» du niveau d’interprétation( 739), et qui restent dans le terrain de
la formation et de l’entraînement propres au mime corporel. Informations qui concernent:

l’utilisation du poids, les parties du corps impliquées, la chronologie, les


directions dans l’espace, les rapports intercorporels, les vitesses, les rythmes, les
inter - rythmes, le degré de tension musculaire ou de relâchement, les pauses, la
respiration, le « focus », etc.

737 La sauvegarde, la restitution et l’accès.


738 Par n’importe quels moyens: démonstration, description verbale, écriture du mouvement, vidéo, etc.
739 Nous avons utilisé cette condition de façon arbitraire pour déterminer la nature de l’étude de mouvement
qui nous intéresse. Voir dans le chapitre V, «Première confrontation».

299
et qui sont mises en évidence par l’analyse des facteurs physiques du mouvement des
partitions, en considérant les liens organiques des séquences avec le contexte dramatique qui
les fonde.

Dernier point, il concerne le principe vital du mime corporel: l'entraînement des


acteurs.

L’entraînement des acteurs et le projet Laban - Decroux


L’entraînement des acteurs, activité d’apparence anodine, est le rappel musculaire des
indications «mouvement» contenues dans les «textes» des compositions de Decroux.
L’entraînement est à lui seul le point crucial de cette thèse, du projet Laban - Decroux, et
l’unique ancrage de l’approche physique dont nous parlons.

En effet, l’idée même d’une tradition du mime corporel, et celle de la préservation de


l’œuvre de Decroux, trouvent leur fondement dans l’entraînement des acteurs. L’importance de
celui - ci réside dans le fait que l’apprentissage, l’assimilation et la maîtrise du mime corporel
sont impensables sans l’entraînement quotidien.

Sans entraînement, point d’acteurs capables de matérialiser le jeu physique que suppose
l’assimilation et la maîtrise du mime corporel, et point de pratique( 740). Sans cette dernière, il
n’est certainement pas possible d’envisager une tradition, voire une influence quelconque,
héritée de Decroux.
Nous avons présenté le rôle de l’entraînement à plusieurs étapes de cette thèse, en
résumé, il est:

• l’outil des acteurs pour travailler à l’épanouissement de leurs ressources, au


delà des conditionnements( 741) divers auxquels sont assujetties ces dernières

• le seul chemin d’accès à la maîtrise des dites ressources, porte de la liberté ar-
tistique

• la partie la plus importante de la participation active et positive de l’acteur, in-


vestissement de sa personne, pour l’assimilation du mime corporel

Ainsi, nous pouvons affirmer que sans l’entraînement des acteurs, il n’y a et il n’y aura
point de projet de préservation, communication, et / ou mémorisation du répertoire
«Decroux», qui donnera la moindre possibilité de survie au mime corporel, ou qui servira de

740 Le terme «pratique», utilisé en rapport au mime corporel, fait référence aux trois volets de cette
«définition»: être en possession physique de ce langage, en mesure de l’apprendre à d’autres acteurs et s’en
servir sur scène.
741 Qu’ils soient culturels ou personnels(ex. : ses «tics» et «manies» ou «habitudes» en mouvement).

300
support à sa tradition, indépendamment des méthodes d’analyse ou de notation du mouvement
utilisées( 742).
Dans ce contexte, nous rappelons au lecteur que la définition des objectifs du projet
Laban - Decroux, telle que nous l’avons vue dans le chapitre intitulé: le répertoire
«Decroux» et l’apprentissage du mime corporel , concerne

- dans le domaine de l’apprentissage: la communication et la mémorisation des


informations «mouvement» des partitions du répertoire «Decroux»

- dans le domaine de l’entraînement: l’élaboration de notes d’étude à partir des


partitions, afin d’en constituer des aide - mémoire
- dans le domaine de la préservation: la mémoire (ou la conservation, la restitution
et l’accès aux) des informations «mouvement» de ces partitions.

Cette définition( 743) et l’exigence d’entraînement des acteurs pour la réalisation du


projet Laban - Decroux, délimitent l’importance et les proportions que garde la problématique
qui nous concerne, à l’intérieur de la tradition du mime corporel. Dans cette optique, nous
pouvons à présent procéder à l’évaluation théorique du projet.

742 Voir plus loin «Des initiatives similaires concernant le mime corporel et / ou le répertoire «Decroux»,
page N° 319.
743 Fixant les cibles du projet Laban - Decroux dans chacun des domaines cités.

301
chapitre 7

Bilan théorique du projet


Laban - Decroux

Bilan pour la préservation

La préservation du répertoire «Decroux»


La préservation matérielle que nous traitons ici est celle des traditions par définition
vivantes, et non pas celle des musées ou des enceintes sacrées.
En général, quand l’objet à préserver est du mouvement, il est essentiel de rappeler que
la seule matérialisation possible réside dans l’exécution physique des partitions en question.
Dans le cas particulier de l’œuvre de Decroux, l’exécution, et donc la préservation, doit être
nécessairement réalisée par des acteurs formés en mime corporel, car :

• la définition de chacun des «textes du mouvement» du répertoire


«Decroux», repose inévitablement dans la possibilité d’être joué par des ac-
teurs ayant préalablement assimilé le mime corporel.

et par conséquence

• l’existence et la préservation du répertoire «Decroux»( 744) sont, et seront


toujours, conditionnées par le degré de précision dont les acteurs sont (et se-
ront) capables dans la «lecture»( 745) des «textes» de cet ensemble.

ce qui signifie que la préservation matérielle dont il s’agit, étant celle d’une pratique
spectaculaire, est dépendante surtout
• du rappel musculaire (la remise en mémoire par l’exécution physique) de notre
«objet»,

• de l’assimilation du mime corporel par des acteurs charnels.

744 Et la survie de la tradition du mime corporel en tant que pratique spectaculaire actuelle.
745 La «lecture» en termes du mouvement signifie: l’exécution ou la performance physique, reprise et inter -
prétation concomitantes du «texte» de la partition en question. Pour établir un parallèle «parlant» à l’intention
du lecteur, nous l’invitons à imaginer l’intention de préservation d’un texte classique, disons de Racine, réalisée
par le moyen de son interprétation par des bègues non francophones.

302
La réalisation de ces deux nécessités réciproques fournit une des conditions
précedamment citées( 746) à la réalisation de notre projet..
A partir de là, considérant remplies les conditions qui permettraient la réalisation du
projet, et parmi des acteurs qui s’entraînent quotidiennement, voyons comment les
cinétogrammes issus de l’application des méthodes Laban, en tant que supports extra -
corporels de mémoire détermineraient (théoriquement) la préservation.
La première condition dans laquelle l’utilisation des cinétogrammes pourrait déterminer
d’une quelconque façon la préservation du répertoire «Decroux», est que les acteurs soient en
mesure de s’en servir, ce qui demande que la deuxième condition de notre cadre de référence
soit remplie.
Après quoi, et selon ce que nous avons vu dans le chapitre sur les méthodes Laban, la
«lecture»( 747) des hypothétiques cinétogrammes pourrait renseigner les acteurs avec
précision sur: l’utilisation du poids, les parties du corps impliquées, la chronologie des
mouvements, la direction dans l’espace, les rapports intercorporels, la vitesse, les rythmes, les
inter - rythmes, le degré de tension musculaire ou de relâchement, les pauses, la respiration, le
focus( 748), etc.
Grâce aux cinétogrammes, les acteurs auraient un accès permanent à ces
renseignements «mouvement», sous la forme de symboles qui pourront être «lus» et
«traduits» directement en mouvement( 749) pour l’étude, la reprise et l’entraînement essentiels
à la préservation du répertoire «Decroux»( 750).
Le restant des informations des partitions se trouvant en dehors du domaine stricte du
mouvement et liées organiquement à leur contexte dramatique: le but des actions, les
personnages, charges émotives, intentions, motivations ou états représentés, etc. peut être
consigné, préservé, communiqué et mémorisé à l’aide du langage écrit, tel que le montre
l’exemple: «inclinaison de ‘Tour Eiffel’ appui fléchi»( 751).

L’aptitude à sauvegarder les indications «mouvement» nécessaires à la reprise des


partitions, la possibilité de traduire directement en mouvement ces indications, d’y accéder de
façon permanente, ainsi que celle d’ajouter des informations au delà du domaine strict du
mouvement, nous semblent être des avantages non négligeables à l’utilisation des

746 Voir plus haut «Conditions de réalisation du projet Laban - Decroux» page N° 297 .
747 A - linguistique et impliquant la mise en mouvement des informations «mouvement» lues.
748 De l’anglais: point focal du regard.
749 Cf. le sous - titre «Deuxième confrontation» dans le chapitre 5: «Le mime corporel, l’analyse et la nota-
tion du mouvement».
750 Voir aussi le titre «La préservation et la mémoire», plus haut, dans le chapitre IV.
751 Cf. «Cinétogrammes, matériel pédagogique», plus haut, dans le chapitre VI.

303
cinétogrammes comme «moyens extra - corporels de mémoire» complémentaires dans la
préservation du répertoire «Decroux».
Cependant, il est nécessaire de rappeler que le premier désavantage réel pour les
acteurs, est l’obligation de l’apprentissage( 752) des méthodes Laban d’analyse et d’écriture du
mouvement, comme discipline additionnelle à l’étude du mime corporel.

Face à cet «écueil», nous invitons le lecteur à revoir l’analyse des autres supports extra
- corporels de mémoire pouvant être utilisés( 753), lesquels conservent les informations
«mouvement» des partitions, au mieux dans un état «synthétique», et au pire éparpillées et
incomplètes, et qui en aucun cas, ne donnent la clé de l’analyse du mouvement des partitions.
De ce fait, avec ces supports, nous sommes toujours en présence d’un «objet» qui, aux fins
d’apprentissage, but ultime de la préservation, sera tout de même à analyser.

Note sur les droits d’auteur


Ceci est une question intéressante. Sachant que le terme «Copyright», ou droits
d’auteur, appliqué au travail artistique, implique la protection de l’oeuvre et des intérêts de
l’auteur dans des rapports commerciaux, il est nécessaire d’identifier ce qui peut bénéficier de
cette protection.

« ...L’objet doit être un travail d’auteur original, qui ait été fixé dans une
forme tangible d’expression.

De tels objets incluent les travaux littéraires, musicaux, dramatiques,


picturaux et les enregistrements sonores. Certains objets, comme les mots
individuels, les phrases, les dessins utilitaires, les styles, idées ou concepts, ne
peuvent être protégés que s’ils sont exprimés d’une façon originale. Il est évident
que les objets dont la protection est périmée ne peuvent pas être l’objet d’une
seconde protection, aussi les objets éphémères sont - ils difficiles à protéger parce
qu’ils ont besoin d’être fixés dans une forme tangible d’expression pour avoir le
droit à cette protection ». (754)

Cela révèle la double nature de cette question; d’un côté, l’oeuvre notée et de l’autre, le
travail de notation en soi. La notation du mouvement peut donner une forme fixe et tangible
d’expression aux créations, ce qui leur permettra d’être protégées au même titre que les

752 Cependant, à notre avis, trois ans d’étude permettraient de tirer tous le avantages de cet apprentissage.
753 Voir «Les supports extra–corporels», plus haut sous le titre «La préservation et la mémoire», du chapitre
IV.
754 Patricia W. Rader, Rapport de la conférence: «A forum on Legalities and Notation». Apparu dans le
Dance Notation Journal, Volume 5 Number 1, New York. Dance Notation Bureau. Printemps 1987, page 41.
(Nous avons traduit de l’anglais, souligné et mis le gras des caractères).

304
créations musicales non enregistrées, et le travail de notation peut être protégé de façon
similaire à celui du traducteur.

Aux États Unis, peut être protégé l’objet défini dans le cadre de la loi comme «un
arrangement graphique et visuel des signes» , ce qui d’ailleurs ne satisfait pas complètement
les notateurs( 755). Il y a aussi les droits de reproduction et de représentation sur scène et dans
des lieux publics. Dans ces cas, la notation sert l’intérêt des auteurs.

En tout état de cause le débat n’est pas clos et la notation du mouvement comme
procédé de sauvegarde des travaux artistiques est à peine une nouvelle donnée dans le domaine
de la loi. Aux artistes et aux notateurs de lui trouver une place face aux législateurs.

D’autres documents reconnus capables de garder des traces matérielles


des partitions du répertoire «Decroux».
Nous devons rappeler, en ce qui concerne les autres documents reconnus capables de
garder des traces matérielles des partitions du répertoire «Decroux»:
• les notes et descriptions verbales des anciens élèves (celles de tout un chacun)

• les photos et / ou vidéos diverses de spectacles ou des cours


• les dessins, etc.

que leur utilisation effective aux fins de préservation des informations «mouvement» des
partitions est conditionnée à:
• leur adéquation aux diverses natures de ces informations( 756)
• leur aptitude à contenir, conserver et restituer lesdites informations

• l’accès réel qu’elles permettent aux acteurs( 757).


Au lecteur qui voudrait revoir l’analyse de l’utilisation de ces documents, nous proposons de
retourner au chapitre IV, et plus précisément à notre titre sur «Les supports extra–corporels»,
où nous traitons les divers méthodes de notation et leurs conditions de réussite.
Il est bien entendu que ces remarques s’appliquent également aux films et aux vidéos
existant, et que nos devanciers( 758) considèrent comme des documents historiques dont ils
soulignent l’inaccessibilité.

755 Ibidem, page 43


756 Aspects objectifs et subjectifs du niveau dramatique de la partition, et aspects corporels, temporels et de
dynamorythme du niveau «mouvement» de la partition.
757 Nous parlons d’accès à: a) les documents contenant les notes (sous toutes ses formes et supports), b) la
méthode et les moyens (matériaux et compétences, notamment) permettant de produire les susdites notes, et c) les
informations «mouvement» que ces documents sont censés préserver.

305
Inaccessibilité qui, par ailleurs, pénalise gravement leur utilisation aux fins de
préservation, et cela malgré l’existence certaine des films et vidéos que nous avons eu
l’occasion de visionner dans les écoles que nous avons fréquentées( 759), et des films que
Georges Molnar( 760) montre encore aujourd’hui.
Quelques films sur l’œuvre de Decroux (ou sur des œuvres que lui sont attribuées) ont
été utilisés par Jean - Claude Bonfanti( 761) dans son émission télévisée en hommage à Etienne
Decroux. Il cite les films d’archives suivants:
Corinne Soum et Steven Wasson: «l’homme qui voulait rester débout»,
reconstruction de pièces de répertoire de Decroux, exécution par le Théâtre
de l’Ange Fou, 1992.
Pierre Richy: «La grammaire», exécution de Decroux, 1953.
Département de théâtre de l’Université de Baylor, Texas: «Corporeal mime»,
exécution de Decroux, 1961.
Del Danske Filmmuseum: «Etienne Decroux in Amsterdam» conférence -
démonstration de Decroux, 1967.
Au fait que ces films ou vidéos sont pour la plupart aujourd’hui introuvables( 762),
s’ajoutent des questions concernant leur qualité matérielle ou des doutes sur leur contenu( 763),
au point que leur existence ou leur valeur intrinsèque peut être mise en question, malgré des
rumeurs concernant de nombreuses collections privées( 764). Leur disponibilité et utilisation
réelles en tant que support extra - corporel de mémoire du répertoire «Decroux» aux fins
d’apprentissage du mime corporel, sont pratiquement nulles, non seulement du fait des
contraintes liées à leur collecte et consultation, mais aussi à cause de leur vétusté
matérielle( 765).

758 René - Jean Dufour et Guy Benhaim, cf. l’Introduction.


759 Notamment lors de notre participation au spectacle «L’homme qui voulait rester débout» avec le Théâtre
de l’Ange Fou.
760 Ancien assistant de Decroux.
761 Jean - Claude Bonfanti; Pour saluer à Etienne Decroux, op. cit.
762 Le Catalogue des films sur le théâtre et l’art du mime élaboré en 1965 par André Veinstein, ne donne pas
d’indication sur les lieux où se trouvent les films auxquels il fait référence.
Voir André Veinstein (sous la direction de: Opéra, Ballet, Music - Hall; International Theatre Institute, publ.
111, 1953; «Catalogue de films sur le théâtre et l'art du mime», Suisse, UNESCO, 1965.
763 A ce sujet, voir les commentaires que Guy Benhaim leur consacre.

Guy Benhaim; Le mime corporel selon Étienne Decroux; op. cit. page 136.
764 Entre autres celle de Maximilien Decroux (cité par Guy Benhaim: Le mime corporel selon Etienne De-
croux, op. cit. page 6), qui en dénie l’existence.
765 Le plus récent daterait des années 70’s. Voir dans les annexes la liste des films sur l’œuvre de Decroux (ou
que lui est attribuée), publiée dans le catalogue des films sur le théâtre et l’art du Mime.

306
Parmi les films les plus récents sur le mime corporel, ou sur des pièces de répertoire de
Decroux qui peuvent être cités, il y a notamment les enregistrements du spectacle «l’homme
qui voulait rester débout / hommage à Etienne Decroux»( 766), avec le «Théâtre de l’Ange
Fou», faits à: Philadelphia (1992), Amsterdam (1992) et Périgueux (1994).
En outre, Guy Benhaim( 767) fait référence à un film réalisé par Yves Lebreton, et la
Bibliothèque du Neederlandse Theater Instituut d’Amsterdam possède une collection de films
de Will Spoor( 768). Cependant, des sources consultées, et de notre passage dans les écoles,
nous ne retirons pas d’information qui nous permettrait d’affirmer qu’il existe quelque part, des
archives intégrant l’ensemble des films faits par Decroux, sous sa direction, ou dont le contenu
lui est attribué.
Enfin, à la fin de cet exposé, nous devons nous rendre à l’évidence, et retourner à
l’affirmation exprimée dans l’introduction, sur l’inaccessibilité à laquelle est prédisposée
l’œuvre de Decroux.
Ceci nous conduit à signaler qu’à présent, en ce qui concerne la préservation et la
mémoire des compositions du répertoire «Decroux», essentielles à la tradition du mime
corporel, nous devrons compter principalement sur la possibilité de trouver des acteurs( 769)
pour qui ce langage est le fondement du travail artistique, c’est - à - dire, des acteurs qui
possèdent physiquement le mime corporel, qui sont en mesure de l’apprendre à d’autres
acteurs, s’en servent sur scène, et qui par ailleurs, ont la mémoire du répertoire «Decroux».

Ce n’est qu’à partir de cette rencontre que les supports de mémoire extra - corporels,
nécessaires à l’entraînement dans l’apprentissage du mime corporel, proposés avec le projet
Laban - Decroux, pourront modifier d’une façon quelconque l’état actuel de préservation du
répertoire «Decroux», surtout parce que les cinétogrammes issus de la notation du mime
corporel( 770) ouvriront aux acteurs un accès( 771) permanent aux informations «mouvement»
des partitions( 772) et permettront le reste des applications proposées.

En Octobre 1997, nous avons pu nous procurer, grâce à l’autorisation de Maximilien Decroux et à la collabo-
ration de Mme Trévelo du Département audiovisuel de l’INSEP, une copie vidéo du film du spectacle de Decroux
fait en New York en 1960, les images et la bande son du début sont abîmées du fait des nombreuses manipulations
que ce document a subies.
766 Voir dans les annexes l’historique des représentations de ce spectacle.
767 Guy Benhaim, Le mime corporel selon Étienne Decroux; op. cit. page 139.
768 Acteur de la compagnie d’Etienne Decroux dans les années 50.
769 Voir les conditions d’existence du répertoire «Decroux», page N° 297.
770 Dépendante des conditions matérielles de la notation du mime corporel. Voir plus loin, page N° 316.
771 Voir note N° 757, plus haut.
772 A notre avis, raison suffisante pour motiver l’apprentissage des méthodes Laban d’analyse et notation du
mouvement comme complément à l’étude du mime corporel.

307
Par ailleurs, nous insistons sur le fait que le projet Laban - Decroux ne se propose pas
en concurrence, et encore moins en remplacement, des méthodes ou des supports utilisés
éventuellement pour la préservation du répertoire «Decroux», tout au plus en tant que
complément.

Bilan pour la communication et la mémorisation

La communication et la mémorisation du répertoire «Decroux»


Plus haut, dans le chapitre IV: «l’apprentissage du mime corporel», nous avons
présenté les moyens de communication et de mémorisation des partitions du répertoire
«Decroux» utilisés couramment dans l’apprentissage du mime corporel.

Ces moyens sont principalement, pour la communication: a) la démonstration -


exécution, b) les indications verbales et c) la manipulation; pour la mémorisation: les diverses
notes d’étude et les aide - mémoire. Notre proposition considère l’utilisation des
cinétogrammes comme moyen complémentaire de communication et de mémorisation.
Cependant, ce volet du projet Laban - Decroux se trouve, non seulement soumis aux
conditions générales citées auparavant( 773), mais également à la supposition que:
• le répertoire «Decroux», a déjà été noté.
• les méthodes Laban d’analyse et de notation du mouvement, sont appliquées
couramment par les professeurs.
• le cours d’analyse et de notation du mouvement adressés aux acteurs, sont sui-
vis par ces derniers.

Alors, ce n’est qu’en présumant remplies ces conditions supplémentaires, que nous
essayerons de répondre à la question: comment les cinétogrammes, en tant que moyens de
communication et de mémorisation, détermineraient - ils l’apprentissage?

Des avantages de l’utilisation des cinétogrammes


A partir du moment où la communication des partitions inculra l’aide de l’écrit, sur ces
supports a–linguistiques impliquant la restitution des partitions par le mouvement, les acteurs
en tireront profit pour l’étude individuelle des partitions, ou leur approfondissement, en
«dehors des cours» avec les avantages suivants:

773 D’existence du répertoire «Decroux» et de réalisation du projet, cf page N° 297

308
Le fait que les partitions du répertoire «Decroux» soient écrites (dans n’importe
quel langage ou support, d’ailleurs) et que l’accès permanent aux
informations «mouvement» soit garanti aux acteurs, sera certainement une
motivation suffisante pour apprendre au moins à déchiffrer ladite écriture, ce
qui aura comme avantage supplémentaire pour le projet Laban - Decroux de
développer un «effet de boule de neige».
Le temps des cours est utilisé au profit d’autres activités, notamment la correction
par «l’œil expert externe» ou la communication( 774) des nouvelles
partitions (un parallèle peut être tiré avec le travail des acteurs, ou des
musiciens, sur des textes qu’ils étudient avant d’aller aux cours).

La traduction directe des symboles de l’écriture Laban en mouvement, évite les


écueils du langage verbal aux fins de compréhension intellectuelle, et incite
le travail de mémorisation musculaire des matériaux( 775).
La mémoire( 776) et la mémorisation des partitions est facilitée grâce à l’utilisation
de l’écrit, et l’efficacité de temps d’étude se voit augmentée en proportion.

Des risques de l’utilisation des cinétogrammes


L’utilisation des cinétogrammes comme moyen complémentaire de communication et
de mémorisation des partitions du répertoire «Decroux», comporte un groupe précis de
risques, qui inquiète particulièrement l’ensemble des professionnels des traditions dites
«corporelles»( 777).

Les glissements sémantiques


Ces risques concernent des glissements indésirables qui se produisent de façon
contingente à l’utilisation des supports extra - corporels dans la communication et la
mémorisation( 778) des traditions.
En effet, l’utilisation de ces supports pourrait donner lieu, à terme, à une connaissance
«livresque» et incomplète du sujet, qui écarterait le néophyte de la pratique comme approche
souhaitable et possible, voire indispensable.

774 Communication ou mise en contact.


775 Celle - ci est certainement un des avantages capitaux de cette application
776 La sauvegarde et la restitution des informations «mouvement» des partitions et leur accès permanent.
777 En anglais elles sont appelées «body - to - body», nous pouvons les considérer «orales».
778 Outre les documents et des méthodes audiovisuels dont l’utilisation, en première ligne, a donné lieu à cet
avertissement.

309
Chronologiquement, le premier glissement dans l’utilisation des supports extra -
corporels de mémoire, est celui qui consiste à passer de notes d’étude, ou aide - mémoire, à
moyens de communication. Puis par glissements successifs, les moyens de communication
deviennent moyen de préservation, et en fin sont considérés comme la mémoire - même des
pratiques dont ils ne sont qu’une référence.

Dans le cas du mime corporel, ceci représente les risques suivants:

I. - pour l’acteur
• la substitution de ces documents à la communication directe des informations
«mouvement» des partitions du répertoire «Decroux», et surtout l’idée que
l’accès à de tels documents peut remplacer les cours effectivement suivis.
II. - pour la tradition
• la substitution de ces documents,
- à la pratique( 779), en ce qui concerne la préservation et la transmission des
principes et fondements du mime corporel

- à l’exécution effective du répertoire «Decroux» comme exercice faisant partie


intégrante de l’apprentissage et clé de voûte de la tradition vivante.
Malheureusement, nous devons admettre que cette dernière substitution est, sauf à de
très rares exceptions, une des caractéristiques de l’état actuel de la tradition du mime corporel.

D’autres risques
Ils concernent:
• La fuite (ou le vol) des informations dites «sensibles»( 780) et leur utilisation
«frauduleuse»: le plagiat.
Ce qui signifie, par exemple que: qu'une personne, lisant la cinétographie, sans jamais
avoir étudié le mime corporel, pourrait vouloir enseigner, en se fondant sur les cinétogrammes,
des pièces dont il prétendrait être l’auteur.
Analysons cette question multiple. Si le «plagiaire» peut lire le cinétogramme:
a) il est certain qu’il a une formation physique.

779 Nous nous permettons de rappeler le sens que nous avons donné au terme «pratique», utilisé en rapport
au mime corporel, lequel fait référence aux trois volets de sa définition: être en possession physique de ce lan-
gage (la préservation par le rappel musculaire), en mesure de l’apprendre à d’autres acteurs (la transmission) et
s’en servir couramment sur scène.
780 Des partitions des pièces de répertoire de Decroux jugées «litigieuses» du fait de leur possession par un
nombre réduit d’acteurs. Possession qui leur permet d’asseoir une absurde et prétendue légitimité de seuls et
«authentiques héritiers» de Decroux.

310
Jusqu’à aujourd’hui la plupart des notateurs et de ceux qui lisent la
cinétographie Laban, sont des artistes qui s’en servent d’une façon
professionnelle. Il n’y a aucun intérêt à apprendre une langue différente de la
sienne si ce n’est pas pour l’utiliser.
b) cela ne veut pas dire qu’il soit capable d’exécuter la partition concernée.
Il suffit de penser au musicien, dont la spécialité est le violon, face à une
partition pour piano, ou à l’apprenti comédien face à un texte de Racine.
Mais supposons qu’après un grand travail et d’innombrables répétitions le «plagiaire»
arrive à «jouer» la partition en question (ce qui prouverait son niveau professionnel en mime
corporel). Dans ce cas:

c) qui va croire qu’il s’agit d’une pièce originale?


(la définition du plagiat repose sur l’originalité de l’œuvre) la réponse est:
ceux qui ne la connaissent pas!
C’est pourquoi, il est capital de noter le répertoire «Decroux» le plus tôt possible, et de
le faire connaître dans une version, la plus près possible de l’originale. Ce travail permettra, a -
posteriori, les comparaisons et les réflexions sur la justesse de l’exécution, ou des jugements
sur l’interprétation.
• La perte de l’«esprit».
Il est reproché à l’écriture du mouvement de n’être jamais assez exacte, et en
même temps, de limiter l’exécution en fixant les dimensions du mouvement
Ce risque concerne tous les supports extra - corporels de mémoire( 781) que les acteurs
pourraient utiliser pour résoudre leur besoin de mémorisation dans l’entraînement. En effet, la
reprise des partitions dépend principalement de la perception du mouvement par l’acteur, que
cette perception soit fondée sur une exécution réelle - imitation qu’il peut faire ou
démonstration d’un tiers - ou qu’elle soit fondée sur la «lecture» de ses notes d’étude,
indépendamment de la méthode utilisée dans leur élaboration.
Dans le cas de l’enseignement corps - par - corps (ce qui constitue l’état actuel de la
tradition du mime corporel), l’analyse des éléments du mouvement est ce qui permet à la fois
de le transmettre et de l’apprendre. Cependant, pour l’acteur restent les questions: de la
perception du mouvement qui permet l’analyse, et de la reprise dans l’entraînement. A ce sujet
Maria Szentpal( 782) remarque:

781 Thomas Leabhart parle d’imitation par la «coquille». Cf. «La communication, la mémoire du répertoire
‘Decroux’ et l’écriture des notes d’étude» sous le titre «l’École, une expérience» du chapitre N° IV.
782 Maria Szentpal. «The perception of movement». Communication présenté dans le cadre du 1er. Congrès
International sur la Notation du Mouvement à l'Université de Tel Aviv, Israël. août 1984. page 5, (Nous avons

311
« ... les obligations de celui qui apprend le mèneront de façon inévitable à
faire une copie, une imitation dans laquelle non seulement les éléments objectifs du
mouvement seront imités, mais aussi le résultat des caractères subjectifs de celui
qui enseigne, lesquels détermineront le sens et l’intention du mouvement. Il est
nécessaire d’avoir une grande habileté pour être capable d’une imitation aussi
proche de la perfection que possible.

En supposant que cela puise arriver, il faut se demander si dans le processus


de la perception du mouvement c’est bien l’objectif ... »

Question que nous élargissons en nous demandant si celui qui apprend, n’ajoutera pas à
son tour, au moment de le transmettre, ses propres caractères subjectifs, de sorte qu’au fil des
générations qui se succèdent, l’objet d’étude se trouve de plus en plus éloigné. L’application de
la cinétographie Laban permet d’ouvrir une nouvelle voie de perception, entre autre, grâce à la
systématisation de l’analyse et de l’écriture du mouvement.
D’autre part, la sauvegarde d’un texte fixe n’a jamais limité les possibilités
d’interprétation personnelle, et cela se voit clairement dans la musique, de même que dans le
théâtre. Par contre, l’absence de référence au «texte» original des partitions peut conduire à
des variations parfois malheureuses, voire à des déformations et, à terme, à la perte de ce qui
fait la spécificité du mime corporel.

En fin, n’oublions pas que l’utilisation des cinétogrammes constitue un moyen qui
abolit le temps et parcourt l’espace( 783) permettant la communication, la transmission et la
préservation des informations «mouvement» des partitions, en évitant les déperditions que
rend inéluctable l’entropie des traditions orales.
• Diminution du «texte» des partitions via les cinétogrammes, ou les limites
concrètes de la notation du mouvement
Le fait que la cinétographie Laban comporte des limites dans ce qu’elle peut noter des
partitions, n’est pas un argument pour la rejeter, mais pour l’améliorer et l’adapter dans le
contexte même du Projet Laban - Decroux, comme une partie intégrale de celui - ci, pour
arriver un jour à surmonter ces prétendues difficultés.
Les traditions de la poésie, du théâtre et de la musique (qui sont, à l’origine, tous des
arts du spectacle) ont été hautement renforcées par l’utilisation de l’écrit, dans le cas des deux
premières, et de la notation musicale pour la dernière. L’affirmation que cette utilisation leur a
été nuisible, serait invraisemblable.

traduit de l’anglais).
783 Voir aussi ce que Laurence Louppe dit dans: «Les imperfections du papier», dans Danses tracées; op.
cit. page 29.

312
• Des difficultés d’apprentissage de la cinétographie et de l’utilisation des ciné-
togrammes.
Il s’agit d’un des défauts majeurs dont la plupart des artistes accusent l’analyse et la
notation du mouvement. Cependant il faudrait réfléchir au fait que cette même écriture qui
nous permet de communiquer est le résultat d’un processus de conceptualisation d’un haut
degré, au même titre que tous les langages symboliques (par exemple: les mathématiques,
l’écriture des réactions chimiques et même le code de la route …). Le chorégraphe hongrois
Pino Mlakar( 784) explique:

« Le fait que l’écriture d’une partition exacte et détaillée d’une oeuvre de
ballet (et par extension, celles du répertoire « Decroux »), demande beaucoup
d'efforts et de temps, ne peut pas être utilisé comme un chef d’accusation contre la
cinétographie.

Cela n’est pas le résultat de l’inefficacité des systèmes, mais de la complexité


du matériel à noter - des aspects variés physiques, spatiaux et rythmiques -, et des
interrelations qui composent ce matériel.

Cette complexité doit être analysée de façon claire, abstraite, et notée


exactement si nous voulons laisser aux générations futures la forme identique.

Il est important de comprendre que l’écriture et la lecture d’une partition


musicale demandent elles aussi du temps, de l’effort et de l’étude »

• De la Virtuosité, nous pouvons aussi nous demander si la notation du mouve-


ment ne risque pas de renforcer l’idée d’un travail exclusivement physique et
qui conduirait au «défaut de la virtuosité»( 785)
Mais cela dépend du professeur et du travail acharné de l’élève, et même dans ce cas,
selon Eugenio Barba( 786):

« ...la spontanéité arrive après la virtuosité »

Ou, selon Etienne Decroux( 787):

« ... - la technique immunise celui qui la possède contre deux arbitraires :


celui de la mode et celui du maître.

784 Pino Mlakar. op. cit. page XX.


785 Voir aussi: «Le jeu dans la contrainte» dans le chapitre IV, plus haut.
786 Eugenio Barba. Extrait d'une conférence donnée dans le cadre du Séminaire d'Anthropologie Théâtrale à
l'Université de Paris VIII, Vincennes à Saint Denis, le 7 novembre 1989, à laquelle nous avons assisté.
787 Etienne Decroux. Paroles sur le Mime. op. cit. page 177.

313
- la technique élimine les médiocres, elle utilise le talent moyen et elle exalte
le génie »

Dans tous les cas néanmoins, il est du rôle du professeur de transmettre les autres
aspects du mime corporel, et de vérifier que le résultat du travail des acteurs correspond bien à
ce qu’il leur a demandé, en tant que «œil expert externe»( 788).

Cette liste n’est certes pas exhaustive, d’autres questions pourront encore être posées,
cependant, seule l’utilisation quotidienne de l’analyse et de l’écriture du mouvement, intégrée à
la pratique du mime corporel, pourra montrer les possibilités et les limites des méthodes Laban,
et permettra d’établir les vraies questions.
Enfin, il ne faut pas oublier qu’il ne s’agit pas d’une proposition de remplacement des
moyens de communication et de mémorisation des partitions du répertoire «Decroux»
utilisées couramment, et encore moins de renforcer la dictature de l’écrit sur la pratique. Les
cinétogrammes ne sont proposés que comme moyens complémentaires de communication et de
mémorisation.
A partir de notre expérience, il nous semble que la mise en contact des acteurs avec les
partitions du répertoire «Decroux», essentielle à l’apprentissage du mime corporel et à la
survie de sa tradition, doit être assurée et assumée impérativement par des acteurs( 789) pour
qui ce langage est le fondement du travail artistique, c’est - à - dire, des acteurs qui possèdent
physiquement le mime corporel, qui sont en mesure de l’apprendre à d’autres acteurs et qui
s’en servent sur scène.
Pour cette mise en contact, encore faut - il compter sur la possibilité de trouver ces
acteurs, car, ce n’est qu’à partir de cette rencontre que les propositions contenues dans le projet
Laban - Decroux pourront affecter, d’une façon quelconque, la tradition du mime corporel.

788 Voir le titre «L’œil expert externe» plus haut, dans le chapitre IV.
789 Voir les conditions d’existence du répertoire «Decroux», page N° 297.

314
Bilan pour l’élaboration des notes d’étude

Concernant l’élaboration des notes d’étude à partir des partitions du


répertoire «Decroux»:
Sous le titre «Pertinence et Faisabilité»( 790), nous avons vu que les méthodes Laban
d’analyse et de notation du mouvement sont aptes à répondre aux besoins de l’acteur en ce qui
concerne:

• l’obtention des informations «mouvement» (791) nécessaires à l’étude du ma-


tériau - objet( 792) d’apprentissage.

• l’élaboration des supports extra - corporels de mémoire( 793) (ou mnémo - re-
lais) qui permettront la reprise et la répétition des partitions dans
l’entraînement.

• l’accès permanent aux informations «mouvement» des partitions du répertoire


«Decroux»( 794).

Dans l’esprit du projet Laban - Decroux, les notes d’étude et aide - mémoire réalisées
par l’élève devront lui:

• permettre l’accès( 795) permanent aux informations «mouvement» des parti-


tions - objet d’étude

• servir de relais temporaires de mémoire des partitions étudiées

en attendant que l’entraînement et la répétition construisent de nouvelles structures neuro -


musculaires (l’assimilation)( 796).
En outre, ces notes doivent permettre aux acteurs, une «relecture aisée» et le
traitement( 797) adéquat des informations «mouvement» des partitions, afin que l’étude de ces
dernières et l’entraînement individuel en tirent tous les bénéfices.

790 Cf. chapitre V: «Le mime corporel, l’analyse et la notation du mouvement»


791 Informations « mouvement» : ce sont les valeurs concrètes relatives aux paramètres qui caractérisent cha-
que mouvement ou exercice. L'obtention de ces «informations» est l'objectif principal de l'analyse du mouve-
ment, selon la définition donnée plus haut.
792 Le répertoire «Decroux».
793 Nous avons défini la mémoire du répertoire «Decroux» comme: l’ensemble des fonctions de conserva -
tion, de restitution et d’accès permanent des / aux informations «mouvement» des compositions d’Etienne De-
croux.
794 Idem.
795 cf. Mémoire: voir note N° 737, plus haut
796 Cette exigence est imposée, dans l’esprit du projet Laban - Decroux, afin d’en fonder la réalisation sur la
généralisation de l’application des méthodes Laban au quotidien, et non sur le fait d’une élite «savante».

315
Ceci definit le premier points du débat sur l’application proposée des méthodes Laban:
la pertinence. Le deuxième point, celui qui concerne la faisabilité, n’est pas aussi évident, car,
il dépend directement des conditions matérielles de notation.

Conditions matérielles de la notation du mime corporel


Nous avons expliqué dans notre chapitre IV( 798), que l’élaboration des notes d’étude
dans l’apprentissage du mime corporel, dépend essentiellement de trois conditions:

• l’exécution physique matérialisant le répertoire «Decroux» par des acteurs


de la génération précédante.

• les compétences des apprentis - mimes (les acteurs) pour faire l’analyse - syn-
thèse - mémorisation du mouvement observé en temps réel.
• les méthodes d’analyse et de notation du mouvement utilisées.
ces deux dernières conditions, devront être normalement satisfaites par le cours de
cinétographie Laban adressé aux acteurs et rattaché à leur centre de formation en mime
corporel.

La condition qui représente le point critique de cette proposition, c’est le besoin absolu
d’exécution physique matérialisant le répertoire «Decroux» par des acteurs de la génération
précédante, ayant la maîtrise du mime corporel, car, de nos jours la plus grande difficulté est
bien de trouver ces acteurs. Comme du temps de Decroux, qui en 1946, déclara:

… « La plus petite difficulté que j’ai rencontrée fut l’étude du mime, dit - il,
la moyenne difficulté, l’étude de la gymnastique ; la plus grande difficulté,
conserver les élèves parce que le théâtre et le cinéma les dérobaient au fur et à
mesure que je les préparais.

C’est à cette troisième difficulté que Decroux impute la lenteur de l’ascension


du mime. L’obscurité dura une vingtaine d’années, dit - il, et il fut obligé ainsi à la
tache ingrate de monter des numéros individuels, alors que le propre de l’art
dramatique exige justement qu’il y ait heurt entre plusieurs personnes » (799)

Difficulté permanente depuis le départ. Plus tard, Decroux indique en expliquant sa


démarche:

797 Le traitement des informations «mouvement» qui demande l’étude de nos partitions comprend, entre au-
tres, l’analyse - synthèse - incorporation.
798 «L’apprentissage du mime corporel», plus haut.
799 Étienne Decroux; "La compagnie Étienne Decroux" (Paru dans les programmes du 26 juin 1946, de
l'automne 1946, 17 mars 1947. Dossier N° 28, «26 juin 1946 - 17 mars 1947», pages 3 et 1 bis. Fonds Decroux,
op. cit. (Nous avons souligné en caractères gras).

316
« … Pour découvrir si le chant par exemple peut s’installer sur scène après
un très long temps de langage parlé, la difficulté n’est pas grande. Aussi bien :
pour créer le climat mental qui rendra le chant nécessaire, le fera gonfler ou surgir,
cela suppose un savoir - faire.

Mais ce qui conditionne surtout cette réussite, c’est d’avoir des acteurs à
sa disposition. » (800).

Cette situation à présent, n’a pas changé. Elle est la même qui au départ de notre exposé
nous a conduit à considérer le mime corporel comme une pratique marginale, et cela malgré les
déclarations enflammés des spécialistes concernant la vitalité du mime corporel( 801).

Pour la survie du mime corporel, il est capital, en premier lieu d’admettre que sans les
acteurs charnels ayant la maîtrise de ce langage, seuls capables de maintenir vivante la tradition
du mime corporel, il n’y a, et n’y aura que de la spéculation autour de cette pratique et de
l’héritage d’Etienne Decroux.

Non que nous voulions écrire le requiem du mime corporel, notre intention est de
signaler des attitudes que nous considérons comme étant à l’origine d’une situation, dans
laquelle parler de tradition, de préservation et de transmission des principes et fondements du
mime corporel, etc., est un non - sens stérile quand ce discours, ou celui sur l’influence de
l’œuvre d’Etienne Decroux, reste sans référence concrète à la pratique effective( 802) du mime
corporel.

Nous ne voulons pas, non plus, mettre en cause les quelques acteurs pour qui ce
langage est le fondement du travail artistique, mais les encourager dans leur pratique, car
justement notre démarche entière les met au centre de la tradition du mime corporel, en
signalant qu’il n’y a pas de mémoire ni de transmission des principes et fondements du mime
corporel sans l’assimilation physique préalable à la pratique professionnelle.

Enfin, une fois de plus, ce n’est qu’à partir de la rencontre possible avec ces acteurs,
que la question:

800 Idem: «Explication de l’art de l’acteur», Dossier N° 2, s / d, page 17. Fonds Decroux, op. cit. (Nous
avons souligné en caractères gras).
801 Comme exemple voir «Conclusioni» in: Marco de Marinis, Mimo e teatro nel Novecento, op. cit. pages
287 et ss, notamment son dernier paragraphe de la page 299, où il affirme:
«… la questione dell’attore non puó più essere la stessa dopo Decroux. Independentemente dai risultati artis-
tici che il teatro mimico ha conseguito in questi decenni, a prescindere dal fatto che gli spettacoli silenziosi pos-
sano avere o no un futuro, qui sta l’ereditá viviente dal mimo corporeo e di Decroux al teatro di domani, che é
anche ormai - se la prospettiva non sembrerá eccessiva - il teatro di un nuovo millennio».
(Nous avons souligné en caractères gras).
802 Cf. le titre «Les manifestations matérielles de la tradition du mime corporel», chapitre III, plus haut.

317
- comment les méthodes Laban d’analyse et de notation du mouvement
détermineraient - elles (théoriquement) l’étude, la reprise et la répétition des
partitions dans l’entraînement? -

trouvera son sens, puisque l’application des Méthodes Laban d’analyse et de notation du
mouvement n’est proposée que comme un outil complémentaire.

Des avantages de l’utilisation des méthodes Laban pour l’élaboration


des notes d’étude
Les Méthodes Laban sont aptes à répondre aux besoins des acteurs en ce qui concerne
l’obtention, la compréhension, la mémorisation des informations «mouvement» des partitions
du répertoire «Decroux». Elles facilitent également l’accès permanent à ces mêmes
informations. En outre, la généralisation de leur application comporte plusieurs avantages non
négligeables. Le premier:

• donner au mime corporel un support «écrit» qui permettra son approche «in -
concreto», en facilitant la communication, l’étude et la mémoire au - delà et
en dehors du discours
ensuite:
• L’apprentissage de l’analyse et de la notation du mouvement, donnera à
l’acteur les moyens que lui permettront de se placer comme un observateur at-
tentif et actif de sa propre formation.
• La systématisation nécessaire à l’analyse et à la notation du mouvement donne
à l’acteur une structure de perception objective qui lui facilite l’étude, la mé-
morisation et la reprise des partitions.

Des risques de l’utilisation des méthodes Laban pour l’élaboration des


notes d’étude
Plus haut, nous avons indiqué que dans l’application des Méthodes Laban, le premier
désavantage réel pour les acteurs, c’est l’obligation de leur apprentissage( 803), comme
discipline additionnelle à l’étude du mime corporel. Ce qui forcerait les acteurs à partager leur
temps,

• de cours, entre ceux en mime corporel et ceux en analyse et notation de mou-


vement

803 Bien que nous hésiterions à considérer en désavantage un acteur ayant appris lesdites méthodes.

318
• d’étude, entre celui dédié à l’entrâinement et celui dédié à l’apprentissage et
les exercices d’analyse et notation du mouvement
cependant, nous avons aussi signalé que la prétension d’efficacité du temps d’étude, ne doit pas
cacher les besoins de l’acteur concernant les méthode d’analyse et de notation du mouvement
adaptées à l’étude du mime corporel, car si ces besoins ne sont pas satisfaits ou s’ils ne sont
satisfaits que partiellement, ceci constitue un obstacle concret pour l’étude des partitions, en
limitant la communication et la mémorisation du répertoire «Decroux» pour l’apprentissage
du mime corporel.

Des initiatives similaires concernant le mime corpo-


rel et / ou le répertoire « Decroux »

Nous considérons que le bilan du projet Laban - Decroux serait incomplet s’il ne
comportait pas un aperçu des propositions semblables, exprimées par d’autres personnes, et qui
reflètent d’une façon ou d’une autre l’existence de motivations suffisantes pour juger
nécessaire, voire urgente, la réalisation d’un travail visant à la revalorisation et la sauvegarde
de l’œuvre de Decroux.

Pour la préservation de pièces de répertoire de Decroux


En ce qui concerne l’intention de préservation, plusieurs autres initiatives ont vu le jour.
Elles visent l'œuvre spectaculaire de Decroux que Benhaim appelle «les œuvres
modèle»( 804), et nous appelons « pièces de répertoire de Decroux»( 805).

Afin de considérer ces propositions, nous invitons le lecteur à revoir l’analyse de la


façon dont cet ensemble s’est constitué, que nous avons présenté plus haut, et qui exprimait:
De la production spectaculaire de Decroux, certaines pièces ont été reprises au long
des années de travail et des représentations. Pouvons - nous nous risquer à les
considérer toutes comme des « pièces de répertoire»? Au moins celles dont
il existe encore des traces? Nous ne pouvons pas en être sûrs. Il serait tout
aussi risqué d’affirmer que les traces qui ont survécu( 806) représentent toutes
les pièces que Decroux aurait voulu préserver comme exemples matérialisant
au mieux les résultats de ses recherches.

804 Guy Benhaim: op. cit. page N° 491.


805 Cf. «Un langage physique pour l’acteur: le mime corporel », chapitre II, plus haut.
806 Dans le cas où il serait possible d’y avoir accès actuellement (cf. notre Introduction).

319
Cela peut s’expliquer par le fait que parfois pour Decroux, un approfondissement
particulier était nécessaire aux recherches en cours, ce qui demandait surtout
des interprètes capables de reprendre une pièce en particulier et de donner
«corps» à ses nouvelles indications. Le défaut de la personne adéquate
pouvait certainement limiter le choix des pièces qui devaient être reprises.
Choix ou non - choix, le fait est qu’aujourd’hui nous ne pouvons pas compter sur
un grand nombre d’entre elles. Certaines de ces pièces, du fait des
circonstances de leur création, sont connues seulement de leurs interprètes.
Eux sont aujourd’hui, si leurs activités et intérêts actuels ou si la mémoire
qu’ils en gardent le leur permettent, les seuls en mesure de les apprendre aux
générations présentes.
D’autres, heureusement ont été filmées( 807), et malgré le sévère travail d’analyse
demandé pour leur reconstitution, certaines d’entre elles ont été reprises dans
le spectacle «L’homme qui voulait rester debout / Hommage à Étienne
Decroux» par le «Théâtre de l’Ange Fou» dans une mise en scène de
Steven Wasson( 808).

Si nous devions parler des pièces de répertoire, en fonction du critère cité( 809),
nous aurions une liste commençant avec le programme du dit spectacle: «La
Méditation», «L’usine», «Combat antique», «Le menuisier»,
«Croisements du matin» (ou «Duo amoureux I»), «La femme oiseau»,
«L’esprit malin», «La lavandière», «Le fauteuil de l’absent», «Le
prophète» et «Les arbres».
A cette liste, nous pourrions ajouter, sans prétendre être exhaustifs:
• les duos amoureux «Ils regardent autre chose» et «Dieu les conduit», «Le
feu» «La terre», «L’eau», pièces que nous avons vu interprétées par Jean
Asselin et Denise Boulanger avec leur troupe «Omnibus»
• la première pièce de Decroux: «Vie primitive», le «passage des hommes sur
la terre» et le duo amoureux «le matin», dont nous avons étudiées des ex-
traits pendant notre formation ou à la reconstitution desquelles nous avons tra-
vaillé avec le «Théâtre de l’Ange Fou» (notamment les deux dernières)

807 Voir: «D’autres documents reconnus capables de garder des traces matérielles des partitions du réper-
toire «Decroux». Page N° 305.
808 Création à Philadelphia pour le Movement Theater International, à laquelle nous avons participé. Ce
spectacle a été filmé à Philadelphia et à Amsterdam (par le Neederlands Mime Centrum).
809 Celles dont il y a des traces, qu’elles soient des documents filmés, des photos, textes, ou des souvenirs de
ses interprètes.

320
• «Les petits soldats», pièce considèrée par Decroux comme la préfiguration du
théâtre du futur

et enfin

• «La ville» et «Lyrisme politique», pièces au sujet desquelles nous avons


entendu des commentaires enthousiastes.

Si les pièces de répertoire de Decroux se limitent à cette liste, dont nous mesurons
maintenant l’inaccessibilité, la précarité des supports et la fragilité des traces, nous ne pouvons
être rassurés quant à la préservation de l’œuvre de Decroux. Cependant, les propositions
concomitantes du «Théâtre de l’Ange Fou» et du Mime Centrum d’Amsterdam, ont offert à
quelques unes de ces pièces, un véritable sursis.
En 1992, à Philadelphia (États Unis), pendant le festival «New mime: a tribute to
Etienne Decroux»( 810), s’est tenue la table ronde «Perserving the Legacy: Recreating mime
repertoire through reconstruction and other documentation». Pour la première fois, la
préservation de l’héritage de Decroux était le sujet d’une table ronde, dans le cadre d’une
rencontre internationale autour du mime corporel.

A part le projet Laban - Decroux, présenté ici pour la première fois au public( 811), deux
autres propositions ont été présentées:

• Steven Wasson et Corinne Soum, directeurs de l’Ecole de Mime Corporel


Dramatique de Paris et du «Théâtre de l’Ange Fou», en présentant avec leur
compagnie le spectacle «L’homme qui voulait rester debout»( 812), faisaient
formellement la proposition de préservation, par: l’intégration des pièces de
répertoire de Decroux dans l’apprentissage du mime corporel offert à leur
école, et leur interprétation par les acteurs du «Théâtre de l’Ange Fou».
• Le Mime Centrum d’Amsterdam (aujourd’hui partie du Neederlandse Teater
Instituut), représenté par Ide van Heiningen, proposa de tourner une vidéo du
dit spectacle, aux fins de préservation, ce qui fut réalisé à Amsterdam, au mois
d’août de la même année.

Le rassemblement et la diffusion de l’œuvre de Decroux


Nous avons présenté en mars 1988, pour la première version, et au mois d’octobre de la
même année, dans sa deuxième version, le projet Laban - Decroux, qui visait la

810 Organisé par Michael Pedretti, directeur du Movement Theater International.


811 Depuis 1988 il avait été présenté à des individus et des institutions divers pouvant s’intéresser.
812 Qui d’ailleurs a été filmé à cette occasion par une compagnie de télévision, laquelle en à fait la vente et la
distribution publique de cassettes vidéo.

321
«Récupération, préservation et diffusion du travail du Maître Étienne Decroux / Analyse de la
technique du mime corporel et sa transcription en cinétographie Laban»( 813), et dont nous
présentons aujourd’hui le bilan théorique.
Un projet semblable, quant à ses objectifs, a été lancé peu de temps après par Yves
Lebreton( 814). Il crée une association qui se donne comme buts principaux:

« …de rassembler et diffuser l’oeuvre de celui que l’on reconnaît comme le


Maître du mime contemporain. »

il demande aux anciens élèves de Decroux, dans une lettre circulaire, de lui indiquer:

« … éventuellement, les documents que vous possédez sur Etienne Decroux
(photos, enregistrements, écrits, articles de presse ou vos propres notes de travail si
vous êtes un ex - élève de son école) afin de pouvoir constituer une archive aussi
complète que possible de son oeuvre »

recueil avec lequel, il se propose de:

« … 2. Rassembler tous les documents de et sur Etienne Decroux : écrits,


films, photos, enregistrements, et entreprendre leur restauration en collaboration
avec la « Direction du Livre et de la Lecture », et le « Centre National de la
Cinématographie.

3. Permettre la publication et la diffusion de ces documents en collaboration


avec toutes les institutions d’État et privées, nationales, intéressées et
compétentes. »

La notation du mime corporel


D’autres projets concernant la notation du mime corporel ont vu le jour, cependant leur
dessein comporte le développement des systèmes de notation ad - hoc( 815), ce qui pose encore
plus de problèmes, et dévie l’attention en compliquant la tâche. Nous avons l’impression que si
de tels projets avaient abouti, cela se saurait dans les milieux professionnels ou parmi les
professeurs.

813 En réfléchissant aujourd’hui à notre premier titre, il est clair que la signification du mot français
«Récupération» ne traduit pas exactement notre intention exprimée pour la première fois en espagnol. Nous
aurions dû utiliser plutôt celui de «Reconstitution». (Cf. l’Introduction).
814 Yves Lebreton: Lettre circulaire relative à l’appel de solidarité internationale en faveur de Mr. et Mme.
Decroux, Montespertoli, Italie, le 15 juillet 1989.
815 Fransjoris de Graaf: Een onderzoek naar mimennotatie, ontwikkeling van een universeel mime - notatie
systeem, Zeist 1982.

322
En tout état de cause, si les conditions d’existence du matériau «mouvement» qui nous
intéresse (ou les partitions du répertoire «Decroux», ou les pièces de répertoire de Decroux,
etc.), sont les mêmes pour tous, et que toute notation est contrainte à l’exécution physique qui
matérialise notre objet, il est certain que ce travail ne peut pas se faire en solitaire, et encore
moins, éloigné de la pratique du mime corporel.

323
Conclusions

« Que demandai - je pour que l’acteur que l’on entend parfois et que l’on voit
toujours, s’allonge en mime ?

Que le mouvement qu’il tasse contre un mur ou qu’il commence, il l’épure et


le continue sans pourtant en changer la nature musculaire, qu’il tende jusqu’au
bout son arc et accorde à sa flèche le droit de s’envoler » (816)

816 Etienne Decroux; Paroles sur le mime, op. cit, page 66.
Cette étude se réfère principalement à nos recherches sur le terrain. Elle s’est nourri de
nos réflexions en tant que spectateur et notateur, et de nos expériences dans l’apprentissage,
l’entraînement et la pratique spectaculaire et pédagogique du mime corporel. Les textes
consultés nous ont permis d’en établir le tissu contextuel.

Au départ de notre démarche, il s’agissait de dégager les fondements concrets du mime


corporel, au delà de la légende et du flou quasi mythique qui les entoure, en appliquant au
discours de Decroux et à la «théorie» du mime corporel, la réflexion que lui - même avait
appliquée à ceux de Gordon Craig:

« …ce qui compte c’est ce que suggère le courant central de sa pensée, et que
celle - ci se condense quelque part » (817).

Ainsi, est née l’idée de l’application de la cinétographie Laban à l’apprentissage du


mime corporel et à la préservation du répertoire «Decroux», afin de rendre compte
objectivement de la matérialité de l’œuvre de Decroux.
Depuis le début, nous avons rencontré deux contraintes majeures au traitement de notre
sujet,
• les limites du langage verbal quand il est utilisé comme moyen pour
«objectiver» le mime corporel et le répertoire «Decroux».

• la nature de notre «objet», dont la seule matérialisation possible est


l’exécution physique du mouvement qui le caractérise( 818).
Ainsi, pour réaliser cette étude dans les limites et avec les objectifs que nous lui avons
fixés, il nous a fallu pour garder une approche physique, maintenir notre pratique quotidienne
du mime corporel. Voyons à présent, les concepts que ce travail nous a permis de relever.

Sur le Bilan théorique du projet Laban - Decroux


Notre étude ne visait pas l’histoire, la poétique, ni les principes qui ont guidé la
recherche de Decroux et lui ont permis de bâtir son œuvre. Nous n’avons pas fait l’analyse des
notions touchant au spectacle en général, ni à l’esthétique, le style, ou la dramaturgie propres à
Decroux ou à d’autres créateurs en particulier. Les définitions du mime corporel, son histoire,
le contexte socioculturel de son développement, la personne et la personnalité de son créateur
ayant déjà été étudiés et critiqués, cette thèse n’avait pas à le faire.
Ainsi, elle a été centrée sur le bilan théorique du projet Laban - Decroux. Projet qui se
fonde sur l’intention d’offrir aux acteurs une méthode d’analyse du mouvement adaptée à

817 Ibidem, page 24.


818 Par des acteurs qui maîtrisent le mime corporel.
325
l’apprentissage du mime corporel, et un support «écrit» qui serve à la préservation de l’œuvre
de Decroux, au - delà et en dehors de son discours.
Dans le chapitre VII, nous avons évalué théoriquement l’apport de l’application
proposée de la cinétographie Laban aux pratiques actuelles de l’apprentissage du mime
corporel, de l’entraînement des acteurs et de la préservation du répertoire «Decroux».

Sur notre Démarche


Depuis la naissance du projet Laban - Decroux, trois questions fondamentales ont surgi
dans le contexte d’une tradition du mime corporel héritée de Decroux:

La première concerne la pertinence de l’application des méthodes Laban au


matériau «mouvement» visé. Nous avons traité cette question dans notre
mémoire de DEA.

La deuxième concerne la faisabilité du projet Laban - Decroux. La présente étude


nous a permis de montrer que la réponse à cette question est soumise à
plusieurs contraintes:

• l’existence du répertoire «Decroux». C’est - à - dire, la possibilité de trouver


des acteurs charnels qui ont assimilé et maîtrisent le mime corporel, se sou-
viennent dudit répertoire, et sont en mesure de le jouer.( 819.).

• l’utilisation du répertoire «Decroux» dans la formation actuelle des acteurs.


C’est-à-dire, la possibilité de trouver des acteurs qui assurent et assument la-
dite formation, fondée sur le matériau «mouvement» que nous avons appelé le
répertoire «Decroux»

La troisième question concerne l’intérêt de notre projet. Cette question est la plus
importante. Sa réponse ne dépend plus des besoins des acteurs au cours de
l’apprentissage du mime corporel ou en vue de la préservation du répertoire
«Decroux». Elle s'élargit jusqu’à interpeller les pratiques spectaculaires
actuelles: quel est l’intérêt que présente le mime corporel aux acteurs en tant
que langage physique? quel est l’intérêt que présente l’intégration des
acteurs possédant ce langage aux productions actuelles?
La recherche des réponses à ces questions, nous a mené à faire une exploration
approfondie du lien entre l’œuvre de Decroux et la possibilité que l’on a de percevoir

819 Conditions nécessaires et suffisantes à l'existence du répertoire:


L’acteur connaît la partition
il la comprend
il s’en souvient
il a les compétences qui lui permettent de jouer la partition.
L’acteur joue la partition: à ce moment, la pièce existe.
326
actuellement son influence éventuelle dans le jeu de l’acteur. D’autre part, il était nécessaire de
faire l’examen de l’apprentissage du mime corporel et de l’entraînement des acteurs pour
l’assimilation et la maîtrise de ce langage, afin d’établir le rôle du répertoire «Decroux»
comme trace concrète de cette tradition.

Sur Etienne Decroux et son œuvre


Decroux n’est pas le «théoricien» que certains voudraient faire croire,
• ses «théories» sont la réflexion née d’un principe qu’il s’est imposé:
«Au lieu de penser pour agir : agir pour penser.» ( 820)

• son œuvre a trois visages: ses créations spectaculaires, l’ensemble de ses


écrits, et le mime corporel,

• son principal terrain de travail se trouve au studio où il développe le mime


corporel, crée ses pièces et surtout, forme les acteurs capables de les matéria-
liser.

Le mime corporel n’est pas un ensemble de «principes et fondements» théoriques,


mais des indications pratiques pour la formation physique et l’entraînement des acteurs,
Decroux l’appelait parfois, «la gymnastique du Beau».
Cinquante ans de travail ont permis à Decroux de cristalliser l’oeuvre pédagogique et
spectaculaire que nous appelons aujourd’hui le répertoire «Decroux».
Selon Decroux, la rénovation du théâtre ne sera pas possible sans la participation active
de l’acteur qui, dès sa formation, suivra un entraînement physique personnel et quotidien. En
effet, aucun discours concernant la doctrine d’Etienne Decroux, les principes ou fondements du
mime corporel, ou son répertoire, ne peut être la «formule» pour atteindre cette rénovation.
Ce sont des indications d’entraînement, avant tout, que Decroux nous a légués.

Sur la tradition du mime corporel et l’héritage de Decroux


La troisième question citée auparavant, résume la problématique centrale de la tradition
du mime corporel, car le seul intérêt de la préservation du répertoire «Decroux» est:

La transmission du mime corporel en tant que pratique.

Ainsi, l’intérêt du projet Laban - Decroux, dépendant de la transmission du mime


corporel, est lié aux indices actuellement perceptibles de cette pratique dans les productions de
théâtre et dans la formation d’acteurs.

820 Etienne Decroux: dans Genèse d’une pièce Dossier N° 57, «Mai 1953», page 21. Fonds Decroux, op. cit.
327
Ces indices permettant d’identifier l’influence héritée de Decroux et d’attester de la
réalité de la tradition du mime corporel, nous devons reconnaître qu’ils ne sont pas nombreux;
peu sont les acteurs qui maîtrisent physiquement le mime corporel, l’apprennent à d’autres
acteurs et s’en servent sur scène.

Aujourd’hui, la première génération d’acteurs formés au mime corporel par Decroux lui
- même, partage avec ses cadets de la deuxième génération, la gageure de préserver et de
transmettre le mime corporel pour enfin donner corps à sa tradition.

Nous sommes certains que du succès de cette transmission vers la troisième génération
dépendra que le mime corporel survive à son créateur. Cent ans aprés la naissance d’Étienne
Decroux, le mime corporel survivra - t - il à son créateur?

Tout dépendra des acteurs formés au mime corporel qui ne s’arrêteront pas en cours de
route et qui, brisant l’inertie qui veut que l’école de mime corporel forme des acteurs à perte,
relèveront le défi en faisant de l’enseignement une partie intégrante de leur exercice
professionnel.
Dans ces conditions uniquement, la communication et la mémoire des informations
«mouvement» du répertoire «Decroux», définies comme cibles du projet Laban - Decroux,
auront pour épreuve suprême d’assurer au mime corporel son accession au rang de tradition
vivante d’une pratique spectaculaire, et l’application que propose notre projet, aurait un intérêt
quelconque.

Enfin, nous ne pouvons pas ne pas signaler que la tradition du mime corporel en tant
que pratique, la préservation et la recherche subséquentes concernant ses divers aspects et
niveaux, sont impossibles et inconcevables si

• des acteurs n'incarnent pas le mime corporel au préalable

• des acteurs ne les assument ni ne les assurent comme une entreprise collective
intégrant plusieurs générations.

Sur le mime corporel et le répertoire «Decroux»


L’exposé de la démarche de Decroux pour l’édification du mime corporel nous a
permis de retracer verbalement les contours du matériau «mouvement» qui constitue le
répertoire «Decroux» et concrétise ses conceptions de l’art de l’acteur. Dans ses
développements, nous avons trouvé:
• Une grammaire du mouvement fondée sur la physiologie du travail, appliquée
au corps humain en représentation.
• Un langage artistique pour l’expression théâtrale.

328
• Une méthode d’entraînement qui vise à réveiller et à préparer l’acteur à
l’assimilation et à la maîtrise de ce langage.
• Une série de protocoles d’improvisation pour guider l’acteur dans l’exploration
des chemins spectaculaires qui lui permettent de rendre objectives, par le biais
de son «corps - en - action», les subtilités du jeu dramatique.

• Et finalement, une dramaturgie construite sur les fondements antérieures.

Ce sont les différents aspects et niveaux d’organisation du mime corporel, concrétisés


par l’ensemble des compositions de mouvement du répertoire «Decroux», dont:

• des exercices pour l’acquisition, l’entretien et la maîtrise des «facultés radi-


cales», fondement biologique du mime corporel..

• des exercices et des enchaînements de mouvement pour l’apprentissage et


l’assimilation physique du vocabulaire du mime corporel.

• des figures dramatiques de style.

• des pièces de répertoire, exemples des différentes possibilités dramaturgiques


et des styles de jeu du mime corporel.

Sur l’apprentissage du mime corporel


Dans le contexte de l’apprentissage du mime corporel, le répertoire «Decroux» est le
principal matériau «mouvement» pour l’étude et l’assimilation physique du mime corporel,
grâce surtout a sa principale caractéristique en termes de mouvement: la précision.

La réalisation des objectifs de l’apprentissage, dépend du degré de fidélité recherchée


dans la reprise et la répétition, en réponse à la précision des indications des partitions, lors de
l’entraînement.
Cependant, l’objectif de ces exercices par le travail sur la précision, ne se limite pas à
une exécution correcte ou en virtuose, il vise surtout à l’accroissement de conscience des
moyens et des ressources personnels d’expression de l’acteur et à la maîtrise de ces dernières,
par l’exécution d’un mouvement corporel aux limites concrètement définies au préalable.

Sur l’entraînement des acteurs


Aucune compréhension intellectuelle ne saurait aboutir, seule, à l’apprentissage,
l’assimilation et la maîtrise du mime corporel, si la participation active et positive des acteurs
fait défaut. Cette participation est soumise à deux contraintes:

• le temps investi par l’acteur à son entraînement personnel (en dehors des
cours)
329
• l’accès que l’acteur peut avoir aux indications «mouvement» du répertoire
«Decroux», en attendant que la reprise et la répétition construisent les nou-
velles structures neuro - musculaires qui lui permettront de se servir de ce lan-
gage, comme d’une seconde nature, aux fins de représentation spectaculaire.

Si pendant la formation des acteurs, l’accès aux informations «mouvement» du


répertoire «Decroux» n’est pas garanti, et si le temps qu’ils investissent à leur entraînement
personnel ne dépasse pas un seuil minimal, le mime corporel cessera d’exister à cause du seul
manque de rappel musculaire.
C’est sur la dernière contrainte citée, que le projet Laban Decroux peut représenter un
apport à la pratique du mime corporel, voire à la survie de sa tradition et à la préservation du
répertoire «Decroux».

De l’intérêt du projet Laban - Decroux

Nous considérons que les questions posées au projet Laban - Decroux / notation du
mime corporel dans son bilan théorique, sont moins importantes que celles relevées par cette
étude en ce qui concerne la pratique du mime corporel.

C’est - à - dire que nous considérons que la problématique de la tradition du mime


corporel et de l’héritage de Decroux, va au delà de l’application des Méthodes Laban aux fins
d’apprentissage et de préservation du répertoire «Decroux». Plus importante est sans doute la
question de l’intérêt de la pratique du mime corporel, en tant que langage physique de
l’acteur, dans le théâtre contemporain.

Nous devons dire qu’un jour, Decroux et le mime corporel ont été rangés dans le tiroir
réservé aux «mimes, clowns et autres artistes du cirque» de ce que nous appelons
«l’armoire» du spectacle. Depuis, le mime corporel n’a fait qu’un timide retour sur scène,
notamment, en se faufilant parmi les danseurs qui, étonnés des aptitudes au mouvement
dramatique de ces nouveaux venus, les ont bien accueillis.

Cependant, le plus grand risque de confusion qu’affronte le mime corporel n’est pas
dans ses rapports avec la danse, puisqu'elle devient de plus en plus dramatique comme
Decroux l’avait prédit( 821), mais paradoxalement dans ses rapports avec le théâtre, du fait que
les recherches théâtrales sur le «mouvement scénique»( 822) n’abordent jamais les
propositions de Decroux aux acteurs. N’est - ce pas étrange?

821 «Le jour serait venu où ç’aurait été moi qui aurais pris l’initiative de dire à eux ce qu’ils on dit à moi, à
savoir: ‘C’est notre art que vous pratiquez’».
Dans Etienne Decroux: Paroles sur le mime, op. cit. Page 69.
822 «Le terme ‘mouvement scénique’ est d’origine relativement récent. Il s’applique à la fois à la gestuelle de
330
Parmi les chercheurs présents au colloque de Saintes en 1991, sur «Les fondements du
Mouvement Scénique», combien se sont étonnés du fait que Decroux et le mime corporel
soient absents du programme?

A la lecture des communications de ce colloque qui visait concrètement à confronter


les plus puissants des courants contemporains en la matière, et où les quelque quarante
stagiaires participant aux ateliers pratiques ont eu l’occasion d’éprouver des exercices
inspirés de Laban, Grotowski - Barba, d’une part, Meyerhold, Vakhtangov et leurs
successeurs, d’autre part. «L'après Stanislavski» ( 823), nous posons naturellement la
question:

Decroux et le mime corporel ont été évités de façon expresse?

A côté des recherches et expérimentations sur l’art de l’acteur, que mènent Barba,
Grotowski et leurs confrères (Brook, Wilson, etc.), nous pouvons nous demander quelle est la
place du mime corporel? existe - t - il encore un besoin de le préserver ou de le transmettre?
pourquoi préserver le mime corporel? mais surtout, pour qui?

La préservation de cet art justifie en partie notre entreprise, si toutefois, il existe des
acteurs qui s’intéressent à ce langage, et qui ressentent le besoin demontré par Decroux
d’acquérir les compétences qui permettent à l’acteur de se servir dramatiquement de son corps,
par l’apprentissage du mime corporel.

« Quand l’acteur s’abstiendra de paraître sur scène, accompagné de son


corps, il pourra s’abstenir d’étudier l’art du corps. » (824).

et qui en lisant Rudolf Laban, reconnaissent avec lui, le mime comme l’art théâtral de base.

« Le mime, construit d’occurrences de mouvement autant dans sa forme que


dans son contenu, est l’art théâtral de base.

Le mime pur est aujourd’hui presque inconnu, et sa perte est profondément


regrettable. (825)

l’acteur et à ses déplacements dans l’aire de jeu: cette géométrie de l’espace à laquelle Rudolf Laban était parti-
culièrement sensible et qu’a brillamment illustrée Jerzy Grotowski.»
Dans la postface de : Alain Porte, Peter Brinson, Béatrice Picon - Vallin, Vladislav Ivanov, Serguei Nikolae-
vitch, Raymonde Temkine, Yves Winkin; Les fondements du Mouvement Scénique. Communications du colloque
de Saintes «Par delà Stanislavski». Ed. Rumeur des âges et Maison de polichinelle, Saintes, 1993
823 Ibidem. Page 7. (Nous avons souligné en caractères gras).
824 Etienne Decroux; Paroles sur le mime, op. cit. page 195.
825 Rudolf Laban; Mastery of movement, op. cit. page 9. (Nous avons traduit de l’anglais). Nous voudrions
signaler que c’est en 1950 que Laban regrette la perte du mime. A cette date, il n’a certainement pas connu les
travaux de Decroux, une tournée de ce dernier en Angleterre a eu lieu en 1952.
331
… dans le nouvel art de l’acteur, les règles fondamentales de l’ancien art du
mime sont à nouveau au premier plan. Quand le mime, et avec lui la signification
du mouvement, est entièrement oublié ou négligé, le théâtre est mort. (826)

«Dissolution» contre «patrimoine inaliénable»


Marco de Marinis( 827), signale parallèlement: le « procès probablement irréversible
de dissolution du mime comme genre spécifique et autonome» et le paradoxe de l’éclosion du
mime comme « un inaliénable patrimoine artistique, culturel et scientifique de tout le nouveau
théâtre contemporain».

Ces déclarations nous laissent penser qu’il célèbre quelque chose. Veut - il dire que le
mime est «dans l’air»? qu’il nous «appartient» à nous tous, les acteurs du prochain
millénaire? et qu’il suffit de le cueillir? Si c’est le cas, nous voudrions signaler que cette
situation s’est présentée auparavant, car déjà en 1953, Decroux ironisait:

« Dire que le mime est dans l’air ne dispense pas de le poser par terre ». (828)

Le même auteur affirme, à la fin de la conclusion de son livre : «la question de l’acteur
ne peut plus être la même après Decroux. Indépendamment des résultats artistiques que le
théâtre mimique a obtenus les dernières décennies, à côte du fait que le spectacle du silence
puisse ou non avoir un avenir, il ne reste pas moins que l’héritage vivant du mime corporel et
de Decroux au théâtre de demain, est aussi — si la perspective ne semble excessive— celui du
théâtre du prochain millénaire» .

Face à ce genre de discours, Decroux avait exprimé, non sans raison:

« Si bien que constatant avec plaisir l’expansion

d’un désir de mouvement, je regrette d’en constater aussi la sénilité

précoce. (829)

Et nous pour en finir, nous affirmons que sans acteurs qui maîtrisent physiquement ce
langage, l’apprennent à d’autres acteurs, s’en servent sur scène et, d’autre part, ont la mémoire
du répertoire «Decroux», le fameux héritage tant célèbré ne sera plus que des fleurs en papier.

826 Ibidem. page 92


827 Marco de Marinis; Mimo e teatro nel Novecento, op. cit. page 291 et 299
828 Etienne Decroux; Paroles sur le mime, op. cit. page 171.
829 Ibidem, page 88.
332
De la préservation et de la diffusion de l’oeuvre de Decroux
Eugenio Barba a porté l’un des premiers un extrême intérêt à l’œuvre et aux recherches
d’Etienne Decroux. Il le considère comme l’un des fondateurs d’une tradition dans la culture
européene. Il a introduit de façon pratique l’enseignement de Decroux lors des sessions
annuelles de l’International School of Theatre Anthropology qu’il a fondée en 1979. Pour ce
faire il a confiée depuis quelques années a Thomas Leabhart la direction de l’un des ateliers qui
composent la partie pratique des sessions. Par ailleurs le nom de Decroux apparaît dans
plusieurs textes d’Eugenio Barba.
Mais, faut - il le dire? l’intérêt que Barba porte sur Decroux, les nombreuses références
à ce dernier dans ses textes, malgré leur enorme diffusion, et les ateliers pratiques (d’une durée
de deux semaines) tenus lors des sessions annuelles de l’ISTA, malgré leur apparent succès
auprès des chercheurs, sont insuffisants pour donner aux acteurs les moyens de la réalisation
sur scène des principes de jeu corporel développés par Decroux.

A la fin de cette étude, nous avons pris connaissance du projet de célébration mondiale
du centenaire de la naissance de Decroux, lancé par la Délégation Flamande (Belgique) de
l’Institut International du Théâtre de l’UNESCO. Ainsi, l’année 1998, a été déclarée «l’Année
du mime» en hommage à Decroux.
Pour notre part, c’est dans notre pratique au sein de l’Atelier International du mime
corporel - AToM que s’inscrit le projet Laban - Decroux. Notre volonté est de le réaliser afin
de surmonter les limites actuelles d’accès aux autres supports de mémoire du travail d’Etienne
Decroux. Cette contribution nous paraît indispensable pour éviter de couper les racines de
l’arbre du mime corporel qui nourrit de sa sève l’héritage d’Etienne Decroux.

FIN.

333
BIBLIOGRAPHIE

Générale

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Déc. 1969, pp. 394 - 400.
216.__________: «Mime - Paradigm of Paradox», Impulse, 1969 - 70, pp. 37 - 39.

342
217.Ruffini, Franco: «Etienne Decroux, un maître», Faire Événement, Coll. L’Art du Théâtre
n° 9, Actes Sud / Théâtre National de Chaillot, Paris, 1988, pp. 181 à 184.
218.Schechner, Richard: «Ethology and Theatre», Essays on Performance Theory 1970 -
1976, Drama Books Specialists, New York, 1977.
219.Sklar, Deidre: «Etienne Decroux’s Promethean Mime», Tulane Drama Review, vol. 29,
no 4, Winter 85, ill., portrait, (biogr.), pp. 64 - 75.
220.Soum, Corinne et Wasson, Steven: Projet Spectacle hommage à Etienne Decroux, Théâtre
de l’Ange Fou / Cie. Steven Wasson et Corinne Soum, Paris 1992.
221.Strehler, Giorgio: «Le «métier» de la poésie», Bouffonneries, nos 5 - 6, printemps -
1982, (Introd. de La commedia dell’arte à travers les masques d’Amleto et Donato Sartori),
de Alberto Marcia, c1980.
222.Taviani, Ferdinando: «L’énergie de l’acteur comme prémisse», Bouffonneries, nos 15 /
16, Le Presbytère, Lagarde - Fimarcon, 32700 Lectoure, pp. 23 - 32.
223.Temkine, R. et al.: Les fondements du Mouvement Scènique. Communications du colloque
de Saintes «Par delà Stanislavski». Rumeur des âges et Maison de Polichinelle, Saintes,
1993.
224.Théâtres du Geste, Compte rendu de la table ronde «Paroles sur les Théâtres du geste»
des Premières Rencontres Internationales de Compagnies de Mime Contemporain, La
Chartreuse de Villeneuve - lez - Avignon, 1985, Plusieurs articles.
225.Tulane Drama Review (TDR) Hiver 1988, sur le mouvement.
226.Ullman, L: «What notated movement can tell», Dance Studies, Vol 1. R. Lange / Centre
for Dance Studies, Channel Islands, 1976.
227.__________: «An international congress of dance and movement notation», Laban Art
of Movement Guild Magazine, November, 1977.
228.Veinstein, André (sous la direction de): Opéra, Ballet, Music - Hall, International Theatre
Institute, publ. 111, 1953, «Catalogue de films sur le théâtre et l’art du mime», Suisse,
UNESCO, 1965.
229.Picon - Vallin B. et al.: Les fondements du Mouvement Scènique. Communications du
colloque de Saintes «Par delà Stanislavski». Rumeur des âges et Maison de Polichinelle,
Saintes, 1993.
230.Porte, A. et al.: Les fondements du Mouvement Scènique. Communications du colloque de
Saintes «Par delà Stanislavski». Rumeur des âges et Maison de Polichinelle, Saintes, 1993.
231.Volli, Ugo: «Techniques du corps», dans Barba, Eugenio et Savarese Nicola: Anatomie
de L’Acteur, Bouffonneries Contrastes / Zeami Libri / I. S. T. A. Domaine de Lestanière,
11570 Cazilhac, France / Rome / Holsterbo, Danemark, 1986. pp. 113 à 123.
232.Youngerman, S: «Movement notation systems as conceptual framework, The Laban sys -
tem», Illuminating Dance, M. Sheets - Johnstone / Associated University Press, Inc. 1984

343
Annexes

344
"Explication de l’art de l’acteur"

ETIENNE DECROUX
Dossier N° 2, s / d, Bibliothèque de l’Arsenal, Paris

345
Page 1

(Pour la Palestine)

La compagnie d’Étienne Decroux s’apprête à séjourner sur


notre terre d’Israël.
Le spectacle qu’elle doit y donner est le prototype d’un art
inédit. La célèbre expression «est unique en son genre» peut lui
être appliquée sans remords.
Il s’agit d’un art dramatique dont l’organe dominant est le
corps de l’acteur. Ses pièces sont répétées avant d’être écrites.
Elles sont peu écrites.

346
Page 2 Page 3
1 - Le théâtre antique est littéraire: lui ne l’est pas … puisque
ses pièces ne supportent point la lecture hors de scène.
"Originalité de l’art de Decroux" 2 - La Commedia dell’arte est toujours comique; lui, l’est
Dans le meilleur des cas, il est audacieux de prétendre que cet quand il le faut mais sait être sérieux, tragique, peut s’élever jus-
art est nouveau. En conséquence, nous devons parcourir, au qu’au songe.
moins à vol d’oiseau, l’Occident et l’Extrême - Orient pour déga- La commedia dell’arte est improvisation sur la scène même :
ger la physionomie de cet art en le comparant aux théâtres passés. jamais il ne s’y livre. C’est au laboratoire qu’il improvise. Ceux
A ceux d’entre eux, bien entendu, qu’il nous est donné de des mouvements qu’il en retient sont ensuite passés un à un au
connaître et que nous croyons bien connaître ; à raison ou à tort. laminoir de la critique.
Pensant comme Bacon qu’une erreur précise fait moins tort au 3 - Quant à la pantomime:
monde qu’une vérité confuse, nous sommes amenés à croire que A. Qu’on la prenne dans l’antiquité ou dans les temps moder-
si les caractéristiques que nous attribuons à tel ou tel théâtre nes, elle ne se montre guère didascalos. Ses imitations, plus
s’avéraient incomplètes et même fausses, il ne faudrait pas trop se cruelles que soucieuses d’amender sont celles de nos défauts phy-
plaindre si nos erreurs avaient permis de mieux poser nos vérités. siques alors que dans les pièces de la troupe visiteuse bougent des
Bien qu’ayant échoué dans l’essai de prouver que l’art de De- idées morales aussi grandes que celles qui animent la dramaturgie
croux est nouveau, nous aurions la consolations d’avoir bien pré- littéraire.
cisé ce qu’il aime être. B. Outre ce grave défaut d’être moquerie plus que satire, la
pantomime avait celui d’être silencieuse à la lettre plutôt que de
l’être à l’esprit.
Voulant dire sans parler, des choses que le mot peut

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Page 4 Page 5
mieux dire, elle semblait présenter comme condition humaine ce D. Le fait enfin qu’il n’y ait point danger physique à se servir
cas accidentel où l’homme se trouve réduit à essayer de faire en- des mains et du visage qui assumaient l’explication eut suffi à
tendre par des gestes les idées mêmes qu’il a coutume de faire ôter toute noblesse à cet art si son expressionnisme lui en avait
entendre par des mots. laissée.
La pantomime avait donc pris pour jeu normal, d’imiter 4 - Et cependant, avec Chaplin, la pantomime prend un sens
l’anormal. pénétrant de civisme et évite le travers de l’excessive explication.
Avant d’avoir compris l’idée particulière de la pièce commen- Mais il reste que ce grand homme se sert du cinématographe,
cée, le public avait de quoi rire car l’idée permanente sur laquelle lequel résout sans mal tels problèmes qui demeurent redoutables
cet art reposait était déjà plaisante. sur scène. De plus, son tragique ne parvient qu’en résonance d’un
Ce n’était pas un art qui se met, certain jour, au service du co- style qui s’est voulu grotesque. S’il est risqué de dire que Charlot
mique ; c’était un art comique par tache originelle. nous fait rire d’abord, on peut se risquer à penser qu’il fait rire
dès l’abord.
C. La pantomime n’avait pas de noblesse.
Ce regard rapide à l’excès que nous venons de diriger sur
Puisqu’il faut plus d’effort pour se faire comprendre par ges-
l’Occident, portons - le sur l’Extrême - Orient.
tes, celui qui use de ce moyen nous prouve ainsi qu’il tient à ce
qu’on sache ce qu’il éprouve, plus que n’y tient celui qui parle. 5 - Pour ce qui est du théâtre chinois :
Ce muet orateur se montrait plus bavard que l’orateur verbal. Il S’il est frère aîné de l’art dont nous parlons, du fait que ce qui
révélait son impuissance à souffrir sans se plaindre, réclamait se- y domine est le jeu corporel calculé, il n’en est pas le frère ju-
cours ou concours, se faisait quémandeur, candidat, poupon éplo- meaux.
ré, comme tout faiseur de confidence: toutes choses pardonna-
bles d’ailleurs, souvent utiles à tous aussi bien: sans noblesse.

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Page 6 Page 7
Les pièces y sont «écrites» et de surcroît écrites avant qu’on l’art chorégraphique alors que leurs essences sont des antinomies.
ne les «répète»; les auteurs de ces pièces n’y sont point comé- Il convient donc de s’attarder à différencier ces deux arts:
diens dans la troupe qui les joue.
Le mime et la danse s’opposent contradictoirement par
Dans la compagnie théâtrale que nous vous présentons, rien ne l’esprit.
vient de dehors: ni le texte, ni le décor, ni la musique.
Au sein de la réalité, on ne peut mimer foncièrement dans
Lorsqu’on y prépare un spectacle, on agit pour penser, donc l’instant où l’on danse. D’autre part : on mime en parlant. Il ferait
ignorant encore son idée principale. Ce n’est qu’en «répétant» beau voir l’assassin, quand il reconstitue son crime, danser devant
qu’on découvre celle - ci, que sur ce tronc on fait pousser des son juge ; l’instituteur, quand il dessine sur le tableau ou dans
branches, que l’on ordonne en phases logiques les matériaux l’espace une figure de géométrie, tressauter rythmiquement de-
trouvés et qu’en suite on épure, cisèle. vant ses élèves. Mais qu’ils miment en parlant, joignent le geste à
Il se peut qu’à la pointe du geste, un mot perle parfois en sueur la parole : rien de plus naturel.
de mouvement. Mime et danse ne peuvent se confondre que dans l’esprit de
6 - Quittant la scène des comédiens pour la scène des dan- ceux qui n’ont pas vu de mime. Pour distinguer ces deux arts l’un
seurs, nous y voyons un mime parfois empreint de gravité et qui de l’autre s’ils apparaissent l’un près de l’autre, nulle finesse
parfois émeut mais sans émotionner. n’est requise. La différence éclate.
Jouée par des danseurs, suggérée par des musiciens, cette Égrenons en style lapidaire, pour orienter, non pour prouver,
danse «expressive» est espèce de lyrisme, lequel libère le coeur. une petite partie du chapelet des caractères différentiels entre le
Or le drame le contracte. mime et la danse.
Chacun voit bien ce qui oppose le mime au théâtre parlant
alors que leurs essences sont identiques tandis qu’on voit fort mal
ce qui oppose le mime à

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Page 8 Page 9
Le mime fabrique le rythme qui engendre la danse. Il ne convient donc pas de dire que cette équipe rénove.
La danse a le rythme dans le dos, le mime l’a devant lui. Elle innove.
La danse s’élance, le mime hésite. Non point par éclat de génie : l’innovation n’a d’autre auteur
Le danseur danse et le mime marche. qu’une patience de vingt ans.

Le danseur voit le ciel et le mime voit la terre. Il ne s’agit pas de trouvaille, nouveauté ou formule que dispo-
serait d’autre façon des matériaux déjà connus ou encore de cette
Il arrive au mime de simuler l’action de grimper à un arbre ou
autre chose : mode d’expression pour personne seule.
de démonter une horloge. On voit mal un danseur dans cette opé-
ration. Si une idée heureuse à jailli de cette troupe ce fut au début de
sa marche : quand il fut décidé que pour discerner l’essence du
La danse est un instant du monde.
théâtre et, seulement ensuite, sa richesse, l’acteur serait mis nu
Le mime est le monde ; la danse, son hirondelle. devant mur nu, sur plateau nu, dépourvu d’accessoires, visage
Le mime a l’esprit du parleur; le danseur, l’esprit du chanteur. voilé, muet, entouré de silence.
Le rythme est l’ornement du mime qui pourrait s’en passer Il s’agissait de dépouiller l’adjectif "dépouillé" de son manteau
sans perdre sons essence, qui deviendrait en s’en passant, abso- de métaphore.
lument conforme à son essence. S’il y eut génie, ce fut d’ainsi continuer pendant vingt ans sans
Le rythme n’orne point la danse, il est partie de sa structure ; il se laisser séduire par des voies plus rentables,
ne la fleurit pas : la fonde; il ne s’y ajoute pas : la constitue ; il de compléter Buffon par cette nouvelle maxime :
n’en est pas une qualité: il siège dans sa définition.
«La patience est un long génie».
Le danseur pur ne peut représenter qu’une espèce du mouve-
ment des hommes. Ce que l’acteur mime envisage:
«c’est une comédie aux cent actes divers
Et dont la scène est l’Univers.»

350
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Cette équipe érige un acteur nouveau qu’on nomme un numéro?
Non par l’âme : par le corps d’abord, par le corps ensuite, en- Ses moyens d’expression sont nombreux.
fin par le corps.
Voyons - en quelques uns:
Les hommes eussent deviné que de tous les instruments, le
corps est le plus riche si la paresse physique de ceux qui pensent Jeu saccadé d’abord.
ne leur eut interdit d’apprendre à en jouer. Puis son contraire: le jeu fondu, rappelant le ralenti du cinéma
ou évoquant une statue mobile.
"l’intérêt du mime corporel"
D’autre part: le jeu élastique, tantôt léger, tantôt puissant.
Fixé sur l’originalité de cet art, soyons - le sur son intérêt.
Vient ensuite un art d’illusion par lequel on croit voir l’objet
Intelligibilité qui est absent.

N’est - il pas un tissus d’énigmes? de gestes ayant un sens Et voici jonglerie, acrobatie, danse, chant, diction, musique
convenu? instrumentale jouée par l’acteur même.

— Non. A l’encontre du mime extrême - oriental, la chaîne de Quant aux humeurs du jeu, elles sont nombreuses aussi: hu-
ses actions rend chacune d’elles intelligible par le fait que les di- meur à la Rodin, à la Daumier, à la Goya, et l’humeur aussi du
tes actions sont reliées entre elles de cause à effet. Vaudeville.

Ce qu’il faut à cet art, ainsi qu’à la statuaire, c’est un public Convenance et bonne venue du moyen d’expression
sensible et non pas initié.
Mais ces moyens d’expression, pour variés qu’il soient, ne
Diversité des moyens d’expression font - ils songer au music hall……
«de variétés»?
Mais cet art n’est - il pas monotone? Peut - il divertir, une soi-
rée entière? Ne convient - il qu’à ce Les acteurs qui les utilisent n’ont - ils pas l’air d’avoir pour
souci dominant de nous prouver leur «savoir - faire»?

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— Un écueil si grossier devait être entrevu. Ainsi :
Aucun des moyens d’expression que nous venons de voir ne se Le jeu musculaire saccadé qui fait éclater le mouvement et le
permet d’intervenir s’il n’est point requis puissamment par foudroie en attitude, exprime la désespérée décision de l’homme
l’étape de l’histoire qui va se dérouler. las d’hésiter qui plonge enfin dans l’acte pour aussi tôt après
On sait que tout sujet a son art préféré; que tel qui veut un douter de sa convenance.
peintre se refuse au statuaire, que tel qui veut vivre en roman se Le fondu ou lenteur sans accélération ni perte de vitesse ex-
froisse à bouger dans un film, que tel qui aime être suivi par prime autre angoisse et continue, celle - là, et que l’action toute
l’amoureux cameraman, est gêné sur la scène. aussi continue porte avec elle aussi continûment qu’un corps
Or ce que nous appelons "des moyens d’expression", ce sont porte son coeur. Pour lors, si l’homme hésite, ce n’est plus avant
des arts scéniques établis de longue date; et ce que nous appelons d’agir : aussi régulier qu’une aiguille de montre, il se rend vers un
sujet, n’est pas exclusivement le sujet de la pièce. point dont il sait qu’il ignore si c’est un paradis ou un enfer.
Si la pièce se divise en actes qui chacun se divise en scènes, Le jeu musculaire élastique convient au travailleur manuel.
lesquelles se divisent en actions telles que mouvement Si les objets impliqués par l’histoire sont absents, si l’acteur
d’altruisme ou d’agression, il doit y avoir un sujet, non seulement les évoque par un jeu d’illusion où l’on croit voir saisir une sup-
pour une pièce mais aussi pour un acte, une scène, une action. posée matière, c’est qu’alors l’acte de mouvoir les choses a plus
C’est donc l’ondulation du sujet qui détermine l’ondulation d’importance que n’en ont les choses mêmes et que l’acteur libéré
des moyens d’expressions. des dites choses stylise d’autant leur manipulation imaginaire.
N’en va - t - il pas ainsi dans l’art des vers où l’espèce de Si au contraire, l’objet matériel est présent devant nous, c’est
rythme et de rime doit ne sembler venir que par besoin du sens, que l’intelligibilité de l’événement repose
non par plaisir des sens.

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Page 14 Page 15
sur l’identification immédiate de l’objet. découvrons l’acrobate ; cela ne doit pas être acrobatie de luxe .
L’acteur dispensé en ce cas du travail d’illusion, doit par com- Ce doit être l’urgence d’agir qui a décidé l’homme au fulgurant
pensation manipuler les dits objets avec l’habilité d’un jongleur. contour ou au bond franchiseur ; c’est la joie explosive ou encore
la colère qui l’a conduit d’un saut à atterrir sur le bureau ; c’est le
Sans jongler néanmoins.
hasard de la poursuite qui l’a déterminé à passer par dessous. S’il
Au sens propre, jongler veut dire que l’on rattrape ce que soi - danse, ce n’est point là ballet qui joue à l’Opéra le rôle d’un
même on a lancé. L’occasion de le faire est dramatiquement rare. agréable entr’acte : c’est la fleur de sa force et de son insou-
Nous pensons à une seule de ces opérations : soit rattraper ce ciance.
qu’un autre a lancé, soit lancer pour qu’un autre rattrape ou pour S’il parle, on n’en doit pas être choqué ainsi qu’il arrive qu’on
que l’objet atterrisse où l’on veut qu’il se pose. le soit lorsque le cantateur choit de son ciel lyrique pour se livrer
S’il arrive pourtant que l’acteur pratique la jonglerie au sens à la diction.
propre du terme, il faut que le fil de l’histoire ait besoin de cette S’il chante, cela ne doit pas engendrer l’étrange frisson du ri-
perle. Même en ce cas exceptionnel, l’acteur ne doit pas laisser dicule comme c’est souvent le cas dans l’opérette filmée où la
voir l’intention de jongler. Le jongleur sait d’avance ce qui va se chanson prend un départ indécent.
passer. L’acteur type ignore son destin:
Tout ce qui prend naissance implique une gestation. La nature
S’il s’empare d’un objet, c’est par désir, s’il s’en défait, c’est ne fait pas de saut.
par dégoût ou embarras, et s’il le rattrape, c’est par regret : tout
Si l’acteur change à notre vue le cadre de son jeu, il doit sem-
cela: dans un esprit utilitaire.
bler ne déplacer les éléments de ce décor que par besoin de ses
Et si l’acteur contourne un meuble ou le franchit ou se pose actions présentes et non pour y loger les actions du futur.
sur son fait avec une telle aisance que nous

353
Page 16 Page 17

Chaque moyen d’expression doit être intégré à la logique pro- Pour découvrir si le chant par exemple peut s’installer sur
fonde de l’histoire. scène après un très long temps de langage parlé, la difficulté n’est
pas grande. Aussi bien: pour créer le climat mental qui rendra le
Au lieu d’avoir envie de dire comme il arrive d’avoir envie de
chant nécessaire, le fera gonfler ou surgir, cela suppose un savoir
dire devant un numéro d’acrobatie «moderne» : que les figures
- faire.
acrobatiques ayant été données d’abord, on se mît en quête d’une
histoire justifiant leur venue; on doit avoir envie de dire que Mais ce qui conditionne surtout cette réussite, c’est d’avoir des
l’histoire donnée tout d’abord a rendu nécessaire telle figure acteurs à sa disposition.
d’acrobate ou de jongleur… Le comédien, pour peu qu’il étudie ces choses régulièrement,
Si une prouesse gratuite vient à se prolonger, il y a pourra chanter en suffisance, danser de même, jongler, faire de
«intermède». Ce qu’on appelle intermède, soit officiel, soit offi- l’acrobatie, tout cela en suffisance. Le spécialiste, lui, ne pourra
cieux, est un travail de spécialiste. Il se pose à froid sur une ac- pas en suffisance jouer la part de comédie qu’on a cru pouvoir lui
tion chaude ou s’accroît comme un Kyste au sein de cette action. confier.

Qu’il éclate ou q’il gonfle, l’excellence du travail de cet inop- L’escalier des moyens d’expression
portun virtuose distrait ou méduse le Scandale et un malaise
Si de tels moyens d’expression sont pour le praticien, d’une
curieux parce que verni d’admiration s’installe insidieusement
difficulté toujours grande, ils ne sont point pour le public, égale-
dans l’esprit du public.
ment nobles.
Sermon intervenant à l’heure des paillardises,
Lorsque tel d’entre eux entre en scène, le spectateur se sent un
rose cuisse entrevue sous les voûtes d’église, peu chez lui, de plain - pied avec le plateau et pour un rien, il y
blonde surgie dans l’institut, monterait.
qui traite en chaire de l’électron; Avec tel autre, il est conquis sans peine, enthousiasmé.
si le sermon est fort, la cuisse rose, la blonde pâle, Avec un troisième, il éprouve l’impression de vivre en un
aucun ne se plaindra au profond de soi même monde étrange dont il lui incombe de découvrir les mystérieux
de son profond malaise. rapports avec le nôtre.
354
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Ainsi, la présence des objets matériel impliqués par l’histoire:
décor, meubles, accessoires, costumes — surtout si les sons et les
mots s’ajoutent — rend l’action claire.
La jonglerie se fait admirer. L’acrobatie, de même.
La danse et la musique, aussitôt que parues, réjouissent
comme un alcool.
Quant à la «statuaire mobile», moment où l’acteur, dépourvu
de visage, de costumes, d’accessoire, de meubles, de décor, joue
sans secousse aucune dans un parfait silence, elle communique un
noble froid.
C’est qu’on est au sommet.
Puisque ces moyens d’expression ne sont pas situés à une
égale distance de notre monde de tous les jours, l’idée d’en faire
un escalier devait éclore naturellement.
Escalier sur lequel, sans s’en apercevoir, le spectateur pourrait
gravir la montagne artistique, de sa base familière à sa sublimité.
C’est ainsi que «Petits soldats» prend son départ en comédie
légère, divertissante sans plus, prend du style, devient grave,
émotionne, et se pose sur un monde lunaire

— Fin. —

355
Les dossiers du Fonds Decroux

« L’oeuvre écrite de Decrox est considérable. Intimement lièe à


l’enseignement et à son travail de création, elle traduit, chez lui, une impérieuse
nécessité d’élucider ses actes. Séries de notes, essais ou articles, inédits ou non,
arguments de spectacles et textes de présentation fourniraient certainement la
matière de plusieurs ouvrages  »(830).

Liste des dossiers

Cette liste est un arrangement à peu près chronologique des écrits de Decroux, la
plupart des documents sont dactilographiés, ils contiennent quelques notes manuscrites. Dans
notre nomenclature, nous avons inscrit:
• à la première ligne: le numéro du dossier et la date, quand celle - ci fait partie
de la légende qui figure sur la couverture du dossier.
• aux lignes suivantes: entre guillemets, le titre figurant sur la couverture du
dossier, et quand celui - ci n’a pas de titre en couverture, celui ou ceux des do-
cuments contenus.
• à la dernière ligne: parfois, quelques mots significatifs de Decroux, parfois
nos commentaires personnels concernant le dossier en question, il sont identi-
fiés avec des astérisques, (*) = Decroux, (*)(*) = nous.
Dossier N° 1, s / d,
«La méthode»
Dossier N° 2, s / d,
«Explication de l’art de l’acteur»
Dossier N° 3, s / d,
«sur Gordon Craig»
Dossier N° 4, 1931, (1
«D’une définition du théâtre à Georges Pomiés. Incarnation partielle du comédien
futur»
Dossier N° 5, 1931, 1 bis
«Le phare de la misère»
(*)(*), Decroux critique une pièce de Marcel Thoreaux
Dossier N° 6, 1932
«La grande patouille»
«La strambouille»
Dossier N° 7, 1939, (2
«… prend sa source au Vieux Colombier»

830 André Veinstein: Dans le prologue de Paroles sur le mime, op cit. page 10.
356
Dossier N° 8, 1940, (3
«Réponse d’Etienne Decroux au questionnaire de ‘Jeune France’»
«Esprit de mon contrat avec ‘Jeune France’»
Dossier N° 9, 1940, 3 bis
«Nos deux doctrines théâtrales»
(*)(*), Decroux présente un Programme et le budget previsionnel d’ouverture d’une
école théâtrale
Dossier N° 10, 1941, 4
«Dialogue pour la radio (Grimod)»
Dossier N° 11, Eté 1941 - Eté 1942
«Exhibition intéressante»
«Séance de Mime chez Bonvoisin» (été 1941).
Présentation animée du programme de l’école théâtrale Etienne Decroux.»
«Note Doctrinale» — En Eté 1942 - Période rue de la Neva —
Dossier N° 12, 1942, (5
«Le mime sans visage».
Article de Decroux paru dans Le Rouge et le Bleu, le 25 / 04 / 42.
Dossier N° 13, 1942, (6
«Avant d’être complet, l’art doit être»
(*)(*)… Il finit en disant: «Il vaut mieux faire le mime que d’écrire à son sujet»
Dossier N° 14, 1942 7
«Copeau ne peut plus maîtriser le mime qu’il a dechaîné»
(*)(*)… Il finit en disant: «… c’est la vie. Ainsi: Copeau est bien le père du mime dit
corporel et j’ai élevé l’enfant.»
Dossier N° 15, 30 mai 1942, 8
«Jeunesse s’acquiert»
(*), paru dans Comœdia sous l’occupation, le 30 mai 1942. Le journal préféra le titre
«Jeunesse doit s’acquérir»
Dossier N° 16, 1943
« IVES LE BOULANGER, Haltérophile sur la place publique».
(*), Petite pièce comique écrite pour la télévision française, elle fut refusée.
Dossier N° 17, Fin 1943
«Mime corporel et pantomime». Radio (Christiane Fournier)
(*), Note: il s’agissait d’établir un lien entre l’activité mimique d’Etienne Decroux et
le rôle qu’il venait de tourner dans Les enfants du paradis.
Dossier N° 18, 1943, 9
«Servitude sans grandeur, l’embauche»
Dossier N° 19, 1944, 10 bis.
«Rapport pour Albert Savy à propos d’ouverture d’école»
Dossier N° 20, 1944, 10 bis suite
Dossier N° 21, 27 juin 1945.
«Mime Corporel et ancienne Pantomime». Conférence lue à la Salle de la Chimie le
27 juin 1945.
«Manifeste sur le Mime Corporel». Lu à la Salle de le Chimie après le spectacle du
27 juin 1945.
Dossier N° 22, Avant juin 1945
Article sans titre
(*)(*), il s’agit de le critique d’un festival de danse présidé par Jean Dorcy.
Dossier N° 23, 20 juillet 1945
«Au futur comédien»
Dossier N° 24, octobre 1945
Parades: «Pour le dressage d’un lion»
Dossier N° 25, 1946
«Ordre d’importance de ce qu’il faut enseigner au futur comédien»
357
Dossier N° 26,1946
«Rapports du mime et de la parole»
Dossier N° 27, 15 nov 1946
Parade (texte sans indication de mise en scène)
Présentation d’un spectacle avec Maximilien, Éliane Guyon, Maryse Lo Jacomo (dan-
seuse) et lui même.
Dossier N° 28, 26 juin 1946 - 17 mars 1947
«La compagnie Étienne Decroux» (Paru dans les programmes du 26 juin 1946, de
l’automne 1946, 17 mars 1947.)
Dossier N° 29, 17 mars 1947
«Présentation verbale du spectacle donné à Liège le 17 mars 1947. (en séance uni-
que)». Lu par Suzanne Lodieu.
Dossier N° 30, Été 1947
«Explication sommaire sur la nature du mime corporel»
Dossier N° 31, Été 1947
«Une critique rêvée», Ainsi nous voulons voir du mime!
(*), Decroux fait le récit imaginé de la critique d’un spectacle de mime tel qu’il le
rêve. (le spectacle, pas la critique).
Dossier N° 32, Été 1947
«Valeur morale du Mime Corporel»
Dossier N° 33, 6 nov 1947
«— Allocution du 6 novembre 1946 —»
Dossier N° 34, Décembre 1947
«Première Suisse en Décembre 1947» (Neuchatel et Laussanne)
Dossier N° 35, Décembre 1947 suite
Dossier N° 36, Décembre 1947
«Monsieur Noël», Comédie pour enfants, trois personnages.
Dossier N° 37, Début 1948
«Manifeste Doctrinal».
(*)(*), Il est incomplet. Ses feuillets ne sont plus attachés et leur numérotation est: 1,
2 et 6. Manquent les pages: 3, 4 et 5.
Dossier N° 38, Été 1948
«La promotion du mime. De l’utile à l’agréable»
Dossier N° 39, Octobre 1948
«Un spectacle de mime vous est offert».
(*)(*), Texte de Decroux présenté aux délégations de Tourisme et du Travail avec
l’intention de faire connaître son travail et sa troupe en vue des tournées.
Explication du mime corporel et de ses différences avec la pantomime.
Dossier N° 40, Octobre 1948
«… Vous présente la troupe d’Étienne Decroux».
(*), Intègre le dossier précèdent dans un article paru dans le «Bulletin de Tourisme et
Travail», numéro d’octobre 1948.
Dossier N° 41, Été 1949
«le Malabar» (monologue).
Dossier N° 42, début 1950
«Autobiographie d’Étienne Decroux»
Dossier N° 43, Mars 1950
«parade poétique» et «Prologue verbal de ‘Petits soldants’»
Dossier N° 44, Mars 1950
«Ce que le public doit savoir» (Pour la Palestine)
Dossier N° 45, Mars 1950
«Explication de Petits soldats»

358
Dossier N° 46, Juillet 1950
«L’acteur de récital doit avoir un air d’homme d’état»
Dossier N° 47, Décembre 1951
«à - propos de la différence respective entre les arts du mime et de la danse».
Dossier N° 48, décembre 1951
«Prologue pour ‘le toréador’»
Dossier N° 49, janvier 1952
«Notes pour la télévision de Hollande» Janvier 1952
(*), écrites pour M. Willy van Hemert qui voulait présenter oralement la troupe de
Decroux, en la situant sur le plan de la doctrine artistique.
Dossier N° 50, 1er janvier 1952
Préparé pour la tournée en Hollande
Dossier N° 51, 12 mai 1952
«Psychanalyse», pièce à trois personnages
Dossier N° 52, 12 mai 1952
«Prise de contact», pièce à deux personnages
Dossier N° 53, juin 1952
«Deux mouvements contraires».
(*)(*), signé et daté du 13 / 01 / 53
Dossier N° 54, Été 1952
«Angleterre. Présentations orales»
Explications orales — Du spectacle donné en Angleterre au cours de l’été 1952.
Dossier N° 55, août 1952
«La forme et le contenu. le Jardin des Beaux - Arts n’est pas un potager»
Dossier N° 56, Été 1952
«Prologue pour faire passer Marise Flach d’une certaine pièce de mime à la récitation
de ‘La fiancée du Timbalier’».
Prologue de «l’esprit Malin» pour le théâtre des Quatre Saisons
Prologue pour la «Marquise Antoinette» de Victor Hugo
Explication humoristique de «l’oeil noir te regarde» ou «Il s’aperçoit que le public
est dans la salle».
Dossier N° 57, Mai 1953
Sans Titre
(*)(*), il a l’air d’un bilan de parcours
Dossier N° 58, décembre 1953
«Senile maladie infantile de l’expansion du mime».
(le titre sur P / M est «Senilité precoce»), article imprimé sur un programme de la
Casa della Cultura de Milan, le 15 décembre 1953.
Dossier N° 59, Janvier 1954
(*)(*), cet article nous le retrouvons sous le titre «Dosage du mime pour l’acteur
parlant» de Paroles sur le mime, pages 51 à 57.
Dossier N° 60, Eté 1954
«Le Mime et la santé»
(*)(*), Paru à Stockholm le… septembre 1954 dans … (mention manuscrite)
Dossier N° 61, 7 mai 1954
Présentation verbale du spectacle donné à Milan au Piccolo teatro, le 7 mai 1954, lue
par M. Parmeggiani.
Dossier N° 62, Eté 1954
«Le mime sous globe»
Dossier N° 63, décembre 1954
«Le mime», paru dans le journal suisse Connaître, Numéro Novembre - Décembre
1954. Ecrit à Zurich le 25 novembre 1954.

359
Dossier N° 64, Eté 1955
Scandinavie. Présentations orales.
Explications orales du spectacle donné en Scandinavie au cours de l’Eté 1955
Dossier N° 65, Mars 1956,
«Pour le meilleur et pour le pire»
(*), daté du 17 février 1956.
Dossier N° 66, Octobre 1956
«Présentation du cours de Mime corporel d’Etienne Decroux»
(*), pour cours chez Irène Popard.

360
Projet de
"Récupération, préservation et diffusion du travail du
Maître Étienne Decroux"

L’analyse de la technique du mime corporel et sa


transcription en cinétographie Laban.

Deuxième version
Octobre 1988
Paris

Jorge Gayon 27, A. Bd. Jourdan


75014 Paris, France
Tél (1) 45.89.55.00

361
DÉDIÉ AU MAÎTRE ÉTIENNE DECROUX.

"Je jure faire le possible, tout le possible,


rien que le possible".
E. Decroux

le serment du mime( 831)

831 Étienne Decroux: "Mime et mime", Paroles sur le mime, Librairie Théâtrale, Ed. Gallimard Paris, 1963.
362
Remerciements:
A mes professeurs, qui m’ont ouvert les portes et
m’ont montré le chemin.

en mime corporel :
Jean Asselin
Denise Boulanger

Corinne Soum
Steven Wasson

en cinétographie Laban :
Adela Adamova
Rodolfo Sorbi
Jacqueline Challet - Haas

A tous mes collègues et amis qui, avec leur intérêt pour mon projet m’ont encouragé à
continuer.

363
CONTENU

I Antécédents

II Pourquoi Decroux?

III Pourquoi Laban?

IV L’analyse de la technique du mime corporel et sa


transcription en cinétographie Laban (deux exemples)

V Considérations finales

VI Notes et bibliographie

364
I ANTÉCÉDENTS

J’ai vu un mime pour la première fois quand j’avais dix - huit ans. Je connaissais, plus
ou moins, la signification du mot "pantomime", et j’avais entendu parler de Marcel Marceau.
Mais ce premier contact avait marqué ma vie en me révélant une vocation insoupçonnée.
Après, j'ai voulu étudier le mime. Mon passage par différents studios, ateliers et stages, avec
des professeurs de diverses origines géographiques et artistiques, m’avait montré combien
d’écoles, styles et esthétiques existaient. Tous, malgré des différences d’opinion, parlaient
d’une "technique", qui, pour la plupart d’entre eux, avait été la source. A mes yeux, si cette
technique avait été le tremplin pour autant de dérivés et développements personnels et avait
inspiré ces artistes sans les limiter, si elle était assez solide pour transformer le corps humain
en un instrument fiable pour l’expression dramatique, cela valait la peine de chercher à
l’apprendre.

II POUR QUOI ÉTIENNE DECROUX ?

C’était la technique de mime d’Étienne Decroux. Or, il y avait très peu d’écoles où il
était possible d'étudier le mime corporel et, généralement son enseignement reflétait, de façon
inévitable, l’interprétation personnelle du professeur, avec des variations de l’une à l’autre. Il
fallait aller plus loin et essayer d’étudier avec lui. J’ai eu l’opportunité de suivre ses cours (un
peu trop tard, il avait 88 ans). L’école fut fermée seulement quelques mois après. Il fallait
trouver une alternative. J’étais convaincu de la valeur de la technique d’Étienne Decroux.
• - le comédien n’est rien d’autre qu’un mime;
• - le mime est une vraie technique;
• - la technique immunise celui qui la possède contre deux arbitraires : celui de
la mode et celui du maître;
• - la technique élimine les médiocres, elle utilise le talent moyen et elle exalte
le génie.( 832).

III POURQUOI LABAN ?

Cette situation m’a éveillé à l’incertitude qui entourait l’avenir de l’héritage artistique
d’Étienne Decroux. Le fruit de plus de cinquante ans de travail. Pourrions nous le préserver?
Est - ce que je pourrais faire quelque chose? Je savais que son héritage existait, il était quelque

832 Étienne Decroux: "Enseignement", Paroles sur le mime, op. cit.


365
part, ses films, ses écrits, les enregistrements de ses conférences, peut être d’autres traces
mais: et le fruit?… (ce qui pour nous est aujourd’hui la source), sa technique ? Elle était dans
les écoles, où l’on commençait à créer pour elle une tradition "orale" (que nous pouvons
appeler "physique"), cette technique faisait déjà ses premiers pas pour devenir une légende, et
peut - être un mythe.

La cinétographie Laban pouvait être une réponse aux deux questions car elle est
capable d’enregistrer toute la gamme du mouvement humain, même les plus petits
mouvements ou les plus fins. Mais qu’est - ce que c’est, la cinétographie Laban?
La cinétographie Laban ou Labanotation est le système d’enregistrement de
mouvement développé par Rudolf Laban dans les années 20. Avec cette méthode scientifique,
toutes les formes de mouvement peuvent être écrites de façon précise. Ce système à été
appliqué avec succès dans tous les domaines où il y a le besoin d’enregistrer le mouvement du
corps humain. La danse (son application la plus répandue), l’Anthropologie, le sport et la
physiothérapie, pour en citer quelques - uns. Nous pourrions dire la même chose pour le mime.
Les applications pratiques de le cinétographie Laban:
a) un moyen de communication internationale. Ses symboles non - verbaux ne
posent pas de barrière linguistique pour les échanges internationaux et la
recherche.
b) elle est un équivalent de la notation musicale. Le cinétographie Laban sert l’art
du mouvement autant que la notation musicale sert la musique.
c) c’est un moyen de préservation de créations.
d) avec les films, elle est un outil d’analyse du mouvement et de préservation des
créations, sans substituer l’un à l’autre.
e) un outil d’éducation en mouvement.
f) un outil pour la recherche en mouvement ( 833).

" la cinétographie Laban décrit la structure du mouvement (direction, niveau


et durée) en utilisant des symboles géométriques placés sur une portée verticale
(voir les exemples), lequel représente le corps. Même le plus petit geste - l’élévation
d’un sourcil ou du petit doigt - peut être enregistré avec exactitude et
précision. (834)".

833 Ann Hutchinson: «Introduction to Labanotation», Labanotation, Theatre Art Books, DNB, New York,
1977.
834 «The Danse Notation Bureau», Notated Theatrical Danses, Danse Notation Bureau, New York, 1988.
366
"Il est évident que la cinétographie Laban peut remplir les besoins des
différents domaines des études du mouvement, d’une façon, qu’aucun autre
système passé ou présent peut songer approcher".

IV LE PROJET

…ne peut songer approcher.


L’analyse de la technique du mime corporel et sa transcription en cinétographie Laban
nous donneront plus d’information que la seule géométrie du mouvement, il y a aussi la
dynamique, ce qui est beaucoup hors de portée des moyens traditionnels ou contemporains
pour enregistrer le mouvement. Si nous regardons les "mimographies" d’aujourd’hui, elles
peuvent nous donner seulement le portrait bi - dimensionnel de positions du corps, ne parlons
pas des séquences du mouvement ou des dessins en trois dimensions. Même la vidéo, avec son
image plate, ne peut nous donner l’information concernant l’effort, ni son point d’application
ni sa direction réelle.
L’analyse de la technique du mime corporel et sa transcription en cinétographie Laban
nous ouvrent la possibilité de préserver, connaître et diffuser l’inappréciable héritage artistique
de Decroux pour de plus nombreuses générations qu’aucun autre moyen.
Il est de capitale importance de rappeler la grande influence que le travail de Decroux a
eue dans le théâtre contemporain. Je voudrais citer deux opinions pour l’illustrer:

"Étienne Decroux, le fondateur du mime corporel est peut - être l’unique


maître européen qui ait élaboré un ensemble de règles comparables à celui d’une
tradition orientale".
Eugenio Barba( 835)
"Étienne Decroux aura été et est encore le grand provocateur vénéré ou
abhorré, qui sans doute aura permis l’émergence de nombreuses approches
corporelles du théâtre et de la danse modernes, telles les expériences de Grotowsky,
de Barba ou de Kantor ; celles du Living Theater, du Bread and Puppet ; telles
encore les créations d’un Bob Wilson ou d’une Pina Bausch ; Telles aussi les
recherches et les innovations d’une Arianne Mnouchkine ou d’un Peter Brook".

Jean Peret ( 836)


Concernant la valeur du mime corporel comme une base artistique solide, permettant
les développements d’interprétations personnelles conséquents, nous pouvons nommer (sans

835 «Anthropologie théâtrale», Anatomie de l’acteur, Buffoneries Contrastes, ISTA, 1985.


836 «Étienne Decroux maître de mime», Le théâtre du geste, Bordas, Paris, 1987.
367
prétendre être exhaustif) le mime Marceau, reconnu mondialement, ou Jean - Louis Barrault,
tous les deux ont utilisé professionnellement les bases de l’enseignement de Decroux.
L’importance de la diffusion du travail de Decroux par le moyen de le cinétographie
Laban est de donner, à un plus grand nombre d’artistes, une plus grande possibilité d’acquérir
l’extraordinaire source artistique et technique qu’est le mime corporel( 837), sans courir le
risque des déformations et des altérations en passant de génération en génération, non pas à
cause de l'inaptitude ou de la méconnaissance, mais en raison de la vision et des appréciations
personnelles propres à chaque individu, résultant d’une tradition purement orale.
Ce travail d’analyse de la technique du mime corporel, sa transcription en cinétographie
Laban et son utilisation générale, ne prétendent pas se substituer aux professeurs en aucune
façon, au contraire, sa prétention est de leur servir en tant qu’outil pédagogique dans
l’enseignement des bases techniques du mime( 838).
Rudolf Laban avait déjà suggéré ce travail( 839), mais aujourd’hui apparemment( 840),
les travaux sur le mime en cinétographie Laban sont rares et aucun d’entre eux ne prétend la
préservation d’un travail aussi grand et important que la technique d’Étienne Decroux.

V L’ANALYSE DE LA TECHNIQUE DU MIME


CORPOREL ET SA TRANSCRIPTION EN CINÉTO-
GRAPHIE LABAN.
(deux exemples)

Ce projet a plusieurs objectifs, qui ont été définis dans sa première version( 841). Je
voudrais les réutiliser ici pour exposer leur développement.

837 « La Mime, genre né en France, se propage dans le monde entier. Peut - on prévoir son avenir? Est - il
suffisamment vigoureux pour survivre à ceux qui l’ont crée… Pour la survie du genre, nous miserons plus sur
l’école d’Étienne Decroux que sur les réussites du réalisateur Marcel Marceau»
Jean Dorcy, A la rencontre da la Mime, Les Cahiers de la Danse et de la Culture, Neuilly - sur - Seine, 1958.
838 cf. Note antérieure.
839 « Une bibliographie de la danse et du mime, en symboles de mouvement, est aussi désirable que néces-
saire tel que les registres historiques de la poésie et de la musique réalisés grâce à l’écriture et à la notation
musicale»
Rudolf Laban, «Movement and the body (part I)», The mastery of movement, 4th Edition, Mcdonalds and
Evans, Great Britain, 1980.
840 Source : General Cataloge 1988 DNB, New York. Consulté sur place en Octobre 1988
841 Jorge Gayon, Proyecto de recuperación, preservación y difusión de los trabajos del Maestro Etienne De-
croux, Première version, Paris, Mars 1988
368
OBJECTIF 1
La compilation des documents relatifs au travail d’Étienne Decroux. A réaliser par:
a)la demande, à certains de ses anciens élèves, des copies des écrits ou des enregistrements
des conférences, articles de presse, qu’ils pourraient avoir, ou des informations les concernant
(i.e. La date, le lieu, le journal, etc.). b)la recherche dans des bibliothèques, filmothèques ou
vidéothèques spécialisées (Bibliothèque Nationale de Paris, Centre Pompidou, Cinémathèque
Internationale de la Danse, etc.). et c)l’acquisition, si nécessaire, de copies des films et vidéos
réalisées par Étienne Decroux ou sous sa direction, en France et à l’étranger.

OBJECTIF 2
a) Faire les cinétogrammes de la technique du mime corporel, depuis sa base, les
marches, les figures, et jusqu’aux oeuvres majeures d’Étienne Decroux telles que «Petits
soldats», «l’Usine», etc., à partir de mon travail d’analyse et transcription en cinétographie
Laban fait avec des écoles et des professeurs différents. J’ai établi un choix d’au moins deux
écoles ou professeurs, et un nombre idéal de cinq pour réaliser ce travail. Les deux premiers
sont : l’École de Mime Corporel Dramatique de Paris et l’École de Mime Corporel de
Montréal. Les autres trois sont : Thomas Leabhart, Daniel Stein et Maximilien Decroux.
Concernant le travail à faire avec eux, je suis depuis deux ans dans la première école
citée, et vraisemblablement j’y resterai en 1988 - 89. Par rapport à la deuxième, j’ai fait une
demande de bourse au Gouvernement Canadien pour l’année scolaire 1989 - 1990. Les deux
écoles sont au courant de ce projet et de ses objectifs et ont accepté que je travaille avec elles.
Avec MM. Leabhart, Stein et Decroux, je crois qu’une collaboration serait possible si le temps
et le support financier sont suffisants (et s’ils acceptent, évidement).
b) La transcription en cinétographie Laban des films et vidéos, en utilisant comme
support les scénarios techniques et dramatiques des pièces.

OBJECTIF 3
Publication, édition et diffusion. Grâce à la compilation de ces matériaux, leur diffusion
sera possible pour en permettre l’accès aux artistes, critiques, professeurs et étudiants. Pour cet
objectif, le premier pas doit être la publication des cinétogrammes et de tout autre matériau
écrit, en incluant les transcriptions des conférences enregistrées de M. Étienne Decroux. Ce qui
peut être fait en français, anglais ou espagnol, en collaboration avec des organisations ou
groupes de mimes et de notateurs du mouvement du monde entier. Le deuxième pas serait la
copie, restauration et / ou édition des films et vidéos. A cela s'ajoute, bien entendu, la diffusion
et distribution de tous ces matériaux aux écoles de mime, bibliothèques et filmothèques par la
réalisation de…

369
OBJECTIF 4
La création d’un Centre et École International de Mime Corporel au Mexique. Pourquoi
au Mexique? Parce qu'en Europe, aux États Unis et au Canada il existe déjà des écoles. Pour
ce qui est d’un Centre International, à l’idéal, c’est un vieux projet européen et français, conçu
par plusieurs organisations, écoles et professeurs, sa réalisation dépend donc d’eux. Ce que je
peux faire c’est offrir mon travail de recherche pour l’analyse de la technique du mime
corporel et sa transcription en cinétographie Laban tel que c’est présenté dans l’objectif
principal de ce projet. Finalement, parce que je suis mexicain. Peut - être que l’intérêt principal
de ce projet est de collaborer à la préservation d’une forme artistique, fruit du travail d’une vie
entière, d’un grand Maître français, trop oublié en France( 842), le créateur du mime moderne:
Étienne Decroux.
Pour finir ce chapitre, j’ai inclus les exemples des cinétogrammes concernant deux
figures classiques du mime «le gondolier» et «le discobole». Je rappelle que leur
utilisation est limitée à l’enseignement et non à la représentation publique.

842 Le Teatro Testoni de Bologne vient d’organiser une importante manifestation consacrée à Théâtre et Uni-
versité à l’occasion du 900ème anniversaire de l’Université de Bologne, la première crée en Europe…A cette
occasion le titre de docteur honoris causa à été décerné à Étienne Decroux, un grand maître du geste, et le profes-
seur Franco Ruffini a présenté ce personnage d’exception. L’Italie a honoré un maître trop oublié en France.…
«Étienne Decroux, dans un moment où les principes vacillent, nous le rappelle; et le titre de docteur honoris
causa qui aujourd’hui lui est conféré inscrit cet avertissement parmi les mérites qui ne sont pas les moindres de
l’Athénée de Bologne».
Franco Ruffini, «Étienne Decroux un Maître» dans Notes et Hommages, L’art du Théâtre, Faire Événement
N°9 Automne 1988, Actes Sud / Théâtre National de Chaillot, Paris, 1988.
370
371
372
VI CONSIDÉRATIONS FINALES

1. Le projet «Récupération, préservation et diffusion du travail du maître Étienne Decroux»


est actuellement en cours. Le travail d’analyse de la technique du mime corporel et sa
transcription en cinétographie Laban a déjà commencé, et a la sympathie et l’intérêt, en
premier lieu, de mes professeurs Corinne Soum et Steven Wasson (de l’École de Mime
Corporel Dramatique de Paris), de Jacqueline Challet - Haas (du Centre National d’Écriture
du Mouvement). De plus ont montré de l’intérêt; Eugenio Barba, directeur de l’ISTA, le
professeur Franco Ruffini, du Dipartimento di Musica e Spettacolo de l’Université de
Bologne, le Laban Center de Londres, le Centre International pour la Diffusion de l’Écriture
du Mouvement, a Paris, et le Danse Notation Bureau à New York.
2. La production des programmes, CALABAN «Computarized Labanotation» (pour
compatibles IBM) développé à Birmingham University et LABANWRITER (pour
Macintosh) développé à Ohio State University, faciliteront certainement notre travail et
permettront sa conclusion.
3. Cette version informatique a été réalisé en septembre 1996, les cinétogrammes inclus sont
des versions informatiques dont les dates correspondent à leur saisie sur ordinateur.

Paris, 25 octobre 1988.

373
Cinétogramme n° 19

374
Cinétogramme N° 30

375
Cinétogramme N° 74

376
Projet Laban - Decroux,
état des lieux 1998

Les propositions et l’état actuel

Toutes les propositions du projet Laban - Decroux ont été entamées. Parmi les débuts
des développements, nous avons les suivants:
• l’élaboration des diagrammes de flux concernant les méthodologies à utiliser
comme support de ce projet et pour l’application de l’analyse du mouvement.

• l’élaboration d’une grille de classification des matériaux fondée sur leur dési-
gnation

• l’élaboration des listes d’études systématiques


• la notation des exercices et des définitions du vocabulaire

• la notation des figures et (des détails) des pièces de répertoire de Decroux


(quelques exemples de chaque style de jeu)

• l’élaboration des glossaires


• l’adaptation de quelques conventions cinétographiques aux spécificités du
mime corporel avec des «notes de Style» et des «formules»
• l’organisation des «Cahiers du projet Laban - Decroux» et le développement
de leur structure

• le cours d’analyse et d’écriture du mouvement adressé aux acteurs( 843)

Rapport de l’avance « Analyse et notation »

L’état actuel des cinétogrammes


La plupart des cinétogrammes de ce rapport sont issus de nos notes des cours de mime
que nous avons utilisées comme exercices de notation, pendant notre apprentissage des deux
disciplines. Ils ont été réalisés dans le cadre de notre formation en cinétographie Laban.
Ils n’ont pas la prétention d’être représentatifs du mime corporel dans l’absolu, leur
écriture a été faite à partir de nos souvenirs «d’après - cours» et des nos notes d’étude du
mime corporel, et non pas d’après une exécution réelle.

843 Ce cours a lieu depuis 1997, au sein de l’Atelier Internatinal de Mime Corporel - AToM.

377
A l’exception du cinétogramme de la pièce La table de Thomas Leabhart( 844), la
vérification des cinétogrammes par leur mise en mouvement reste encore à faire. De ce fait, ils
comportent un certain degré de subjectivité. Néanmoins, ils donnent un apperçu (bien que
partiel) du matériau «mouvement» des cours de mime corporel pris à l’École de Mime
Corporel Dramatique de Paris entre 1987 et 1993.
Les cinétogrammes plus récents, n’ont pas encore été répertoriés, ils restent en attente
de la soutenance de la thèse: «Bilan théorique du projet Laban - Decroux / notation du mime
corporel, et la reprise générale des travaux de ce dernier.
Il faut aussi noter que la concordance des cinétogrammes de cette liste avec le
mouvement auquel ils font référence est relative à nos niveaux de formation et de maîtrise dans
les deux disciplines et que, logiquement, cette concordance s’accroît au fil du temps.
(Cinétogrammes datant de 1988 à 1993).

Cinétogrammes achevés
Nom Thème Date
La Corde Facultés radicales 1967 (845)
Sissone Scolaire I, II, III Scolarités 14 Avr. 1988 (846)
Rétablissement à la diagonale Scolarités 15 Avr. 1988
«tête contre…»
Marche neutre Scolarités 20 Avr. 1988
Chassés Scolarités 4 Mai 1988
Le serpent dans le tube Figures 24 Mai 1988
L’offrande Figures 17 Juin 1988
Le puits Figure 22 Juin 1988
Annelé Latéral Progressif et Scolarités 24 Juin 1988
dégressif, base fixe (std)
Ondulation Progressive, base Scolarités 3 Août 1988
fixe
Pas de Basque (Le «gentil» et Scolarités 26 Oct. 1988
le «méchant»)
Le Discobole Figures 5 Avr. 1989
Contrepoids avec tours Scolarités 10 Avr. 1989 (847)
Descente I Scolarités 25 Avr. 1989
Extenseur en Gga Figures 1 Mai 1989
La prière Figures 15 Mai 1989
Regrets Figures 15 Mai 1989
Marche du Haleur Scolarités 3 Sep. 1989
Marche sans accent statique Scolarités 3 Sep. 1989
Le quart de valse Scolarités 12 Sep. 1989
«Le verre» Figures 16 Sep. 1989
Tomber sur sa tête Scolarités 26 Sep. 1989
L’affichiste I (fragment) Figures 30 Oct. 1989
la fleur (L’homme de salon et Figures 30 Oct. 1989
l’homme des îles)
Contrepoids en déplacement Scolarités 1 Déc. 1989 (848)

844 Vérification par le mise en mouvement réalisée par Étienne Bonduelle (interprète d’après le cinéto-
gramme), en présence de Thomas Leabhart (auteur), Steven Wasson (interprète originale), Jorge Gayon (nota-
teur), et la Cie «Théâtre de l’Ange Fou», à l’Ecole de Mime Corporel Dramatique de Paris, le 2 novembre 1994.
845 Cinétographie de Deidre Sklar, d'après M. Decroux.
846 Deux feuillets
847 D'après C. Soum
848 Idem.

378
Nom Thème Date
Jeté du bras (dét. Le menuisiser) Pièces de répertoire 14 Fév 1990
Suppression de support coupé de Scolarités 1 Mar. 1990
dème à 2nde
Gamme latérale simple Scolarités 18 Mai 1990
Gamme latérale composée (849) Scolarités 18 Mai 1990
Marche de Base Scolarités 12 Juin 1990
Déplacement en Arrière avec 1 / Scolarités 16 Juin 1990 (850)
4 de Tour
Envol I Scolarités 19 Oct. 1990
Musicalité (851) Figures 30 Oct. 1990
Bras et Mains I Scolarités 26 Nov. 1990
Marche «New York» Scolarités 26 Nov. 1990
Envol 2 Scolarités 28 Nov. 1990
Désignations en 3D’s Figures 28 Nov. 1990
Symboles du corps Facultés radicales 12 Déc. 1990
Le gondolier Figures 1 Jan. 1991
La montre (l’usine, fragment) Répertoire 23 Sep. 1991
Entrée de «l’usine» Répertoire 15 Nov. 1991
Extenseur Simple 3’D Figures 7 Fév. 1992
Annelé Latéral progressif et Scolarités 2 Juin 1992
dégressif, base fixe (corp)
Gamme profondeur simple Scolarités 13 Oct. 1992
Gamme rotation Simple Scolarités 24 Nov. 1992
Gamme Translation Composée Scolarités 24 Nov. 1992
Translation en profondeur Scolarités 24 Nov. 1992
L’homme fort / La Foire Figures 28 Nov. 1992
Extenseur global Figures 30 Nov. 1992
Offrande I Figures 30 Nov. 1992
Marche sur les nuages Scolarités 8 Déc. 1992
Contrepoids + Déplacement + Scolarités 9 Déc. 1992
Tour (852)
La table (auteur: Thomas Leab- Pièces d’autres répertoires 19 Déc. 1992
hart)

Cinétogrammes en révision
Nom Thème Date
Lapin en 1ère Facultés radicales 20 Mai 1990
L’écoute Figures 30 Nov. 1992
«Chapeau Mexicain» ( 853) Scolarités 8 Déc. 1992
Offrande 2 (854) Figures 15 Déc. 1992
Marche «La polonaise» + Scolarités 15 Déc. 1992
«Napoléon» ( 855)
Bras et mains 2 Scolarités 15 Déc. 1992
Suppression de support (Défini- Scolarités 1 Jan. 1993
tions)

849 Quatre feuillets


850 D'après C. Soum
851 Étude rythmique de la série de «Prise et pose»
852 Deux feuillets
853 D'après C. Soum
854 Idem
855 D'après C. Soum

379
Cinétogrammes en manuscrit (856)
Nom Thème Date
Annelé progressif en 3D’s, re- Scolarités 12 Juin 1987
tour en branche
«Le théocrate I» Figures 23 Sep. 1987
Extenseur latérale avec dépla- Scolarités 28 Nov. 1987
cement
Contradiction en 3D’s Scolarités 2 Déc. 1987
Marche du soldat Anglais I Scolarités 11 Fév 1988
Marche «Petrouchka» Scolarités 8 Mar. 1988
Le maître d’hôtel: «c’est pour Figures 8 Mai 1988
vous»
Extenseur Gda Figures 14 Mai 1988
Ondulation en avant progressive, Scolarités 18 Juin 1988
compensée
Ondulation latérale progressive, Scolarités 20 Juin 1988
compensée
Annelé en Avant Dégressif, Base Scolarités 24 Juin 1988
Fixe
Ondulation latérale par paires Scolarités 18 Août 1988
Amputation en 3D’s + Contra- Scolarités 20 Oct. 1988
diction
Sup. Sup. 1ère + T. E. + 3D’s Scolarités 21 Oct. 1988
Tremblement de terre à San Scolarités 12 Nov. 1988
Francisco
Ondulation en 3D’s Progressive, Scolarités 21 Déc. 1988
base fixe
Envol + 3D’s Scolarités 3 Jan. 1989
Ondulation en 3D’s progressive, Scolarités 25 Jan. 1989
compensée
Piston Latéral Scolarités 9 Avr. 1989
Le forgeron Figures 8 Mai 1989
Sommeil Figures 8 Juin 1989
Le réveil Figures 12 Sep. 1989
L’attaque du chevalier Scolarités 13 Oct. 1989
Annelé an Avant Progressif, Scolarités 21 Nov. 1989
Base Fixe
L’adieu du Lys sur la colline Figures 18 Mar. 1990
Le pic fleurs I et II Figures 29 Mar. 1990
Le berger et la princesse Figures 20 Mai 1990
Cardeuse Scolarités 25 Mai 1990
Marche «La belle Dame» Scolarités 14 Juin 1990
Prise et pose (Dérrière - devant) Figures 4 Déc. 1992
Suppression de support (Exerci- Scolarités 13 Jan. 1993
ces)

Notes relatives aux cinétogrammes


• Les numéros donnés aux cinétogrammes n’ont pas de signification spéciale, ils sont
utilisés seulement aux fins de contrôle documentaire
• Les noms donnés aux exercices et / ou figures, ont été pris (ou appris) pendant notre
formation, parfois, il correspondent ou donnent leur nom à la série. par exemple:
«l'offrande», «l’offrande 1», de la série «les offrandes»; «la fleur» et «le verre»
de la série «prise et pose», «c’est pour vous» de la série «le maître d’hôtel»,
«Regrets» nom donné par fois à une des figures de la série «le toucher».

856 Cinétogrammes et notes éparses de qualité inégale (du cinétogramme fini de 1993 aux notes en «motif -
writing» de 1989) qui ne sont pas encore passés en révision.

380
Programme et historique du spectacle :

« L’homme qui voulait rester debout / hommage à


Etienne Decroux »

En avril 1992, le «Théâtre de l’Ange Fou / Compagnie S. Wasson et C. Soum»


présenta avec le Movement Theatre International de Philadelphia, dans le cadre du pré -
festival «12th International Movement Theatre Festival of new mime» en hommage à Etienne
Decroux, la mise en scène de S. Wasson d’une reconstruction de pièces du répértoire d’Etienne
Decroux intitulé : «l’Homme qui voulait rester débout».

Au programme:
La Méditation I, l’Usine, la Méditation II, Combat antique, Duo amoureux, le
Menuisier, Transition infernale, la Femme Oiseau, l’Esprit malin, la Lessive (ou la
Lavandière), Duo amoureux dans le parc de St. Cloud, le Fauteuil de l’absent, le Prophète, les
Arbres.

Parcours des 72 représentations.


‘92 Première mondiale à Philadelphia (Etats Unis), «New mime: A tribute to
Etienne Decroux», Movement Theatre International, du 8 au 12 avril (cinq
représentations).
Hambourg (Allemagne), «Mimen Possen poesie», St. Pauli Theater, 23 et
24 juillet. (deux représentations).
‘93 Berlin (Allemagne), II. Congreß der Europäischen Mime Föderation (EMF),
«Rekonstruktion - Innovation / Decroux - Schelemer - Meyerhold», Mime
Centrum Berlin, Akademie der Künste, 7 mai (une représentation).
Philadelphia (Etats Unis), «12th International Movement Theatre Festival of
new mime», Movement Theatre International, 1, 5 et 6 août (trois
représentations).
‘94 Paris (France), Théâtre «Le Ranelagh», de la fin janvier à la mi - avril (51
représentations).
Bologna (Italie), Teatro Testoni / interAction Nuova Scena, du 8 au 13
février (six représentations).

381
Périgueux (France), «12ème Festival International du mime», La Visitation,
le 4 août (une représentation).
Bergamo (Italie), Teatro Tascabile di Bergamo, le 6 septembre (une
représentation).

‘95 Londres (Grande - Bretagne), «London International Mime Festival»,


Purcell Room / South Bank Centre, 23 et 25 janvier (deux représentations).

Films d'archives sur le mime corporel.

Ces documents, en 16 mm et en noir et blanc, réalisés par Etienne Decroux, ont été
recensés par André Veinstein pour intégrer le Catalogue des films sur le théâtre el l’art du
mime, que l'UNESCO a publié en 1965.

Les Arbres; 1960, 7 minutes


Le Salut final et L'Usine; 1960, 9 minutes.
La Boîte à violon; 1962, 6 minutes.
Combat; (c, 1948), 5 minutes, avec Maximilien et Etienne Decroux, 1962, 5
minutes.
La Conférence; 1962, 6 minutes 30 secondes.
Coups de lance; 1961 (sans durée).

Duo amoureux; la Déclaration, 1977 (sans durée).


Duo amoureux; Dieu les conduit, 1973 (sans durée).
Duo amoureux; Ils regardent autre chose, 1977 (sans durée).
Duo amoureux 1; Matin, 1960, 6 minutes.
Duo amoureux 2; 1962, 6 minutes.
Duo amoureux 3; 1960, 5 minutes.
L'Enveloppe; 1962 (sans durée).
L'Esprit malin; c1948 (sans durée), 1962, 5 minutes.
Fers de lance; s. d. (sans durée).
L'Homme de salon; 1961, 15 minutes, (Texas).
Le Mime corporel; 1948 (sans durée). Film sur la technique du mime corporel,
comprend de la marche et de la course sur place ainsi que des improvisations
par Eliane Guyon.
Le Passage des hommes sur la terre; 1962, 65 minutes.

382
Les petits Soldats; s. d. (sans durée).
Protectorat; 1962, 3 minutes.
Le Salut final; 1962, 3 minutes.
Scènes du parc; 1962, 4 minutes.

La Statue a bougé; 1962, 6 minutes.


Table d'hôtes; 1962, 5 minutes.
L'Usine; 1960, 3 minutes.
La Ville; 1960 (sans durée).

383
TABLE D'ILLUSTRATIONS

La cinétographie Laban
Figure 1: la Portée .............................................................................................................................................237
Figure 2 : Niveaux et directions principales ............................................................................................237
Figure 3: Le temps et la durée .....................................................................................................................238
Figure 4: Symboles des parties du corps ..................................................................................................239
L'analyse de l'Effort
Figure 5: Les Facteurs et les éléments de l’effort ..................................................................................243
Figure 6: Le graphique de «l’Effort» ......................................................................................................244
Le Projet Laban-Decroux
Figure 7: Diagramme de flux du projet «Laban - Decroux» ..........................................................255
Figure 8: Diagramme de flux optionnel ....................................................................................................257
Figure 9: Premier exemple des cinétogrammes. ....................................................................................287
Figure 10: Deuxième exemple des cinétogrammes ...............................................................................288
Figure 11: Troisième exemple des cinétogrammes ...............................................................................289
Figure 12: Cinétogramme de l’exercice: «Inclinaison de ‘Tour Eiffel’ appui flechi» (sans
déraciner) .....................................................................................................................................................292

16, square Dunois • 75013 Paris • France


Tel: 01 53 61 02 02 • e-mail: atomlinks@laban-decroux.org • http://www.laban-decroux.org
Siret: 403 680 176 00027 / APE: 913 E
TABLE DE MATÈRES

Remerciements ii
Avant - Propos iii
Introduction 3
Etienne Decroux, ou l’empreinte musculaire de l’esprit 3
L’œuvre de Decroux, ou lorsque la pensée se matérialise dans le corps () 4
Le recherche autour de Decroux et de son œuvre 6
Nos recherches sur le mime corporel 7
Les limites de notre champ de recherche 9
Notre approche du sujet et nos références 10
Des études précédentes dans notre sphère disciplinaire ou ayant un rapport avec notre
sujet 11
Notre rapport avec des recherches précédentes portant sur Etienne Decroux et son
œuvre. 12
Mise en garde ou «le discours sur notre sujet» 15
Notre thèse: Le bilan théorique du projet Laban - Decroux 21
Définitions 22
La question principale 24
Méthodologie 26

Première partie «Le mime corporel et son créateur: Etienne Decroux» 32


chapitre 1 Étienne Decroux 34
Biographie 36
La rencontre avec Copeau 38
L’acteur parlant 40
Créateur et Maître du mime corporel 40
chapitre 2 L’édification du mime corporel 48
Deux bilans. 50
Les origines 52
Se vouer à une image 53
Les idées du départ, les premiers fondements 54
Decroux et l’art de l’acteur 54
La nature du jeu musculaire 62
Les objectifs 63
Propositions pour les atteindre 64
Développement 67
Le poids, la lutte, le sport 67
De la vie primitive à la Statuaire Mobile (en passant par la vie médiévale et la vie
industrielle) 71
La constitution du répertoire 76
Un langage physique pour l’acteur: le mime corporel 77
Les pièces de répertoire de Decroux 78
Les Styles de jeu 80
Les figures dramatiques et de style 86
Le vocabulaire 86
Les exercices d’entraînement 87
chapitre 3 Le répertoire «Decroux» et la tradition du mime corporel 92
La notion de répertoire «Decroux» 93
L’extension et le contenu 93
L’objet 94
La nature 94

385
Les contours 94
Matérialité dans les caractéristiques 95
Caractéristique principale 96
Répertoire - Partition 96
Note explicative sur le répertoire du mime corporel 98
La tradition du mime corporel 99
Le répertoire «Decroux» dans la tradition du mime corporel 99
La fragilité paradoxale de la tradition du mime corporel. 101
Les manifestations matérielles de la tradition du mime corporel 105
L’École Decroux 117
Les programmes des écoles 126
Précis de notre exposé 135

Deuxième Partie «L’apprentissage du mime corporel» 137


chapitre 4 Le répertoire «Decroux» et l’apprentissage du mime corporel 141
L’école, une expérience 146
L’œil expert externe, le rôle du professeur 159
La communication du répertoire «Decroux» pour l’apprentissage 160
La situation actuelle de la communication du répertoire «Decroux» 160
Les moyens de communication utilisés 161
Les notes d’étude et aide - mémoire pour l’entraînement 164
L’élaboration des notes d’étude et aide - mémoire 164
La notation du mouvement 166
Les notes d’étude et les outils audiovisuels 169
La préservation et la mémoire 171
Préservation, mémoire et tradition vivante 171
L’assimilation du mime corporel: sa préservation première 173
La mémoire du répertoire «Decroux» dans l’apprentissage 175
Le rappel musculaire du répertoire «Decroux»: mémoire première du mime corporel.
176
L’entraînement en mime corporel et la mémoire du répertoire «Decroux» 177
Les supports de mémoire du mime corporel 177

Troisième partie «L’application de la cinétographie Laban au mime


corporel» 182
L’apprentissage du mime corporel est un processus complexe. 187
L’objectif de l’apprentissage du mime corporel est une expérience 187
Le mime corporel; mouvement de nature dramatique 189
chapitre 5. Le mime corporel, l’analyse et la notation du mouvement 190
Le mime corporel et le répertoire «Decroux» comme objets d’étude 190
Matérialité de l’objet 191
L’apprentissage du mime corporel et l’analyse du mouvement 191
Le répertoire « Decroux » et l’écriture du mouvement 193
L’analyse du mouvement 195
Définition 195
Justification 195
La recherche de la méthode. 196
Pourquoi l’analyse du mouvement 196
Le mouvement humain 197
Les études sur le mouvement 198
Le mouvement, objet d’étude 198
Diverses approches disciplinaires. 199
L’approche médicale 199
La biomécanique et la kinésiologie 200

386
L’approche comportementale; modes psychologique et moteur (ou neuromusculaire)
200
Les études sur le mouvement et les Pratiques et Comportements Humains Spectaculaires
Organisés 202
L’art et le mouvement 202
Les arts du spectacle 203
Les niveaux d’application de l’analyse du mouvement 205
Les outils et les méthodes 209
Les objectifs 211
Les problèmes de l’application de l’analyse du mouvement 215
Les solutions proposées par les diverses méthodes d’analyse du mouvement. 215
La notation (écriture) du mouvement 217
La théorie du mouvement et les méthodes de Rudolf Laban 221
Rudolf Laban, (notes biographiques) 222
Concepts et principes fondamentaux de la théorie de Laban 226
Les concepts les plus importants pour l’évaluation du mouvement 228
Première confrontation 231
Le type d’étude de mouvement proposé par Laban 232
Le système de classification des mouvements 232
Les niveaux et le mode d’approche 233
Les méthodes Laban d’analyse et de notation du mouvement 234
La Cinétographie Laban (Labanotation) 235
L’analyse de l’«effort» 240
Deuxième confrontation 245
Les informations «mouvement» 246
La solution aux problèmes d’application 248
Pertinence et faisabilité 249
chapitre 6 Les Propositions 1998 du projet «Laban - Decroux / notation du mime
corporel» 251
Préambule 252
Proposition 252
Objectifs 253
Principes généraux de méthodologie 254
Les étapes 254
Applications 258
Option de complémentarité 259
Exemples 259
Grilles de classification proposées 259
Études systématiques 272
Adaptations 276
Cinétogrammes 286
Des possibilités d’application au mime corporel 290
Questions pratiques 290
Dernières propositions 292
«Les cahiers du projet Laban - Decroux» 293
Cours d’analyse et de notation du mouvement adressé aux acteurs. 293
Note sur le projet Laban - Decroux 295

Quatrième Partie «Les avantages et les risques» 296


L’entraînement des acteurs et le projet Laban - Decroux 300
chapitre 7 Bilan théorique du projet Laban - Decroux 302
Bilan pour la préservation 302
La préservation du répertoire «Decroux» 302
Note sur les droits d’auteur 304

387
D’autres documents reconnus capables de garder des traces matérielles des partitions
du répertoire «Decroux». 305
Bilan pour la communication et la mémorisation 308
La communication et la mémorisation du répertoire «Decroux» 308
Des avantages de l’utilisation des cinétogrammes 308
Des risques de l’utilisation des cinétogrammes 309
Bilan pour l’élaboration des notes d’étude 315
Concernant l’élaboration des notes d’étude
à partir des partitions du répertoire «Decroux»: 315
Des avantages de l’utilisation des méthodes Laban 318
Des risques de l’utilisation des méthodes Laban 318
Des initiatives similaires concernant le mime corporel et / ou le répertoire «Decroux» 319
Pour la préservation de pièces de répertoire de Decroux 319
Le rassemblement et la diffusion de l’œuvre de Decroux 321
La notation du mime corporel 322

Conclusions 324
Sur le Bilan théorique du projet Laban - Decroux 325
Sur notre Démarche 326
Sur Etienne Decroux et son œuvre 327
Sur la tradition du mime corporel et l’héritage de Decroux 327
Sur le mime corporel et le répertoire «Decroux» 328
Sur l’apprentissage du mime corporel 329
Sur l’entraînement des acteurs 329
De l’intérêt du projet Laban - Decroux 330
«Dissolution» contre «patrimoine inaliénable» 332
De la préservation et de la diffusion de l’oeuvre de Decroux 333
BIBLIOGRAPHIE 334
Générale 334
Thématique 334
Analyse et Notation du mouvement 334
Mime, Théâtre du mouvement 336
Théâtre, Ethnoscénologie 338
Articles, Revues et documents divers 339

Annexes 344
"Explication de l’art de l’acteur" par Etienne Decroux 345
Les dossiers du Fonds Decroux 356
Projet de "Récupération, préservation et diffusion du travail du Maître Étienne Decroux" /
L’analyse de la technique du mime corporel et sa transcription en cinétographie Laban (projet
Laban-Decroux, Seconde version — Octobre 1988.
I ANTÉCÉDENTS 365
II POUR QUOI ÉTIENNE DECROUX? 365
III POURQUOI LABAN? 365
IV LE PROJET 367
V L’ANALYSE DE LA TECHNIQUE DU MIME CORPOREL ET SA
TRANSCRIPTION EN CINÉTOGRAPHIE LABAN. (deux exemples) 368
OBJECTIF 1 369
OBJECTIF 2 369
OBJECTIF 3 369
OBJECTIF 4 370
VI CONSIDÉRATIONS FINALES 373
Cinétogramme n° 19 374

388
Cinétogramme N° 30 375
Cinétogramme N° 74 376
Projet Laban - Decroux, état des lieux 1998 377
Les propositions et l’état actuel 377
Rapport de l’avance «Analyse et notation» 377
L’état actuel des cinétogrammes 377
Cinétogrammes achevés 378
Cinétogrammes en révision 379
Cinétogrammes en manuscrit 380
Notes relatives aux cinétogrammes 380
Programme et Historique du spectacle: 381
«L’homme qui voulait rester debout / hommage à Etienne Decroux» 381
Parcours des 72 représentations. 381
Films d'archives sur le mime corporel. 382

TABLE D'ILLUSTRATIONS 384

389

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