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Jean Lévi
De temps en temps, certains parents sont venus en observateurs. Il y avait une réunion de
parents une fois par an mais les élèves ne tenaient pas beaucoup à voir les parents dans
l'école, et nous non plus car il y avait beaucoup de conflits entre eux.
La troisième année, un élève a voulu faire une classe de première à Marly. Celui-ci a
cherché des copains, et l'année suivante il y a eu une classe de première et une de
terminale. L'année dernière, il y a eu tellement d'élèves intéressés, dont certains venant
de Paris, qu'ils se sont éclatés en deux groupes géographiques. Un groupe s'est installé à
Marly et un groupe dans une salle à Paris, cette année, parce qu'ils avaient senti que la
MJC de Marly ne les accueillait plus tellement. Ils sont tous partis à Paris et se sont
installés dans un squatt d'où ils se sont fait expulser récemment, Le Monde en a parlé
sans spécifier de quelle école il s'agissait. C'est regrettable, car ces jeunes qui réalisent
tout à fait ce qu'il y a dans le rapport Schwartz en sont réduits à squatter, car ils ne
trouvent pas d'institution pour les accueillir.
Avec le recul, j'ai le sentiment que l'école de Marly a été beaucoup plus autogestionnaire
que Summerhill ou le lycée d'Oslo.
Je crois que ça pourrait être un modèle intéressant pour résoudre la crise de l'institution,
pour lutter contre l'échec scolaire dans les écoles de quartier.
—Quels ont été les résultatsƒ?
—Grosso modo, 50% de réussite au bac. S'il y avait chaque année un élève reçu sur dix,
je ne crois pas que nous aurions résisté. Mais le fait d'avoir la moitié des élèves qui
réussissaient le bac nous satisfaisait d'autant plus que ceux qui ne l'avaient pas la
première année l'avaient la deuxième.
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L'école parallèle de Marly, j'ai dit au début que c'était une école, mais on a toujours
voulu, dit et pensé que c'était plus qu'une école : un lieu où les gens apprenaient à être, à
se connaître.
Les gens avaient d'autres objectifs que celui de réussir le bac ; il faudrait des heures pour
raconter tout ce qu'ils ont fait (journal, radio libre, etc.)
—Quelle est la place de l'intervenant dans la pédagogie de Marlyƒ?
—Le prof aide les élèves à prendre conscience de leur programme de façon globale. Il
n'hésite pas à donner quelques éléments bibliographiques, laisse l'élève apprendre par
lui-même. Il relie le discours, dégage les problématiques sous-jacentes. C'est tout sauf un
cours magistral.
Au niveau de la synthèse collective, le prof peut sentir l'intérêt de rectifier quelque chose
qu'il pense être une erreur et ajouter des éléments. Il n'est pas prof au sens traditionnel du
terme.
Il renonce à sa dynamique didactique.
—Avez-vous essayé d'être reconnus par le ministère, ou bien avez-vous voulu continuer
en autogestion totaleƒ?
—A l'époque des années 1979-80, l'expérience que je menais était considérée, au niveau
du rectorat de Versailles, comme subversive. Nous sommes restés clandestins, du moins
informels jusqu'au 10 mai 1981. À partir de cette date, je pensais pouvoir proposer
l’institutionnalisation d'une école comme Marly. Il est intéressant que ce qui se pratique
à Marly se pratique au grand jour. Marly posait quand même un certain nombre de
problèmes et de limites. La première limite, c'est que les élèves déscolarisés se
présentaient en candidats libres, et pour certains suivis d'enseignement supérieur ce n'est
pas très simple. Cela leur bouche un certain nombre d'horizons : les écoles supérieures,
les préparations normale sup, etc. Il n'y a pas de livret scolaire, limite qui devient réalité
dès lors que tu veux généraliser ton modèle, mais que tout le monde ne voit pas de cette
façon.
La deuxième limite, c'est qu'en France l'école est obligatoire et quand tu n'es pas
scolarisé, les parents ne touchent plus les allocations familiales et il n'est pas non plus
très facile pour les enfants d'avoir la sécurité sociale.
La troisième limite, c'est celle qui a quand même justifié ma démarche pour Paris. À
Marly, le nombre était peut-être intéressant quand il était à son maximum, lorsque l'on
était quarante dans les réunions. Mais dans la mesure où un des grands principes était la
liberté totale pour les élèves d'être présents ou non, cette liberté quand ils la prenaient
aboutissait de temps en temps à un travail indépendant, où ils se retrouvaient à trois ou
quatre. C'était insuffisant et c'est ce qui m'a amené à proposer dès le mois de juin la
naissance d'un lycée autogéré à Paris sur le modèle de Marly, mais avec une population
scolaire, au départ, de cent élèves, qui est passée à deux cents parce qu'il y a un quota à
respecter entre le nombre de profs et d'élèves. À l'heure actuelle, nous sommes 24 profs
pour 150 élèves.
—Dans l'équipe autogérée de Paris, n'y a-t-il que toi qui viens de Marly ou êtes-vous
plusieursƒ?
—Une seule prof de Marly participe au projet de Paris. Les autres n'y sont pas, pas
tellement pour des raisons idéologiques mais parce qu'un certain nombre de gens
n'étaient pas enseignants de l'enseignement secondaire, et puis d'autres continuent à avoir
envie d'être intervenants à Marly.
A Marly, l'intervenant consacre trois ou quatre jours par semaine aux élèves, alors qu'au
lycée de Paris c'est un service complet qui demande d'être très disponible.
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