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Mythe, rite, symbole

On peut vraiment se demander pourquoi tel primate australopithèque, sortant de sa forêt


africaine et se dressant sur ses pattes de derrière se mit tout à coup à penser.
Et ce faisant, à prendre conscience de lui-même avec cette capacité à fantasmer, à fabriquer des
images, des signes, des symboles, et surtout à inventer des histoires, à les conceptualiser, à les
mémoriser, à les ritualiser, à les sacraliser, à les transmettre dans le cadre d'une tradition. En
un mot, à les mythifier.

Et nous tous, descendant de cet australopithèque devenu homo sapiens, nous nous retrouvons à
cause de lui, enfermés dans cette triade mythe, rite, symbole. Si rite et symbole dont nous
verrons le sens plus loin restent liés de manière génétique et innée à notre comportement animal,
à notre instinct, le mythe nous est propre, à nous autres humains.
Sans mythe, nous n'existerions tout simplement pas en tant que homo sapiens sapiens. Nous
serions restés une espèce animale parmi d'autres. Et il faut parfois regretter que ce ne soit pas
le cas.

Le mythe est la structure même de notre existence. Sa fonction essentielle est de nous aider à
donner un sens à notre histoire.
Le symbole permet de donner forme au mythe.
Le rite permet de le revivre et de le transmettre.
Mythe, rite et symbole constituent l'architecture de notre édifice mental. Ils méritent donc que
nous nous y arrêtions un moment et que nous leur consacrions quelques instants de réflexion.
C'est ce nous allons tenter de faire ensemble.

Je me lève tous les matins et suivant un ordre immuable, m'habille, déjeune et commence ma
journée. Habitude, rite inconscient, la frontière n'est pas nette.
Je monte dans ma voiture, un certain nombre de symboles m'indiquent comment je dois agir pour
la faire démarrer.
Des symboles, j'en rencontre partout.
Devant mon ordinateur, je suis assailli d'icônes dont chacune a sa propre signification. Un livre
est plein de signes, de lettres. Chaque lettre, chaque mot, chaque phrase m'offre une image,
exprime une idée.
Image, idée, idole, icône ont exactement le même sens, celui du signe qui doit m'unir à quelque
chose; c'est le sens du mot symbole.

Symbole
Dans sa définition même, le symbole est le signe qui unit, qui permet la communication entre deux
êtres, entre deux mondes.
Par opposition à symbole, du grec ••••••••, il y a diabolos. Dans l'iconographie religieuse, la
représentation du diable n'est autre chose que le signe de la division.

Dans le règne animal, la relation entre les individus s'établit par les sens : la vue, le toucher,
l'ouïe, l'odorat, le goût. Mouvement, son, odeur permettent aux membres d'un groupe de
communiquer : ainsi l'abeille qui vient de découvrir un champ de fleurs va par une danse le
signaler à l'ensemble de la ruche et indique avec précision la distance et l'emplacement de cette
source alimentaire. Par antithèse, rappelons-nous la tour de Babel où la suppression de la
communication entre les constructeurs décidée par le dieu jaloux a empêché son édification : le
dieu de Babel serait-il diabolique ?
Chez l'homme, après le geste, le symbole par excellence de la communication est la Parole,
l'image puis l'écriture ne servant qu'à fixer la parole.
Dans les grottes, le dessin rupestre d'animaux avait pour fonction d'unir l'homme aux forces de
la nature. Dans le théâtre antique, le masque doublait la parole pour unir l'acteur jouant son rôle
au spectateur.

La parole permet de nommer d'où l'importance de donner un nom à quelqu'un ou à quelque chose.
Le langage permet de définir et d'exprimer une idée, un concept et en particulier le concept du
dieu avec son corollaire : un dieu défini est un dieu fini. Ainsi en est-il du dieu des trois
monothéismes, trop défini par la parole et lui-même terriblement bavard.
Les premiers mots de l'évangile selon Jean résument avec force et concision dans l'esprit du
Logos hellénique le symbolisme du verbe : "Au commencement était la Parole, et la Parole était
avec Dieu, et la Parole était Dieu. Elle était au commencement avec Dieu".

Nous allons développer avec le mythe l'importance du symbole, du signe qui doit unir mais déjà
cette première approche nous conduit à un constat m: s'il faut une signe pour unir les êtres entre
eux ou l'individu au(x) dieu(x), c'est bien la preuve, la démonstration d'une opposition duelle qui a
besoin d'une image, d'une représentation, d'un masque pour rapprocher, sinon pour unir. N'avons-
nous pas besoin de mettre un tablier pour nous réunir ?
Le symbole est la manifestation même de la dualité.
C'est également la démonstration de la relativité de toute chose et de toute situation, car
qu'est-ce que le symbole, l'image, le signe édités par autrui veulent bien exprimer pour moi ?
Comment puis-je et dois-je le comprendre ?

Se pose alors la question :


Tout symbole exige une interprétation, mon interprétation, alors, comment m'initier, m'instituer,
me mettre sur le chemin de l'interprétation pour pouvoir donner un sens au signe que je reçois ?

Mythe
La parole permet aux individus de communiquer, au groupe d'individus de se structurer.
La parole permet surtout à l'Homme de former des concepts et, conscient de sa propre
existence, de s'interroger sur le mystère de cette existence, de sa naissance et de sa mort dans
les trois questions fondamentales classiques :
- où suis-je ?
- d'où est-ce que je viens ?
- où vais-je ?
Quel est le sens de mon existence ?
Dans quelle histoire me trouvé-je embarqué ?

Car le vrai sens du mot mythe est histoire. Je suis dans une histoire. Acteur et spectateur,
volontaire ou non, je suis bel et bien dans une histoire dont je cherche à connaître le sens. Avec
tous ses fantasmes, le groupe m'offre une histoire, mais quelle valeur lui accorder ?

Le dictionnaire Larousse propose trois définitions intéressantes du mythe :


- Première définition : Récit populaire ou littéraire mettant en scène des êtres surhumains et
des actions imaginaires dans lesquels sont transposés des év avènements historiques réels ou
souhaités ou dans lesquels se projettent certains complexes individuels
- Deuxième définition : construction de l'esprit qui ne repose pas sur un fond de réalité
- Troisième définition : représentation symbolique qui influence la vie sociale...
Ces trois définitions parfaitement complémentaires sont résumées par Mircéa Eliade sous une
forme lapidaire : "Le mythe raconte une histoire sacrée" .

Le mythe fournit des modèles pour la conduite humaine et confère une signification aux valeurs
de l'existence.
Le mythe de Guillaume Tell n'est qu'une pure invention de Frédéric Schiller au XIXème siècle
pour encourager les Prussiens à résister aux troupes napoléoniennes.

Histoire sacrée, le mythe se situe à la frontière du profane et du sacré. Et que naissent les
dieux, et qu'apparaissent les héros et que tous travaillent à la gloire et sous le regard attendri
du G∴A∴D∴L∴U∴.

Mais peut-on parler d'histoire sans donner une chronologie, sans définir un temps ?

Il était une fois ...

Toute histoire a un commencement. Qu'a-t-il bien pu se passer "in illo tempore", dans ces temps-
là ? Quel est cet évènement primordial mythique qui a déterminé ma présence sur cette terre,
ma présence ici et maintenant, qui a structuré le groupe où je me trouve ? Quel est ce mythe qui
doit donner un sens à mon existence ?

"Au commencement était la Parole. .... Toutes choses ont été faites par elle, et rien de ce qui a
été fait a été fait sans elle. En elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes".
Facile à dire, mais est-ce bien une réponse ?

Dans le temps, l'homme se situe à la fois :


- ici et maintenant, dans un temps profane où il est obligé de faire face aux impératifs les plus
matériels de la vie courante,
- et au même instant dans ce temps sacré où se réalise le mythe avec son commencement et
parfois sa fin.
Deux conceptions du temps s'opposent ici : la conception linéaire et la conception circulaire. Dans
la culture monothéiste, l'histoire, le mythe s'inscrit dans un temps défini par l'éternité qui est
linéaire : il a un commencement (berechit), il a une fin, la parousie ou temps du jugement.
Au commencement Dieu, ... au commencement était le Verbe....

D'entrée de lecture, le livre de l'Ecclésiaste fait exception. Il dit, premier chapitre, :


"Ce qui a été, c'est ce qui sera, ce qui s'est fait, c'est ce qui se fera, il n'y a rien de nouveau sous
le soleil. S'il est une chose dont on dise, vois, ceci est nouveau, cette chose existait déjà dans les
siècles qui nous ont précédés. On ne se souvient pas de ce qui est ancien et ce qui arrivera par la
suite ne laissera pas de souvenirs chez ceux qui vivront plus tard."
Vision humaine fondamentalement lucide qui écarte volontairement l'idée du progrès humain,
véritable mythe de Sisyphe où tout est à recommencer à chaque génération.

Cette vision nous introduit dans une autre approche du temps, celle des Grecs ou des Orientaux,
des bouddhistes en particulier pour qui le temps est circulaire et obéit à un cycle, à un
recommencement perpétuel. Elle exclue le dieu anthropomorphe à l'origine du commencement.
Elle n'exclue pas cependant l'idée d'un principe créateur que nous pouvons découvrir lors de
l'initiation. Chez les Grecs, ce principe créateur porte un double nom : Amour et Beauté.

Mais là encore relativisons : le temps de la nature est cyclique (cycle du jour, de la lunaison, des
saisons) et cependant, nous individus, sommes conscients qu'une ligne inéluctable relie notre
naissance à notre mort, même si certains imaginent une renaissance.
L'histoire mythique et scientifique de l'évolution, du Big-bang à nos jours paraît à notre
intelligence limitée linéaire et sans retour. Mais que savons-nous exactement alors que toute
cette histoire même semble remise en question à la dimension infinie ?

Rites
Pour raconter le mythe, il y a le symbole, pour le préserver et le transmettre, il y a le rite.
Rite : "ensemble des règle fixant le déroulement d'une cérémonie quelconque: rites maçonniques"
nous dit Larousse.
A quoi sert le rite ? Exemple : "Les trois cloches" chantées par les Compagnons de la Chanson
signe rituel de la naissance, du mariage et de la mort.

Le mythe, nous l'avons vu, raconte une histoire sacrée dans laquelle les individus qui composent le
groupe cherchent à s'intégrer pour revivre la perfection supposée du commencement. Le mythe
doit régénérer le moment présent dans la mémoire du souvenir. Par le rite, on se remet dans les
conditions de l'instant primordial du mythe qui a généré l'histoire. Le rite doit nous introduire
dans le mythe et abolir le temps qui nous sépare de l'origine. (La Cène ou Eucharistie)

Si le mystique ou le philosophe peuvent se dégager seuls de la pesanteur du temps par la


réflexion ou la méditation, dans la réalité, le mythe s'adresse et s'impose au groupe et
directement aux hommes qui composent le groupe.
"L'homme est sexué, culturel, mortel" dit Mircea Eliade. L'homme n'existe que par le milieu où il
est né et qui l'a formé, on pourrait même dire aujourd'hui qui l'a formaté.
Je suis intégré dans le contexte social dont je suis à la fois le créancier et le débiteur. Si je ne
respecte pas la loi qui régit le groupe, je suis excommunié, c'est à dire privé de communication
avec le groupe. Autrement dit condamné à mourir comme hérétique. Corrélativement, si la société
ne fait pas respecter la loi qui la structure, c'est elle qui est condamnée à mourir.

D'où la nécessité de règles pour structurer le groupe. De règles que la tradition formalise et qui
s'inscrivent dans les rites.

Le rituel, c'est à dire l'ensemble des rites pratiqués par le groupe, (ou plus précisément par les
individus qui le composent) est le moyen, l'outil qui permet d'entrer dans le mystère du mythe.
Il est tellement intégré au mythe social que l'on ne sait si c'est le rite qui a engendré le mythe
ou l'inverse. C'est un peu l'histoire de la poule et de l'œuf. Sans mythe, le rite n'est qu'une
coquille vide. Sans rite, le mythe est inaccessible.

Ainsi les cérémonies religieuses et leur liturgie.


"Les cérémonies religieuses, caractérisées par une liturgie sont des fêtes du souvenir" dit encore
Mircea Eliade. Par le lieu, par la parole, par le geste, par la musique, par les lumières, par les
odeurs, par le respect du protocole, en un mot par la magie du rite, la cérémonie transforme
l'homme naturel en homme culturel, elle transforme le profane en maçon. L'homme se fond dans
le groupe pour revivre l'histoire du groupe, pour revivre sa propre histoire. C'est l'egregore.
Sans rite, pas de mythe possible à transmettre. Le rite seul permet d'entrer dans le mystère du
mythe.

Conclusion
Nous vivons une époque à la fois dramatique et fantastique. Dramatique parce que l'homme est en
train d'organiser sa propre destruction, fantastique parce nous assistons à l'écroulement des
vieux mythes, mais aussi à la naissance du mythe universel de l'homme-dieu.

Mythes, rites et symboles font partie de la culture du groupe. Ils créent un lien sacré qui génère
et forge son identité.

Mythe et réalité offre cependant deux visions antagonistes du monde :


- d'une part, l'exaltation de la tradition et du mythe.
- d'autre part, les faits historiques prouvés et la perception d'un présent en pleine mutation.

Légendes et mythes ont développé leur propre historicité jusqu'à donner une consistance
idéologique à l'histoire.
Gardons nous cependant d'opposer l'histoire au mythe en vidant celui-ci de son contenu.
Essayons de comprendre la valeur que les générations ont accordé au mythe mais refusons
absolument de le légitimer.
Méfions-nous des intégrismes : mythes, rites et symboles doivent être dénoncés pour ce qu'ils
sont, à savoir une forme d'idéologie.

La croyance abusive au mythe est la pire forme de l'ignorance.


La pratique abusive du rite vide le mythe de son sens.
L'image, l'idée, l'icône conduisent rapidement à l'idolâtrie

La méthode et l'étude du symbolisme qui nous sont propres doivent nous ouvrir à la connaissance.
Elles doivent nous permettre de garder l'esprit libre pour donner aux mythes la place qui leur
revient dans le patrimoine historique, celle de la relativité.

Car symboles, mythes et rites ne sont que l'expression des fantasmes humains.

"Vanités des vanités, dit l'Ecclésiaste, vanité des vanités, tout est vanité".

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