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« Avant l’histoire »,

une collection dirigée par Yves Coppens

© O DILE J ACOB, FÉVRIER 2017


15, RUE SOUFFLOT, 75005 P ARIS

www.odilejacob.fr

ISBN : 978-2-7381-3691-6

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À mon petit primate qui découvre tout juste la vie.
Préface

par Yves Coppens

Très chère Emmanuelle,


En dehors des premières pages qui me mettent dans l’embarras, quel joli livre et quelle élégante et rigoureuse manière de mettre l’humain à sa
place ; ce sont beaucoup de leçons pour qui n’a pas la curiosité de simplement regarder le monde vivant qui est le sien, en commençant par lui-
même et puis par ce qui est partout, ce qui est autour et ce qui est en lui. Et pourtant ce monde, merveilleusement continu depuis 4 milliards
d’années, est rempli d’idées, d’astuces, de stratégies pour se nourrir, séduire, se protéger et ne négliger ni son goût, ni son confort, ni l’esthétique
de sa personne et de son cadre de vie, ni sa sécurité. Bien sûr, pour parvenir au meilleur de tous ses désirs, le vivant ne cesse de bricoler. Sa
diversité, sa créativité ne sont contrôlées que par sa génétique, que l’on sait d’ailleurs aujourd’hui plus fluide qu’on ne l’imaginait, génétique qui
limite et régule un peu ses folies. N’oublions pas que, pour le moment, seule notre planète (ou peut-être notre système stellaire) est auréolée de
cette biosphère, quelques milliers de mètres au-dessus de nous, quelques milliers de mètres en dessous, d’un patrimoine dont on devrait chaque
jour mieux mesurer l’exceptionnalité ; c’est un trésor de formes, de couleurs, d’activités, de parades, d’idées, mais aussi, et pourquoi pas, de
sentiments, de confiance, de complicité, d’affection assortis des méfiances et défiances qui simplement préviennent et défendent. La générosité de
la nature traduit d’ailleurs parfaitement cette obsession qu’elle a de conserver à tout prix l’espèce qu’elle a concoctée, voire l’individu lorsqu’il est
sorti des mille embûches d’un monde qui équilibre chasseurs et chassés, parfois d’ailleurs inversés. Mais mes réflexions voudraient traduire
l’émerveillement de la naturaliste que vous êtes, Emmanuelle, et de la personne que vous êtes aussi. Redire de temps en temps à l’humain que le
mettre dans la nature est un pléonasme qui fait du bien à sa compréhension du monde et lui donne, en même temps qu’une leçon d’humilité, l’envie
de participer avec vous à cet hymne à la vie ! Je donne souvent à certaines de mes conférences, par paresse, le titre banal « Le passé éclaire
l’avenir » ; je retiens, entre autres de vous, que « le présent éclaire aussi le passé ».
Votre livre, Emmanuelle, est un régal ; il se promène dans le monde vivant comme sur la Terre entière (j’apprécie entre parenthèses l’état civil
linnéen de chaque acteur) ; il observe sans impatience, car les vitesses sont aussi diversifiées que les acteurs, j’apprécie vos expérimentations ou,
encore plus malin que l’observé pour encore le mieux connaître, l’ingéniosité de vos manips, comme on dit. Ça marche et dans ce cas ça surprend
parfois – attendez-vous toujours à l’inattendu – ou ça ne marche pas, mais après tout chacun a ses humeurs, c’est le respect que l’on doit à
l’observé.
Je suis naturaliste comme vous le savez, donc je me sens bien dans votre livre (j’ai passé à l’université de Rennes une année sur les
arachnides ; rébarbatif – peut-être – au premier abord, ce monde m’a étonné sans cesse par sa richesse, sa diversité, son génie). Je suis aussi
paléontologue et même, à mes heures, paléoanthropologue, et là, je pense que je vais un peu vous décevoir, un peu me défendre et beaucoup me
rattraper. Vous décevoir d’abord ; j’ai été parmi ceux qui ont fortement souhaité que le musée de l’Homme rénové conserve son nom d’apparence
sexiste parce que je pensais que quatre-vingts années de réputation mondiale, grâce aux talents de ses fondateurs, Paul Rivet, Georges-Henri
Rivière et Jacques Soustelle, lui donnaient le « droit » qu’accorde une longue tradition de le conserver.
La défense du paléoanthropologue, c’est qu’il doit d’abord se casser la tête pour savoir où aller, où creuser car ces fossiles sont dans le sol
ou le sous-sol, ensuite trouver et puis comprendre. Or, comme vous le savez aussi, j’ai passé de multiples années sur le terrain (j’ai alors plus
souvent dormi sous les toiles ou les étoiles que dans mon lit !) et lorsqu’il m’arrivait de découvrir un bout d’os cassé ayant appartenu à un humain
ou à un préhumain, c’était souvent au terme de la récolte d’environ 5 tonnes d’ossements d’autres vertébrés. Alors il est vrai que, manquant pour le
moins de statistiques (!), et malgré les progrès considérables de l’imagerie qui ne remplace pas l’observation, mais permet d’accéder aux tissus,
d’en comprendre les structures et la biomécanique, aux cellules et à leurs isotopes, d’accéder parfois quand le fossile n’est pas trop vieux aux brins
d’ADN nucléaire ou mitochondrial qu’ils ont bien voulu « mettre de côté », on doit m’excuser un peu (mais un peu seulement) de la brièveté de
l’examen anatomique comparé, le raccourci de l’interprétation fonctionnelle de ses trous et de ses bosses, de la signification de ses articulations,
voire de sa position taphonomique, etc. Le paléoanthropologue a deux manies inguérissables : connaître le plus vite possible l’âge du bout d’os et la
filiation de son porteur !
Enfin, pour tenter de me faire pardonner, sachez Emmanuelle, mais vous le savez peut-être, que mes étudiants et chercheurs m’appelaient
« dos gris », qui, je n’ai pas besoin de vous le dire, est le joli surnom du vieux gorille mâle dominant ! Que vous dire sinon que j’ai été mis ainsi sans
préavis – je l’ai d’ailleurs su par indiscrétion – au sein de ma famille des hominidés où je me trouvais d’ailleurs représenter deux genres d’un coup,
ce qui n’est pas désagréable.
Je suis sûr que vos lecteurs vont être enchantés par vos exemples nombreux, variés et toujours exceptionnels pour qui ne sait pas regarder et
prendre le temps de le faire ; je suis fier d’avoir eu à m’exprimer à l’ouverture de cette « Emmanuelle au pays des merveilles ». L’« outil » et
l’« intelligence » ont été vos guides, mais votre livre va bien au-delà : il décrit l’ensemble du phénomène étrange et merveilleux qu’est la vie. « Le
monde sera sauvé par la beauté », écrivait Dostoïevski…
Introduction

On n’écrit pas un livre sur l’intelligence animale et son évolution par hasard. Il s’agit du fruit d’un long cheminement où chacun d’entre vous
se retrouvera sans doute, un peu, beaucoup, passionnément…

Lucy habite près de chez moi


1984. Il est des années comme celle-là qui vous marquent et qui orientent tout le reste de votre vie. J’ai 11 ans. Jusqu’ici, je suis bercée par
des livres d’enfants illustrés sur la préhistoire, l’évolution, les animaux, les dinosaures, que ma maman institutrice me rapporte régulièrement de
l’école. La naissance d’un petit frère que je regarde grandir modifie radicalement ma vision du développement de la vie. Autre naissance : Le
Singe, l’Afrique et l’Homme : 152 pages écrites sous la plume d’Yves Coppens. La lecture de ce livre change à jamais ma vision de l’histoire de
la vie. Ces lignes construisent ma passion, ma pensée et mes interrogations. De page en page, j’imagine ce lointain passé de la lignée humaine. Je
vois Lucy, petite australopithèque qui, dans mon âme d’enfant, ressemble à un humain et à un chimpanzé à la fois. Enfermée dans ma chambre, je la
vois échapper à ses prédateurs et chercher par tous les moyens possibles sa nourriture. Comme dans les vieux films de science-fiction où les
époques se mélangent malencontreusement, j’imagine, du haut de mon septième étage, qu’un diplodocus regarde par la fenêtre de ma chambre et
que je fais diversion pendant que Lucy essaye de lui échapper… Je veux sauver Lucy ! Au fil des années, j’apprends qu’elle s’est peut-être noyée
en traversant un fleuve à l’âge de 20 ans il y a plus de 3 millions d’années, que le diplodocus n’aurait jamais mangé Lucy, car il était herbivore et
qu’il vivait 150 millions d’années avant elle…
Six ans plus tard, devant mon écran de télévision, je regarde La Marche du siècle. Parmi les invités, un certain Yves Coppens… Le charme
opère, la fascination et le coup de foudre se confirment. Je me passe l’enregistrement de l’émission en boucle pendant des mois. Le professeur
raconte Lucy. Fascinante Lucy qu’il codécouvre avec ses collègues américains un an après ma naissance. L’un des plus célèbres fossiles au monde.
Le premier relativement complet qui ait été mis au jour pour une période aussi ancienne. Ce monsieur barbu, drôle et tendre raconte comment cette
petite femelle australopithèque vivait, se déplaçait et survivait, du haut de son 1,10 mètre dans un milieu de forêt ouverte. 52 ossements étudiés,
scrutés, analysés pour l’une des plus belles histoires, la nôtre. Lucy est bipède, comme nous, mais se déplace probablement encore dans les arbres,
comme les chimpanzés. Lucy n’est peut-être pas un ancêtre direct des humains, mais probablement davantage une cousine. Je l’écoute, je ferme
les yeux et je revois Lucy vivre, plus de 3 millions d’années auparavant. Pour le professeur, à cette époque, vit « un vrai bouquet de préhumains
dont Lucy est une des fleurs ». Plus de 4 millions d’années avant Lucy : l’ancêtre commun aux humains et aux chimpanzés ! 2 millions d’années
après Lucy : les premiers humains ! J’écoute le conteur, le poète, le scientifique passionné et les millions d’années défilent de nouveau sous mes
yeux émerveillés. À mon tour, je veux comprendre. Comment les primates ont-ils évolué ? Qui est ce fameux ancêtre commun que nous partageons
avec les chimpanzés ? Pourquoi Lucy n’est-elle pas un humain ? C’est quoi, un humain ? Je veux comprendre le passé pour comprendre le présent.
C’est décidé ! Quand je serai grande, je serai Yves Coppens.

Comprendre le passé pour comprendre le présent


Mon baccalauréat en poche, je cours à l’université pour me lancer dans l’anthropologie. Je veux faire une thèse sur l’évolution de la lignée
humaine. Apparemment c’est trop tôt ! J’apprends l’humilité… Me revoilà dans une tour, celle de Tolbiac, cette fois. Premier cours de préhistoire
inoubliable du professeur Yvette Taborin, dans le grand amphithéâtre. Je vais enfin revoir Lucy. Sans pudeur et avec beaucoup de tendresse, elle se
livre sur l’estrade à une imitation de la démarche bipède chaloupée de ma petite australopithèque !
Les enseignements s’enchaînent. J’apprends à identifier le moindre petit fragment d’os et à déterminer l’espèce. Est-ce un primate ? Lequel ?
Est-ce un autre mammifère ? Lequel ? À partir d’un petit fragment de 1 centimètre carré parfois, je dois pouvoir dire de quel os il s’agit. Je me
passionne et deviens incollable à ce petit jeu. Très vite, le besoin de découvrir des ossements s’amplifie, et mes premiers stages vont être consacrés
à des fouilles archéologiques. L’une d’entre elles a lieu dans une sépulture collective du néolithique, vieille d’environ 9 000 ans et se situe dans une
grotte du Gard, à Corconne. Rapidement, la surface du premier os se dévoile sous le scalpel et le pinceau. La matière apparaît petit à petit. En
quelques semaines, le corps entier d’un tout jeune enfant s’offre à moi. Un mélange de fascination, d’émotion, d’impudeur et de trouble me gagne.
Peut-être est-ce parce que la période est trop récente ? Peut-être est-ce parce que le passé vit encore trop intensément en moi ? Ce dont je suis
sûre, c’est que Lucy vit. Elle est bien vivante dans mon imaginaire. C’est d’ailleurs sans doute pour cela que je ne parviens pas à aller voir la
réplique de son squelette au Muséum national d’histoire naturelle. Cinquième leçon : n’est pas Yves Coppens qui veut. Je dois trouver un autre
moyen de comprendre le passé.

Comprendre le présent pour comprendre le passé


Me revoilà sur les bancs universitaires et des bibliothèques. Je bois chaque parole des enseignants anthropologues, primatologues,
biologistes, évolutionnistes, éthologues… Je me délecte littéralement des livres et des articles. Je m’imprègne de l’extraordinaire bibliothèque
envahie d’histoire du musée de l’Homme et de la richesse de celle du Muséum national d’histoire naturelle. Pas d’Internet. Lire un article se mérite.
Il faut le commander, patienter… Mais quand l’article ou le livre arrivent, le cœur bat si vite ! Et l’un d’entre eux est sur le point de me submerger à
nouveau. Je tourne goulûment les pages et chaque phrase m’inspire et me transperce. Je me revois plus de dix ans en arrière et les émotions
convergent. Je dévore Les Chimpanzés et moi, de Jane Goodall, un des « anges » de Louis Leakey. Jane Goodall a 26 ans lorsqu’elle rejoint la
Tanzanie, au fin fond du Tanganyika, à la découverte des chimpanzés. Tout le monde s’attend à la voir rentrer rapidement. Elle va rester cinquante
ans, et révolutionner la primatologie. Elle donne des prénoms aux chimpanzés. Pire, elle montre la personnalité de chaque individu et décrit
comment ils fabriquent et utilisent des outils pour s’alimenter. Elle doit lutter avec acharnement pour faire accepter ses observations. La
communauté scientifique de l’époque ne la croit pas et remet en cause violemment la qualité scientifique de ses méthodes. Pourtant, les idées reçues
tombent et un débat scientifique passionnant s’ouvre enfin. L’outil ne serait-il pas le propre de l’humain ? Faut-il accepter les chimpanzés dans le
genre humain ? Faut-il redéfinir le genre humain ? Avec ce livre et tous les articles qui s’ensuivent, je comprends qu’étudier le comportement des
primates actuels pour aborder leur évolution et les origines humaines est fondamental. Comprends les singes et tu comprendras l’ancêtre commun
et Lucy. Je veux comprendre le présent pour comprendre le passé. C’est décidé ! Quand je serai grande je serai également Jane Goodall.

L’apprentie Jane Goodall


Désormais motivée pour observer des singes, je décide de tenter ma chance au zoo de Thoiry en complément de ma formation universitaire.
Moins exotique que la Tanzanie mais plus accessible pour commencer ! C’est le plus grand groupe au monde de macaques de Tonkean captifs. Je
suis la plus heureuse des étudiantes et l’aventure va durer deux ans. J’ai notamment pour mission de découvrir comment ils s’échappent de leur
enclos, causant des troubles à l’ordre public au sein du zoo. Premier jour d’observation, 6 heures du matin. Je suis seule dans le secteur et je
dispose de quatre heures avant l’arrivée des premiers visiteurs. Les collègues soigneurs m’ont prévenue : les macaques s’échappent, n’ont pas peur
des humains et ils ont de grandes dents ! Au petit matin, je me poste à l’extérieur de leur immense territoire, riche d’arbres, de bosquets, de troncs
et même de moutons sur lesquels ils n’hésitent pas d’ailleurs à monter pour se balader ! J’ai visuellement accès à la quasi-totalité de leur enclos,
limité d’un côté par une rivière et de l’autre par du grillage. Première chose à faire : les compter. Ah oui, quand même… Ils sont cinquante-quatre !
Deuxième chose à faire : les identifier et leur donner des petits noms. Telle une Jane Goodall expérimentée, je suis persuadée qu’ils ne m’ont pas
vraiment repérée ou qu’ils ignorent plus ou moins ma présence. Perdue dans mes pensées et revoyant l’espace d’un instant ma petite Lucy, je
reviens brusquement au présent, décide de reprendre mes identifications et de les recompter. Il en manque une dizaine. Tout à coup, j’entends
quelques bruits suspects derrière moi. Une légère frayeur m’envahit. Je me retourne tout doucement et je découvre ce que je craignais depuis déjà
une bien longue seconde : une dizaine de macaques montrant les dents ! Canines d’un macaque de Tonkean : 4 centimètres. Visiblement je ne suis
pas la bienvenue et j’apprends mon premier comportement macaque : l’intimidation. Je suis encerclée et derrière moi : l’eau. Pas d’échappatoire.
Je n’ai pas d’autre choix que de faire face. Je tente alors quelques intimidations à mon tour, simulant des charges corporelles, bougeant mes bras et
montrant mes petites canines. Et ils s’en vont ! Avec tout mon matériel, mais ils s’en vont. Première leçon : ne jamais se perdre dans ses pensées.
Deuxième leçon : apprendre à observer.
Plusieurs semaines d’habituation 1 sont nécessaires pour que les macaques oublient légèrement ma présence suspecte et que je les
reconnaisse tous. Je peux désormais les observer réellement et la conclusion est implacable : les macaques s’évadent en faisant des tunnels sous le
grillage d’une part et en traversant le cours d’eau à la nage d’autre part. Étape suivante : convaincre le responsable animalier qui est persuadé que
les singes ne savent pas nager et qu’ils sont incapables de faire des tunnels. Troisième leçon : affronter les certitudes. Après cette première mission,
je peux enfin consacrer mon temps à l’observation scientifique de ces macaques de Tonkean et autres primates du zoo comme les lémuriens, les
mandrills et les macaques magots. Petit à petit, je me familiarise avec les interactions sociales entre les individus, les alliances, les putschs, les jeux,
l’apprentissage. Et les questions fusent. Sont-ils si distincts de nous ? En quoi Lucy était-elle différente ? Comment me perçoivent-ils ? Me voient-
ils comme un élément extérieur à leur groupe ? À leur espèce ? M’accepteraient-ils ? Je décide de tenter de répondre à ces dernières questions de
manière pratique en entrant dans certains enclos. Je commence par les lémuriens. Je ne les intéresse pas beaucoup. Un peu curieux les premiers
jours, ils m’ignorent relativement rapidement, à l’exception de quelques petits qui viennent régulièrement sur mes cuisses mais qui sont rapidement
repris par leurs mamans. Je tente ensuite l’expérience avec les macaques magots. Personne n’est entré avec eux depuis leur arrivée six mois
auparavant. Tout petit groupe dans une petite cage : un mâle et deux femelles. J’entre tout doucement et referme la porte derrière moi. Je m’assois
et j’attends. Très rapidement, je suscite le vif intérêt des femelles. Elles viennent sur moi, commencent à me toucher. Les interactions fusent entre
diverses expressions faciales et tirages de T-shirt. La situation est tellement différente de celle vécue avec les lémuriens. Je décide de laisser faire
mais je sens que le moment de proximité tourne au vinaigre. Les deux femelles montent tour à tour sur ma tête et commencent à montrer les dents.
Canines des macaques magots : 3 centimètres ! La situation m’échappe : les femelles me tirent les cheveux et me les arrachent à pleines mains. Elles
poussent des cris stridents et me sautent brusquement sur la tête. Jalousie ? Inquiétude ? Je ne sais pas. Je ne bouge pas. Le mâle entre en lice.
Assez violemment, il s’interpose entre nous et repousse les femelles. Ça se bagarre. Je ne bouge pas. Les femelles me lâchent enfin et partent se
positionner à l’opposé de la cage, tout en m’observant. Le mâle s’accroupit près de moi. Il affiche une expression faciale paisible et me jette des
petits regards furtifs. Il commence à fouiller avec ses doigts dans mes cheveux, puis sur mes bras. Il m’inspecte et m’épouille ! Quatrième leçon : ne
pas attribuer de caractéristiques comportementales humaines aux animaux et mettre de la distance avec eux.

Out of Africa, sur la route de Taï


Les fouilles, Thoiry… Autant d’aventures qui construisent petit à petit ma pensée. Elles me confortent encore davantage à devenir Yves
Coppens et Jane Goodall à la fois. Chaque espèce est si différente, au même titre que chaque individu. La question des disparités et points
communs entre les humains et les autres animaux ne me quitte plus. De retour sur les bancs universitaires et plongée dans les lectures scientifiques,
un autre élément fondamental devient une évidence : le milieu. La captivité n’est évidemment pas le reflet du milieu naturel. Or le milieu change au
cours des temps et joue un rôle essentiel dans l’évolution des espèces et donc de la lignée humaine. La morphologie des espèces s’adapte aux
milieux de vie. Mais qu’en est-il des comportements ? Lucy vit dans un milieu arboricole et ouvert à la fois. Comment ce milieu influence-t-il son
comportement ? Les chimpanzés étudiés par Jane Goodall connaissent leur milieu et exploitent leur domaine vital pour se nourrir, parfois en utilisant
des outils. Comment s’adaptent-ils à la forêt et à ses changements ? Comment trouvent-ils leur nourriture ? Si je veux comprendre ce qui nous
différencie des autres animaux et comment l’intelligence a évolué, je dois comprendre comment ils vivent, chez eux. Je dois voir de mes propres
yeux à quoi ressemble leur habitat et quel pouvait être celui de Lucy. À quelles contraintes sont confrontés les animaux ? Comment répondent-ils à
ces contraintes ? Une autre occasion s’offre alors à moi et je la saisis de suite : la Côte d’Ivoire. Entre deux coups d’État, direction Abidjan ! Je
revois le visage de mon père à l’aéroport, partagé entre l’envie de me dire : « Fonce » et celle de me dire : « Tu rentres à la maison » ! Mais mes
parents ne sont pas de ceux qui empêchent les rêves. Arrivée le soir à Abidjan. Sortie de l’avion impressionnante de par la chaleur et l’humidité
suffocantes. Nous partons à l’ouest du pays, dans le sud de la forêt tropicale de Taï. Le lendemain, lever très tôt et départ dans la forêt pour deux
jours. Je suis accompagnée de Willy, un guide ivoirien qui connaît la forêt par cœur et qui vous demande pourquoi vous êtes assez fou pour vouloir
aller en forêt. Oubliées les araignées et autres bêtes velues ou à écailles. Bienvenue dans un autre monde : la forêt tropicale. À chaque pas, je
réalise à quel point ce milieu est à part. Tous mes sens sont en éveil et découvrent de nouvelles odeurs, de nouveaux sons. Par endroits, je ne vois
pas à 3 mètres. À chaque instant, je comprends davantage toutes les contraintes écologiques auxquelles sont confrontés les animaux. Tour à tour
nous croisons des fourmilières où mieux vaut ne pas mettre le pied dedans, des traces d’hippopotames qui viennent de passer, des mygales qui se
dressent, une carcasse d’éléphant à ne pas toucher à cause du virus Ebola. Tout à coup un bruit au loin. Les chimpanzés. Ils tambourinent. Ils
frappent les grosses racines d’arbre ou les troncs avec leurs mains et leurs pieds lors des rencontres avec d’autres communautés ou pour signaler
leur présence, leur emplacement ou des sources d’alimentation. Willy les a précisément repérés. Nous tenterons de les voir demain. Pour ce soir,
c’est trop tard. Les chimpanzés vont faire leur nid haut dans les arbres. Aucune chance de les trouver. Réveil très matinal. Willy espère s’approcher
des chimpanzés à leur réveil. Je replonge dans ce monde forestier impénétrable et l’inespéré va arriver. Après quatre heures de marche, Willy
s’arrête brusquement. Les chimpanzés sont tout proches. Nous sommes immobiles et jamais mes sens n’ont été aussi en alerte. Nous patientons
cinq à dix minutes et le prodige a lieu. C’est un grand mâle. Magnifique, imposant, impressionnant. Il passe à 5 mètres environ devant nous. Il
s’arrête, nous regarde et repart. Mon cœur ne peut pas battre plus vite. Mes yeux sont grands ouverts et l’émotion me gagnant je ne parviens pas à
filmer. Je l’observe, libre, dans son milieu. Pour ne pas être semés, il va nous falloir trottiner, voire courir par moments. L’adaptation à la locomotion
en forêt prend alors tout son sens ! Car, si lui se déplace aisément et avance efficacement dans cette forêt très dense par endroits, nous luttons à
chaque seconde contre les lianes, les branches, les énormes racines et autres trous pour ne pas être distancés. Bien que sportive, courir en forêt par
90 % d’humidité et une température de 30 °C, ce n’est pas simple. Nous tenons le plus longtemps possible, c’est-à-dire pas très longtemps, une
heure tout au plus. Le chimpanzé est alors rejoint par un autre et ils montent à une vitesse incroyable très haut dans les arbres, hors de portée de
notre vue. Comment a-t-il fait pour ne pas se perdre, se déplacer dans cette obscurité et parmi tous ces obstacles ? Quels repères a-t-il utilisés ?
Les arbres ? Le sol ? Les sons ? Comment trouve-t-il les arbres fruitiers ? Comment trouve-t-il les noix qu’il casse ensuite avec des pierres ?
Comment trouve-t-il ses proies ? Comment évite-t-il les prédateurs ? Qu’aurait fait Lucy à sa place ? Qu’est-ce que les humains ont inventé de
plus ? Expérience très courte mais tant de réponses à mes questions et de nouvelles qui s’annoncent. Les images de l’Afrique m’aident à mieux
comprendre mes lectures et à enrichir ma construction. Je réalise à quel point les questions que je me pose sont valables pour de nombreuses
autres espèces et que tant d’aventures m’attendent encore.

Le professeur Yves Coppens existe !


De retour d’Afrique, je sais mieux ce que sont les contraintes du milieu. Ce point devient déterminant dans mes interrogations. Comment les
espèces interagissent-elles avec leur environnement ? Comment s’y adaptent-elles ? Quelles stratégies doivent-elles déployer pour survivre et
trouver de la nourriture parfois difficile d’accès ? En quoi le comportement de Lucy diffère-t-il de celui des autres primates, dont les humains ? En
quoi le comportement des humains est-il différent de celui des autres primates, voire des autres animaux ? Ma réflexion se précise. Je commence
avec bon espoir le parcours du combattant : trouver un financement de thèse. À force de chercher, je découvre une fondation qui décerne des prix
à des jeunes très motivés pour les aider à exercer leur vocation : la Fondation Marcel Bleustein-Blanchet pour la vocation. Différents secteurs sont
représentés comme le journalisme, l’art, la médecine, la paléoanthropologie, la littérature, etc. Dans ce jury siègent de nombreuses personnalités,
dont le professeur Yves Coppens, lui-même lauréat en 1963. Je tente ma chance. Je dois remplir un dossier expliquant ma vocation et mon projet.
Je n’ai pas de mal à relater ma passion et, concernant le projet, je propose d’étudier les capacités de manipulation et d’utilisation d’outils chez les
primates. Je me demande si ma petite Lucy utilisait des outils et si le milieu arboricole n’a pas favorisé l’acquisition des capacités de manipulation.
Malgré le nombre de candidatures, j’ai envie d’y croire. Une attente insupportable pendant laquelle je continue d’alterner cours de tennis et de
biologie commence alors. Les mois passent. Huit exactement. C’est interminable. Un matin comme les autres, chez moi, j’allume mon téléphone.
J’ai un message. Un monsieur raconte sur ma messagerie que mon dossier a été sélectionné par le jury de la Fondation. Il me félicite et se
présente… Yves Coppens. Je ne comprends pas et une sensation étrange m’envahit. J’écoute de nouveau le message, une fois, deux fois,
cinquante fois. C’est lui. Je pense que je le sais depuis le début mais mon cerveau n’arrive pas à assimiler. Le professeur Yves Coppens existe ?
Le week-end passe et ma vie prend un autre sens. Je vais m’inscrire en thèse. Le professeur Coppens pourrait-il accepter de devenir mon
directeur de thèse ? Je décide de prendre les devants. Je vais lui téléphoner pour prendre un rendez-vous ! C’est fait. Je vais le rencontrer.
Les jours passent et le fameux rendez-vous arrive. Prestigieux Collège de France. Salle d’attente du bureau du professeur. Je suis en avance,
d’une heure… J’attends. Dans un état « patibulaire, mais presque » ! Son assistante me dit qu’il va venir me chercher. Ma tête me dit de partir.
Mon cœur me dit de rester. L’inimaginable se produit. Sa porte s’ouvre. Il me regarde et me dit d’entrer. Son bureau est immense, parsemé çà et là
de livres, de quelques ossements et autres dents de mammouths. Me voyant admirer les éléments de pachydermes, il ne peut s’empêcher de me
raconter d’où ils viennent et leur histoire. À sa demande, je lui expose mon projet de thèse, mes questions, les expérimentations que j’envisage
d’accomplir. Je ne suis pas complètement d’accord avec sa théorie et je joue franc-jeu. Sa réaction est pourtant positive. J’ose alors lui demander
l’impossible : être mon directeur de thèse. Rien n’est impossible. C’est si long et rapide à la fois. Il m’explique sa conception de la thèse et ce qu’il
attend en tant que… mon futur directeur. Rien ne sera jamais plus comme avant.
En 2004, vingt ans après avoir lu Le Singe, l’Afrique et l’Homme, je soutiens ma thèse de doctorat. J’apporte quelques réponses.
Notamment que les humains sont loin d’être les seuls à manipuler avec précision et qu’ils ne sont pas les seuls à avoir des spécificités. Les
questions n’en finissent pas de fuser dans mon esprit. Il n’est pas si aisé qu’on le croit de définir clairement les spécificités humaines. Il me semble
désormais essentiel de comparer un plus grand nombre d’espèces et je vais y consacrer ma carrière. Jane Goodall a fait d’incroyables découvertes
sur les chimpanzés. Mais qu’en est-il des capacités des autres espèces ? Seuls les grands singes seraient-ils dotés de capacités étonnantes ? Les
autres primates n’auraient-ils pas autant d’aptitudes ? Qu’en est-il des autres mammifères ? Et les oiseaux ? Et les invertébrés ? Que sait-on
finalement des animaux que l’on n’aurait pas assez analysés pour comprendre l’évolution des primates et les origines humaines ?

Qu’est-ce que l’intelligence ou comment comparer l’intelligence entre les


espèces ?
Quelles étaient les capacités de Lucy, des espèces de la lignée humaine et de l’ancêtre commun aux chimpanzés et aux humains ? Pourquoi
Lucy est un australopithèque et pas un humain ? Les humains ont-ils davantage de capacités que les autres primates, voire que les autres animaux ?
Qu’est-ce qui a fait l’humain ? Comparer les capacités des espèces entre elles est fondamental pour répondre à ces questions, pour lutter contre
certaines idées reçues et pour mieux s’interroger sur l’intelligence humaine. Cette idée que les humains seraient plus intelligents que les autres
espèces est a priori facilement ancrée dans l’esprit de beaucoup de personnes, averties comme néophytes. Parmi les vertébrés, les mammifères et
les oiseaux apparaissent comme les plus intelligents. Au sein des mammifères, les singes, les éléphants et les cétacés sont considérés comme étant
les plus intelligents. Parmi les primates, les grands singes (chimpanzés, gorilles, orangs-outans) apparaissent comme plus intelligents que les petits
singes (macaques, cercopithèques…) et les humains plus intelligents que les grands singes. Ces affirmations sont-elles justes ? Peut-on comparer
l’intelligence de ces espèces si différentes ? Les humains, pourvus entre autres d’un langage articulé, de capacités d’imitation et d’une théorie de
l’esprit (capacité à comprendre les intentions d’autrui), sont donc habituellement considérés comme étant les animaux les plus intelligents. En effet,
les humains se placent systématiquement comme référents à toutes comparaisons alors qu’avec notre origine récente d’environ 3 millions d’années
nous avons très peu de recul sur l’histoire de la vie, née il y a environ 4 milliards d’années. Pourtant, certains critères participant à la démonstration
de l’intelligence conduisent inéluctablement à la mise en évidence d’une suprématie humaine et à des aberrations au sein même du genre humain.
C’est le cas par exemple du langage articulé : les muets étaient autrefois considérés comme des individus dépourvus de pensée au même titre que
les autres animaux.
Les humains sont donc considérés massivement comme le genre le plus intelligent, avec cette idée sous-jacente qu’à chaque espèce nouvelle
surgit une intelligence toujours plus élevée. Cette hiérarchisation de l’intelligence dépend de bien des facteurs et en premier lieu de la définition du
terme « intelligence », qui peut s’avérer multiple selon la culture (asiatique, africaine, occidentale…) ou la discipline (philosophie, psychologie,
éthologie, écologie, sciences de l’évolution). Il n’existe pas de définition de l’intelligence qui soit universelle, et des livres entiers pourraient être
consacrés à ces définitions. Si au sens strict l’intelligence est la faculté de comprendre (intelligere en latin), une des définitions 2 les plus larges que
l’on puisse trouver suggère que l’intelligence désigne un ensemble de fonctions mentales qui contribuent à la connaissance conceptuelle et
rationnelle. Cette capacité impliquerait la capacité de raisonner, de planifier, de résoudre des problèmes, de penser de manière abstraite, de
comprendre des idées complexes, d’apprendre rapidement et par expérience. Si l’intelligence a plusieurs composantes, alors comment comparer
l’intelligence des espèces entre elles ? Dans les disciplines au cœur de mon laboratoire comme l’écologie et l’évolution, l’intelligence est un concept
qui ne peut pas s’appliquer à l’ensemble du monde animal car elle est définie par des critères sémantiques humains et la plupart des définitions
relient intelligence et langage et sont donc spécifiques à l’évaluation de l’intelligence humaine. Je vous propose donc d’utiliser un concept de
l’intelligence qui permet de mettre de côté cette pyramide hiérarchique et de poser un autre regard sur les capacités des humains et des autres
animaux. Ce concept, c’est celui que nous utilisons régulièrement pour comprendre l’évolution des espèces en fonction de leur milieu : l’adaptation.
En ce sens, nous pouvons donc entendre par intelligence les capacités d’adaptation comportementale d’un individu face à une situation donnée, ou
plus largement une fonction adaptative qui permet à un individu d’ajuster au mieux son comportement en fonction du contexte. Si je devais être plus
précise, je dirais que dans cet ouvrage nous parlons d’intelligence pour désigner la capacité à répondre avec flexibilité aux situations nouvelles ou
complexes.

Ce qui vous attend en lisant ce livre


L’intelligence a été pendant longtemps considérée comme un caractère spécifique aux humains, leur donnant la capacité d’imaginer, de
penser, de décider, d’établir des liens complexes entre les causes et les effets ou encore de mettre en place des stratégies élaborées pour résoudre
des problèmes. Cependant, au même titre que bien d’autres caractères, l’intelligence est le produit de changements évolutifs 3 . Pour autant, il ne faut
en aucun cas appréhender cette évolution de l’intelligence comme un processus nécessaire et encore moins comme un processus unidirectionnel.
L’intelligence de nombreuses espèces a probablement peu évolué pendant des millions d’années si leur environnement n’a pas nécessité cette
adaptation particulière, et inversement. L’intelligence vue comme une adaptation au défi de la sélection naturelle peut être étudiée au même titre que
n’importe quelle autre adaptation comme le saut des grenouilles, le venin des serpents ou encore les 1 260 battements de cœur à la minute des
colibris. Cependant, contrairement à certaines adaptations physiologiques ou morphologiques, les comportements ne se fossilisent malheureusement
pas. Nous avons, au mieux, uniquement accès à des indices indirects et épars (fossiles, outils non périssables) de l’intelligence des espèces du
passé. Il est donc clair que l’évolution de l’intelligence peut être abordée par l’étude comparative des animaux actuels. Il nous faut comprendre le
présent pour espérer entrevoir le passé.
Ce livre met donc en évidence les différentes stratégies mises en place par les individus issus de diverses espèces en fonction du contexte
dans lequel ils se trouvent. Tout comme un livre entier pourrait être consacré aux définitions de l’intelligence, un livre ne suffirait pas à exposer tous
les comportements intelligents des animaux. Aussi ce livre présente-t-il quelques exemples de comportements, basés entre autres sur mes
observations. Il propose de porter un autre regard sur les capacités animales et de s’interroger différemment sur l’intelligence humaine et ce qui a
fait l’humain, semble-t-il, il y a environ 3 millions d’années. Cet ouvrage a pour but de vous démontrer que l’affirmation selon laquelle les humains
sont les plus intelligents n’a pas beaucoup de sens au regard de l’évolution et du contexte. Il remet les humains à leur place au sein du règne animal,
et pas nécessairement en son sommet, afin de discuter le plus objectivement possible les points communs et les différences entre les espèces.
L’intelligence est probablement la seule adaptation qui a conduit une espèce à établir une sorte de domination sur le monde naturel. Il n’en demeure
pas moins que le doute subsiste largement sur la capacité de cette même espèce à maintenir sa propre survie et celle des autres. Ce livre nuit donc
gravement à la santé des idées reçues sur le monde animal, sa hiérarchisation et l’intelligence humaine en s’appuyant sur mes vingt années
d’expériences de terrain, souvent en compagnie d’étudiants, et sur les multiples travaux de collègues chercheurs.
CHAPITRE 1

L’intelligence,
une spécificité humaine ?

Petits rappels entre amis

Lorsqu’on veut comprendre les origines de l’homme, les spécificités humaines, les éventuelles spécificités de son intelligence, nous nous
heurtons d’emblée à un problème majeur qui fait encore largement débat : définir un humain.

Homme, femme ou humain ?


Cela ne vous aura pas échappé. Depuis le début de cet ouvrage, lorsque je parle de notre famille, je parle des « humains », terme qui
correspond à notre genre en biologie (le genre humain).
En bref, un humain est un animal. Plus précisément, c’est un primate. Sur le plan écologique, l’humain est un superprédateur diurne et
omnivore, qui vit dans des sociétés complexes. Et non, l’humain ne descend pas du singe… puisque la majorité de la communauté internationale
des primatologues et paléoanthropologues considère que c’en est un ! En effet, nous partageons des caractères communs avec les autres singes.
Les humains sont ainsi très largement classés au sein de la famille des hominidés rassemblant les humains actuels comme éteints, les chimpanzés, les
bonobos, les gorilles et les orangs-outans 4 . L’humain est donc un grand singe ou, tout du moins, il fait partie de la même famille. Ce qui ne
l’empêche évidemment pas d’avoir de nombreuses différences avec les autres membres de sa famille. Les humains actuels se distinguent des autres
animaux par une locomotion bipède permanente. De plus, ils possèdent des oreilles, une face, une mandibule et des bourrelets sus-orbitaires
réduits. On peut également remarquer que la pilosité est faible (en général !) à l’exception de la tête, des dessous-de-bras, du pubis et de la barbe
chez les mâles. Néanmoins, notre parenté avec les chimpanzés ne fait aucun doute. Certains chercheurs 5 proposent même, entre autres sur la base
de la proximité génétique, de réunir les humains (Homo sapiens) et les chimpanzés (Pan troglodytes) au sein du même genre : Homo. Les
chimpanzés pourraient ainsi être scientifiquement nommés Homo troglodytes, à moins qu’il ne soit plus cocasse de les nommer Pan sapiens
comme déjà suggéré 6 ! En attendant, les humains sont classés dans le genre Homo et aujourd’hui tous les humains sont des Homo sapiens. Par le
passé, de nombreuses espèces humaines se sont succédé et ont parfois coexisté, comme Homo sapiens et Homo neandertalensis qui ont été
contemporains (on parle même d’hybridation) entre – 250 000 et – 28 000 ans. Lucy, plus ancienne (3,3 millions d’années), ne semble pas se tenir
debout en permanence et grimpe encore dans les arbres. C’est pour cette raison qu’elle n’est pas classée dans la lignée humaine directe, mais dans
le genre australopithèque (Australopithecus afarensis). En revanche, les premières espèces classées dans le genre Homo (Homo rudolfensis,
Homo habilis), apparues il y a environ 2,4 millions d’années en Afrique, ont des caractères jugés humains comme une capacité cérébrale élevée
(supérieur à 550 cm3 ), des mains adaptées à la fabrication d’outils en pierre ou la bipédie permanente.

L’humain, ce primate

Les humains sont donc des animaux, et plus particulièrement des primates. Mais quelle est leur place et qu’est-ce qui les identifie ? L’ordre
des primates (du latin primas et atis, signifiant « celui qui occupe la première place ») fait partie des mammifères placentaires. On les distingue des
autres mammifères grâce à des caractères qui leur sont propres comme le pouce opposable et la présence d’ongles (pour la plupart), une face
relativement aplatie, des membres supérieurs (bras + avant-bras + main) plus grands que les membres inférieurs (cuisse + jambe + pied) ou encore
une vision en trois dimensions. Plus de 250 espèces actuelles de primates se répartissent en deux grands groupes : les strepsirrhiniens (lémuriens,
loris, galagos) et les haplorrhiniens (ou singes) parmi lesquels on retrouve les grands singes appelés hominoïdes et abritant les humains. Les singes à
proprement parler rassemblent plus d’une centaine d’espèces aussi différentes que les ouistitis, les tamarins, les singes-écureuils, les capucins, les
singes-araignées, les macaques, les babouins, les colobes, les chimpanzés ou encore les gorilles. Tous ont leurs particularités, tant sur le plan
morphologique que comportemental. Il y a autant de singes que de comportements différents et ce qui sera valable pour une espèce ne le sera pas
pour une autre. Une découverte chez une espèce (par exemple un babouin) ne doit en aucun cas être généralisée à l’échelle des singes. Les
babouins ne sont pas « le » singe.
Ainsi, les humains sont des primates qui ont un nez comme les tarsiers, les narines dirigées vers le bas comme les colobes ou les babouins et
pas de queue comme les gibbons, les gorilles, les chimpanzés, les bonobos ou les orangs-outans. Les points communs sont également
comportementaux (jeux, soins aux petits, apprentissage, accès au pouvoir). Il suffit d’observer les grands singes, les macaques, les babouins, les
tamarins ou encore les lémuriens pour s’en rendre compte. Regardez les chimpanzés jouer entre eux, les mamans orangs-outans protégeant leurs
petits ; observez les mâles tamarins s’occuper de leur progéniture ou encore les gorilles ou les babouins cherchant à renverser le chef de groupe…

Ces spécificités qui font l’humain et ses origines


La définition de l’humain est au cœur de l’une des plus grandes énigmes de la science : les origines de l’homme. Contrairement à ce que l’on
pourrait penser, beaucoup de questions restent en suspens. Pour simplifier, disons que les paléoanthropologues ont classé des fossiles dans le genre
humain lorsque ceux-ci avaient une capacité cérébrale élevée (supérieur à 550 cm3 ), quand ils présentaient des caractères de bipédie permanente
ou la capacité à fabriquer des outils en pierre ou encore lorsqu’ils étaient retrouvés associés à des outils en pierre. L’ensemble de ces caractères est
lié de près ou de loin à ce que nous nommerons intelligence dans cet ouvrage.
Tout d’abord, arrêtons-nous sur le cas d’une capacité cérébrale élevée, soit à partir de 550 cm3 si l’on en croit les estimations pour Homo
habilis, considéré comme la première espèce humaine. L’accroissement des capacités cérébrales au cours de l’évolution du genre Homo est un
constat. Il est clair que le cerveau s’est agrandi, en relation avec l’accroissement de la taille corporelle. Plus précisément, la partie supérieure et
antérieure du cerveau (au niveau du front) semble s’accroître en se plissant et formant des circonvolutions. Cette zone, nommée néocortex, est le
siège des fonctions mentales supérieures comme le raisonnement spatial, le langage ou encore la conscience et la mémoire. À titre indicatif, le
néocortex représente 20 % du poids du cerveau d’une musaraigne contre 80 % de celui de l’humain. Ce néocortex semble l’apanage des
mammifères et paraît donc absent chez les poissons, les amphibiens ou encore les oiseaux. Pourtant, ces animaux sont tout à fait capables de
manifester des comportements intelligents comme nous le verrons plus loin… En fait, il faut faire très attention car, entre les espèces, parfois même
très éloignées comme les humains et les oiseaux, des morphologies peuvent être totalement différentes, mais construites avec les mêmes types de
cellules, structurées et arrangées différemment 7 . Ainsi, relier capacité crânienne et comportement, voire intelligence est extrêmement délicat. Pour
ce faire, il faudrait faire le lien entre cette capacité, la structure même du cerveau (organisation, nombre de synapses…) et les comportements
associés, ce qui est impossible à travers l’étude des fossiles. Nous pouvons donc constater cet accroissement de la capacité cérébrale, mais
l’associer à l’évolution de capacités cognitives particulières semble délicat. D’autant plus que des travaux récents montrent que le cerveau humain
n’est pas si unique et que sa taille n’est pas si pertinente pour lier intelligence à cerveau. En effet, des études menées sur la composition cellulaire du
cerveau des humains, d’autres primates, de rongeurs, d’insectivores et d’oiseaux montrent que la taille du cerveau ne peut plus être considérée
comme étant directement liée au nombre de neurones dans le cerveau 8 . Par exemple, les oiseaux ont un très grand nombre de neurones dans le
pallium, une région du cerveau impliquée dans des fonctions cognitives comme la planification de l’avenir. Ils possèdent ainsi, malgré parfois de tout
petits cerveaux, un nombre de neurones dans le cerveau antérieur similaire, voire supérieur à celui des primates 9 . Or ce sont les neurones qui sont
le substrat des capacités cognitives. Il semble donc plus approprié de prendre en compte les capacités cognitives, et donc l’intelligence, en les
corrélant au nombre de neurones plutôt qu’à la taille du cerveau. Ces résultats montrent clairement que le cerveau humain n’est pas exceptionnel
dans sa composition cellulaire et que son cortex dit surdéveloppé abrite seulement 19 % des neurones du cerveau (et pas 80 % comme on le
pensait avant), pourcentage qui est identique à ce que l’on trouve chez d’autres mammifères. Dans un tel contexte, utiliser un volume cérébral pour
définir l’humain est discutable. Comment 20 cm3 peuvent faire toute la différence entre un premier humain (Homo habilis, 550 cm3 ) et un
australopithèque (Australopithecus africanus, entre 450 et 530 cm3 ) considéré comme un primate non humain ?
Prenons maintenant l’exemple de la bipédie permanente. Nous sommes la seule espèce à nous déplacer aujourd’hui en bipédie permanente,
à l’exception des oiseaux mais ceux-ci pratiquent une bipédie très différente de la nôtre du fait de l’orientation de leur bassin et de la présence des
ailes. D’autres primates comme les singes laineux, les capucins, les gorilles ou les bonobos par exemple, sont capables de se déplacer en bipédie
sur des distances parfois grandes, mais jamais en permanence. Les macaques sont également tout à fait capables d’apprendre la bipédie en
laboratoire 10 , mais seule l’espèce humaine se redresse pendant le développement pour utiliser une bipédie permanente à l’âge adulte. Or cette
bipédie est utilisée de manière indirecte pour relier l’humain à l’intelligence. En effet, pour de nombreux chercheurs, bipédie équivaut à mains
libérées de leur fonction de locomotion. Et qui dit mains libérées dit mains manipulatrices et créatrices des premiers outils, autre critère
d’intelligence et utilisé pour classer habilis dans le genre humain. Pourtant, de nombreuses espèces, par le passé (australopithèques par exemple),
étaient à la fois bipèdes et arboricoles et absolument rien n’empêche de penser qu’elles pouvaient fabriquer des outils. De plus, nul besoin d’être
bipède permanent pour fabriquer et utiliser des outils comme nous le verrons dans le chapitre suivant.

Les primates, ces animaux


Si nous faisons souvent l’erreur de placer les humains hiérarchiquement au-dessus des autres primates, nous faisons aussi l’erreur de placer
les primates au-dessus des autres animaux. Pourquoi un tel point de vue ? Quels sont les arguments avancés ? Pour répondre à ces questions il
nous faut définir ce qu’est un animal. Les animaux sont des eucaryotes (organismes à noyau dans leurs cellules) pluricellulaires et hétérotrophes
(doivent se nourrir de constituants organiques). Ils rassemblent des invertébrés comme les arthropodes et les céphalopodes, ainsi que des vertébrés
comme les reptiles, les amphibiens, les mammifères ou encore les oiseaux. Les invertébrés possèdent parfois un squelette externe (exosquelette) et
les vertébrés possèdent un squelette osseux interne et une colonne vertébrale. Les mammifères bénéficient de poils et allaitent leurs petits. Les
primates possèdent en majorité un pouce opposable et une vision binoculaire. Parmi les animaux cités, de très nombreuses espèces sont capables
de comportements étonnants comme nous le verrons dans cet ouvrage.
Tous ces animaux ont des caractéristiques morphologiques, physiologiques et comportementales et aucun préjugé ne doit nous influencer si
nous souhaitons aborder et approfondir leurs capacités d’adaptation et leur intelligence. Ainsi, les humains font partie des eucaryotes (cellules avec
un noyau) comme les végétaux, du règne animal au même titre que les pieuvres, des vertébrés au même titre que les oiseaux, des mammifères au
même titre que les loutres, des primates au même titre que les lémuriens. Si dans de nombreux esprits l’idée d’une complexité croissante
accompagne l’évolution, il faut savoir, par exemple, que le crâne d’un poisson est plus complexe que celui d’un primate ! De plus, si l’humain se
définit par l’outil, par la fabrication d’outils en pierre notamment, comment expliquer que d’autres animaux soient capables d’accomplir des
comportements au moins identiques ? Dans les chapitres suivants, nous allons donc tâcher d’aborder l’intelligence animale et son évolution dans sa
globalité, dans son foisonnement, et non au sein d’une pyramide imaginaire qui tendrait vers la suprématie des primates et des humains en
particulier, car la réalité est tout autre.

Qui a fabriqué les premiers outils en pierre ?


L’outil en pierre, comme la bipédie, a longtemps été considéré comme un critère pour définir l’humain, au point que lorsqu’une main a été
découverte associée avec des outils, il en a été conclu qu’il s’agissait obligatoirement d’un humain (Homo habilis en l’occurrence 11 ). Pourtant, rien
ne prouve que l’outil ait été inventé par les humains. De plus, de nombreuses définitions de l’outil existent 12 . Une des plus largement admises stipule
que l’utilisation d’outils est « l’emploi extérieur d’un objet détaché de l’environnement pour modifier efficacement la forme, la position ou la
condition d’un autre objet, d’un autre organisme ou de l’utilisateur lui-même quand l’utilisateur tient ou transporte l’outil pendant ou juste avant de
l’utiliser et est responsable de l’orientation correcte et efficace de l’outil13 ». Pour simplifier, disons qu’un outil est un objet utilisé pour altérer la
position ou la forme d’un autre objet ou d’un individu. Pendant plusieurs décennies, Homo habilis est resté incontestablement le premier fabricant
d’outils en pierre. Pourquoi ? Parce qu’il était largement admis que la main humaine était unique et que seul le genre humain avait pu fabriquer des
outils en pierre. Seule la lignée humaine avait pu avoir les capacités cognitives et fonctionnelles de fabriquer de tels outils. Mais est-ce vraiment le
cas ? Que nous dit l’archéologie ?
Les premiers outils en pierre apparaissent dans les fouilles archéologiques il y a 2,6 millions d’années comme le montre une étude publiée en
14
1997 . Or les plus anciens fossiles attribués à Homo datent de 2,4 à 2,3 millions d’années. La possibilité que la fabrication d’outils en pierre soit
le fruit d’autres homininés 15 qu’Homo surgit donc il y a vingt ans. Cela n’empêche pas de nombreux paléoanthropologues d’avancer depuis des
décennies que la fabrication d’outils est limitée à notre propre genre Homo. Et c’est en partie pour cette raison que les fossiles du fameux H.
habilis sont classés dans le genre humain. Et il y a encore plus troublant. En 2010, des marques de découpes sont analysées sur des os datant de
3,4 millions d’années (Éthiopie) 16 . Cette découverte repousse la possibilité d’une origine de l’outil en pierre bien plus ancienne que ce que l’on
pensait et suggère que de nombreuses espèces d’homininés ont été capables de fabriquer ces outils. Autrement dit, il n’y a aucune raison pour que
les premiers outils en pierre n’aient pas été fabriqués par des australopithèques, dont Lucy par exemple ! Quelques années plus tard, en 2015, sur
le site de Lomekwi, au Kenya, sont mis au jour de très nombreux outils en pierre taillée. Leur datation ? Ils sont âgés de 3,3 millions d’années 17 ,
c’est-à-dire qu’ils précèdent d’environ 700 000 ans les plus anciens outils connus jusqu’alors et de 500 000 ans les premiers humains découverts.
Alors, qui a fabriqué ces outils ? Dans quel milieu ? À cette époque, des fossiles d’australopithèques sont connus, mais en Éthiopie. En
revanche, le kényanthrope semble associé à la même zone géographique et chronologique que les outils découverts. Point problématique : il n’est
représenté essentiellement que par un fossile (crâne), contesté qui plus est. Autre point intéressant, ces outils sont associés à un environnement
forestier : le scénario ancien du lien entre premiers outils et savane ouverte est remis en cause par cette découverte qui fait voir sous un nouvel angle
les origines de l’outil en pierre, relativise la prépondérance de la savane dans l’émergence de l’outil et discute enfin la suprématie humaine, le tout
d’un point de vue purement archéologique. L’auteur de ces outils reste pour le moment énigmatique, mais ce qui est certain, c’est que les humains
ne sont définitivement pas les seuls candidats à la fabrication des premiers outils en pierre et que de nombreuses questions demeurent.

Homo or not Homo ?


Homo habilis ou Handy Man a-t-il fabriqué des outils ? La question se pose pour certains. Car il semble que certains aspects de la
morphologie de sa main et de son squelette 18 soient définis comme remarquablement primitifs. Ainsi, même si H. habilis possède des caractères
morphologiques du squelette indiquant qu’il était bipède, il n’en demeure pas moins qu’il présente également de longs membres supérieurs 19 et des
phalanges des doigts courbées. Autant d’indices que l’on retrouve par exemple chez les orangs-outans ou les chimpanzés. Ce qui signifie que bien
que bipède, H. habilis est capable de grimper dans les arbres 20 . Une espèce à la fois bipède et capable de se déplacer encore en milieu
arboricole : cela fait étrangement penser à un australopithèque… Or les australopithèques sont présents pendant cette période supposée
d’apparition de l’outil en pierre. Car entre 3,4 et 2,6 millions d’années, coexistent quelques espèces potentiellement affiliées au genre Homo avec
diverses espèces d’australopithèques, dont Lucy ! Mais alors ce sont peut-être des australopithèques qui ont fabriqué ces premiers outils, et pas
Homo habilis ? À moins qu’H. habilis ne soit pas un humain mais… un australopithèque ? Ou encore que le genre humain soit plus ancien qu’on
ne le pense ?

Quand bipédie s’associe à outil


Les capacités de manipulation de la main humaine, qui sont considérées comme uniques et sans rivales dans le règne animal, fascinent les
philosophes depuis au moins l’Antiquité et les scientifiques de l’époque de Darwin 21 . Et finalement les débats ont relativement peu changé, même si
les idées ont avancé au fil des découvertes évidemment. Pour le philosophe athénien Anaxagore, l’homme est le plus intelligent des animaux car il
possède des mains. Pour Aristote, l’homme a des mains car il est le plus intelligent ! Question de point de vue… Selon lui, la main est un outil, voire
plusieurs d’ailleurs, car elle peut tout tenir, et la nature attribue chaque organe à qui est capable de s’en servir 22 . Darwin va plus loin, en proposant
que les mains humaines sont occupées par l’outil et pas par les déplacements dans les arbres. Elles sont donc en quelque sorte libérées de la
locomotion, favorisant l’émergence de la bipédie. Depuis Darwin, de nombreux scientifiques reprennent ce scénario ou proposent le contraire :
c’est la bipédie qui aurait libéré la main de ses fonctions de locomotion arboricole pour lui octroyer la possibilité de manipuler des objets et de
fabriquer des outils. Aujourd’hui, de nombreuses hypothèses suggèrent toujours que le fait de ne plus utiliser les mains pour se déplacer dans les
arbres et d’être strictement bipède, est directement lié aux capacités uniques de la main humaine : utiliser une grande variété de saisies de précision
(entre l’extrémité des doigts), employer ces saisies avec force et manipuler des objets à l’intérieur même de la main grâce à l’individualisation des
doigts. Mais, comme souvent en science, ce n’est pas aussi simple. Tout d’abord, comme nous l’avons vu, à l’époque supposée de l’apparition des
outils en pierre, coexistent des espèces susceptibles d’être arboricoles, en plus d’être bipèdes. Ensuite, comme nous allons le voir, d’autres
animaux arboricoles fabriquent des outils en pierre. Et rien ne nous dit que les premiers outils n’étaient pas périssables (en bois notamment), comme
il en existe aujourd’hui chez les humains et d’autres animaux, et qu’ils ne sont pas plus anciens que les outils en pierre et donc contemporains
d’espèces arboricoles. À ce jour, les plus anciens outils en bois connus sont des lances et des doubles pointes en épicéa et en pin, découvertes à
Schöningen (Allemagne), datées de plus de 300 000 ans et attribuées à Homo heidelbergensis ou Homo neandertalensis 23 . Mais rien ne nous dit
que les outils en matières périssables connus au paléolithique moyen (entre – 300 000 et – 30 000 ans) comme les lances et les pointes n’ont pas
existé avant. De plus, il semble que la main humaine soit loin d’être unique et que d’autres espèces soient capables de précision et
d’individualisation des doigts 24 . Enfin, l’observation d’espèces actuelles utilisant des outils montre que la scission entre espèces terrestres et
arboricoles est loin d’être établie.

Pourquoi l’archéologie ne suffit pas


Les traces archéologiques sont fondamentales pour comprendre la technologie des premiers homininés et l’utilisation de la main. Ainsi, les
résultats de fouilles archéologiques montrent que les plus anciens outils en pierre identifiables seraient apparus vers 3,3 millions d’années. Ces
découvertes montrent que l’utilisation et la fabrication d’outils ont évolué chez au moins une espèce d’homininé à cette époque. Pourtant, il existe
deux limites implicites à l’archéologie. Tout d’abord, les archéologues peuvent étudier uniquement ce qui est préservé dans les restes
archéologiques et peuvent identifier un objet comme un « outil » seulement si celui-ci a été modifié 25 . Ainsi, les outils qui ne sont pas modifiés
(pierre brute) ou fabriqués avec des matières qui ont peu de probabilités de se conserver (le bois par exemple) sont perdus. Autrement dit, si
Orrorin tugenensis a utilisé des pierres brutes ou du bois pour casser des noix à la manière d’un chimpanzé il y a environ 6 millions d’années (bien
avant H. habilis), nous ne le saurons jamais. Ensuite, associer les outils en pierre avec les espèces d’homininés qui les ont fabriqués représente un
défi archéologique considérable. Même si les restes d’homininés et les outils en pierre sont trouvés en association, il est difficile de savoir si ces
restes sont ceux du chasseur (celui qui a fait l’outil) ou du chassé (la proie d’autres homininés contemporains).
Il faudrait donc pouvoir identifier des caractères anatomiques de la main qui soient associés à la fabrication d’outils. Le problème, c’est que
nous avons besoin de mains fossiles relativement complètes et bien conservées. Or, malgré toute la bonne volonté, voire l’acharnement passionné
des paléoanthropologues, c’est rarissime. La majorité des mains fossiles d’homininés sont des restes isolés qui ne peuvent être attribués à un
individu ou à une espèce particulière. Même Lucy, pourtant exceptionnelle, n’a conservé que 2 os sur les 27 de la main. Pire, les mains fossiles sont
souvent des mains composites, c’est-à-dire des reconstitutions à partir de différents os dont nous ne sommes pas sûrs qu’ils appartiennent au
même individu, voire à la même espèce… Ces restes sont également souvent très fragmentaires et mal conservés. C’est le cas pour Handy Man
(H. habilis). Il est ainsi extrêmement difficile de les étudier et d’en déduire des liens entre caractères anatomiques de la main et fabrication d’outils.
Mais il arrive parfois des petits miracles, des découvertes qui relancent tout le débat…
Nous sommes en 2010, dans une grotte de Malapa en Afrique du Sud. L’équipe de Lee Berger met au jour une nouvelle espèce d’homininé
datée d’environ 2 millions d’années. Son nom : Australopithecus sediba. Les restes se composent de deux squelettes préservés et relativement
complets, incluant la main d’homininé la plus complète jamais découverte : 20 os sur les 27 de la main sont préservés 26 ! Or, ce qui est passionnant
avec Au. sediba, c’est qu’il arrive après l’apparition des outils en pierre recensée dans les restes archéologiques (3,3 millions d’années), mais avant
l’émergence d’un plan corporel de type humain (1,7 million d’années). Par certains caractères (membres supérieurs), il est arboricole et par
d’autres (membres inférieurs), il est bipède. Autre fait étonnant, son pouce est très long et plus proche de celui de l’humain actuel que ne l’est celui
d’H. habilis lui-même : il est donc contemporain d’H. habilis, tout en présentant un pouce plus proche de l’humain actuel, alors que c’est un
australopithèque…
Nous retombons sur le même dilemme : soit les australopithèques ont pu fabriquer les premiers outils en pierre, soit Handy Man n’est pas un
Homo, soit les caractères anatomiques du pouce ne sont pas pertinents pour déduire la fabrication d’outils en pierre ! Et les trois sont possibles !
Dans tous les cas, ce qui est sûr, c’est qu’Au. sediba offre pour la première fois la possibilité de comprendre comment les premiers homininés
utilisaient leurs mains à la fois pour se déplacer (en partie dans les arbres) et manipuler. Malheureusement et malgré toute la bonne volonté et les
investissements des paléoanthropologues, Au. Sediba reste une découverte unique.
Compte tenu de toutes les difficultés, parfois insolubles, rencontrées pour interpréter les fossiles, il est indispensable de se tourner également
vers des animaux actuels pour comprendre le passé. Il nous faut donc chercher à savoir quelles espèces fabriquent et utilisent des outils, dans quels
contextes et en quoi l’outil est un indicateur de l’intelligence. Comprendre ces points peut modifier notre perception de l’évolution de l’intelligence
et de cette prétendue spécificité humaine.
Primates et outils en pierre

La fabrication d’outils en pierre est largement attribuée de manière exclusive aux humains. Cette particularité est pratique car, comme il est
désormais connu que d’autres animaux utilisent des outils, il est dorénavant impossible d’utiliser cet argument pour distinguer les humains des autres
animaux. La fabrication d’outils en pierre est donc utilisée pour montrer la spécificité, voire la suprématie humaine. Et cette capacité à fabriquer des
outils en pierre est associée à des caractères anatomiques de la main supposés spécifiques aux humains : pouce long opposable doté d’un muscle
long fléchisseur, extrémité des dernières phalanges (phalanges distales) larges ou encore saisies avec précision et force entre le pouce et l’index. On
doit donc s’attendre à ce que seuls les humains possèdent ces caractères et à ce que les autres animaux ne soient pas capables de fabriquer des
outils en pierre. Or, concernant les caractères anatomiques avancés pour définir la main humaine, qui plus est en association avec la fabrication
d’outils en pierre, tous sont susceptibles d’être remis en cause pour diverses raisons.
La première raison est essentielle et représente un grand défi scientifique que beaucoup d’entre nous tentent de relever chaque jour : il est
extrêmement difficile de savoir si un caractère anatomique était fonctionnel ou pas. Par exemple, ce n’est pas parce que j’ai des phalanges
courbées que je monte nécessairement aux arbres. J’ai peut-être hérité de ce caractère, mais je ne m’en sers peut-être plus. Ou je m’en sers peut-
être pour une autre fonction que celle de grimper. En revanche, oui, j’ai la faculté de grimper aux arbres. De même, ce n’est pas parce que
l’extrémité de mon pouce est large que je fabrique des outils en pierre. Dans la figure ci-dessous sont dessinés les contours des dernières phalanges
du pouce de plusieurs espèces, dont celles d’un humain actuel, d’un chimpanzé, d’un gorille, d’Homo habilis (Handy Man, 1,8 million d’années),
d’Orrorin tugenensis (6 millions d’années) et d’un invité mystère. À vous d’imaginer, voire de deviner, qui se cache derrière chacune d’elles ou,
tout du moins, de vous faire une idée de celles qui sont proches ou éloignées de la phalange humaine. Avez-vous repéré Homo habilis ?

Figure 1. Parmi ces phalanges distales du pouce (dernière phalange du pouce, là où se situent la pulpe et les empreintes digitales) se trouvent celles d’un
chimpanzé, d’un gorille, d’Orrorin tugenensis, d’Homo hab ilis, d’un humain actuel et d’un invité mystère. L’objectif étant uniquement de montrer la forme globale
indépendamment de la taille, le dessin n’est pas à l’échelle 27.

Les phalanges no 2 et no 3 sont, respectivement, celles d’un chimpanzé et d’un gorille. Remarquez que l’extrémité (partie située en haut sur le
dessin) de la phalange du chimpanzé n’est pas évasée comme celle de l’humain actuel, alors que le chimpanzé est probablement le plus grand
utilisateur d’outils actuel avec l’humain. La phalange no 4 est celle d’Orrorin, très proche de celle de l’humain actuel et pourtant très ancienne. Où
se trouvent notre invité mystère et Homo habilis ? La phalange no 6 est très large, semblant robuste. Elle semble à part, différente des autres. Est-
ce l’invité mystère ? Raté, cette phalange no 6 est celle d’H. habilis. Ainsi, la phalange distale d’Orrorin est plus proche de celle de l’humain actuel
que ne l’est celle d’H. habilis, pourtant considéré comme humain et plus récent. Les hominidés fabriquaient-ils donc des outils il y a 6 millions
d’années ? Ou cette forme de phalange n’est-elle pas suffisante, voire pertinente pour répondre ? Les deux sont possibles de nouveau. Quant à la
phalange no 1, qui est donc notre phalange mystérieuse, sa forme globale est plus proche de celle d’un humain que ne le sont les phalanges des
grands singes et d’H. habilis. Et pourtant, cette phalange appartient à Sue et date de… 70 millions d’années ! Qui est Sue ? Un dinosaure, un
tyrannosaure précisément, rendu célèbre, car acheté chez Sotheby’s à New York pour plus de 8 millions de dollars. Car, oui, certains dinosaures
(parmi lesquels les sauropodes et le centrosaure par exemple) ont une phalange distale du pouce large pendant que d’autres (hadrosaure, par
exemple) possèdent une phalange distale du gros orteil large. Évidemment, je force un peu le trait, car je ne fais mention ici que de la forme globale,
un contour, alors qu’il faudrait présenter une analyse détaillée de l’os. Il n’empêche que c’est troublant, et que la phalange distale du pouce n’est
certainement pas un caractère suffisant pour résumer l’utilisation et la fabrication d’outils.
Figure 2. Un microcèbe et une des grenouilles étudiés (© E. Pouydebat et A. Herrel). Un monde les sépare. Et pourtant…

Attachons-nous à d’autres caractères dits humains, comme l’opposabilité du pouce et la précision (saisie entre les extrémités du pouce et de
l’index). Pour discuter de leur pertinence, laissez-moi vous raconter une petite expérience. Nous sommes début 2012 et je cherche à comprendre
si le milieu arboricole favorise ou non les capacités de préhension (saisir) et, si oui, s’il s’agit d’une spécificité des primates. Mon idée est que non
seulement la locomotion arboricole n’a pas été contradictoire avec l’émergence de l’outil, mais qu’au contraire elle a pu favoriser le développement
des capacités de saisir et de manipuler, capacités supposées partagées par de nombreuses espèces arboricoles. Si tel est le cas, je dois pouvoir
montrer que des espèces arboricoles utilisent au moins aussi bien leurs mains que les espèces terrestres et qu’elles partagent des points communs
même si elles sont éloignées sur le plan évolutif. Pour tester cette idée, je me lance dans plusieurs expérimentations consistant à comparer des
espèces terrestres avec des arboricoles et des arboricoles entre elles. Une première étude menée avec Anne-Claire Fabre, collègue en thèse à
l’époque, vise à comparer des espèces terrestres et arboricoles chez les carnivores, qui présentent l’avantage de compter de nombreux
représentants préhenseurs et non préhenseurs dans les deux camps, contrairement aux primates qui sont essentiellement arboricoles et tous
préhenseurs (et chez lesquels il est donc difficile de comparer de très nombreuses espèces selon leur mode de vie terrestre ou arboricole en lien
avec leurs capacités de préhension). Les résultats montrent alors clairement que les carnivores arboricoles étudiés ont de meilleures capacités de
pronation (sorte de rotation du coude qui permet de saisir) que les carnivores terrestres 28 . Autrement dit, saisir des branches pour se déplacer peut
bien avoir favorisé l’action de saisir des objets, pour les manipuler ensuite. Une étude toute récente menée par une de mes étudiantes, Louise
Peckre, va également en ce sens. Elle montre très clairement que l’environnement arboricole a probablement favorisé les capacités de préhension
manuelle qui auraient d’ailleurs, chez des primates comme chez les lémuriens, favorisé la capacité des petits à s’accrocher à la fourrure de leur
mère 29 . Une autre expérience va encore davantage m’intéresser : comparer deux espèces arboricoles très différentes pour voir si le milieu qu’elles
ont en commun a pu favoriser le développement des mêmes capacités de saisie. Les deux espèces choisies sont alors des microcèbes et des
grenouilles (figure 2). Les microcèbes (Microcebus murinus) sont les plus petits primates du monde (avec les ouistitis pygmées) et font partie des
lémuriens. Les grenouilles sont ici des Phyllomedusa azurae.
Avec mon collègue Anthony Herrel et des étudiants, nous nous sommes lancés dans l’observation des saisies de branches de ces petites
espèces 30 . Résultats : les saisies des microcèbes sont très proches de celles utilisées par les grenouilles. Pourtant, les différences anatomiques entre
ces espèces sont de taille puisque les grenouilles n’ont que quatre doigts. Néanmoins, un point majeur et fascinant est relevé. Certaines grenouilles
possèdent un premier doigt qui se « comporte » comme un pouce. En effet, il a la capacité de s’opposer et de contribuer à des saisies de précision.
La précision ne nécessite donc pas de pouce à proprement parler et peut donc exister avec seulement quatre doigts dans la mesure où au moins un
est opposable. Autre point très intéressant : cette même grenouille (comme Phyllomedusa bicolor) possède un pouce long. Autrement dit, nous
avons là une grenouille qui a un pouce long et opposable aux autres doigts, ce qui fait étrangement penser à un humain… Nous avons exactement le
même problème inversé dans la lignée humaine. Par exemple, la phalange distale du pouce d’Homo habilis (1,8 million d’années) est plus large
que celle des humains actuels : utilisait-il davantage d’outils que nous ? De même pour Australopithecus sediba (2 millions d’années) qui possède
un pouce plus long que les humains modernes : utilisait-il davantage d’outils que nous ? Il est donc évident que certains critères (pouce long,
opposabilité du premier doigt, précision) existent chez bien d’autres espèces que les humains, parfois même très éloignées sur le plan évolutif. De
plus, il est très clair que ces caractères ne sont pas nécessairement associés à la fabrication d’outils en pierre. À moins que les grenouilles et les
dinosaures n’aient inventé l’outil en pierre entre 360 et 65 millions d’années !
La deuxième raison qui me pousse à remettre en cause le lien entre ces caractères anatomiques dits humains et la fabrication d’outils en pierre
rejoint la première : bon nombre de ces caractères existent chez d’autres espèces que les humains et celles-ci ne fabriquent ni n’utilisent
actuellement d’outils en pierre ni même d’outils. C’est le cas par exemple de nombreux lémuriens, qui ont un pouce long mais qui ne fabriquent ni
même n’utilisent d’outils en pierre, ou encore des gibbons, qui possèdent le muscle long fléchisseur du pouce, mais qui, eux non plus, ne fabriquent
ni n’utilisent d’outils en pierre.
La troisième raison, c’est que certaines espèces utilisent des outils en pierre sans posséder ces caractères anatomiques dits humains. Ainsi,
les singes capucins (au Brésil) et les chimpanzés (Côte d’Ivoire, République de Guinée) sont connus pour utiliser des pierres dans le but de casser
des noix, dont la dureté est souvent très importante, en employant différentes stratégies témoignant de leurs capacités cognitives (choix optimal de
l’outil et de l’enclume où poser la noix, phénomènes d’apprentissage, de mémorisation, de transport de l’outil, etc.) 31 . Et, pour certains, cette tâche
est plus complexe pour un capucin que pour un chimpanzé. Imaginez la situation très complexe que doivent résoudre les femelles capucins, qui
soulèvent parfois des pierres pesant 3,5 kilos alors que leur masse corporelle n’est que de 2,2 kilos : il leur faut soulever une pierre plus lourde que
leur propre corps pour ouvrir une petite noix, sans l’écraser bien sûr ! Cela étant, nous avons montré avec une de mes thésardes (Pauline Thomas)
que les petits microcèbes pouvaient tracter jusqu’à dix fois leur masse corporelle 32 ! Autre exemple tout à fait intéressant : en captivité, les singes
capucins sont de grands casseurs de noix ! Les femelles sont très fortes à ce jeu-là. Or, le plus souvent, à la Vallée des singes, elles les frappent
contre divers substrats et pas n’importe lesquels : les plus durs et selon des mouvements bien précis pour optimiser la rapidité de leur ouverture 33 .
Elles sont très efficaces, et sans outils. En effet, l’utilisation d’un substrat comme enclume pour ouvrir la noix est considérée comme du proto-usage
d’outils et non comme une réelle utilisation d’outil (il n’y a pas d’intermédiaire entre la main et la noix à ouvrir). Ce n’est donc pas parce qu’il n’y a
pas de fabrication ni d’utilisation d’outils qu’il n’y a pas de résolution de problème ni de stratégie et qu’on ne peut pas aborder l’évolution de
l’intelligence.

Figure 3. Exemples d’artefacts produits par… 34

Néanmoins, nous avons jusqu’ici beaucoup parlé d’utilisation d’outils ou de proto-usage d’outils, mais pas de fabrication d’outils et encore
moins de fabrication d’outils en pierre. Rien de suffisant donc pour tordre le cou à ce lien supposé entre caractères anatomiques dits humains et
fabrication d’outils. Nouvelle question : d’après vous, qui a fabriqué les outils présentés dans la figure 3 ? Homo habilis ? Homo erectus ? Eh bien
non, c’est Kanzi. Un bonobo.
Les expérimentations conduites aux États-Unis montrent que Kanzi, un bonobo (Pan paniscus : grand singe proche du chimpanzé), est
capable de fabriquer toute une variété d’outils en pierre. Certes, le premier geste rudimentaire a été effectué devant lui par un humain et certes il
s’agit d’un contexte expérimental (comportement non observé dans le milieu naturel). Néanmoins, avec ses mains de bonobo, Kanzi a été capable
de fabriquer un outil et, qui plus est, de créer et d’améliorer au fil des années, tout un panel d’outils en pierre adaptés aux tâches qu’il devait réaliser
(couper, écraser, etc.).
Plusieurs points sont fondamentaux dans cette découverte. Le premier est qu’un grand singe au pouce court et étroit, utilisant peu les saisies
de précision et a priori dépourvu du long fléchisseur du pouce, est tout à fait capable de fabriquer différents outils en pierre. Le deuxième point est
que nous savons depuis 1993 qu’un grand singe est capable de fabriquer des outils en pierre en l’absence de caractères anatomiques jugés
humains et spécifiques à cette tâche. Pire, nous savons depuis 1972 qu’un orang-outan est capable de fabriquer un outil en pierre 35 . Et son pouce
est encore plus court que celui d’un bonobo. Pourtant, l’impact de ces travaux est quasi inexistant sur la réflexion à apporter aux origines de l’outil
dans la lignée humaine.
Pourquoi sommes-nous aveugles et/ou amnésiques ? Car s’il n’est pas indispensable de posséder ces caractères anatomiques pour fabriquer
un outil, alors les humains ne sont pas les premiers à avoir eu le potentiel de le faire. Et ce constat dérange parfois, consciemment ou non, car il
remet en cause de nouveau la spécificité humaine « comportementale » liée à l’outil qui vise à nous différencier des autres primates. Si l’utilisation
d’outils n’est pas un critère pertinent, comme l’avait montré Jane Goodall dès les années 1960, la fabrication d’outils non plus. Ces observations
sont incontestables et il existe même un autre exemple issu cette fois d’un mâle capucin. Sans pouce complètement opposable, ce mâle est tout à
fait capable de fabriquer un éclat pour percer un film plastique et accéder à du sirop à l’aide d’un deuxième outil (un bâton). Le potentiel de
fabriquer un éclat pourrait donc dater de l’ancêtre commun entre les singes de l’Ancien Monde et ceux du Nouveau Monde, il y a environ
40 millions d’années ! Nous sommes bien loin du 1,8 million d’années d’Homo habilis…
Si certaines espèces sont capables de fabriquer des outils en pierre, alors pourquoi ces mêmes espèces n’en fabriquent-elles pas dans leur
milieu naturel ? La première réponse, c’est qu’elles n’en ont pas l’utilité. Pourquoi modifier un outil en pierre si on met en place des stratégies
efficaces et économiques : optimisation de l’enclume par exemple, en choisissant un support adapté (dur, large, avec une petite cuvette…) sur
lequel frapper une noix 36 , optimisation des mouvements, de leur vitesse et de leur amplitude, afin de casser la noix sans outil37 … La deuxième
réponse, c’est que finalement nous n’en savons rien ! De la même manière, parmi les grands singes, les chimpanzés utilisent des outils de manière
régulière, sous différentes formes et dans différents contextes. L’utilisation d’outils est observée moins souvent chez les orangs-outans sauvages et
encore plus rarement chez les gorilles et les bonobos 38 . Parmi les « petits » singes (cercopithécidés et platyrrhiniens), quelques rares espèces
utilisent des outils, comme certains capucins (Cebus libidinosus et C. xanthosternos) et les macaques dont le macaque à longue queue (Macaca
fascicularis) 39 . Une des explications données pour expliquer ces différences est que la recherche de nourriture impliquant de l’extraction serait une
condition pour innover. Les grands singes qui doivent extraire leur nourriture comme les noix, le miel, les fourmis, les fruits difficiles d’accès
(chimpanzés, orangs-outans) possèdent un plus grand répertoire d’outils que les autres (bonobos, gorilles) 40 . De même, chez les « petits » singes,
les seules espèces qui utilisent des outils de manière habituelle sont des espèces qui extraient leur nourriture et qui utilisent des outils principalement
dans ce contexte (macaques à longue queue et capucins) 41 . Cela peut expliquer pourquoi, en milieu naturel, certaines espèces utilisent beaucoup
d’outils, d’autres peu, voire pas. Pourtant, en captivité, tous les grands singes utilisent des outils spontanément et dans différents contextes et de
nombreux « petits » singes en utilisent occasionnellement 42 .
Alors pourquoi certaines espèces fabriquent-elles et/ou utilisent-elles des outils et pas d’autres ? Il faut bien admettre que c’est un mystère
pour nous tous. Ce qui est certain, c’est que ce n’est pas à cause de la faible longueur de leur pouce ou d’un autre caractère anatomique ni par
manque d’intelligence. Ainsi, les origines de l’outil en pierre sont loin d’être évidentes. Ce ne sont peut-être pas les humains qui les ont fabriqués en
premier et ils ne sont sans doute pas pertinents pour définir les humains. Les australopithèques ou d’autres ancêtres des grands singes, voire des
petits singes, avaient le potentiel de fabriquer les premiers outils en pierre. Et cela ne change rien au fait que l’outil a connu un essor fulgurant dans
la lignée humaine, notamment avec Neandertal (Homo neandertalensis) et Homo sapiens.
Néanmoins, bon nombre d’espèces qui n’utilisent pas d’outils en pierre sont, comme nous le verrons, capables de bien d’autres
comportements extraordinaires. Sans compter que parmi les outils utilisés dans le monde vivant, le matériau le plus employé est loin d’être la pierre
et rassemble, en particulier chez les primates, tout ce qui est périssable, dont les végétaux – feuilles, bois…

Et le génie vint miraculeusement aux humains ?

Il est clair que le cerveau humain est capable de grandes choses, qu’il est lié à des capacités cognitives exceptionnelles 43 et que la lignée
humaine a été prolifique en termes de production technologique, conduisant à beaucoup discuter son évolution et ses spécificités 44 .
Néanmoins, il est fréquent d’associer une linéarité à l’évolution de l’intelligence chez les primates. Les primates les plus éloignés des humains
sur le plan évolutif seraient ainsi moins intelligents que les primates les plus proches des humains et les humains seraient bien sûr les plus intelligents.
Les arguments associés s’appuient sur des tests cognitifs de laboratoire et il est vrai que certaines expériences sont parfois concluantes. Ces
expérimentations testent certaines capacités mais évidemment ne sauraient les tester toutes. Encore une fois, cette linéarité peut peut-être exister en
testant 4 espèces sur les 250 espèces de primates (environ) existantes et peut fonctionner pour certains tests. Mais si on étudie un vrai échantillon
représentatif de la classification des primates et qu’on le soumet à divers tests représentatifs de plusieurs capacités cognitives (mémorisation,
coopération, outil, empathie, etc.), il est certain que cette évolution de l’intelligence au sein des primates ne serait pas linéaire, au même titre qu’elle
ne l’est absolument pas à l’échelle du règne animal comme nous allons le voir au fil de ce livre. Un seul exemple parmi tant d’autres : certains
lémuriens (éloignés des humains sur le plan évolutif) sont capables d’utiliser des outils 45 pendant que bon nombre de platyrrhiniens, voire de
catarrhiniens (plus proches des humains) ne le sont pas, comme le montrent mes multiples tentatives chez de très nombreuses espèces.
CHAPITRE 2

C’est qui, le meilleur ?

Primates humains et non humains face aux outils

Des utilisations d’outils multiples


Les primates et, en particulier, les grands singes et les capucins ont pendant longtemps constitué les meilleurs exemples d’utilisateurs créatifs
d’outils. Et il est vrai que, parmi les mammifères, les singes semblent les plus prolifiques, en milieu naturel comme en captivité 46 . L’utilisation très
régulière d’outils a d’abord été décrite chez les chimpanzés et de très nombreux exemples sont désormais connus comme la pêche aux termites, la
casse des noix avec des outils en pierre et en bois, l’utilisation de « harpons » pour chasser, la fabrication de « chaussures » pour se protéger les
pieds lors du grimper sur des troncs d’arbres épineux. Ils mettent également en œuvre différentes techniques de préparation et extraction de la
nourriture comme le broyage, le martèlement, l’absorption de matière végétale (parfois à des fins médicinales), l’extraction de miel et de moelle
osseuse, le creusement pour extraire des tubercules, etc. Certaines de ces techniques diffèrent selon les groupes de chimpanzés (Ouganda, Côte
d’Ivoire, Guinée…) et de nombreux chercheurs n’hésitent pas à parler de traditions, voire de cultures 47 .
Outre les chimpanzés, l’utilisation d’outils en pierre pour casser les noix ou même agresser (en lançant des objets) est connue chez les
capucins 48 ainsi que l’emploi d’une grande variété d’outils chez les orangs-outans, pour extraire des fruits et des insectes, se protéger de la pluie,
sonder la profondeur de l’eau, etc. 49 . L’utilisation d’un bâton pour rapporter de la nourriture est également décrite chez de nombreux macaques ou
chez les babouins chacma (Papio ursinus), de même que le transport de la nourriture ou de l’eau avec toutes sortes de récipients, qui concerne
bien des espèces de primates. Il existe également de nombreux exemples d’utilisation d’outils pour l’entretien corporel ! Les chimpanzés et les
orangs-outans utilisent des bâtons pour se nettoyer les dents et les ongles. Des macaques à longue queue (Macaca fascicularis) ont même été
observés utilisant des cheveux humains comme fil dentaire, comportement qui semble d’ailleurs être le fruit d’un enseignement des mères à leurs
enfants 50 ! Enfin, outre les grands singes (chimpanzés, orangs-outans en particulier) et certains singes africains et asiatiques (macaques, babouins),
certains singes capucins sud-américains sont également de grands utilisateurs d’outils, notamment pour casser des noix et attraper de la nourriture
hors de portée 51 . L’outil se rencontre donc chez des espèces pourvues de pouces opposables (grands singes comme petits), en Afrique et en Asie,
mais également chez les petits singes sud-américains (capucins) ayant des pouces uniquement pseudo-opposables (la pulpe de leur pouce ne peut
s’opposer parfaitement à celle de l’index).
Outre les grands et les petits singes, qu’en est-il des lémuriens, ces primates non classés parmi les singes et qui ne possèdent pas de pouce
opposable ? À ce jour, les lémuriens n’ont jamais été observés en train d’utiliser des outils en milieu naturel. Souvent considérés comme les moins
intelligents des primates et, à ce titre, moins étudiés que beaucoup d’autres, j’ai longtemps été convaincue qu’ils étaient pourtant de bons
manipulateurs et qu’ils avaient les capacités d’utiliser des outils. Pour moi, l’absence de données sur les lémuriens concernant leur aptitude à
manipuler et utiliser des outils vient davantage du fait qu’ils sont sous-étudiés ou qu’ils n’ont pas la nécessité de développer de tels comportements
dans leur milieu. Forte de cette conviction, je me suis lancée avec mon étudiant Mats Perrenoud dans l’aventure.
Nous sommes en 2012, au jardin zoologique tropical de La Londe-les-Maures. Mats étudie alors un groupe de lémuriens (Eulemeur
rubriventer) pour un tout autre propos : leur capacité sensorielle à détecter les proies 52 . Au fil de ses observations, je lui fais part de ma
conviction. Nous devons absolument tester leur capacité à manipuler et utiliser des outils à la manière d’autres singes, c’est-à-dire en utilisant un
bâton pour extraire de la nourriture. Mats se laisse tenter et convaincre à son tour. C’est parti ! Un matin, nous arrivons dans la volière de ces
adorables petites bêtes pour lancer notre expérience. Premier problème : ce sont des explorateurs collants et, en bons territoriaux, ils marquent nos
vêtements de leur odeur, comment dire, bien spécifique !
Avec Mats, nous devons donc attendre qu’ils soient rentrés pour la nuit afin d’installer notre dispositif en leur absence. Nous disposons alors
de gros rondins de bois percés de trous au fond desquels nous plaçons de la banane écrasée. Des branches sont disponibles partout dans leur
volière et leur fournissent la matière de leur potentiel outil. Nous sortons de la volière et nous nous plaçons aux premières loges. Combien de temps
vont-ils mettre pour placer les branches dans les trous et extraire la banane écrasée ? Les deux mâles, Bart et Ernest, s’approchent assez
rapidement des rondins. Ce sont de nouveaux objets et ils sont curieux. L’espoir grandit. Un petit coup d’œil, un petit reniflage… Puis rapidement,
plus rien ! Rien de rien. Aucun intérêt. Les jours passent. Rien. Jusqu’au jour où nous décidons de renoncer. Perdu pour perdu et toujours dans
l’espoir de voir comment ils saisiraient et manipuleraient l’outil, nous effeuillons les branches et les plaçons tout près du dispositif, histoire de créer
une sorte de déclic. Rien. Le lendemain, nous plaçons les branches sur le dispositif. Rien. Dernier jour, je me dis : « Allez, tant que nous y sommes,
plaçons la branche directement dans le trou ! » De nouveau revient cette petite excitation. Bart arrive enfin sur les lieux, regarde le dispositif et voit
bien que ce n’est pas comme les jours précédents. Il se saisit du bâton. Le sort du trou. L’observe une fraction de seconde. Et l’abandonne avec
un désintérêt déconcertant pour la banane qui se trouve sur le bâton.
Je pense que nous sommes allés au bout de l’expérience. Sans doute n’ont-ils pas assez faim ou ne sont-ils pas assez motivés. Sans doute
que cette tâche est cohérente pour certaines espèces, car elle correspond à des comportements naturels, mais pas pour eux. Cela ne change rien.
Une étude a montré qu’ils étaient capables d’utiliser des outils 53 . De plus il y a environ une centaine d’espèces de lémuriens et il faut les étudier (les
loris également). Il faut explorer leurs capacités à manipuler, ce que nous faisons actuellement. Il semblerait qu’il y ait un lien entre les capacités de
manipulation et les techniques de portage des petits (par la bouche ou sur la fourrure) 54 .

De l’importance du végétal
Si certains singes comme Kanzi le bonobo sont capables de fabriquer des outils en pierre, seule l’espèce humaine a développé toute une
industrie lithique que l’on ne retrouve pas dans le monde animal. Il est donc impossible sur ce point de mettre en évidence les spécificités humaines
en comparaison avec les stratégies que pourraient utiliser les autres primates. En revanche, de nombreuses espèces de grands singes et certaines de
« petits » singes, comme les macaques, les babouins ou les capucins, utilisent en milieu naturel ou en captivité des branches ou autres bâtons en
matière végétale comme des outils pour attraper de la nourriture ou des objets hors de portée, se gratter, se nettoyer ou extraire de la nourriture
(miel des alvéoles, termites, fourmis, fruits dans des coques…). Les stratégies dans le choix de la branche (taille, diamètre, longueur), sa
préparation, sa modification et sa manipulation sont parfois très complexes en fonction de la tâche à résoudre, que ce soit en milieu naturel ou au
cours d’expérimentations en captivité. Par ailleurs, au cours de l’évolution des outils humains, de nombreux travaux montrent que les humains
travaillaient le végétal mais l’utilisaient aussi comme outil. Nous pouvons donc utiliser ce type de tâche impliquant le végétal pour comparer les
stratégies de manipulation mises en place par différentes espèces et voir si les humains auraient des spécificités ou non.

Le jeu-concours de la noix dans le labyrinthe

Faisons une petite expérience, une sorte de jeu-concours entre les espèces et voyons comment chacune procède 55 . Pour commencer, vous
prenez des bonobos, des orangs-outans, des capucins et des humains, adultes comme enfants. Ensuite, vous prenez un dispositif rectangulaire en
bois et vous le remplissez d’obstacles pour fabriquer un labyrinthe. Une fois l’œuvre d’art terminée, vous la fixez à un grillage, de l’autre côté de
l’animal, et vous placez une nourriture attrayante à son extrémité, en l’occurrence une noix. De la sorte, la friandise convoitée est inaccessible avec
la main et nécessite l’emploi d’un outil pour être ramenée à portée de main, le tout à travers un grillage et selon un trajet évitant les obstacles
(figure 4). Évidemment, récupérer une noix ne constitue pas la même motivation pour un singe que pour un humain. Alors, pour que cette
motivation soit la plus proche possible entre un singe et un humain, récupérer la noix s’accompagne d’une récompense chez les humains : du
chocolat ! Cela fonctionne très bien, chez les enfants comme chez les adultes d’ailleurs. La récompense pour les singes est la noix elle-même.

Figure 4. Exemple de labyrinthe fixé au grillage des volières intérieures des bonobos de la Vallée des singes (Romagne, France).
Une fois tous les ingrédients préparés, vous observez, vous quantifiez les comportements et vous obtenez… une drôle de diversité ! Des
champions du monde, des lents, des rapides, des trop rapides même, des extraterrestres, des persécutés, des fainéants, des désintéressés, des
accros, des dangereux et surtout une complexité dans les stratégies mises en place bien difficile à démêler… Alors prenons des exemples.

Le labyrinthe et les bonobos


Commençons par les bonobos puisqu’ils sont les premiers à avoir été testés par Ameline Bardo, une de mes doctorantes. Comment
résumer ? Eh bien débutons par le plus important : les femelles bonobos sont des expertes en comparaison des mâles ! Autre source de
réjouissances, parmi les femelles, ce sont les plus âgées qui sont les plus performantes : meilleures trajectoires de la noix, moins d’obstacles
touchés, rapidité pour récupérer la noix, etc. 56 . En revanche, elles sont également les plus dangereuses pour avoir attaqué Ameline en tentant de lui
crever les yeux avec l’outil. Oubliez le mythe du bonobo pacifique qui règle tous ses problèmes par le sexe : en parc zoologique, c’est avec eux
qu’il y a le plus d’accidents. Outre que les femelles peuvent être dangereuses, elles sont aussi les plus persécutantes à l’égard des mâles qui, pour
certains, se font voler leurs outils ou ne parviennent même pas à accéder aux labyrinthes. Avant de décider d’opter pour des noix, ce sont des
grains de raisin frais qui avaient été positionnés dans les labyrinthes. C’était sans compter avec la créativité de la doyenne du groupe, Daniela, 43
ans. Cette dernière s’approche du labyrinthe et effectue quelques essais. Les obstacles la gênent évidemment. Qu’à cela ne tienne, elle décide de
procéder autrement. Elle fabrique une pointe à l’extrémité de son outil et vient piquer le raisin pour le ramener par-dessus les obstacles du
labyrinthe. Astucieux. Et elle est très satisfaite de sa solution, Daniela, comme en témoigne son petit cri de joie émis au moment de récupérer le
fruit ! L’objectif étant, entre autres, d’observer les différentes techniques de préhension et de manipulation de l’outil au cours du trajet du fruit
malgré les obstacles du labyrinthe et du grillage, nous oublions le raisin et optons pour une noix.

Figure 5. À gauche : Ukella – et Kiki observant ! – utilisant un outil pour récupérer une noix. À droite : Daniela utilisant un outil très courbé pour ramener sa noix. ©
A. Bardo.

Avec ces nouveaux fruits, les neuf bonobos observés réussissent la tâche très rapidement, chacun développant sa propre stratégie. Et, dans le
groupe, nous avons une experte : Daniela, encore elle ! Elle emploie une stratégie bien définie, de la recherche et de la préparation de l’outil au
trajet de la noix en passant par la manière de manipuler l’outil et de le positionner dans le grillage. Autrement dit, elle planifie et organise l’ensemble
des actions à mener de la manière la plus optimale qui soit : elle choisit à l’avance et à distance du labyrinthe l’outil le plus approprié, en
l’occurrence très courbé, elle le prépare ensuite afin d’enlever les écorces ou autres brindilles qui pourraient gêner lors du passage dans le grillage
et, une fois qu’elle est arrivée sur les lieux du labyrinthe, son outil courbé lui permet de se positionner au-dessus du labyrinthe et de bien visionner la
scène (figure 5). Autre experte pour récupérer la noix sans se fatiguer : Nakala. Sa stratégie : voler la noix des autres et, bien sûr, celle des
dominés, les mâles. Pourtant, la petite Nakala n’est âgée que de 4 ans… Quoi de mieux que de laisser travailler les autres et de voler la noix une
fois arrivée à la sortie du labyrinthe ?

Le labyrinthe et les orangs-outans


Après nos expertes bonobos, voyons les extraterrestres que je mentionnais quelques lignes plus haut : les orangs-outans. Eux vont
doucement, mais sûrement. Et quelle créativité : avec la main, les pieds et même la bouche ! Car oui, ils peuvent ramener tranquillement la noix vers
eux avec l’outil dans la bouche (figure 6). Une dextérité sans doute à attribuer aux capacités anatomiques de leurs lèvres, voire peut-être à leur
langue, et à une bouche très sollicitée en milieu arboricole. Rappelons que les orangs-outans sont les plus arboricoles des grands singes et qu’ils ont
parfois besoin d’agripper les branches avec leurs deux pieds et leurs deux mains, ne laissant que la bouche de disponible pour saisir et manipuler la
nourriture.
Figure 6. Tiba utilisant sa bouche pour diriger la noix à travers le labyrinthe (zoo de La Palmyre, France). © A. Bardo.

Alors, plus ou moins efficaces que les bonobos ? Difficile à dire. Ce qui est certain, c’est qu’ils peuvent tout à fait alterner l’utilisation de la
main, du pied ou de la bouche au cours de la récupération d’une même noix, le tout en raccourcissant avec les dents leur outil au fur et à mesure du
rapprochement de la noix, ce que les bonobos ne faisaient pas. Les orangs-outans sont lents, mais acrobates et organisés ! Et, de nouveau, ce sont
les femelles qui semblent plus performantes que les mâles, en particulier les plus âgées.

Le labyrinthe et les gorilles


Ce qui frappe lorsqu’on étudie cette espèce dans son utilisation du labyrinthe, c’est que les mâles dominants sont moins attentifs que les
autres du fait qu’ils surveillent leur groupe. Ensuite, les gorilles sont clairement plus spécialisés, utilisant une plus faible variabilité de stratégies. Par
exemple, ils utilisent uniquement une seule main, là où les humains utilisent les deux et les orangs-outans tantôt une main, tantôt le pied, tantôt la
bouche ! Autre point intéressant : ils utilisent seulement une main, mais toujours la même. Soit ils sont gauchers, soit ils sont droitiers, mais ils le sont
de manière exclusive.
Leur capacité de manipulation est, par ailleurs, flagrante dans cette expérience. En effet, les gorilles utilisent un très grand nombre de
mouvements intramanuels (entre les doigts, à l’intérieur même d’une main) pour repositionner l’outil. Les gorilles emploient par ailleurs souvent une
saisie proche de celle que nous, les humains, connaissons bien : celle du stylo – qui n’est donc pas l’apanage des humains, pas plus de la saisie de
précision. Autres constats notables : les gorilles sont ceux qui touchent en moyenne le plus d’obstacles pour récupérer la noix. Cela s’explique sans
doute par le fait qu’ils effectuent davantage de mouvements brusques que les orangs-outans et les humains, même s’ils récupèrent leurs noix aussi
bien que les autres.

Le labyrinthe et les petits singes :


tentatives chez les capucins
Qu’en est-il d’un petit singe connu pour sa capacité à utiliser des outils : le capucin ? Avec lui, on change radicalement de stratégie, c’est le
Speedy Gonzales des singes. Très rapide, trop rapide même. Fidèles à leurs habitudes, les capucins sont extrêmement curieux et s’intéressent très
vite au dispositif. Fidèles à leurs habitudes également, ils veulent aller très vite et, pour cela, utilisent la seule stratégie encore jamais observée :
secouer frénétiquement le labyrinthe ! De cette manière, la noix peut sauter par-dessus les obstacles. Et malgré leur petite taille, avec la force de
leurs membres supérieurs, ils y parviennent ! Reste donc à fixer encore mieux les labyrinthes pour voir de quoi ils sont capables avec un outil
lorsqu’ils ne peuvent plus faire sauter les noix. À suivre…
Le labyrinthe et… les humains

Nous avons évoqué des grands singes et des petits, mais qu’en est-il des humains, adultes ou enfants (5 ans en moyenne) ? Tout d’abord, les
adultes sont les plus performants et les plus rapides de toutes les espèces testées. Arrivent ensuite les bonobos, les enfants et les orangs-outans.
Fait marquant, les adultes utilisent une stratégie inédite : ils manipulent un outil dans chaque main au cours de la récupération de la noix. Cette
manipulation bimanuelle est complexe sur le plan de la coordination, car il faut dissocier les actions de la main droite, qui pousse la noix, de celles
de la main gauche, qui contrôle la trajectoire de la noix. Cette spécificité permet probablement aux humains adultes d’être plus performants que les
autres espèces, mais il reste à le vérifier en analysant davantage d’individus pour toutes les espèces.
Un autre élément contribue peut-être à la performance des humains adultes : la saisie de l’outil. Car pendant que les grands singes utilisent
des types de saisies très variés (entre 2 et 5 doigts, avec des contacts différents…), les humains, eux, n’en choisissent qu’un : la précision pour les
adultes (saisie comme un stylo entre les pulpes des trois premiers doigts) et la puissance pour les enfants (tous les doigts et la paume de la main).
Cette saisie de précision de l’outil chez les adultes fait probablement appel à notre éducation et à notre culture. Les grands singes n’apprennent pas
à écrire, ni à jouer du violon et ils ne sont donc pas influencés par ce type d’apprentissage. Nous entrons là dans le domaine passionnant qu’est
l’influence des activités quotidiennes, de la tradition, de la culture (sur plusieurs générations). Prenons des exemples.

L’influence du mode de vie et de la culture

Dans notre expérience, les adultes pratiquant un sport ou de la musique ont été les plus rapides et les plus performants. En particulier, le
meilleur candidat chez les adultes est une femme (encore !) qui pratique l’escalade. L’influence de l’apprentissage qu’elle a connu en développant
sa dextérité manuelle au cours de la locomotion impliquant ses mains lui a permis d’être plus efficace que les autres individus. Elle n’est pas
nécessairement plus intelligente, mais elle a développé une capacité dans un domaine spécifique qu’elle peut exprimer dans d’autres. Une autre
femme a été très performante et, en l’occurrence, il s’agit d’une violoncelliste.
Ainsi nos pratiques manuelles spécifiques ont nécessairement une influence sur d’autres. Et les phénomènes culturels également. Que se
passerait-il, en effet, si nous comparions des Français avec des Allemands, des Espagnols, des Africains, des Asiatiques, des Américains et, au sein
même de chaque population, si nous comparions des ethnies de provenances différentes ? Il est fort probable qu’un Pygmée de la République
démocratique du Congo n’utiliserait pas la même stratégie de manipulation de l’outil et n’aurait pas les mêmes résultats en termes de performances
qu’un joueur de pelote basque du sud-ouest de la France. Pour autant, on ne pourrait rien en conclure sur l’intelligence de l’un par rapport à celle
de l’autre. On pourrait juste dire que chacun a exploité et adapté ses capacités issues de sa vie quotidienne (la chasse pour l’un et le sport pour
l’autre, si je caricature) et de son apprentissage transmis de génération en génération.
Or ce phénomène culturel n’est pas l’apanage des humains. De nombreux travaux montrent désormais que les phénomènes traditionnels et
culturels existent chez d’autres animaux. C’est entre autres ce point que nous tentons d’explorer avec ma collègue italienne Shelly Masi, spécialiste
des gorilles sauvages. Chez les gorilles de l’Ouest, les choix de plantes consommées et les techniques de manipulation de certains aliments sont
variables et diffèrent selon les groupes ayant accès aux mêmes ressources alimentaires. Comment expliquer ces différences alors qu’ils ont accès
aux mêmes ressources ? Il est possible que cette variabilité soit liée aux propriétés des aliments manipulés, mais également à des « traditions ».
C’est dans le but d’explorer ces phénomènes culturels que nous nous sommes lancés dans la comparaison de différents groupes de gorilles
sauvages. Il est d’ailleurs passionnant de chercher à comprendre comment les petits gorilles apprennent de leurs mamans et comment chaque
groupe transmet ses divergentes stratégies de génération en génération. Ces phénomènes de traditions et de culture seront de nouveau explorés
plus loin (voir chapitre 6).

L’impact de la compétition

Autre facteur très intéressant pouvant influencer les stratégies : la compétition entre individus. Dans notre expérience, il est très clair que les
adultes sont en compétition entre eux et cherchent à avoir le meilleur score de performance et, donc, à aller plus vite, à toucher le moins
d’obstacles, etc. Les enfants n’ont pas ce genre de motivation dans cette expérience et, tout comme les bonobos et les orangs-outans, ils prennent
leur temps – même si les petits garçons effectuent des mouvements plus rapides et plus brusques que les petites filles, ce qui explique sans doute en
partie que les filles soient plus performantes (encore !). En revanche, chez les bonobos par exemple, les mâles, dominés, ont des soucis pour
accéder aux labyrinthes et lorsqu’ils ont la chance d’y parvenir, ils se pressent le plus possible pour récupérer la noix.
Il faut donc faire très attention aux interprétations que l’on peut donner des résultats sur le taux de succès, la rapidité d’obtention de la noix,
la performance et le lien avec l’intelligence des individus, voire de l’espèce concernée. En effet, de très nombreux facteurs (compétition intragroupe,
tradition, apprentissage, etc.) peuvent influencer les stratégies mises en place. Chaque cas est donc unique et même l’expérience la plus calibrée, la
plus spécialisée et rendue la plus comparable possible ne peut à elle seule permettre de conclure qu’un individu est plus intelligent qu’un autre et
encore moins qu’une espèce est plus intelligente qu’une autre (au sein de la même espèce, les comportements peuvent considérablement différer).
En conclusion, on peut donc dire que si les humains ont des spécificités dans leur manière de manipuler et d’utiliser des outils, ce fait est
également valable pour n’importe quelle autre espèce et n’importe quel comportement ! Les humains sont uniques, certes, mais les gorilles aussi, de
même que les orangs-outans ou n’importe quel autre animal. Il est clair que de nombreux primates ont le potentiel d’utiliser et de fabriquer des
outils, y compris en pierre. Les origines et l’évolution de la manipulation complexe et de l’outil chez les primates sont donc loin d’être évidentes et il
est extrêmement difficile de conclure quant aux fabricants des premiers outils. Les australopithèques ou d’autres ancêtres des grands singes, voire
des petits, avaient le potentiel de fabriquer les premiers outils en pierre.
Le seul moyen d’apporter des certitudes serait de découvrir des primates fossiles associés à des outils en pierre. Si la probabilité est
malheureusement réduite, elle existe. Mais il existe un point que nous ne pourrons jamais résoudre : celui des premiers outils en matière périssable,
les plus nombreux. Tous les outils en bois ou autre matières végétales ne se fossilisent pas et ne pourront jamais être retrouvés. Or de nombreux
primates, dont les lémuriens, sont capables d’utiliser des branches, par exemple, comme outils. Et, comme nous le verrons dans le chapitre suivant,
cette capacité dépasse les primates. Les origines de l’outil sont donc à chercher avant l’apparition des primates. Enfin, utiliser ou fabriquer un outil
sont des comportements remarquables, mais pas uniques non plus. De très nombreuses espèces qui n’utilisent pas d’outils, qu’ils soient en pierre
ou en matériaux périssables, ont des comportements remarquables. L’outil n’a certainement pas le monopole de l’intelligence, intelligence qui
n’échappe pas à la règle du monde vivant, celle de la diversité et qui n’est certainement pas l’apanage des humains, et encore moins de leur pouce
opposable.
CHAPITRE 3

Sans les pouces, sans les mains, sans squelette ou sans cortex !

Des outils dans l’air et dans l’eau

Les mammifères : avec des griffes et sans pouce opposable


Bien que certaines espèces de singes soient prolifiques en la matière, au cours des dernières décennies, les exemples d’utilisation d’outils se
sont multipliés chez d’autres espèces. L’utilisation d’outils chez les humains est systématiquement associée à sa main unique, à ses capacités
manuelles et à son cerveau extraordinaires. Eh bien il semble que d’autres espèces fassent sans et donc autrement.
Voyons d’abord ce qu’il se passe chez d’autres mammifères. Contrairement à la majorité des primates, les autres mammifères ont des pattes,
et pas de mains du fait, entre autres, qu’ils sont pourvus de griffes et qu’ils n’ont pas de pouce opposable aux autres doigts. Cela ne les empêche
pas d’utiliser des outils. Voyons quelques exemples. En milieu naturel, la loutre de mer (Enhydra lutris) est connue pour frapper des coquillages
sur des pierres qu’elle place sur son ventre, en position allongée sur le dos à la surface de l’eau 57 . En captivité, le dègue du Chili (Octodon degus),
un petit rongeur, peut utiliser des outils et choisir le plus approprié comme un râteau sans dents plutôt qu’avec dents afin de ne pas laisser passer la
nourriture au travers 58 . Parmi les carnivores, les ratels (Mellivora capensis) sont également connus pour utiliser toutes sortes d’objets (branches,
empilements de pierres, râteaux) pour s’évader de leur enclos. Quant aux blaireaux nord-américains (Taxidea taxus), ils bouchent les tunnels des
terriers souterrains d’hibernation des spermophiles de Richardson (Spermophilus richardsonii), qui ne peuvent ainsi plus s’échapper, en utilisant et
déplaçant un très grand nombre d’objets 59 . Les lions (Panthera leo) savent aussi utiliser des épines pour enlever une autre épine de leur patte 60 et
un ours brun (Ursus arctos) a été observé en train de manipuler un gros caillou pour se gratter le cou et le museau 61 !
D’autres exemples d’utilisation d’outils se rencontrent chez les éléphants et témoignent de leur intelligence. Que ce soit en captivité ou en
milieu naturel, les éléphants d’Asie utilisent des branches et d’autres objets, qu’ils lancent, pour intimider ou agresser d’autres individus ou encore
pour chasser les mouches qu’ils ont sur le corps ; ils peuvent également employer des bâtons pour se gratter 62 . De plus, ils peuvent modifier leur
outil en le cassant en deux lorsque celui-ci est trop long ou en enlevant des feuilles des branches lorsqu’elles sont trop feuillues 63 . Du fait qu’on a
longtemps considéré que seules quelques espèces comme les chimpanzés utilisaient spontanément des outils en milieu naturel64 , les capacités des
autres mammifères intriguent, d’autant plus qu’elles éclairent sous un jour nouveau l’intelligence animale. L’outil existe donc sans pouce opposable
et sans ongles, qui dit mieux ?

Les oiseaux : sans les mains

Une cervelle d’oiseau ? Vous plaisantez ! Cela ne vous a pas échappé : les oiseaux n’ont pas de pouce opposable puisqu’ils n’ont pas de
mains. Pourtant, ils représentent, avec les primates, le groupe de vertébrés qui contient le plus d’espèces utilisant des outils 65 . Les découvertes des
vingt dernières années montrent que les oiseaux représentent même l’un des groupes les plus créatifs. Les corvidés (geais bleus, choucas, pies
voleuses, corneilles, les corbeaux, les freux) sont désormais connus pour être très créatifs et les Psittacidae (perroquets, perruches…) sont
également capables de performances remarquables. Les vautours percnoptères (Neophron percnopterus) utilisent des pierres qu’ils lancent sur les
œufs pour les casser et des hérons utilisent des appâts pour attraper les poissons 66 !
Il a même été observé l’utilisation d’une serviette par une grue du Canada (Grus canadensis) pour se sécher 67 ! Les pics de la Gila
(Melanerpes uropygialis) emploient des récipients comme les écorces pour transporter et absorber le miel68 et l’aigle noir africain (Aquila
verreauxii) peut tout à fait lancer des objets pour agresser un autre individu 69 . Un autre exemple classique concerne la décoration des abris par les
mâles jardiniers à nuque rose (Chlamydera nuchalis). Ces petits oiseaux d’Australie tapissent le sol de grappes de fleurs ou de feuilles colorées
ou encore de coquillages, graines, petits cailloux ou objets de même couleur pour attirer leur partenaire 70 . Ils sont même capables de fabriquer,
après plusieurs semaines d’efforts, une sorte de berceau nuptial. Fait de brindilles entrelacées, formant parfois une arche à l’entrée, il ressemble à
un tunnel, parfois long de 60 centimètres, et ouvert aux deux extrémités. Au bout du tunnel, le mâle aménage une petite cour nuptiale avec des
pierres, des coquillages et des os, cour qui ne se dévoile à la femelle que sous un angle de vue restreint. Est-ce pour ménager un effet de surprise ?
Fait encore plus remarquable, ce petit mâle crée un gradient de taille en plaçant les pierres les plus grosses au fond de la cour et les plus petites
devant. De cette manière, la cour paraît plus petite qu’elle ne l’est et le mâle plus gros qu’il ne l’est en réalité, donc probablement plus séduisant 71 .
Si cette tâche est pour certains assimilée à de la fabrication de nids, et pas à de l’utilisation d’outils, on peut très bien la considérer comme de la
manipulation d’objets susceptible de nous éclairer sur l’intelligence d’une espèce qui redouble de créativité pour… séduire !
En général, l’utilisation et la fabrication d’outils jugées les plus complexes reviennent aux corneilles ou corbeaux. Un exemple en guise
d’amuse-bouche : nous sommes au Japon et une corneille (Corvus corax), une noix dans le bec, vole au-dessus de la route. Elle se perche sur un
câble la surplombant, à proximité d’un feu tricolore, au-dessus d’un passage clouté. Elle laisse alors tomber sa noix sur le bitume, dans le trafic
dense. Au bout de quelques passages de voitures, la noix se fait écraser. La corneille utilise donc des voitures comme outils, rien que ça ! Se passe
alors quelque chose d’encore plus surprenant. La corneille attend que le bonhomme soit vert ! Une fois le feu passé au rouge et le bonhomme vert,
elle traverse alors au milieu des gens, sur le passage clouté, et récupère le fruit désormais libéré. Ce genre d’anecdote est fréquent chez les
corneilles, en France, aux États-Unis ou encore au Japon. Fetnat, la petite femelle capucin, utilisait mon pied pour casser sa noix ; les corneilles,
elles, voient plus grand.
Entrons davantage dans la complexité des utilisations d’outils des corbeaux calédoniens (Corvus moneduloides) sauvages pour attraper les
invertébrés logés dans le bois mort. Ceux-ci emploient au moins quatre types d’outils différents, incluant diverses brindilles et autres outils fabriqués
à partir de la découpe des bords épineux des feuilles plates et rigides du Pandanus 72 (figure 7). Ces outils sont produits au cours d’une série
d’étapes de fabrication et ont des formes complexes. Le plus complexe d’entre eux est large à la base et étroit en son extrémité, permettant des
actions de précision, tout en maintenant sa rigidité. L’oiseau entaille petit à petit ces feuilles avec son bec pour fabriquer des échancrures, des petits
crochets qui lui permettent d’accrocher les vers dans les cavités en bois. L’affinement progressif de l’outil et la confection des crochets se font en
plusieurs étapes. De plus, la taille et la forme de ces outils varient d’une forêt à l’autre, témoignant pour certains d’une forme de comportement
culturel. Pour de nombreux chercheurs, ces outils représenteraient les plus sophistiqués jamais découverts du monde animal !

Figure 7. À gauche : une corneille utilisant un outil issu des feuilles du Pandanus. À droite : sélection de quelques outils fabriqués et utilisés. © M. Sibley et
G. Hunt 73.

Un autre exemple montre que les corneilles peuvent utiliser des outils dans le contexte du jeu. Imaginez l’une d’entre elles en haut d’un toit
pentu enneigé. Elle dispose dans son bec d’un large couvercle plat qu’elle a ramassé on ne sait où. Elle pose ce couvercle sur la tôle du toit et se
positionne dessus. La voici donc qui dévale la pente enneigée. Pour faire simple, elle fait de la luge ! Elle va renouveler l’expérience plusieurs fois,
alternant les descentes et les remontées, avec son couvercle dans le bec. Les exemples en contexte expérimental sont également fascinants. Les
corbeaux calédoniens sont également capables d’imaginer des séquences d’utilisation d’outils, comme cette combinaison de trois opérations : aller
récupérer un outil au bout d’une ficelle, qui permet ensuite d’aller chercher un autre outil plus long, lui-même nécessaire pour aller récupérer de la
nourriture placée au fond d’une boîte 74 . Ils sont mêmes capables d’utiliser des outils pour explorer leur environnement. C’est le cas, notamment, du
corbeau calédonien qui utilise des brindilles pour tâter les araignées et les serpents qu’on lui met dans son espace de vie, probablement pour tester
si ce sont des vrais ou pas avant de les saisir 75 ! Courageux, mais pas fou non plus ! Un autre exemple fascinant concerne la récupération de
nourriture. Prenons l’exemple de Betty, une corneille à qui on fournit un tube transparent au fond duquel est placé un panier rempli de nourriture
disposant d’une anse 76 . Le tube est fixé au sol pour que l’oiseau ne puisse pas le retourner et il est trop profond pour qu’il atteigne le panier avec
son bec. Sont alors mises à disposition de Betty des petites tiges rectilignes en aluminium. Que fait-elle ? Elle innove, spontanément. Elle se fabrique
un crochet avec une des tiges, en la plaçant d’un côté sous sa patte et de l’autre dans son bec. Par une succession de mouvements de coordination
entre le corps, la patte et le bec, elle lui donne la courbure qui convient. Si l’angle est trop obtus (ouvert), le crochet n’a pas de prise sur l’anse du
panier ; s’il est trop aigu (fermé), le crochet ne peut encercler l’anse. Eh bien Betty fabrique l’angle idéal, enfonce sa tige dans le tube et remonte le
panier… Les corbeaux calédoniens sont donc capables d’utiliser un outil non seulement pour se procurer de la nourriture (comme beaucoup
d’autres espèces), mais également pour inspecter un objet (ce qui est plus rare). Pourtant, ils sont dépourvus de mains, voire d’un cortex cérébral
développé, caractères souvent associés à l’intelligence et aux humains.
Ainsi, de nombreux mammifères et oiseaux fabriquent et utilisent des outils, en se servant de leurs mains, de leurs pattes, de leur trompe ou
encore de leur bec. Il n’existe donc pas de modèle unique, encore moins calqué sur celui des humains, pour réussir une tâche nécessitant un outil et
créer, innover. Mais ces innovations sont-elles seulement le propre des mammifères et des oiseaux ?
Des araignées et des insectes :
sans squelette interne et sans cortex !

Nous avons parlé jusqu’ici de vertébrés et de grosses bêtes : des humains, des singes, des oiseaux, des éléphants, des carnivores… Or la
fabrication et l’utilisation d’outils ne sont pas spécifiques aux humains ni même aux primates, ni même aux mammifères. La main est loin d’être
essentielle, nous l’avons vu, mais un squelette est-il seulement indispensable ? Autrement dit, après les grosses bêtes, qu’en est-il des petites et, en
particulier, des invertébrés ? Nous serions alors bien loin de la taille et de la forme du pouce et de son opposabilité, bien loin d’Homo habilis et de
la vision anthropocentriste 77 , primatocentriste, mammiférocentriste, voire vertébrocentriste de l’utilisation d’outils ! Comment ? Des petites bêtes
sans colonne vertébrale et sans squelette interne utiliseraient des outils ? Eh bien oui ! Commençons par des animaux qui pour bon nombre de
personnes évoquent la répulsion : les araignées.
Les araignées sont connues pour utiliser des toiles, chefs-d’œuvre architecturaux et techniques, afin d’attraper leurs proies. Mais elles sont
tout à fait capables d’utiliser des moyens encore plus élaborés. Prenons tout d’abord le cas de l’araignée à bolas (Mastophora Cornigera) qui vit
en Amérique du Nord et qui doit son nom à sa technique de chasse ressemblant à celle utilisée par les gauchos d’Amérique latine pour ligoter les
pattes du bétail. Imaginez-la qui commence par tisser un fil de soie entre deux branches. Elle se positionne ensuite au milieu et tisse un nouveau fil
vers le bas auquel elle se suspend, en embuscade. Ensuite elle poursuit sa mission en sécrétant un autre petit fil de soie pourvu d’une large partie
collante en son extrémité, et elle maintient ce petit fil entre ses pattes. Désireuse de chasser un mâle mite, dont elle raffole, elle libère alors des
phéromones (substances chimiques) proches de celles émises par les mites femelles. La stratégie prend forme ! Une mite mâle est alertée par
l’odeur et s’approche. L’araignée à bola fait alors tournoyer le fil de soie et lance son lasso sur la mite qui finit engluée par la partie collante. Elle
conclut sa chasse en tirant sur le fil pour ramener sa proie, la tue en lui injectant du venin et l’enveloppe dans un cocon de soie afin de la stocker
pour un repas ultérieur. Selon les définitions de l’outil utilisées, il s’agit ou non d’utilisation d’outil, car la soie est un élément interne et non détaché
de l’animal, mais peu importe que ce soit de l’outil ou non : ce comportement est fascinant dans la mesure où cette araignée doit planifier toute une
série d’étapes pour réussir sa tâche ; certains parlent même d’apprentissage en complément de l’instinct sous-jacent à ces comportements 78 .

Figure 8. Vue supérieure du terrier (modifié à partir de Henschel, 1995 80). La largeur d’une pierre est d’environ 1 centimètre.

Une autre espèce d’araignée (Ariadna sp.) qui vit en Namibie ne laisse, quant à elle, aucun doute quant à sa capacité à utiliser des outils.
Cette araignée creuse des terriers d’environ 13 centimètres de long. Autour de l’entrée de ceux-ci, elle empile des pierres 79 . L’incroyable, c’est
que ces pierres sont assez uniformes au niveau de la taille, et les araignées en disposent entre 5 et 9 autour du terrier, 7 le plus souvent (figure 8).
Pour certains chercheurs, il est très clair que les pierres sont sélectionnées pour leur matière (le quartz est préféré) et qu’elles ne sont pas disposées
de manière aléatoire, certains parlant même d’araignées mathématiciennes ! Mais à quoi sert un tel dispositif ? De nombreuses hypothèses sont
avancées.
De par sa disposition structurée et différente du reste du milieu environnant, le terrier pourrait apparaître attractif aux proies potentielles des
araignées. Ce dispositif pourrait aussi servir à protéger le terrier en le rendant imperméable au sable ou aux divers débris environnants et ainsi lui
éviter de se combler. Le cercle de pierres pourrait également réduire le risque de prédation en rendant sa détection plus difficile grâce à une zone
sombre au milieu d’une plus claire, susceptible de simuler une pierre noire plutôt qu’un terrier. Autre hypothèse : le dispositif symétrique aiderait
l’araignée à trouver son terrier au milieu d’un sol parsemé de pierres – cette explication est néanmoins discutable, car la vision de ces araignées est
faible. Il est également possible que ces pierres agissent comme un bouclier thermique ou comme une protection contre la poussière et la pluie ou
encore, et à l’inverse, comme une sorte de collecteur d’humidité. Une autre interprétation, la plus probable, est encore plus fascinante. Ces pierres
seraient parfois connectées entre elles par du fil de soie prolongé à l’intérieur du terrier. Imaginez une proie qui franchit la ligne de soie extérieure :
l’araignée est ainsi immédiatement alertée qu’elle se trouve à l’entrée de son terrier. Elle se précipite alors au-dehors et la capture. Dans ce
scénario, les pierres joueraient le rôle d’attache pour le fil, voire d’amplificateur du bruit, le dispositif servant à détecter, par vibration, l’arrivée
d’une proie à l’entrée extérieure du terrier.
Mais, parmi les invertébrés, il n’y a pas que les araignées qui utilisent des outils : il y a aussi les insectes. Pour attirer leur partenaire, plusieurs
espèces de criquets sud-africains (famille des œcanthidés) utilisent ainsi un amplificateur de son : dans le but d’augmenter l’intensité de leur appel, ils
frottent leurs tegmina (ailes antérieures, ou élytres, qui ne sont pas utilisées pour voler) contre les bords d’un trou en forme de poire situé dans une
feuille 81 . Toujours chez les insectes, certaines guêpes du genre Ammophila ou Sphex emploient parfois des outils pour fermer le nid où elles ont
placé des proies ou des œufs : elles sélectionnent des cailloux, le plus gros étant placé au fond et les plus petits sur le nid 82 . Parfois aussi, elles
tiennent un caillou entre leurs mandibules et l’utilisent comme un marteau pour tasser la terre et rendre le sol compact autour de leur nid 83 .
Certaines fourmis du genre Aphaenogaster n’ont pas la capacité d’ingérer ni de transporter seules les grands volumes de liquide alimentaire dont
elles se nourrissent (le miellat produit par les pucerons et autres petits hémiptères ou encore les sucs de plantes et de fruits divers). Elles partagent
donc ces liquides par trophallaxie, c’est-à-dire d’un individu à l’autre de la même colonie. Huit espèces de ce genre utilisent des petits objets
(brindilles, feuilles…) pour transporter les liquides et les ramener à la colonie 84 . Deux d’entre elles sont même capables de sélectionner les outils les
plus absorbants 85 . Les fourmis de feu (Solenopsis invicta) utilisent également le sable pour absorber, transporter et rapporter le miel au nid 86 .
D’autres fourmis lancent, quant à elles, de petites pierres sur des compétiteurs potentiels 87 . Enfin, les fourmis des genres Oecophylla, Polyrhachis
et Camponotus construisent leurs nids en attachant les feuilles entre elles avec la soie fabriquée par leurs larves 88 . D’autres espèces comme
Dorymyrmex bicolor ou Aphaenogaster cockerelli utilisent des pierres ou d’autres objets pour boucher l’entrée de leur nid 89 . Précisons ici qu’il
s’agit le plus souvent d’« intelligence collective », la tâche ne pouvant être résolue de manière individuelle et les fourmis agissant ensemble comme
une seule unité.
Outre les guêpes et les fourmis, on peut citer d’autres espèces d’insectes qui utilisent les outils. Il y a, par exemple, le fourmilion commun
(Myrmeleon formicarius), qui ressemble superficiellement à une libellule et qui lance du sable sur ses proies, certains réduviidés (hémiptère) qui se
servent des nids de carton des termites comme matériel de camouflage ou encore les larves de cassides (coléoptères) qui emploient des boucliers
de fèces et d’exosquelettes (après la mue) secs pour repousser les fourmis.

Et dans l’eau ?
Dans l’eau comme sur terre, de nombreux animaux, avec ou sans vertèbres, utilisent des outils. Et c’est très intéressant car, à quelques
exceptions près, ils ne possèdent pas de mains. Cependant, l’utilisation d’outils chez les animaux aquatiques reste peu connue et les exemples sont
donc bien moins nombreux. Pourquoi ? Pour une raison très simple qui est que, sur les 2 millions d’espèces marines estimées, seulement 8 % ont
été décrites 90 ! Les recherches sous la mer constituent un défi de taille exacerbé par le fait que l’utilisation d’outils représente une faible proportion
du budget-temps des animaux, rendant la probabilité de les observer effectuant un tel comportement plus faible que sur la terre. De plus, les
observations sont largement restreintes aux milieux côtiers et peu profonds, les habitats pélagiques étant difficiles d’accès, surtout sur les longues
périodes d’observation nécessaires pour ce type de comportement. Enfin, l’intérêt pour l’utilisation d’outils chez les primates et les oiseaux est
ancien 91 et la faune aquatique a comparativement reçu peu d’attention.
Pourtant, si nous voulons comprendre l’évolution de l’intelligence et l’implication de l’outil dans cette évolution, il nous faut évidemment
considérer tous les milieux. Que se passe-t-il donc sous la surface ? Malgré tous les obstacles pour obtenir des données, il faut savoir qu’au moins
30 espèces aquatiques utilisent des outils, et ce à la fois chez les mammifères marins, les poissons, les céphalopodes (pieuvres…), les gastéropodes
marins (escargots de mer), les crustacés et les échinidés (oursins) 92 ! De plus, comme pour les animaux terrestres, les contextes d’utilisation d’outils
sont variés – acquisition de nourriture, protection ou encore attention parentale.
Commençons par les vertébrés, en particulier les mammifères aquatiques, et notamment par des animaux connus pour leur intelligence : les
cétacés qui présentent une variété d’utilisation d’outils. Les orques (Orcinus orca), par exemple, créent des vagues, parfois séparément mais
souvent en groupes coordonnés, pour balayer les proies (comme les phoques) positionnées sur la banquise ou, mieux, briser celle-ci et les faire
tomber dans l’eau pour les chasser 93 . Autre stratégie : la baleine à bosse (Megaptera novaeangliae) expire, individuellement ou collectivement,
des bulles pour créer des filets verticaux qui encerclent et concentrent ses proies et facilitent leur engloutissement 94 . Le grand dauphin (Tursiops
truncatus) de Floride utilise, quant à lui, une technique connue sous le nom d’« écran de boue ». Il commence par frotter sa nageoire caudale
contre le fond marin, en traçant un cercle. Ce mouvement a pour effet de faire s’élever un écran de vase au sein duquel les poissons se retrouvent
pris au piège. Affolés, ils tentent alors de franchir ce filet artificiel en sautant par-dessus, là où le dauphin les attend et les attrape au vol95 !
Pour certains chercheurs, ces exemples ne concernent pas l’utilisation de l’outil dans la mesure où l’eau n’est pas un élément détaché de
l’environnement de l’individu. Il s’agit cependant de comportements nécessitant la manipulation de l’environnement, dans un but précis, et qui
peuvent donc être considéré pour discuter de l’évolution de l’intelligence. D’autres cas sont bien moins ambigus. L’un des plus connus implique
environ 5 % de la population de grands dauphins dans la baie Shark en Australie (Tursiops sp.). Ces dauphins arrachent des éponges végétales du
fond de l’océan pour les saisir dans leur rostre (bec) et ainsi se protéger lorsqu’ils fouillent dans les sédiments pour déloger des perches de sable,
indétectables par écholocalisation 96 . Cette stratégie de chasse est adoptée par les femelles et transmise de génération en génération. Ce qui est
encore plus intéressant peut-être, c’est que ces dauphins n’utilisent jamais d’éponge végétale en dehors de ce comportement pour lequel ils se sont
spécialisés et que l’utilisation des éponges comme outil occupe environ 96 % de leur temps de recherche de nourriture !
De la même manière que les dauphins, la plupart des loutres de mer n’utilisent pas d’outil, mais celles qui le font (Enhydra lutris) emploient
souvent des pierres pour casser la coquille des escargots marins et des bivalves (incluant mollusques et moules). Elles utilisent si souvent ces outils
qu’elles en ont généralisé l’usage pour des proies occasionnelles qui ne nécessitent pas d’outil pour être consommées, comme certains crabes ou
oursins 97 ! Là encore, pour certains chercheurs, il ne s’agirait que d’un proto-usage d’outil impliquant l’utilisation d’un support en guise d’enclume,
sur lequel l’animal frappe sa proie. Cependant, contrairement aux enclumes utilisées également par les poissons qui frappent leurs coquillages sur
des rochers (les labres par exemple), les loutres de mer manipulent leurs enclumes et emploient également des marteaux ; on sait aussi qu’elles
enveloppent les crabes dans le varech (algue) pour les immobiliser et les consommer. Elles utilisent également des outils sous l’eau comme des
rochers ou de grands coquillages pour marteler ou détacher les ormeaux de leur substrat 98 . Enfin, il existe des preuves de spécialisation au sein des
loutres de mer puisque certaines utilisent systématiquement des outils particuliers ou des techniques spécifiques 99 .
Au sein des vertébrés aquatiques, les poissons utilisent, eux aussi, leur environnement dans un but précis. Des centaines d’espèces de
poissons éventent, par exemple, leurs œufs avec l’eau pour les garder propres et oxygénés 100 . Les gouramis, poissons d’eau douce d’Asie, utilisent
les jets d’eau pour placer et récupérer leurs œufs à la surface de l’eau 101 . De nombreux autres poissons comme les toxotes (ou poissons archers),
les poissons-globes, les balistes et les raies sont connus pour employer des jets d’eau pour localiser et capturer des proies 102 . D’autres poissons
utilisent des objets détachés du substrat dans le contexte du soin parental. Ainsi, la demoiselle blanche (Stegastes leucorus) remue la surface
rocheuse de son nid pour le nettoyer avant la ponte des œufs. Par ailleurs, toujours chez les poissons, plusieurs espèces de cichlidés et au moins
une espèce de poisson-chat pondent leurs œufs sur des feuilles détachées ou des détritus pouvant être déplacés quand les œufs sont en danger 103 .
Si l’on considère les feuilles comme un mode de transport, alors il s’agit bien d’utilisation d’outil. Enfin, certains poissons comme les labres
saisissent dans leur bouche des coquillages qu’ils transportent parfois sur de longues distances avant de trouver le rocher adéquat qu’ils vont utiliser
comme enclume pour frapper et ouvrir le coquillage 104 . De nouveau, il s’agit « uniquement » de proto-usage d’outils (aucun objet n’est détaché de
l’environnement), mais ce comportement n’en est pas moins intéressant, l’animal mettant en place une réelle stratégie pour trouver le rocher
approprié afin d’atteindre son but.
Outre les poissons, un exemple d’utilisation d’outil chez les reptiles a été récemment rapporté 105 . Voilà une raison supplémentaire, s’il en
fallait une, pour respecter les crocodiles et les alligators ! Ces derniers utilisent en effet des brindilles comme appâts pour chasser. Il y a quelques
années, des chercheurs américains ont en effet remarqué dans un zoo que des crocodiles et alligators avaient des brindilles disposées sur le museau.
Ils se déplaçaient très peu et faisaient attention de ne pas les faire tomber. Que se passait-il alors ? Des oiseaux, dans l’objectif de concevoir leurs
nids, tentaient de s’en emparer. Les prédateurs se jetaient alors sur eux. La question est alors de savoir s’il s’agit d’opportunisme ou de réelle
stratégie de chasse. Pour répondre à cette question les chercheurs ont observé ces reptiles dans quatre sites de Louisiane. Ils ont clairement montré
que ces prédateurs disposent les brindilles sur leur museau bien plus fréquemment près des colonies d’aigrettes et pendant la saison de
reproduction de ces oiseaux, lorsqu’ils construisent leur nid. Nous avons ici le premier cas d’utilisation d’outils avéré chez les reptiles.
En dehors des vertébrés aquatiques, les invertébrés aquatiques manipulent parfois des objets qualifiables d’outils, pour se nourrir ou dans un
contexte de protection ou de camouflage. Parmi les mollusques (coquille visible ou cachée), les céphalopodes (huit pieds, communément nommés
pieuvres) sont connus pour leur intelligence 106 . Ils utilisent par exemple des objets pour bloquer les bivalves en position ouverte afin de consommer
tranquillement la proie logée à l’intérieur 107 . Ils sont également adeptes de l’utilisation d’outils pour se protéger. La pieuvre veinée (Amphioctopus
marginatus), désormais surnommée « pieuvre noix de coco », déambule par exemple dans les eaux indonésiennes à cheval sur deux demi-noix de
coco ! Imaginez cette pieuvre, qui se déplace d’ailleurs en bipédie (sur deux pieds tentaculaires), collecter les demi-coques de noix de coco
rejetées par les humains et les transporter jusqu’à 20 mètres de profondeur pour former une cachette sphérique où elle se loge pour se protéger !
Cette même espèce utilise d’ailleurs les débris disponibles pour créer une forteresse défensive, comme le fait le poulpe commun (Octopus
vulgaris) en construisant un mur de roches, de verre et d’autres objets devant l’entrée de son repaire 108 . Toujours chez les céphalopodes, les
calmars et les seiches sont bien plus que les génies du camouflage. Ils emploient l’eau comme un proto-outil de protection, utilisant ses jets pour
creuser le sable et se camoufler 109 . Chez les crustacés (quatre antennes), au moins quatre espèces de crabes transportent ou « portent » divers
objets comme des débris de plantes, des coquilles, des algues ou des animaux aquatiques afin de se camoufler et de se protéger contre les
prédateurs, les éléments et aussi leurs congénères 110 . Les bernard-l’hermite ont, quant à eux, besoin d’une protection externe pour protéger leur
abdomen. Certains (Dardanus sp.) utilisent la coquille d’autres espèces pour mettre leur abdomen à l’abri ; autrement dit, ce sont des squatteurs
qui exploitent les coquilles des autres. Mais ils sont parfois exploités eux-mêmes quand des anémones de mer s’accrochent à leur coquille pour être
transportées. Néanmoins, ils n’en restent pas là puisqu’ils transfèrent parfois ces anémones à l’intérieur même de leur coquille pour se protéger des
attaques des pieuvres ou pour être assistés dans la capture de proies 111 . Échange de bons procédés ! Les écrevisses ont par ailleurs des capacités
de préhension étonnantes que je suis en train d’étudier avec mon collègue Raphaël Cornette. Outre les céphalopodes et les crustacés, au sein des
échinodermes (squelette dans la peau), au moins trois espèces d’oursins se décorent également de divers objets pour se protéger 112 .
Comme le montrent tous ces exemples, l’outil existe donc sous l’eau, même si les cas sont plus rares que sur terre, et les types d’outils utilisés
se distinguent de ceux employés par les animaux terrestres. En effet, les utilisateurs d’outils aquatiques se servent davantage que les terrestres
d’animaux vivants ou de leurs « organes ». De nombreux animaux marins filtreurs de nourriture sont sessiles (fixés à un support) et eux-mêmes
disponibles comme outils. De plus, les « organes » des animaux aquatiques comme les coquilles ne se détériorent pas rapidement. À l’inverse, les
animaux terrestres utilisent très rarement d’autres animaux ou leurs « organes » comme outil, en partie parce que de tels « objets » se détériorent
rapidement, mais aussi en raison de la grande disponibilité des objets dérivés des plantes.
Les animaux aquatiques peuvent également manipuler leur environnement plus facilement que les terrestres. Cela explique sans doute
pourquoi la moitié des cas d’utilisation d’outils en milieu aquatique implique l’emploi de l’eau comme outil ou proto-outil. Enfin, il est important de
mentionner que si l’utilisation d’outil est relativement rare en milieu aquatique, ce n’est pas seulement pour des raisons de difficulté d’observation,
mais sans doute également par absence de nécessité. Prenons un exemple. Les delphinidés (dauphins, orques, globicéphales…) possèdent des
cerveaux plus grands (proportionnellement à la taille globale) que les primates (humains exceptés). On pourrait donc s’attendre à ce qu’ils utilisent
très fréquemment des outils. Ce n’est pas le cas. En effet, comme ils possèdent un système d’écholocation hautement sophistiqué, impliqué dans de
nombreux comportements (dont la détection de nourriture), ils n’ont probablement pas un grand besoin d’outils 113 . Par ailleurs, chez les dauphins et
les loutres de mer utilisant des outils, la nécessité de réduire la compétition, notamment à cause d’un territoire petit et limité en ressources, a
probablement conduit certains individus à utiliser des outils pour chercher et trouver leur nourriture. La spécialisation limite ici la compétition.
Connaître le contexte et les capacités anatomiques ou physiologiques d’un animal est donc indispensable avant de tirer toute conclusion sur son
intelligence ou non, si tant est que l’utilisation d’outil soit toujours un bon indicateur de l’intelligence.
CHAPITRE 4

Ingénierie et artisanat

Manipulation et construction animale

L’utilisation d’outils sert de longue date d’indicateur de l’intelligence 114 , ce qui est probablement à mettre directement en relation avec le fait
que, selon de nombreux chercheurs, l’utilisation et la fabrication d’outils étaient une spécificité humaine 115 , comportement séparant les humains des
autres animaux. Lorsqu’il a été découvert que les chimpanzés fabriquaient et utilisaient des outils régulièrement, la définition même du genre humain
a été questionnée. Néanmoins, désormais, plutôt que d’essayer de comprendre pourquoi certaines espèces utilisent des outils et pas d’autres,
comment ce comportement a évolué, pourquoi, dans quelle lignée et en quoi c’est particulier (etc.), certains chercheurs tentent toujours de montrer
en quoi l’utilisation d’outils chez les humains se distingue de celle des autres animaux, toujours avec l’idée sous-jacente, parfois inconsciente, de
montrer que les humains sont plus intelligents que les autres espèces. Nous allons voir que c’est de nouveau loin d’être aussi caricatural116 .

L’utilisation d’outils est-elle vraiment un indicateur de l’intelligence ?


L’outil est-il nécessairement synonyme d’intelligence ? Un argument avancé pour expliquer que l’utilisation d’outils reflète l’intelligence est la
corrélation qui a été établie entre ce comportement et la taille du cerveau, tant chez les primates que chez les oiseaux 117 . De plus, utiliser des outils
serait exigeant sur le plan cognitif 118 , comme en témoigne le fait qu’un jeune chimpanzé a besoin de plusieurs années d’observation pour apprendre
à fabriquer un outil, plus de quatre ans pour pêcher les termites ou encore entre trois et cinq ans pour casser des noix 119 . Mais d’autres stratégies
existent. Par exemple, le pinson-pic (Camarhynchus pallidus) développe l’utilisation d’outils au travers d’un apprentissage individuel d’essais et
erreurs plutôt que par apprentissage social en observant les autres individus 120 , et les corbeaux calédoniens insèrent leurs bâtons dans les
crevasses, qu’ils aient observé un utilisateur d’outil ou non 121 . Ainsi, l’apprentissage social est peut-être essentiel pour la transmission de techniques
subtiles de fabrication d’outils, mais il ne faut pas oublier qu’il existe différents types d’utilisations et de fabrications d’outils, différents contextes et
qu’il est impossible de généraliser finalement sur le lien entre outil et intelligence. De plus, même si certains comportements d’utilisation d’outils
semblent très complexes, ce n’est pas une raison pour les mettre à part sur le plan de l’intelligence puisque d’autres comportements comme la
navigation spatiale par exemple impliquent également de nombreuses capacités (voir chapitres suivants). On sait aussi que l’utilisation d’outils inclut
des exemples très différents dont les contenus cognitifs (mémoire, anticipation, etc.) diffèrent probablement entre les espèces et entre les individus
d’une même espèce. En outre, certains animaux utilisent un seul type d’outil ou de proto-outil dans un contexte particulier (le poisson archer
projette des jets d’eau au-delà de la surface pour faire tomber les insectes et n’utilise cette technique dans aucun autre contexte 122 ), pendant que
d’autres sont capables d’utiliser de nombreux outils dans divers contextes (attraper de la nourriture, se nettoyer, se défendre…). Ainsi, certains
types d’utilisation d’outils sont qualifiés de spécialisations comportementales (une espèce utilise un seul type d’outil dans un seul but) pendant que
d’autres apparaissent comme des innovations comportementales (une espèce utilisait un bâton pour attraper de la nourriture et l’utilise désormais
pour se nettoyer les dents !) et sont davantage dites intelligentes, car elles possèdent deux éléments clés : l’adaptabilité et la créativité. Certains
individus sont ainsi capables d’utiliser des solutions anciennes pour résoudre de nouveaux problèmes, mais aussi de trouver de nouvelles solutions
pour d’anciens problèmes irrésolus, ou encore trouver de nouvelles solutions pour de nouveaux problèmes. Enfin, les grands singes comme les
orangs-outans ou encore les chimpanzés peuvent tout cumuler, à savoir utiliser un outil dans de nombreux buts et atteindre un objectif grâce à
différents outils !
Un autre élément entre en ligne de compte pour associer outil et intelligence : la hiérarchisation dans la complexité impliquant l’outil. Parfois la
solution n’implique pas uniquement d’utiliser un outil, mais de le fabriquer ou encore d’utiliser une séquence de plusieurs outils, voire de combiner
de multiples innovations pour atteindre un but 123 . Ainsi, l’utilisation flexible et cumulative d’outils (les outils sont ajustés à la tâche et impliquent des
innovations multiples) révèle l’opération d’intentions et de planifications, plutôt que des réponses directes ou automatiques à des stimuli124 et peut
donc être considérée comme intelligente. Enfin, un autre élément qui contribue à faire de l’utilisation d’outils un indicateur de l’intelligence est sa
relativement faible représentation dans le règne animal. En effet, il existe de nombreuses espèces qui utilisent des outils de manière occasionnelle
mais l’utilisation régulière d’outils est beaucoup plus rare. Et c’est cette rareté qui fait penser à beaucoup que l’utilisation d’outils est un signe
d’intelligence. Mais rareté n’est pas synonyme d’intelligence.
Un autre point mérite notre attention : la place de l’outil dans la manipulation au sens large. En effet, il est fort probable que certaines tâches
nécessitant de manipuler, comme atteindre et manipuler de la nourriture difficile d’accès pour pouvoir la consommer, soient parfois plus complexes
que certaines utilisations d’outils comme prendre un bâton pour rapprocher une nourriture ou lancer une pierre pour ouvrir un œuf. Prenons un
exemple. Nous sommes en 2001 à la Vallée des singes, parc zoologique de la Vienne où les animaux bénéficient de larges îlots boisés extérieurs.
J’observe des femelles capucins en semi-liberté sur leur îlot en partie entouré d’eau. Une ressource alimentaire parmi tant d’autres intrigue
particulièrement Fetnat, une des petites femelles du groupe : les châtaignes ! Ce fruit semble l’intéresser fortement mais un problème majeur se
pose : il est enfermé dans une bogue hérissée de piquants rigides. Comment faire pour l’ouvrir ? C’est là que Fetnat innove. Dans un premier
temps, elle trempe pendant de longues minutes la bogue dans l’eau qui encercle son territoire. Elle la sort ensuite de l’eau et fait un premier test en
touchant les piquants avec ses doigts et ses lèvres. Elle décide alors de remettre la bogue dans l’eau, jusqu’à ce qu’elle juge que les piquants sont
suffisamment ramollis pour tenter de l’ouvrir avec les mains. Une fois cette première étape résolue (ramollir les piquants), elle se lance dans des
mouvements de coordination entre la main droite et la main gauche, utilisant essentiellement la base de la paume de ses mains (probablement moins
sensible que ses doigts) pour appuyer régulièrement sur la bogue afin de l’ouvrir progressivement. Après cette deuxième étape (ouvrir la bogue),
reste encore à ouvrir les châtaignes, ce qu’elle réalise par un enchaînement entre morsures et ouvertures plus délicates avec l’extrémité des doigts.
Cet exemple montre clairement qu’ouvrir une bogue nécessite de nombreuses étapes complexes, tant sur le plan cognitif (comprendre que
l’eau ramollit les piquants) que fonctionnel (difficulté à l’ouvrir), que ne nécessitent pas certaines utilisations d’outils. C’est également le cas pour
certains proto-usages d’outils comme la casse des noix chez les capucins qui choisissent les substrats les plus durs pour optimiser leur ouverture.
Dans ce cadre, les individus les plus efficaces utilisent également des stratégies de manipulation particulières : ils repositionnent la noix très
rapidement, parfois entre chaque frappe, de manière à l’orienter vers son côté le plus fragile. Les femelles adultes utilisent la même stratégie pour
casser les noix de coco en les frappant contre le sol125 . Plus l’individu repositionne sa noix, moins il lui faut de coups pour l’ouvrir. Autrement dit,
l’outil n’implique pas nécessairement davantage de complexité ni d’intelligence que certaines tâches de manipulation. Un autre comportement de
manipulation que j’ai pu observer chez les capucins est leur faculté de tapoter sur tout et n’importe quoi, en apparence seulement parfois. Car
certains individus, friands de petits vers et autres petites larves, tapotent avec leurs doigts des zones bien spécifiques : des petites branches parfois
mortes. Il est fort probable que certains capucins accomplissent ces mouvements rapides pour détecter, en fonction du son (grave ou aigu) et des
sensations tactiles (dureté ou non du bois), la présence de galeries dans ces branches. Rappelons que les singes capucins n’ont pas le pouce
complètement opposable ; ils sont pourtant d’excellents manipulateurs, dans tous les sens du terme d’ailleurs !
Un autre exemple va nous permettre de comprendre pourquoi il est parfois important d’analyser les capacités de manipulation au détriment
de l’utilisation d’outils, si nous souhaitons tenter de comparer des espèces très différentes entre elles. En effet, comment comparer l’intelligence de
deux espèces qui n’utilisent pas les mêmes types d’outils vu qu’à chaque tâche correspondent des contraintes et une complexité différentes ? Un
moyen est de comparer leur capacité à réaliser des tâches de manipulation identiques. Nous sommes en 2013, à la ménagerie du Jardin des plantes
(Muséum national d’histoire naturelle). Je cherche à comprendre si des animaux très différents sur le plan anatomique, mais qui partagent un
environnement et des ressources alimentaires identiques peuvent exécuter et réussir une tâche complexe de manipulation. Pour faire simple, je
cherche à savoir si deux espèces animales qui partagent ces points communs fondamentaux vont être capables de résoudre la même tâche alors
que l’une possède des mains et l’autre… un bec ! Je me lance donc, avec mon étudiante Anaïs Brunon et ma collègue Dalila Bovet, dans la
comparaison des capacités d’ouverture de boîtes chez les singes capucins (Sapajus xanthosternos) et les aras bleu et jaune (Ara ararauna). La
tâche consiste à ouvrir des boîtes dont les serrures nécessitent différentes techniques d’ouverture (pousser, tirer ou tourner un verrou) pour
récupérer la nourriture placée à l’intérieur (figure 9). Première étape : tester la boîte chez les perroquets. Celle-ci est déposée dans leur volière, au
sol. La réaction des perroquets ne se fait pas attendre : c’est la panique ! Ce nouvel objet fait peur au groupe. À tout le groupe ? Non. Un des
individus, Bigboss, se lance à la découverte de cette boîte pendant que les trois autres restent confinés ensemble à l’autre extrémité de la cage, bien
en haut, tout en criant sans arrêt. Bigboss l’explorateur s’approche prudemment de la boîte, restant à 1 mètre de distance, et tourne autour en la
regardant et en poussant de temps à autre de petits cris. Les autres sont prostrés à l’extrémité de la scène et maintiennent leurs cris stridents. Au
bout d’une heure, Bigboss n’a toujours pas touché la boîte et afin de calmer les esprits du groupe, nous arrêtons l’expérience, malgré notre
impatience. Nous reviendrons le lendemain. Chez les capucins, nous procédons de la même manière. La première boîte est posée sur le sol. Après
une heure de désintérêt total des capucins pour la boîte, mais sans panique tout de même, le résultat est le même que pour les perroquets : nous
reviendrons le lendemain…
La deuxième tentative est la bonne pour les deux espèces, même si certains individus présentent plus d’intérêt et de motivation que d’autres.
Après deux mois d’observation, les résultats tombent : les deux espèces sont capables d’adapter leur comportement pour ouvrir les trois types de
boîtes en réalisant des actions qui nécessitent des techniques motrices complexes de manipulation. En revanche, elles n’ont pas utilisé les mêmes
techniques. Les capucins, égaux à eux-mêmes, ont beaucoup touché, manipulé, frappé, frotté les boîtes avant de les ouvrir rapidement avec les
mains, pendant que les perroquets ont utilisé leur bec et leur langue en faisant preuve de moins de comportements exploratoires 126 .

Figure 9. Cayenne (singe capucin) et Sierra (ara bleu) ouvrant une boîte (ménagerie du Jardin des plantes, Museum national d’histoire naturelle). © A. Brunon.
Quelles sont les bases neurales de la manipulation fine et de l’utilisation
d’outils ?

Si les caractères morphologiques permettant d’utiliser et de fabriquer des outils sont très différents selon les espèces et qu’il est donc
finalement impossible de dire que tel caractère est nécessaire à ces comportements, qu’en est-il des bases neurales ? Faut-il un cerveau
particulier ? Il est très difficile de répondre. Contrairement à la circuiterie neuronale de l’utilisation d’outils chez les humains qui a été largement
cartographiée grâce à des techniques de neuro-imagerie, notre compréhension des bases neurales de l’utilisation d’outils chez les mammifères et les
oiseaux, sans compter les invertébrés, reste largement spéculative. Ainsi, l’utilisation d’outils est souvent associée à l’intelligence, et chez les
primates comme chez les oiseaux, ce comportement semble associé à la résolution rapide de problèmes, à l’innovation et à de grandes aires du
cerveau exécutif (cortex frontal mais aussi préfrontal et pariétal) 127 . Nous savons également qu’il existe une relation entre la fréquence d’utilisation
d’outils et la taille du cerveau chez les oiseaux 128 et celle du néocortex chez les primates 129 , les espèces utilisant des outils ayant de plus grands
cerveaux et étant donc considérées comme ayant une plus grande intelligence pour contrôler les outils dans un but défini.
Les études les plus complètes sur les bases neurales de l’utilisation d’outils chez les animaux (humains exclus) ont été conduites chez les
macaques japonais (Macaca fuscata) 130 . En se focalisant sur les cortex moteur et prémoteur, elles montrent que, comme chez l’humain, de
complexes réseaux neuronaux contrôlent les mouvements fins nécessaires à l’utilisation d’outils. Et il semble que les connexions motrices et
sensorielles de base soient très proches entre les mammifères et les oiseaux 131 . Restent de nombreuses zones d’ombre puisque nous souffrons
cruellement d’un manque de compréhension des opérations cognitives effectuées par les différentes parties d’un cerveau dit intelligent. Sur ce point
aussi, tout reste à découvrir 132 . Et une découverte intéressante en laisse présager bien d’autres : certaines parties du cervelet (cervelet trigéminal et
zones visuelles) qui contrôlent l’apprentissage des techniques motrices chez les humains contrôlent également les mouvements fins du bec chez les
oiseaux et sont probablement impliquées dans la manipulation d’objets (comme nous l’avons vu avec le perroquet Bigboss et les boîtes) et
l’utilisation d’outils. Or ces parties du cerveau sont plus grandes (indépendamment de la taille corporelle et globale du cerveau) chez les corbeaux,
les perroquets et les pics que chez les autres espèces qui n’utilisent pas de mouvements fins du bec pendant la manipulation 133 . De nouveau, de
nombreux problèmes et incompréhensions persistent puisque la relation entre taille du cerveau ou taille d’une partie du cerveau et utilisation d’outils,
voire intelligence, reste également très spéculative. Ces dimensions pourraient tout aussi bien être liées à d’autres formes de manipulations fines (la
construction de nids par exemple), voire à d’autres paramètres très éloignés (alimentation ? vie sociale ?). De plus, comment expliquer sur le plan
neural l’utilisation d’outils chez les céphalopodes, les poissons, les arachnides ou encore certains insectes comme les fourmis et les guêpes ? Tous
n’ont pas le même système nerveux et il est clair que chaque espèce possède sa propre stratégie comportementale (individuelle ou collective, avec
ou sans apprentissage, etc.), motrice et probablement neurale pour réaliser ce type de tâche. Il est également possible que, malgré les apparences,
le cerveau de certaines espèces soit plus proche des capacités du nôtre qu’on ne le pense. Par exemple, le cerveau des poissons est davantage
similaire au cerveau humain qu’on ne le pensait naguère et certains avancent que les poissons sont conscients, capables de souffrir et qu’ils
possèdent des capacités de mémorisation à long terme 134 . C’est sans compter la diversité du système nerveux des insectes dont les comportements
complexes peuvent être attribués à quelques neurones seulement.
Il nous reste donc un long chemin à parcourir avant de pouvoir déterminer s’il existe quelque chose de particulier dans le cerveau des
espèces qui utilisent des outils par rapport à celles qui manipulent au cours de tâches complexes, voire manipulent peu. Sans davantage de données
comportementales cumulées à des études neuroanatomiques et neurophysiologiques, de très nombreuses questions restent sans réponse et c’est un
point que nous souhaitons explorer.

Qui a fabriqué les premiers outils ?


Quelle place dans l’évolution de l’intelligence ?

Qui a fabriqué les premiers outils et quand ? Est-ce un arthropode il y a 600 millions d’années ? Un poisson ou un céphalopode, il y a
500 millions d’années ? Un arachnide ou un insecte il y a 400 millions d’années ? Un mammifère il y a 230 millions d’années ? Un oiseau il y a
150 millions d’années ? Un primate il y a 65 millions d’années ? Un humain il y a 3 millions d’années ? Impossible de répondre car le
comportement ne se fossilise pas, les caractères morphologiques associés à l’outil sont très discutables comme nous l’avons vu et ce n’est pas
parce qu’une espèce actuelle utilise et/ou fabrique des outils que ses ancêtres en faisaient autant. On peut en revanche conclure sur un point sans
prendre trop de risques : il y a très peu de chances que ce soit un humain qui ait utilisé et fabriqué les premiers outils ! De nombreuses espèces
utilisent des outils, et ce dans des contextes variés : la préparation et l’extraction de nourriture, le transport de nourriture, sa capture, l’entretien
corporel, l’attraction d’un partenaire, certaines constructions de nids, l’affrontement, la défense contre les prédateurs, la protection (contre la pluie,
des épines), etc. L’outil est donc probablement apparu à plusieurs périodes au cours de l’évolution, sous différentes formes, dans diverses lignées,
associé à des contextes et à des capacités morphologiques et cognitives différents. En aucun cas l’utilisation d’outils n’est le propre de l’humain,
même si elle reste relativement rare dans le monde animal par rapport à d’autres comportements. Pourtant, les espèces qui utilisent des outils
semblent bénéficier d’un statut particulier, que ce soit auprès des chercheurs mais également du grand public. Chaque nouvelle découverte montrant
un nouvel animal utilisant un outil fait toujours l’objet de fascination. Il est probable que ces réactions soient toujours le fruit de notre obsession à
sans cesse vouloir chercher et trouver ce qui nous rapproche et ce qui nous sépare du reste du monde animal, avec toujours cette idée derrière la
tête qu’un animal qui utilise un outil est plus intelligent qu’un autre qui n’en n’utilise pas. Pourtant, la réalité est bien plus compliquée. Si certaines
espèces n’utilisent pas d’outils en milieu naturel, ce n’est pas par manque d’intelligence, mais souvent par souci d’efficacité. Par exemple, quel
intérêt d’utiliser un outil pour un amphibien qui peut utiliser sa langue pour attraper de la nourriture ? Quel intérêt pour un gorille d’utiliser un bâton
pour aller chercher des termites alors qu’il est plus efficace pour lui de les récupérer en secouant leurs nids ? À ce titre, les travaux expérimentaux
sont très instructifs. Ils montrent clairement que les espèces de primates et de corvidés qui n’utilisent pas d’outils ont un niveau de raisonnement
comparable, et peuvent résoudre les mêmes tâches 135 , voire parfois un niveau de raisonnement supérieur à celles qui en utilisent 136 . De plus, ce
n’est pas parce qu’une espèce n’utilise pas d’outils en milieu naturel qu’elle n’est pas capable de le faire. Je me souviens très bien de ce jour où
nous avons placé, dans l’enclos des gorilles du zoo de Beauval, de grands rondins de bois percés de trous étroits (de sorte que les gorilles ne
puissent y introduire leurs doigts) au fond desquels nous avions écrasé des figues (ils en raffolent). À peine les gorilles avaient-ils vu ces rondins
qu’ils effeuillaient les branches, les cassaient à une dimension adaptée à la profondeur des trous et récupéraient les fruits 137 . En aucun cas le fait que
certaines espèces n’utilisent pas d’outils dans leur milieu naturel ne signifie qu’elles ne sont pas capables de le faire. C’est tout l’intérêt des études
en captivité, complémentaires des études de terrain : montrer de quoi les espèces et les individus sont capables. Et le milieu naturel est là pour nous
rappeler l’essentiel : comment ils s’adaptent.
Ce qui est sûr, c’est que de très nombreuses espèces sont capables d’utiliser des outils, dans différents contextes, en utilisant diverses
techniques et différents organes 138 . Que l’on ait un bec, une trompe, des tentacules ou des mains n’y change rien. Que l’on soit dans l’eau ou sur la
terre ferme n’y change rien non plus. Que l’on ait un gros cerveau ou pas non plus. Que l’on ait 1 million de neurones ou plusieurs milliards non
plus. Que l’on possède un néocortex ou pas non plus. De très nombreuses espèces, à pattes, à ailes, à mains ou à nageoires s’y adonnent, avec ou
sans système nerveux central complexe. Il est donc fort probable que l’outil soit apparu à différentes périodes de l’évolution dans des lignées
animales très différentes : oiseaux, mammifères, poissons, céphalopodes, insectes, arachnides… Parmi les mammifères et chez les primates en
particulier, il est possible que l’outil soit apparu dans différents groupes à différentes périodes de l’évolution. Certains macaques (Asie du Sud-Est)
et capucins (Brésil) actuels utilisant des outils dans leur milieu naturel, il est tout à fait envisageable que leurs ancêtres vieux d’environ 40 millions
d’années en aient eu la capacité. Les études effectuées en milieu captif qui montrent que de nombreuses espèces sont capables d’en utiliser peuvent
également laisser penser que les premiers outils des primates datent des… lémuriens ! Quant à la fabrication d’outils en pierre, jusqu’ici observée
au moins chez les humains, un bonobo et un capucin, il ne serait pas étonnant de retrouver un jour, dans les fouilles archéologiques, des artefacts
datant de bien avant l’apparition des premiers humains. À moins que l’apparition des humains ne soit encore à revoir et à repousser davantage dans
le temps… Ce qui est sûr, c’est qu’à ce jour rien, absolument rien et encore moins le fait qu’elle soit en partie arboricole ou encore qu’elle ait une
main différente des humains actuels, ne peut nous empêcher de croire que Lucy utilisait et fabriquait des outils il y a plus de 3 millions d’années.
Cependant, il faut rester prudent car l’outil n’est peut-être pas si essentiel dans l’évolution de l’intelligence. En effet, il y a fort à parier que
l’on se focalise dessus d’une part parce que l’outil en pierre se retrouve dans les fouilles alors que d’autres comportements intelligents ne se
fossilisent pas. D’autre part, la fabrication d’outils en pierre semble clairement mettre en avant un comportement qui s’est extrêmement développé
dans la lignée humaine (Homo neandertalensis, Homo ergaster, Homo erectus), en particulier chez Homo sapiens qui va, entre autres, inventer
le propulseur, les « feuilles de laurier », les harpons, autant d’outils constituant même parfois de véritables œuvres d’art. Il semble ainsi qu’il y ait eu
une révolution technologique il y a environ 50 000 ans. L’espèce humaine s’avère alors prolifique en termes d’intelligence créative relative à l’outil
et certains font le lien avec l’évolution du cerveau ou la culture 139 . Cette dernière est ainsi considérée comme spécifique à l’humain, bien que des
recherches montrent que tradition et culture existent chez d’autres animaux 140 . Par ailleurs, cette focalisation sur l’outil pour évoquer l’intelligence
vient aussi probablement du fait que les primates semblaient les seuls à les utiliser dans des contextes très variés. Ce n’est pas le cas. L’utilisation
d’outils a été observée majoritairement chez les vertébrés. Or il ne faut pas oublier que les vertébrés (poissons, oiseaux, mammifères, squamates,
crocodiliens, chéloniens et lissamphibiens) ne représentent qu’environ 3,5 % du monde animal ! Parmi les vertébrés, certaines espèces n’ont peut-
être pas été assez observées, parfois par difficulté d’accès pour les approcher (vie très en hauteur de certaines espèces, vie nocturne pour d’autres,
etc.). De plus, les 85 % d’arthropodes (insectes, crustacés, myriapodes, arachnides) ne sont sans doute pas assez étudiés en ce sens (utilisation
d’outils), pour les mêmes raisons d’ailleurs. Sans compter le milieu aquatique, largement sous-étudié, en bonne partie pour des raisons de difficulté
d’accessibilité. L’avenir nous réserve donc des surprises. À l’inverse, se focaliser sur l’utilisation d’outils en termes d’évolution humaine peut
conduire à penser que les capacités intellectuelles des utilisateurs d’outils non humains sont surestimées. Pour éviter ces biais potentiels, nous
pouvons étudier les outils au sein de contextes plus larges comme la manipulation, les stratégies d’acquisition de nourriture ou encore les
comportements de construction comme la fabrication de nids ou de pièges. Par ailleurs, si la relation entre utilisation d’outils et intelligence plus
élevée reste à explorer, il n’en demeure pas moins que fabrication et utilisation d’outils sont loin de résumer à elles seules l’intelligence animale, celle
des humains inclus d’ailleurs. Chaque espèce est dans son propre monde et l’intelligence de chacune doit être analysée dans le contexte (milieu,
anatomie, vie sociale, etc.) de cette espèce.
L’étude du vivant et de sa diversité est sans appel : telle morphologie n’implique pas nécessairement tel comportement et un comportement
peut être accompli par d’innombrables morphologies différentes. Arrêtons de chercher à montrer notre spécificité, voire notre suprématie sur les
autres espèces. Car, à ce petit jeu-là, nous serons nécessairement perdants. De nombreux autres comportements que l’utilisation d’outils sont au
moins tout aussi passionnants et parfois plus complexes encore sur certains points. Ils vont nous conduire à nous interroger sur l’évolution de
l’intelligence en dehors des sentiers battus de l’outil et en dehors de cette pyramide hiérarchique mettant à l’honneur de manière systématique et,
pourtant, erronée la suprématie intellectuelle humaine.

Les animaux ingénieurs :


des bâtisseurs, des couturiers,
des géomètres… sans outils !
Pour achever de montrer qu’utiliser un outil peut témoigner d’une grande intelligence mais que l’on peut être intelligent sans utiliser des outils,
prenons quelques exemples de constructions animales toutes plus étonnantes les unes que les autres. Et, à ce petit jeu de construction, une espèce
est particulièrement intéressante : le castor . Cet animal est un véritable ingénieur dans sa fabrication des abris et des digues visant à retenir l’eau
des rivières, à créer des réservoirs d’eau profonds où il peut se mettre à l’abri des prédateurs, faire flotter sa nourriture et les matériaux de
construction qu’il utilise. Imaginez ce castor préparant et coupant sur le rivage des perches de longueurs déterminées et des arcs-boutants pour
ensuite disposer ces perches à l’horizontale sur sa digue qu’il renforce alors, contre le courant, avec les arcs-boutants. Ce même castor peut
également, pour mieux renforcer le dispositif, déposer une pierre à la base de l’arc-boutant. Chez les castors américains (Castor canadensis), la
digue, qui peut à tout moment être réparée, peut ainsi dépasser les 100 mètres de long. En 2010, un barrage de castors a été repéré sur des photos
satellites et le site Internet Google Earth. Situé au Canada, dans le parc national Wood Buffalo et dans une zone marécageuse, il s’agit du plus
grand barrage au monde. Sa dimension ? 850 mètres de long. Il semble que la construction de ce chef-d’œuvre ait commencé au plus tard dans les
années 1990 et qu’ainsi plusieurs générations de castors aient travaillé à sa construction !
Dans la série des constructions animales, l’abeille n’est pas en reste. En effet, cette dernière confectionne des rayons mais également des
cellules royales de cire extrêmement régulières. Or cette forme de prisme à base hexagonale équilatérale retenue par les abeilles pour construire les
alvéoles correspond à la configuration optimale du point de vue du rapport entre efficacité et économie. Les abeilles ajustent ainsi parfaitement,
avec divers matériaux, la taille des cellules pour l’élevage des larves par exemple. Outre les abeilles, les termites sont également connues pour leur
capacité à construire des termitières constituées de vastes réseaux de galeries souterraines. La conformation de ces véritables édifices est
étonnante, comme la résistance du matériau riche en minéraux et en matière organique. L’exposition au soleil de ces termitières est optimisée selon
un axe nord-sud et un système sophistiqué de ventilation des galeries permet le maintien d’une température constante à l’intérieur de la termitière.
La structure de ces imposantes termitières-cathédrales a même inspiré les architectes pour mettre au point un système de climatisation et s’inspirer
du fonctionnement naturel de cet écosystème pour construire des bâtiments qui consomment de 50 à 90 % moins d’énergie.
Restons dans le monde des insectes et évoquons la construction de nids de feuilles chez les fourmis oecophylles (Oecophylla longinoda).
Tout est bien organisé. Certaines fourmis, les tractrices, commencent à rapprocher les bords d’une feuille. Ensuite, une fileuse, tient dans ses
mandibules une larve, touche rapidement les bords et y colle un fil de soie issu de la larve. Toute attaque et donc toute détérioration du nid peuvent
être réparées. De plus, des techniques très variées sont utilisées pour fabriquer ce nid et les fourmis agissent avec une précision et une rapidité
extraordinaires.
Outre les castors, les abeilles et les fourmis, les oiseaux sont des bâtisseurs incroyables. Prenons quelques exemples, en commençant par la
fauvette couturière de Ceylan (Orthotomus sutorius) qui fait son nid en feuilles cousues. Autrement dit, elle perfore le bord des deux feuilles avec
son bec, les rapproche et passe à travers les trous une fibre végétale ou un fil de soie d’araignée confectionné en tordant des fils d’araignée…
D’autres oiseaux comme le ptilonorhynque d’Australie (Ptilonorynque violaceus) font leur nid avec des herbes nouées, confectionnant des nœuds
servant à relier entre elles les parties du nid et à le fixer solidement sur une branche. Le tissage atteint une qualité optimale avec le nid du malimbus
constitué d’un long tube formé d’une vannerie incroyablement régulière. Enfin, les républicains sociaux (Philetairus socius), oiseaux d’Afrique,
construisent une structure énorme pouvant peser jusqu’à 1 tonne et qui abrite une longue série de nids individuels. Une telle construction permet
aux oiseaux de se protéger des prédateurs et des fluctuations climatiques du désert du Kalahari.
Voilà quelques exemples, parmi des centaines d’autres 141 , de comportements de construction qui évoquent en de nombreux points leur
intelligence, entre autres par leur capacité à réparer les nids, à trouver des solutions diverses ou encore à choisir le bon emplacement. Pour
conclure ce chapitre sur l’utilisation d’outils, je ne peux m’empêcher de penser à cette femelle orang-outan du zoo de Beauval. C’est mon premier
jour d’observation des capacités de manipulation des orangs-outans. J’observe le groupe depuis 7 heures du matin. Et, régulièrement, mon oreille
gauche me chatouille. J’ai beau me retourner, je ne vois aucun insecte à l’horizon. À la cinquième fois je m’autorise une pause dans mes
observations et un petit bruit me donne un indice : une femelle orang-outan est discrètement cachée derrière une toile de jute dans le couloir
surplombant son enclos. Elle a saisi une longue paille dure qu’elle utilise pour me chatouiller de temps à autre ! Ce comportement deviendra un petit
jeu entre nous, pendant des mois d’observation. Inventer l’outil pour jouer ? Ne serait-ce pas là la plus belle hypothèse que nous pourrions
proposer pour les origines de l’outil ?
CHAPITRE 5

Comment être au bon endroit au bon moment ?

La navigation et la mémoire

1998. Me voilà quatorze ans après ma lecture du Singe, l’Afrique et l’Homme d’Yves Coppens 142 . Une année comme on ne les oublie pas.
Je vais voir pour la première fois des chimpanzés en forêt ivoirienne. Après une nuit quasi blanche passée dans la forêt chaude et humide de l’Ouest
ivoirien, je repars avec mon guide Willy à la recherche des chimpanzés sauvages. Ils ne sont pas habitués et je m’impatiente désespérément.
L’attente est longue, les marches épuisantes, à la hauteur de mon excitation. Peut-être vais-je voir mon premier chimpanzé sauvage. Plus j’avance
dans cette forêt hostile, plus je suis perdue et plus je me rends compte à quel point je ne suis pas adaptée aux lieux. Les bruits, les odeurs, la
luminosité, les couleurs… Tout est différent. Il me manque presque tout pour les comprendre, les assimiler. Mes sens sont en effervescence, je
surréagis à tout. Et mon corps souffre. Il fait chaud et humide. Bien que très sportive à l’époque, j’ai du mal à respirer. Et mon cerveau est perdu.
J’ai confiance en Willy et je le suis avec plus d’espoir que jamais. Le grand moment arrive. Willy s’arrête, me fait signe avec ses mains pour me dire
« stop » et « silence ». Il est là. C’est un grand mâle. Mes rêves d’enfant prennent alors tout leur sens. Sans cette expérience en milieu naturel,
impossible de comprendre Lucy, sa famille, notre famille et son évolution ou même le comportement des animaux ! J’observe ce chimpanzé évoluer
dans la forêt. Je comprends à quel point la forêt est une autre planète avec ses propres contraintes. Je ne peux pas me comparer à ce chimpanzé
tant nos milieux de vie sont différents.
Nous allons le suivre, en marchant vite, en courant souvent pour ne pas le perdre. Par curiosité et au cours des différentes fractions de
seconde de repos qui s’offrent parfois à nous, je regarde ma boussole. Elle est formelle : Lucien prend la direction globale du nord, le tout en
zigzaguant autour des nombreux obstacles imposés par la forêt dense. Quels repères utilise-t-il ? Les arbres ? Le sol ? Les sons ? A-t-il une sorte
de cartographie de son domaine vital143 dans la tête, dont il connaît les repères et se souvient ? Savait-il dès le départ où il voulait aller ? Et si oui,
comment fait-il pour tout mémoriser, malgré les modifications régulières et saisonnières de son milieu ? Avant de nous semer définitivement, je
mesure désormais à quel point le milieu de vie et ses contraintes sont fondamentaux pour comprendre le présent comme le passé. Les capacités
dont ce chimpanzé a fait preuve pour naviguer dans son espace, et par exemple trouver de la nourriture, sont indéniablement une adaptation
majeure pour sa survie.
Ce chimpanzé est logé à la même enseigne que de très nombreux animaux, invertébrés comme vertébrés : chaque jour il doit se déplacer
pour se nourrir, trouver des lieux pour se reposer et dormir, chercher des partenaires sexuels, fuir des prédateurs, défendre son territoire, etc.
Autant de déplacements, de quelques centimètres pour certaines espèces à de très grandes distances pour d’autres, qui nécessitent l’élaboration de
trajets et qui dépendent directement des capacités de l’animal à maîtriser les relations entre sa position dans l’espace et la position du ou des lieux
vers lesquels il se dirige. Ces capacités à se représenter l’espace, à planifier des trajets et à les mémoriser sont fondamentales à la survie de bon
nombre d’espèces. Et que vous soyez une abeille, un oiseau, une baleine ou un éléphant, le problème est le même : il vous faut trouver le bon
endroit au bon moment et savoir y revenir. Autrement dit, il vous faut maîtriser un processus vital de la vie quotidienne : la navigation spatiale. Vous
devez planifier et identifier un déplacement d’un point à un autre, savoir le maintenir et l’exécuter vers un but précis. Nous entrons là dans l’une des
thématiques les plus fascinantes des mécanismes comportementaux. Voici quelques exemples, qui ne sauraient être exhaustifs encore une fois, de la
manière dont les animaux mémorisent l’espace et naviguent, pour leur survie.

Si vous êtes perdu en forêt,


suivez un chimpanzé !
Entendons-nous bien : un chimpanzé ne vous emmènera pas nécessairement où vous le souhaitez ! En revanche, ce qui est sûr, c’est que lui
n’est pas perdu. Alors comment fait-il malgré cette densité végétale et toute la complexité spatiale, tant horizontale que verticale, de la forêt ?
Depuis quelques années, avec l’avènement de technologies de pointe comme le GPS qui fonctionne désormais en forêt tropicale, des réponses sont
apportées et elles sont on ne peut plus surprenantes. Les mâles orangs-outans par exemple planifient leurs déplacements un jour à l’avance et
communiquent leurs itinéraires à d’autres individus, les femelles en particulier 144 . Il semble également que les chimpanzés gardent en mémoire une
carte mentale géométrique de leur domaine vital, se déplaçant d’une ressource à l’autre presque en ligne droite. C’est le cas des chimpanzés du
parc national de Taï en Côte d’Ivoire. Dans cette forêt tropicale dense, les ressources potentielles des chimpanzés sont abondantes et réparties sur
un territoire de 25 km². La visibilité est environ de 30 mètres. Or un chimpanzé seul peut visiter chaque jour précisément 15 des 12 000 arbres
présents dans son domaine vital, avant de se coucher dans un nid, souvent différent 145 . Les chimpanzés, sortes de nomades comme le mentionne
Christophe Boesch, coauteur de l’étude, savent précisément où ils vont et connaissent la distance qu’ils vont parcourir. Ils préfèrent également
retourner à une ressource alimentaire convoitée en utilisant différentes directions plutôt qu’en employant à plusieurs reprises les mêmes trajets. De
plus, la direction initiale prise pour rejoindre cette source de nourriture correspond exactement à la direction générale nécessaire pour accéder à
cette ressource.
Ce point suggère que les chimpanzés ne naviguent pas à l’aide de points de repère topologiques situés progressivement sur le parcours pour
atteindre leur destination. Au contraire, ils savent dès le départ où ils se rendent et ont développé un mécanisme de navigation précis, connu pour
être le plus efficace : une représentation de l’espace qui permet à l’individu de calculer la distance à parcourir et la direction à prendre à partir de
n’importe quel emplacement vers n’importe quel lieu. Ce mécanisme, nommé carte cognitive, mentale ou vectorielle et décrit pour la première fois
chez les rats et les humains 146 , est basé sur une représentation euclidienne de l’espace – géométrique pour simplifier. Il est très différent et bien plus
complexe que la carte topologique qui implique l’utilisation de points de repère tout au long du trajet, mais en aucun cas un calcul des distances et
des directions. Au contraire, la carte euclidienne permet des itinéraires complexes et notamment la prise de raccourcis. Ce mécanisme est
extrêmement adapté et efficace pour connaître et localiser précisément les milliers de ressources du milieu. En allant d’un arbre fruitier à un autre,
les chimpanzés ont ainsi tendance à se déplacer en ligne droite, ralentissant uniquement lorsqu’ils s’approchent de leur destination. Ce qui est
également frappant, c’est qu’ils visitent les arbres situés à un angle qui dépend de leur propre emplacement. Pour se déplacer, les chimpanzés
tiennent compte non seulement de points de repère comme des arbres spécifiques ou des cours d’eau, mais également de leur propre position. Ces
capacités leur permettent donc d’augmenter leur efficacité en sélectionnant les ressources les plus productives et en planifiant à l’avance le parcours
le plus court et le plus sûr (évitement des congénères avec lesquels ils sont en conflit).
Il est donc clair que les chimpanzés sont d’excellents navigateurs. Ils ont parfaitement adapté leur stratégie spatiale qui est directement
dépendante de leur milieu. Ce sont de brillants planificateurs de leurs itinéraires, faisant même appel à une mémoire à long terme impliquant entre
autres la mémorisation des emplacements des sources de nourriture les plus intéressantes selon la saison. Les chimpanzés de Côte d’Ivoire peuvent
mémoriser pendant des mois, voire des années, l’emplacement des arbres les plus riches en fruits de leur habitat. Ils optimisent ainsi leur récolte de
fruits en fonction de l’emplacement, de la taille et de la période de fructification des arbres 147 .

Mémoire de chimpanzés contre mémoire d’étudiants


Les travaux en milieu naturel sont essentiels pour mettre en évidence les capacités extraordinaires des chimpanzés à mémoriser les
emplacements les plus intéressants malgré la difficulté que représente la densité de leur milieu, la saisonnalité des ressources ou la pression des
congénères. Mais une expérience conduite en contexte expérimental est tout aussi enrichissante et complémentaire. L’expérience a lieu au Japon,
dans le laboratoire des chercheurs Inoue et Matsuzawa 148 . La question qu’ils se posent ? Les jeunes chimpanzés (environ 5 ans) peuvent-ils battre
les étudiants universitaires sur un test de mémoire spatiale ? Le test est le suivant. Tout d’abord, les expérimentateurs apprennent aux chimpanzés à
compter. Ensuite, chaque chimpanzé et chaque étudiant est placé, séparément, devant un écran où s’affichent des chiffres de 1 à 9 dans un ordre et
un emplacement aléatoires sur l’écran. Chaque joueur clique alors sur les nombres les uns après les autres, dans le bon ordre. Puis l’expérience se
complique. Les nombres s’affichent, toujours dans un ordre et emplacement aléatoires sur l’écran, mais cette fois-ci ils ne restent visibles qu’une
fraction de seconde. Dès que le chimpanzé appuie sur le chiffre 1, ils sont recouverts par un rectangle blanc (figure 10). Les joueurs n’ont eu qu’un
tout petit moment pour mémoriser les nombres, leur ordre et leur emplacement et doivent maintenant cliquer sur les rectangles blancs et dans le bon
ordre évidemment s’ils veulent gagner. Le résultat est sans appel.

Figure 10. À gauche : présentation des chiffres. À droite : masquage des chiffres par les carrés blancs dès que le chimpanzé appuie sur le chiffre 1. Le sujet doit
ensuite cliquer sur les rectangles dans le bon ordre pour gagner une récompense ! (https://www.youtube.com.)

Les chimpanzés sont beaucoup plus précis et performants que les étudiants pour se souvenir de l’ordre et de la position des chiffres sur
l’écran. En visualisant certaines séquences disponibles sur Internet, vous verrez que vous avez à peine le temps de distinguer tous les chiffres avant
qu’ils ne soient recouverts par les carrés blancs ! Autrement dit, les capacités des chimpanzés restent intactes quand le stimulus (les chiffres) est
présenté pendant des durées si rapides que les yeux n’ont aucune chance de balayer l’écran dans sa totalité. Comment font-ils ? Il semble que les
chimpanzés possèdent dès leur jeune âge (rappelons qu’ils sont âgés de 5 ans dans cette étude) des capacités de mémoire visuelle très
développées et spécifiques, agissant comme une sorte de mémoire photographique. Cette capacité leur permet sans doute, dans la nature, de
mémoriser et de trouver les lieux où se trouvent les meilleurs fruits et les meilleurs itinéraires pour y parvenir. Cela ne signifie pas pour autant que les
étudiants japonais n’ont pas une bonne mémoire spatiale ou qu’ils sont moins intelligents ; non, cela signifie que leur stratégie est différente et
adaptée à la mémoire dont ils ont besoin au quotidien, qui diffère très sensiblement de celle nécessaire aux chimpanzés. Et les étudiants japonais qui
se sont essayés à cette expérience sont également imprégnés de tout le vécu évolutif du cerveau humain qui a développé certaines structures (pour
le langage par exemple) au détriment d’autres (la mémoire spatiale visiblement) 149 .
Encore une fois, nous voici confrontés au lien entre intelligence (la mémoire spatiale ici), milieu (les sources de nourriture dispersées) et
adaptation (le cerveau qui évolue en lien avec ce milieu). Et, encore une fois, nous pourrions être tentés de dire qu’un grand singe, proche des
humains, en l’occurrence le chimpanzé, fait preuve de capacités uniques. Il n’en est rien. Tout d’abord parce que d’autres primates (orangs-outans,
babouins, capucins…) possèdent des capacités d’orientation spatiale et de mémorisation très développées et ensuite parce que c’est l’ensemble du
monde animal et de ses adaptations qui laisse entrevoir d’incroyables surprises. La suite ne saurait être exhaustive, mais laissons-nous tenter par
quelques exemples.

Des oiseaux et des milliers de cachettes


Commençons par ces petits oiseaux paridés (mésanges), corvidés (geais, corneilles, casse-noix) et autres sittidés (sittelles), qui sont capables
de cacher leur nourriture dans des centaines, voire des milliers de cachettes situées dans des lieux séparés et dispersés à travers leur territoire. Ils
accomplissent ainsi des exploits en termes de mémorisation et de planification de l’avenir 150 . D’autant plus qu’ils sont capables de retrouver leurs
cachettes plusieurs heures, plusieurs jours, voire plusieurs mois plus tard 151 . Ce type de stockage de nourriture est particulièrement intéressant, car
il fait clairement intervenir les notions de temps, d’espace et de mémoire. En Amérique, le casse-noix de Clark (Nucifraga columbiana) cache
ainsi 4 à 5 graines dans près de 10 000 cachettes (sol, trous, rochers, écorce, souches...) pour faire ses réserves à plus de 2 000 mètres d’altitude
en automne. Il se déplace ensuite à des altitudes inférieures pour l’hiver, où il trouve de la nourriture disponible. Il retrouve et récupère ses
provisions au printemps, plus de six mois après, parfois même sous la neige 152 ! Cette dispersion et cette récupération des aliments stockés dans
des cachettes s’effectuent donc dans le temps et dans l’espace : ces oiseaux doivent être au bon endroit au bon moment. Pour encore mieux
appréhender leur incroyable capacité, il suffit d’imaginer qu’un individu à lui tout seul stocke jusqu’à environ 40 000 graines par an dans 10 000
cachettes et que, pour survivre, il va devoir en retrouver environ 3 000… Ces oiseaux doivent donc se souvenir de l’emplacement exact où les
graines se trouvent, malgré leur grand nombre, leur dispersion et leur disparition pour certaines (des rongeurs peuvent les trouver avant eux), et ce
après que six mois environ se sont écoulés 153 ! Mais comment font-ils ?
Il semble que l’hippocampe, cette région du cerveau impliquée dans la mémorisation et la navigation spatiale, joue un rôle fondamental dans
la localisation, le codage spatial des cachettes et la mise en place du souvenir des cachettes. En effet, les oiseaux qui stockent leur nourriture ont de
plus grands hippocampes que ceux qui ne stockent pas 154 . Il est d’ailleurs fascinant de constater qu’il existe un pic dans le recrutement de
nouveaux neurones dans l’hippocampe avant que les oiseaux n’aient terminé le stockage de nourriture et la récupération des cachettes de
l’année 155 . Cela fait penser aux chauffeurs de taxi londoniens qui bénéficient d’un élargissement différentiel de leur hippocampe en fonction de la
durée de leur activité 156 ! Mais, attention, tout n’est pas si simple, car l’hippocampe des oiseaux qui ne stockent habituellement pas leur nourriture
peut également s’agrandir s’ils commencent à stocker ou à réaliser des tâches nécessitant une mémorisation spatiale. Autrement dit,
l’agrandissement potentiel de l’hippocampe n’est pas l’apanage des oiseaux stockeurs qui n’ont pas non plus nécessairement une mémoire spatiale
supérieure aux non-stockeurs. Quoi qu’il en soit, l’hippocampe joue un rôle important chez les oiseaux qui stockent leur nourriture, même si,
comme très souvent en science, il existe des exceptions (certains oiseaux stockeurs n’ont pas de large hippocampe et utilisent probablement
d’autres substrats neuronaux).
Tous ces oiseaux stockeurs doivent mémoriser les emplacements de nourriture, mais pas seulement. Il leur faut aussi les retrouver. Pour ce
faire, ils s’appuient sur des points de repère visuels situés près des cachettes et non sur les caractéristiques locales de la cachette en elle-même qui
peuvent changer au fil du temps (intempéries, passage d’animaux, etc.). Parfois, ces oiseaux utilisent des points de repère en association avec le
soleil comme boussole pour orienter leurs recherches 157 . Pour simplifier, ces oiseaux utiliseraient une carte (les points de repère), qui est une
représentation à deux coordonnées, pour se repérer dans l’espace, et une boussole solaire pour se déplacer en milieu non familier et suivre un cap
pour se diriger vers l’objectif à atteindre. Évidemment, bien d’autres procédés d’orientation et de navigation existent chez les oiseaux (olfaction
magnétisme…), sinon comment feraient-ils de nuit ou par temps couvert ? Incontestablement, les oiseaux qui stockent leur nourriture ont de quoi
exercer leur mémoire.

Les éléphants n’oublient-ils jamais alors que les poissons rouges toujours ?
La mémoire des éléphants est légendaire, tout autant que celle des poissons rouges ! Les éléphants sont considérés comme ayant une
mémoire exceptionnelle, cependant que les poissons rouges sont souvent médiatisés comme ayant une mémoire n’excédant pas cinq secondes. Qui
dit vrai, qui dit faux ?
Commençons par les éléphants de la savane d’Afrique (Loxodonta africanus). Ces grands mammifères consomment énormément de
fourrage et doivent de ce fait se déplacer constamment, suivant des trajets influencés par les pluies et les barrières géographiques. Sur cinq mois de
déplacements, les éléphants du désert de Namibie peuvent ainsi parcourir plus de 600 kilomètres. Pendant la saison sèche, ils visitent environ tous
les quatre jours des sources en eau qui peuvent être éloignées de plus de 60 kilomètres les unes des autres 158 . Le domaine vital des éléphants est
donc immense et, pour trouver les ressources dont ils ont besoin pour survivre, ils repèrent et mémorisent les lieux stratégiques grâce à leur
mémoire spatio-temporelle et pas uniquement leurs excellentes capacités olfactives 159 . Un fait passionnant a été étudié en cas de sécheresse sévère.
De telles circonstances peuvent s’avérer dramatiques pour la survie des éléphanteaux et même des adultes du groupe. Une solution est alors de
sortir du parc touché par la sécheresse afin de tenter de trouver, à l’extérieur, les ressources indispensables à la survie des petits et de l’ensemble
du groupe. Encore faut-il bénéficier d’excellentes capacités de navigation spatiale et de mémorisation de ces lieux visités par le passé pour trouver
les ressources à temps. Qui prend alors les choses en main dans le groupe ? Les matriarches ! Autrement dit, seuls les clans régis par des femelles
âgées (35 ans) et bénéficiant de l’expérience nécessaire sont capables de faire sortir leur groupe de leur parc en cas de sécheresse sévère pour
trouver de nouvelles ressources 160 . Se souvenir du bon endroit où aller, qui plus est au bon moment, n’est pas à la portée de tous les éléphants,
mais seulement des femelles expérimentées. Quoi qu’il en soit, cette « mémoire d’éléphant », et notamment cette mémoire topographique également
flagrante chez les éléphants d’Asie (Elephas maximus), leur permet de survivre aux innombrables persécutions dont ils font l’objet depuis si
longtemps. Ganesh, le dieu éléphant dans l’hindouisme, n’est pas le dieu de la sagesse et de l’intelligence par hasard ! Outre leur mémoire spatiale,
les éléphants bénéficient également d’une mémoire olfactive, visuelle et vocale qui leur permet de classer et de détecter leurs ennemis potentiels
(humains, tigres, lions). Ils peuvent même reconnaître un ennemi potentiel ou encore le sexe, l’âge ou la provenance ethnique d’une personne à sa
voix 161 – et reconnaître une centaine de voix différentes.
Évidemment, face au large territoire des éléphants et à ces longs périples, le bocal d’un poisson rouge fait grise mine. D’autant que les
poissons sont les animaux les plus consommés en termes de nombre (pêche, aquaculture intensive), représentent l’animal de compagnie le plus
commun et sont les animaux les plus utilisés, après les souris, dans les recherches scientifiques. Il existe ainsi un énorme fossé entre la perception
que les gens ont de l’intelligence des poissons et la réalité scientifique 162 . Quoi qu’il en soit, les poissons sont en fait bien plus intelligents qu’on ne le
pense. Outre de nombreux comportements sophistiqués dont ils font parfois preuve (traditions, coopération, utilisation d’outils, etc.), un exemple va
complètement à l’encontre de cette croyance et concerne la mémoire. En effet, en termes de mémoire spatiale et de navigation, les poissons ne sont
pas en reste et leur utilisation d’indices géométriques est très similaire à celle des oiseaux et des rats.
Un exemple classique concerne les gobies (famille des gobiidés) que l’on trouve dans les mares, près des rochers. Ces petits poissons, que
l’on trouve d’ailleurs souvent dans les aquariums des enfants, savent retourner à leur nid même après avoir été déplacés à plus de 30 mètres 163 . Or
30 mètres pour un gobie correspondent environ à 500 mètres, voire 1,5 kilomètre pour un humain… De plus, quand ils sont dérangés, ces gobies
peuvent sauter dans des mares entre les rochers voisins et toujours se souvenir, quarante jours après, de l’emplacement des bassins avoisinants afin
de retrouver leur nid. Or quarante jours pour un gobie représentent entre un et dix ans pour un humain 164 … Les gobies utilisent ainsi probablement
des cartes cognitives qu’ils élaborent pendant la marée haute lorsqu’ils sont libres de se déplacer autour et au-dessus des rochers. Comme les
chimpanzés, et comme de très nombreuses autres espèces qui possèdent des représentations mentales sophistiquées de l’espace et de grandes
capacités de navigation, les poissons (dont les gobies) possèdent une remarquable mémoire à long terme 165 .
Un autre exemple concerne le poisson arc-en-ciel (Melanotaenia duboulayi), à qui il faut uniquement cinq trajets en captivité pour repérer
l’emplacement du chemin d’évasion de son filet. Testez-le presque une année plus tard et il se souviendra parfaitement de sa stratégie d’évasion 166 .
Cette mémoire est d’autant plus remarquable que ce poisson ne vit que deux années dans son milieu naturel. Et, pour finir, tordons le cou au mythe
des trois secondes de mémoire du poisson rouge (Carassius auratus). En fait, il s’agirait plutôt de trois mois et ces mêmes poissons seraient tout à
fait capables de reconnaître d’autres poissons et de mémoriser quels individus sont les meilleurs compétiteurs 167 . D’une certaine manière, ils
pourraient même déterminer l’heure ! Imaginez ce petit poisson rouge entraîné à pousser un levier pour obtenir de la nourriture. Or ce levier est
préparé pour ne fonctionner qu’une seule heure par jour. Eh bien, les petits poissons rouges apprennent à actionner le levier uniquement au bon
moment et se regroupent même autour du levier lorsque l’heure approche, comme s’ils se souvenaient qu’il était presque midi…

Rentrer chez soi : si compliqué parfois !


Rentrer chez soi : quoi de plus naturel comme comportement ? Et pourtant ce n’est pas toujours si simple. Prenons le cas du petit rongeur qui
doit chercher sa nourriture au milieu des prédateurs avant de retourner à son terrier. Sans même parler de prédateurs, pour rentrer chez soi, il faut
être capable de retrouver sa maison, son nid, son terrier, quelle que soit la distance parcourue dans la journée et souvent au travers de territoires
peu familiers, voire parfois inconnus. Des exemples typiques, et impressionnants, de ces « retours chez soi » (homing) concernent les espèces qui
mettent en place des approvisionnements centralisés (central place foragers). Ces animaux se déplacent pour chercher leur nourriture, s’éloignent
de leur site principal de vie (lieu de repos, nid…) et ensuite ils rentrent. Rien d’extraordinaire me direz-vous, sauf que la recherche de nourriture se
fait parfois sur des centaines de kilomètres…
Voyez par exemple l’albatros hurleur ou grand albatros (Diomedea exulans), le plus grand et le plus lourd des albatros. Dans les terres
australes et antarctiques françaises, il quitte son nid pour chercher sa nourriture en volant sur des centaines, voire des milliers de kilomètres ! Après
s’être nourri de calmars, de poissons, de crustacés, de mollusques, de charognes ou de déchets, il rentre sur sa petite île au milieu de l’océan Indien
avec une précision infaillible et déconcertante 168 ! Outre l’océan, les déserts sont également des lieux où certaines espèces parcourent des trajets
invraisemblables. Ainsi, les fourmis du désert errent parfois à plus de 600 mètres de leur nid, utilisant probablement un système de navigation
extrêmement fiable. Fait incroyable compte tenu de la tâche déjà bien complexe, lorsqu’une fourmi trouve quelque chose de comestible comme un
insecte mort, elle le transporte tout droit au nid pour alimenter les larves ! Les abeilles peuvent, quant à elles, se repérer dans un rayon de
10 kilomètres et ainsi voler très loin de leur ruche avant d’y retourner 169 . Avec cent mille fois moins de neurones qu’un cerveau humain, leur
traitement cognitif de leur environnement visuel est donc très élaboré. Elles peuvent mémoriser les caractéristiques des sources de nourriture visitées
comme l’emplacement des fleurs, leur production selon l’heure de la journée, leur concentration en sucre, etc. Ces capacités des abeilles sont sans
doute à mettre en relation avec leur aptitude à classer par catégorie ou même à compter jusqu’à 4 ou encore à posséder une carte mentale et
maîtriser des concepts comme utiliser des relations abstraites liant les objets (nombre, configuration spatiale, etc.) 170 .
Comment font ces animaux ? Si bien des mystères demeurent, de nombreuses théories sont avancées. Les chercheurs qui travaillent sur la
navigation animale s’accordent globalement pour dire que la navigation « à l’estime » est fondamentale pour la navigation animale, qu’il s’agisse de
mollusques, d’insectes ou d’humains. La terminologie de ce mode de navigation est empruntée à la navigation humaine. Elle fait référence à la
méthode utilisée par les marins pour naviguer en haute mer. On parle désormais plus fréquemment d’intégration du chemin. Dans les deux cas, cette
méthode implique la capacité de partir d’un point fixe, de visiter plusieurs sites et de retourner ensuite directement au point de départ. Chez les
humains, cette méthode repose traditionnellement sur l’utilisation d’instruments mesurant le cap (direction, orientation), la vitesse, le temps ainsi que
sur l’estimation ou le calcul de l’influence éventuelle de l’environnement (vent, courants, topographie) sur sa propre trajectoire. Il faut donc au
moins un compas ou une boussole, un loch pour estimer la vitesse (ou tachymètre…), un chronomètre et une excellente connaissance du milieu.
Autrement dit, il faut maîtriser le temps et l’espace et, dans ce but, les humains s’aident le plus souvent de la technologie. Malgré cela, cette
méthode est incertaine et, si le navigateur est perdu, il risque de ne pas s’en rendre compte. D’où l’utilisation aujourd’hui de méthodes plus
précises, mais moins audacieuses, comme le GPS.
Les insectes et autres chimpanzés procèdent autrement, mais comment ? Reprenons l’exemple de notre fourmi du désert du Sahara
(Cataglyphis fortis) qui illustre très bien le propos et qui a été étudiée pendant plus de vingt ans 171 . Cette fourmi solitaire se nourrit de cadavres
d’insectes et d’arthropodes ayant succombé au stress du désert. Imaginez cette fourmi quittant sa fourmilière en plein désert pour chercher de la
nourriture. Une fois celle-ci trouvée, le dilemme se pose : il lui faut pouvoir rentrer dans son nid. Si de nombreuses fourmis s’aident d’indices de
leur environnement (à gauche après la brindille puis à droite après le caillou) pendant que d’autres laissent derrière elles des signaux odorants, cette
fourmi du Sahara procède autrement. Tout d’abord, elle utilise le soleil pour s’orienter, et elle n’est pas la seule à procéder ainsi. Mais elle
mémorise aussi la distance qu’elle a parcourue. Comment ? Une expérience le montre très bien. Laissez la fourmi effectuer le trajet aller vers sa
nourriture. Ensuite, fixez-lui des petites « échasses » au bout des pattes et laissez-la repartir vers la fourmilière. Elle prend alors la bonne direction
mais elle va au-delà de la fourmilière ! Pourquoi ? Parce que ses pas sont plus grands avec les échasses 172 … Autrement dit, cette fourmi s’est
basée sur le nombre de pas qu’elle a effectués à son retour précédent au nid. Si, ensuite, vous lui retirez les échasses, elle se base sur le nombre de
pas effectués au dernier trajet (avec les échasses) et, du coup, elle arrive avant le nid. Elle aurait ainsi dans le système nerveux une sorte de
podomètre qui mesurerait et mémoriserait le nombre de pas effectués et qui remettrait le compteur à zéro à chaque retour à la fourmilière.
Et cette fourmi a d’autres cordes à son arc, car le trajet retour et donc le nombre de pas effectués dépendent aussi de l’endroit où elle a
trouvé sa nourriture. Imaginez cette même fourmi qui repart chercher sa nourriture. Pour cela, elle va zigzaguer sur environ 600 mètres. Une fois la
nourriture trouvée et attrapée, elle rentre au nid, en utilisant une ligne droite de 150 mètres ! Cette navigation à l’estime dépend d’informations
acquises à partir du mouvement qu’elle effectue elle-même pendant son voyage. Mais comment fait-elle pour calculer continuellement le vecteur
indiquant son nid ? Chez les vertébrés comme les rats, ce mode de navigation semble être influencé par les changements qui ont lieu dans le
système vestibulaire (organe sensoriel situé dans l’oreille interne) 173 , mais chez les arthropodes ? Il n’existe actuellement pas de consensus sur les
mécanismes qu’ils utilisent pour estimer les distances parcourues dans une direction donnée. Une hypothèse suggère que les fourmis pourraient
mesurer la distance parcourue grâce à l’orientation proprioceptive (ou idiothétique), sachant que la proprioception, ou sensibilité profonde, désigne
la perception de la position des différentes parties de son corps. Ainsi, ces fourmis utiliseraient des indices produits par leur propre organisme et les
cumuleraient à la position de leur corps pour s’orienter. Autrement dit, elles pourraient utiliser des repères visuels issus de leur environnement
(position du soleil, des indices pris le long du chemin) et leur choix d’orientation dépendrait de la géométrie des carrefours entre les chemins.
L’angle exact de ces bifurcations pourrait ainsi modifier le choix de la route prise dans un réseau de galeries…
Les fourmis seraient donc capables de cumuler ces indices avec des informations proprioceptives en comptant leurs pas ou le nombre de
rotations effectuées par leur corps. Un tel système aurait pu émerger en lien direct avec le milieu de vie : prendre des repères visuels dans le désert
est quasi impossible et les odeurs sont rapidement masquées à cause des températures élevées en journée. Et, dans un tel contexte de vie, ce qui
est sans doute le plus fascinant chez les fourmis, c’est leur capacité à choisir systématiquement le chemin optimal, même dans les chemins les plus
difficiles. Encore une adaptation spécifique qui laisse peu de place aux comparaisons avec d’autres espèces… Quoi qu’il en soit, le fonctionnement
exact de ces mécanismes de navigation chez la fourmi reste à élucider et d’autres réponses sont à trouver chez cette espèce mais aussi chez bien
d’autres encore. Il semble par exemple que certaines araignées d’Amérique du Sud (Cupiennius salei) soient également capables d’évaluer la
distance de leur trajet sur la base d’indices proprioceptifs 174 . Ce qui est sûr, c’est que des cerveaux miniatures peuvent résoudre des tâches bien
complexes…
Pour en savoir davantage sur la complexité de la navigation, attardons-nous sur l’un des exemples les plus impressionnants de ces retours
chez soi. Il concerne une espèce d’oiseau, déjà utilisé il y a plus de 3 000 ans pour proclamer le vainqueur des jeux Olympiques, puis largement
par l’armée, entre autres : les pigeons voyageurs (Columba livia). Si leur capacité à toujours retrouver le chemin de leur pigeonnier fascine depuis
des milliers d’années, c’est à Charles Darwin que l’on doit l’une des premières théories explicatives de leur comportement. Pour lui, ces oiseaux se
souviennent des courbes et virages du voyage aller. Mais cette théorie ne tient plus, imaginez plutôt.
Vous transférez les pigeons dans un lieu inconnu dans des compartiments obscurs. Vous les placez au sein de conteneurs en passant par des
routes sinueuses. Comme si cela ne suffisait pas, vous anesthésiez certains pigeons. À l’arrivée, vous les relâchez. Que se passe-t-il ? Eh bien les
pigeons rentrent tout droit au colombier. Comment procèdent-ils ? Mystère, et les théories s’enchaînent… Selon les uns, les pigeons se guideraient
d’après des repères terrestres. Dans les années 1970, des expérimentateurs leur posent donc des lentilles en verre dépoli sur les yeux pour les
aveugler temporairement. Résultat : bien que se heurtant à certains obstacles en fin de parcours, ils retrouvent tout de même le chemin du
colombier. Plus récemment, la théorie de la navigation solaire a proposé que les pigeons s’orientent d’après la position du soleil. Problème : les
pigeons peuvent rentrer au colombier par temps couvert comme de nuit. Seraient-ce alors les capacités olfactives des pigeons qui les aident à sentir
leur colombier à des milliers de kilomètres de distance ? Non, car si leur odorat les guide, il ne suffit certainement pas à expliquer leur capacité à
s’orienter dans des lieux complètement inconnus. Autre hypothèse : le magnétisme, sorte de boussole biologique. Sauf que, si la boussole indique la
direction du nord, elle n’indique certainement pas le trajet pour rentrer à la maison. Ou alors il faudrait que cette boussole donne la latitude, détecte
les variations de l’intensité du champ magnétique terrestre et l’inclinaison de ce champ qui dépend de la latitude. Et encore, car il faudrait également
que la boussole indique la longitude. En somme, il faudrait un GPS ! Car les pigeons savent s’orienter où qu’ils soient et où qu’ils aillent. De plus,
en disposant sur leur corps des aimants visant à brouiller leur sens magnétique potentiel, ils retrouvent toujours leur pigeonnier. Le magnétisme ne
suffit donc pas.
Finalement, la théorie la plus largement acceptée pour expliquer cette navigation orientée vers un but dans des territoires inconnus est celle de
la carte associée à la boussole. Elle implique tout d’abord un mécanisme de détermination de la position (carte), puis un mécanisme de calcul d’une
direction vers un but (boussole). Cette direction peut être mise à jour, permettant la correction de la trajectoire du vol et des détours. Le
mécanisme de compas utilisé pour maintenir la trajectoire vers une cible inclut des indices célestes (azimut du soleil, constellations stellaires),
géophysiques et visuels (topographie).
Jusqu’ici, la plupart des recherches ont tenté de clarifier la nature des mécanismes de boussole 175 , tandis que les travaux sur le mécanisme de
carte restaient très controversés (olfaction, magnétisme, indices géophysiques) 176 . De même, nous ne savons toujours pas si la détermination de la
position via la fameuse carte est cognitive ou pas. Autrement dit, cette carte implique-t-elle une représentation mentale des relations spatiales entre
les objets ? Toutefois, une équipe de chercheurs suisses est peut-être en passe de lever le mystère 177 . Leur question ? Les pigeons savent-ils
vraiment où ils sont et possèdent-ils une série de coordonnées spatiales mentales leur permettant de choisir différents trajets ? Leur objectif ? Tester
si les pigeons voyageurs utilisent une carte mentale dans laquelle leur propre position (dans un site qui leur est inconnu), le colombier et un grenier
alimentaire sont représentés simultanément. Leur expérimentation ? Comparer les choix de direction et les trajets empruntés (sur près de
30 kilomètres) par des pigeons affamés pour les uns et rassasiés pour les autres. Leurs résultats ? Les pigeons affamés choisissent le grenier
alimentaire comme cible de vol tandis que les pigeons rassasiés choisissent le colombier comme objectif de vol. L’analyse précise des trajectoires
montre que certains pigeons naviguent très précisément dans la bonne direction pendant que d’autres corrigent leur trajectoire de vol lorsque des
détours leur sont imposés par la topographie. Leurs conclusions ? Les pigeons connaissent clairement leur position géographique par rapport aux
sites visés. Ils s’orientent selon une stratégie de carte et boussole en choisissant une direction de vol en lien direct avec leur motivation. Ils sont
donc capables de mémoriser les emplacements des différents sites à atteindre et d’établir une relation spatiale entre ces sites et leur position dans
un territoire inconnu, ce qui est l’essence d’une carte cognitive de navigation. Alors, mystère levé ou pas ? Oui et non, car ces résultats ne nous
disent pas comment ils font. Davantage d’études seront nécessaires pour comprendre comment ces oiseaux réussissent de tels voyages et comment
ils développent avec l’âge et l’expérience une carte mentale contenant un nombre croissant de positions qui sont mémorisées pour leur faciliter le
retour chez eux. Fourmis et oiseaux : même combat. Il faut continuer de chercher si nous souhaitons vraiment comprendre comment ces bestioles
rentrent chez elles de manière aussi impressionnante.

Attention danger, prédateurs !


Les capacités de navigation se rencontrent parfois chez les prédateurs dans le cadre de la détection de leurs proies. Ainsi, les céphalopodes
peuvent utiliser différentes sources d’information en parallèle (indices visuels, lumière, ondes électromagnétiques). Ces animaux bénéficient ainsi de
plusieurs outils « GPS » qu’ils sélectionnent en fonction de leurs besoins 178 . Si ces atouts sont utiles aux prédateurs, les capacités de navigation et la
mémoire spatiale sont très développées chez les espèces cherchant à fuir ces mêmes prédateurs. Un exemple témoignant de ces capacités
impressionnantes concerne le suricate (Suricata suricatta), cet adorable petit carnivore qui vit dans le Sud-Ouest africain et qui se redresse
souvent, corps et cou bien en extension, en position de vigilance, pour surveiller l’arrivée des prédateurs. Car, justement, ce petit animal qui vit en
grands groupes familiaux au sein de colonies, est soumis à de fortes pressions de prédation. Il a donc besoin de savoir quel refuge, parmi le millier
dont il dispose sur son territoire, est le plus proche de lui à chaque instant. Cette connaissance lui est indispensable pour s’abriter le plus rapidement
possible des prédateurs en choisissant le refuge approprié. Quel stress ! Mais c’est sans compter sur leur organisation. Imaginez l’un d’entre eux,
sorte de vigie relayée fréquemment, en train de surveiller en permanence le ciel et le sol à la recherche d’un prédateur qui pourrait s’approcher.
Pendant ce temps-là, les autres individus vaquent à leurs occupations, creusent le sol pour dénicher leurs proies, tout en veillant tout de même à la
sécurité du groupe en se relevant fréquemment sur les pattes postérieures pour guetter au loin. Dès qu’un rapace, un serpent, un coyote ou un autre
carnivore est détecté, le cri d’alerte est donné. Il est d’ailleurs fascinant de constater que ces cris d’alarme sont acoustiquement distincts selon le
type de prédateur et même selon l’urgence de la menace, comme pour indiquer d’où vient le danger (airs, sol ?) et de combien de temps les
individus disposent pour se cacher 179 !
Quoi qu’il en soit, dès que l’alerte est donnée, les membres du groupe courent à toute vitesse et s’introduisent immédiatement dans le refuge
qui leur est le plus proche ou le plus rapidement accessible. Fait impressionnant, ils agissent sans même prendre le temps de parcourir visuellement
ou olfactivement la zone. Comment les suricates réussissent-ils à s’abriter immédiatement et de façon si optimale ? En aucun cas il ne s’agit d’un
coup de chance. Les adultes semblent avoir une connaissance précise de la distance à parcourir, voire du temps nécessaire pour la parcourir, et de
la direction à prendre pour rejoindre l’abri le plus proche, le tout en relation avec leur propre position au sein de leur territoire et ce à n’importe
quel moment 180 . Et même si les suricates échouent parfois à trouver un refuge, ils semblent encore connaître une grande proportion des abris
disponibles sur leur territoire, ce qui laisse encore plusieurs centaines, voire un millier d’emplacements à se souvenir. Cette capacité incroyable de
mémorisation des refuges pourrait être comparable à celle des oiseaux qui stockent leur nourriture. À la différence près que si le suricate échoue, il
se fait manger… Encore une capacité incroyable, une adaptation liée au mode et au milieu de vie de ces petits animaux, dont les mécanismes ne
sont finalement pas encore bien connus. Quels paramètres influencent un suricate à choisir le refuge le plus proche ou le plus rapidement
accessible ? Comment un obstacle influence-t-il son choix ? Comment la position d’un congénère ou du reste du groupe influence-t-elle ce choix ?
Beaucoup de questions en suspens… Il nous faudrait connaître le développement, en fonction de l’âge, de cette capacité à choisir de manière
optimale le meilleur refuge en fonction du type d’alerte et, donc, du type de prédateur pour mieux comprendre comment les suricates apprennent à
mémoriser plus d’un millier de refuges et à trouver le meilleur malgré la situation de grand stress !

Magnétisme en eau trouble :


la navigation des dauphins
Le champ géomagnétique est un champ bipolaire produit par le fluide ferreux de la croûte externe de la Terre et qui fournit une source
d’informations directionnelles. Or de nombreuses espèces peuvent détecter ce champ. Comment ? Cela reste un mystère. Mais ce dont nous
sommes sûrs, c’est que certains mammifères terrestres (cerfs, rongeurs, renards, chauves-souris…) et oiseaux s’orientent spontanément en lien
avec ce champ, utilisent une boussole magnétique pour naviguer ou encore fabriquent leur nid en se référant à ce champ 181 . Voilà pour ce qui est du
milieu terrestre. Qu’en est-il dans le milieu aquatique ? Il semblerait que des informations géomagnétiques fournissent également des indices
potentiels de navigation aux cétacés 182 . Des observations de routes de migration prises par des cétacés sauvages laissent en effet supposer qu’ils
sont sensibles au champ magnétique. Pourtant, aucune preuve expérimentale d’une perception magnétique n’a été apportée. Le mystère reste entier
jusqu’en… 2014. Jusque-là, quelques indices suggéraient que certains mammifères marins étaient sensibles à l’information géomagnétique, comme
les routes de migration de certaines baleines qui suivent des voies de faible intensité géomagnétique ou encore certains cétacés qui s’échouent
parfois sur des zones d’intersection entre les côtes et le champ géomagnétique. Mais il faut bien reconnaître qu’aucune certitude n’existait
concernant ces événements énigmatiques et qu’aucune preuve expérimentale d’une sensibilité à un champ magnétique chez les cétacés n’avait été
fournie jusqu’à cette étude française 183 .
Les dauphins sont connus pour manifester des comportements très intéressés et curieux lorsqu’on leur présente de nouveaux objets.
Exploitant ce comportement, l’expérience consiste à placer dans un ordre aléatoire, à 50 centimètres de profondeur dans le bassin de grands
dauphins (Tursiops truncatus, ou souffleur ou dauphin à gros nez), deux bidons en plastique identiques : un démagnétisé et l’autre puissamment
aimanté. Les dauphins vont-ils s’intéresser de manière indifférenciée aux deux bidons ? Vont-ils s’approcher davantage du bidon aimanté ou, au
contraire, du démagnétisé ? La réponse est claire, nette et précise : les dauphins manifestent un intérêt spontané pour les deux bidons, mais plus
important pour le bidon aimanté. Pour faire simple, ils vont plus rapidement explorer le bidon aimanté que le bidon démagnétisé. Autrement dit, ils
font la différence entre deux objets qui diffèrent uniquement par leurs propriétés magnétiques. Mais quels sont les seuils de détection des dauphins ?
Et quels organes sont impliqués ? Encore beaucoup de questions se posent et les recherches suivantes vont sans doute s’avérer capitales et très
excitantes. Une piste : de la magnétite, une sorte d’aimant naturel composé d’oxyde de fer, a été trouvée dans les méninges (couche de protection
du cerveau) de dauphins. Ces particules minuscules pourraient ainsi s’aligner sur le champ magnétique et transmettre l’information au système
nerveux central selon un processus encore bien mal compris 184 . Le magnétisme, tout comme les capacités sensorielles du monde vivant, reste
largement à explorer et constitue probablement une source phénoménale de découvertes dans les années à venir, en relation avec bien des
capacités, dont celles de navigation.

Que fait un lézard dans un labyrinthe ?


Les capacités de mémorisation spatiale des reptiles (serpents et autres lézards) ont longtemps été considérées comme possibles, au mieux, ou
inexistantes, au pire. Même si quelques rares études ont montré que les lézards pouvaient utiliser des indices liés à la boussole solaire pour
s’orienter 185 et que les serpents pouvaient s’aider d’indices visuels, ces résultats restent rarissimes ou très controversés. L’hypothèse admise la plus
générale est que les reptiles n’ont pas de mémoire spatiale. Hypothèse la plus probable jusqu’en 2012 seulement, car, cette année-là, des
chercheurs américains souhaitent vérifier si le lézard à flancs maculés (Uta stansburiana), espèce territoriale, fait preuve ou non de mémoire
spatiale 186 . Ils partent de l’idée que cette espèce doit défendre son territoire et doit donc probablement bénéficier d’une mémoire spatiale
développée pour exceller dans ce domaine. Pour tester leur hypothèse, ils font appel à un test classique chez les rongeurs : le Barnes Maze, une
plateforme circulaire disposée sur un pied (comme une table ronde), percée de trous le long de sa circonférence. L’une de ces ouvertures conduit à
une cavité permettant à l’animal de s’échapper. Pour trouver le bon trou, aucun indice local sur la plateforme n’est disponible et il doit donc utiliser
des indices spatiaux extérieurs à la plateforme mais situés dans la pièce. L’animal doit donc faire preuve d’une véritable stratégie spatiale de
navigation puisqu’il doit utiliser des repères éloignés de son but et qui ne désignent pas directement le trou à atteindre (figure 11).

Figure 11. Schéma du Barnes Maze utilisé pour tester les capacités de mémoire spatiale chez le lézard à flancs maculés (modifié à partir de LaDage et al., 2012).

Dans un tel contexte expérimental, si les lézards ont des capacités de mémoire spatiale, ils devraient naviguer sur cette plateforme en utilisant
les repères spatiaux fixes de la pièce (une croix noire et un cercle plein gris situés sur deux murs de la pièce) et orienter leurs mouvements vers le
bon trou en s’aidant de ces indices. Les résultats de l’expérience sont formels. Les sept lézards testés orientent clairement leurs mouvements dans
la bonne direction. Au fur et à mesure des essais, il est évident que les lézards ne retrouvent pas les bons trous par hasard et qu’ils y retournent
grâce à leur mémoire spatiale qui leur a permis de mémoriser le bon emplacement à l’aide des repères spatiaux présents sur les murs. Il est donc
clair qu’au moins certains reptiles font preuve de mémoire spatiale. Il est fort possible que cette capacité soit une adaptation à leur comportement
territorial impliquant de bien connaître leur milieu pour mieux le défendre. L’intérêt de développer une telle capacité au cours de l’évolution n’est
ainsi pas uniquement lié à la recherche de nourriture, mais également à la protection de sa vie et de son territoire. Belle diversité qui rend une
nouvelle fois la tâche difficile pour déduire de l’intelligence, qui plus est comparable, entre les espèces et à l’échelle de l’évolution.

Qui a navigué le premier ?


Quelle place dans l’évolution de l’intelligence ?
Que l’on soit une fourmi ou un chimpanzé, un suricate ou un oiseau, un dauphin ou un lézard, les problèmes à résoudre dans l’espace et le
temps sont tantôt identiques, tantôt différents et les solutions trouvées sont multiples. Entre les céphalopodes, les nombreux insectes, rongeurs,
oiseaux et poissons qui pilotent en établissant des relations géométriques entre des repères visuels pour retrouver leur nid ou trouver de la
nourriture 187 , les oiseaux et certains mammifères marins qui utilisent comme source d’information les propriétés magnétiques de la Terre pour
voyager sur de courtes et longues distances et certains primates qui exploitent des capacités de mémorisation spatiale très développées, la
navigation est une nouvelle fois le témoignage d’une très grande diversité. Elle met également en évidence de nombreuses capacités communes de
navigation entre des animaux pourtant très différents, tant sur le plan de leur milieu de vie (désert, forêt, océan…), de leur comportement global
(animaux sociaux, solitaires, territoriaux…) ou encore de leur physiologie (structure du cerveau, capacités sensorielles…).
Il est largement supposé que ces adaptations communes sont liées à une mémoire très performante. Mais les capacités de mémorisation des
animaux ne sont pas tant étudiées et il faudra attendre les années à venir pour davantage comprendre les mécanismes sous-jacents à ces capacités
communes de navigation. À l’inverse, pour les animaux faisant face à des problèmes vitaux distincts comme retrouver son nid, trouver de la
nourriture, la stocker, défendre son territoire ou rechercher un partenaire, etc., on pourrait s’attendre à constater des différences de capacité de
mémorisation et de navigation entre les espèces. Ce n’est pas systématiquement le cas. Car c’est sans compter avec la complexité des
comportements, de l’adaptation, du hasard et de l’évolution. Il n’y a pas de corrélation claire et systématique entre le milieu, ces comportements, la
physiologie associée et les capacités de mémorisation et navigation. Il est donc très difficile, voire impossible, de généraliser sur l’évolution de ces
capacités en mettant en avant un comportement ou une structure anatomique plus à même de refléter l’importance de la mémoire spatiale et de la
capacité à naviguer chez une espèce plutôt qu’une autre.
La seule chose que l’on puisse suggérer, c’est que des espèces très anciennes comme les ancêtres des céphalopodes actuels (dont
Nectocaris pteryx, qui vivait il y a environ 500 millions d’années 188 ) qui utilisent leur mémoire spatiale et des indices visuels pour naviguer 189
étaient probablement déjà capables de piloter dans l’eau. De très nombreux contextes ont favorisé, au cours de l’évolution, le développement de
capacités très variées de mémoire spatiale et de navigation, impliquant probablement à la fois les poissons il y a 500 millions d’années, les insectes il
y a 400 millions d’années, les mammifères il y a 200 millions d’années, les oiseaux il y a 150 millions d’années, les primates il y a 60 millions
d’années et les humains qui, dans les pays industrialisés, n’utilisent désormais plus leur mémoire mais leur GPS. Mais qui a navigué avec stratégie le
premier et pourquoi ? Impossible de répondre.
Très difficile également de trouver la juste place de la navigation et de la mémoire au sein de l’intelligence et de toutes les autres capacités
qu’elle revêt. L’intelligence ne peut en aucun cas être réduite aux capacités de mémorisation, même si de grandes capacités de mémorisation offrent
un avantage pour certaines espèces. De plus, des centaines d’articles scientifiques décrivent ces comportements de navigation, de représentation
spatiale, de mémoire et de retours à la maison pour un très grand nombre d’espèces. Mais jusqu’à quel point l’intelligence est-elle impliquée dans
ces comportements ? Elle l’est fortement si on considère l’adaptation comportementale dont font preuve tous ces animaux, par exemple face aux
modifications de leur milieu qui peuvent être très rapides. Sans compter que ces adaptations et les choix qu’ils font doivent parfois être immédiats
pour leur survie (fuir un prédateur par exemple). À l’inverse, l’intelligence est faiblement impliquée si on considère que des capacités anatomiques
ou physiologiques bien spécifiques sont pour certaines espèces associées à ces stratégies de navigation (capacité de locomotion, organes sensoriels
très développés, etc.).
Ainsi, comme pour la fabrication et l’utilisation d’outils, la navigation, si impressionnante soit-elle, n’implique pas systématiquement de
grandes capacités cognitives. Dans un tel contexte varié et complexe, il est de nouveau quasi impossible de déduire une évolution des capacités de
navigation et a fortiori de l’intelligence. Comme pour bien d’autres traits, cette évolution n’est pas linéaire et sa complexité rend impossible de
déduire de grandes généralités sur l’intelligence des humains par rapport aux autres animaux. Mettez un Parisien au milieu du désert de Namibie et il
vous démontrera à quel point il n’a aucun moyen, ni physiologique ni intellectuel, pour s’orienter dans ce milieu ! À l’inverse, mettez un suricate
dans le métro et il sera également perdu (quoique…) ! Qui est le plus intelligent des deux ? On ne peut pas répondre. En revanche, étudier
comment ce Parisien et ce suricate s’adapteraient, ou non, à ces nouveaux milieux, et si oui comment, serait source de réflexions quant à leurs
capacités anatomiques, physiologiques et intellectuelles en lien avec ce nouveau défi. Cet exemple caricatural montre encore une fois qu’il est
impossible de catégoriser l’intelligence d’une espèce par rapport à une autre tant les contextes sont variés.
À part affirmer une nouvelle fois que cette capacité de navigation, comme bien d’autres, est sans doute apparue à différentes périodes de
l’évolution et dans diverses lignées animales, pourvues d’écailles, de plumes ou de poils en lien avec des adaptations variées à leur milieu et leur
mode de vie, nous ne pouvons pas dire grand-chose d’autre avec certitude. Finalement, malgré les nombreuses études portant sur la navigation et
les stratégies mises en place par les animaux dans ce but, nous n’avons fait qu’effleurer la surface d’un problème complexe pour lequel bien des
mystères demeurent. Espérons que les avancées technologiques nous permettront un jour de lever le voile sur les questions irrésolues, notamment
de la navigation en lien avec des capacités sensorielles et cognitives encore insoupçonnées.
CHAPITRE 6

Transmettre ou ne pas transmettre ?

Innovation et intelligence sociale et culturelle

Nous sommes en 2001 à la Vallée des singes. Des femelles capucins vaquent à leurs activités quotidiennes sur leur îlot en partie entouré
d’eau. Elles cherchent de la nourriture dans le sol : des petits vers, des escargots et autres limaces, consomment les fruits d’aubépines disponibles à
plusieurs endroits sur leur territoire, chassent des souris, des grenouilles, des oiseaux et s’adonnent même parfois à la pêche. Car certaines jeunes
femelles n’hésitent pas à utiliser la flexibilité des roseaux pour se positionner au-dessus de l’eau et attraper précipitamment des poissons. Ce qui a
peut-être commencé comme un jeu s’est ainsi transformé en un vrai terrain de pêche ! Pour compléter ce régime alimentaire, malgré tout insuffisant,
les soigneurs animaliers du parc leur fournissent régulièrement de la nourriture, comme des noix dont elles raffolent. Les femelles capucins utilisent
alors différentes techniques pour les ouvrir. La plus fréquente, car la plus efficace et la moins coûteuse sur le plan énergétique sans doute, consiste à
les frapper contre différents supports. Il ne s’agit pas d’utilisation d’outils à proprement parler, mais de proto-usage d’outils : un objet non détaché
de l’environnement est utilisé pour en transformer un autre.
Il n’en demeure pas moins que certains points s’avèrent très intéressants pour notre propos. En les observant, je me rends rapidement
compte que les toutes jeunes femelles semblent utiliser des substrats différents des adultes. Je décide de quantifier ces choix. Les résultats tombent
au bout de plusieurs semaines 190 . Les jeunes femelles frappent les noix sur toutes sortes de substrats de manière aléatoire et souvent inappropriée :
des branches souples ou toutes fines, de la boue ou parfois même des feuilles. À l’inverse, les adultes choisissent systématiquement les substrats les
plus durs : l’allée centrale en béton ou encore les petites plateformes en pierre disponibles à divers endroits de l’îlot. Évidemment, ce choix de
substrat a un effet direct sur la réussite et l’efficacité de l’ouverture de la noix : plus le support est dur, moins il faut de coups pour ouvrir la noix.
Ainsi, les jeunes frappent les noix de manière aléatoire sur tous les substrats disponibles même s’ils sont aberrants, alors que les adultes mettent en
place une vraie stratégie d’efficacité. Autrement dit, pour casser des noix, qui plus est en un nombre de coups réduit, les femelles adultes optent
pour une stratégie de dureté du substrat pendant que les jeunes doivent apprendre à sélectionner les substrats adéquats en grandissant. Il faut donc
que les capucins apprennent. Et cette capacité qu’un individu ou une espèce a à apprendre, ou non, est un critère intéressant pour évaluer
l’intelligence.
D’innombrables exemples existent quant aux capacités d’apprentissage dans le monde animal. Mais il en est une autre moins diffusée et qui
semble pourtant très pertinente. Prenons l’exemple de Paula, femelle ayant une position hiérarchique très basse dans le groupe à l’époque et donc
très dominée. Premier défi de Paula : récupérer une noix. Lorsqu’elle y parvient enfin malgré la pression de ses congénères, elle s’éloigne
systématiquement sur les hauteurs des infrastructures en bois de l’îlot, pour ne pas se faire subtiliser son butin. Jusque-là, rien de surprenant, sauf
que, visiblement, pour frapper sa noix, elle semble se rendre en permanence au même endroit, précisément situé à l’extrémité d’un rondin de bois.
Elle se tient ainsi hors de portée des autres femelles occupées à frapper leurs noix sur les lieux les plus stratégiques, au sol. Pourquoi Paula choisit-
elle donc cet emplacement en particulier et de manière systématique ? Je décide d’aller jeter un œil sur ce lieu de prédilection et je découvre qu’à
cette extrémité du rondin de bois qu’affectionne tant Paula se trouve un clou en métal… Ainsi, Paula, dominée et n’ayant pas accès aux zones
privilégiées pour casser de manière optimale ses noix, doit non seulement s’éloigner, mais trouver une autre solution. Et quelle solution ! Comme
elle ne peut pas se contenter de faire comme les autres adultes, elle a dû trouver un autre moyen que les autres pour parvenir à ses fins. Et elle a
identifié un substrat inédit et efficace pour casser sa noix : un clou !
Voyons un autre exemple. Fetnat est une toute jeune femelle qui a accès aux substrats les plus durs. En revanche, elle a un autre problème
que celui de Paula : elle n’a ni la force ni la technique nécessaires pour ouvrir ces mêmes noix en les frappant contre les supports, même les plus
durs. Mais sa motivation pour ouvrir les noix est bien présente. C’est le matin. Je me trouve sur le chemin central de l’îlot des capucins, chemin
constituant le substrat le plus dur et le plus utilisé par les adultes dominantes pour casser leurs noix. Des noix sont disposées au sol autour de moi.
Pendant que les autres individus s’affairent à la tâche, la petite Fetnat reste à proximité de moi et observe les noix disponibles. À ma stupéfaction,
elle décide alors de s’approcher de mon pied droit et tente de le soulever. Elle n’y parvient pas, mais comprenant ce qu’elle souhaite faire, je l’aide
quelque peu et soulève la pointe de ma chaussure. Que fait Fetnat ? Elle place une noix dessous et se met à sauter à plusieurs reprises sur ma
chaussure ! Cela ne suffit pas, car Fetnat est jeune et n’applique pas la force nécessaire. Mais que l’idée était belle ! Peut-être a-t-elle observé un
jour quelqu’un écraser une noix en marchant dessus ? Ou peut-être s’agit-il vraiment d’une invention de sa part ? Qui sait ? Il n’en demeure pas
moins que cette tentative est à part. Au-delà de l’aspect ludique de ces exemples, des questions essentielles se posent. Pourquoi ces inventions ou
innovations 191 individuelles sont-elles ou non transmises au sein du groupe ? Pourquoi les autres femelles dominées ne se sont-elles pas, par
exemple, mises en quête des autres clous disponibles dans l’îlot pour éviter les femelles dominantes ? Paula est dominée, elle a une place
hiérarchique faible dans le groupe social. Peut-être n’est-elle pas suffisamment observée pour inspirer les autres ? Si ces inventions ne sont pas
transmises au sein du groupe social, comment pourraient-elles l’être de génération en génération et ainsi former un trait culturel ? L’innovation,
l’intelligence sociale et culturelle sont autant de sujets passionnants que nous allons maintenant aborder.
Innovation et intelligence :
alors, t’innoves ou t’innoves pas ?
L’innovation est un élément clé de la plupart des définitions de la culture et de l’intelligence, suggérant que la capacité à produire des
innovations est une mesure de l’intelligence 192 . Elle peut même affecter la survie d’un individu, voire d’une espèce, et ainsi jouer un rôle majeur
dans l’évolution de cette espèce. Attachons-nous pour commencer au lien qui unit innovation et intelligence. Nombreuses sont les définitions de
l’intelligence animale qui font référence à des solutions nouvelles pour résoudre des problèmes anciens comme nouveaux 193 . On comprend alors
rapidement que la capacité à innover est une mesure importante de l’intelligence 194 . Et en effet, pour innover, il faut tout d’abord être capable de
répondre à la nouveauté, d’explorer et de trouver une solution nouvelle. Or les facteurs susceptibles d’influencer ces capacités sont multiples. Ils
peuvent être indépendants de l’individu : pénurie de nourriture, rareté d’un objet attrayant, pression des autres individus ou des prédateurs… Dans
le cas de Paula, la pression des autres individus l’a conduite à ne pas avoir accès à la zone la plus facile pour casser sa noix et elle a donc dû
chercher une autre solution. Mais ces facteurs peuvent également être dépendants de l’individu : personnalité (curieuse ou non), expérience, âge,
sexe, statut social… – Fetnat est de toute évidence une petite femelle très curieuse, observatrice et exploratrice. De nombreux facteurs sont ainsi
impliqués. De plus, certaines innovations peuvent être considérées comme simples et ont pu émerger par accident – Fetnat aurait vu quelqu’un
écraser une noix sous sa chaussure – ou après de multiples essais et erreurs – Paula a peut-être essayé bien d’autres supports avant de se focaliser
sur le clou. D’autres peuvent être considérées comme complexes et vont davantage refléter des inventions suite à un raisonnement de cause à effet
impliquant énormément d’explorations, d’apprentissage et de pratique. Ces innovations n’arrivent jamais par accident, car les actes moteurs
impliqués ou le contexte sont très inhabituels et sont très éloignés du comportement coutumier de l’individu. Ce type d’innovation complexe n’existe
pas chez toutes les espèces comme nous le verrons plus loin. Les grands singes et les singes capucins en sont de brillants exemples, mais ce n’est
pas le cas pour les autres primates. D’où la question : pourquoi certains innovent-ils tandis que d’autres ne le font pas ?
Pour commencer, on peut mentionner qu’il existe par exemple un lien établi entre le taux d’innovation et la capacité d’apprentissage chez les
oiseaux et les primates ou entre innovation et taille relative des structures du cerveau 195 . Il est également évident que certains contextes sont plus
favorables que d’autres pour innover et que certaines innovations peuvent revêtir plus d’importance que d’autres. Une pie se servant d’une feuille
comme d’un surf pour jouer n’a pas la même portée qu’un babouin qui lance des branches sur une lionne pour la faire fuir et sauver sa vie !
Certaines innovations peuvent ainsi viser à améliorer le quotidien pendant que d’autres conduisent à la survie. Prenons quelques exemples.
Considérons une population de chimpanzés vivant en forêt de Taï, en Côte d’Ivoire, et évoluant dans un environnement d’arbres produisant
différentes espèces de noix. L’une de ces espèces d’arbres (Dura laboriosa) produit des noix très dures qui nécessitent d’être cassées et ouvertes
avant d’être consommées. Pendant que d’autres populations de chimpanzés utilisent des pierres, ces chimpanzés-là emploient systématiquement
des branches depuis plusieurs générations. Un jour, une femelle du groupe nommée Eureka se met à utiliser une pierre à la place d’une branche
pour casser ses noix. Eureka emploie ensuite régulièrement cette nouvelle méthode. Que se passe-t-il ? Eh bien les autres chimpanzés qui
observent Eureka lorsqu’elle casse ses noix avec une pierre vont commencer eux-mêmes à casser leurs noix avec des pierres. Après plusieurs
générations, toute la population de chimpanzés a changé d’outil pour ouvrir les noix, passant des branches aux pierres 196 .
On peut toujours disserter sur le fait qu’il s’agisse ou non d’une véritable innovation : le fait est qu’il s’agit bien d’un comportement nouveau
qui s’est transmis. Les innovations ne sont pas l’apanage des chimpanzés et encore moins des primates : elles sont fréquentes chez les oiseaux 197 .
Jetons un coup d’œil sur ce qui se passe chez les corneilles qui ont tout simplement fait un remake de la fable d’Ésope (grand fabuliste dont s’est
inspiré La Fontaine) intitulée « La corneille et la cruche ». Un jour, une corneille ayant soif trouva par hasard une cruche où il y avait un peu d’eau.
Hélas, lorsqu’elle voulut boire, elle constata que le niveau de l’eau était si bas qu’elle ne pouvait l’atteindre avec son bec. Elle essaya bien de
renverser la cruche et de la rompre, mais en vain. Celle-ci était trop lourde. La corneille assoiffée désespérait de boire lorsqu’il lui vint une idée.
Elle se saisit d’un caillou et le laissa tomber dans la cruche. Elle en jeta un autre, puis un autre et ainsi de suite. Peu à peu, le niveau de l’eau monta
dans le récipient et bientôt elle put étancher sa soif. Belle histoire n’est-ce pas ? Mais c’est une fable, me direz-vous. Certes, mais qui est devenue
réalité comme le montrent diverses expériences conduites par des équipes américaines sur des corvidés.
Voici un freux (oiseau qui ressemble à une corneille) qui se trouve face à un dilemme proche de celui de la corneille d’Ésope : un tube en
plastique transparent rempli à un tiers d’eau à la surface de laquelle flotte un ver de farine. Le freux ne peut pas atteindre le ver avec son bec. Les
expérimentateurs lui mettent alors à disposition des cailloux. Et là, comme dans la fable d’Ésope, l’oiseau les jette dans l’eau les uns après les
autres jusqu’à ce que le niveau de l’eau soit suffisamment élevé pour qu’il puisse récupérer le vers. Mieux encore : au fil des tests, les
expérimentateurs se rendent compte que l’oiseau met moins de cailloux dans le tube et récupère néanmoins le ver plus rapidement. Comment ?
Parce que l’oiseau choisit les cailloux les plus volumineux afin de faire monter le niveau d’eau plus rapidement et ainsi récupérer le ver en mettant
moins de cailloux 198 ! Autre exemple : celui de Kitty la corneille qui s’est également trouvée face à un dilemme proche de la corneille d’Ésope. Les
expérimentateurs placent face à elle deux tubes en verre à moitié remplis d’eau et reliés par un autre tube afin de constituer un ensemble de « vases
communicants ». Dans l’un des tubes, trop étroit pour y mettre un caillou, se trouve un petit morceau de liège flottant sur lequel est placé un
morceau de viande. Ce morceau de viande, situé trop bas dans le tube, n’est pas accessible avec le bec. Le deuxième tube est suffisamment large
et communique avec le premier. Que fait Kitty ? Elle collecte des cailloux et les jette délicatement dans le tube ne contenant pas le morceau de
viande. Elle fait ainsi monter le niveau d’eau de l’autre tube et finit par récupérer le morceau de viande 199 !
Figure 12. Baleine produisant des bulles circulaires pour contraindre les poissons piégés à remonter en surface.

Les exemples de créativité et d’innovation sont nombreux chez les primates et les oiseaux, mais pas seulement. Les mammifères marins sont
également de bons représentants. La recherche de nourriture par coopération chez les baleines à bosse dans le sud-est de l’Alaska et la côte ouest
de l’Amérique du Sud est d’ailleurs remarquable. Nombreuses sont les espèces de mammifères marins qui utilisent le système de bulles qu’ils
projettent pour encercler, rassembler et mieux capturer les proies. En revanche, les baleines à bosse développent une méthode unique pour
entourer les bancs de harengs. Leur stratégie est la suivante. Une baleine expire tout d’abord une longue ligne circulaire de bulles qui monte pour
former une sorte de rideau. D’autres baleines lancent alors des appels qui orientent les harengs vers le mur de bulles. Une fois les harengs à
proximité des bulles, la baleine chargée de faire les bulles les encercle en créant un cylindre. Les harengs sont alors pris au piège à l’intérieur, les
bulles formant une barrière. Pendant ce temps, les autres baleines se positionnent au fond du cylindre et les harengs fuient vers le haut, poussés par
les appels provenant des baleines placées en dessous. Les baleines se déplacent ensuite toutes ensemble vers le haut et, à l’approche de la surface,
ouvrent largement leur bouche et capturent les harengs (figure 12). Cette technique de capture de poissons par coopération permet aux baleines de
consommer jusqu’à une tonne de nourriture en un jour ! De plus, elle n’est pratiquée que par certaines populations de baleines à bosse, en
particulier celles d’Alaska, suggérant qu’il a probablement dû s’agir d’une innovation.
Ces exemples d’innovations suggèrent de remarquables capacités intellectuelles de la part de ces animaux. Mais comment ces capacités se
sont-elles développées ? Il est possible qu’elles se soient exprimées de manière spontanée, impliquant finalement peu, voire pas de lien avec les
expériences passées. Une autre possibilité est que l’individu a généralisé une expérience vécue dans un autre contexte 200 . Un comportement très
important est souvent avancé dans ce cadre : le jeu. En effet, lorsque les jeunes individus jouent, ils découvrent des propriétés de leur
environnement qui peuvent plus tard devenir cruciales pour faire face à de nouveaux défis. Or le jeu existe chez un très grand nombre d’espèces,
même insoupçonnées, comme les raies, les grenouilles, les crocodiles, les araignées 201 , et il est ainsi parfois lié à des apprentissages 202 . Par
exemple, nous savons que les corneilles, les chimpanzés, les singes capucins et les loutres manipulent énormément d’objets lorsqu’ils sont petits,
dont des bâtons ou des pierres. Ces pratiques dans le contexte du jeu sont autant d’expériences qu’ils pourront peut-être plus tard étendre à
d’autres fonctions, d’autres buts comme saisir un bâton pour obtenir de la nourriture, frapper une pierre contre une noix pour l’ouvrir ou frapper un
coquillage contre un caillou.
Bien des phénomènes complexes entourent ces capacités d’innovation et si les types d’innovations sont multiples, une question fascinante se
pose : comment l’individu qui crée transmet-il son invention à d’autres individus ? Plus fascinant encore : la transmet-il à tout le groupe, à d’autres
groupes, voire aux générations suivantes ? Sous ces questions se cachent des concepts très complexes d’innovation au sens strict (et pas seulement
de création, d’invention), mais également de tradition, voire de culture – termes encore trop largement réservés à l’espèce humaine.

Tu sais innover ? Alors transmets !


Pour de nombreux chercheurs, il existe deux paramètres clés de l’intelligence humaine : l’innovation, dont nous venons de parler, et la
transmission culturelle, c’est-à-dire la diffusion de ces innovations à travers l’espace et le temps. Certains individus, certains groupes, certaines
espèces sont-ils capables de transmettre leurs innovations dans l’espace et/ou aux générations suivantes ? Si l’on en croit les travaux portant sur la
notion de culture et d’intelligence culturelle en particulier chez les primates, certains mammifères marins et oiseaux, la réponse est oui. Mais le
problème est plus complexe, car nombreuses sont les espèces animales qui innovent, mais chez qui finalement peu d’innovations sont transmises
pour former des traditions culturelles. Pouvons-nous alors parler de culture animale et, si oui, à quel moment ?
Pour vraiment comprendre le concept de culture, il faut répondre à une question essentielle : pourquoi certaines innovations individuelles sont-
elles transmises et deviennent-elles culturelles pendant que d’autres disparaissent au plus tard avec le décès de l’innovateur ? Pour tenter d’y voir
un peu plus clair, prenons quelques exemples connus depuis longtemps. Nous sommes au tout début du XXe siècle, près de Southampton en
Angleterre. Des bouteilles de lait sont livrées tous les matins sur le pas de chaque porte. Ces bouteilles n’étant pas fermées, des oiseaux, comme les
mésanges bleues et charbonnières et les rouges-gorges, prennent l’habitude de picorer la crème de lait qui s’accumule en surface. En 1921,
l’industrie laitière bouche ses bouteilles de lait avec un opercule rigide en aluminium. En quelques années, les mésanges d’Angleterre apprennent à
percer à coups de bec cet opercule métallique et profitent de cette crème de lait qui fait désormais partie de leur régime alimentaire. En revanche,
seuls quelques rouges-gorges viennent à bout de cet opercule. Pendant ce temps, les mésanges deviennent capables de distinguer les bouteilles de
lait entier des bouteilles de lait écrémé grâce aux opercules de couleurs différentes, et elles sont gourmandes… La suite devient bien plus
passionnante encore. Dès 1949, l’ouverture des opercules par les mésanges est observée dans des centaines de villes en Angleterre, en Irlande et
au Pays de Galle 203 : le comportement s’est transmis. En revanche, la découverte ne se répand pas chez les rouges-gorges. Comment expliquer
que ce comportement se soit transmis chez les mésanges et pas chez les rouges-gorges ? Pendant que les mésanges vivent en bandes, qu’elles sont
très mobiles et qu’elles explorent énormément le milieu, les rouges-gorges sont solitaires et territoriaux. On peut penser que la vie en société a
probablement favorisé ici la transmission de l’information.
Un autre cas parmi tant d’autres est très représentatif. Nous sommes en 1953 sur l’île japonaise de Koshima. Des scientifiques étudient les
macaques et, afin de les habituer à leur présence, ils déposent des patates douces sur leur territoire. Un jour, Imo, jeune femelle macaque de 18
mois, porte sa patate douce sale dans une rivière pour la laver. Rapidement, elle se met à laver toutes ses patates avant de les consommer. Aucun
primatologue n’avait observé un macaque en train de laver sa nourriture, il s’agit donc bien d’un comportement nouveau, d’une invention. Bien
utile, qui plus est, puisqu’il permet de ne plus grincer des dents à cause du sable qui entoure les patates douces… Mais l’histoire ne s’arrête pas là.
Car l’invention d’Imo va devenir une véritable innovation en se propageant à travers le groupe. En effet, en quelques mois, les frères et sœurs
d’Imo et sa mère se mettent à laver les patates douces. Cette habitude gagne ensuite ses camarades de jeu, puis tous les jeunes macaques, les
femelles plus âgées et, enfin, les mâles dominants. La troupe compte à l’époque environ 60 membres. En l’espace de neuf ans, les trois quarts des
macaques de l’île lavent leurs patates avant de les consommer. Cinquante ans plus tard, bien après la mort d’Imo et de la première génération de
laveurs de patates douces, les macaques de la côte japonaise continuent de laver leurs patates douces en les plongeant et en les frottant dans l’eau.
Mieux : ils lavent désormais leurs patates en mer, probablement pour la saveur salée ou améliorée que cela procure. Et l’histoire n’est toujours pas
terminée. Trois années après qu’Imo a commencé à laver ses patates douces, elle a initié une seconde innovation. Afin d’habituer les macaques à
leur présence, les primatologues les approvisionnaient également en blé, qu’ils déposaient aussi sur le sol. Alors âgée de 4 ans, Imo se met à jeter
des poignées de blé sablonneux dans la mer. Le blé flotte, le sable coule. Comme le lavage des patates, ce lavage du blé sablonneux s’étend au
sein du groupe : au bout de six ans, 19 individus lavent le blé 204 . Ces exemples sont particulièrement intéressants, car ils ont très clairement conduit
à des changements de style de vie des macaques. Les petits, par exemple, qui se sont habitués à jouer avec l’eau, à force de tomber dedans
pendant que leur mère lave les patates. Désormais toute la troupe nage, saute et plonge dans l’eau ! Cette nouveauté n’est sans doute pas sans lien
avec une autre nouvelle habitude de la troupe : manger du poisson cru en période de fortes restrictions alimentaires. Des comportements nouveaux
ont ainsi conduit à l’accumulation de variations comportementales transmises socialement.

Plus on est de fous,


plus on est intelligent !
Nombreuses sont les espèces intelligentes. Parmi celles-ci, certaines sont solitaires. L’apprentissage des seiches par exemple est une activité
solitaire. Les petites seiches n’ont pas de contacts avec leurs parents dès la naissance et parviennent pourtant à trouver leur nourriture et à éviter les
prédateurs. Certains chercheurs pensent que la seiche apprend dès le stade embryonnaire, observant son environnement à travers l’œuf 205 .
Néanmoins, on pense plus généralement que les contacts sociaux facilitent l’apprentissage et la transmission des inventions. Les contacts
contribueraient en quelque sorte à l’accès à des comportements intelligents. On parle alors d’apprentissage social. L’un des bénéfices potentiels de
la vie en société serait ainsi la capacité d’acquérir des informations sur l’environnement via l’apprentissage social, c’est-à-dire l’apprentissage qui
est influencé par l’observation ou l’interaction avec un autre individu ou avec le produit de ses comportements (un outil par exemple) 206 . Un
individu peut ainsi apprendre en observant un autre individu qu’il est possible d’ouvrir une noix en allant chercher de la matière première adéquate
(des pierres) sur un lieu donné de son territoire. Les animaux vivant en groupes sociaux seraient ainsi favorisés. Un autre individu peut, par
apprentissage social, acquérir de nombreuses compétences pendant son développement (sa croissance) au contact d’autres individus, issus de sa
famille ou non, compétences qu’il n’aurait jamais acquises seul207 . Or si l’intelligence est largement répandue dans le monde animal, l’apprentissage
social l’est aussi208 . On l’observe dans des contextes très variés comme l’évitement de prédateurs, le choix du partenaire ou encore la recherche et
l’acquisition de nourriture (quand, où, quoi et comment manger). À titre d’exemple un peu différent de ceux mentionnés plus haut, on peut citer les
buffles d’Afrique qui prennent des décisions communes sur le lieu de recherche de nourriture qu’ils vont explorer 209 . Des prises de décision
communes ont également été mises en évidence chez les babouins hamadryas 210 . Enfin, il est flagrant, lorsqu’on étudie la manipulation et l’utilisation
d’outils chez les animaux, que les jeunes individus observent énormément les adultes en train de pratiquer. Ces phénomènes ont été étudiés chez les
chimpanzés et les singes capucins qui cassent les noix avec des outils en pierre. Les chimpanzés sont probablement les animaux qui ont acquis le
plus de comportements par apprentissage social, incluant l’utilisation d’outils, l’épouillage ou encore la séduction ! Les orangs-outans excellent
également dans l’apprentissage social, notamment dans l’acquisition de nourriture et l’utilisation d’outils.
Mais il n’y a pas que les cas d’utilisation d’outils chez les grands singes qui sont liés à l’apprentissage social. La manipulation d’objets fait
également intervenir ce processus. Lorsque les singes capucins veulent casser des noix de coco, ils prennent leur élan et utilisent tout le corps pour
les frapper contre le sol211 . Or je me souviens très bien de ces dizaines, voire de ces centaines de fois où les plus jeunes individus se plaçaient face
à la femelle adulte qui cassait cette noix pour mieux l’observer. Plus intéressant encore sont ces jeunes qui reproduisaient, à vide, les mouvements
effectués par la femelle pour casser la noix de coco. Imaginez cette scène : une femelle capucin implique tout son corps pour casser la noix de
coco, en fléchissant les genoux, puis en sautant et en prenant de l’élan avec ses membres supérieurs. Face à elle se trouvent deux petites et jeunes
femelles qui font les mêmes mouvements, sautant et mimant les mouvements des bras et avant-bras, mais sans noix de coco. Même si ce
phénomène d’apprentissage social est très étudié et met en avant des processus d’imitation et d’observation des individus entre eux, les
mécanismes sous-jacents et leur implication dans l’évolution de l’intelligence sont très complexes et ne sont pas élucidés.
On ne compte plus les exemples d’apprentissage social chez les poissons, les mammifères et les oiseaux. À travers les quelques exemples,
parmi d’autres, mentionnés ci-dessus, la notion de vie en groupe prend tout son sens au regard de l’innovation et de l’intelligence. Au point que,
chez certaines espèces, on parle volontiers d’intelligence collective. L’intelligence collective désigne un groupe d’individus qui agissent ensemble
comme une seule unité cognitive, une seule unité intelligente. L’exemple le plus emblématique concerne un essaim d’abeilles qui coopère pour
prendre des décisions, construire un nid aux structures complexes, se répartir le travail et résoudre toute une série de problèmes. Une des
caractéristiques de l’intelligence collective est la coordination sans contrôle central. Il n’y a pas un cerveau pour tous : l’intelligence n’appartient pas
à un seul leader qui détient le savoir, l’information. Au contraire, l’intelligence est répartie sur le groupe entier et les comportements collectifs
émergent des interactions qui existent entre un grand nombre d’individus, chacun appliquant des décisions appropriées 212 .
Cette intelligence collective se rencontre chez de très nombreuses espèces allant des bactéries aux oiseaux en passant par les insectes et les
poissons. Un premier exemple très parlant d’intelligence collective concerne les fourmis dont les capacités d’apprentissage sont d’ailleurs
élevées 213 . Pendant très longtemps et jusqu’au milieu des années 1980, les sociétés de fourmis ont été considérées comme des sociétés humaines
en modèle réduit. On pensait que les comportements complexes collectifs exercés par les fourmis étaient le fruit des capacités des individus à
centraliser et traiter l’information, puis à décider des actions à réaliser afin de résoudre les problèmes rencontrés. Dans cette hypothèse, la reine
avait un rôle majeur puisqu’on lui attribuait la capacité d’organiser la colonie en centralisant les informations et en dirigeant les activités des
ouvrières. À cette époque, une colonie de fourmis était perçue comme une organisation hiérarchique et très centralisée. Les études des dernières
années font état d’un tout autre mode d’organisation. Fini le mythe de la reine des petites fourmis qui intègre les informations sur l’état de la colonie
et répartit les tâches. Chaque fourmi n’a en fait accès qu’à une information limitée dans son environnement et ne semble pas avoir de connaissance
globale de ce qu’elle réalise avec ses congénères. Chacune réalise des comportements simples et peu variés. En revanche, les sociétés de fourmis
mettent en place des réseaux complexes d’interactions permettant aux individus d’échanger des informations et de coordonner leurs activités. D’où
la notion d’intelligence collective. Mais comment les fourmis font-elles pour coordonner leurs activités ? Eh bien, comme beaucoup d’insectes, elles
laissent des traces sur le sol lorsqu’elles se déplacent. Ces traces sont autant de pistes chimiques ou d’indices issus de leurs activités qui vont
constituer des sources de stimulation déclenchant des comportements spécifiques chez les autres insectes de la colonie. Ces comportements vont
en susciter de nouveaux et ainsi de suite jusqu’à conduire parfois à une coordination des activités. C’est ce qui se passe par exemple dans le
recrutement alimentaire : si une fourmi découvre une source de nourriture, elle va informer ses congénères en déposant ses phéromones (substances
chimiques comparables aux hormones) sur le trajet menant de cette source à son nid. Cette piste va ensuite guider les autres fourmis vers la source
de nourriture. Se produit alors un effet boule de neige puisque plus les fourmis empruntent la piste, plus il y a de marquages et plus elles attirent
d’autres fourmis. Si la source de nourriture se tarit, la piste disparaît. Ces processus d’allers-retours, appelés feed-back, existent chez les insectes
sociaux et leur permettent de s’auto-organiser et de développer leur intelligence collective. Ils leur permettent également de prendre des décisions
collectives, de construire et modifier des structures très complexes comme leurs nids, de partager les tâches et organiser le travail, de rechercher et
sélectionner la source de nourriture la plus rentable parmi un large éventail de choix, de découvrir collectivement le chemin le plus court entre le nid
et la source de nourriture, etc. 214 . Comment les fourmis font-elles pour trouver des raccourcis ? Celles qui prennent le chemin le plus court
retournent au nid plus rapidement que celles qui empruntent le chemin le plus long. Du coup, les pistes du raccourci sont davantage empruntées et
sélectionnées. Pour tous ces comportements, tout se passe comme si ces milliers d’individus ne faisaient qu’un. Les fourmis illustrent parfaitement
cette résolution collective et quotidienne de problèmes. Elles s’adaptent par ailleurs parfaitement et très rapidement aux changements du milieu et
des études sur le point d’être publiées montrent clairement qu’elles sont tout à fait capables d’accéder collectivement à de la nourriture en utilisant
des outils et qu’elles forment des configurations spatiales étonnantes 215 . Autant de prouesses collectives pour de si petits animaux dont le cerveau
peu puissant ne compte qu’environ 100 000 neurones et qui ne peuvent que forcer l’admiration et l’humilité.
Mais l’intelligence collective n’est pas l’apanage des fourmis ni des insectes. L’un des exemples les plus spectaculaires de l’intelligence
collective se rencontre dans les mouvements acrobatiques des bancs de poissons et des vols d’oiseaux dans lesquels des milliers d’individus
exécutent simultanément des virages et changements de direction très rapides. Il est fort probable que les structures collectives que ces animaux
forment et que vous avez sûrement au moins déjà vues chez les oiseaux contribuent à l’efficacité dans la recherche de nourriture mais aussi à
l’évitement des prédateurs. Car il est clair que si ces regroupements maintiennent la cohésion du groupe pendant les déplacements, l’impression de
masse qui s’en dégage peut décourager un prédateur et faciliter la capture de diverses nourritures. Mais comment les individus parviennent-ils à se
coordonner entre eux et comment choisissent-ils leur direction et leur vitesse ? En fait, chaque individu choisit sa direction et sa vitesse de
déplacement sur la base de deux sources d’information. La première est le propre cap de l’individu, probablement guidé par la connaissance
directe de l’emplacement de la source de nourriture, du prédateur ou de la destination de la migration. La deuxième est la position et le cap de ses
voisins à l’intérieur du groupe. Mais comment coordonner ces informations ? Eh bien la cohésion semble maintenue par une stratégie d’attraction
des membres les plus éloignés du groupe, pendant que les collisions sont évitées par un éloignement des congénères qui se rapprochent trop. Ces
coordinations, les déplacements dans la même direction et les changements de direction sont rendus possibles par l’alignement des individus les uns
par rapport aux autres à l’intérieur d’un rayon donné. Les comportements d’imitation que l’on rencontre dans ces phénomènes jouent le même rôle
que les traces laissées sur le sol chez les fourmis lors du recrutement alimentaire. Ce sont probablement des comportements similaires qui
expliquent comment un groupe peut trouver son chemin vers une destination connue par seulement quelques-uns de ses membres. Un essaim
d’abeilles vole ainsi sans faillir vers son nouveau nid même si seulement 5 % des plusieurs milliers de ses membres connaissent l’adresse d’arrivée !
Les éclaireuses semblent guider la majorité ignorante en volant à haute vitesse à travers l’essaim, le tout en direction du lieu à atteindre. Le guidage
semble même possible quand les individus bien informés volent à la même vitesse que les autres.
Tous ces exemples d’intelligence collective sont une source d’inspiration pour les sciences de l’ingénieur et l’informatique. Ainsi, les
comportements des fourmis modélisés par des algorithmes fournissent une base de données susceptible de résoudre les problèmes complexes
d’optimisation lorsque le nombre total de solutions possibles est bien trop élevé pour les tester toutes. Il existe même de l’intelligence collective
chez les robots qui peuvent inspecter des lieux inaccessibles ou dangereux… Autant d’exemples d’intelligence chez diverses espèces dont les
contacts sociaux sont fondamentaux. Mais attention, nous ne devons jamais oublier pour autant que des espèces solitaires comme les pieuvres par
exemple peuvent tout à fait être intelligentes. Quoi qu’il en soit, la capacité à apprendre socialement est un prérequis pour la transmission culturelle
et pour le développement des traditions chez les humains et les autres animaux.

Sois intelligent et cultivé tu seras ou sois cultivé et intelligent tu seras ?


L’intelligence, quelle qu’en soit sa définition (adaptation à une situation, capacité à répondre à des situations complexes, à apprendre ou à
innover), est un véritable puzzle sur le plan évolutif. Qu’est-ce qui est potentiellement héritable ? Réponse possible : la capacité d’inventer des
solutions. Ce qui contribue à la survie n’est pas la capacité d’apprendre en elle-même, mais plutôt les solutions innovantes, c’est-à-dire les
techniques apprises. Cependant, les inventions peuvent contribuer de manière importante à la survie sans pour autant être héritables du fait que leur
acquisition et transmission dépendent de plusieurs facteurs comme les multiples conditions changeantes de l’environnement ou encore le hasard. La
sélection des espèces intelligentes est donc difficile. Et pourtant, de nombreuses espèces sont intelligentes. Pourquoi ? Parce que, comme nous
venons de le voir, l’apprentissage social par les petits ou les autres membres de la famille rend les inventions héritables. Un individu peut apprendre
toutes sortes de techniques et devenir intelligent au contact d’autres membres. La sélection peut ainsi favoriser la capacité d’apprentissage d’un
individu, mais surtout l’apprentissage social qui améliore l’intelligence – qui plus est, potentiellement sur plusieurs générations. Autrement dit, la vie
sociale peut permettre la diffusion d’une invention qui va rendre le groupe, voire la population et l’espèce plus intelligents. Et si cette invention est
transmise de génération en génération, alors elle est considérée comme un trait culturel de l’espèce. L’intelligence d’un individu peut donc conduire
à l’intelligence du groupe puis à celle de toute une génération, voire de plusieurs. L’intelligence aura donc donné accès, dans ce cas, à la culture,
c’est-à-dire à la transmission sur plusieurs générations, de l’invention en question. Mais attention, les inventions et les techniques transmises peuvent
différer au sein de la même espèce.
Par exemple, il existe des différences de comportement entre les communautés de chimpanzés, espèce pour laquelle on estime qu’il existe
environ 40 comportements acquis socialement, incluant l’utilisation d’outils, l’épouillage ou encore les comportements de séduction. Prenons un
exemple qui fascine les scientifiques depuis des décennies : l’outil. Certaines communautés de chimpanzés utilisent des outils et d’autres non alors
qu’elles disposent des mêmes matières premières. De même, certains groupes, pour casser les mêmes noix, utilisent des outils en bois et d’autres
en pierre. Avec ma collègue Shelly Masi, primatologue au Muséum national d’histoire naturelle et spécialiste des gorilles sauvages, nous comparons
les techniques de manipulation de groupes de gorilles qui ne se côtoient pas, mais qui consomment les mêmes aliments, afin de voir s’ils
développent des stratégies différentes. Et tel semble bien être le cas. D’autres exemples similaires se rencontrent chez de nombreux animaux aussi
différents que les primates, les oiseaux, les poissons ou encore les mammifères marins et les céphalopodes 216 . Des phénomènes culturels
existeraient dans les techniques alimentaires ou encore la communication, à travers des processus d’imitation et même d’enseignement des mères
aux petits 217 . Pourquoi de telles différences de comportement entre groupes d’une même espèce pour un même contexte ? Mystère. À moins qu’il
existe des cultures animales, et c’est ce que bon nombre de travaux tendent à montrer, chez plusieurs espèces, dont les gorilles tout récemment 218 .
Ces cultures animales seraient ainsi le fruit de leur intelligence.
Mais on peut aussi voir les choses sous un angle différent. La culture pourrait avoir un effet sur le développement de l’intelligence, c’est-à-
dire au cours de la croissance. Cette idée, appelée « hypothèse de l’intelligence culturelle » suggère également que la culture peut affecter
l’évolution de l’intelligence 219 . Prenons des exemples. Pour commencer, les animaux capables d’apprentissage social utilisent cette capacité plutôt
que l’exploration individuelle pour acquérir des compétences. Ainsi, les enfants chez plusieurs espèces de primates présentent peu de
comportements exploratoires indépendants et préfèrent explorer les aliments potentiels après que leurs mères les ont goûtés. Chez les orangs-
outans, le régime alimentaire des enfants est le même que celui de leurs mères respectives qui, elles, ont des alimentations différentes 220 ! Chez le
fameux aye-aye (lémurien, Daubentonia madagascariensis), les enfants évitent les nouvelles nourritures tant que leurs mères ou d’autres
congénères ne les ont pas essayées 221 ! On retrouve également ce type de comportement chez les petits rats 222 .
Donnons encore d’autres exemples. Les jeunes chimpanzés élevés sans modèle référent adulte présentent des compétences réduites dans de
nombreuses techniques. Ils sont ainsi moins performants dans la construction de nids ou encore l’utilisation d’outils ou ne développent pas du tout
ces comportements 223 . À l’inverse, de jeunes animaux en présence d’adultes vont acquérir des techniques, parfois même en dehors de leurs
comportements habituels. C’est le cas des jeunes animaux élevés par des humains qui, par phénomène d’acculturation, vont acquérir un
développement comportemental et moteur plus rapide et un nombre plus élevé de techniques comme la manipulation et l’utilisation d’outils ou
comme un intérêt plus important pour les objets 224 . Ainsi, les individus qui ont davantage d’opportunités pour l’apprentissage social acquièrent
systématiquement un plus grand nombre de techniques. Cet effet de l’apprentissage social a des conséquences sur le plan évolutif puisque le
nombre et la complexité des techniques acquises par apprentissage social peuvent impacter positivement la survie des lignées bénéficiant de plus
d’opportunités d’apprentissage social. Pour faire simple et caricaturer un peu, si vous êtes un orang-outan et que vous ne connaissez pas la
technique pour extraire et consommer la graine issue des fruits de neesia qui améliore la survie en apportant les bénéfices énergétiques essentiels à
votre régime alimentaire, vous vivrez beaucoup moins bien ou vous mourrez de faim 225 . Alors l’intelligence mène-t-elle à la culture ou la culture à
l’intelligence ? Probablement les deux. Les scientifiques se renvoient la balle tour à tour mais, finalement, ce qui est le plus intéressant est de
constater que de très nombreuses espèces d’animaux innovent, apprennent, se transmettent des savoirs, au sein de leurs groupes, entre générations
et que ces savoirs leur permettent d’améliorer leur quotidien, voire leur survie. Et si la survie est en jeu alors, une nouvelle fois, l’intelligence est
impliquée dans l’évolution, mais d’une manière si complexe et variée qu’il est bien difficile d’en faire la synthèse.
CHAPITRE 7

Coopération, altruisme ou empathie ?

L’intelligence du cœur

F. M . – C’est presque une question d’intelligence, c’est aussi une affaire de cœur [évoquant une juste répartition des richesses].
V. G. E. – Tout d’abord je trouve toujours choquant et blessant de s’arroger le monopole du cœur. Vous n’avez pas, monsieur
M itterrand, le monopole du cœur ! Vous ne l’avez pas… J’ai un cœur comme le vôtre qui bat à sa cadence et qui est le mien. Vous
n’avez pas le monopole du cœur.

Vous n’avez pas le monopole du cœur…


Cet échange entre François Mitterrand et Valéry Giscard d’Estaing a eu lieu le 10 mai 1974 au cours du débat télévisé de l’entre-deux-tours
de l’élection présidentielle française. Il est directement transposable au sujet qui nous importe dans ce livre. L’intelligence du cœur, c’est cette
capacité de coopérer ou encore de faire preuve d’empathie, d’aimer ou d’aider, même si on n’y a pas d’intérêt personnel. Aider ou aimer
gratuitement en quelque sorte. Si un individu n’a pas à s’octroyer le monopole du cœur, sans doute qu’une espèce, en l’occurrence l’espèce
humaine, n’a pas à se l’octroyer non plus. En d’autres termes, l’intelligence du cœur est-elle l’apanage des humains ?

Coopère et deviens intelligent ou sois intelligent et coopère ?


Nous avons vu dans le chapitre précédent que les interactions sociales entre les individus ont pu fournir des pressions de sélection impliquées
dans l’évolution de capacités intellectuelles avancées. L’hypothèse de l’intelligence sociale est ainsi souvent proposée pour expliquer les hauts
niveaux d’intelligence observés chez les humains, les autres primates, les cétacés ou encore les oiseaux. Mais il est un facteur impliqué, plus précis,
qui semble être d’une importance particulière : la coopération. La coopération est une action jointe pour un bénéfice commun, une entraide entre
plusieurs individus. Elle implique des relations, des échanges et souvent une analyse de la situation. La coopération existe de plusieurs manières et à
divers niveaux de l’organisation biologique. Les gènes coopèrent dans les génomes (matériel génétique d’un individu ou d’une espèce codée dans
son ADN). Les chromosomes coopèrent dans les cellules eucaryotes (organismes à noyau et mitochondries). Les cellules coopèrent dans les
organismes multicellulaires, font fonctionner notre organisme et de nombreux exemples de coopération existent dans le monde animal. Il semble
donc que les comportements de coopération ne soient pas l’apanage des humains mais qu’en plus ils soient fortement impliqués dans l’évolution de
l’intelligence, voire du langage 226 . La coordination entre les partenaires pendant la coopération peut impliquer des capacités cognitives élevées. En
effet, il faut parfois prendre des décisions pour soi, mais aussi pour les autres, et que ces décisions soient en adéquation avec celles prises par les
autres individus. Il faut donc comprendre, se comprendre, se souvenir parfois et communiquer. Si un chimpanzé veut échanger de la viande contre
une séance d’épouillage, il faut qu’il ait compris ou qu’il se souvienne que son congénère visé peut être intéressé et éventuellement qu’il le
convainque. Le besoin, l’envie de coopérer ont ainsi pu conduire à la sélection d’individus ayant des capacités appropriées, c’est-à-dire élevées.
Encore faut-il que la coopération existe, qu’elle soit apparue et qu’elle se soit maintenue au cours de l’évolution. Elle doit donc apporter
d’importants bénéfices à ses acteurs.
Il existe un nombre incalculable d’exemples de coopération dans le monde animal et même dans le monde végétal comme le montrent
certaines plantes qui peuvent coopérer en se prévenant les unes et les autres par des signaux chimiques de l’attaque d’un herbivore. De nombreux
animaux coopèrent dans le contexte de la recherche de nourriture, de l’attraction d’un partenaire, de l’évitement des prédateurs, de la défense du
territoire et même de l’attention parentale 227 . En contexte expérimental, les capacités de coopération ont été démontrées, entre autres, chez les
primates, les carnivores, les cétacés, les éléphants et les corvidés 228 . Chez les primates, des expériences menées chez les tamarins ont montré qu’ils
pouvaient utiliser un outil pour donner de la nourriture à un destinataire non apparenté sans obtenir de la nourriture pour eux-mêmes en retour 229 .
Les tamarins peuvent ainsi faire preuve de coopération, voire d’altruisme pour certains puisqu’il y a un bénéfice pour le destinataire et un coût pour
l’utilisateur d’outil. On retrouve également ce type de coopération chez les geais. En effet, imaginez deux geais qui doivent appuyer sur des touches
pour recevoir une récompense, la récompense variant selon leur décision de coopérer ou pas. Ils sont ainsi confrontés aux choix suivants : 1) s’ils
coopèrent tous les deux ils obtiennent une récompense modérée ; 2) s’ils font un choix individuel, ils obtiennent chacun une récompense faible ; 3)
si l’un coopère et l’autre pas, celui qui ne coopère pas reçoit la plus grande récompense et le coopérant reçoit la plus petite. Bilan : la coopération
mutuelle est le meilleur choix possible. Eh bien que font les geais ? Ils coopèrent mutuellement 230 .
En milieu naturel, de nombreux exemples de coopération sont également à signaler 231 . Les rugissements territoriaux synchronisés effectués
par les mâles chez les lions découragent les intrus potentiels et tous les individus du groupe en profitent. De même, les chants territoriaux des
cratéropes bicolores (oiseaux, Turdoides bicolor) et de nombreux autres oiseaux sociaux servent à délimiter des territoires et à dissuader des
intrus. La coopération chez les suricates qui se relaient pour la surveillance du territoire et la détection de prédateurs potentiels est également
impressionnante. Les chiens sauvages d’Afrique coopèrent également pour chasser et le succès de cette chasse augmente avec la taille du groupe.
Les lionnes coopèrent également pour chasser en groupe et ainsi s’attaquer à de plus grosses proies que lorsqu’elles chassent individuellement.
L’un des comportements altruistes les plus répandus chez les animaux est l’épouillage qui fournit des bénéfices immédiats au destinataire en termes
de retrait des parasites 232 et de réduction des tensions et de l’anxiété 233 . En revanche, ce comportement implique des coûts pour celui qui épouille
qui, de fait, a moins d’opportunités pour participer à d’autres activités et subit une réduction de sa vigilance contre les prédateurs et les autres
individus du groupe 234 . L’épouillage est ainsi probablement le comportement altruiste le plus commun chez les primates et peut-être même chez
d’autres mammifères 235 et oiseaux 236 . Chez les chauves-souris vampires, si un individu n’a pas pu se procurer de la nourriture, un partenaire
régurgite une partie de son propre repas pour le sustenter. Enfin, la coopération existe chez les insectes sociaux et notamment chez les fourmis
tisserandes (Oecophylla smaragdina) qui coopèrent pour construire leur nid 237 . Certaines rapprochent les bords de deux feuilles pendant que
d’autres les « cousent » en utilisant la soie sécrétée par les larves. Coopération et utilisation d’outil (les larves !) en même temps – nous reparlerons
plus loin de ce comportement.
Outre chez les animaux terrestres, la coopération a été observée dans l’eau, en particulier chez les poissons qui savent coopérer dans
différents contextes comme la protection contre les prédateurs ou la défense de territoires, la capture de proies ou encore l’inspection de
prédateurs potentiels. Chez plusieurs espèces de poissons tropicaux, l’attaque par un barracuda provoque la scission du banc de poissons en deux
groupes qui nagent dans le sens opposé à celui du prédateur pour reformer le banc ensuite derrière lui. Cette scission-fusion a lieu jusqu’à ce que le
prédateur abandonne sa chasse. Certains individus du banc peuvent également encercler le prédateur ou les poissons peuvent tous se disperser.
Dans le cadre de la capture de proies, certains poissons coopèrent de manière très efficace. Par exemple, les sérioles (Seriola dumerili) procèdent
à une véritable stratégie : certains individus commencent par longer les bancs de maquereaux et en poussent un certain nombre vers la côte. Les
maquereaux se retrouvent alors piégés et forment un banc dense cerné par les sérioles. L’une d’entre elles fonce alors dans le banc qui se disperse
vers les autres sérioles qui les capturent. Le bénéfice pour les coopérants est ainsi direct.

Origine et évolution de la coopération : tricher ou ne pas tricher


La coopération est donc commune dans les sociétés animales et implique souvent des individus apparentés comme non apparentés. Les
mécanismes de ses origines et de son évolution sont complexes 238 . La coopération peut ainsi être avantageuse pour le groupe. Des poissons qui
coopèrent pour former des bancs et se déplacer en groupe réduisent leurs risques individuels de rencontre avec un prédateur et, si elle a lieu, la
majorité des poissons survivra. Précisons que la coopération qui n’engendre pas de bénéfice pour celui qui fournit l’assistance et qui est parfois
appelée coopération altruiste existe dans les sociétés animales comme nous l’avons vu pour l’épouillage, mais qu’elle implique alors souvent un
individu apparenté ou un partenaire potentiel. Par exemple, les mangoustes sociales (Mungos mungo) essayeront de sauver des membres
apparentés capturés par des prédateurs en effectuant contre eux des attaques coordonnées 239 . Le fait de tirer bénéfice ou non de l’aide qu’on
apporte constitue le point le plus intéressant sur le plan évolutif. Coopérer peut apporter d’énormes bénéfices, mais a aussi un coût. De plus,
pourquoi coopérer et aider un congénère si je n’en tire aucun bénéfice personnel et que, pire, je risque ma vie ? Un autre individu m’aidera-t-il en
retour ? Pourquoi aider et être altruiste si j’ai plus intérêt à être égoïste ou à tricher ?
La coopération peut apporter d’énormes bénéfices à ses acteurs et son apparition au cours des temps ne devrait donc pas susciter d’énigme.
Et pourtant, comprendre comment la coopération est apparue et a évolué est très complexe. Pourquoi ? Parce que les bénéfices qu’elle apporte
sont très fragiles et que l’équilibre peut rapidement être rompu. Qu’est-ce qui peut bien menacer un tel comportement ? Un tricheur ou, plus
exactement, un égoïste. Il suffit d’un égoïste pour que ce bel équilibre s’écroule et que la coopération dans la population s’arrête. Prenons un
exemple. Un suricate est plus en sécurité au sein d’un groupe puisqu’il profite de la vigilance de tous les autres individus. En participant lui aussi à
cette vigilance, il y consacre du temps, au lieu de se nourrir par exemple, et de l’énergie en bougeant et regardant de toutes parts. Imaginons un seul
instant que cet individu souhaite consacrer son temps et son énergie à manger ou à se reposer et qu’il stoppe sa vigilance. Cela altérerait-il la
sécurité du groupe ? Clairement non. Un individu de plus ou de moins, ce n’est pas dramatique. Nous voilà donc en présence du premier individu
égoïste ou tricheur du groupe. Il va davantage consacrer son temps à sa propre vie, consommer davantage de nourriture, « payer moins » pour la
vie des autres, peut-être vivre plus longtemps, consacrer plus de temps et d’énergie à sa reproduction et engendrer plus de descendants qui
partageront éventuellement le caractère « égoïste ». Pas de conséquence immédiate sur le groupe ? Pas immédiate non. Tout le problème est dans
le maintien de la coopération à l’intérieur du groupe. Car cet égoïsme, ou tricherie naissante, risque de s’étendre. Et s’il s’étend, il n’y a plus de
coopération.
Il existe une espèce chez laquelle l’apparition et l’expansion d’égoïstes ou de tricheurs offrent des exemples fréquents. C’est l’espèce
humaine, bien entendu. Chez les humains, la coopération et les bénéficies qui vont avec ont souvent bien du mal à survivre. Un exemple illustre
parfaitement la dualité entre coopération et égoïsme et a donné lieu à tout un champ de recherches sur ce que l’on appelle la théorie des jeux.
Imaginons des individus qui peuvent se rendre sur leur lieu de travail en prenant leur voiture ou le bus. Si tous prennent le bus, il y a peu de voitures,
les routes sont dégagées et il leur faut peu de temps pour arriver sur les lieux. Disons trente minutes. Mais en voiture, il faut forcément moins de
temps qu’en bus. Disons vingt-cinq minutes. Que se passe-t-il ? Quelques individus prennent leur voiture pour gagner ces cinq minutes. Le
problème, c’est qu’ils encombrent les routes et ralentissent les bus, mais aussi les voitures. Le trajet est donc plus long, en voiture comme en bus,
mais il reste toujours de plus courte durée en voiture. Si bien que de plus en plus de gens prennent la voiture, que les bouchons s’accumulent et
qu’il faut désormais une heure en bus et cinquante minutes en voiture pour se rendre au travail ! L’intérêt de tous est bien de coopérer et de prendre
le bus. Pourtant, l’égoïsme ou la tricherie prennent le dessus. Et il suffit d’un individu ou d’un petit groupe d’individus pour que la coopération et ses
bénéfices s’écroulent.
Le maintien et l’évolution de la coopération sont donc un enjeu essentiel et les mécanismes sous-jacents en sont très complexes 240 . Ils le sont
d’autant plus si on s’intéresse aux origines de la coopération. En effet, projetons-nous avant l’apparition de la coopération. Sans coopération, les
individus sont égoïstes et ne s’occupent que de leurs objectifs personnels. Imaginons qu’un individu souhaitant coopérer apparaisse dans cette
population d’égoïstes. Les autres individus risquent alors de profiter de la situation et d’exploiter au maximum ce qu’il a à offrir. Cet individu aura
finalement encore moins de succès que les autres puisque les autres tireront parti de lui sans rien lui donner en retour. Il pourra ainsi moins se
reproduire et aura très peu de chances de transmettre et de propager son caractère coopératif à la génération suivante… Mais alors comment la
coopération est-elle apparue, et elle est bien apparue puisqu’elle existe ? De très nombreuses hypothèses existent, évoquons la principale. Un
individu doit survivre et faire survivre son espèce. Dans ce but, il doit transmettre et répandre ses gènes. Pour cela, il va donc aider ses parents, ses
frères et sœurs et ses enfants, car il a tout intérêt à coopérer avec les individus qui lui sont apparentés. Et, de fait, la coopération est plus fréquente
entre individus apparentés.
Finalement, la coopération existe bel et bien, même si elle est parfois fragile. Un équilibre entre tricheurs et coopérateurs s’établit souvent et
les tricheurs peuvent parfois être évincés de la population, ou punis. La coopération est alors maintenue et encouragée sous la menace d’une
punition. Ce processus fonctionne d’ailleurs relativement bien chez les humains ! Enfin, quand la coopération est altruiste, c’est-à-dire quand elle
implique un coût pour celui qui coopère et un bénéfice pour le receveur, la tentation de tricher est forte, car l’arrêt de la coopération fournirait un
bénéfice immédiat. Alors pourquoi aider l’autre de nouveau ? Parce que la coopération altruiste est coûteuse, mais sur le court terme seulement. Il
est en effet fort probable que les coopérateurs altruistes tirent des avantages égoïstes en aidant la famille ou en récupérant leur « investissement »
lors de futures interactions.
Quoi qu’il en soit, la coopération est apparue, a évolué et évolue encore. Ses processus sont loin d’être élucidés et sont liés à des concepts
tout aussi complexes que l’altruisme et parfois même l’empathie. En voici un dernier exemple : nous sommes dans un enclos extérieur dans un zoo
situé près d’Atlanta aux États-Unis. Une femelle chimpanzé âgée, nommée Peony, souffre d’arthrose. Certains jours, elle rencontre de grandes
difficultés pour marcher et grimper. Il y a fort à parier que cette femelle aura du mal à atteindre certaines zones clés pour se nourrir ou avoir des
contacts avec les autres, mais c’est sans compter l’aide de ses congénères. Car les autres femelles l’aident ! Imaginez Peony en train de haleter et
de souffrir pour grimper sur la zone où plusieurs chimpanzés sont en train de s’épouiller. Elle se démène mais ne parvient pas à grimper. Une jeune
femelle, non apparentée, se place alors derrière elle, place ses mains derrière ses hanches et la pousse vers le haut jusqu’à ce que Peony parvienne
à monter. En milieu naturel, il a également été fort intrigant pour Marie Cibot, une de mes ex-doctorantes coencadrée avec Sabrina Krief, de
constater que les chimpanzés parfois fortement handicapés (doigts, voire membres entiers manquants) parvenaient à consommer autant de
nourriture que les chimpanzés valides 241 . En effet, on avait plutôt émis l’hypothèse que les mutilations que bon nombre d’entre eux avaient subies à
cause du braconnage d’autres espèces (les chimpanzés se prennent parfois malheureusement dans les pièges) les empêcheraient de se nourrir
correctement. Aucun comportement d’entraide ou altruiste n’a été directement observé, mais il est clair qu’ils trouvent les stratégies pour ne pas
pâtir de ces handicaps. Quoi qu’il en soit, si les exemples d’aide spontanée sont abondants, entre autres chez les primates, de nombreux travaux
mentionnent encore que les humains sont la seule espèce réellement altruiste.

De l’altruisme chez les animaux ?


Et pourquoi pas de l’empathie tant que vous y êtes !
Au sens strict, l’empathie est la capacité d’être affecté par l’état émotionnel d’un autre et de partager ses émotions. L’empathie permet à
l’organisme d’être concerné par l’état d’un autre, ce qui est essentiel dans les interactions sociales, pour la coordination des activités et pour la
coopération vers un but commun. L’empathie peut ainsi conduire à l’altruisme 242 . D’autres voient même dans l’empathie quelque chose de très
cognitif qui serait proche de la théorie de l’esprit, à savoir la capacité d’avoir accès à l’esprit de l’autre en s’imaginant soi-même dans sa situation et
en comprenant ses objectifs et ses intentions de l’autre 243 .
Cette capacité a été démontrée chez plusieurs espèces 244 . Les premières preuves d’empathie datent des années 1960 245 . Imaginez un rat qui
doit presser un levier pour obtenir de la nourriture. Il appuie sur le levier et se régale. Les choses se compliquent lorsqu’en pressant ce levier, il voit
un de ses congénères de la cage voisine recevoir une décharge électrique en provenance du sol. Que fait le petit gourmand ? Il arrête de presser le
levier. Le rat arrête-t-il de presser le levier car il est concerné par les mésaventures de son congénère ou a-t-il seulement peur de ce qui pourrait lui
arriver à lui ? Là est toute la question… D’autres études ont largement montré que des macaques rhésus (Macaca mulatta) pouvaient s’arrêter de
manger pendant plusieurs jours si leur action permettant d’obtenir de la nourriture provoquait des décharges électriques chez leurs congénères 246 .
Une autre témoigne d’un rat qui voit un congénère en détresse, suspendu dans le vide par un harnais. Dès lors, il presse un levier pour le faire
descendre sain et sauf au sol, en restant près de lui et en l’orientant même vers lui247 ! Plus récemment, des études menées chez les chimpanzés,
connus dans ce cadre pour leur capacité, entre autres, à consoler, ont montré leur capacité à éprouver des émotions face à des vidéos de leurs
congénères. Dans une expérimentation, trois types de vidéos sont montrés aux sujets, présentant des stimuli positifs (films de jeux), négatifs (films
d’agression) et neutres (films de paysages). Il est apparu que les vidéos présentant des scènes d’agression ont par exemple provoqué des cris et
des hérissements de poils. Les vidéos positives ont conduit les chimpanzés à effectuer des gestuelles corporelles liées aux jeux et à solliciter l’écran.
Enfin, les vidéos neutres ont uniquement provoqué une observation assidue 248 . Lors d’une expérience similaire, il a été montré que la température
de la peau décroît (indication d’une stimulation négative) quand les chimpanzés observent des vidéos montrant leurs congénères recevoir des
piqûres 249 !
Prenons un autre exemple d’empathie, jugé plus complexe par certains. Nous sommes au zoo de Twycross, en Angleterre. Un étourneau
heurte une vitre de l’enclos des bonobos. Kuni, une femelle bonobo, le voit tomber suite au choc. Elle le ramasse et le remet doucement sur ses
pattes. Encore assommé, l’oiseau ne bouge pas. Elle le secoue un peu, mais rien n’y fait, il ne s’envole pas. Kuni prend alors l’étourneau dans sa
main et grimpe au sommet du plus grand arbre. Elle se met à califourchon sur le tronc pour tenir l’oiseau des deux mains et lui déplie les ailes
délicatement et au maximum. Elle tient alors chaque aile du bout des doigts, puis le lance dans les airs. L’oiseau retombe malheureusement dans sur
le talus du fossé alors rempli d’eau. Kuni redescend et reste près de l’étourneau pour le protéger de la curiosité d’un jeune bonobo – au passage,
rappelons que les bonobos peuvent consommer des proies… La protection de Kuni porte finalement ses fruits puisque l’oiseau s’envole enfin dans
la soirée 250 .
Autre exemple assez extraordinaire : nous sommes en 1996 au zoo de Brookfield (Chicago). Un petit garçon de 3 ans escalade la grille de
protection qui sépare le public de la fosse aux gorilles. Il tombe, fait une chute de 6 mètres et se retrouve inconscient sur le sol de l’enclos. Binti
Jua, femelle gorille, s’approche du garçon avec son petit. Elle le soulève, traverse l’enclos et le dépose à la porte de l’enclos : le petit garçon sera
sauvé – un autre sauvetage de ce genre avait déjà eu lieu dans un zoo anglais auparavant. Quoi qu’il en soit, ce type d’aide témoigne de l’empathie
dont peuvent faire preuve certaines espèces. Les chimpanzés comprennent les émotions, les attitudes et les situations des autres et peuvent même
mettre leur vie en danger. Le gorille Koko, à qui le docteur Patterson a appris le langage des signes, a même signifié qu’il était triste quand le chat
avec lequel il avait l’habitude de jouer est mort.
On compte plus de 2 000 autres anecdotes témoignant d’empathie chez les primates non humains 251 et des travaux essaient d’en comprendre
les fondements 252 . D’un point de vue évolutif, l’empathie pourrait fournir une motivation majeure à l’échange de bénéfices entre individus qui
pourrait ainsi perdurer au fil du temps. Elle existe donc probablement depuis très longtemps et devrait être étudiée chez d’autres espèces et en
dehors des primates (autres mammifères, oiseaux, etc.). Par exemple, une étude montre que les éléphants sont capables de comprendre les
intentions et émotions des autres individus 253 . En se fondant sur près de 250 observations d’éléphants sauvages d’Afrique (Loxodonta africana)
pendant trente-cinq ans, Lucy Bates et ses collaborateurs ont montré qu’ils sont dotés d’une empathie équivalente à celle des humains et de
capacités cognitives très développées 254 . Les éléphants peuvent en effet en réconforter d’autres, adopter des orphelins, former des alliances,
s’entraider pour sortir des petits coincés dans la boue, retirer des lances plantées dans le corps d’autres individus, etc. Or aider l’autre implique de
l’empathie, de comprendre la situation de l’autre, son ressenti. De plus, les éléphants semblent avoir parfaitement conscience d’eux-mêmes et
peuvent donc tout à fait avoir conscience des autres… Mais peut-être n’y a-t-il pas besoin d’avoir conscience de soi pour être altruiste et avoir de
l’empathie. Nous sommes là à la frontière de la philosophie et de la biologie, comme cela a toujours été le cas sur ces thématiques qui intéressaient
tout autant Darwin que de nombreux philosophes. Nous avons beaucoup à découvrir dans ce domaine. Ne plus placer les humains comme la seule
espèce capable de tels comportements nous aidera à développer des approches comparatives et à aborder leur évolution.
CHAPITRE 8

Une intelligence ou des intelligences ?

D’une évolution linéaire à une évolution buissonnante

« Tu es intelligent toi ?
– Sincèrement, je n’en sais rien…
– C’est idiot comme réponse !
– Tu vois, je te l’avais bien dit. »

L’être humain est plus intelligent qu’une fourmi car celle-ci ne sait pas utiliser un ordinateur. De fait, l’être humain est plus doué en
informatique qu’une fourmi. Mais la fourmi du désert est plus intelligente que l’être humain, car elle possède de bien meilleures capacités de
navigation. Qui est le plus intelligent des deux ? Utiliser un ordinateur est-il plus important pour survivre que de savoir naviguer ? On ne peut pas
répondre. De même qu’il est très difficile de répondre à la question « êtes-vous intelligent ? », tout simplement parce qu’il n’existe pas de définition
simple et unique de l’intelligence. L’intelligence est-elle la capacité à répondre à des situations nouvelles ou complexes ou encore à apprendre et à
innover 255 ? L’intelligence est-elle la capacité à résoudre un problème ? L’intelligence est-elle la capacité à apprendre rapidement ou encore à
raisonner 256 ? L’intelligence est-elle la capacité de créer ou encore d’aider l’autre ? En plus de ces différentes visions de l’intelligence, de très
nombreux paramètres interviennent : il y a les diverses capacités que nous venons de voir comme manipuler, utiliser des outils, les fabriquer, se
déplacer, mémoriser, inventer, transmettre, etc., et il y a aussi divers contextes comme vivre en forêt, dans le désert, avec des prédateurs, etc.
Comment comprendre alors les mécanismes évolutifs de l’intelligence si définir l’intelligence est à ce point complexe ? Ce qui est certain, c’est que
les animaux savent faire énormément de choses, que les humains savent parfois faire, mais parfois non, que ces capacités existent chez des espèces
très différentes les unes des autres et qu’elles sont donc apparues à différentes périodes de l’évolution.
Il n’existe pas d’évolution linéaire de l’intelligence au même titre qu’il n’existe pas d’évolution linéaire tout court. D’où le choix délibéré
d’utiliser une définition large de l’intelligence comme nous l’avons fait tout au long de cet ouvrage et de la considérer comme une stratégie
adaptative. Toutes les espèces sont intelligentes, à leur manière, dans leur contexte, pour une ou plusieurs capacités, certes, mais elles le sont
toutes. Et vouloir hiérarchiser cette intelligence dans le seul but de montrer la suprématie humaine est chose vaine, car il existera toujours une
capacité qui échappe aux humains et que nous trouverons chez d’autres animaux. Il faut, de plus, contempler l’intelligence à l’échelle de l’évolution.
Les fourmis, qui ont en partie côtoyé les dinosaures, vivent et survivent depuis 120 millions d’années. Les humains, seulement âgés d’environ
3 millions d’années, seront-ils assez intelligents pour en faire autant ?
Autre conviction : il n’y a pas une intelligence mais des intelligences. Chacun a sa place dans ce concept d’« intelligence plurielle ».
L’intelligence est multiple dans le règne animal et une carrière entière ne saurait suffire à comprendre son évolution. C’est d’ailleurs sans doute une
quête impossible tant il y a de capacités, de comportements et d’espèces sur cette planète, sans compter tous ceux que nous ne connaissons pas.
Tout au plus pouvons-nous explorer et comprendre certains phénomènes de convergence, c’est-à-dire comment des espèces aussi éloignées et
différentes que des insectes, des céphalopodes, des oiseaux et des primates ont développé des comportements complexes communs comme
l’utilisation d’outils qui peut ainsi impliquer des mains, des becs, des pattes, des tentacules ou autres trompes du monde animal. Il est passionnant
de tenter de comprendre pourquoi des animaux aussi différents et vivant dans des milieux parfois opposés ont développé les mêmes
comportements.
Il est également possible de chercher à savoir à quel moment de l’évolution est apparu tel ou tel comportement. Cette problématique est
délicate, car les comportements ne se fossilisent pas et au mieux nous pouvons tenter de déduire ce qu’un ancêtre faisait à travers le comportement
actuel de l’animal. Si une corneille est capable aujourd’hui d’utiliser un outil pour extraire des larves d’un tronc, nous pouvons supposer que si les
ancêtres de cette corneille avaient des becs et des pattes relativement similaires et que des troncs et des larves étaient présents, alors son ancêtre
avait le potentiel d’exercer le même comportement. Mais nous pouvons seulement le supposer. Ce qui est passionnant, c’est de tenter de
comprendre pourquoi, à des endroits différents et des époques différentes, des animaux très variés ont inventé des comportements très proches et,
à l’inverse, pourquoi au sein de la même espèce, certains inventent et d’autres pas.

Quand la vie apparaît,


l’intelligence aussi
Il est très difficile de dire quand l’intelligence est apparue. Une telle réponse serait en effet basée sur des déductions d’observations ou des
connaissances du monde actuel. On ne peut donc proposer que des hypothèses. Et l’une d’entre elles semble assez plausible. L’intelligence
n’apparaît pas pour la première fois avec les premiers humains il y a environ 3 millions d’années. L’intelligence n’apparaît pas non plus avec les
premiers primates il y a 65 millions d’années. Elle n’apparaît pas non plus avec les oiseaux il y a environ 150 millions d’années. Pas plus avec les
mammifères ou les dinosaures il y a environ 230 millions d’années. L’intelligence n’apparaît pas non plus pour la première fois avec les reptiles il y a
environ 300 millions d’années ni avec les amphibiens il y a environ 360 millions d’années. Elle n’apparaît pas non plus avec les insectes il y a
400 millions d’années ni avec les poissons il y a 500 millions d’années. Alors sans doute que l’intelligence apparaît pour la première fois avec les
premiers céphalopodes il y a environ 550 millions d’années ? Non, même pas. L’origine de l’intelligence remonte à des périodes bien plus
anciennes encore. Elle apparaît sans doute au même moment que la vie, avant même les vrais animaux, soit il y a environ 3,5 milliards d’années.
Car si l’on en croit les capacités des bactéries (procaryotes, cellules sans noyau contrairement aux animaux) à trouver des solutions pour
lutter contre les antibiotiques, leur intelligence ne fait aucun doute. Ces cinquante dernières années ont été créés énormément d’antibiotiques,
certains avec des molécules qui n’existent même pas dans la nature. Et pourtant, toutes les bactéries ont développé des mécanismes permettant de
lutter contre ces molécules. Face à des situations nouvelles, voire complètement inattendues, les bactéries ont ainsi fait preuve d’une réelle capacité
d’adaptation et ont trouvé les solutions pour survivre. Il n’est donc pas surprenant que des collègues parlent d’intelligence collective pour ces si
petits organismes. Les micro-organismes sont ainsi capables d’adaptations complexes, voire de comportements altruistes ou de coopération.
Certains savent même choisir la matière première adéquate pour construire leurs coquilles 257 et sont dotés de capacités d’apprentissage 258 … Chez
les bactéries, la formation de biofilms nécessite une décision commune à l’ensemble de la colonie et nombreux sont les exemples de réorganisation,
de coopération ou d’adaptation en cas de stress nutritif, de déshydratation à cause de la chaleur ou d’attaque par un antibiotique 259 . Certains
parlent même d’intelligence sociale chez les bactéries 260 ! Or les bactéries sont les premiers êtres vivants à apparaître sur la planète et elles n’ont ni
mains ni cerveau. L’intelligence n’est définitivement pas l’apanage des humains et n’est certainement pas liée à une morphologie ou physiologie
particulière. Il est fort probable que les capacités du cerveau humain sont sous-estimées et encore largement inconnues, mais il n’en demeure pas
moins que l’intelligence n’a pas attendu l’arrivée des humains pour se propager au cours du temps et de l’espace, apparaissant en divers endroits à
diverses périodes.

Pourquoi l’intelligence apparaît et évolue


Des recherches récentes montrent que certains gènes pourraient être impliqués dans l’évolution de l’intelligence. Ce serait par exemple le cas
du gène FOXP2 qui serait lié au développement du langage et aux capacités d’apprentissage. En effet, des chercheurs américains ont inséré le gène
FOXP2 humain dans des souris et ont comparé leurs capacités cognitives avec celles de souris normales au cours de tests réalisés dans un
labyrinthe. Ils ont découvert que les souris porteuses apprenaient plus vite que les souris normales en trouvant plus rapidement la nourriture 261 . Loin
de ces théories généticiennes, d’autres paramètres ont probablement contribué à l’apparition et à l’augmentation des capacités des organismes et
de leur intelligence. Ainsi, certains chercheurs mettent en avant des paramètres sociaux, comme la vie en groupe ou l’évitement-affrontement des
prédateurs, mais également des paramètres écologiques comme la recherche de nourriture 262 . Et si l’intelligence apparaît à différentes époques et
dans diverses lignées animales, c’est sans doute qu’il y a des bénéfices, pour les organismes, à en tirer. Il est par exemple possible que l’intelligence
permette à un organisme de résoudre des problèmes et d’augmenter sa survie, notamment grâce à ce qu’on appelle la flexibilité comportementale,
c’est-à-dire la capacité à adapter son comportement à la situation grâce à un large panel de possibilités individuelles 263 . Par exemple, si je suis un
individu qui sait utiliser un outil, j’aurai plus de cordes à mon arc que si je suis un organisme qui n’en utilise pas. Ainsi, si un ver de terre est caché
dans un tronc et que deux oiseaux veulent le manger, si tous deux ont un bec trop court pour l’attraper, celui qui sait utiliser un outil pour l’extraire
sera avantagé. Chaque individu et chaque espèce a ainsi un panel de comportements et de capacités général susceptible d’évoluer à l’échelle de sa
vie et d’être utilisé, ou pas, selon le contexte.
De nombreuses études portant sur les performances animales font ainsi état d’une intelligence générale qui serait d’ailleurs liée à la taille du
cerveau 264 . Ainsi, leur grand cerveau permettrait aux humains de bénéficier de meilleures performances en termes de mémoire, d’apprentissage, de
planification, etc. Mais de tels bénéfices ne sont pas suffisants pour expliquer l’évolution de l’intelligence et du cerveau. Car, a priori, la sélection
naturelle ne favorise pas les excès et si une solution peu coûteuse est présente, elle a plus de probabilités d’être sélectionnée. Or l’intelligence est un
trait considérablement coûteux. En effet, le cerveau humain est responsable à lui tout seul de la consommation de 25 % du glucose corporel, de
20 % de l’oxygène et de 15 % du débit cardiaque. Le cerveau nécessite 20 % de notre métabolisme de base et ne représente que 2 % environ du
poids total du corps. Il représente donc un coût élevé pour le métabolisme, bien plus que les autres tissus du corps humain. Autrement dit, les
avantages engendrés par un accroissement de la taille du cerveau ont intérêt à être très pertinents.
Cette vision physiologique de l’intelligence devient encore plus intéressante lorsqu’on sait qu’explorer et apprendre en groupe conduit à une
utilisation plus efficace du cerveau. Il y aurait donc un bénéfice réel, mais coûteux, à être intelligent, rendu plus économique en quelque sorte par la
vie sociale. Ainsi on peut supposer que les animaux sociaux et ayant un système social tolérant et un développement lent (qui laisse le temps
d’apprendre) ont développé les formes les plus étendues d’apprentissage social et ont donc probablement des capacités élevées. C’est le cas des
grands singes, des singes capucins, des dauphins, des baleines, des éléphants, des corvidés ou encore des perroquets. L’espèce humaine en tant
qu’espèce sociale et bénéficiant d’un long développement intègre parfaitement ce type d’hypothèse dite culturelle. L’apprentissage social chez les
humains apparaîtrait ainsi très tôt pendant la croissance, permettant d’acquérir toutes sortes de compétences et de techniques. La pédagogie serait
ainsi, pour certains, une adaptation typiquement humaine 265 et, pour d’autres, partagée avec les chimpanzés 266 et même les fourmis qui, pour
certains chercheurs, sont de bonnes « maîtresses 267 » ! Par exemple, les mères chimpanzés de Taï enseignent à leurs petits de 6-7 ans comment
casser les noix en leur montrant par exemple la position correcte de la noix à adopter sur le support (l’enclume) ou en exécutant parfois les gestes
au ralenti268 .
La vie sociale impliquant coopération et compétition a donc probablement favorisé l’apparition et l’évolution de l’intelligence. Cependant,
d’autres hypothèses peuvent être avancées pour expliquer l’apparition et l’évolution de l’intelligence. Ainsi, l’intelligence évoluerait en réponse à
des défis spécifiques de l’environnement. C’est pour cette raison que les oiseaux qui chassent ont des capacités de mémorisation exceptionnelles,
que les pigeons voyageurs ont de fortes capacités de navigation spatiale, que les abeilles possèdent des systèmes de communication complexes ou
encore que les primates ont développé de fortes capacités en lien avec la nécessité de trouver des fruits dont la disponibilité varie selon les saisons
ainsi que des ressources parfois difficiles d’accès (fruits à coque à ouvrir, etc.).
Les hypothèses de l’intelligence culturelle, de l’intelligence écologique ou encore de l’intelligence sociale offrent toutes des pistes de réflexion
pertinentes. Tous ces facteurs sociaux, culturels, écologiques, sont vraisemblablement impliqués dans ce sujet aussi complexe. Malgré tout, une
question demeure. S’il est si avantageux d’être intelligent, alors l’évolution sélectionne-t-elle uniquement des espèces intelligentes, ce qui voudrait
dire que toutes les espèces actuelles sont intelligentes ? Oui probablement, mais à différents degrés et en fonction des contextes. Ce qui est certain,
c’est qu’il n’est pas indispensable de s’appeler Einstein pour survivre. Ce qui est également évident, c’est qu’au sein de n’importe quel groupe ou
de n’importe quelle espèce, vous observerez des comportements différents, des individus qui échoueront et d’autres qui réussiront, des individus
plus efficaces que d’autres, etc. Comme toujours au regard de la biologie et de l’évolution, il existe une très grande diversité entre les espèces,
entre les populations et entre les individus. Et cette diversité rend les choses complexes à comprendre, d’autant plus si nous plaçons les humains en
haut de cette pyramide évolutive imaginaire.

Imaginons que les humains soient tout de même les plus intelligents…
Partons, malgré tout, du postulat que les humains possèdent une intelligence extraordinaire et supérieure aux autres espèces. C’est un fait, les
humains actuels possèdent de gros cerveaux. Ce point est lié, pour certains, à leur grande créativité et à leur grande intelligence, et témoigne d’une
forte sélection naturelle, même si les conditions ayant favorisé les adaptations cognitives humaines restent une énigme. De nombreuses hypothèses
ont été proposées concernant les avantages sélectifs d’un changement intellectuel pendant l’évolution humaine. La plupart des explications
impliquent la résolution de problèmes écologiques comme l’utilisation d’outils, la chasse, le charognage, la vie dans la savane ou en environnements
instables, etc. Le problème, c’est que bon nombre d’autres espèces utilisent des outils, vivent dans des environnements instables, chassent,
charognent, etc. C’est pour cette raison qu’un autre champ de la recherche propose que les avancées en termes de langage, d’art ou encore de
religion aient conduit à l’utilisation de représentations symboliques à l’origine de capacités culturelles élevées 269 . Mais bien des espèces ont des
modes de communication très complexes par les chants, les vocalises, les gestes et même par l’utilisation de symboles. Des expériences ont
d’ailleurs confirmé ces capacités élevées. Dans les années 1970, le chimpanzé Washoe utilisait environ 250 signes qui formaient son lexigramme. Le
bonobo Kanzi, encore lui, a lui aussi été capable d’associer des lexigrammes avec des objets, des actions ou des personnes, puis de créer des
associations de lexigrammes pour leur donner un nouveau sens 270 . Le célèbre perroquet gris du Gabon nommé Alex et étudié par l’éthologue Irene
Pepperberg a également été capable de dire des phrases comme : « Alex donne pomme Irène. » Alex savait aussi nommer une cinquantaine
d’objets différents et identifier et différencier des couleurs, des formes ou encore des textures. Il comprenait parfaitement environ 150 mots qu’il
pouvait utiliser de manière cohérente au cours d’une conversation 271 .
Voici un exemple anecdotique de conversation ayant eu lieu après une expérience déroulée un soir :

Pr PEPPERBERG. – Tu as mérité ta pause.


ALEX. – Tu reviens demain ?
Pr PEPPERBERG. – Oui.
ALEX. – Je vais dîner.
Pr PEPPERBERG. – OK, mange ton dîner.
ALEX. – Eh bien sois sage.
Pr PEPPERBERG. – Oui, bien sûr, à demain.

Alex est mort prématurément à l’âge de 31 ans. Ses derniers mots envers le professeur Pepperberg ont été : « You be good, see you
tomorrow, I love you » (« Sois sage, à demain, je t’aime »). Mais il n’y a pas que les perroquets qui peuvent communiquer de manière complexe.
Une femelle dauphin tursiops, Akeakamai, pouvait comprendre la langue des signes pour tout ce qui se rapportait aux objets et aux emplacements,
comme la droite ou la gauche. Elle pouvait également comprendre des mots et phrases de base comme « toucher le frisbee avec ta queue puis
sauter par-dessus 272 ». Enfin, une étude récente montre que les babouins savent apprendre à identifier les éléments qui font un mot. Ils sont
capables d’apprendre les combinaisons de lettres qui apparaissent fréquemment dans les mots anglais et de détecter les lettres qui ne sont pas à la
bonne place. Les babouins font ainsi une vraie analyse orthographique 273 !

De l’impossibilité de hiérarchiser l’intelligence


Alors, qu’y a-t-il eu de si spécial, de si particulier dans la vie évolutive de nos ancêtres pour que les humains actuels deviennent si
intelligents ? Une mutation génétique comme certains l’évoquent au sujet du gène FOXP2 274 ? Soyons honnête, il est extrêmement difficile de
trouver une série de pressions sélectives qui aient été uniques à la lignée humaine. Tous les critères avancés sont partagés par bien d’autres
espèces. Alors ? Soit ces paramètres clés nous échappent et nous sommes aveugles ou un mystère se cache quelque part, soit les humains ne sont
pas si à part et nous cherchons quelque chose, une spécificité intellectuelle humaine, qui n’existe pas. Ou bien elle existe, mais au même titre que la
spécificité intellectuelle des orques ou des oiseaux, avec des paramètres écologiques, sociaux ou je ne sais quels autres qui sont impliqués de
manière identique et différente à la fois dans l’évolution des capacités de tous ces animaux.
Qu’y a-t-il eu de si spécial pour que les humains actuels deviennent si intelligents ? La question est probablement en elle-même biaisée et
c’est sans doute pour cela que nous ne trouvons pas de réponse fiable. Nous cherchons des causes, voire une cause, à l’intelligence humaine parce
que nous la considérons comme extraordinaire. Mais si cette intelligence n’est pas si extraordinaire que nous voulons bien le croire, alors il est
normal que nous ne trouvions pas de causes particulières et spécifiques à cette intelligence humaine.
Pour ma part, j’ai beaucoup de mal à comprendre cette hiérarchie de l’intelligence qui est faite et qui place les humains au-dessus des autres
animaux. Les humains font des choses que bien d’autres animaux ne savent pas faire. Mais l’inverse est parfois vrai aussi. Il n’existe pas une mais
des intelligences. Et les arguments choisis pour hiérarchiser les comportements du plus au moins intelligent sont finalement tous très personnels,
voire subjectifs. Un individu qui sait utiliser un ordinateur est-il plus intelligent qu’un individu qui ne le sait pas ? Peut-être, peut-être pas. Et si cet
individu qui sait utiliser un ordinateur ne se souvient jamais où il a mis ses clés pendant que l’autre a une mémoire exceptionnelle, lequel devient le
plus intelligent ? Ce raisonnement à l’échelle de l’individu peut s’appliquer à l’échelle des espèces. Pourquoi un comportement serait-il plus
important qu’un autre ? Quel critère objectif choisir ?

L’humain et la fourmi…

LA FOURM I. – Tu écris des livres toi ?


L’HUM AIN . – Oui, comme d’autres au sein de mon espèce.
LA FOURM I. – Quelle intelligence ! C’est magnifique.
L’HUM AIN . – Merci, merci, je sais…
LA FOURM I. – Et ça t’aide à survivre ?
L’HUM AIN . – Oui car je transmets mes connaissances.
LA FOURM I. – Moi je ne sais pas écrire.
L’HUM AIN. – C’est normal, tu n’as pas notre intelligence à nous, les humains.
LA FOURM I. – Par contre, je sais retrouver mon chemin au milieu du désert.
L’HUM AIN . – Moi aussi, j’ai inventé le GPS.
LA FOURM I. – Bien sûr, où avais-je la tête ?
L’HUM AIN. – Tu n’en as pas justement !
LA FOURM I. Elle est moins complexe que la tienne, c’est vrai.
L’HUM AIN. – Oui mais tu es petite et si fragile.
LA FOURM I. – Et généreuse aussi.
L’HUM AIN . – Ah bon, pourquoi ?
LA FOURM I. – Parce que je viendrai te chercher quand ton GPS n’aura plus de batterie…

Pourquoi ce petit dialogue imaginaire ? Parce que les humains sont incroyables, il est vrai, par leur créativité, leur ingéniosité, leurs
découvertes sans cesse renouvelées, à une vitesse phénoménale. Mais il y a toujours un moment où l’arrogance nuit. Les humains se cachent
derrière leur incroyable technologie, mais rien ne pourra remplacer le concret et l’intelligence de situation comme on dit, cette intelligence qui vous
pousse à faire le bon choix au bon endroit au bon moment. Si vous êtes au milieu du désert avec un GPS qui n’a plus de batterie, vous aurez beau
être un génie, vous ne sortirez pas de ce désert. La technologie, bien qu’à l’origine de nombreuses découvertes (on découvre la cellule avec le
microscope par exemple) ne rend pas nécessairement intelligent. De plus, j’ai peu évoqué ce point dans cet ouvrage, mais question construction,
bon nombre d’espèces animales dites architectes ou ingénieures par exemple, ont des capacités incroyables. Alors oui les humains sont intelligents,
capables de découvertes et de créations extraordinaires, mais cessons peut-être cette quête absurde de chercher à comprendre l’émergence de
cette intelligence spécifique aux humains si elle ne l’est pas ou si elle est relative ! C’est une évidence : il existe des intelligences, propres à chaque
contexte, à chaque espèce, à chaque individu. Et hiérarchiser une telle diversité relève de l’impossible ou d’une volonté consciente ou non de placer
à tout prix les humains au sommet.
Conclusion

De l’aberration de devoir prouver l’intelligence animale

Lorsque j’ai informé mes collègues, au fil de l’écriture, que je rédigeais un livre sur l’évolution de l’intelligence, tous sans exception ont
spontanément réagi à grands coups de : « Oh là là… », de « Ouf… », « Impossible ! », « Pas simple… » ou encore « T’es dingue ! ». D’abord
parce que la notion d’intelligence est indéfinissable et ensuite parce que nous avons encore besoin aujourd’hui d’expliquer qu’il n’y a pas que les
humains à pouvoir faire preuve d’intelligence. Et je mesurais la difficulté. L’intelligence est peut-être une notion trop large, trop vague et non
adaptée. Une anecdote symbolise parfaitement cette vision : au congrès de la Société internationale de primatologie qui a eu lieu l’été 2012 à
Cancun, le professeur Tetsuro Matsuzawa, primatologue japonais de renommée internationale, fait une conférence intitulée « Qu’est-ce qui est
uniquement humain ? ». Conférence passionnante au cours de laquelle le professeur, riche de toutes ses incroyables expériences, essaye de mettre
en évidence les spécificités humaines. Pour ce faire, il explore essentiellement quatre critères : la coopération, la posture bipède, l’imagination et la
mémoire. Pendant une heure, le professeur évoque les capacités des humains, parfois meilleures et parfois moins bonnes que celles des
chimpanzés. À aucun moment au cours de sa conférence il ne parle d’intelligence. Autrement dit, pour lui le sujet n’est pas là. Et je le rejoins très
aisément. Dire qu’une espèce est plus intelligente qu’une autre n’a aucun sens finalement. Dans quel contexte ? Pour quel comportement ? Pour
quelle performance ? Il nous est impossible de généraliser ce concept.
Il n’y a bien sûr pas qu’une forme d’intelligence. Et je suis heureuse et rassurée de voir des travaux consacrés aux intelligences multiples chez
les humains 275 . À ce titre, il existe des intelligences multiples chez les autres animaux aussi. Nous avons passé en revue toutes sortes de
comportements comme la fabrication et l’utilisation d’outils, la navigation, la mémoire, l’innovation, l’intelligence sociale et culturelle, l’empathie, la
coopération, et force est de constater que plein d’autres animaux que nous savent faire des choses stupéfiantes. Stupéfiantes pour qui ? Pour nous
les humains, qui pensons toujours avoir la suprématie sur l’ensemble des comportements et des actions menées dans ce bas monde. Mais sans
doute pas toujours stupéfiantes à l’échelle des autres animaux et de leur évolution.

L’intelligence se mesure à l’échelle de l’évolution

Dans ce livre, j’ai volontairement mis l’accent sur l’intelligence animale et non sur les stratégies comportementales au sens large. Mon but était
de nous faire réfléchir à cette notion si complexe qu’est l’intelligence et à la suprématie humaine qui lui est associée. Il ne faut bien sûr pas tomber
dans les excès et les fausses croyances, voire les mythes parfois associés à l’intelligence animale (cheval qui sait compter, singes parlants…) et il
faut tenter de rester le plus près possible des réelles capacités cognitives des animaux en s’attachant à utiliser des méthodologies rigoureuses 276 .
Néanmoins, l’intelligence animale est une évidence 277 et je suis convaincue que l’intelligence se mesure à l’échelle de l’évolution, et l’espèce
humaine est bien trop jeune pour affirmer qu’elle est si intelligente au point de survivre aussi longtemps que tant d’autres l’ont déjà fait. Pour le dire
de façon provocante, à l’échelle de l’adaptation, les humains sont des imbéciles ! Nous sommes là depuis seulement 3 millions d’années pendant
que d’autres animaux sont présents depuis plus de 600 millions d’années… Mais qui sera encore là dans un siècle, un millénaire, 1 million
d’années, c’est-à-dire demain à l’échelle évolutive ?
Les humains sont tellement destructeurs et ont tellement échoué, pour le moment, dans leur milieu, que ce sont les seuls animaux qui vont sans
doute devoir conquérir un autre milieu, le milieu extraterrestre, pour survivre à long terme. Alors qui sont les plus intelligents ? Comment oublier le
bouleversant appel du professeur John Oates à la communauté des primatologues du monde entier lors du congrès international de primatologie à
Cancun en 2012 ? « Arrêtez cette course ridicule à la publication et consacrez-vous au drame qui se déroule sous vos yeux… » Le professeur
faisait tristement référence aux 207 espèces de primates vulnérables et aux 50 % d’entre elles qui auront disparu dans trois générations… Que dire
du dernier rapport Planète vivante du Fonds mondial pour la nature (WWF) qui s’appuie sur un indice calculé par la Société zoologique de
Londres et qui révèle que plus de la moitié des vertébrés ont disparu en quarante ans. Les populations mondiales de poissons, d’oiseaux, de
mammifères, d’amphibiens et de reptiles ont régressé de 58 % entre 1970 et 2012. Si rien n’est fait, ce chiffre pourrait atteindre 67 % en 2020.
Nous ne sommes pas tous compétents, loin s’en faut malheureusement, pour partir à la sauvegarde des espèces. Nous pouvons, en revanche,
cumuler nos compétences en encourageant les personnes de terrain à agir sur place et en nous intéressant, nous chercheurs, spécifiquement aux
espèces en danger – elles le seront bientôt toutes cela dit, et même celles très étudiées, comme les chimpanzés, ne sont pas épargnées.
En raisonnant dans le cadre de la survie de l’espèce et de son adaptation au milieu, en un laps de temps infiniment court, nous avons
démontré notre capacité à détruire le milieu, dont le nôtre, et de nombreuses espèces, dont peut-être la nôtre. Mais les autres animaux nous
survivront, bien après notre disparition sur terre. Ils étaient présents avant nous, des centaines de millions d’années avant nous pour certains, et ils le
seront bien après. Ce n’est désormais plus une question d’intelligence, nous avons largement prouvé notre bêtise, c’est une question de croyance.
Comment tenir, en tant que biologiste, observatrice de la vie, passionnée par toutes ces bêtes à poils, à écailles, à plumes, à exosquelette, sans
cette certitude ? Comment les regarder en face, chaque jour ? Comment continuer à s’émerveiller de leurs mouvements, de leurs réactions, de leurs
choix, de leurs attentions à mon égard, de leurs comportements chaque jour plus stupéfiants et bouleversants ? Comment ne pas baisser les bras et
les yeux sans cette certitude ? Ils nous survivront, j’en suis convaincue. Probablement parce que, comme mon maître à penser, Yves Coppens, qui
a fait exploser en moi à l’adolescence cette passion bouillonnante pour la découverte de la vie animale et de son évolution, je suis une éternelle
optimiste et une « éternelle étonnée ».

Quand je serai grande…


Enfant, adolescente et jeune adulte, j’ai rêvé ma vie. À 11 ans, j’ai vu Lucy du haut de ma tour et j’ai voulu devenir Yves Coppens. À 20 ans,
j’ai vu les chimpanzés dans les livres et j’ai voulu devenir Jane Goodall. Et un jour j’ai vu Lucy et les chimpanzés pour de vrai ! J’ai d’ailleurs appris
cette année que Lucy ne s’était peut-être pas noyée, mais tuée en tombant d’un arbre 278 . Quoi qu’il en soit, j’ai cherché, comme je le cherche
encore, à répondre à chacune de mes questions sur ce qui fait l’humain, sur ce qui fait son intelligence et celle des autres. J’essaye d’extraire toutes
les informations possibles que le monde animal a à nous offrir, pour comprendre le passé et le présent. Cela va de l’utilisation des algorithmes de la
robotique pour comprendre comment pouvaient manipuler les australopithèques 279 à la compréhension des mouvements du bras des animaux pour
améliorer les robots, voire les prothèses, en passant par toute étude visant à comprendre comment un individu, quelle que soit l’espèce, exploite
son environnement pour survivre. Quelles stratégies met-il en place ? Sont-elles différentes de celles de son frère, de sa sœur, de sa mère, de son
père ? Sont-elles liées à la génétique ? Sont-elles différentes des autres espèces ? Pourquoi ? Qu’il s’agisse d’un petit microcèbe qui souhaite
attraper un ver de terre ou d’un bonobo qui veut récupérer une noix à l’aide d’un outil ou d’un oiseau qui cherche à ouvrir une boîte, le processus
est le même : comment faire pour réussir et de quoi je dispose ? D’un organe spécifique ? D’un outil ? D’une capacité spécifique, qui est apparue à
divers moments de l’évolution ou qui s’est améliorée ou qui a disparu dans certaines lignées ? Tout cela est passionnant et une vie ne suffira pas. Et
je comprends désormais une chose. Je ne serai pas Yves Coppens. Je ne serai pas Jane Goodall. C’est décidé : quand je serai grande, je serai
moi.
Je repense aux leçons apprises du début. Vous vous souvenez ? Première leçon : ne jamais se perdre dans ses pensées. Deuxième leçon :
apprendre à observer. Troisième leçon : affronter les certitudes. Quatrième leçon : ne pas attribuer de caractéristiques comportementales humaines
aux animaux. Cinquième leçon : n’est pas Yves Coppens qui veut. Aujourd’hui, j’en ajouterais volontiers une. Sixième leçon – elle nous est donnée
par Lamarck, grand naturaliste français du XIXe siècle, il y a près de deux siècles : « L’homme par son égoïsme […] semble travailler à
l’anéantissement de ses moyens de conservation et à la destruction même de sa propre espèce. […] Il fait que de grandes parties du globe […]
sont maintenant nues et stériles, inhabitables et désertes. Négligeant toujours les conseils de l’expérience, pour s’abandonner à ses passions, il est
perpétuellement en guerre avec ses semblables, et les détruit de toutes parts […]. On dirait que l’homme est destiné à s’exterminer lui-même après
avoir rendu le globe inhabitable 280 . »
Il est absolument affligeant de constater qu’il y a presque deux cents ans un homme faisait déjà le constat de l’impact catastrophique des
humains sur la planète. Heureusement pour son esprit tristement visionnaire, il n’a pu assister au pire qui restait à venir. Deux cents ans nous
séparent des sonnettes d’alarme tirées par Lamarck, le tout pour faire le même constat aujourd’hui, dans l’indifférence totale finalement si l’on en
croit le manque cruel de décision forte à l’égard de la planète et la méconnaissance totale de la Conférence des parties à la Convention sur la
diversité biologique (CDB) qui réunit pourtant presque 200 États. Toutes les espèces, dont la nôtre bien sûr, mériteraient d’être mieux traitées. Et
l’intelligence animale est un fait, comme le montre ce livre. Et encore, je ne vous ai pas raconté les capacités d’automédication dont les animaux
sont capables. De nombreuses espèces comme les éléphants, les chimpanzés, les abeilles, les oiseaux ou autres lézards savent quoi ingérer pour se
sentir mieux, se protéger de certaines maladies, tuer des parasites, des bactéries, des virus ou encore mieux digérer 281 . Je ne vous ai pas parlé non
plus de ces multiples exemples de duperie qu’ils savent mettre en place ; comme cette femelle chimpanzé qui s’accouple silencieusement avec un
mâle non dominant pour ne pas se faire repérer par le chef ; ou encore ces petits mâles seiches qui prennent l’apparence des femelles pour déjouer
les attaques de grands mâles ou montrent d’un côté de leur corps une coloration mâle pour séduire et de l’autre une coloration femelle pour faire
baisser la garde des autres mâles agressifs 282 . Un autre ouvrage serait nécessaire…
Il est grand temps de comprendre qu’il s’agit d’une véritable aberration que de devoir prouver que les animaux sont intelligents. Dans un pays
comme le Japon, il faut davantage prouver qu’ils ne le sont pas ! Et je ne parle même pas de tous ces comportements animaux intelligents que nous
ne voyons pas, par manque de connaissance ou du fait que nous ne sommes pas dans leur monde à eux. De même, il faudrait repenser la vie, le
droit et l’intelligence des animaux domestiques et d’élevage dont le bien-être et la souffrance sont parfois ignorés 283 . Sans doute faut-il adopter
également un autre point de vue à leur égard et dans notre manière de les étudier. Il faudrait alors nous mettre à leur niveau à eux, en nous
décentrant nous-mêmes comme la terre a été décentrée au profit du soleil par Copernic 284 .
Tout ne tourne pas autour des humains… Nous avons beaucoup de mal à nous défaire de cette hiérarchie qui illustre en permanence
l’évolution qui serait ponctuée par l’émergence de l’espèce humaine. Nous devrions tous avoir une vision buissonnante et aléatoire de l’évolution et
l’intelligence ne devrait pas échapper à cette vision. L’intelligence est comme l’évolution : elle part dans toutes les directions ! Il n’y a pas eu
nécessairement de complexité croissante au cours de l’évolution. La preuve : un poisson rouge possède bien plus d’os dans le crâne qu’un humain.
En ce sens il est donc plus complexe, alors que ses origines sont bien plus anciennes que celles des humains. Idem pour certains oiseaux qui ont,
malgré un plus petit cerveau, plus de neurones que les primates alors qu’ils sont apparus avant eux. Toutes les espèces sont différentes. Enfin, les
origines de l’intelligence sont multiples. L’intelligence n’est sans doute pas apparue systématiquement pour accomplir une fonction particulière, mais
peut-être parfois par hasard, comme d’autres fonctions. Mais, ce dont je suis sûre, c’est qu’aucune espèce n’est plus intelligente qu’une autre,
encore moins au regard d’un seul critère et sans tenir compte du contexte. Rien dans le domaine de l’intelligence n’a de sens, si ce n’est à la lumière
de l’évolution 285 .
Index
abeilles 100, 105

adaptation 20-22, 26-27, 35, 97, 104, 109, 118, 122, 126, 128-130, 146, 148, 168, 171, 181-182

aigle 71

albatros 115

altruisme 153, 155-158, 160

amphibiens 32, 168

anatomie 43, 51, 91, 99, 128

animal 26-27, 29, 35, 38, 56-57, 72, 76, 81-82, 85, 89, 96, 99-100, 104, 109, 113, 121, 125, 132, 143, 166, 182

anticipation 88

apprentissage 18, 26, 34, 47, 64, 66, 76, 88, 94, 132, 135, 143-144, 148-151, 165-166, 170-171, 174, 183

apprentissage social 88, 143-144, 149-150, 171

aquatique 79, 81-84

araignées 20, 73, 75, 77, 94-95, 97, 99, 118

aras 92

arboricolie 14, 17, 20-22, 30, 38-39, 41-43, 45, 60, 98, 104-106, 135

Australopithecus afarensis 30

Australopithecus africanus 34

Australopithecus sediba 41, 47

australopithèques 34, 37-38, 41, 51, 66, 183

automédication 184

aye-aye 150

babouins 31, 54, 56, 109, 143, 174

bactéries 145, 168

baleines 80, 123, 138, 171

balistes 81

barracuda 157

bâton 50, 54-56, 89-90, 96, 139

bénéfices 143, 151, 154-155, 157-158, 169-170

Binti Jua 163

bipédie 14-15, 30, 32, 34, 38-39, 41, 83, 179

blaireaux 70

bonobos 30-31, 34, 49-50, 56-60, 63, 65, 98, 163, 173, 183

boussole 104, 111, 116, 119, 123, 125

capacités 22, 24, 26-27, 32, 35-36, 38, 45, 47, 55-56, 60, 64, 69, 85, 88, 91, 95-96, 99, 102, 104, 106-109, 112, 114, 119, 121, 124-128, 132, 134,
139, 145, 165, 168-169, 173-174, 176, 180, 197

capacités cognitives 36, 47, 129, 154

capucins 34, 47, 50, 53, 56-57, 62, 90, 92, 97, 109, 131, 135, 139, 143, 171

carnivores 70, 75

casse-noix de Clark 110

castor 100

céphalopodes 79, 82, 94, 97, 121, 127, 150, 167-168

cerveau 32, 34, 69, 74, 88, 93, 95, 97, 103, 109-110, 124, 127, 135, 145, 169-170
cétacés 25, 79, 123

chasse 53, 70, 75, 77-78, 80-81, 83, 96, 138-139, 147

chauves-souris 123, 156

chiens 156

chimpanzés 13-14, 16, 20-21, 24, 30-31, 38, 40, 43, 47, 49-50, 53, 70, 87-89, 103-105, 107-109, 114, 116, 127, 135, 139, 143, 149-150, 161-162, 171,
173, 180-182, 188, 197

choix 47, 57, 65, 118, 120, 122, 129, 132, 143, 146, 166, 176, 182

cichlidés 81

cognition 33, 94, 96, 113, 130, 172

communication 173-174

compas 116, 120

compétition 65, 84, 171

complexité 35, 58, 72, 89, 91, 105, 118, 128-129, 151

constructions 96, 100, 176

coopération 113, 138, 153-157, 159, 168, 171, 179-180

coordination 63, 90, 145, 147

corbeaux 71-72, 88, 94

corneilles 71-72, 109, 136, 139, 167

corvidés 71, 96, 109, 136, 171

cratéropes 156

créativité 59-60, 71, 89, 138, 172, 176

criquets 77

crustacés 79, 83, 99, 115

culture 25, 54, 63-65, 98, 134, 140, 149-150

Darwin, Charles 38, 118, 164

dauphin 80, 127, 174

défendre 89, 104, 121, 125-126, 128

défense du territoire 155

dègue 69

demoiselle 81

diversité 67, 95, 99, 127, 172, 177

échinidés 79

éléphants 21, 25, 70, 75, 105, 111-113, 155, 164, 171

empathie 153, 160-161, 180

enfants 54, 57, 63, 65, 113, 150

épouillage 143, 149, 155-156

évitement des prédateurs 147, 155

évolution 13, 15, 17, 20, 24-27, 32, 35, 42, 48, 57, 66, 79-80, 95-99, 104, 126-128, 134, 144, 150, 166, 170, 172, 174, 179-183

expérience 19, 26, 45, 55-57, 62, 65, 73, 92, 107, 109, 112, 117, 121, 124, 126, 135, 139, 173

exploration 56, 65, 73, 99, 124, 134, 143, 150, 167, 170

extraction 50, 53-55, 57, 96, 151, 167, 170, 182

fabrication 30, 32, 35-37, 40-42, 44, 47-50, 53, 56-57, 66, 71-72, 75, 87-88, 93, 98-100, 129, 166, 180

fauvette 101

femelles 19, 47, 58, 61, 75, 80, 90, 112, 131, 141, 144

fossiles 14, 27, 32-33, 36, 40

fourmilion 78

fourmis 50, 57, 78, 94, 101, 115, 127, 145, 147, 165, 175-176

freux 71, 136

gastéropodes 79
géomagnétique 123

gibbons 31, 47

gobies 113

Goodall, Jane 17, 19, 24, 49, 182

gorilles 25, 30-31, 50, 62, 65, 97, 150, 188

gouramis 81

grenouilles 27, 45-46, 131

guêpes 94

haplorrhiniens 31

hiérarchie 26, 99, 132, 134, 145, 175

hippocampe 110

homininés 36, 40-41

hominoïdes 31

Homo erectus 49

Homo habilis 30, 32, 36, 38, 43, 49-50, 75

Homo neandertalensis 30, 51, 98

Homo rudolfensis 30

Homo sapiens 35, 51, 98

humains 13-16, 19, 22, 24-27, 29-35, 37-39, 41-43, 45, 47-49, 53-54, 57, 62-63, 65-67, 69, 74-75, 83-84, 87, 93-95, 98-99, 106, 109, 113, 116, 128-129,
148, 151, 154, 159-161, 166, 168-172, 174-177, 179-182, 184, 188, 192

imitation 15, 25, 144, 147, 150

ingénieur 100, 148

innovation 74, 89-90, 131, 134-136, 139-140, 149, 151

insectes 54, 75, 77, 88, 94, 97, 99, 101, 116, 127, 145, 147, 167-168

intelligence 13, 20, 24-27, 29, 32-35, 42, 48, 51, 64, 66-67, 70-71, 74, 78-79, 85, 87-88, 91, 93, 95-96, 98, 100, 102, 109, 112-113, 127-128, 131-132,
134, 140, 143-144, 147-150, 153, 165, 167, 169, 172, 175-176, 179-182, 187

intelligence collective 78, 144, 147, 168

invention 98, 133-135, 139, 141, 143, 148-149, 166

invertébrés 24, 72, 75, 77, 82, 93, 104

jardiniers à nuque rose 71

jeu 15, 48, 57, 64, 73, 99-100, 102, 131, 134-135, 139, 141-142, 151

Kanzi 49, 56, 173

kenyanthrope 37

Kuni 163

labres 81-82

labyrinthe 57-63, 125

langage 25, 32, 109, 173

lémuriens 18, 31, 35, 46-47, 54, 56, 98

lézards 125-126

lions 70, 156

loutres 69

Lucy 13-15, 17-18, 22, 24, 30, 37-38, 41, 98, 182

macaques 17-18, 25, 31, 34, 50, 54, 56, 94, 97, 141, 162

main 21, 30-31, 34, 38-42, 45, 48, 57, 60, 62-64, 69-70, 74-75, 79, 90-92, 97-98, 112, 167, 169

mammifères 24, 31-32, 53, 69, 74-75, 79, 93, 97-98, 112, 123, 127, 138, 140, 144, 150, 168

manipulation 22, 39, 42, 45, 55-57, 60, 62-64, 66, 70-71, 80, 84, 90-91, 93-94, 99, 102, 143, 150-151, 166, 183, 187

mémoire 32, 47, 88, 95, 103, 107-114, 122, 125-128, 171, 175, 179-180, 197

mémoire spatiale 107, 109, 111, 113, 121, 125-126, 128

mésanges 109
Microcebus murinus 45

micro-organismes 168

migrations 123

mollusques 82, 115

morphologie 20, 38, 99, 169

motivation 57, 65, 92, 120, 133

navigation 88, 103, 105-106, 111-113, 115, 118, 121, 123, 125, 127-128, 165, 171, 180

néocortex 32, 93, 97

neurones 95, 97, 110, 147

noix 22, 48, 50, 53, 57-58, 60-63, 66, 72, 83, 88, 90, 109, 132-133, 135, 139, 143, 149, 171, 183

oiseaux 24, 32, 34, 70, 74-75, 79, 88, 93, 97-98, 101, 109, 111, 113, 118, 122-123, 127, 131, 135, 140, 144, 147, 150, 167-168, 170, 174

orangs-outans 25, 30-31, 38, 50, 54, 57, 60, 62-63, 65, 89, 102, 105, 109, 144, 151

orientation 34, 36, 109, 111, 116

orques 80, 84, 174

Orrorin tugenensis 40, 43

ours 70

oursins 79, 84

outils 16, 20, 22, 27, 30, 32, 34-36, 38-44, 47-50, 53-57, 59-60, 62-64, 66, 69-70, 72-77, 79-82, 84, 87-91, 93, 95, 97-100, 102, 113, 129, 131-132,
136, 143, 146, 149, 151, 155, 166-167, 170, 172, 180, 183

ouvrir 40, 47, 50, 54, 71-72, 81, 88, 91, 132-134, 136, 144, 149, 171

perroquets 71, 92, 94, 171, 174

Phyllomedusa azurae 46

pics 71, 94

pie 135

pigeons voyageurs 118, 171

pinson-pic 88

planification 60, 89, 107, 170

platyrrhiniens 50

poisson arc-en-ciel 114

poisson rouge 113-114

poissons 32, 71, 79-81, 94, 97-98, 111, 114-115, 127, 131, 139, 144, 147, 150, 157, 168

poissons archers 81

poissons-globes 81

poulpes 83

primates 14, 17-18, 22, 24, 31, 33-34, 42, 45, 49, 53-54, 56, 66, 69-70, 75, 79, 84, 88, 93, 96-98, 109, 127, 135, 140, 150, 154-155, 167-168, 171,
181

protection 53-54, 77, 79-80, 82-84, 96, 102, 124, 127, 157, 163

proto-usage d’outils 48, 81-84, 88

raccourcis 146

raies 81

ratels 70

rats 162

recherche de nourriture 50, 60, 80, 103, 111, 114-115, 117, 122, 126-127, 138, 143, 146-147, 155, 169, 173

récupération 61, 63, 74, 110

représentation 89, 106, 111, 120, 129

reptiles 125-126, 168

rongeur 69, 114

rouges-gorges 140

sauvetage 163
seiche 143

sélection 132, 146

sérioles 157

singes laineux 34

soin 81

solutions 89, 102, 127, 133-134, 148, 168

stockage 110-111, 122

stratégies 22, 26-27, 47, 50, 56, 58, 60, 62-65, 75, 80, 82, 88, 90-91, 95, 99, 107, 109, 114, 119-120, 125, 128-129, 132, 138, 147, 150, 183

strepsirrhiniens 31

suricates 121, 156

survie 27, 104, 112, 129, 134-135, 148, 151, 170, 182

techniques 53, 65, 75, 81, 88, 92-93, 97, 101, 131, 149, 151, 171

technologie 40, 116, 176

termites 53, 57, 78, 88, 96, 101

terrestre 40, 45, 60, 79, 84, 119, 123

toxotes 81

tradition 54, 64, 66, 98, 140

transmission 88, 124, 131, 140-141, 143, 148-149, 166

transport 47, 54, 71, 78, 81-83, 96

tricherie 158-160

vautours 71

vertébrés 24, 70, 75, 79, 81-82, 98, 104, 117


Remerciements

Je tiens à remercier en premier lieu Odile Jacob qui a accepté ce projet. J’adresse également mes remerciements chaleureux à Marie-
Lorraine Colas dont la contribution a permis de renforcer la pertinence de l’ouvrage. J’espère collaborer encore avec elle. Un grand merci à
Jeanne Pérou, entre autres pour son aide dans la gestion et préparation des figures. Merci à tous ceux qui ont contribué à la conception et
publication de l’ouvrage.
J’adresse également mes tendres et affectueux remerciements au professeur Yves Coppens pour sa préface, sa présence décisive et
continuelle dans ma vocation.
Je remercie très sincèrement tous mes collègues qui soutiennent mon approche interdisciplinaire et pour les enrichissements permanents dont
je bénéficie grâce à eux.
Je remercie tous les directeurs de zoos et leur personnel pour leur accueil (Vallée des Singes, La Palmyre, Beauval).
Je suis également reconnaissante envers les nombreux étudiants et étudiantes qui partagent mes questionnements, mes expérimentations et
leur valorisation.
Je remercie tendrement et avec toute mon admiration tous les animaux à fourrure, à poils ou à plumes qui se sont prêtés à mes expériences !
J’ai une pensée toute particulière pour mes parents qui m’ont transmis la liberté, le dépassement de soi et la passion. Merci à mon frère pour
son ambition et sa folie. Mille pensées à mes grands-parents maternels pour leurs valeurs à jamais transmises. Merci à mon oncle et à ma tante
maternels pour leur soutien constant. Enfin, j’embrasse de tout mon cœur mon petit Alexandre qui me pousse à m’émerveiller encore davantage sur
la vie.
TABLE
Titre

Copyright

Dédicace

Préface par Yves Coppens

Introduction
Lucy habite près de chez moi

Comprendre le passé pour comprendre le présent


Comprendre le présent pour comprendre le passé
L’apprentie Jane Goodall
Out of Africa, sur la route de Taï

Le professeur Yves Coppens existe !


Qu’est-ce que l’intelligence ou comment comparer l’intelligence entre les espèces ?
Ce qui vous attend en lisant ce livre

Chapitre 1 - L’intelligence, une spécificité humaine ?


Homme, femme ou humain ?
L’humain, ce primate
Ces spécificités qui font l’humain et ses origines

Les primates, ces animaux


Qui a fabriqué les premiers outils en pierre ?
Homo or not Homo ?

Quand bipédie s’associe à outil


Pourquoi l’archéologie ne suffit pas
Primates et outils en pierre

Et le génie vint miraculeusement aux humains ?


Chapitre 2 - C’est qui, le meilleur ?
Des utilisations d’outils multiples
De l’importance du végétal
Le jeu-concours de la noix dans le labyrinthe

Le labyrinthe et les bonobos


Le labyrinthe et les orangs-outans
Le labyrinthe et les gorilles
Le labyrinthe et les petits singes : tentatives chez les capucins
Le labyrinthe et… les humains
L’influence du mode de vie et de la culture

L’impact de la compétition
Chapitre 3 - Sans les pouces, sans les mains, sans squelette ou sans cortex !
Les mammifères : avec des griffes et sans pouce opposable
Les oiseaux : sans les mains

Des araignées et des insectes : sans squelette interne et sans cortex !


Et dans l’eau ?
Chapitre 4 - Ingénierie et artisanat
L’utilisation d’outils est-elle vraiment un indicateur de l’intelligence ?
Quelles sont les bases neurales de la manipulation fine et de l’utilisation d’outils ?
Qui a fabriqué les premiers outils ? Quelle place dans l’évolution de l’intelligence ?
Les animaux ingénieurs : des bâtisseurs, des couturiers, des géomètres… sans outils !
Chapitre 5 - Comment être au bon endroit au bon moment ?
Si vous êtes perdu en forêt, suivez un chimpanzé !
Mémoire de chimpanzés contre mémoire d’étudiants
Des oiseaux et des milliers de cachettes
Les éléphants n’oublient-ils jamais alors que les poissons rouges toujours ?

Rentrer chez soi : si compliqué parfois !


Attention danger, prédateurs !
Magnétisme en eau trouble : la navigation des dauphins
Que fait un lézard dans un labyrinthe ?
Qui a navigué le premier ? Quelle place dans l’évolution de l’intelligence ?
Chapitre 6 - Transmettre ou ne pas transmettre ?
Innovation et intelligence : alors, t’innoves ou t’innoves pas ?
Tu sais innover ? Alors transmets !
Plus on est de fous, plus on est intelligent !
Sois intelligent et cultivé tu seras ou sois cultivé et intelligent tu seras ?

Chapitre 7 - Coopération, altruisme ou empathie ?


Vous n’avez pas le monopole du cœur…
Coopère et deviens intelligent ou sois intelligent et coopère ?
Origine et évolution de la coopération : tricher ou ne pas tricher

De l’altruisme chez les animaux ? Et pourquoi pas de l’empathie tant que vous y êtes !
Chapitre 8 - Une intelligence ou des intelligences ?
Quand la vie apparaît, l’intelligence aussi
Pourquoi l’intelligence apparaît et évolue
Imaginons que les humains soient tout de même les plus intelligents…
De l’impossibilité de hiérarchiser l’intelligence
L’humain et la fourmi…

Conclusion - De l’aberration de devoir prouver l’intelligence animale


L’intelligence se mesure à l’échelle de l’évolution
Quand je serai grande…

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1. Les primatologues désignent par le terme « habituation » la
période nécessaire pour que le groupe étudié s’habitue à leur
présence et se laisse approcher et observer.
2. Voir Deary I. J., Intelligence : A Very Short Introduction,
Oxford University Press, 2001. Une autre définition, largement
utilisée et plus précise, conçoit l’intelligence comme une
accommodation à une situation spécifique associée à une
exploration et à une manipulation de la causalité physique d’une
manière généralisée (Parker S. T. et Gibson K. R., « Object
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plus significative de l’Univers. Autrement dit, rien n’est mieux
que l’humain et tout se réfère à lui.
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143. Le domaine vital est le milieu disponible et exploité par
l’animal au cours de ses activités. Le territoire est la zone du
domaine vital défendue contre l’intrusion d’un individu de
même espèce.
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149. Il est tout à fait intéressant de constater que les capacités
incroyables de mémorisation spatiale des chimpanzés
décroissent avec l’âge, sans doute en parallèle avec la
dégénérescence de certaines zones du cerveau…
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164. Il n’y a rien de scientifiquement établi. Il s’agit juste de
donner une idée de ce que ça peut représenter pour un humain,
sachant qu’un gobie mesure entre 2 et 10 centimètres et qu’il vit
entre un et dix ans, selon les espèces.
165. Collett T. S., Graham P., « Animal navigation : Path
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