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Animal IA Emmanuelle Pouydebat - Lintelligence Animale
Animal IA Emmanuelle Pouydebat - Lintelligence Animale
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-3691-6
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ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du
Code de la propriété intellectuelle.
On n’écrit pas un livre sur l’intelligence animale et son évolution par hasard. Il s’agit du fruit d’un long cheminement où chacun d’entre vous
se retrouvera sans doute, un peu, beaucoup, passionnément…
L’intelligence,
une spécificité humaine ?
Lorsqu’on veut comprendre les origines de l’homme, les spécificités humaines, les éventuelles spécificités de son intelligence, nous nous
heurtons d’emblée à un problème majeur qui fait encore largement débat : définir un humain.
L’humain, ce primate
Les humains sont donc des animaux, et plus particulièrement des primates. Mais quelle est leur place et qu’est-ce qui les identifie ? L’ordre
des primates (du latin primas et atis, signifiant « celui qui occupe la première place ») fait partie des mammifères placentaires. On les distingue des
autres mammifères grâce à des caractères qui leur sont propres comme le pouce opposable et la présence d’ongles (pour la plupart), une face
relativement aplatie, des membres supérieurs (bras + avant-bras + main) plus grands que les membres inférieurs (cuisse + jambe + pied) ou encore
une vision en trois dimensions. Plus de 250 espèces actuelles de primates se répartissent en deux grands groupes : les strepsirrhiniens (lémuriens,
loris, galagos) et les haplorrhiniens (ou singes) parmi lesquels on retrouve les grands singes appelés hominoïdes et abritant les humains. Les singes à
proprement parler rassemblent plus d’une centaine d’espèces aussi différentes que les ouistitis, les tamarins, les singes-écureuils, les capucins, les
singes-araignées, les macaques, les babouins, les colobes, les chimpanzés ou encore les gorilles. Tous ont leurs particularités, tant sur le plan
morphologique que comportemental. Il y a autant de singes que de comportements différents et ce qui sera valable pour une espèce ne le sera pas
pour une autre. Une découverte chez une espèce (par exemple un babouin) ne doit en aucun cas être généralisée à l’échelle des singes. Les
babouins ne sont pas « le » singe.
Ainsi, les humains sont des primates qui ont un nez comme les tarsiers, les narines dirigées vers le bas comme les colobes ou les babouins et
pas de queue comme les gibbons, les gorilles, les chimpanzés, les bonobos ou les orangs-outans. Les points communs sont également
comportementaux (jeux, soins aux petits, apprentissage, accès au pouvoir). Il suffit d’observer les grands singes, les macaques, les babouins, les
tamarins ou encore les lémuriens pour s’en rendre compte. Regardez les chimpanzés jouer entre eux, les mamans orangs-outans protégeant leurs
petits ; observez les mâles tamarins s’occuper de leur progéniture ou encore les gorilles ou les babouins cherchant à renverser le chef de groupe…
La fabrication d’outils en pierre est largement attribuée de manière exclusive aux humains. Cette particularité est pratique car, comme il est
désormais connu que d’autres animaux utilisent des outils, il est dorénavant impossible d’utiliser cet argument pour distinguer les humains des autres
animaux. La fabrication d’outils en pierre est donc utilisée pour montrer la spécificité, voire la suprématie humaine. Et cette capacité à fabriquer des
outils en pierre est associée à des caractères anatomiques de la main supposés spécifiques aux humains : pouce long opposable doté d’un muscle
long fléchisseur, extrémité des dernières phalanges (phalanges distales) larges ou encore saisies avec précision et force entre le pouce et l’index. On
doit donc s’attendre à ce que seuls les humains possèdent ces caractères et à ce que les autres animaux ne soient pas capables de fabriquer des
outils en pierre. Or, concernant les caractères anatomiques avancés pour définir la main humaine, qui plus est en association avec la fabrication
d’outils en pierre, tous sont susceptibles d’être remis en cause pour diverses raisons.
La première raison est essentielle et représente un grand défi scientifique que beaucoup d’entre nous tentent de relever chaque jour : il est
extrêmement difficile de savoir si un caractère anatomique était fonctionnel ou pas. Par exemple, ce n’est pas parce que j’ai des phalanges
courbées que je monte nécessairement aux arbres. J’ai peut-être hérité de ce caractère, mais je ne m’en sers peut-être plus. Ou je m’en sers peut-
être pour une autre fonction que celle de grimper. En revanche, oui, j’ai la faculté de grimper aux arbres. De même, ce n’est pas parce que
l’extrémité de mon pouce est large que je fabrique des outils en pierre. Dans la figure ci-dessous sont dessinés les contours des dernières phalanges
du pouce de plusieurs espèces, dont celles d’un humain actuel, d’un chimpanzé, d’un gorille, d’Homo habilis (Handy Man, 1,8 million d’années),
d’Orrorin tugenensis (6 millions d’années) et d’un invité mystère. À vous d’imaginer, voire de deviner, qui se cache derrière chacune d’elles ou,
tout du moins, de vous faire une idée de celles qui sont proches ou éloignées de la phalange humaine. Avez-vous repéré Homo habilis ?
Figure 1. Parmi ces phalanges distales du pouce (dernière phalange du pouce, là où se situent la pulpe et les empreintes digitales) se trouvent celles d’un
chimpanzé, d’un gorille, d’Orrorin tugenensis, d’Homo hab ilis, d’un humain actuel et d’un invité mystère. L’objectif étant uniquement de montrer la forme globale
indépendamment de la taille, le dessin n’est pas à l’échelle 27.
Les phalanges no 2 et no 3 sont, respectivement, celles d’un chimpanzé et d’un gorille. Remarquez que l’extrémité (partie située en haut sur le
dessin) de la phalange du chimpanzé n’est pas évasée comme celle de l’humain actuel, alors que le chimpanzé est probablement le plus grand
utilisateur d’outils actuel avec l’humain. La phalange no 4 est celle d’Orrorin, très proche de celle de l’humain actuel et pourtant très ancienne. Où
se trouvent notre invité mystère et Homo habilis ? La phalange no 6 est très large, semblant robuste. Elle semble à part, différente des autres. Est-
ce l’invité mystère ? Raté, cette phalange no 6 est celle d’H. habilis. Ainsi, la phalange distale d’Orrorin est plus proche de celle de l’humain actuel
que ne l’est celle d’H. habilis, pourtant considéré comme humain et plus récent. Les hominidés fabriquaient-ils donc des outils il y a 6 millions
d’années ? Ou cette forme de phalange n’est-elle pas suffisante, voire pertinente pour répondre ? Les deux sont possibles de nouveau. Quant à la
phalange no 1, qui est donc notre phalange mystérieuse, sa forme globale est plus proche de celle d’un humain que ne le sont les phalanges des
grands singes et d’H. habilis. Et pourtant, cette phalange appartient à Sue et date de… 70 millions d’années ! Qui est Sue ? Un dinosaure, un
tyrannosaure précisément, rendu célèbre, car acheté chez Sotheby’s à New York pour plus de 8 millions de dollars. Car, oui, certains dinosaures
(parmi lesquels les sauropodes et le centrosaure par exemple) ont une phalange distale du pouce large pendant que d’autres (hadrosaure, par
exemple) possèdent une phalange distale du gros orteil large. Évidemment, je force un peu le trait, car je ne fais mention ici que de la forme globale,
un contour, alors qu’il faudrait présenter une analyse détaillée de l’os. Il n’empêche que c’est troublant, et que la phalange distale du pouce n’est
certainement pas un caractère suffisant pour résumer l’utilisation et la fabrication d’outils.
Figure 2. Un microcèbe et une des grenouilles étudiés (© E. Pouydebat et A. Herrel). Un monde les sépare. Et pourtant…
Attachons-nous à d’autres caractères dits humains, comme l’opposabilité du pouce et la précision (saisie entre les extrémités du pouce et de
l’index). Pour discuter de leur pertinence, laissez-moi vous raconter une petite expérience. Nous sommes début 2012 et je cherche à comprendre
si le milieu arboricole favorise ou non les capacités de préhension (saisir) et, si oui, s’il s’agit d’une spécificité des primates. Mon idée est que non
seulement la locomotion arboricole n’a pas été contradictoire avec l’émergence de l’outil, mais qu’au contraire elle a pu favoriser le développement
des capacités de saisir et de manipuler, capacités supposées partagées par de nombreuses espèces arboricoles. Si tel est le cas, je dois pouvoir
montrer que des espèces arboricoles utilisent au moins aussi bien leurs mains que les espèces terrestres et qu’elles partagent des points communs
même si elles sont éloignées sur le plan évolutif. Pour tester cette idée, je me lance dans plusieurs expérimentations consistant à comparer des
espèces terrestres avec des arboricoles et des arboricoles entre elles. Une première étude menée avec Anne-Claire Fabre, collègue en thèse à
l’époque, vise à comparer des espèces terrestres et arboricoles chez les carnivores, qui présentent l’avantage de compter de nombreux
représentants préhenseurs et non préhenseurs dans les deux camps, contrairement aux primates qui sont essentiellement arboricoles et tous
préhenseurs (et chez lesquels il est donc difficile de comparer de très nombreuses espèces selon leur mode de vie terrestre ou arboricole en lien
avec leurs capacités de préhension). Les résultats montrent alors clairement que les carnivores arboricoles étudiés ont de meilleures capacités de
pronation (sorte de rotation du coude qui permet de saisir) que les carnivores terrestres 28 . Autrement dit, saisir des branches pour se déplacer peut
bien avoir favorisé l’action de saisir des objets, pour les manipuler ensuite. Une étude toute récente menée par une de mes étudiantes, Louise
Peckre, va également en ce sens. Elle montre très clairement que l’environnement arboricole a probablement favorisé les capacités de préhension
manuelle qui auraient d’ailleurs, chez des primates comme chez les lémuriens, favorisé la capacité des petits à s’accrocher à la fourrure de leur
mère 29 . Une autre expérience va encore davantage m’intéresser : comparer deux espèces arboricoles très différentes pour voir si le milieu qu’elles
ont en commun a pu favoriser le développement des mêmes capacités de saisie. Les deux espèces choisies sont alors des microcèbes et des
grenouilles (figure 2). Les microcèbes (Microcebus murinus) sont les plus petits primates du monde (avec les ouistitis pygmées) et font partie des
lémuriens. Les grenouilles sont ici des Phyllomedusa azurae.
Avec mon collègue Anthony Herrel et des étudiants, nous nous sommes lancés dans l’observation des saisies de branches de ces petites
espèces 30 . Résultats : les saisies des microcèbes sont très proches de celles utilisées par les grenouilles. Pourtant, les différences anatomiques entre
ces espèces sont de taille puisque les grenouilles n’ont que quatre doigts. Néanmoins, un point majeur et fascinant est relevé. Certaines grenouilles
possèdent un premier doigt qui se « comporte » comme un pouce. En effet, il a la capacité de s’opposer et de contribuer à des saisies de précision.
La précision ne nécessite donc pas de pouce à proprement parler et peut donc exister avec seulement quatre doigts dans la mesure où au moins un
est opposable. Autre point très intéressant : cette même grenouille (comme Phyllomedusa bicolor) possède un pouce long. Autrement dit, nous
avons là une grenouille qui a un pouce long et opposable aux autres doigts, ce qui fait étrangement penser à un humain… Nous avons exactement le
même problème inversé dans la lignée humaine. Par exemple, la phalange distale du pouce d’Homo habilis (1,8 million d’années) est plus large
que celle des humains actuels : utilisait-il davantage d’outils que nous ? De même pour Australopithecus sediba (2 millions d’années) qui possède
un pouce plus long que les humains modernes : utilisait-il davantage d’outils que nous ? Il est donc évident que certains critères (pouce long,
opposabilité du premier doigt, précision) existent chez bien d’autres espèces que les humains, parfois même très éloignées sur le plan évolutif. De
plus, il est très clair que ces caractères ne sont pas nécessairement associés à la fabrication d’outils en pierre. À moins que les grenouilles et les
dinosaures n’aient inventé l’outil en pierre entre 360 et 65 millions d’années !
La deuxième raison qui me pousse à remettre en cause le lien entre ces caractères anatomiques dits humains et la fabrication d’outils en pierre
rejoint la première : bon nombre de ces caractères existent chez d’autres espèces que les humains et celles-ci ne fabriquent ni n’utilisent
actuellement d’outils en pierre ni même d’outils. C’est le cas par exemple de nombreux lémuriens, qui ont un pouce long mais qui ne fabriquent ni
même n’utilisent d’outils en pierre, ou encore des gibbons, qui possèdent le muscle long fléchisseur du pouce, mais qui, eux non plus, ne fabriquent
ni n’utilisent d’outils en pierre.
La troisième raison, c’est que certaines espèces utilisent des outils en pierre sans posséder ces caractères anatomiques dits humains. Ainsi,
les singes capucins (au Brésil) et les chimpanzés (Côte d’Ivoire, République de Guinée) sont connus pour utiliser des pierres dans le but de casser
des noix, dont la dureté est souvent très importante, en employant différentes stratégies témoignant de leurs capacités cognitives (choix optimal de
l’outil et de l’enclume où poser la noix, phénomènes d’apprentissage, de mémorisation, de transport de l’outil, etc.) 31 . Et, pour certains, cette tâche
est plus complexe pour un capucin que pour un chimpanzé. Imaginez la situation très complexe que doivent résoudre les femelles capucins, qui
soulèvent parfois des pierres pesant 3,5 kilos alors que leur masse corporelle n’est que de 2,2 kilos : il leur faut soulever une pierre plus lourde que
leur propre corps pour ouvrir une petite noix, sans l’écraser bien sûr ! Cela étant, nous avons montré avec une de mes thésardes (Pauline Thomas)
que les petits microcèbes pouvaient tracter jusqu’à dix fois leur masse corporelle 32 ! Autre exemple tout à fait intéressant : en captivité, les singes
capucins sont de grands casseurs de noix ! Les femelles sont très fortes à ce jeu-là. Or, le plus souvent, à la Vallée des singes, elles les frappent
contre divers substrats et pas n’importe lesquels : les plus durs et selon des mouvements bien précis pour optimiser la rapidité de leur ouverture 33 .
Elles sont très efficaces, et sans outils. En effet, l’utilisation d’un substrat comme enclume pour ouvrir la noix est considérée comme du proto-usage
d’outils et non comme une réelle utilisation d’outil (il n’y a pas d’intermédiaire entre la main et la noix à ouvrir). Ce n’est donc pas parce qu’il n’y a
pas de fabrication ni d’utilisation d’outils qu’il n’y a pas de résolution de problème ni de stratégie et qu’on ne peut pas aborder l’évolution de
l’intelligence.
Néanmoins, nous avons jusqu’ici beaucoup parlé d’utilisation d’outils ou de proto-usage d’outils, mais pas de fabrication d’outils et encore
moins de fabrication d’outils en pierre. Rien de suffisant donc pour tordre le cou à ce lien supposé entre caractères anatomiques dits humains et
fabrication d’outils. Nouvelle question : d’après vous, qui a fabriqué les outils présentés dans la figure 3 ? Homo habilis ? Homo erectus ? Eh bien
non, c’est Kanzi. Un bonobo.
Les expérimentations conduites aux États-Unis montrent que Kanzi, un bonobo (Pan paniscus : grand singe proche du chimpanzé), est
capable de fabriquer toute une variété d’outils en pierre. Certes, le premier geste rudimentaire a été effectué devant lui par un humain et certes il
s’agit d’un contexte expérimental (comportement non observé dans le milieu naturel). Néanmoins, avec ses mains de bonobo, Kanzi a été capable
de fabriquer un outil et, qui plus est, de créer et d’améliorer au fil des années, tout un panel d’outils en pierre adaptés aux tâches qu’il devait réaliser
(couper, écraser, etc.).
Plusieurs points sont fondamentaux dans cette découverte. Le premier est qu’un grand singe au pouce court et étroit, utilisant peu les saisies
de précision et a priori dépourvu du long fléchisseur du pouce, est tout à fait capable de fabriquer différents outils en pierre. Le deuxième point est
que nous savons depuis 1993 qu’un grand singe est capable de fabriquer des outils en pierre en l’absence de caractères anatomiques jugés
humains et spécifiques à cette tâche. Pire, nous savons depuis 1972 qu’un orang-outan est capable de fabriquer un outil en pierre 35 . Et son pouce
est encore plus court que celui d’un bonobo. Pourtant, l’impact de ces travaux est quasi inexistant sur la réflexion à apporter aux origines de l’outil
dans la lignée humaine.
Pourquoi sommes-nous aveugles et/ou amnésiques ? Car s’il n’est pas indispensable de posséder ces caractères anatomiques pour fabriquer
un outil, alors les humains ne sont pas les premiers à avoir eu le potentiel de le faire. Et ce constat dérange parfois, consciemment ou non, car il
remet en cause de nouveau la spécificité humaine « comportementale » liée à l’outil qui vise à nous différencier des autres primates. Si l’utilisation
d’outils n’est pas un critère pertinent, comme l’avait montré Jane Goodall dès les années 1960, la fabrication d’outils non plus. Ces observations
sont incontestables et il existe même un autre exemple issu cette fois d’un mâle capucin. Sans pouce complètement opposable, ce mâle est tout à
fait capable de fabriquer un éclat pour percer un film plastique et accéder à du sirop à l’aide d’un deuxième outil (un bâton). Le potentiel de
fabriquer un éclat pourrait donc dater de l’ancêtre commun entre les singes de l’Ancien Monde et ceux du Nouveau Monde, il y a environ
40 millions d’années ! Nous sommes bien loin du 1,8 million d’années d’Homo habilis…
Si certaines espèces sont capables de fabriquer des outils en pierre, alors pourquoi ces mêmes espèces n’en fabriquent-elles pas dans leur
milieu naturel ? La première réponse, c’est qu’elles n’en ont pas l’utilité. Pourquoi modifier un outil en pierre si on met en place des stratégies
efficaces et économiques : optimisation de l’enclume par exemple, en choisissant un support adapté (dur, large, avec une petite cuvette…) sur
lequel frapper une noix 36 , optimisation des mouvements, de leur vitesse et de leur amplitude, afin de casser la noix sans outil37 … La deuxième
réponse, c’est que finalement nous n’en savons rien ! De la même manière, parmi les grands singes, les chimpanzés utilisent des outils de manière
régulière, sous différentes formes et dans différents contextes. L’utilisation d’outils est observée moins souvent chez les orangs-outans sauvages et
encore plus rarement chez les gorilles et les bonobos 38 . Parmi les « petits » singes (cercopithécidés et platyrrhiniens), quelques rares espèces
utilisent des outils, comme certains capucins (Cebus libidinosus et C. xanthosternos) et les macaques dont le macaque à longue queue (Macaca
fascicularis) 39 . Une des explications données pour expliquer ces différences est que la recherche de nourriture impliquant de l’extraction serait une
condition pour innover. Les grands singes qui doivent extraire leur nourriture comme les noix, le miel, les fourmis, les fruits difficiles d’accès
(chimpanzés, orangs-outans) possèdent un plus grand répertoire d’outils que les autres (bonobos, gorilles) 40 . De même, chez les « petits » singes,
les seules espèces qui utilisent des outils de manière habituelle sont des espèces qui extraient leur nourriture et qui utilisent des outils principalement
dans ce contexte (macaques à longue queue et capucins) 41 . Cela peut expliquer pourquoi, en milieu naturel, certaines espèces utilisent beaucoup
d’outils, d’autres peu, voire pas. Pourtant, en captivité, tous les grands singes utilisent des outils spontanément et dans différents contextes et de
nombreux « petits » singes en utilisent occasionnellement 42 .
Alors pourquoi certaines espèces fabriquent-elles et/ou utilisent-elles des outils et pas d’autres ? Il faut bien admettre que c’est un mystère
pour nous tous. Ce qui est certain, c’est que ce n’est pas à cause de la faible longueur de leur pouce ou d’un autre caractère anatomique ni par
manque d’intelligence. Ainsi, les origines de l’outil en pierre sont loin d’être évidentes. Ce ne sont peut-être pas les humains qui les ont fabriqués en
premier et ils ne sont sans doute pas pertinents pour définir les humains. Les australopithèques ou d’autres ancêtres des grands singes, voire des
petits singes, avaient le potentiel de fabriquer les premiers outils en pierre. Et cela ne change rien au fait que l’outil a connu un essor fulgurant dans
la lignée humaine, notamment avec Neandertal (Homo neandertalensis) et Homo sapiens.
Néanmoins, bon nombre d’espèces qui n’utilisent pas d’outils en pierre sont, comme nous le verrons, capables de bien d’autres
comportements extraordinaires. Sans compter que parmi les outils utilisés dans le monde vivant, le matériau le plus employé est loin d’être la pierre
et rassemble, en particulier chez les primates, tout ce qui est périssable, dont les végétaux – feuilles, bois…
Il est clair que le cerveau humain est capable de grandes choses, qu’il est lié à des capacités cognitives exceptionnelles 43 et que la lignée
humaine a été prolifique en termes de production technologique, conduisant à beaucoup discuter son évolution et ses spécificités 44 .
Néanmoins, il est fréquent d’associer une linéarité à l’évolution de l’intelligence chez les primates. Les primates les plus éloignés des humains
sur le plan évolutif seraient ainsi moins intelligents que les primates les plus proches des humains et les humains seraient bien sûr les plus intelligents.
Les arguments associés s’appuient sur des tests cognitifs de laboratoire et il est vrai que certaines expériences sont parfois concluantes. Ces
expérimentations testent certaines capacités mais évidemment ne sauraient les tester toutes. Encore une fois, cette linéarité peut peut-être exister en
testant 4 espèces sur les 250 espèces de primates (environ) existantes et peut fonctionner pour certains tests. Mais si on étudie un vrai échantillon
représentatif de la classification des primates et qu’on le soumet à divers tests représentatifs de plusieurs capacités cognitives (mémorisation,
coopération, outil, empathie, etc.), il est certain que cette évolution de l’intelligence au sein des primates ne serait pas linéaire, au même titre qu’elle
ne l’est absolument pas à l’échelle du règne animal comme nous allons le voir au fil de ce livre. Un seul exemple parmi tant d’autres : certains
lémuriens (éloignés des humains sur le plan évolutif) sont capables d’utiliser des outils 45 pendant que bon nombre de platyrrhiniens, voire de
catarrhiniens (plus proches des humains) ne le sont pas, comme le montrent mes multiples tentatives chez de très nombreuses espèces.
CHAPITRE 2
De l’importance du végétal
Si certains singes comme Kanzi le bonobo sont capables de fabriquer des outils en pierre, seule l’espèce humaine a développé toute une
industrie lithique que l’on ne retrouve pas dans le monde animal. Il est donc impossible sur ce point de mettre en évidence les spécificités humaines
en comparaison avec les stratégies que pourraient utiliser les autres primates. En revanche, de nombreuses espèces de grands singes et certaines de
« petits » singes, comme les macaques, les babouins ou les capucins, utilisent en milieu naturel ou en captivité des branches ou autres bâtons en
matière végétale comme des outils pour attraper de la nourriture ou des objets hors de portée, se gratter, se nettoyer ou extraire de la nourriture
(miel des alvéoles, termites, fourmis, fruits dans des coques…). Les stratégies dans le choix de la branche (taille, diamètre, longueur), sa
préparation, sa modification et sa manipulation sont parfois très complexes en fonction de la tâche à résoudre, que ce soit en milieu naturel ou au
cours d’expérimentations en captivité. Par ailleurs, au cours de l’évolution des outils humains, de nombreux travaux montrent que les humains
travaillaient le végétal mais l’utilisaient aussi comme outil. Nous pouvons donc utiliser ce type de tâche impliquant le végétal pour comparer les
stratégies de manipulation mises en place par différentes espèces et voir si les humains auraient des spécificités ou non.
Faisons une petite expérience, une sorte de jeu-concours entre les espèces et voyons comment chacune procède 55 . Pour commencer, vous
prenez des bonobos, des orangs-outans, des capucins et des humains, adultes comme enfants. Ensuite, vous prenez un dispositif rectangulaire en
bois et vous le remplissez d’obstacles pour fabriquer un labyrinthe. Une fois l’œuvre d’art terminée, vous la fixez à un grillage, de l’autre côté de
l’animal, et vous placez une nourriture attrayante à son extrémité, en l’occurrence une noix. De la sorte, la friandise convoitée est inaccessible avec
la main et nécessite l’emploi d’un outil pour être ramenée à portée de main, le tout à travers un grillage et selon un trajet évitant les obstacles
(figure 4). Évidemment, récupérer une noix ne constitue pas la même motivation pour un singe que pour un humain. Alors, pour que cette
motivation soit la plus proche possible entre un singe et un humain, récupérer la noix s’accompagne d’une récompense chez les humains : du
chocolat ! Cela fonctionne très bien, chez les enfants comme chez les adultes d’ailleurs. La récompense pour les singes est la noix elle-même.
Figure 4. Exemple de labyrinthe fixé au grillage des volières intérieures des bonobos de la Vallée des singes (Romagne, France).
Une fois tous les ingrédients préparés, vous observez, vous quantifiez les comportements et vous obtenez… une drôle de diversité ! Des
champions du monde, des lents, des rapides, des trop rapides même, des extraterrestres, des persécutés, des fainéants, des désintéressés, des
accros, des dangereux et surtout une complexité dans les stratégies mises en place bien difficile à démêler… Alors prenons des exemples.
Figure 5. À gauche : Ukella – et Kiki observant ! – utilisant un outil pour récupérer une noix. À droite : Daniela utilisant un outil très courbé pour ramener sa noix. ©
A. Bardo.
Avec ces nouveaux fruits, les neuf bonobos observés réussissent la tâche très rapidement, chacun développant sa propre stratégie. Et, dans le
groupe, nous avons une experte : Daniela, encore elle ! Elle emploie une stratégie bien définie, de la recherche et de la préparation de l’outil au
trajet de la noix en passant par la manière de manipuler l’outil et de le positionner dans le grillage. Autrement dit, elle planifie et organise l’ensemble
des actions à mener de la manière la plus optimale qui soit : elle choisit à l’avance et à distance du labyrinthe l’outil le plus approprié, en
l’occurrence très courbé, elle le prépare ensuite afin d’enlever les écorces ou autres brindilles qui pourraient gêner lors du passage dans le grillage
et, une fois qu’elle est arrivée sur les lieux du labyrinthe, son outil courbé lui permet de se positionner au-dessus du labyrinthe et de bien visionner la
scène (figure 5). Autre experte pour récupérer la noix sans se fatiguer : Nakala. Sa stratégie : voler la noix des autres et, bien sûr, celle des
dominés, les mâles. Pourtant, la petite Nakala n’est âgée que de 4 ans… Quoi de mieux que de laisser travailler les autres et de voler la noix une
fois arrivée à la sortie du labyrinthe ?
Alors, plus ou moins efficaces que les bonobos ? Difficile à dire. Ce qui est certain, c’est qu’ils peuvent tout à fait alterner l’utilisation de la
main, du pied ou de la bouche au cours de la récupération d’une même noix, le tout en raccourcissant avec les dents leur outil au fur et à mesure du
rapprochement de la noix, ce que les bonobos ne faisaient pas. Les orangs-outans sont lents, mais acrobates et organisés ! Et, de nouveau, ce sont
les femelles qui semblent plus performantes que les mâles, en particulier les plus âgées.
Nous avons évoqué des grands singes et des petits, mais qu’en est-il des humains, adultes ou enfants (5 ans en moyenne) ? Tout d’abord, les
adultes sont les plus performants et les plus rapides de toutes les espèces testées. Arrivent ensuite les bonobos, les enfants et les orangs-outans.
Fait marquant, les adultes utilisent une stratégie inédite : ils manipulent un outil dans chaque main au cours de la récupération de la noix. Cette
manipulation bimanuelle est complexe sur le plan de la coordination, car il faut dissocier les actions de la main droite, qui pousse la noix, de celles
de la main gauche, qui contrôle la trajectoire de la noix. Cette spécificité permet probablement aux humains adultes d’être plus performants que les
autres espèces, mais il reste à le vérifier en analysant davantage d’individus pour toutes les espèces.
Un autre élément contribue peut-être à la performance des humains adultes : la saisie de l’outil. Car pendant que les grands singes utilisent
des types de saisies très variés (entre 2 et 5 doigts, avec des contacts différents…), les humains, eux, n’en choisissent qu’un : la précision pour les
adultes (saisie comme un stylo entre les pulpes des trois premiers doigts) et la puissance pour les enfants (tous les doigts et la paume de la main).
Cette saisie de précision de l’outil chez les adultes fait probablement appel à notre éducation et à notre culture. Les grands singes n’apprennent pas
à écrire, ni à jouer du violon et ils ne sont donc pas influencés par ce type d’apprentissage. Nous entrons là dans le domaine passionnant qu’est
l’influence des activités quotidiennes, de la tradition, de la culture (sur plusieurs générations). Prenons des exemples.
Dans notre expérience, les adultes pratiquant un sport ou de la musique ont été les plus rapides et les plus performants. En particulier, le
meilleur candidat chez les adultes est une femme (encore !) qui pratique l’escalade. L’influence de l’apprentissage qu’elle a connu en développant
sa dextérité manuelle au cours de la locomotion impliquant ses mains lui a permis d’être plus efficace que les autres individus. Elle n’est pas
nécessairement plus intelligente, mais elle a développé une capacité dans un domaine spécifique qu’elle peut exprimer dans d’autres. Une autre
femme a été très performante et, en l’occurrence, il s’agit d’une violoncelliste.
Ainsi nos pratiques manuelles spécifiques ont nécessairement une influence sur d’autres. Et les phénomènes culturels également. Que se
passerait-il, en effet, si nous comparions des Français avec des Allemands, des Espagnols, des Africains, des Asiatiques, des Américains et, au sein
même de chaque population, si nous comparions des ethnies de provenances différentes ? Il est fort probable qu’un Pygmée de la République
démocratique du Congo n’utiliserait pas la même stratégie de manipulation de l’outil et n’aurait pas les mêmes résultats en termes de performances
qu’un joueur de pelote basque du sud-ouest de la France. Pour autant, on ne pourrait rien en conclure sur l’intelligence de l’un par rapport à celle
de l’autre. On pourrait juste dire que chacun a exploité et adapté ses capacités issues de sa vie quotidienne (la chasse pour l’un et le sport pour
l’autre, si je caricature) et de son apprentissage transmis de génération en génération.
Or ce phénomène culturel n’est pas l’apanage des humains. De nombreux travaux montrent désormais que les phénomènes traditionnels et
culturels existent chez d’autres animaux. C’est entre autres ce point que nous tentons d’explorer avec ma collègue italienne Shelly Masi, spécialiste
des gorilles sauvages. Chez les gorilles de l’Ouest, les choix de plantes consommées et les techniques de manipulation de certains aliments sont
variables et diffèrent selon les groupes ayant accès aux mêmes ressources alimentaires. Comment expliquer ces différences alors qu’ils ont accès
aux mêmes ressources ? Il est possible que cette variabilité soit liée aux propriétés des aliments manipulés, mais également à des « traditions ».
C’est dans le but d’explorer ces phénomènes culturels que nous nous sommes lancés dans la comparaison de différents groupes de gorilles
sauvages. Il est d’ailleurs passionnant de chercher à comprendre comment les petits gorilles apprennent de leurs mamans et comment chaque
groupe transmet ses divergentes stratégies de génération en génération. Ces phénomènes de traditions et de culture seront de nouveau explorés
plus loin (voir chapitre 6).
L’impact de la compétition
Autre facteur très intéressant pouvant influencer les stratégies : la compétition entre individus. Dans notre expérience, il est très clair que les
adultes sont en compétition entre eux et cherchent à avoir le meilleur score de performance et, donc, à aller plus vite, à toucher le moins
d’obstacles, etc. Les enfants n’ont pas ce genre de motivation dans cette expérience et, tout comme les bonobos et les orangs-outans, ils prennent
leur temps – même si les petits garçons effectuent des mouvements plus rapides et plus brusques que les petites filles, ce qui explique sans doute en
partie que les filles soient plus performantes (encore !). En revanche, chez les bonobos par exemple, les mâles, dominés, ont des soucis pour
accéder aux labyrinthes et lorsqu’ils ont la chance d’y parvenir, ils se pressent le plus possible pour récupérer la noix.
Il faut donc faire très attention aux interprétations que l’on peut donner des résultats sur le taux de succès, la rapidité d’obtention de la noix,
la performance et le lien avec l’intelligence des individus, voire de l’espèce concernée. En effet, de très nombreux facteurs (compétition intragroupe,
tradition, apprentissage, etc.) peuvent influencer les stratégies mises en place. Chaque cas est donc unique et même l’expérience la plus calibrée, la
plus spécialisée et rendue la plus comparable possible ne peut à elle seule permettre de conclure qu’un individu est plus intelligent qu’un autre et
encore moins qu’une espèce est plus intelligente qu’une autre (au sein de la même espèce, les comportements peuvent considérablement différer).
En conclusion, on peut donc dire que si les humains ont des spécificités dans leur manière de manipuler et d’utiliser des outils, ce fait est
également valable pour n’importe quelle autre espèce et n’importe quel comportement ! Les humains sont uniques, certes, mais les gorilles aussi, de
même que les orangs-outans ou n’importe quel autre animal. Il est clair que de nombreux primates ont le potentiel d’utiliser et de fabriquer des
outils, y compris en pierre. Les origines et l’évolution de la manipulation complexe et de l’outil chez les primates sont donc loin d’être évidentes et il
est extrêmement difficile de conclure quant aux fabricants des premiers outils. Les australopithèques ou d’autres ancêtres des grands singes, voire
des petits, avaient le potentiel de fabriquer les premiers outils en pierre.
Le seul moyen d’apporter des certitudes serait de découvrir des primates fossiles associés à des outils en pierre. Si la probabilité est
malheureusement réduite, elle existe. Mais il existe un point que nous ne pourrons jamais résoudre : celui des premiers outils en matière périssable,
les plus nombreux. Tous les outils en bois ou autre matières végétales ne se fossilisent pas et ne pourront jamais être retrouvés. Or de nombreux
primates, dont les lémuriens, sont capables d’utiliser des branches, par exemple, comme outils. Et, comme nous le verrons dans le chapitre suivant,
cette capacité dépasse les primates. Les origines de l’outil sont donc à chercher avant l’apparition des primates. Enfin, utiliser ou fabriquer un outil
sont des comportements remarquables, mais pas uniques non plus. De très nombreuses espèces qui n’utilisent pas d’outils, qu’ils soient en pierre
ou en matériaux périssables, ont des comportements remarquables. L’outil n’a certainement pas le monopole de l’intelligence, intelligence qui
n’échappe pas à la règle du monde vivant, celle de la diversité et qui n’est certainement pas l’apanage des humains, et encore moins de leur pouce
opposable.
CHAPITRE 3
Sans les pouces, sans les mains, sans squelette ou sans cortex !
Une cervelle d’oiseau ? Vous plaisantez ! Cela ne vous a pas échappé : les oiseaux n’ont pas de pouce opposable puisqu’ils n’ont pas de
mains. Pourtant, ils représentent, avec les primates, le groupe de vertébrés qui contient le plus d’espèces utilisant des outils 65 . Les découvertes des
vingt dernières années montrent que les oiseaux représentent même l’un des groupes les plus créatifs. Les corvidés (geais bleus, choucas, pies
voleuses, corneilles, les corbeaux, les freux) sont désormais connus pour être très créatifs et les Psittacidae (perroquets, perruches…) sont
également capables de performances remarquables. Les vautours percnoptères (Neophron percnopterus) utilisent des pierres qu’ils lancent sur les
œufs pour les casser et des hérons utilisent des appâts pour attraper les poissons 66 !
Il a même été observé l’utilisation d’une serviette par une grue du Canada (Grus canadensis) pour se sécher 67 ! Les pics de la Gila
(Melanerpes uropygialis) emploient des récipients comme les écorces pour transporter et absorber le miel68 et l’aigle noir africain (Aquila
verreauxii) peut tout à fait lancer des objets pour agresser un autre individu 69 . Un autre exemple classique concerne la décoration des abris par les
mâles jardiniers à nuque rose (Chlamydera nuchalis). Ces petits oiseaux d’Australie tapissent le sol de grappes de fleurs ou de feuilles colorées
ou encore de coquillages, graines, petits cailloux ou objets de même couleur pour attirer leur partenaire 70 . Ils sont même capables de fabriquer,
après plusieurs semaines d’efforts, une sorte de berceau nuptial. Fait de brindilles entrelacées, formant parfois une arche à l’entrée, il ressemble à
un tunnel, parfois long de 60 centimètres, et ouvert aux deux extrémités. Au bout du tunnel, le mâle aménage une petite cour nuptiale avec des
pierres, des coquillages et des os, cour qui ne se dévoile à la femelle que sous un angle de vue restreint. Est-ce pour ménager un effet de surprise ?
Fait encore plus remarquable, ce petit mâle crée un gradient de taille en plaçant les pierres les plus grosses au fond de la cour et les plus petites
devant. De cette manière, la cour paraît plus petite qu’elle ne l’est et le mâle plus gros qu’il ne l’est en réalité, donc probablement plus séduisant 71 .
Si cette tâche est pour certains assimilée à de la fabrication de nids, et pas à de l’utilisation d’outils, on peut très bien la considérer comme de la
manipulation d’objets susceptible de nous éclairer sur l’intelligence d’une espèce qui redouble de créativité pour… séduire !
En général, l’utilisation et la fabrication d’outils jugées les plus complexes reviennent aux corneilles ou corbeaux. Un exemple en guise
d’amuse-bouche : nous sommes au Japon et une corneille (Corvus corax), une noix dans le bec, vole au-dessus de la route. Elle se perche sur un
câble la surplombant, à proximité d’un feu tricolore, au-dessus d’un passage clouté. Elle laisse alors tomber sa noix sur le bitume, dans le trafic
dense. Au bout de quelques passages de voitures, la noix se fait écraser. La corneille utilise donc des voitures comme outils, rien que ça ! Se passe
alors quelque chose d’encore plus surprenant. La corneille attend que le bonhomme soit vert ! Une fois le feu passé au rouge et le bonhomme vert,
elle traverse alors au milieu des gens, sur le passage clouté, et récupère le fruit désormais libéré. Ce genre d’anecdote est fréquent chez les
corneilles, en France, aux États-Unis ou encore au Japon. Fetnat, la petite femelle capucin, utilisait mon pied pour casser sa noix ; les corneilles,
elles, voient plus grand.
Entrons davantage dans la complexité des utilisations d’outils des corbeaux calédoniens (Corvus moneduloides) sauvages pour attraper les
invertébrés logés dans le bois mort. Ceux-ci emploient au moins quatre types d’outils différents, incluant diverses brindilles et autres outils fabriqués
à partir de la découpe des bords épineux des feuilles plates et rigides du Pandanus 72 (figure 7). Ces outils sont produits au cours d’une série
d’étapes de fabrication et ont des formes complexes. Le plus complexe d’entre eux est large à la base et étroit en son extrémité, permettant des
actions de précision, tout en maintenant sa rigidité. L’oiseau entaille petit à petit ces feuilles avec son bec pour fabriquer des échancrures, des petits
crochets qui lui permettent d’accrocher les vers dans les cavités en bois. L’affinement progressif de l’outil et la confection des crochets se font en
plusieurs étapes. De plus, la taille et la forme de ces outils varient d’une forêt à l’autre, témoignant pour certains d’une forme de comportement
culturel. Pour de nombreux chercheurs, ces outils représenteraient les plus sophistiqués jamais découverts du monde animal !
Figure 7. À gauche : une corneille utilisant un outil issu des feuilles du Pandanus. À droite : sélection de quelques outils fabriqués et utilisés. © M. Sibley et
G. Hunt 73.
Un autre exemple montre que les corneilles peuvent utiliser des outils dans le contexte du jeu. Imaginez l’une d’entre elles en haut d’un toit
pentu enneigé. Elle dispose dans son bec d’un large couvercle plat qu’elle a ramassé on ne sait où. Elle pose ce couvercle sur la tôle du toit et se
positionne dessus. La voici donc qui dévale la pente enneigée. Pour faire simple, elle fait de la luge ! Elle va renouveler l’expérience plusieurs fois,
alternant les descentes et les remontées, avec son couvercle dans le bec. Les exemples en contexte expérimental sont également fascinants. Les
corbeaux calédoniens sont également capables d’imaginer des séquences d’utilisation d’outils, comme cette combinaison de trois opérations : aller
récupérer un outil au bout d’une ficelle, qui permet ensuite d’aller chercher un autre outil plus long, lui-même nécessaire pour aller récupérer de la
nourriture placée au fond d’une boîte 74 . Ils sont mêmes capables d’utiliser des outils pour explorer leur environnement. C’est le cas, notamment, du
corbeau calédonien qui utilise des brindilles pour tâter les araignées et les serpents qu’on lui met dans son espace de vie, probablement pour tester
si ce sont des vrais ou pas avant de les saisir 75 ! Courageux, mais pas fou non plus ! Un autre exemple fascinant concerne la récupération de
nourriture. Prenons l’exemple de Betty, une corneille à qui on fournit un tube transparent au fond duquel est placé un panier rempli de nourriture
disposant d’une anse 76 . Le tube est fixé au sol pour que l’oiseau ne puisse pas le retourner et il est trop profond pour qu’il atteigne le panier avec
son bec. Sont alors mises à disposition de Betty des petites tiges rectilignes en aluminium. Que fait-elle ? Elle innove, spontanément. Elle se fabrique
un crochet avec une des tiges, en la plaçant d’un côté sous sa patte et de l’autre dans son bec. Par une succession de mouvements de coordination
entre le corps, la patte et le bec, elle lui donne la courbure qui convient. Si l’angle est trop obtus (ouvert), le crochet n’a pas de prise sur l’anse du
panier ; s’il est trop aigu (fermé), le crochet ne peut encercler l’anse. Eh bien Betty fabrique l’angle idéal, enfonce sa tige dans le tube et remonte le
panier… Les corbeaux calédoniens sont donc capables d’utiliser un outil non seulement pour se procurer de la nourriture (comme beaucoup
d’autres espèces), mais également pour inspecter un objet (ce qui est plus rare). Pourtant, ils sont dépourvus de mains, voire d’un cortex cérébral
développé, caractères souvent associés à l’intelligence et aux humains.
Ainsi, de nombreux mammifères et oiseaux fabriquent et utilisent des outils, en se servant de leurs mains, de leurs pattes, de leur trompe ou
encore de leur bec. Il n’existe donc pas de modèle unique, encore moins calqué sur celui des humains, pour réussir une tâche nécessitant un outil et
créer, innover. Mais ces innovations sont-elles seulement le propre des mammifères et des oiseaux ?
Des araignées et des insectes :
sans squelette interne et sans cortex !
Nous avons parlé jusqu’ici de vertébrés et de grosses bêtes : des humains, des singes, des oiseaux, des éléphants, des carnivores… Or la
fabrication et l’utilisation d’outils ne sont pas spécifiques aux humains ni même aux primates, ni même aux mammifères. La main est loin d’être
essentielle, nous l’avons vu, mais un squelette est-il seulement indispensable ? Autrement dit, après les grosses bêtes, qu’en est-il des petites et, en
particulier, des invertébrés ? Nous serions alors bien loin de la taille et de la forme du pouce et de son opposabilité, bien loin d’Homo habilis et de
la vision anthropocentriste 77 , primatocentriste, mammiférocentriste, voire vertébrocentriste de l’utilisation d’outils ! Comment ? Des petites bêtes
sans colonne vertébrale et sans squelette interne utiliseraient des outils ? Eh bien oui ! Commençons par des animaux qui pour bon nombre de
personnes évoquent la répulsion : les araignées.
Les araignées sont connues pour utiliser des toiles, chefs-d’œuvre architecturaux et techniques, afin d’attraper leurs proies. Mais elles sont
tout à fait capables d’utiliser des moyens encore plus élaborés. Prenons tout d’abord le cas de l’araignée à bolas (Mastophora Cornigera) qui vit
en Amérique du Nord et qui doit son nom à sa technique de chasse ressemblant à celle utilisée par les gauchos d’Amérique latine pour ligoter les
pattes du bétail. Imaginez-la qui commence par tisser un fil de soie entre deux branches. Elle se positionne ensuite au milieu et tisse un nouveau fil
vers le bas auquel elle se suspend, en embuscade. Ensuite elle poursuit sa mission en sécrétant un autre petit fil de soie pourvu d’une large partie
collante en son extrémité, et elle maintient ce petit fil entre ses pattes. Désireuse de chasser un mâle mite, dont elle raffole, elle libère alors des
phéromones (substances chimiques) proches de celles émises par les mites femelles. La stratégie prend forme ! Une mite mâle est alertée par
l’odeur et s’approche. L’araignée à bola fait alors tournoyer le fil de soie et lance son lasso sur la mite qui finit engluée par la partie collante. Elle
conclut sa chasse en tirant sur le fil pour ramener sa proie, la tue en lui injectant du venin et l’enveloppe dans un cocon de soie afin de la stocker
pour un repas ultérieur. Selon les définitions de l’outil utilisées, il s’agit ou non d’utilisation d’outil, car la soie est un élément interne et non détaché
de l’animal, mais peu importe que ce soit de l’outil ou non : ce comportement est fascinant dans la mesure où cette araignée doit planifier toute une
série d’étapes pour réussir sa tâche ; certains parlent même d’apprentissage en complément de l’instinct sous-jacent à ces comportements 78 .
Figure 8. Vue supérieure du terrier (modifié à partir de Henschel, 1995 80). La largeur d’une pierre est d’environ 1 centimètre.
Une autre espèce d’araignée (Ariadna sp.) qui vit en Namibie ne laisse, quant à elle, aucun doute quant à sa capacité à utiliser des outils.
Cette araignée creuse des terriers d’environ 13 centimètres de long. Autour de l’entrée de ceux-ci, elle empile des pierres 79 . L’incroyable, c’est
que ces pierres sont assez uniformes au niveau de la taille, et les araignées en disposent entre 5 et 9 autour du terrier, 7 le plus souvent (figure 8).
Pour certains chercheurs, il est très clair que les pierres sont sélectionnées pour leur matière (le quartz est préféré) et qu’elles ne sont pas disposées
de manière aléatoire, certains parlant même d’araignées mathématiciennes ! Mais à quoi sert un tel dispositif ? De nombreuses hypothèses sont
avancées.
De par sa disposition structurée et différente du reste du milieu environnant, le terrier pourrait apparaître attractif aux proies potentielles des
araignées. Ce dispositif pourrait aussi servir à protéger le terrier en le rendant imperméable au sable ou aux divers débris environnants et ainsi lui
éviter de se combler. Le cercle de pierres pourrait également réduire le risque de prédation en rendant sa détection plus difficile grâce à une zone
sombre au milieu d’une plus claire, susceptible de simuler une pierre noire plutôt qu’un terrier. Autre hypothèse : le dispositif symétrique aiderait
l’araignée à trouver son terrier au milieu d’un sol parsemé de pierres – cette explication est néanmoins discutable, car la vision de ces araignées est
faible. Il est également possible que ces pierres agissent comme un bouclier thermique ou comme une protection contre la poussière et la pluie ou
encore, et à l’inverse, comme une sorte de collecteur d’humidité. Une autre interprétation, la plus probable, est encore plus fascinante. Ces pierres
seraient parfois connectées entre elles par du fil de soie prolongé à l’intérieur du terrier. Imaginez une proie qui franchit la ligne de soie extérieure :
l’araignée est ainsi immédiatement alertée qu’elle se trouve à l’entrée de son terrier. Elle se précipite alors au-dehors et la capture. Dans ce
scénario, les pierres joueraient le rôle d’attache pour le fil, voire d’amplificateur du bruit, le dispositif servant à détecter, par vibration, l’arrivée
d’une proie à l’entrée extérieure du terrier.
Mais, parmi les invertébrés, il n’y a pas que les araignées qui utilisent des outils : il y a aussi les insectes. Pour attirer leur partenaire, plusieurs
espèces de criquets sud-africains (famille des œcanthidés) utilisent ainsi un amplificateur de son : dans le but d’augmenter l’intensité de leur appel, ils
frottent leurs tegmina (ailes antérieures, ou élytres, qui ne sont pas utilisées pour voler) contre les bords d’un trou en forme de poire situé dans une
feuille 81 . Toujours chez les insectes, certaines guêpes du genre Ammophila ou Sphex emploient parfois des outils pour fermer le nid où elles ont
placé des proies ou des œufs : elles sélectionnent des cailloux, le plus gros étant placé au fond et les plus petits sur le nid 82 . Parfois aussi, elles
tiennent un caillou entre leurs mandibules et l’utilisent comme un marteau pour tasser la terre et rendre le sol compact autour de leur nid 83 .
Certaines fourmis du genre Aphaenogaster n’ont pas la capacité d’ingérer ni de transporter seules les grands volumes de liquide alimentaire dont
elles se nourrissent (le miellat produit par les pucerons et autres petits hémiptères ou encore les sucs de plantes et de fruits divers). Elles partagent
donc ces liquides par trophallaxie, c’est-à-dire d’un individu à l’autre de la même colonie. Huit espèces de ce genre utilisent des petits objets
(brindilles, feuilles…) pour transporter les liquides et les ramener à la colonie 84 . Deux d’entre elles sont même capables de sélectionner les outils les
plus absorbants 85 . Les fourmis de feu (Solenopsis invicta) utilisent également le sable pour absorber, transporter et rapporter le miel au nid 86 .
D’autres fourmis lancent, quant à elles, de petites pierres sur des compétiteurs potentiels 87 . Enfin, les fourmis des genres Oecophylla, Polyrhachis
et Camponotus construisent leurs nids en attachant les feuilles entre elles avec la soie fabriquée par leurs larves 88 . D’autres espèces comme
Dorymyrmex bicolor ou Aphaenogaster cockerelli utilisent des pierres ou d’autres objets pour boucher l’entrée de leur nid 89 . Précisons ici qu’il
s’agit le plus souvent d’« intelligence collective », la tâche ne pouvant être résolue de manière individuelle et les fourmis agissant ensemble comme
une seule unité.
Outre les guêpes et les fourmis, on peut citer d’autres espèces d’insectes qui utilisent les outils. Il y a, par exemple, le fourmilion commun
(Myrmeleon formicarius), qui ressemble superficiellement à une libellule et qui lance du sable sur ses proies, certains réduviidés (hémiptère) qui se
servent des nids de carton des termites comme matériel de camouflage ou encore les larves de cassides (coléoptères) qui emploient des boucliers
de fèces et d’exosquelettes (après la mue) secs pour repousser les fourmis.
Et dans l’eau ?
Dans l’eau comme sur terre, de nombreux animaux, avec ou sans vertèbres, utilisent des outils. Et c’est très intéressant car, à quelques
exceptions près, ils ne possèdent pas de mains. Cependant, l’utilisation d’outils chez les animaux aquatiques reste peu connue et les exemples sont
donc bien moins nombreux. Pourquoi ? Pour une raison très simple qui est que, sur les 2 millions d’espèces marines estimées, seulement 8 % ont
été décrites 90 ! Les recherches sous la mer constituent un défi de taille exacerbé par le fait que l’utilisation d’outils représente une faible proportion
du budget-temps des animaux, rendant la probabilité de les observer effectuant un tel comportement plus faible que sur la terre. De plus, les
observations sont largement restreintes aux milieux côtiers et peu profonds, les habitats pélagiques étant difficiles d’accès, surtout sur les longues
périodes d’observation nécessaires pour ce type de comportement. Enfin, l’intérêt pour l’utilisation d’outils chez les primates et les oiseaux est
ancien 91 et la faune aquatique a comparativement reçu peu d’attention.
Pourtant, si nous voulons comprendre l’évolution de l’intelligence et l’implication de l’outil dans cette évolution, il nous faut évidemment
considérer tous les milieux. Que se passe-t-il donc sous la surface ? Malgré tous les obstacles pour obtenir des données, il faut savoir qu’au moins
30 espèces aquatiques utilisent des outils, et ce à la fois chez les mammifères marins, les poissons, les céphalopodes (pieuvres…), les gastéropodes
marins (escargots de mer), les crustacés et les échinidés (oursins) 92 ! De plus, comme pour les animaux terrestres, les contextes d’utilisation d’outils
sont variés – acquisition de nourriture, protection ou encore attention parentale.
Commençons par les vertébrés, en particulier les mammifères aquatiques, et notamment par des animaux connus pour leur intelligence : les
cétacés qui présentent une variété d’utilisation d’outils. Les orques (Orcinus orca), par exemple, créent des vagues, parfois séparément mais
souvent en groupes coordonnés, pour balayer les proies (comme les phoques) positionnées sur la banquise ou, mieux, briser celle-ci et les faire
tomber dans l’eau pour les chasser 93 . Autre stratégie : la baleine à bosse (Megaptera novaeangliae) expire, individuellement ou collectivement,
des bulles pour créer des filets verticaux qui encerclent et concentrent ses proies et facilitent leur engloutissement 94 . Le grand dauphin (Tursiops
truncatus) de Floride utilise, quant à lui, une technique connue sous le nom d’« écran de boue ». Il commence par frotter sa nageoire caudale
contre le fond marin, en traçant un cercle. Ce mouvement a pour effet de faire s’élever un écran de vase au sein duquel les poissons se retrouvent
pris au piège. Affolés, ils tentent alors de franchir ce filet artificiel en sautant par-dessus, là où le dauphin les attend et les attrape au vol95 !
Pour certains chercheurs, ces exemples ne concernent pas l’utilisation de l’outil dans la mesure où l’eau n’est pas un élément détaché de
l’environnement de l’individu. Il s’agit cependant de comportements nécessitant la manipulation de l’environnement, dans un but précis, et qui
peuvent donc être considéré pour discuter de l’évolution de l’intelligence. D’autres cas sont bien moins ambigus. L’un des plus connus implique
environ 5 % de la population de grands dauphins dans la baie Shark en Australie (Tursiops sp.). Ces dauphins arrachent des éponges végétales du
fond de l’océan pour les saisir dans leur rostre (bec) et ainsi se protéger lorsqu’ils fouillent dans les sédiments pour déloger des perches de sable,
indétectables par écholocalisation 96 . Cette stratégie de chasse est adoptée par les femelles et transmise de génération en génération. Ce qui est
encore plus intéressant peut-être, c’est que ces dauphins n’utilisent jamais d’éponge végétale en dehors de ce comportement pour lequel ils se sont
spécialisés et que l’utilisation des éponges comme outil occupe environ 96 % de leur temps de recherche de nourriture !
De la même manière que les dauphins, la plupart des loutres de mer n’utilisent pas d’outil, mais celles qui le font (Enhydra lutris) emploient
souvent des pierres pour casser la coquille des escargots marins et des bivalves (incluant mollusques et moules). Elles utilisent si souvent ces outils
qu’elles en ont généralisé l’usage pour des proies occasionnelles qui ne nécessitent pas d’outil pour être consommées, comme certains crabes ou
oursins 97 ! Là encore, pour certains chercheurs, il ne s’agirait que d’un proto-usage d’outil impliquant l’utilisation d’un support en guise d’enclume,
sur lequel l’animal frappe sa proie. Cependant, contrairement aux enclumes utilisées également par les poissons qui frappent leurs coquillages sur
des rochers (les labres par exemple), les loutres de mer manipulent leurs enclumes et emploient également des marteaux ; on sait aussi qu’elles
enveloppent les crabes dans le varech (algue) pour les immobiliser et les consommer. Elles utilisent également des outils sous l’eau comme des
rochers ou de grands coquillages pour marteler ou détacher les ormeaux de leur substrat 98 . Enfin, il existe des preuves de spécialisation au sein des
loutres de mer puisque certaines utilisent systématiquement des outils particuliers ou des techniques spécifiques 99 .
Au sein des vertébrés aquatiques, les poissons utilisent, eux aussi, leur environnement dans un but précis. Des centaines d’espèces de
poissons éventent, par exemple, leurs œufs avec l’eau pour les garder propres et oxygénés 100 . Les gouramis, poissons d’eau douce d’Asie, utilisent
les jets d’eau pour placer et récupérer leurs œufs à la surface de l’eau 101 . De nombreux autres poissons comme les toxotes (ou poissons archers),
les poissons-globes, les balistes et les raies sont connus pour employer des jets d’eau pour localiser et capturer des proies 102 . D’autres poissons
utilisent des objets détachés du substrat dans le contexte du soin parental. Ainsi, la demoiselle blanche (Stegastes leucorus) remue la surface
rocheuse de son nid pour le nettoyer avant la ponte des œufs. Par ailleurs, toujours chez les poissons, plusieurs espèces de cichlidés et au moins
une espèce de poisson-chat pondent leurs œufs sur des feuilles détachées ou des détritus pouvant être déplacés quand les œufs sont en danger 103 .
Si l’on considère les feuilles comme un mode de transport, alors il s’agit bien d’utilisation d’outil. Enfin, certains poissons comme les labres
saisissent dans leur bouche des coquillages qu’ils transportent parfois sur de longues distances avant de trouver le rocher adéquat qu’ils vont utiliser
comme enclume pour frapper et ouvrir le coquillage 104 . De nouveau, il s’agit « uniquement » de proto-usage d’outils (aucun objet n’est détaché de
l’environnement), mais ce comportement n’en est pas moins intéressant, l’animal mettant en place une réelle stratégie pour trouver le rocher
approprié afin d’atteindre son but.
Outre les poissons, un exemple d’utilisation d’outil chez les reptiles a été récemment rapporté 105 . Voilà une raison supplémentaire, s’il en
fallait une, pour respecter les crocodiles et les alligators ! Ces derniers utilisent en effet des brindilles comme appâts pour chasser. Il y a quelques
années, des chercheurs américains ont en effet remarqué dans un zoo que des crocodiles et alligators avaient des brindilles disposées sur le museau.
Ils se déplaçaient très peu et faisaient attention de ne pas les faire tomber. Que se passait-il alors ? Des oiseaux, dans l’objectif de concevoir leurs
nids, tentaient de s’en emparer. Les prédateurs se jetaient alors sur eux. La question est alors de savoir s’il s’agit d’opportunisme ou de réelle
stratégie de chasse. Pour répondre à cette question les chercheurs ont observé ces reptiles dans quatre sites de Louisiane. Ils ont clairement montré
que ces prédateurs disposent les brindilles sur leur museau bien plus fréquemment près des colonies d’aigrettes et pendant la saison de
reproduction de ces oiseaux, lorsqu’ils construisent leur nid. Nous avons ici le premier cas d’utilisation d’outils avéré chez les reptiles.
En dehors des vertébrés aquatiques, les invertébrés aquatiques manipulent parfois des objets qualifiables d’outils, pour se nourrir ou dans un
contexte de protection ou de camouflage. Parmi les mollusques (coquille visible ou cachée), les céphalopodes (huit pieds, communément nommés
pieuvres) sont connus pour leur intelligence 106 . Ils utilisent par exemple des objets pour bloquer les bivalves en position ouverte afin de consommer
tranquillement la proie logée à l’intérieur 107 . Ils sont également adeptes de l’utilisation d’outils pour se protéger. La pieuvre veinée (Amphioctopus
marginatus), désormais surnommée « pieuvre noix de coco », déambule par exemple dans les eaux indonésiennes à cheval sur deux demi-noix de
coco ! Imaginez cette pieuvre, qui se déplace d’ailleurs en bipédie (sur deux pieds tentaculaires), collecter les demi-coques de noix de coco
rejetées par les humains et les transporter jusqu’à 20 mètres de profondeur pour former une cachette sphérique où elle se loge pour se protéger !
Cette même espèce utilise d’ailleurs les débris disponibles pour créer une forteresse défensive, comme le fait le poulpe commun (Octopus
vulgaris) en construisant un mur de roches, de verre et d’autres objets devant l’entrée de son repaire 108 . Toujours chez les céphalopodes, les
calmars et les seiches sont bien plus que les génies du camouflage. Ils emploient l’eau comme un proto-outil de protection, utilisant ses jets pour
creuser le sable et se camoufler 109 . Chez les crustacés (quatre antennes), au moins quatre espèces de crabes transportent ou « portent » divers
objets comme des débris de plantes, des coquilles, des algues ou des animaux aquatiques afin de se camoufler et de se protéger contre les
prédateurs, les éléments et aussi leurs congénères 110 . Les bernard-l’hermite ont, quant à eux, besoin d’une protection externe pour protéger leur
abdomen. Certains (Dardanus sp.) utilisent la coquille d’autres espèces pour mettre leur abdomen à l’abri ; autrement dit, ce sont des squatteurs
qui exploitent les coquilles des autres. Mais ils sont parfois exploités eux-mêmes quand des anémones de mer s’accrochent à leur coquille pour être
transportées. Néanmoins, ils n’en restent pas là puisqu’ils transfèrent parfois ces anémones à l’intérieur même de leur coquille pour se protéger des
attaques des pieuvres ou pour être assistés dans la capture de proies 111 . Échange de bons procédés ! Les écrevisses ont par ailleurs des capacités
de préhension étonnantes que je suis en train d’étudier avec mon collègue Raphaël Cornette. Outre les céphalopodes et les crustacés, au sein des
échinodermes (squelette dans la peau), au moins trois espèces d’oursins se décorent également de divers objets pour se protéger 112 .
Comme le montrent tous ces exemples, l’outil existe donc sous l’eau, même si les cas sont plus rares que sur terre, et les types d’outils utilisés
se distinguent de ceux employés par les animaux terrestres. En effet, les utilisateurs d’outils aquatiques se servent davantage que les terrestres
d’animaux vivants ou de leurs « organes ». De nombreux animaux marins filtreurs de nourriture sont sessiles (fixés à un support) et eux-mêmes
disponibles comme outils. De plus, les « organes » des animaux aquatiques comme les coquilles ne se détériorent pas rapidement. À l’inverse, les
animaux terrestres utilisent très rarement d’autres animaux ou leurs « organes » comme outil, en partie parce que de tels « objets » se détériorent
rapidement, mais aussi en raison de la grande disponibilité des objets dérivés des plantes.
Les animaux aquatiques peuvent également manipuler leur environnement plus facilement que les terrestres. Cela explique sans doute
pourquoi la moitié des cas d’utilisation d’outils en milieu aquatique implique l’emploi de l’eau comme outil ou proto-outil. Enfin, il est important de
mentionner que si l’utilisation d’outil est relativement rare en milieu aquatique, ce n’est pas seulement pour des raisons de difficulté d’observation,
mais sans doute également par absence de nécessité. Prenons un exemple. Les delphinidés (dauphins, orques, globicéphales…) possèdent des
cerveaux plus grands (proportionnellement à la taille globale) que les primates (humains exceptés). On pourrait donc s’attendre à ce qu’ils utilisent
très fréquemment des outils. Ce n’est pas le cas. En effet, comme ils possèdent un système d’écholocation hautement sophistiqué, impliqué dans de
nombreux comportements (dont la détection de nourriture), ils n’ont probablement pas un grand besoin d’outils 113 . Par ailleurs, chez les dauphins et
les loutres de mer utilisant des outils, la nécessité de réduire la compétition, notamment à cause d’un territoire petit et limité en ressources, a
probablement conduit certains individus à utiliser des outils pour chercher et trouver leur nourriture. La spécialisation limite ici la compétition.
Connaître le contexte et les capacités anatomiques ou physiologiques d’un animal est donc indispensable avant de tirer toute conclusion sur son
intelligence ou non, si tant est que l’utilisation d’outil soit toujours un bon indicateur de l’intelligence.
CHAPITRE 4
Ingénierie et artisanat
L’utilisation d’outils sert de longue date d’indicateur de l’intelligence 114 , ce qui est probablement à mettre directement en relation avec le fait
que, selon de nombreux chercheurs, l’utilisation et la fabrication d’outils étaient une spécificité humaine 115 , comportement séparant les humains des
autres animaux. Lorsqu’il a été découvert que les chimpanzés fabriquaient et utilisaient des outils régulièrement, la définition même du genre humain
a été questionnée. Néanmoins, désormais, plutôt que d’essayer de comprendre pourquoi certaines espèces utilisent des outils et pas d’autres,
comment ce comportement a évolué, pourquoi, dans quelle lignée et en quoi c’est particulier (etc.), certains chercheurs tentent toujours de montrer
en quoi l’utilisation d’outils chez les humains se distingue de celle des autres animaux, toujours avec l’idée sous-jacente, parfois inconsciente, de
montrer que les humains sont plus intelligents que les autres espèces. Nous allons voir que c’est de nouveau loin d’être aussi caricatural116 .
Figure 9. Cayenne (singe capucin) et Sierra (ara bleu) ouvrant une boîte (ménagerie du Jardin des plantes, Museum national d’histoire naturelle). © A. Brunon.
Quelles sont les bases neurales de la manipulation fine et de l’utilisation
d’outils ?
Si les caractères morphologiques permettant d’utiliser et de fabriquer des outils sont très différents selon les espèces et qu’il est donc
finalement impossible de dire que tel caractère est nécessaire à ces comportements, qu’en est-il des bases neurales ? Faut-il un cerveau
particulier ? Il est très difficile de répondre. Contrairement à la circuiterie neuronale de l’utilisation d’outils chez les humains qui a été largement
cartographiée grâce à des techniques de neuro-imagerie, notre compréhension des bases neurales de l’utilisation d’outils chez les mammifères et les
oiseaux, sans compter les invertébrés, reste largement spéculative. Ainsi, l’utilisation d’outils est souvent associée à l’intelligence, et chez les
primates comme chez les oiseaux, ce comportement semble associé à la résolution rapide de problèmes, à l’innovation et à de grandes aires du
cerveau exécutif (cortex frontal mais aussi préfrontal et pariétal) 127 . Nous savons également qu’il existe une relation entre la fréquence d’utilisation
d’outils et la taille du cerveau chez les oiseaux 128 et celle du néocortex chez les primates 129 , les espèces utilisant des outils ayant de plus grands
cerveaux et étant donc considérées comme ayant une plus grande intelligence pour contrôler les outils dans un but défini.
Les études les plus complètes sur les bases neurales de l’utilisation d’outils chez les animaux (humains exclus) ont été conduites chez les
macaques japonais (Macaca fuscata) 130 . En se focalisant sur les cortex moteur et prémoteur, elles montrent que, comme chez l’humain, de
complexes réseaux neuronaux contrôlent les mouvements fins nécessaires à l’utilisation d’outils. Et il semble que les connexions motrices et
sensorielles de base soient très proches entre les mammifères et les oiseaux 131 . Restent de nombreuses zones d’ombre puisque nous souffrons
cruellement d’un manque de compréhension des opérations cognitives effectuées par les différentes parties d’un cerveau dit intelligent. Sur ce point
aussi, tout reste à découvrir 132 . Et une découverte intéressante en laisse présager bien d’autres : certaines parties du cervelet (cervelet trigéminal et
zones visuelles) qui contrôlent l’apprentissage des techniques motrices chez les humains contrôlent également les mouvements fins du bec chez les
oiseaux et sont probablement impliquées dans la manipulation d’objets (comme nous l’avons vu avec le perroquet Bigboss et les boîtes) et
l’utilisation d’outils. Or ces parties du cerveau sont plus grandes (indépendamment de la taille corporelle et globale du cerveau) chez les corbeaux,
les perroquets et les pics que chez les autres espèces qui n’utilisent pas de mouvements fins du bec pendant la manipulation 133 . De nouveau, de
nombreux problèmes et incompréhensions persistent puisque la relation entre taille du cerveau ou taille d’une partie du cerveau et utilisation d’outils,
voire intelligence, reste également très spéculative. Ces dimensions pourraient tout aussi bien être liées à d’autres formes de manipulations fines (la
construction de nids par exemple), voire à d’autres paramètres très éloignés (alimentation ? vie sociale ?). De plus, comment expliquer sur le plan
neural l’utilisation d’outils chez les céphalopodes, les poissons, les arachnides ou encore certains insectes comme les fourmis et les guêpes ? Tous
n’ont pas le même système nerveux et il est clair que chaque espèce possède sa propre stratégie comportementale (individuelle ou collective, avec
ou sans apprentissage, etc.), motrice et probablement neurale pour réaliser ce type de tâche. Il est également possible que, malgré les apparences,
le cerveau de certaines espèces soit plus proche des capacités du nôtre qu’on ne le pense. Par exemple, le cerveau des poissons est davantage
similaire au cerveau humain qu’on ne le pensait naguère et certains avancent que les poissons sont conscients, capables de souffrir et qu’ils
possèdent des capacités de mémorisation à long terme 134 . C’est sans compter la diversité du système nerveux des insectes dont les comportements
complexes peuvent être attribués à quelques neurones seulement.
Il nous reste donc un long chemin à parcourir avant de pouvoir déterminer s’il existe quelque chose de particulier dans le cerveau des
espèces qui utilisent des outils par rapport à celles qui manipulent au cours de tâches complexes, voire manipulent peu. Sans davantage de données
comportementales cumulées à des études neuroanatomiques et neurophysiologiques, de très nombreuses questions restent sans réponse et c’est un
point que nous souhaitons explorer.
Qui a fabriqué les premiers outils et quand ? Est-ce un arthropode il y a 600 millions d’années ? Un poisson ou un céphalopode, il y a
500 millions d’années ? Un arachnide ou un insecte il y a 400 millions d’années ? Un mammifère il y a 230 millions d’années ? Un oiseau il y a
150 millions d’années ? Un primate il y a 65 millions d’années ? Un humain il y a 3 millions d’années ? Impossible de répondre car le
comportement ne se fossilise pas, les caractères morphologiques associés à l’outil sont très discutables comme nous l’avons vu et ce n’est pas
parce qu’une espèce actuelle utilise et/ou fabrique des outils que ses ancêtres en faisaient autant. On peut en revanche conclure sur un point sans
prendre trop de risques : il y a très peu de chances que ce soit un humain qui ait utilisé et fabriqué les premiers outils ! De nombreuses espèces
utilisent des outils, et ce dans des contextes variés : la préparation et l’extraction de nourriture, le transport de nourriture, sa capture, l’entretien
corporel, l’attraction d’un partenaire, certaines constructions de nids, l’affrontement, la défense contre les prédateurs, la protection (contre la pluie,
des épines), etc. L’outil est donc probablement apparu à plusieurs périodes au cours de l’évolution, sous différentes formes, dans diverses lignées,
associé à des contextes et à des capacités morphologiques et cognitives différents. En aucun cas l’utilisation d’outils n’est le propre de l’humain,
même si elle reste relativement rare dans le monde animal par rapport à d’autres comportements. Pourtant, les espèces qui utilisent des outils
semblent bénéficier d’un statut particulier, que ce soit auprès des chercheurs mais également du grand public. Chaque nouvelle découverte montrant
un nouvel animal utilisant un outil fait toujours l’objet de fascination. Il est probable que ces réactions soient toujours le fruit de notre obsession à
sans cesse vouloir chercher et trouver ce qui nous rapproche et ce qui nous sépare du reste du monde animal, avec toujours cette idée derrière la
tête qu’un animal qui utilise un outil est plus intelligent qu’un autre qui n’en n’utilise pas. Pourtant, la réalité est bien plus compliquée. Si certaines
espèces n’utilisent pas d’outils en milieu naturel, ce n’est pas par manque d’intelligence, mais souvent par souci d’efficacité. Par exemple, quel
intérêt d’utiliser un outil pour un amphibien qui peut utiliser sa langue pour attraper de la nourriture ? Quel intérêt pour un gorille d’utiliser un bâton
pour aller chercher des termites alors qu’il est plus efficace pour lui de les récupérer en secouant leurs nids ? À ce titre, les travaux expérimentaux
sont très instructifs. Ils montrent clairement que les espèces de primates et de corvidés qui n’utilisent pas d’outils ont un niveau de raisonnement
comparable, et peuvent résoudre les mêmes tâches 135 , voire parfois un niveau de raisonnement supérieur à celles qui en utilisent 136 . De plus, ce
n’est pas parce qu’une espèce n’utilise pas d’outils en milieu naturel qu’elle n’est pas capable de le faire. Je me souviens très bien de ce jour où
nous avons placé, dans l’enclos des gorilles du zoo de Beauval, de grands rondins de bois percés de trous étroits (de sorte que les gorilles ne
puissent y introduire leurs doigts) au fond desquels nous avions écrasé des figues (ils en raffolent). À peine les gorilles avaient-ils vu ces rondins
qu’ils effeuillaient les branches, les cassaient à une dimension adaptée à la profondeur des trous et récupéraient les fruits 137 . En aucun cas le fait que
certaines espèces n’utilisent pas d’outils dans leur milieu naturel ne signifie qu’elles ne sont pas capables de le faire. C’est tout l’intérêt des études
en captivité, complémentaires des études de terrain : montrer de quoi les espèces et les individus sont capables. Et le milieu naturel est là pour nous
rappeler l’essentiel : comment ils s’adaptent.
Ce qui est sûr, c’est que de très nombreuses espèces sont capables d’utiliser des outils, dans différents contextes, en utilisant diverses
techniques et différents organes 138 . Que l’on ait un bec, une trompe, des tentacules ou des mains n’y change rien. Que l’on soit dans l’eau ou sur la
terre ferme n’y change rien non plus. Que l’on ait un gros cerveau ou pas non plus. Que l’on ait 1 million de neurones ou plusieurs milliards non
plus. Que l’on possède un néocortex ou pas non plus. De très nombreuses espèces, à pattes, à ailes, à mains ou à nageoires s’y adonnent, avec ou
sans système nerveux central complexe. Il est donc fort probable que l’outil soit apparu à différentes périodes de l’évolution dans des lignées
animales très différentes : oiseaux, mammifères, poissons, céphalopodes, insectes, arachnides… Parmi les mammifères et chez les primates en
particulier, il est possible que l’outil soit apparu dans différents groupes à différentes périodes de l’évolution. Certains macaques (Asie du Sud-Est)
et capucins (Brésil) actuels utilisant des outils dans leur milieu naturel, il est tout à fait envisageable que leurs ancêtres vieux d’environ 40 millions
d’années en aient eu la capacité. Les études effectuées en milieu captif qui montrent que de nombreuses espèces sont capables d’en utiliser peuvent
également laisser penser que les premiers outils des primates datent des… lémuriens ! Quant à la fabrication d’outils en pierre, jusqu’ici observée
au moins chez les humains, un bonobo et un capucin, il ne serait pas étonnant de retrouver un jour, dans les fouilles archéologiques, des artefacts
datant de bien avant l’apparition des premiers humains. À moins que l’apparition des humains ne soit encore à revoir et à repousser davantage dans
le temps… Ce qui est sûr, c’est qu’à ce jour rien, absolument rien et encore moins le fait qu’elle soit en partie arboricole ou encore qu’elle ait une
main différente des humains actuels, ne peut nous empêcher de croire que Lucy utilisait et fabriquait des outils il y a plus de 3 millions d’années.
Cependant, il faut rester prudent car l’outil n’est peut-être pas si essentiel dans l’évolution de l’intelligence. En effet, il y a fort à parier que
l’on se focalise dessus d’une part parce que l’outil en pierre se retrouve dans les fouilles alors que d’autres comportements intelligents ne se
fossilisent pas. D’autre part, la fabrication d’outils en pierre semble clairement mettre en avant un comportement qui s’est extrêmement développé
dans la lignée humaine (Homo neandertalensis, Homo ergaster, Homo erectus), en particulier chez Homo sapiens qui va, entre autres, inventer
le propulseur, les « feuilles de laurier », les harpons, autant d’outils constituant même parfois de véritables œuvres d’art. Il semble ainsi qu’il y ait eu
une révolution technologique il y a environ 50 000 ans. L’espèce humaine s’avère alors prolifique en termes d’intelligence créative relative à l’outil
et certains font le lien avec l’évolution du cerveau ou la culture 139 . Cette dernière est ainsi considérée comme spécifique à l’humain, bien que des
recherches montrent que tradition et culture existent chez d’autres animaux 140 . Par ailleurs, cette focalisation sur l’outil pour évoquer l’intelligence
vient aussi probablement du fait que les primates semblaient les seuls à les utiliser dans des contextes très variés. Ce n’est pas le cas. L’utilisation
d’outils a été observée majoritairement chez les vertébrés. Or il ne faut pas oublier que les vertébrés (poissons, oiseaux, mammifères, squamates,
crocodiliens, chéloniens et lissamphibiens) ne représentent qu’environ 3,5 % du monde animal ! Parmi les vertébrés, certaines espèces n’ont peut-
être pas été assez observées, parfois par difficulté d’accès pour les approcher (vie très en hauteur de certaines espèces, vie nocturne pour d’autres,
etc.). De plus, les 85 % d’arthropodes (insectes, crustacés, myriapodes, arachnides) ne sont sans doute pas assez étudiés en ce sens (utilisation
d’outils), pour les mêmes raisons d’ailleurs. Sans compter le milieu aquatique, largement sous-étudié, en bonne partie pour des raisons de difficulté
d’accessibilité. L’avenir nous réserve donc des surprises. À l’inverse, se focaliser sur l’utilisation d’outils en termes d’évolution humaine peut
conduire à penser que les capacités intellectuelles des utilisateurs d’outils non humains sont surestimées. Pour éviter ces biais potentiels, nous
pouvons étudier les outils au sein de contextes plus larges comme la manipulation, les stratégies d’acquisition de nourriture ou encore les
comportements de construction comme la fabrication de nids ou de pièges. Par ailleurs, si la relation entre utilisation d’outils et intelligence plus
élevée reste à explorer, il n’en demeure pas moins que fabrication et utilisation d’outils sont loin de résumer à elles seules l’intelligence animale, celle
des humains inclus d’ailleurs. Chaque espèce est dans son propre monde et l’intelligence de chacune doit être analysée dans le contexte (milieu,
anatomie, vie sociale, etc.) de cette espèce.
L’étude du vivant et de sa diversité est sans appel : telle morphologie n’implique pas nécessairement tel comportement et un comportement
peut être accompli par d’innombrables morphologies différentes. Arrêtons de chercher à montrer notre spécificité, voire notre suprématie sur les
autres espèces. Car, à ce petit jeu-là, nous serons nécessairement perdants. De nombreux autres comportements que l’utilisation d’outils sont au
moins tout aussi passionnants et parfois plus complexes encore sur certains points. Ils vont nous conduire à nous interroger sur l’évolution de
l’intelligence en dehors des sentiers battus de l’outil et en dehors de cette pyramide hiérarchique mettant à l’honneur de manière systématique et,
pourtant, erronée la suprématie intellectuelle humaine.
La navigation et la mémoire
1998. Me voilà quatorze ans après ma lecture du Singe, l’Afrique et l’Homme d’Yves Coppens 142 . Une année comme on ne les oublie pas.
Je vais voir pour la première fois des chimpanzés en forêt ivoirienne. Après une nuit quasi blanche passée dans la forêt chaude et humide de l’Ouest
ivoirien, je repars avec mon guide Willy à la recherche des chimpanzés sauvages. Ils ne sont pas habitués et je m’impatiente désespérément.
L’attente est longue, les marches épuisantes, à la hauteur de mon excitation. Peut-être vais-je voir mon premier chimpanzé sauvage. Plus j’avance
dans cette forêt hostile, plus je suis perdue et plus je me rends compte à quel point je ne suis pas adaptée aux lieux. Les bruits, les odeurs, la
luminosité, les couleurs… Tout est différent. Il me manque presque tout pour les comprendre, les assimiler. Mes sens sont en effervescence, je
surréagis à tout. Et mon corps souffre. Il fait chaud et humide. Bien que très sportive à l’époque, j’ai du mal à respirer. Et mon cerveau est perdu.
J’ai confiance en Willy et je le suis avec plus d’espoir que jamais. Le grand moment arrive. Willy s’arrête, me fait signe avec ses mains pour me dire
« stop » et « silence ». Il est là. C’est un grand mâle. Mes rêves d’enfant prennent alors tout leur sens. Sans cette expérience en milieu naturel,
impossible de comprendre Lucy, sa famille, notre famille et son évolution ou même le comportement des animaux ! J’observe ce chimpanzé évoluer
dans la forêt. Je comprends à quel point la forêt est une autre planète avec ses propres contraintes. Je ne peux pas me comparer à ce chimpanzé
tant nos milieux de vie sont différents.
Nous allons le suivre, en marchant vite, en courant souvent pour ne pas le perdre. Par curiosité et au cours des différentes fractions de
seconde de repos qui s’offrent parfois à nous, je regarde ma boussole. Elle est formelle : Lucien prend la direction globale du nord, le tout en
zigzaguant autour des nombreux obstacles imposés par la forêt dense. Quels repères utilise-t-il ? Les arbres ? Le sol ? Les sons ? A-t-il une sorte
de cartographie de son domaine vital143 dans la tête, dont il connaît les repères et se souvient ? Savait-il dès le départ où il voulait aller ? Et si oui,
comment fait-il pour tout mémoriser, malgré les modifications régulières et saisonnières de son milieu ? Avant de nous semer définitivement, je
mesure désormais à quel point le milieu de vie et ses contraintes sont fondamentaux pour comprendre le présent comme le passé. Les capacités
dont ce chimpanzé a fait preuve pour naviguer dans son espace, et par exemple trouver de la nourriture, sont indéniablement une adaptation
majeure pour sa survie.
Ce chimpanzé est logé à la même enseigne que de très nombreux animaux, invertébrés comme vertébrés : chaque jour il doit se déplacer
pour se nourrir, trouver des lieux pour se reposer et dormir, chercher des partenaires sexuels, fuir des prédateurs, défendre son territoire, etc.
Autant de déplacements, de quelques centimètres pour certaines espèces à de très grandes distances pour d’autres, qui nécessitent l’élaboration de
trajets et qui dépendent directement des capacités de l’animal à maîtriser les relations entre sa position dans l’espace et la position du ou des lieux
vers lesquels il se dirige. Ces capacités à se représenter l’espace, à planifier des trajets et à les mémoriser sont fondamentales à la survie de bon
nombre d’espèces. Et que vous soyez une abeille, un oiseau, une baleine ou un éléphant, le problème est le même : il vous faut trouver le bon
endroit au bon moment et savoir y revenir. Autrement dit, il vous faut maîtriser un processus vital de la vie quotidienne : la navigation spatiale. Vous
devez planifier et identifier un déplacement d’un point à un autre, savoir le maintenir et l’exécuter vers un but précis. Nous entrons là dans l’une des
thématiques les plus fascinantes des mécanismes comportementaux. Voici quelques exemples, qui ne sauraient être exhaustifs encore une fois, de la
manière dont les animaux mémorisent l’espace et naviguent, pour leur survie.
Figure 10. À gauche : présentation des chiffres. À droite : masquage des chiffres par les carrés blancs dès que le chimpanzé appuie sur le chiffre 1. Le sujet doit
ensuite cliquer sur les rectangles dans le bon ordre pour gagner une récompense ! (https://www.youtube.com.)
Les chimpanzés sont beaucoup plus précis et performants que les étudiants pour se souvenir de l’ordre et de la position des chiffres sur
l’écran. En visualisant certaines séquences disponibles sur Internet, vous verrez que vous avez à peine le temps de distinguer tous les chiffres avant
qu’ils ne soient recouverts par les carrés blancs ! Autrement dit, les capacités des chimpanzés restent intactes quand le stimulus (les chiffres) est
présenté pendant des durées si rapides que les yeux n’ont aucune chance de balayer l’écran dans sa totalité. Comment font-ils ? Il semble que les
chimpanzés possèdent dès leur jeune âge (rappelons qu’ils sont âgés de 5 ans dans cette étude) des capacités de mémoire visuelle très
développées et spécifiques, agissant comme une sorte de mémoire photographique. Cette capacité leur permet sans doute, dans la nature, de
mémoriser et de trouver les lieux où se trouvent les meilleurs fruits et les meilleurs itinéraires pour y parvenir. Cela ne signifie pas pour autant que les
étudiants japonais n’ont pas une bonne mémoire spatiale ou qu’ils sont moins intelligents ; non, cela signifie que leur stratégie est différente et
adaptée à la mémoire dont ils ont besoin au quotidien, qui diffère très sensiblement de celle nécessaire aux chimpanzés. Et les étudiants japonais qui
se sont essayés à cette expérience sont également imprégnés de tout le vécu évolutif du cerveau humain qui a développé certaines structures (pour
le langage par exemple) au détriment d’autres (la mémoire spatiale visiblement) 149 .
Encore une fois, nous voici confrontés au lien entre intelligence (la mémoire spatiale ici), milieu (les sources de nourriture dispersées) et
adaptation (le cerveau qui évolue en lien avec ce milieu). Et, encore une fois, nous pourrions être tentés de dire qu’un grand singe, proche des
humains, en l’occurrence le chimpanzé, fait preuve de capacités uniques. Il n’en est rien. Tout d’abord parce que d’autres primates (orangs-outans,
babouins, capucins…) possèdent des capacités d’orientation spatiale et de mémorisation très développées et ensuite parce que c’est l’ensemble du
monde animal et de ses adaptations qui laisse entrevoir d’incroyables surprises. La suite ne saurait être exhaustive, mais laissons-nous tenter par
quelques exemples.
Les éléphants n’oublient-ils jamais alors que les poissons rouges toujours ?
La mémoire des éléphants est légendaire, tout autant que celle des poissons rouges ! Les éléphants sont considérés comme ayant une
mémoire exceptionnelle, cependant que les poissons rouges sont souvent médiatisés comme ayant une mémoire n’excédant pas cinq secondes. Qui
dit vrai, qui dit faux ?
Commençons par les éléphants de la savane d’Afrique (Loxodonta africanus). Ces grands mammifères consomment énormément de
fourrage et doivent de ce fait se déplacer constamment, suivant des trajets influencés par les pluies et les barrières géographiques. Sur cinq mois de
déplacements, les éléphants du désert de Namibie peuvent ainsi parcourir plus de 600 kilomètres. Pendant la saison sèche, ils visitent environ tous
les quatre jours des sources en eau qui peuvent être éloignées de plus de 60 kilomètres les unes des autres 158 . Le domaine vital des éléphants est
donc immense et, pour trouver les ressources dont ils ont besoin pour survivre, ils repèrent et mémorisent les lieux stratégiques grâce à leur
mémoire spatio-temporelle et pas uniquement leurs excellentes capacités olfactives 159 . Un fait passionnant a été étudié en cas de sécheresse sévère.
De telles circonstances peuvent s’avérer dramatiques pour la survie des éléphanteaux et même des adultes du groupe. Une solution est alors de
sortir du parc touché par la sécheresse afin de tenter de trouver, à l’extérieur, les ressources indispensables à la survie des petits et de l’ensemble
du groupe. Encore faut-il bénéficier d’excellentes capacités de navigation spatiale et de mémorisation de ces lieux visités par le passé pour trouver
les ressources à temps. Qui prend alors les choses en main dans le groupe ? Les matriarches ! Autrement dit, seuls les clans régis par des femelles
âgées (35 ans) et bénéficiant de l’expérience nécessaire sont capables de faire sortir leur groupe de leur parc en cas de sécheresse sévère pour
trouver de nouvelles ressources 160 . Se souvenir du bon endroit où aller, qui plus est au bon moment, n’est pas à la portée de tous les éléphants,
mais seulement des femelles expérimentées. Quoi qu’il en soit, cette « mémoire d’éléphant », et notamment cette mémoire topographique également
flagrante chez les éléphants d’Asie (Elephas maximus), leur permet de survivre aux innombrables persécutions dont ils font l’objet depuis si
longtemps. Ganesh, le dieu éléphant dans l’hindouisme, n’est pas le dieu de la sagesse et de l’intelligence par hasard ! Outre leur mémoire spatiale,
les éléphants bénéficient également d’une mémoire olfactive, visuelle et vocale qui leur permet de classer et de détecter leurs ennemis potentiels
(humains, tigres, lions). Ils peuvent même reconnaître un ennemi potentiel ou encore le sexe, l’âge ou la provenance ethnique d’une personne à sa
voix 161 – et reconnaître une centaine de voix différentes.
Évidemment, face au large territoire des éléphants et à ces longs périples, le bocal d’un poisson rouge fait grise mine. D’autant que les
poissons sont les animaux les plus consommés en termes de nombre (pêche, aquaculture intensive), représentent l’animal de compagnie le plus
commun et sont les animaux les plus utilisés, après les souris, dans les recherches scientifiques. Il existe ainsi un énorme fossé entre la perception
que les gens ont de l’intelligence des poissons et la réalité scientifique 162 . Quoi qu’il en soit, les poissons sont en fait bien plus intelligents qu’on ne le
pense. Outre de nombreux comportements sophistiqués dont ils font parfois preuve (traditions, coopération, utilisation d’outils, etc.), un exemple va
complètement à l’encontre de cette croyance et concerne la mémoire. En effet, en termes de mémoire spatiale et de navigation, les poissons ne sont
pas en reste et leur utilisation d’indices géométriques est très similaire à celle des oiseaux et des rats.
Un exemple classique concerne les gobies (famille des gobiidés) que l’on trouve dans les mares, près des rochers. Ces petits poissons, que
l’on trouve d’ailleurs souvent dans les aquariums des enfants, savent retourner à leur nid même après avoir été déplacés à plus de 30 mètres 163 . Or
30 mètres pour un gobie correspondent environ à 500 mètres, voire 1,5 kilomètre pour un humain… De plus, quand ils sont dérangés, ces gobies
peuvent sauter dans des mares entre les rochers voisins et toujours se souvenir, quarante jours après, de l’emplacement des bassins avoisinants afin
de retrouver leur nid. Or quarante jours pour un gobie représentent entre un et dix ans pour un humain 164 … Les gobies utilisent ainsi probablement
des cartes cognitives qu’ils élaborent pendant la marée haute lorsqu’ils sont libres de se déplacer autour et au-dessus des rochers. Comme les
chimpanzés, et comme de très nombreuses autres espèces qui possèdent des représentations mentales sophistiquées de l’espace et de grandes
capacités de navigation, les poissons (dont les gobies) possèdent une remarquable mémoire à long terme 165 .
Un autre exemple concerne le poisson arc-en-ciel (Melanotaenia duboulayi), à qui il faut uniquement cinq trajets en captivité pour repérer
l’emplacement du chemin d’évasion de son filet. Testez-le presque une année plus tard et il se souviendra parfaitement de sa stratégie d’évasion 166 .
Cette mémoire est d’autant plus remarquable que ce poisson ne vit que deux années dans son milieu naturel. Et, pour finir, tordons le cou au mythe
des trois secondes de mémoire du poisson rouge (Carassius auratus). En fait, il s’agirait plutôt de trois mois et ces mêmes poissons seraient tout à
fait capables de reconnaître d’autres poissons et de mémoriser quels individus sont les meilleurs compétiteurs 167 . D’une certaine manière, ils
pourraient même déterminer l’heure ! Imaginez ce petit poisson rouge entraîné à pousser un levier pour obtenir de la nourriture. Or ce levier est
préparé pour ne fonctionner qu’une seule heure par jour. Eh bien, les petits poissons rouges apprennent à actionner le levier uniquement au bon
moment et se regroupent même autour du levier lorsque l’heure approche, comme s’ils se souvenaient qu’il était presque midi…
Figure 11. Schéma du Barnes Maze utilisé pour tester les capacités de mémoire spatiale chez le lézard à flancs maculés (modifié à partir de LaDage et al., 2012).
Dans un tel contexte expérimental, si les lézards ont des capacités de mémoire spatiale, ils devraient naviguer sur cette plateforme en utilisant
les repères spatiaux fixes de la pièce (une croix noire et un cercle plein gris situés sur deux murs de la pièce) et orienter leurs mouvements vers le
bon trou en s’aidant de ces indices. Les résultats de l’expérience sont formels. Les sept lézards testés orientent clairement leurs mouvements dans
la bonne direction. Au fur et à mesure des essais, il est évident que les lézards ne retrouvent pas les bons trous par hasard et qu’ils y retournent
grâce à leur mémoire spatiale qui leur a permis de mémoriser le bon emplacement à l’aide des repères spatiaux présents sur les murs. Il est donc
clair qu’au moins certains reptiles font preuve de mémoire spatiale. Il est fort possible que cette capacité soit une adaptation à leur comportement
territorial impliquant de bien connaître leur milieu pour mieux le défendre. L’intérêt de développer une telle capacité au cours de l’évolution n’est
ainsi pas uniquement lié à la recherche de nourriture, mais également à la protection de sa vie et de son territoire. Belle diversité qui rend une
nouvelle fois la tâche difficile pour déduire de l’intelligence, qui plus est comparable, entre les espèces et à l’échelle de l’évolution.
Nous sommes en 2001 à la Vallée des singes. Des femelles capucins vaquent à leurs activités quotidiennes sur leur îlot en partie entouré
d’eau. Elles cherchent de la nourriture dans le sol : des petits vers, des escargots et autres limaces, consomment les fruits d’aubépines disponibles à
plusieurs endroits sur leur territoire, chassent des souris, des grenouilles, des oiseaux et s’adonnent même parfois à la pêche. Car certaines jeunes
femelles n’hésitent pas à utiliser la flexibilité des roseaux pour se positionner au-dessus de l’eau et attraper précipitamment des poissons. Ce qui a
peut-être commencé comme un jeu s’est ainsi transformé en un vrai terrain de pêche ! Pour compléter ce régime alimentaire, malgré tout insuffisant,
les soigneurs animaliers du parc leur fournissent régulièrement de la nourriture, comme des noix dont elles raffolent. Les femelles capucins utilisent
alors différentes techniques pour les ouvrir. La plus fréquente, car la plus efficace et la moins coûteuse sur le plan énergétique sans doute, consiste à
les frapper contre différents supports. Il ne s’agit pas d’utilisation d’outils à proprement parler, mais de proto-usage d’outils : un objet non détaché
de l’environnement est utilisé pour en transformer un autre.
Il n’en demeure pas moins que certains points s’avèrent très intéressants pour notre propos. En les observant, je me rends rapidement
compte que les toutes jeunes femelles semblent utiliser des substrats différents des adultes. Je décide de quantifier ces choix. Les résultats tombent
au bout de plusieurs semaines 190 . Les jeunes femelles frappent les noix sur toutes sortes de substrats de manière aléatoire et souvent inappropriée :
des branches souples ou toutes fines, de la boue ou parfois même des feuilles. À l’inverse, les adultes choisissent systématiquement les substrats les
plus durs : l’allée centrale en béton ou encore les petites plateformes en pierre disponibles à divers endroits de l’îlot. Évidemment, ce choix de
substrat a un effet direct sur la réussite et l’efficacité de l’ouverture de la noix : plus le support est dur, moins il faut de coups pour ouvrir la noix.
Ainsi, les jeunes frappent les noix de manière aléatoire sur tous les substrats disponibles même s’ils sont aberrants, alors que les adultes mettent en
place une vraie stratégie d’efficacité. Autrement dit, pour casser des noix, qui plus est en un nombre de coups réduit, les femelles adultes optent
pour une stratégie de dureté du substrat pendant que les jeunes doivent apprendre à sélectionner les substrats adéquats en grandissant. Il faut donc
que les capucins apprennent. Et cette capacité qu’un individu ou une espèce a à apprendre, ou non, est un critère intéressant pour évaluer
l’intelligence.
D’innombrables exemples existent quant aux capacités d’apprentissage dans le monde animal. Mais il en est une autre moins diffusée et qui
semble pourtant très pertinente. Prenons l’exemple de Paula, femelle ayant une position hiérarchique très basse dans le groupe à l’époque et donc
très dominée. Premier défi de Paula : récupérer une noix. Lorsqu’elle y parvient enfin malgré la pression de ses congénères, elle s’éloigne
systématiquement sur les hauteurs des infrastructures en bois de l’îlot, pour ne pas se faire subtiliser son butin. Jusque-là, rien de surprenant, sauf
que, visiblement, pour frapper sa noix, elle semble se rendre en permanence au même endroit, précisément situé à l’extrémité d’un rondin de bois.
Elle se tient ainsi hors de portée des autres femelles occupées à frapper leurs noix sur les lieux les plus stratégiques, au sol. Pourquoi Paula choisit-
elle donc cet emplacement en particulier et de manière systématique ? Je décide d’aller jeter un œil sur ce lieu de prédilection et je découvre qu’à
cette extrémité du rondin de bois qu’affectionne tant Paula se trouve un clou en métal… Ainsi, Paula, dominée et n’ayant pas accès aux zones
privilégiées pour casser de manière optimale ses noix, doit non seulement s’éloigner, mais trouver une autre solution. Et quelle solution ! Comme
elle ne peut pas se contenter de faire comme les autres adultes, elle a dû trouver un autre moyen que les autres pour parvenir à ses fins. Et elle a
identifié un substrat inédit et efficace pour casser sa noix : un clou !
Voyons un autre exemple. Fetnat est une toute jeune femelle qui a accès aux substrats les plus durs. En revanche, elle a un autre problème
que celui de Paula : elle n’a ni la force ni la technique nécessaires pour ouvrir ces mêmes noix en les frappant contre les supports, même les plus
durs. Mais sa motivation pour ouvrir les noix est bien présente. C’est le matin. Je me trouve sur le chemin central de l’îlot des capucins, chemin
constituant le substrat le plus dur et le plus utilisé par les adultes dominantes pour casser leurs noix. Des noix sont disposées au sol autour de moi.
Pendant que les autres individus s’affairent à la tâche, la petite Fetnat reste à proximité de moi et observe les noix disponibles. À ma stupéfaction,
elle décide alors de s’approcher de mon pied droit et tente de le soulever. Elle n’y parvient pas, mais comprenant ce qu’elle souhaite faire, je l’aide
quelque peu et soulève la pointe de ma chaussure. Que fait Fetnat ? Elle place une noix dessous et se met à sauter à plusieurs reprises sur ma
chaussure ! Cela ne suffit pas, car Fetnat est jeune et n’applique pas la force nécessaire. Mais que l’idée était belle ! Peut-être a-t-elle observé un
jour quelqu’un écraser une noix en marchant dessus ? Ou peut-être s’agit-il vraiment d’une invention de sa part ? Qui sait ? Il n’en demeure pas
moins que cette tentative est à part. Au-delà de l’aspect ludique de ces exemples, des questions essentielles se posent. Pourquoi ces inventions ou
innovations 191 individuelles sont-elles ou non transmises au sein du groupe ? Pourquoi les autres femelles dominées ne se sont-elles pas, par
exemple, mises en quête des autres clous disponibles dans l’îlot pour éviter les femelles dominantes ? Paula est dominée, elle a une place
hiérarchique faible dans le groupe social. Peut-être n’est-elle pas suffisamment observée pour inspirer les autres ? Si ces inventions ne sont pas
transmises au sein du groupe social, comment pourraient-elles l’être de génération en génération et ainsi former un trait culturel ? L’innovation,
l’intelligence sociale et culturelle sont autant de sujets passionnants que nous allons maintenant aborder.
Innovation et intelligence :
alors, t’innoves ou t’innoves pas ?
L’innovation est un élément clé de la plupart des définitions de la culture et de l’intelligence, suggérant que la capacité à produire des
innovations est une mesure de l’intelligence 192 . Elle peut même affecter la survie d’un individu, voire d’une espèce, et ainsi jouer un rôle majeur
dans l’évolution de cette espèce. Attachons-nous pour commencer au lien qui unit innovation et intelligence. Nombreuses sont les définitions de
l’intelligence animale qui font référence à des solutions nouvelles pour résoudre des problèmes anciens comme nouveaux 193 . On comprend alors
rapidement que la capacité à innover est une mesure importante de l’intelligence 194 . Et en effet, pour innover, il faut tout d’abord être capable de
répondre à la nouveauté, d’explorer et de trouver une solution nouvelle. Or les facteurs susceptibles d’influencer ces capacités sont multiples. Ils
peuvent être indépendants de l’individu : pénurie de nourriture, rareté d’un objet attrayant, pression des autres individus ou des prédateurs… Dans
le cas de Paula, la pression des autres individus l’a conduite à ne pas avoir accès à la zone la plus facile pour casser sa noix et elle a donc dû
chercher une autre solution. Mais ces facteurs peuvent également être dépendants de l’individu : personnalité (curieuse ou non), expérience, âge,
sexe, statut social… – Fetnat est de toute évidence une petite femelle très curieuse, observatrice et exploratrice. De nombreux facteurs sont ainsi
impliqués. De plus, certaines innovations peuvent être considérées comme simples et ont pu émerger par accident – Fetnat aurait vu quelqu’un
écraser une noix sous sa chaussure – ou après de multiples essais et erreurs – Paula a peut-être essayé bien d’autres supports avant de se focaliser
sur le clou. D’autres peuvent être considérées comme complexes et vont davantage refléter des inventions suite à un raisonnement de cause à effet
impliquant énormément d’explorations, d’apprentissage et de pratique. Ces innovations n’arrivent jamais par accident, car les actes moteurs
impliqués ou le contexte sont très inhabituels et sont très éloignés du comportement coutumier de l’individu. Ce type d’innovation complexe n’existe
pas chez toutes les espèces comme nous le verrons plus loin. Les grands singes et les singes capucins en sont de brillants exemples, mais ce n’est
pas le cas pour les autres primates. D’où la question : pourquoi certains innovent-ils tandis que d’autres ne le font pas ?
Pour commencer, on peut mentionner qu’il existe par exemple un lien établi entre le taux d’innovation et la capacité d’apprentissage chez les
oiseaux et les primates ou entre innovation et taille relative des structures du cerveau 195 . Il est également évident que certains contextes sont plus
favorables que d’autres pour innover et que certaines innovations peuvent revêtir plus d’importance que d’autres. Une pie se servant d’une feuille
comme d’un surf pour jouer n’a pas la même portée qu’un babouin qui lance des branches sur une lionne pour la faire fuir et sauver sa vie !
Certaines innovations peuvent ainsi viser à améliorer le quotidien pendant que d’autres conduisent à la survie. Prenons quelques exemples.
Considérons une population de chimpanzés vivant en forêt de Taï, en Côte d’Ivoire, et évoluant dans un environnement d’arbres produisant
différentes espèces de noix. L’une de ces espèces d’arbres (Dura laboriosa) produit des noix très dures qui nécessitent d’être cassées et ouvertes
avant d’être consommées. Pendant que d’autres populations de chimpanzés utilisent des pierres, ces chimpanzés-là emploient systématiquement
des branches depuis plusieurs générations. Un jour, une femelle du groupe nommée Eureka se met à utiliser une pierre à la place d’une branche
pour casser ses noix. Eureka emploie ensuite régulièrement cette nouvelle méthode. Que se passe-t-il ? Eh bien les autres chimpanzés qui
observent Eureka lorsqu’elle casse ses noix avec une pierre vont commencer eux-mêmes à casser leurs noix avec des pierres. Après plusieurs
générations, toute la population de chimpanzés a changé d’outil pour ouvrir les noix, passant des branches aux pierres 196 .
On peut toujours disserter sur le fait qu’il s’agisse ou non d’une véritable innovation : le fait est qu’il s’agit bien d’un comportement nouveau
qui s’est transmis. Les innovations ne sont pas l’apanage des chimpanzés et encore moins des primates : elles sont fréquentes chez les oiseaux 197 .
Jetons un coup d’œil sur ce qui se passe chez les corneilles qui ont tout simplement fait un remake de la fable d’Ésope (grand fabuliste dont s’est
inspiré La Fontaine) intitulée « La corneille et la cruche ». Un jour, une corneille ayant soif trouva par hasard une cruche où il y avait un peu d’eau.
Hélas, lorsqu’elle voulut boire, elle constata que le niveau de l’eau était si bas qu’elle ne pouvait l’atteindre avec son bec. Elle essaya bien de
renverser la cruche et de la rompre, mais en vain. Celle-ci était trop lourde. La corneille assoiffée désespérait de boire lorsqu’il lui vint une idée.
Elle se saisit d’un caillou et le laissa tomber dans la cruche. Elle en jeta un autre, puis un autre et ainsi de suite. Peu à peu, le niveau de l’eau monta
dans le récipient et bientôt elle put étancher sa soif. Belle histoire n’est-ce pas ? Mais c’est une fable, me direz-vous. Certes, mais qui est devenue
réalité comme le montrent diverses expériences conduites par des équipes américaines sur des corvidés.
Voici un freux (oiseau qui ressemble à une corneille) qui se trouve face à un dilemme proche de celui de la corneille d’Ésope : un tube en
plastique transparent rempli à un tiers d’eau à la surface de laquelle flotte un ver de farine. Le freux ne peut pas atteindre le ver avec son bec. Les
expérimentateurs lui mettent alors à disposition des cailloux. Et là, comme dans la fable d’Ésope, l’oiseau les jette dans l’eau les uns après les
autres jusqu’à ce que le niveau de l’eau soit suffisamment élevé pour qu’il puisse récupérer le vers. Mieux encore : au fil des tests, les
expérimentateurs se rendent compte que l’oiseau met moins de cailloux dans le tube et récupère néanmoins le ver plus rapidement. Comment ?
Parce que l’oiseau choisit les cailloux les plus volumineux afin de faire monter le niveau d’eau plus rapidement et ainsi récupérer le ver en mettant
moins de cailloux 198 ! Autre exemple : celui de Kitty la corneille qui s’est également trouvée face à un dilemme proche de la corneille d’Ésope. Les
expérimentateurs placent face à elle deux tubes en verre à moitié remplis d’eau et reliés par un autre tube afin de constituer un ensemble de « vases
communicants ». Dans l’un des tubes, trop étroit pour y mettre un caillou, se trouve un petit morceau de liège flottant sur lequel est placé un
morceau de viande. Ce morceau de viande, situé trop bas dans le tube, n’est pas accessible avec le bec. Le deuxième tube est suffisamment large
et communique avec le premier. Que fait Kitty ? Elle collecte des cailloux et les jette délicatement dans le tube ne contenant pas le morceau de
viande. Elle fait ainsi monter le niveau d’eau de l’autre tube et finit par récupérer le morceau de viande 199 !
Figure 12. Baleine produisant des bulles circulaires pour contraindre les poissons piégés à remonter en surface.
Les exemples de créativité et d’innovation sont nombreux chez les primates et les oiseaux, mais pas seulement. Les mammifères marins sont
également de bons représentants. La recherche de nourriture par coopération chez les baleines à bosse dans le sud-est de l’Alaska et la côte ouest
de l’Amérique du Sud est d’ailleurs remarquable. Nombreuses sont les espèces de mammifères marins qui utilisent le système de bulles qu’ils
projettent pour encercler, rassembler et mieux capturer les proies. En revanche, les baleines à bosse développent une méthode unique pour
entourer les bancs de harengs. Leur stratégie est la suivante. Une baleine expire tout d’abord une longue ligne circulaire de bulles qui monte pour
former une sorte de rideau. D’autres baleines lancent alors des appels qui orientent les harengs vers le mur de bulles. Une fois les harengs à
proximité des bulles, la baleine chargée de faire les bulles les encercle en créant un cylindre. Les harengs sont alors pris au piège à l’intérieur, les
bulles formant une barrière. Pendant ce temps, les autres baleines se positionnent au fond du cylindre et les harengs fuient vers le haut, poussés par
les appels provenant des baleines placées en dessous. Les baleines se déplacent ensuite toutes ensemble vers le haut et, à l’approche de la surface,
ouvrent largement leur bouche et capturent les harengs (figure 12). Cette technique de capture de poissons par coopération permet aux baleines de
consommer jusqu’à une tonne de nourriture en un jour ! De plus, elle n’est pratiquée que par certaines populations de baleines à bosse, en
particulier celles d’Alaska, suggérant qu’il a probablement dû s’agir d’une innovation.
Ces exemples d’innovations suggèrent de remarquables capacités intellectuelles de la part de ces animaux. Mais comment ces capacités se
sont-elles développées ? Il est possible qu’elles se soient exprimées de manière spontanée, impliquant finalement peu, voire pas de lien avec les
expériences passées. Une autre possibilité est que l’individu a généralisé une expérience vécue dans un autre contexte 200 . Un comportement très
important est souvent avancé dans ce cadre : le jeu. En effet, lorsque les jeunes individus jouent, ils découvrent des propriétés de leur
environnement qui peuvent plus tard devenir cruciales pour faire face à de nouveaux défis. Or le jeu existe chez un très grand nombre d’espèces,
même insoupçonnées, comme les raies, les grenouilles, les crocodiles, les araignées 201 , et il est ainsi parfois lié à des apprentissages 202 . Par
exemple, nous savons que les corneilles, les chimpanzés, les singes capucins et les loutres manipulent énormément d’objets lorsqu’ils sont petits,
dont des bâtons ou des pierres. Ces pratiques dans le contexte du jeu sont autant d’expériences qu’ils pourront peut-être plus tard étendre à
d’autres fonctions, d’autres buts comme saisir un bâton pour obtenir de la nourriture, frapper une pierre contre une noix pour l’ouvrir ou frapper un
coquillage contre un caillou.
Bien des phénomènes complexes entourent ces capacités d’innovation et si les types d’innovations sont multiples, une question fascinante se
pose : comment l’individu qui crée transmet-il son invention à d’autres individus ? Plus fascinant encore : la transmet-il à tout le groupe, à d’autres
groupes, voire aux générations suivantes ? Sous ces questions se cachent des concepts très complexes d’innovation au sens strict (et pas seulement
de création, d’invention), mais également de tradition, voire de culture – termes encore trop largement réservés à l’espèce humaine.
L’intelligence du cœur
F. M . – C’est presque une question d’intelligence, c’est aussi une affaire de cœur [évoquant une juste répartition des richesses].
V. G. E. – Tout d’abord je trouve toujours choquant et blessant de s’arroger le monopole du cœur. Vous n’avez pas, monsieur
M itterrand, le monopole du cœur ! Vous ne l’avez pas… J’ai un cœur comme le vôtre qui bat à sa cadence et qui est le mien. Vous
n’avez pas le monopole du cœur.
« Tu es intelligent toi ?
– Sincèrement, je n’en sais rien…
– C’est idiot comme réponse !
– Tu vois, je te l’avais bien dit. »
L’être humain est plus intelligent qu’une fourmi car celle-ci ne sait pas utiliser un ordinateur. De fait, l’être humain est plus doué en
informatique qu’une fourmi. Mais la fourmi du désert est plus intelligente que l’être humain, car elle possède de bien meilleures capacités de
navigation. Qui est le plus intelligent des deux ? Utiliser un ordinateur est-il plus important pour survivre que de savoir naviguer ? On ne peut pas
répondre. De même qu’il est très difficile de répondre à la question « êtes-vous intelligent ? », tout simplement parce qu’il n’existe pas de définition
simple et unique de l’intelligence. L’intelligence est-elle la capacité à répondre à des situations nouvelles ou complexes ou encore à apprendre et à
innover 255 ? L’intelligence est-elle la capacité à résoudre un problème ? L’intelligence est-elle la capacité à apprendre rapidement ou encore à
raisonner 256 ? L’intelligence est-elle la capacité de créer ou encore d’aider l’autre ? En plus de ces différentes visions de l’intelligence, de très
nombreux paramètres interviennent : il y a les diverses capacités que nous venons de voir comme manipuler, utiliser des outils, les fabriquer, se
déplacer, mémoriser, inventer, transmettre, etc., et il y a aussi divers contextes comme vivre en forêt, dans le désert, avec des prédateurs, etc.
Comment comprendre alors les mécanismes évolutifs de l’intelligence si définir l’intelligence est à ce point complexe ? Ce qui est certain, c’est que
les animaux savent faire énormément de choses, que les humains savent parfois faire, mais parfois non, que ces capacités existent chez des espèces
très différentes les unes des autres et qu’elles sont donc apparues à différentes périodes de l’évolution.
Il n’existe pas d’évolution linéaire de l’intelligence au même titre qu’il n’existe pas d’évolution linéaire tout court. D’où le choix délibéré
d’utiliser une définition large de l’intelligence comme nous l’avons fait tout au long de cet ouvrage et de la considérer comme une stratégie
adaptative. Toutes les espèces sont intelligentes, à leur manière, dans leur contexte, pour une ou plusieurs capacités, certes, mais elles le sont
toutes. Et vouloir hiérarchiser cette intelligence dans le seul but de montrer la suprématie humaine est chose vaine, car il existera toujours une
capacité qui échappe aux humains et que nous trouverons chez d’autres animaux. Il faut, de plus, contempler l’intelligence à l’échelle de l’évolution.
Les fourmis, qui ont en partie côtoyé les dinosaures, vivent et survivent depuis 120 millions d’années. Les humains, seulement âgés d’environ
3 millions d’années, seront-ils assez intelligents pour en faire autant ?
Autre conviction : il n’y a pas une intelligence mais des intelligences. Chacun a sa place dans ce concept d’« intelligence plurielle ».
L’intelligence est multiple dans le règne animal et une carrière entière ne saurait suffire à comprendre son évolution. C’est d’ailleurs sans doute une
quête impossible tant il y a de capacités, de comportements et d’espèces sur cette planète, sans compter tous ceux que nous ne connaissons pas.
Tout au plus pouvons-nous explorer et comprendre certains phénomènes de convergence, c’est-à-dire comment des espèces aussi éloignées et
différentes que des insectes, des céphalopodes, des oiseaux et des primates ont développé des comportements complexes communs comme
l’utilisation d’outils qui peut ainsi impliquer des mains, des becs, des pattes, des tentacules ou autres trompes du monde animal. Il est passionnant
de tenter de comprendre pourquoi des animaux aussi différents et vivant dans des milieux parfois opposés ont développé les mêmes
comportements.
Il est également possible de chercher à savoir à quel moment de l’évolution est apparu tel ou tel comportement. Cette problématique est
délicate, car les comportements ne se fossilisent pas et au mieux nous pouvons tenter de déduire ce qu’un ancêtre faisait à travers le comportement
actuel de l’animal. Si une corneille est capable aujourd’hui d’utiliser un outil pour extraire des larves d’un tronc, nous pouvons supposer que si les
ancêtres de cette corneille avaient des becs et des pattes relativement similaires et que des troncs et des larves étaient présents, alors son ancêtre
avait le potentiel d’exercer le même comportement. Mais nous pouvons seulement le supposer. Ce qui est passionnant, c’est de tenter de
comprendre pourquoi, à des endroits différents et des époques différentes, des animaux très variés ont inventé des comportements très proches et,
à l’inverse, pourquoi au sein de la même espèce, certains inventent et d’autres pas.
Imaginons que les humains soient tout de même les plus intelligents…
Partons, malgré tout, du postulat que les humains possèdent une intelligence extraordinaire et supérieure aux autres espèces. C’est un fait, les
humains actuels possèdent de gros cerveaux. Ce point est lié, pour certains, à leur grande créativité et à leur grande intelligence, et témoigne d’une
forte sélection naturelle, même si les conditions ayant favorisé les adaptations cognitives humaines restent une énigme. De nombreuses hypothèses
ont été proposées concernant les avantages sélectifs d’un changement intellectuel pendant l’évolution humaine. La plupart des explications
impliquent la résolution de problèmes écologiques comme l’utilisation d’outils, la chasse, le charognage, la vie dans la savane ou en environnements
instables, etc. Le problème, c’est que bon nombre d’autres espèces utilisent des outils, vivent dans des environnements instables, chassent,
charognent, etc. C’est pour cette raison qu’un autre champ de la recherche propose que les avancées en termes de langage, d’art ou encore de
religion aient conduit à l’utilisation de représentations symboliques à l’origine de capacités culturelles élevées 269 . Mais bien des espèces ont des
modes de communication très complexes par les chants, les vocalises, les gestes et même par l’utilisation de symboles. Des expériences ont
d’ailleurs confirmé ces capacités élevées. Dans les années 1970, le chimpanzé Washoe utilisait environ 250 signes qui formaient son lexigramme. Le
bonobo Kanzi, encore lui, a lui aussi été capable d’associer des lexigrammes avec des objets, des actions ou des personnes, puis de créer des
associations de lexigrammes pour leur donner un nouveau sens 270 . Le célèbre perroquet gris du Gabon nommé Alex et étudié par l’éthologue Irene
Pepperberg a également été capable de dire des phrases comme : « Alex donne pomme Irène. » Alex savait aussi nommer une cinquantaine
d’objets différents et identifier et différencier des couleurs, des formes ou encore des textures. Il comprenait parfaitement environ 150 mots qu’il
pouvait utiliser de manière cohérente au cours d’une conversation 271 .
Voici un exemple anecdotique de conversation ayant eu lieu après une expérience déroulée un soir :
Alex est mort prématurément à l’âge de 31 ans. Ses derniers mots envers le professeur Pepperberg ont été : « You be good, see you
tomorrow, I love you » (« Sois sage, à demain, je t’aime »). Mais il n’y a pas que les perroquets qui peuvent communiquer de manière complexe.
Une femelle dauphin tursiops, Akeakamai, pouvait comprendre la langue des signes pour tout ce qui se rapportait aux objets et aux emplacements,
comme la droite ou la gauche. Elle pouvait également comprendre des mots et phrases de base comme « toucher le frisbee avec ta queue puis
sauter par-dessus 272 ». Enfin, une étude récente montre que les babouins savent apprendre à identifier les éléments qui font un mot. Ils sont
capables d’apprendre les combinaisons de lettres qui apparaissent fréquemment dans les mots anglais et de détecter les lettres qui ne sont pas à la
bonne place. Les babouins font ainsi une vraie analyse orthographique 273 !
L’humain et la fourmi…
Pourquoi ce petit dialogue imaginaire ? Parce que les humains sont incroyables, il est vrai, par leur créativité, leur ingéniosité, leurs
découvertes sans cesse renouvelées, à une vitesse phénoménale. Mais il y a toujours un moment où l’arrogance nuit. Les humains se cachent
derrière leur incroyable technologie, mais rien ne pourra remplacer le concret et l’intelligence de situation comme on dit, cette intelligence qui vous
pousse à faire le bon choix au bon endroit au bon moment. Si vous êtes au milieu du désert avec un GPS qui n’a plus de batterie, vous aurez beau
être un génie, vous ne sortirez pas de ce désert. La technologie, bien qu’à l’origine de nombreuses découvertes (on découvre la cellule avec le
microscope par exemple) ne rend pas nécessairement intelligent. De plus, j’ai peu évoqué ce point dans cet ouvrage, mais question construction,
bon nombre d’espèces animales dites architectes ou ingénieures par exemple, ont des capacités incroyables. Alors oui les humains sont intelligents,
capables de découvertes et de créations extraordinaires, mais cessons peut-être cette quête absurde de chercher à comprendre l’émergence de
cette intelligence spécifique aux humains si elle ne l’est pas ou si elle est relative ! C’est une évidence : il existe des intelligences, propres à chaque
contexte, à chaque espèce, à chaque individu. Et hiérarchiser une telle diversité relève de l’impossible ou d’une volonté consciente ou non de placer
à tout prix les humains au sommet.
Conclusion
Lorsque j’ai informé mes collègues, au fil de l’écriture, que je rédigeais un livre sur l’évolution de l’intelligence, tous sans exception ont
spontanément réagi à grands coups de : « Oh là là… », de « Ouf… », « Impossible ! », « Pas simple… » ou encore « T’es dingue ! ». D’abord
parce que la notion d’intelligence est indéfinissable et ensuite parce que nous avons encore besoin aujourd’hui d’expliquer qu’il n’y a pas que les
humains à pouvoir faire preuve d’intelligence. Et je mesurais la difficulté. L’intelligence est peut-être une notion trop large, trop vague et non
adaptée. Une anecdote symbolise parfaitement cette vision : au congrès de la Société internationale de primatologie qui a eu lieu l’été 2012 à
Cancun, le professeur Tetsuro Matsuzawa, primatologue japonais de renommée internationale, fait une conférence intitulée « Qu’est-ce qui est
uniquement humain ? ». Conférence passionnante au cours de laquelle le professeur, riche de toutes ses incroyables expériences, essaye de mettre
en évidence les spécificités humaines. Pour ce faire, il explore essentiellement quatre critères : la coopération, la posture bipède, l’imagination et la
mémoire. Pendant une heure, le professeur évoque les capacités des humains, parfois meilleures et parfois moins bonnes que celles des
chimpanzés. À aucun moment au cours de sa conférence il ne parle d’intelligence. Autrement dit, pour lui le sujet n’est pas là. Et je le rejoins très
aisément. Dire qu’une espèce est plus intelligente qu’une autre n’a aucun sens finalement. Dans quel contexte ? Pour quel comportement ? Pour
quelle performance ? Il nous est impossible de généraliser ce concept.
Il n’y a bien sûr pas qu’une forme d’intelligence. Et je suis heureuse et rassurée de voir des travaux consacrés aux intelligences multiples chez
les humains 275 . À ce titre, il existe des intelligences multiples chez les autres animaux aussi. Nous avons passé en revue toutes sortes de
comportements comme la fabrication et l’utilisation d’outils, la navigation, la mémoire, l’innovation, l’intelligence sociale et culturelle, l’empathie, la
coopération, et force est de constater que plein d’autres animaux que nous savent faire des choses stupéfiantes. Stupéfiantes pour qui ? Pour nous
les humains, qui pensons toujours avoir la suprématie sur l’ensemble des comportements et des actions menées dans ce bas monde. Mais sans
doute pas toujours stupéfiantes à l’échelle des autres animaux et de leur évolution.
Dans ce livre, j’ai volontairement mis l’accent sur l’intelligence animale et non sur les stratégies comportementales au sens large. Mon but était
de nous faire réfléchir à cette notion si complexe qu’est l’intelligence et à la suprématie humaine qui lui est associée. Il ne faut bien sûr pas tomber
dans les excès et les fausses croyances, voire les mythes parfois associés à l’intelligence animale (cheval qui sait compter, singes parlants…) et il
faut tenter de rester le plus près possible des réelles capacités cognitives des animaux en s’attachant à utiliser des méthodologies rigoureuses 276 .
Néanmoins, l’intelligence animale est une évidence 277 et je suis convaincue que l’intelligence se mesure à l’échelle de l’évolution, et l’espèce
humaine est bien trop jeune pour affirmer qu’elle est si intelligente au point de survivre aussi longtemps que tant d’autres l’ont déjà fait. Pour le dire
de façon provocante, à l’échelle de l’adaptation, les humains sont des imbéciles ! Nous sommes là depuis seulement 3 millions d’années pendant
que d’autres animaux sont présents depuis plus de 600 millions d’années… Mais qui sera encore là dans un siècle, un millénaire, 1 million
d’années, c’est-à-dire demain à l’échelle évolutive ?
Les humains sont tellement destructeurs et ont tellement échoué, pour le moment, dans leur milieu, que ce sont les seuls animaux qui vont sans
doute devoir conquérir un autre milieu, le milieu extraterrestre, pour survivre à long terme. Alors qui sont les plus intelligents ? Comment oublier le
bouleversant appel du professeur John Oates à la communauté des primatologues du monde entier lors du congrès international de primatologie à
Cancun en 2012 ? « Arrêtez cette course ridicule à la publication et consacrez-vous au drame qui se déroule sous vos yeux… » Le professeur
faisait tristement référence aux 207 espèces de primates vulnérables et aux 50 % d’entre elles qui auront disparu dans trois générations… Que dire
du dernier rapport Planète vivante du Fonds mondial pour la nature (WWF) qui s’appuie sur un indice calculé par la Société zoologique de
Londres et qui révèle que plus de la moitié des vertébrés ont disparu en quarante ans. Les populations mondiales de poissons, d’oiseaux, de
mammifères, d’amphibiens et de reptiles ont régressé de 58 % entre 1970 et 2012. Si rien n’est fait, ce chiffre pourrait atteindre 67 % en 2020.
Nous ne sommes pas tous compétents, loin s’en faut malheureusement, pour partir à la sauvegarde des espèces. Nous pouvons, en revanche,
cumuler nos compétences en encourageant les personnes de terrain à agir sur place et en nous intéressant, nous chercheurs, spécifiquement aux
espèces en danger – elles le seront bientôt toutes cela dit, et même celles très étudiées, comme les chimpanzés, ne sont pas épargnées.
En raisonnant dans le cadre de la survie de l’espèce et de son adaptation au milieu, en un laps de temps infiniment court, nous avons
démontré notre capacité à détruire le milieu, dont le nôtre, et de nombreuses espèces, dont peut-être la nôtre. Mais les autres animaux nous
survivront, bien après notre disparition sur terre. Ils étaient présents avant nous, des centaines de millions d’années avant nous pour certains, et ils le
seront bien après. Ce n’est désormais plus une question d’intelligence, nous avons largement prouvé notre bêtise, c’est une question de croyance.
Comment tenir, en tant que biologiste, observatrice de la vie, passionnée par toutes ces bêtes à poils, à écailles, à plumes, à exosquelette, sans
cette certitude ? Comment les regarder en face, chaque jour ? Comment continuer à s’émerveiller de leurs mouvements, de leurs réactions, de leurs
choix, de leurs attentions à mon égard, de leurs comportements chaque jour plus stupéfiants et bouleversants ? Comment ne pas baisser les bras et
les yeux sans cette certitude ? Ils nous survivront, j’en suis convaincue. Probablement parce que, comme mon maître à penser, Yves Coppens, qui
a fait exploser en moi à l’adolescence cette passion bouillonnante pour la découverte de la vie animale et de son évolution, je suis une éternelle
optimiste et une « éternelle étonnée ».
adaptation 20-22, 26-27, 35, 97, 104, 109, 118, 122, 126, 128-130, 146, 148, 168, 171, 181-182
aigle 71
albatros 115
animal 26-27, 29, 35, 38, 56-57, 72, 76, 81-82, 85, 89, 96, 99-100, 104, 109, 113, 121, 125, 132, 143, 166, 182
anticipation 88
apprentissage 18, 26, 34, 47, 64, 66, 76, 88, 94, 132, 135, 143-144, 148-151, 165-166, 170-171, 174, 183
aras 92
arboricolie 14, 17, 20-22, 30, 38-39, 41-43, 45, 60, 98, 104-106, 135
Australopithecus afarensis 30
Australopithecus africanus 34
automédication 184
aye-aye 150
balistes 81
barracuda 157
blaireaux 70
bonobos 30-31, 34, 49-50, 56-60, 63, 65, 98, 163, 173, 183
capacités 22, 24, 26-27, 32, 35-36, 38, 45, 47, 55-56, 60, 64, 69, 85, 88, 91, 95-96, 99, 102, 104, 106-109, 112, 114, 119, 121, 124-128, 132, 134,
139, 145, 165, 168-169, 173-174, 176, 180, 197
capucins 34, 47, 50, 53, 56-57, 62, 90, 92, 97, 109, 131, 135, 139, 143, 171
carnivores 70, 75
castor 100
cerveau 32, 34, 69, 74, 88, 93, 95, 97, 103, 109-110, 124, 127, 135, 145, 169-170
cétacés 25, 79, 123
chasse 53, 70, 75, 77-78, 80-81, 83, 96, 138-139, 147
chiens 156
chimpanzés 13-14, 16, 20-21, 24, 30-31, 38, 40, 43, 47, 49-50, 53, 70, 87-89, 103-105, 107-109, 114, 116, 127, 135, 139, 143, 149-150, 161-162, 171,
173, 180-182, 188, 197
choix 47, 57, 65, 118, 120, 122, 129, 132, 143, 146, 166, 176, 182
cichlidés 81
communication 173-174
complexité 35, 58, 72, 89, 91, 105, 118, 128-129, 151
cratéropes 156
criquets 77
dègue 69
demoiselle 81
échinidés 79
éléphants 21, 25, 70, 75, 105, 111-113, 155, 164, 171
évolution 13, 15, 17, 20, 24-27, 32, 35, 42, 48, 57, 66, 79-80, 95-99, 104, 126-128, 134, 144, 150, 166, 170, 172, 174, 179-183
expérience 19, 26, 45, 55-57, 62, 65, 73, 92, 107, 109, 112, 117, 121, 124, 126, 135, 139, 173
exploration 56, 65, 73, 99, 124, 134, 143, 150, 167, 170
fabrication 30, 32, 35-37, 40-42, 44, 47-50, 53, 56-57, 66, 71-72, 75, 87-88, 93, 98-100, 129, 166, 180
fauvette 101
femelles 19, 47, 58, 61, 75, 80, 90, 112, 131, 141, 144
fourmilion 78
fourmis 50, 57, 78, 94, 101, 115, 127, 145, 147, 165, 175-176
gastéropodes 79
géomagnétique 123
gibbons 31, 47
gobies 113
gouramis 81
guêpes 94
haplorrhiniens 31
hippocampe 110
hominoïdes 31
Homo erectus 49
Homo rudolfensis 30
humains 13-16, 19, 22, 24-27, 29-35, 37-39, 41-43, 45, 47-49, 53-54, 57, 62-63, 65-67, 69, 74-75, 83-84, 87, 93-95, 98-99, 106, 109, 113, 116, 128-129,
148, 151, 154, 159-161, 166, 168-172, 174-177, 179-182, 184, 188, 192
insectes 54, 75, 77, 88, 94, 97, 99, 101, 116, 127, 145, 147, 167-168
intelligence 13, 20, 24-27, 29, 32-35, 42, 48, 51, 64, 66-67, 70-71, 74, 78-79, 85, 87-88, 91, 93, 95-96, 98, 100, 102, 109, 112-113, 127-128, 131-132,
134, 140, 143-144, 147-150, 153, 165, 167, 169, 172, 175-176, 179-182, 187
jeu 15, 48, 57, 64, 73, 99-100, 102, 131, 134-135, 139, 141-142, 151
kenyanthrope 37
Kuni 163
labres 81-82
lézards 125-126
loutres 69
Lucy 13-15, 17-18, 22, 24, 30, 37-38, 41, 98, 182
macaques 17-18, 25, 31, 34, 50, 54, 56, 94, 97, 141, 162
main 21, 30-31, 34, 38-42, 45, 48, 57, 60, 62-64, 69-70, 74-75, 79, 90-92, 97-98, 112, 167, 169
mammifères 24, 31-32, 53, 69, 74-75, 79, 93, 97-98, 112, 123, 127, 138, 140, 144, 150, 168
manipulation 22, 39, 42, 45, 55-57, 60, 62-64, 66, 70-71, 80, 84, 90-91, 93-94, 99, 102, 143, 150-151, 166, 183, 187
mémoire 32, 47, 88, 95, 103, 107-114, 122, 125-128, 171, 175, 179-180, 197
mésanges 109
Microcebus murinus 45
micro-organismes 168
migrations 123
navigation 88, 103, 105-106, 111-113, 115, 118, 121, 123, 125, 127-128, 165, 171, 180
noix 22, 48, 50, 53, 57-58, 60-63, 66, 72, 83, 88, 90, 109, 132-133, 135, 139, 143, 149, 171, 183
oiseaux 24, 32, 34, 70, 74-75, 79, 88, 93, 97-98, 101, 109, 111, 113, 118, 122-123, 127, 131, 135, 140, 144, 147, 150, 167-168, 170, 174
orangs-outans 25, 30-31, 38, 50, 54, 57, 60, 62-63, 65, 89, 102, 105, 109, 144, 151
ours 70
oursins 79, 84
outils 16, 20, 22, 27, 30, 32, 34-36, 38-44, 47-50, 53-57, 59-60, 62-64, 66, 69-70, 72-77, 79-82, 84, 87-91, 93, 95, 97-100, 102, 113, 129, 131-132,
136, 143, 146, 149, 151, 155, 166-167, 170, 172, 180, 183
ouvrir 40, 47, 50, 54, 71-72, 81, 88, 91, 132-134, 136, 144, 149, 171
Phyllomedusa azurae 46
pics 71, 94
pie 135
pinson-pic 88
platyrrhiniens 50
poissons 32, 71, 79-81, 94, 97-98, 111, 114-115, 127, 131, 139, 144, 147, 150, 157, 168
poissons archers 81
poissons-globes 81
poulpes 83
primates 14, 17-18, 22, 24, 31, 33-34, 42, 45, 49, 53-54, 56, 66, 69-70, 75, 79, 84, 88, 93, 96-98, 109, 127, 135, 140, 150, 154-155, 167-168, 171,
181
protection 53-54, 77, 79-80, 82-84, 96, 102, 124, 127, 157, 163
raccourcis 146
raies 81
ratels 70
rats 162
recherche de nourriture 50, 60, 80, 103, 111, 114-115, 117, 122, 126-127, 138, 143, 146-147, 155, 169, 173
rouges-gorges 140
sauvetage 163
seiche 143
sérioles 157
singes laineux 34
soin 81
stratégies 22, 26-27, 47, 50, 56, 58, 60, 62-65, 75, 80, 82, 88, 90-91, 95, 99, 107, 109, 114, 119-120, 125, 128-129, 132, 138, 147, 150, 183
strepsirrhiniens 31
survie 27, 104, 112, 129, 134-135, 148, 151, 170, 182
techniques 53, 65, 75, 81, 88, 92-93, 97, 101, 131, 149, 151, 171
toxotes 81
tricherie 158-160
vautours 71
Je tiens à remercier en premier lieu Odile Jacob qui a accepté ce projet. J’adresse également mes remerciements chaleureux à Marie-
Lorraine Colas dont la contribution a permis de renforcer la pertinence de l’ouvrage. J’espère collaborer encore avec elle. Un grand merci à
Jeanne Pérou, entre autres pour son aide dans la gestion et préparation des figures. Merci à tous ceux qui ont contribué à la conception et
publication de l’ouvrage.
J’adresse également mes tendres et affectueux remerciements au professeur Yves Coppens pour sa préface, sa présence décisive et
continuelle dans ma vocation.
Je remercie très sincèrement tous mes collègues qui soutiennent mon approche interdisciplinaire et pour les enrichissements permanents dont
je bénéficie grâce à eux.
Je remercie tous les directeurs de zoos et leur personnel pour leur accueil (Vallée des Singes, La Palmyre, Beauval).
Je suis également reconnaissante envers les nombreux étudiants et étudiantes qui partagent mes questionnements, mes expérimentations et
leur valorisation.
Je remercie tendrement et avec toute mon admiration tous les animaux à fourrure, à poils ou à plumes qui se sont prêtés à mes expériences !
J’ai une pensée toute particulière pour mes parents qui m’ont transmis la liberté, le dépassement de soi et la passion. Merci à mon frère pour
son ambition et sa folie. Mille pensées à mes grands-parents maternels pour leurs valeurs à jamais transmises. Merci à mon oncle et à ma tante
maternels pour leur soutien constant. Enfin, j’embrasse de tout mon cœur mon petit Alexandre qui me pousse à m’émerveiller encore davantage sur
la vie.
TABLE
Titre
Copyright
Dédicace
Introduction
Lucy habite près de chez moi
L’impact de la compétition
Chapitre 3 - Sans les pouces, sans les mains, sans squelette ou sans cortex !
Les mammifères : avec des griffes et sans pouce opposable
Les oiseaux : sans les mains
De l’altruisme chez les animaux ? Et pourquoi pas de l’empathie tant que vous y êtes !
Chapitre 8 - Une intelligence ou des intelligences ?
Quand la vie apparaît, l’intelligence aussi
Pourquoi l’intelligence apparaît et évolue
Imaginons que les humains soient tout de même les plus intelligents…
De l’impossibilité de hiérarchiser l’intelligence
L’humain et la fourmi…
Index
Remerciements
Éditions Odile Jacob
Des idées qui font avancer les idées