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HENRI PIÉRON, LA PSYCHOLOGIE DE L'ORIENTATION

PROFESSIONNELLE

Michel Huteau, Serge Blanchard

Groupe d'études de psychologie | « Bulletin de psychologie »

2014/5 Numéro 533 | pages 363 à 384


ISSN 0007-4403
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-bulletin-de-psychologie-2014-5-page-363.htm
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bulletin de psychologie / tome 67 (5) / 533 / septembre-octobre 2014 363

Henri Piéron, la psychologie de l’orientation


professionnelle
HUTEAU Michel*
BLANCHARD Serge**

« Tâche sociale destinée à guider les individus Toulouse. Ils sont jeunes, positivistes, avec des
dans le choix de la profession, de telle manière idées de réforme sociale, et souhaitent instituer
qu’ils soient capables de l’exercer et qu’ils s’en l’OP sur des bases scientifiques. Piéron est l’un
trouvent satisfaits, en assurant aussi, par la répar- d’eux.
tition de ces choix, la satisfaction des besoins
professionnels de la collectivité. »
UN RATIONALISTE HUMANISTE
C’est ainsi qu’Henri Piéron (1951/1968) définit Henri Piéron s’est toujours intéressé aux appli-
l’orientation professionnelle (OP) dans son Voca- cations de la psychologie et plus particulièrement
bulaire de la psychologie. La question de l’OP peut à l’OP. Depuis l’époque où, jeune étudiant à peine
être abordée de divers points de vue : économique sorti de l’adolescence, il faisait le coup de poing
(répartition de la main-d’œuvre), sociologique au Quartier Latin contre les groupes nationalistes
(facteurs sociaux de cette répartition), psycholo- et antisémites pour la révision du procès de
gique (conduite des individus). L’approche que Dreyfus, il s’est toujours senti concerné par les
Piéron défendra et développera tout au long de sa problèmes politiques et sociaux et a constamment
vie est résolument psychologique. Elle est fondée affiché des positions progressistes. Il est convaincu
sur une idée largement partagée et pas spéciale- très tôt que les nécessaires réformes sociales
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ment nouvelle (Platon déjà...), à savoir qu’il est doivent être fondées sur la science et notamment
souhaitable que les individus exercent des profes- sur la psychologie naissante. Ces convictions se
sions en accord avec leurs caractéristiques person- sont renforcées au contact d’Édouard Toulouse,
nelles. Nous verrons que derrière un consensus de autant militant que savant, dont la véritable obses-
façade se cachent de profondes oppositions et que sion était, dans tous les domaines, de rendre la
cette idée simple peut donner lieu, avec Henri société plus rationnelle et plus juste en appliquant
Piéron, à des élaborations relativement complexes. les données de la biologie, une biologie largement
définie puisqu’elle inclut la psychologie (Huteau,
À la fin du XIXe siècle, l’idée selon laquelle il
2002). Pendant plus de dix ans, Piéron a travaillé
faudrait organiser l’orientation des jeunes arrivant
au côté de Toulouse dans son laboratoire annexé à
en fin de scolarité primaire commence à s’affirmer
l’asile de Villejuif, où il a été recruté comme prépa-
(Huteau, Lautrey, 1979). Ceux qui plaident pour
rateur (poste non rémunéré) en 1901. En 1904, il
que des services d’orientation soient créés ont des
devient le secrétaire de la Revue scientifique que
motivations diverses. La plupart (des responsables
dirige Toulouse. Passé chef de travaux en 1907, il
de l’enseignement technique professionnel, des
quittera Villejuif en 1912 pour prendre la direction
services de main-d’œuvre, des organisations patro-
du Laboratoire de psychologie physiologique de la
nales...) pensent par ce moyen faciliter le recrute-
Sorbonne et remplacer Binet décédé l’année précé-
ment et rendre plus efficace la formation des
dente. « Je me suis trouvé assez tôt au contact
apprentis. Il y a, en effet, une crise de l’apprentis-
d’Édouard Toulouse, écrit-il en 1923 (a), si
sage que le développement du machinisme
soucieux des applications sociales de la science,
accentue. Certains, et ce sont parfois les mêmes,
ont des intentions moralisatrices et pensent qu’une
meilleure orientation des jeunes contribuera à la
résolution de « la question ouvrière » et à assurer * Conservatoire national des arts et métiers, Paris.
la paix sociale. Les uns et les autres ne demandent ** Groupe de recherches sur l’évolution de l’orienta-
tion (GRÉO) et Groupe de recherche sur l’histoire du
rien à la psychologie scientifique, que générale- travail et de l’orientation (GHRESTO/CRTD/CNAM)
ment ils ignorent. Il y a aussi quelques universi- Correspondance : Michel Huteau, 15 allée des Orchi-
taires, physiologistes et psychologues, parfois dées, 92220 Bagneux.
médecins, qui gravitent dans l’orbite d’Édouard <michel.huteau@wanadoo.fr>
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pour n’avoir pu songer à m’enfermer dans la méta- Libération il sera, avec Henri Wallon, vice-prési-
phorique tour d’ivoire, qui paraît bien démodée à dent de la Commission de réforme de l’enseigne-
notre société moderne » (p. 20). Piéron et Toulouse ment présidée par Paul Langevin 3.
resteront en contact comme en témoigne leur volu- Piéron, et en cela aussi il est toujours fidèle à
mineuse correspondance (450 lettres de Toulouse à Toulouse, a toujours manifesté une véritable foi en
Piéron sont déposées aux archives Piéron à la science. C’est un positiviste. Non seulement la
l’université René Descartes). Piéron est cosigna- science, et la science seule, permettra les réformes
taire de la dernière publication scientifique de sociales rationnelles et justes, mais elle est aussi un
Toulouse en 1945. Les positions de Toulouse et de facteur puissant de rapprochement des hommes.
Piéron sont voisines, mais ce dernier les a expri- Piéron note qu’il y a un mouvement vers l’unifi-
mées moins fréquemment et avec davantage de cation des cultures et il pense qu’il faut l’encou-
modération (il ne s’est jamais présenté comme un rager. « La première place dans cette œuvre
biocrate). d’uniformisation doit être donnée à la science. La
Piéron n’a jamais adhéré à un parti politique. science est vraiment quelque chose de commun à
Bien qu’engagé à gauche avec de fortes convic- tous les hommes... et cela est vraiment la chose
tions républicaines, et en cela fidèle à Toulouse, il essentielle » (1932, p. 267). Aussi est-il scandalisé
s’est toujours tenu à distance des mouvements que l’on puisse, dès le début des années 1930, en
socialistes et du marxisme qu’il a qualifiés, à Union soviétique, distinguer une science bour-
plusieurs reprises, de « métaphysique » (par geoise et une science prolétarienne. Il a toujours
exemple, 1931a, p. 223). Il pense que le progrès pensé que la science devait être indépendante des
vient principalement de l’action des élites éclairées conditions sociales et des philosophies, et devait se
et est résolument réformiste. « Je pense, déclare-t-il tenir à l’écart (au-dessus) des luttes partisanes qui
en 1932 (p. 268), que les révolutions ne sont, quand ne pouvaient que lui nuire.
elles apparaissent, que des manifestations de
surface, qui trahissent une évolution profonde. Ce
DE LA FIN DU XIXE SIÈCLE
qu’il y a de viable dans une révolution, c’est préci-
À LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE
sément ce qui sort de par cette transformation qui
s’est lentement produite sans qu’on l’ait vue... Il y Au début du siècle, les applications de la psycho-
a dans toutes les révolutions des choses durables et logie commencent à se développer (Reuchlin,
des choses passagères... Je pense justement que les 1971) et celles qui concernent l’OP sont fréquem-
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choses durables le sont dans la mesure où elles ment envisagées. Tous les psychologues qui
représentent une évolution continue... N’opposons construisent des tests, et presque tous les psycho-
pas toujours : l’évolution se fait. Aidons-la à se logues construisent des tests, envisagent leur appli-
faire ». Au lendemain de la première guerre cation à l’OP. À son arrivée au laboratoire de Ville-
mondiale, il sera membre des Compagnons de juif, Piéron met au point, avec Vaschide et
l’université nouvelle, mouvement qui agit pour une Toulouse, des procédures d’évaluation des princi-
réforme de l’enseignement et pour l’école unique. pales fonctions psychologiques. En 1904,
Il s’investira beaucoup 1 dans le Groupe français Toulouse, Vaschide et Piéron publient un recueil
pour l’Éducation nouvelle (GFEN) créé en 1922. de tests intitulé Technique de psychologie expéri-
Cette organisation, proche des Compagnons, se mentale. Au moyen de ces techniques, « on pourra,
propose de former des individus complets et écrivent-ils en conclusion, discerner ce qui carac-
d’œuvrer pour la paix en réformant l’enseignement. térise l’individu propre à telle ou telle fonction...
Elle agit pour que les méthodes pédagogiques pren- Et surtout, classer les individus suivant leurs apti-
nent en compte les données de la psychologie. tudes avec une précision bien autre que celle que
Jusqu’en 1930, Piéron représentera le GFEN auprès peuvent fournir des examens superficiels, des
de la Ligue internationale pour l’Éducation concours, ou des circonstances fortuites, telle est
nouvelle. Il sera membre du comité de rédaction l’œuvre d’utilisation sociale que la science psycho-
de Pour l’ère nouvelle, la revue du groupe (avec logique, appliquée à des questions concrètes,
Wallon, Decroly et Piaget). Il présidera le GFEN pourra bientôt hardiment revendiquer. Dès mainte-
à deux reprises (1932-1933 et 1937-1939) 2. À la nant elle essaye, elle tâtonne ; mais on peut prévoir
qu’avec quelques efforts encore elle réussira...
« La psychologie individuelle déterminera chez
1. Avec notamment Paul Langevin et Henri Wallon. l’adolescent qui va devenir adulte, peut-être même
2. Tant les Compagnons que le GFEN sont nés en chez l’enfant imparfaitement développé, quel
réaction aux horreurs de la guerre. Piéron, réformé puis
versé dans le service auxiliaire, n’a pas participé aux
combats. Pendant toute la durée de la guerre il sera
médecin-assistant dans un service militaire de neuropsy- 3. Après le décès de Langevin, la commission sera
chiatrie à Montpellier. présidée par Wallon.
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facteur social il pourra devenir, pour le plus grand instituteur, Arthur G. Christiaens (1921) 5, et le
bien de lui-même et de la collectivité » médecin-psychologue Ovide Decroly (Dubreucq,
(p. 251-252). 2010).
En 1909, dans une conférence prononcée à
l’École d’anthropologie de Paris, Piéron explique L’ENTRE-DEUX GUERRES
que l’anthropologie psychologique, telle qu’il la
conçoit, ne se limite pas à l’étude de « groupes issus La multiplication des services d’orientation
de phylums différents », mais est aussi concernée La situation change radicalement au lendemain
par l’étude de groupes sociaux. Et parmi ceux-ci il de la première guerre mondiale et l’OP va devenir
y a les métiers. à l’ordre du jour et commencer vraiment à exister.
« S’il est vrai, dit-il, en effet, que trop souvent Il faut d’abord procéder au reclassement profes-
les facteurs sociaux seuls déterminent les groupe- sionnel des blessés et des mutilés. Il y a aussi un
ments qui, pour la meilleure utilisation des forces gigantesque effort de reconstruction à entreprendre
individuelles, devraient provenir seulement du jeu alors que, du fait de la guerre, il y a un manque
des aptitudes naturelles, il est bien certain qu’une considérable de main-d’œuvre qualifiée. En même
meilleure connaissance de ces aptitudes permettrait temps que l’on relance et réorganise la formation
à la différenciation sociale de coïncider davantage professionnelle des ouvriers (loi Astier de 1919) il
avec la différenciation mentale... paraît aussi nécessaire, selon les propres termes du
ministre du Travail de l’époque d’organiser « la
« Déterminer les caractères et les causes de la
meilleure répartition possible des valeurs humaines
supériorité professionnelle, de quelque ordre soit-
entre les divers groupes d’activités ». Dans ce
elle..., déterminer les limites des influences éduca-
contexte, le plus souvent à l’initiative des chambres
tives et la part à attribuer aux caractères fondamen-
des métiers ou des offices de placement des jeunes,
taux de la psychologie des individus, pour les
on voit apparaître divers centres, bureaux, cabinets,
différents métiers, est une vaste tâche dont on
offices consacrés à l’orientation des écoliers vers
commence à peine à comprendre l’importance...
l’apprentissage. Strasbourg (avec Julien Fontègne)
« On conçoit aisément que l’étude systématique et Bordeaux (avec Fernand Mauvezin) sont les
des aptitudes intellectuelles représentera un facteur premières villes à être dotées de telles institutions.
important du classement social dans la société Dès 1921, une trentaine de villes possèdent leur
future... » (p. 121-122). service d’OP, mais ces services ont peu de moyens
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Le programme esquissé par Piéron connaît déjà et, ayant peu de personnels stables, font largement
un début de réalisation, car, au même moment, appel au bénévolat. Aussi, seule une infime partie
J.-M. Lahy, son collègue au laboratoire de Ville- de la population visée – les élèves arrivés en fin de
juif, suivant les suggestions formulées par scolarité primaire – est touchée. Comme le résume
Toulouse dans son étude sur Zola, recherche les André Caroff (1987) : « c’est un service pauvre
signes de la supériorité professionnelle chez les pour des enfants de pauvres ».
dactylographes et chez les conducteurs de tram-
ways. Mais ce n’est qu’après la guerre que des « Praticiens empiriques » et « scientifiques »
recherches du type de celles que propose Piéron se Chez les premiers acteurs de l’OP on observe
développeront. deux groupes bien distincts de taille très inégale.
Jusqu’à la première guerre mondiale, il y a beau- Le rapporteur de la commission OP au Congrès
coup de projets, mais peu de réalisations. À Paris, international de l’enseignement technique, en 1931,
Émile Chaintreau ouvre en 1909 un service d’infor- les a nommés « praticiens empiriques » et « scien-
mation professionnelle à Jean-Baptiste Say pour tifiques ». Les premiers sont de très loin les plus
conseiller les familles des futurs apprentis ; à nombreux et ce sont eux qui sont à l’œuvre dans
Modane, Ugo Pizzoli fait passer des tests aux les offices d’OP, qui seront placés sous la tutelle
apprentis... Mais il s’agit là d’actions limitées et de l’enseignement technique par le décret du
ponctuelles. Il n’existe que deux institutions four- 26 septembre 1922. Ils sont issus des Offices
nissant des services psychologiques en continu : le publics de placement des chômeurs du ministère
cabinet d’orientation de Boston, créé en 1907 par
Frank Parsons (Blanchard, 2013) puis dirigé par la
suite par Meyer Bloomfeld 4, et l’Office intercom- par Meyer Bloomfeld à Boston. Il en a rendu compte
munal d’orientation professionnelle de l’agglomé- dans une conférence faite dans le cadre de l’Association
ration de Bruxelles, créé l’année suivante par un française pour la défense de l’enseignement technique :
« L’orientation professionnelle aux États-Unis », confé-
rence du 29 janvier 1918, Revue La formation profes-
sionnelle, no 17 (Caroff, 1987, p. 56).
4. Dans le cadre d’un voyage d’études aux États-Unis, 5. Piéron (1923c) fait une critique positive de « Une
Ferdinand Buisson a visité le « vocation bureau » dirigé méthode d’orientation professionnelle » de Christiaens.
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du Travail dont la création se fait sous la pression scientifiques de l’OP et totalement absentes chez
des événements et des besoins créés par la guerre les praticiens empiriques. Enfin, dernière diffé-
(circulaire du 5 février 1915) et des Bureaux de rence, pour devenir « orienteur », il suffit d’un peu
placement municipaux, créés par la loi du 14 mars d’expérience et de beaucoup de bon sens pour les
1904 dans les communes de plus de 100 000 habi- praticiens empiriques, alors que pour les scientifi-
tants 6 (Larquier, 2000, p. 15 ; Martin, 2011, ques de l’OP une formation en psychologie est
p. 130-131). On trouve aussi des ingénieurs préoc- nécessaire 8.
cupés de formation, des enseignants... Les seconds Pendant toute la période de l’entre-deux-guerres
ne sont qu’une poignée. Ce sont des universitaires les « scientifiques », et Piéron tout particulière-
qui ont acquis une forte notoriété dans leur domaine ment, vont déployer une grande activité pour faire
(psychologie, physiologie) : Henri Piéron, Henri prévaloir leur point de vue et promouvoir les
Wallon, J.-M. Lahy, H. Laugier... méthodes psychotechniques. Ils vont agir auprès
Bien qu’ayant des intérêts communs – comme le des pouvoirs publics, combattre « les ennemis de
développement des services d’orientation – les uns l’OP », formaliser leur démarche, construire des
et les autres n’attribuent pas les mêmes objectifs à tests, établir un modèle de l’examen psychologique
l’OP et ne préconisent pas les mêmes méthodes. d’OP. Piéron va réaliser et susciter des travaux sur
Pour les praticiens empiriques, l’orientation se les aptitudes et l’intelligence. Il va aussi être à
limite à un placement raisonné des apprentis ; il l’origine de la docimologie. Cet activisme, nous le
faut satisfaire au mieux les demandes des entre- verrons, sera récompensé.
prises. Pour les scientifiques, l’orientation doit
concerner toute la jeunesse. Ils militent pour l’école La psychologie de l’orientation
unique et appartiennent sans équivoque au camp En 1923(b) Piéron expose sa conception du rôle
progressiste. Les uns et les autres se réfèrent à la de la psychologie dans l’OP. L’OP et la sélection
théorie des aptitudes (il faut conseiller aux jeunes professionnelle relèvent de la même logique. Dans
les métiers qui correspondent à leurs aptitudes), les deux cas on recherche le meilleur appariement
mais ils ne comprennent pas de la même manière entre des caractères individuels et des exigences
cette théorie et ils n’en tirent pas les mêmes consé- des professions. Mais le problème pratique se pose
quences. Pour les praticiens empiriques, la théorie différemment dans les deux cas. Pour mettre au
se résume à ce qu’en dit le sens commun et pour point une procédure de sélection pour un métier on
apprécier les aptitudes il suffit de recueillir les avis recherche alors « des signes de la supériorité
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des jeunes eux-mêmes, de leurs parents ou de leurs professionnelle » en comparant des bons et des
instituteurs. Ils n’utilisent pas de tests et, quand ils mauvais ouvriers. Ces signes étant trouvés (et en
ne les dénigrent pas, les considèrent avec la plus admettant qu’ils préexistent à l’exercice de la
grande circonspection. Les scientifiques de l’OP profession), on recrutera par la suite les sujets qui
ont des exigences plus développées et ils se réfè- les possèdent 9. Avec l’OP il ne s’agit plus de savoir
rent à la psychologie scientifique. Ils s’interrogent si une profession convient à un individu, mais de
sur les rôles de l’hérédité et des apprentissages, trouver celle qui lui convient le mieux. Pour appli-
distinguent aptitude et capacité. Les aptitudes quer la méthode de la sélection, il faudrait recher-
doivent être évaluées, autant que faire se peut cher chez l’individu les signes de la supériorité
– compte tenu du développement de la psycho- professionnelle pour tous les métiers..., ce qui ne
logie – au moyen d’épreuves psychométriques serait pas très raisonnable.
dûment validées 7. Les préoccupations relatives à La démarche que propose Piéron se déroule en
la validité des méthodes sont centrales chez les trois temps. Il faut d’abord regrouper les profes-
sions ayant des caractéristiques communes,

6. C’est en 1945 que le service public de l’emploi


devient monopole de l’État. « L’ordonnance de 1945 8. Certes, cette opposition mérite d’être nuancée. Des
s’intitule “placement des travailleurs et contrôle de « scientifiques » organisent des consultations d’OP
l’emploi”. Il s’agit d’une politique de gestion collective (Wallon à Boulogne, Lahy à Paris). Quelques « prati-
des catégories et des flux de main d’œuvre. (...) L’édifi- ciens » ont une formation scientifique. Fontègne, qui
cation d’un service unique de placement permettra de ouvre le centre d’OP de Strasbourg, a étudié la psycho-
“coordonner efficacement les offres et les demandes logie auprès de Claparède (c’est aussi lui qui a créé le
d’emploi, afin de diriger les travailleurs vers les activités cabinet d’OP de l’Institut Jean-Jacques Rousseau à
qui sont les plus utiles à la reprise de l’économie natio- Genève).
nale”. Le placement est mis au service de la planification 9. Piéron s’est intéressé à la sélection des pilotes. Il a
industrielle de la reconstruction. » (Larquier, 2000, fourni un bilan des études réalisées au cours de la
p. 17). première guerre mondiale. En 1939, il a dirigé la section
7. Évoquant la Rose des métiers de Mauvezin, Piéron de psychophysiologie et de sélection de l’Inspection
parle d’« une psychologie digne de la physique des tribus médico-psychologique de l’armée de l’air. Après la
australiennes » (1936c). guerre, il présentera les tests élaborés dans cette fonction.
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c’est-à-dire réunir les monographies profession- bien davantage » (1951). Aussi réclame-t-il la créa-
nelles disponibles. Il faut ensuite « tâcher de tion d’un institut de formation spécifique pour les
dégager quels sont les caractères essentiels qui relè- conseillers d’OP. Il reçoit l’appui du directeur de
vent d’une catégorie de métiers de telle manière l’enseignement technique, Léon Labbé, et de son
que nous puissions déterminer chez un individu s’il adjoint Hippolyte Luc, qui partagent ses convic-
répond à ces exigences essentielles » (p. 61). Enfin, tions positivistes et sa conception de l’OP 12. Ils se
et c’est sans doute le plus difficile, « si nous rencontrent dans diverses sociétés savantes et dans
voulons [...] déterminer les grandes fonctions une « commission d’orientation professionnelle »
impliquées dans des catégories de professions ou qui a été créée au Ministère. C’est dans le cadre de
de métiers, il faut que nous tâchions de connaître cette commission que fut décidée la création de
d’abord, quelles peuvent être, dans une individua- l’INOP. L’INOP est créé en 1928 (voir Piéron,
lité, les principales fonctions psycho-physiologi- 1928, 1953a ; Huteau 2005). C’est une victoire
ques... » (p. 62). Piéron ne procède pas à un inven- importante pour les scientifiques de l’OP. Il exis-
taire de ces fonctions, mais, dans une perspective tera désormais des professionnels formés aux
futuriste, il donne cependant quelques indications. méthodes qu’ils préconisent.
« Nous admettons, écrit-il, qu’il y a des fonctions L’INOP a le statut d’« établissement d’enseigne-
perceptives (...), des fonctions verbales, des fonc- ment supérieur libre ». Il a pour unique ressource
tions logiques, des fonctions imaginatives (...), la subvention que lui attribue la direction de
etc. » (p. 69). Il ajoute : « Nous admettons (...) que l’enseignement technique. Il est dirigé par un
nous disposons d’épreuves propres à mettre en comité de trois membres 13 : Henri Piéron, Henri
évidence les aptitudes particulières correspondant Laugier et Julien Fontègne, alors collaborateur de
à ces fonctions ». Labbé et chargé depuis 1924 d’une mission
On assiste donc à un renversement : on ne d’inspection des services d’Orientation profession-
recherche plus chez l’individu les exigences des nelle 14. Le directeur effectif est Piéron, lorsqu’il
professions (les « signes de la supériorité profes- est absent, Wallon le remplace. Le conseil d’admi-
sionnelle »), mais on recherche dans les profes- nistration de l’Institut, présidé par Edmond Labbé,
sions les caractéristiques positives des individus 10. comprend de nombreuses personnalités scientifi-
Cette manière de procéder est économique, car la ques de premier plan 15, des membres de l’admi-
description de l’individu est fortement allégée et nistration et un représentant de la CGT.
nous sommes loin des interminables questionnaires
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Trois missions sont dévolues à l’INOP. « Les
auto-descriptifs alors utilisés 11. Mais elle ne va pas buts que se propose le nouvel organisme correspon-
sans poser problème. Elle contraint l’analyse des dent à trois ordres de préoccupations. Il se propose
professions et conduit à une description des en premier lieu d’assurer la formation technique des
exigences professionnelles qui manque de finesse. conseillers d’orientation. Il assure en second lieu
La liaison entre les aptitudes possédées et les l’organisation d’un service de recherches destinées
exigences requises devient moins claire. à favoriser les applications possibles des techniques
La création de l’Institut national d’orienta- scientifiques aux problèmes de l’orientation et de la
tion professionnelle (INOP) sélection et à contrôler la rigueur des méthodes
adoptées et des résultats obtenus. Il s’attache enfin
En 1920, Piéron crée l’Institut de psychologie à constituer un centre de documentation visant à
(commun aux facultés de lettres et de sciences). rassembler, en vue de leur diffusion, toutes les
L’Institut est organisé en trois sections, chacune données relatives à ce qui a été réalisé en matière
conduisant à un diplôme : enseignement général, d’OP, tant en France qu’à l’étranger ».
section pédagogique, section psychologie appli-
L’Institut se dote d’un Bulletin dont le premier
quée. Dans cette dernière section sont dispensés
numéro paraît en janvier 1929 16. À partir de 1930,
des enseignements relatifs à l’OP. Mais si Piéron
est convaincu que « l’OP exige une forte base
psychologique » il affirme aussi qu’« elle nécessite
12. En 1933, Hippolyte Luc remplacera Edmond
Labbé à la direction de l’enseignement technique. Il occu-
pera cette fonction jusqu’en 1944.
10. On observera le même renversement pour la sélec- 13. Après la guerre, Piéron sera assisté d’un comité
tion professionnelle. Des procédures spécifiques ne directeur de trois membres dont H. Wallon.
seront établies que pour quelques professions (pilotes, 14. Julien Fontègne permet la liaison entre les prati-
programmeurs...) ciens empiriques et les scientifiques de l’OP.
11. Mauvezin propose un questionnaire de 102 ques- 15. Notamment Célestin Bouglé, J.-M. Lahy, L.
tions ouvertes à remplir chez soi en s’y prenant à Lapique, P. Langevin, H. Laugier, Paul-Boncour, E.
plusieurs reprises (voir Blanchard, Huteau, 2013, Toulouse.
p. 42-45). Le guide de Christiaens (1921) répertorie une 16. Ce Bulletin de l’INOP, le BINOP, deviendra la
quarantaine d’aptitudes. revue L’orientation scolaire et professionnelle en 1972.
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il assurera régulièrement la formation des person- (en 1936-1937, sur 69 offices départementaux, 14
nels en place. Une consultation d’OP ouverte au seulement utilisent des tests), mais toutes les condi-
public fonctionnera régulièrement à partir de 1932. tions sont remplies pour qu’elle le devienne, et elle
La formation dispensée est à dominante psycho- le deviendra effectivement, après la seconde guerre
logique, voisine de celle donnée à l’Institut de mondiale. C’est par leur maîtrise de la méthode des
psychologie, mais résolument pluridisciplinaire. tests que les conseillers d’OP se professionnalise-
Les futurs conseillers d’orientation doivent ront et acquerront une identité de psychologue
acquérir une solide culture psychologique, être en (Martin, 2012).
mesure de pratiquer « les méthodes expérimentales Les tests de Piéron
d’examen » (utilisation d’appareils pour les capa-
cités sensorielles et motrices, tests individuels et L’INOP étant créé, il faut armer les futurs
collectifs), connaître les exigences des principaux conseillers d’OP, et Piéron et son épouse vont
métiers, être au courant de l’organisation des proposer des tests. Conscient de l’importance de la
offices, acquérir des notions de physiologie, de collaboration des éducateurs à l’œuvre d’orienta-
pathologie générale et psychiatrique, ils doivent tion, Piéron propose en 1930 une « fiche psycho-
enfin assimiler les données économiques générales pédagogique d’orientation pour les éducateurs ».
concernant les professions et l’organisation du C’est un guide d’observation de l’activité des
travail... ». Entre 1929 et 1945, l’INOP délivrera élèves dont les différentes rubriques sont à remplir
plus de diplômes que l’Institut de psychologie par les instituteurs. Ce guide d’observation,
(350). En matière de recherche, le service de construit en vue d’améliorer la qualité des obser-
recherche se consacre à la confection de tests (on vations faites par les instituteurs sur leurs élèves,
l’appelle d’ailleurs le Service de recherche des porte à la fois sur les aptitudes scolaires, les apti-
tests). Ce service est peu développé 17, mais on tudes mentales, le caractère et la personnalité, et
observera une bonne synergie avec d’autres labo- enfin sur les goûts et les intérêts des élèves (Piéron,
ratoires : celui de Piéron à la Sorbonne, celui de Piéron, 1930). Ce n’est pas une épreuve standar-
Laugier au CNAM, celui de Wallon à l’EPHE. disée de connaissances scolaires, du type de celles
fabriquées quelques années plus tôt par Binet et
Les décrets de 1938 Vaney (1910) et par Claparède (1924).
Avec la création de l’INOP les scientifiques de La « Fiche psychologique d’orientation
l’OP marquent un point important. Ils vont en
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professionnelle »
marquer un autre, décisif celui-là, en 1938. Du
lendemain de la première guerre mondiale au Front Établie pour les enfants de 12 à 13 ans 19, la
populaire, les services de l’orientation profession- « Fiche psychologique d’orientation profession-
nelle sont restés sous-développés : une centaine de nelle » est présentée par Piéron et son épouse en
centres seulement en 1936, à peu près autant qu’en 1930 (Blanchard, Sontag, 2005). Elle est accompa-
1924 ; ces centres ne touchent que 6 % de la popu- gnée d’instructions, qui précisent les conditions de
lation qui arrive à la fin de la scolarité obligatoire. passation des épreuves, et d’étalonnages (Piéron,
En 1938, voulant relancer la formation profession- Piéron, 1930). Ces étalonnages ont été établis suite
nelle, le gouvernement publie une série de décrets. à la passation faite auprès de 1 610 garçons et filles
Plusieurs dispositions concernent l’OP. Les de 42 écoles de la ville de Paris. Si cette « Fiche
services sont réorganisés et leur intégration au sein psychologique d’OP » est présentée si peu de temps
de l’instruction publique est renforcée. Il doit y après la création de l’INOP, c’est parce que le
avoir au moins un centre d’OP par département. travail d’élaboration et de validation des épreuves
On institue un certificat d’orientation profession- psychologiques de la fiche a été conduit au labo-
nelle obligatoire pour entrer en apprentissage (il y ratoire de psychologie de la Sorbonne, bien avant
a obligation de recevoir un conseil, non de le la création de l’INOP (Piéron Mme, 1953, p. 3).
suivre), ce certificat est délivré par les centres La passation collective est jugée insuffisante et elle
d’OP. Pour exercer dans un centre d’OP, il faut est complétée par un examen individuel court
être titulaire du diplôme de l’INOP 18. La restruc- (2 épreuves) qui dure environ une demi-heure.
turation de l’orientation, on le voit, se fait en L’examen collectif est beaucoup plus long
donnant une place centrale à l’INOP et les posi- (19 épreuves) et prend la forme d’une épreuve papier-
tions qu’il défend deviennent la norme. Elle crayon d’une durée d’environ 1 h 45. Les Piéron ne
marque la victoire des scientifiques de l’OP. Certes, mentionnent pas l’origine de leurs épreuves. La
la psychotechnique n’est pas encore hégémonique plupart sont issues de la Technique de 1911.

17. Jusqu’à la guerre, il sera limité à Mme Piéron. 19. Ce n’est qu’en 1936 que la scolarité obligatoire
18. Ce diplôme deviendra un diplôme d’État en 1944. est portée à 14 ans.
bulletin de psychologie 369

1. L’examen individuel • Mémoire des mots [épreuves du type de celles


Cet examen comprend les deux épreuves de la Technique]
suivantes : On demande au sujet de lire attentivement des
– Facilité d’association verbale [figure dans la mots, de façon à pouvoir s’en souvenir
Technique] CORBEAU BATON VIOLETTE
On prononce des mots devant l’enfant (cheval, TROMPETTE ENCRIER MARTEAU
maison, mère, soleil, courage) et on lui demande de
ROTI CISEAU CHINOIS...
dire le plus vite possible les premiers mots qui lui
viendront à l’esprit. Le conseiller chronomètre le • Mémoire logique [figure dans la Technique
temps mis par l’enfant pour trouver dix mots différents. sous la rubrique « mémoire intellectuelle des
idées »]
– Vitesse de réaction verbale [figure dans la
Technique] On demande au sujet de lire attentivement un
texte de 6 lignes – dont nous ne reproduisons que
On utilise un tableau où se trouvent inscrites dix
lignes de 10 caractères qui sont soit des ronds (k), le début – de manière à le comprendre et à retenir
soit des traits (/), soit des croix (+), soit des points les idées exprimées, pour pouvoir en reproduire le
(.). On demande à l’enfant d’énoncer sans erreur, sens.
le plus vite possible, les signes du tableau, ligne « On a porté des jugements bien différents sur la
par ligne, en employant les mots : rond, trait, croix valeur de la vie. Les uns la proclament bonne,
et point. On chronomètre le temps mis par l’enfant d’autres la proclament mauvaise. Il est plus juste
pour lire les dix lignes du tableau et on ajoute au de dire qu’elle est médiocre... »
temps mesuré une seconde par erreur non corrigée. • Mémoire concrète [figure dans la Technique]
2. L’épreuve collective On demande au sujet de regarder un tableau
On distribue des cahiers aux élèves sur lesquels contenant 12 dessins d’objets (une tenaille ouverte,
se trouvent les différentes épreuves. En haut de une bouteille à moitié pleine, une bougie allumée...)
chaque page, l’enfant doit lire l’explication de ce À partir de ces épreuves collectives on caracté-
qu’il doit faire. L’examinateur donne le départ pour rise le sujet par son attention (niveau d’efficience)
chaque exercice et donne également le signal et sa mémoire, mémoire pratique (étendue et exac-
d’arrêt de l’exercice.
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titude) et mémoire concrète.
– Épreuve d’efficience : le test de barrage – Épreuve d’intelligence
[figure dans la Technique]
Divers problèmes sont présentés :
Il s’agit de barrer des signes dans un grand
tableau. À partir de cette épreuve de barrage, on • Séries numériques à compléter [ne figure pas
élabore trois scores : niveau d’efficience, vitesse de dans la Technique]
mise en train, et résistance à la fatigue. Rappelons « Écrivez les 2 nombres qui continuent la série :
que le « test de barrage » de Toulouse et Piéron a 1, 5, 25, 125... »
aussi été utilisé antérieurement pour évaluer l’émoti- • Mots qui expriment une relation d’idées [figure
vité des sujets. Les sujets étaient appelés à exécuter dans la Technique]
l’exercice de barrage de signes après l’audition
« Souligner 2 mots qui offrent la même relation
inopinée d’un « coup de trompe violent ». L’évalua-
tion de l’émotivité « a été provisoirement aban- que POIDS et BALANCE : Thermomètre, cristal, eau,
donnée comme ayant donné des résultats peu température, lumière, cube. »
probants. » (Piéron, Piéron, 1930, p. 17). • Analogies [ne figure pas dans la Technique]
– Épreuve de reconnaissance de formes géomé- « Le tigre bondit sur les moutons, le chat bondit
triques [ne figure pas dans la Technique] sur ... »
On demande au sujet de faire une croix dans les • Raisonnements [ce type de test figure dans la
figures que l’on reconnaît comme exactement Technique]
pareilles aux figures vues à la page précédente. « Mozart est mort avant la naissance de Chopin.
– Épreuves de mémoire [issues de la Technique] Beethoven écrivit la 7e symphonie après la mort
Elles comprennent les exercices suivants : de Mozart.
mémoire des formes géométriques, mémoire Par conséquent, cette symphonie fut écrite
concrète et observation (souvenir de la position de pendant la vie de Chopin »
12 objets placés dans un tableau de 12 cases),
EXACT INEXACT
mémoire des mots, mémoire logique, vitesse
d’apprentissage initial, vitesse d’apprentissage • Absurdités à découvrir [figure dans la
terminal (apprentissage de code). Technique]
370 bulletin de psychologie

« La mère coupa le gâteau en deux moitiés, mais pour leur emploi (notamment Piéron Mme, 1934)
à Paul elle donna la plus grosse. » qui permettent également l’établissement d’un
• Réponses à des alternatives [ne figure dans la profil grâce à l’étalonnage fourni.
Technique] L’examen psychologique d’OP
« Il ne reste plus que trois couteaux dans le
La pratique de l’« examen d’orientation profes-
magasin.
sionnelle » (institué par le décret-loi du 28 mai
Si je prends un couteau à deux lames, il peut 1938) se met en place dans les années 1930, mais ne
coûter 10 ou 15 francs. se développera en France de manière significative
Si le couteau a un tire-bouchon, il coûte 10 ou qu’après la seconde guerre mondiale. En dépit des
12 francs. difficultés théoriques et pratiques relatives à la
Or, celui que je choisis a deux lames et un tire- mesure des aptitudes et à la mise en œuvre d’une
bouchon, combien coûte-t-il ? » logique d’appariement entre les caractéristiques des
individus et celles des métiers, l’« examen d’orien-
• Questions de bon sens [ne figure pas dans la tation professionnelle » a pour objectif de fournir,
Technique] aux jeunes qui consultent un conseiller et à leur
« Un tiers des élèves de l’école joue habituelle- famille, des informations qui peuvent les aider dans
ment au ballon ; un tiers joue généralement aux leur choix d’une profession ou, plus souvent, d’une
barres. Y en a-t-il qui pratiquent les deux jeux ? formation professionnelle. Il débouche sur un
(S’il est impossible de le savoir, dites-le.) » conseil. Cet examen – qui concerne des jeunes âgés
– Épreuve d’imagination [ne figure pas dans la d’environ 14 ans sortant de classes de fin d’études
Technique] primaires – est ponctuel et s’inscrit dans un cadre
temporel limité (le total des interventions collec-
On demande au sujet quelles formes lui suggère
tives et individuelles est inférieur à 10 heures). Il
une tâche d’encre. On attribue 4 points à chaque
comporte des épreuves écrites passées en classe
indication d’un objet, d’un animal, d’une indivi-
(séance d’environ 3 heures comprenant des tests de
dualité quelconque. Le nombre total des points
raisonnement, d’abstraction, de compréhension
constitue la valeur caractéristique de l’épreuve.
technique, de coup d’œil, d’attention, de mémoire,
Mme Piéron résume comme suit la présentation etc.), et une consultation individuelle au Centre
de la « Fiche psychologique d’OP » : « Cette fiche d’orientation professionnelle (d’une durée
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comprend des épreuves caractéristiques de l’atten- d’environ 3 heures) qui comprend la passation
tion, des différentes formes de mémoire et des d’épreuves d’habileté manuelle, de compréhension
questions d’intelligence proprement dites. Les technique, de vitesse de réaction..., un entretien au
résultats de ces questions sont relevés, soit au point cours duquel le conseiller cherche à déceler les inté-
de vue de l’opération mentale prédominante néces- rêts, les goûts, les désirs professionnels du jeune et
saire à leur réussite (compréhension, critique, leur intensité. Une visite médicale d’orientation est
invention), soit au point de vue de la nature des faite par un médecin d’orientation professionnelle.
problèmes posés (intelligence verbale, numérique, L’instituteur est invité à remplir une fiche scolaire.
logique et intelligence générale sous la forme du En 1970, des conseillers du centre d’application
simple bon sens). Chacun de ces points ayant été de l’INETOP résument comme suit les apports de
étalonné, il est facile à l’orienteur de dresser le l’examen d’orientation professionnelle : « Bien
profil de l’enfant examiné et d’en tirer des conclu- qu’inséré dans un contexte socio-scolaire apparem-
sions sur ses possibilités. » (1953, p. 52). ment statique, l’“examen d’orientation profession-
Les scores, selon l’opération mentale et selon la nelle”, comprenant un entretien, des tests d’apti-
nature des problèmes, sont obtenus à partir des tudes, une épreuve de niveau mental, des tests
88 items des épreuves d’intelligence. Beaucoup psychomoteurs, s’enrichissant des renseignements
d’items sont utilisés, à la fois, pour une opération fournis par l’instituteur, le médecin, les familles, le
mentale et pour la nature des problèmes. Les scores cas échéant les services sociaux, et débouchant sur
d’attention et de mémoire sont obtenus à partir des une information professionnelle adaptée au cas de
trois épreuves collectives. Si les tests sont bien l’enfant, constituait déjà une synthèse originale et
accompagnés d’étalonnages (des décilages), précieuse mise au service de l’individu. » (Ange-
aucune indication n’est fournie sur les fidélités et ville et coll., 1970, p. 150).
les validités. En l’absence d’analyse des items, les L’examen d’orientation professionnelle
dimensions sont définies a priori. débouche donc sur une synthèse, fruit de la réflexion
Quant aux aptitudes mécaniques, elles font du conseiller à partir des diverses informations
l’objet d’un examen supplémentaire à l’aide des recueillies, synthèse mise au service du jeune et de
« Fiches d’aptitude technique A et B » (notamment sa famille sous la forme d’un conseil d’orientation
Piéron Mme, 1932) accompagnées d’instructions professionnelle. Quels sont les rôles respectifs du
bulletin de psychologie 371

conseiller, de la famille et du jeune dans le cadre du pour une grande part sur des tests d’efficience intel-
conseil d’orientation professionnelle ? lectuelle, essentiellement des épreuves factorielles
1. Pour Maurice Reuchlin, l’activité du conseiller d’aptitudes intellectuelles, dont les qualités métro-
d’orientation au cours de cet examen d’orientation logiques sont analysées et dont la validité pronos-
professionnelle qui aboutit à un conseil d’orienta- tique est étudiée. Le conseiller synthétise les
tion, est une activité de structuration de l’informa- diverses informations et propose des pistes d’orien-
tion concernant un jeune particulier, une activité tation sous forme d’un conseil (au sens d’avis)
intégratrice : « Par les contacts qu’il a avec la prodigué au jeune et à sa famille.
famille, avec l’enfant, avec les enseignants, par les Les aptitudes et l’hérédité
examens psychologiques qu’il fait, les informations
médicales dont il dispose, le conseiller est celui qui Pour Piéron la distribution inégale d’aptitudes
peut le mieux structurer en un ensemble cohérent naturelles est le fondement de l’OP : « il est
les différents aspects de la personnalité d’un enfant, possible d’affirmer, en l’état actuel de nos connais-
les significations qu’il convient sans doute d’atta- sances, la validité du fondement de l’OP, à savoir
cher à ses réactions et à ses difficultés dans tel ou l’existence chez les hommes d’aptitudes différentes
tel milieu particulier, par exemple le milieu familial d’origine constitutionnelles, héréditaires (1937,
ou le milieu scolaire. » (Reuchlin, 1971, p. 16-17). p. 2). Il a toujours affirmé et défendu une concep-
tion des aptitudes faisant une large part à l’hérédité.
Cette activité intégratrice n’est pas simple, car « L’aptitude est la condition congénitale d’une
elle porte sur un grand nombre d’informations. certaine modalité d’efficience », écrit-il en 1949
Maurice Reuchlin place ainsi le conseiller dans le (c’est lui qui souligne). Et il ajoute (p. 31) : « C’est
rôle d’un expert qui traite cette information le substrat, non directement accessible, d’une capa-
complexe et qui propose des solutions précises (des cité, qui, celle-ci, est directement révélable, sous
avis) au jeune qui l’a consulté et à sa famille. Une condition d’une volonté d’exécution, mais qui
information sur les chances de réussite est fournie dépend aussi de la formation éducative et de l’exer-
par les résultats aux tests dont la validité pronos- cice, ainsi que du degré de maturation, quand le
tique a, en principe, été étudiée. C’est pourquoi il développement n’est pas terminé, ou se trouve
est prudent de suivre le conseil de l’expert qui arrêté précocement ». Il ajoute : « ce qui a une
« offre de sérieuses garanties de sécurité ». Reste valeur dans le concept c’est une possibilité de
la question de savoir si le jeune et sa famille prédiction » et encore : « normalement on doit
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peuvent s’approprier facilement la synthèse provoquer les activités pour déceler les aptitudes,
présentée par le conseiller et les avis donnés, avis dont la notion a une valeur essentiellement
qui n’ont pas de caractère contraignant, « la famille pratique : il s’agit de prévoir la réussite dans une
gardant la responsabilité de la décision ». activité intéressante et par la même complexe, envi-
2. Dans le cadre de cette conception de l’orien- sagée le plus souvent sous une forme syncrétique
tation professionnelle, la famille se voit ainsi aidée assez confuse » (p. 32).
au cours du difficile travail de structuration et La distinction aptitude-capacité vise à résoudre
d’intégration des informations relatives au le problème central de l’OP : peut-on prévoir l’effi-
problème d’orientation du jeune, travail qui est fait cience de demain, à partir d’un constat fait
par le conseiller d’orientation, en tant qu’expert du aujourd’hui alors que l’individu va changer ? Pour
domaine. Toutefois, au cours de la phase de conseil Édouard Claparède, cette question était « la plus
d’orientation, la coopération avec la famille est importante de la psychotechnique » 20. Piéron
recherchée, le conseiller garantissant le secret des répond à cette question en considérant finalement
éléments évoqués au cours de l’entretien. Le
« conseil d’orientation » du conseiller expert est
dissocié de la décision, qui relève du jeune et de
sa famille. La responsabilité de la famille se situe 20. Voici comment il la formulait en 1922 : « Nous
avons vu, d’une part, que les tests n’étaient utiles que si,
donc au niveau du choix à faire entre les avis qui avant l’apprentissage, ils permettaient de pronostiquer le
ont été donnés à propos de l’orientation du jeune. succès de cet apprentissage, ou le succès dans l’exercice
3. Il appartient au jeune de coopérer au cours de de la profession ; mais, d’autre part, que cet apprentis-
sage même risquait de modifier assez la personnalité
l’entretien en faisant état de ses intérêts et de ses
psychophysiologique, pour que l’état de celle-ci après cet
projets, et au cours de l’examen en faisant de son apprentissage ne réponde plus du tout au portait que les
mieux lors de la passation des tests. tests en avaient donné avant cette période.
Pour résumer, la pratique de l’« examen psycho- « Il semble que nous nous trouvions ici devant une
difficulté insurmontable : c’est comme si nous deman-
logique d’orientation professionnelle » s’appuie sur dions à un photographe de nous donner, d’un enfant que
l’établissement d’un profil d’aptitudes des jeunes nous lui amenons, non pas le portrait de son visage, tel
qui est établi dans le cadre de l’« examen d’orien- qu’il est aujourd’hui, mais son portrait tel qu’il sera à
tation professionnelle ». Le conseiller s’appuie l’âge adulte. »
372 bulletin de psychologie

que la mesure des capacités fournit une bonne esti- part de l’hérédité serait beaucoup plus faible si les
mation des aptitudes 21. Sinon, les aptitudes n’étant variations du milieu étaient plus grandes si, par
pas observables, on ne voit pas très bien comment exemple, on comparait des enfants élevés à Paris
elles pourraient permettre des prédictions. et des enfants élevés chez les aborigènes austra-
Commentant des travaux où l’on compare des liens. Mais il considère que cette quantification des
enfants élevés à la campagne et des enfants élevés rôles respectifs de l’hérédité et du milieu présente
en ville il écrit : « Les inégalités, très limitées, de néanmoins « une valeur pratique considérable »,
“nurture” ne sont en général pas suffisantes pour car « nous avons à opérer, dit-il, avec des individus
entraîner des différences de capacités quand les qui appartiennent à un milieu relativement homo-
aptitudes sont identiques. Il y a là un point très gène ». « Les milieux dans lesquels sont élevés les
important au point de vue pratique, car cela légi- enfants sont considérés comme des milieux diffé-
time une hiérarchie d’aptitudes – directement inac- rents d’une famille à l’autre, mais ils sont tout de
cessibles – en la fondant sur la hiérarchie des même relativement peu différents » (1936a,
capacités effectives, dans les conditions normales, p. 110). En 1950, peut-être ébranlé dans ses convic-
où il n’y a que des différences assez minimes de tions et convenant qu’à un même niveau d’aptitude
milieu » (1949, p. 20-21, souligné par nous). Une peuvent correspondre des capacités très inégales,
telle conception suppose une valorisation des Piéron envisagera la possibilité d’établir des étalon-
facteurs héréditaires et une minoration des facteurs nages en fonction du milieu de l’enfant.
de milieu dans la formation des aptitudes (certes, Cette importance accordée à l’hérédité permet
le « congénital » concerne aussi les conséquences d’envisager des applications eugéniques « et ouvre
de la vie intra-utérine, mais il n’en est quasiment la porte à des possibilités d’amélioration notable
jamais question dans les données sur lesquelles se des capacités par des sélections convenables (...)
fonde Piéron.) dans les unions des géniteurs » (1949, p. 23). Mais
Constamment, Piéron souligne l’importance de Piéron ajoute que « les fondements scientifiques
l’hérédité dans la détermination des aptitudes 22. d’une eugénique précise sont encore loin d’être
« La science, écrit-il, par exemple, en 1929a, nous suffisamment établis ». Cette valorisation de
montre quantité de faits qui révèlent le rôle tout à l’hérédité est un facteur important de l’opposition
fait capital de la constitution organique de l’indi- de Piéron au marxisme. « Il y a, écrit-il en 1931a,
vidu, de sa constitution héréditaire » (p. 135). Les dans la philosophie qui est à la base de l’organisa-
faits cités sont des mesures de l’héritabilité effec- tion soviétique... une surestimation de l’influence
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tuées à partir d’observations sur des jumeaux et des des facteurs sociaux, dans la constitution de la
enfants adoptés. Ils indiquent que 80 % de la varia- personnalité humaine, comparée aux facteurs biolo-
bilité est attribuable à l’hérédité. Même s’il les giques, héréditaires » (p. 223). En 1937, il range
révise un peu à la baisse, à partir de considérations parmi les « ennemis de l’OP » un « sociologisme à
sur l’effet du milieu sur le patrimoine génétique prétention marxiste » qui considère qu’il n’y a pas
(Piéron est à cette époque néo-lamarckien), et de différences individuelles congénitales. Notons
mentionne leur caractère approximatif, il n’en juge que Piéron, à la différence de plusieurs continua-
pas moins que leur signification est « incontes- teurs de Galton, n’a jamais écrit que les différences
table » (1936a, p. 110). Piéron n’ignore pas que d’intelligence entre classes sociales pouvaient avoir
l’hérédité et le milieu sont en interaction et que ces une base génétique.
mesures d’héritabilité dépendent notamment de la
variabilité environnementale 23. Il convient que la
un même terrain, au même moment, des graines de blé
sélectionnées venant de souches différentes présentent
21. Claparède, aussi héréditariste que Piéron, apporte des inégalités de rendement d’origine génotypique ; mais
une autre réponse. Il propose de mesurer l’éducabilité des grains provenant d’une même souche, semés dans
des aptitudes (voir Blanchard, Huteau, 2013, p. 45-47). des terrains divers, soumis à des conditions climatiques
Piéron évoque bien cette idée mais sans la développer. variées, donneront des rendements inégaux, avec des
Une troisième réponse, évoquée également par Piéron, écarts dont la grandeur dépendra de l’importance des
consiste à faire appel à des capacités dépendant peu, différences favorables ou défavorables que comportent
semble-t-il, de l’éducation. les conditions de milieu. Et, avec des graines de souches
22. L’organisation de son Traité de psychologie appli- multiples en des terrains variés, les différences de rende-
quée témoigne non seulement des centres d’intérêt de ment seront conditionnées en partie par les structures
Piéron, mais aussi de ses options. Le premier des sept génotypiques, en partie par les influences paratypiques,
livres qui le constituent est intitulé « La psychologie avec une inégale participation, dans la variance des deux
différentielle » ; le premier chapitre de ce premier livre facteurs, en fonction de la grandeur d’écart, pour chacun
est intitulé « Le rôle de l’hérédité » (le deuxième, « Les d’eux, par rapport à une certaine valeur moyenne.
aptitudes », et le troisième et dernier, « l’individualité et « Il n’en va pas autrement pour les organismes, quels
le problème des types »). qu’ils soient, et pour l’homme en particulier, les carac-
23. Il termine ainsi le chapitre « Le rôle de l’hérédité » tères psychologiques se comportant exactement comme
de Psychologie différentielle (1949) : « On sait que dans tous les autres caractères observables. » (p. 26).
bulletin de psychologie 373

Fortement impliqué dans le mouvement pour sont concrètement accessibles ». « Même en suppo-
l’éducation nouvelle et la réforme de l’enseigne- sant que nous parvenions à éliminer l’influence de
ment, Piéron, bien sûr, accorde une grande impor- toute formation éducative systématique, nous ne
tance à l’éducation. Mais cela ne le conduit pas, pourrions jamais connaître “le substrat congénital”
bien au contraire, à minimiser le rôle des aptitudes que dans l’état où l’ont amené les conditions de vie
innées. Les aptitudes innées constituent d’abord des que le sujet a connues avant notre examen, condi-
contraintes et imposent des limites à l’éducation. tions de vie qui sont largement fonction de facteurs
Certes, on peut toujours développer les capacités, socio-économiques » (p. 371). Par ailleurs, « il n’y
mais, « au-delà de 9 ans, le fond mental paraît être a pas une d’aptitude “en soi” à un métier », « mais
pratiquement fixé » (1952, p. 14). L’action éduca- bien une aptitude par rapport à certaines conditions
tive permet à l’homme de se développer, mais, dit techniques, économiques et sociales d’exercice de
Piéron, dans le sens où il est « préparé », c’est- ce métier, par rapport à une certaine échelle de
à-dire en fonction de ses aptitudes (1953b). valeurs acceptée par un certain groupe social »
(p. 372). Reuchlin dénonce ensuite deux idées
Mis en présence d’individus ayant des aptitudes
fausses, sur les tests et sur l’analyse factorielle.
différentes et inégales, l’éducateur a deux possibi-
« L’assimilation du résultat d’un test à la mesure
lités : soit se proposer de compenser la faiblesse de
d’une aptitude ne correspond qu’à une définition
certaines aptitudes – on vise alors la formation d’un
arbitraire du mot aptitude, ou à l’acceptation de
individu moyen –, soit développer les aptitudes
postulats peu vraisemblables sur la nature de la
déjà affirmées. Piéron opte sans ambiguïté pour la
réussite professionnelle » (p. 381). L’analyse facto-
seconde possibilité. « Je crois qu’il est capital, pour
rielle est « une technique descriptive susceptible de
l’utilisation sociale des hommes, que nous déve-
révéler les structurations possibles d’une série de
loppions (...) ce par quoi chacun peut devenir supé-
variables... et non un moyen universel de connais-
rieur... Il faut que notre éducation s’adapte à cette
sances des aptitudes » (p. 389). Cette critique est
tâche de mettre l’homme à la place où il faut qu’il
sévère, mais elle ne met pas en cause l’intérêt d’un
soit, et à développer ses aptitudes propres pour qu’il
diagnostic des « aptitudes-capacités » au moyen de
puisse rendre dans la société le maximum de
tests. En effet, écrit Reuchlin, « les tests (...) ont un
services. » (1929a, p. 138).
intérêt qui n’est pas lié à l’hypothèse selon laquelle
Une des tâches importantes de l’éducateur ils sont de pures mesures d’aptitudes » (p. 381). La
consiste donc à découvrir les aptitudes, ce qui est distinction de Piéron avait une visée pratique : faire
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aussi l’objet de l’OP. Les aptitudes se révéleront des pronostics de réussite professionnelle. Mais on
mieux si on utilise des méthodes actives. Lorsqu’il peut aussi tenter des pronostics à partir des résultats
écrit : « l’OP est une tâche d’éducation ; ce n’est aux tests. Si cela est possible il restera, certes, à
pas une tâche que l’on puisse renvoyer après expliquer pourquoi, mais le but pratique sera
l’école, c’est la tâche essentielle de l’éducateur atteint. Finalement, la critique de Reuchlin clarifie
même » (1929a, p. 138), Piéron signifie clairement et simplifie le problème de la prédiction sans mettre
que le rôle principal de l’éducation est de déve- en cause le modèle de l’OP de Piéron fondé sur un
lopper des aptitudes préexistantes. « Nous tâchons diagnostic. C’est sans doute la raison pour laquelle
actuellement, écrit-il encore (1929a, p. 139), celui-ci l’a jugée recevable, malgré de vraisembla-
d’établir les méthodes les plus sûres pour mieux bles réticences, dans son Traité de psychologie
connaître les enfants, pour les orienter, non plus appliquée.
seulement à la sortie de l’école, mais dans l’école
même, non pas pour les niveler, mais pour leur L’intelligence
donner, au contraire, les moyens de se développer Quand nous évaluons l’intelligence, ou l’atten-
spontanément dans les directions où ils ont le plus tion, « ce sont des jugements que nous portons sur
de goût et d’aptitudes. » des qualités particulières du fonctionnement mental
Notons que, pour Piéron, les aptitudes, qu’elles de l’individu, mais du fonctionnement dans son
soient spécifiques ou générales (l’intelligence ou ensemble, et cela ne ressemble pas à une fonction
les intelligences), ne correspondent pas à des isolable 24... L’intelligence, c’est une certaine
processus ou des fonctions bien identifiées. propriété du fonctionnement mental que nous
« L’aptitude est une qualité pratique du fonction- jugeons, que nous apprécions, mais il n’y a rien de
nement mental et même du fonctionnement orga- défini qui corresponde à cela » (1929a, p. 137).
nique général. » (1929a, p. 137). Piéron insiste beaucoup sur le caractère global de
l’activité intellectuelle. « Nous apprécions l’intel-
La distinction entre aptitude et capacité, à ligence d’après une capacité fonctionnelle de
laquelle Piéron tenait tant, est-elle justifiée ?
Maurice Reuchlin (1954) a clairement montré
qu’elle ne l’était pas en soulignant le poids des 24. Piéron est très réservé sur l’existence des locali-
facteurs sociaux sur « les seules données qui nous sations cérébrales.
374 bulletin de psychologie

vaincre des difficultés, sans que cette capacité des adolescents, et, dans ce profil, donner une place
relève d’une faculté particulière de l’esprit... En importante à l’intelligence en nuançant le niveau
réalité, quand l’esprit se heurte à un problème, c’est de cette aptitude, capitale pour l’élite de nos
avec toutes ses ressources qu’il travaillera pour sociétés, d’après les formes prédominantes
aboutir à une solution valable. Toutes les fonctions (abstraite, verbale, etc.) et d’après les types (plus
mentales participent à cette activité complexe, dont compréhensif, ou plus critique, ou plus inventif).
la réussite plus ou moins grande donnera lieu à une Car c’est d’après la forme et le type de l’intelli-
appréciation du degré d’intelligence » (1929b, gence, qu’on dirigera avec plus de précision ceux
p. 3). L’activité intelligente est en somme « une qu’il importe davantage de former par une éduca-
manifestation de la vie tout entière » y compris, tion spécialisée et d’utiliser au mieux, pour l’œuvre
bien sûr, de la vie affective. Dans ces conditions, sociale aujourd’hui, si différenciée » (1929b,
il semble bien que les évaluations analytiques p. 12).
soient problématiques et Piéron l’affirme : « Les Peut-on, à partir des profils, vraiment définir des
fonctions s’intriquent d’une façon tellement étroite formes et des types d’intelligence ? Piéron en est
que nous ne pouvons jamais réellement les isoler, convaincu.
les étudier tout à fait à part. On ne peut pas étudier
À partir du constat d’une forte variabilité intra
une fonction perceptive, par exemple, sans tenir
individuelle (qu’il étudiera systématiquement en
compte de l’attention, de la mémoire, de la vie
1940 en analysant des profils en 25 points) et aussi
mentale tout entière (1923b, p. 67). On pourrait
pour des raisons idéologiques, tenant à sa concep-
alors s’attendre à ce que Piéron recommande des
tion de la République, Piéron a toujours été très
évaluations globales. Or, il n’en est rien. Il criti-
hostile aux conceptions unidimensionnelles de
quera les évaluations globales (âge mental et
l’intelligence. Il les juge trop commodes et
facteur g) et plaidera pour des évaluations
« dangereuses » (1936b, par exemple). Il se refuse
analytiques.
à hiérarchiser les différentes formes d’intelligence.
Si toutes les fonctions psychologiques sont « En aucun cas, écrit-il, on ne peut envisager
nécessaires à l’activité intellectuelle, elles le sont comme naturelle une échelle linéaire des intelli-
inégalement selon la nature des problèmes posés. gences... Nous voulons toujours classer et pouvons
Pour des problèmes concrets, par exemple, ce sont évidemment établir une hiérarchie des intelli-
surtout les fonctions perceptives qui sont sollicitées gences ; mais, suivant les milieux, les besoins, les
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tandis que pour les problèmes abstraits ce seront époques, l’ordre de classement variera » (1927a,
les fonctions symboliques. Il faut donc classer les p. 344). En 1957, il s’interroge sur la pertinence du
problèmes selon les fonctions qu’ils sollicitent terme « intelligence » qui appartient, dit-il, « à la
préférentiellement, ce qui conduira à des formes psychologie populaire hiérarchisante ».
d’intelligence. C’est ainsi que parmi les tests exis- Bien qu’il rende souvent hommage à Binet,
tants, nous dit Piéron (nous sommes en 1929 et il Piéron n’est pas un admirateur de l’Échelle
pense vraisemblablement à la partie intelligence de métrique 25 et de l’âge mental. Il considère qu’il
la « Fiche psychologique d’OP » qui sera publiée s’agit d’un test de développement et non d’un test
l’année suivante), on a des épreuves qui correspon- d’intelligence. Une échelle de développement sera
dent à une intelligence numérique, verbale, logique, d’autant plus satisfaisante que la variabilité à âge
pratique. Les sujets n’ayant pas exactement les constant sera faible. Elle ne sera donc pas une
mêmes scores pour ces diverses catégories de bonne échelle d’intelligence, qui, dit Piéron, doit
problèmes « il ne faut pas se contenter d’établir une mettre en évidence cette variabilité interindivi-
hiérarchie globale des intelligences, mais d’en duelle. Certes, un test de développement rend des
esquisser la silhouette caractéristique, d’en tracer services dans la mesure où il permet d’identifier
un profil » (1929b, p. 11). On peut aussi établir des les enfants en retard (ou en avance) afin de leur
profils à partir des moments de l’acte intelligent offrir des enseignements adaptés. Mais il ne permet
définis notamment par Binet et Claparède : la pas de mesurer l’intelligence des adultes (« une
compréhension, l’invention et la critique, ce qui toise de 150 cm permet seulement la mesure des
conduira, nous le verrons, à des types d’intelli- nains »). Piéron souligne la supériorité des échelles
gence. La description des sujets au moyen de en points sur les échelles en âge, encore largement
profils est, aussi, tout à fait en accord avec les utilisées à l’époque. Par ailleurs, dit-il, rien ne nous
objectifs de l’OP tels que les conçoit Piéron : permet de penser que l’on retrouvera chez les
trouver le domaine où chacun est susceptible
d’exceller.
« Lorsqu’on veut réaliser rationnellement cette 25. Dans la seconde édition de Technique de psycho-
orientation professionnelle qui apparaît comme une logie expérimentale (1911) les auteurs citent plusieurs
tâche essentielle de nos civilisations modernes, il tests de Binet mais pas l’Échelle métrique. Binet, de son
faut établir un profil aussi complet et aussi exact côté, ignore la Technique...
bulletin de psychologie 375

adultes le classement observé chez les enfants. Sur « intelligence » de la « Fiche psychologique
ce point, les recherches ultérieures sur la stabilité d’OP » et prennent en compte 6 des 7 scores que
du QI montreront que le scepticisme de Piéron permet de calculer cette échelle : compréhension,
n’était pas justifié et il le reconnaîtra quelques critique et invention ; intelligence logique, verbale
années plus tard (1936b). Examinant le contenu de et numérique. Les résultats de ces recherches (voir
l’Échelle de Binet, Piéron constate que tous les notamment Jeanne Monnin, 1934) montrent que les
items ne font pas appel à l’intelligence définie corrélations entre ces dimensions sont positives (il
comme capacité à résoudre des problèmes. Il y a donc un facteur général) et modérées (de l’ordre
constate aussi que ce ne sont pas les mêmes fonc- de .30 alors que l’homogénéité des épreuves, véri-
tions qui sont évaluées aux divers âges. La conclu- fiée pour l’occasion afin de s’assurer que ce n’est
sion est sans appel : « Pour mesurer à proprement pas une fidélité défectueuse qui est à l’origine des
parler l’intelligence, l’échelle ne se montre guère faibles corrélations, est excellente). À partir de
satisfaisante » (1927b, p. 258). Si l’on s’intéresse cette seule faiblesse relative des corrélations,
au développement, surtout dans le cadre de préoc- Piéron conclut un peu vite : « Je crois donc pouvoir
cupations relatives à l’OP, il serait souhaitable, affirmer qu’il existe des types différenciés d’intel-
dit-il, de connaître les différences de développe- ligence, pour ce qui concerne l’aptitude à résoudre
ment dans les diverses fonctions, ce qui souligne des problèmes de nature différente, ou posés de
une nouvelle fois « qu’une évaluation analytique façon différente 27. » (1936b, p. 4). Sans doute
des fonctions mentales s’impose » (p. 261). Donc, conscient de la faiblesse de l’argumentation 28,
même comme échelle de développement, l’Échelle Piéron invite à poursuivre les recherches 29 et
métrique est peu satisfaisante. Piéron approfondira insiste sur l’intérêt pratique des types.
ces remarques en 1933 lors d’une série de confé- Sur cette question des types d’intelligence
rences prononcées à l’université de Barcelone. comme sur d’autres, Piéron établit une séparation
Piéron connaît bien les travaux de Spearman avec nette entre psychologie fondamentale et psycho-
qui il entretient d’excellentes relations. Mais l’idée logie appliquée, entre théorie et pratique, alors que,
d’un facteur général 26 conduisant à une conception en bon disciple de Toulouse, il pense que les prati-
unidimensionnelle de l’intelligence ne lui plaît ques sociales, et notamment l’OP, doivent être
guère. En 1923, il conteste l’existence de ce facteur fondées sur la science. Il n’y pas de rapport entre
en présentant de simples hypothèses comme des son activité principale de recherches et ses idées
faits acquis : « Je crois que nous ne pouvons pas sur l’orientation. Maurice Reuchlin (2001)
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admettre entièrement cette conception, évidem- remarque qu’il étudie les modifications des orga-
ment très commode. En fait, quand on établit des nismes en fonction de l’environnement, mais
classements avec divers “tests”, à condition que ces n’envisage pas la formation et l’organisation des
tests s’adressent à des fonctions différentes, nous différences individuelles en fonction de cet envi-
trouvons des cas où, non seulement nous n’avons ronnement, ou encore qu’il étudie les lois de la
pas des corrélations étroites, mais où nous avons mémoire, mais n’en tient pas compte dans ses tests
des absences complètes de corrélations, parfois de mémoire. Piéron n’est pas aussi rigoureux dans
même des oppositions. » (p. 63). Il juge « certain » ses travaux sur l’orientation que dans ses autres
que les capacités d’observation et les capacités recherches, sur les sensations par exemple. Il est
imaginatives « souvent s’opposent ». Plus tard, il vrai que Piéron est partisan d’une épistémologie
se bornera à réduire l’importance de ce facteur réductionniste et recherche des explications au
général : les corrélations entre aptitudes ne sont
« qu’exceptionnellement élevées » et les satura-
tions dans le facteur g « presque toujours assez 27. Binet, avant Piéron, et Howard Gardner,
minimes » (1940). Il considère qu’après Binet et aujourd’hui, avec sa théorie des intelligences multiples,
ont proposé des types bien mieux définis. Mais leur indé-
Spearman, il faut entrer dans « le troisième stade
pendance est-elle pour autant mieux établie ? Binet
de l’étude psychotechnique de l’intelligence, celle procède par étude de cas (deux cas, ses filles). Gardner
qui aboutit à la considération des types » (1936b, définit les formes d’intelligence à partir d’une série de
p. 2). critères, mais son hostilité aux méthodes d’observation
Comme nous l’avons déjà noté, il fait l’hypo- standardisées lui interdit de juger de l’indépendance de
ces formes.
thèse de trois types fondés sur la démarche de la 28. Surtout si on se réfère à la définition de « type »
pensée qui est privilégiée : un type compréhensif, dans le Vocabulaire de la psychologie de Piéron :
un type inventif et un type critique. Il charge ses « ensemble de caractères (...) présentant une certaine
collaborateurs, Alfred Fessard et Jeanne Monnin, unité ».
de vérifier cette hypothèse. Ils utilisent la partie 29. Plus tard il demandera à Maurice Reuchlin de
reprendre cette question – sans plus de succès. S’il existe
bien des dimensions « verbales, numériques... », il
n’existe pas de dimensions « compréhension, invention,
26. Exposée par Spearman en 1904. critique ».
376 bulletin de psychologie

niveau de la physiologie par des méthodes analy- de type traditionnel, et que l’on ne doit même pas
tiques alors que les problèmes pratiques sont, par donner une valeur éliminatoire décisive à cette
essence, globaux, inaccessibles par ces méthodes, épreuve. »
et de plus appellent des solutions urgentes. Mais il Si les examens manquent de pertinence, ils
est vrai aussi que, par idéologie, Piéron a des manquent aussi d’objectivité. Les multiples études
convictions fortes (les seules inégalités acceptables de multi-correction ont abondamment montré des
sont les inégalités naturelles, tout le monde est différences importantes, et généralement largement
intelligent à sa manière) et ce sont ces convictions sous-estimées, entre correcteurs, en matière de
qui guident ses interventions en matière d’OP. Elles sévérité et de dispersion des notes attribuées, et plus
ne sont pas forcément en accord avec les données grave encore, des différences dans le classement
de la recherche. Comme l’a encore noté Reuchlin, des sujets.
Piéron est manifestement « tiraillé entre son atta-
chement fondamental à des méthodes objectives de Enfin, les examens ont des effets pervers dans la
description et d’analyse (...) et son désir de contri- mesure où ils orientent l’enseignement d’une
buer à l’édification d’une société égalitaire » (2000, manière négative. « La préoccupation de la réussite
p. 16). aux examens est le principal obstacle à la généra-
lisation de méthodes d’enseignement assouplies,
L’école unique et la docimologie mieux adaptées aux diversités individuelles des
écoliers, plus propres à éveiller les initiatives des
Pour Piéron comme pour Toulouse, « l’admis-
maîtres » (1931b, p. 270).
sion à des examens... représente une des formes
fondamentales de l’OP... et c’est un devoir en Piéron ne se limite pas à la critique, il fait de
matière d’OP d’envisager la méthode des nombreuses propositions afin d’aboutir à une
examens et concours, de l’étudier, (...), de la « docimastique rationnelle ». Certaines relèvent de
perfectionner » (1929c, p. 161). Pour désigner la technique statistique (par exemple ne pas choisir
cette étude qu’il présente comme une branche de la note moyenne pour distinguer les admis des
la psychotechnique, il propose le terme docimo- refusés). D’autres concernent la formation des
logie. Le projet d’une école unique implique aussi correcteurs. Plus fondamentalement il propose de
l’étude des examens et concours. En effet, dans distinguer clairement les deux fonctions des
ce projet tous les enfants, quelle que soit leur examens : l’établissement d’un bilan des acquis et
origine sociale suivent le même cursus jusqu’au la détection des aptitudes pour les formations ulté-
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moment où « une juste sélection » les ventilera rieures. Pour cette dernière fonction, l’usage des
dans diverses filières. Il faut donc regarder de tests est préférable. À terme, peut-on envisager que
près les moyens de cette juste sélection qui, pour les tests remplacent les examens, les deux fonctions
beaucoup, ne peut se faire que par un examen de des examens ? Bien qu’il s’exprime avec prudence,
type scolaire. Piéron n’est pas loin de le penser, car « les tests
En 1922, Piéron est à l’initiative de la première n’ont aucun des inconvénients des examens »
étude docimologique. Ses résultats, présentés à la (1934, p. 51).
4e Conférence internationale de psychotechnique, En 1946, alors qu’il participe aux travaux de la
en 1927, ne seront publiés qu’en 1934 (Piéron et commission de réforme de l’enseignement présidée
coll.). Elle porte sur le certificat d’études. Les par Langevin, Piéron se place dans la perspective
auteurs appliquent aux candidats 6 tests d’intelli- d’un tronc commun, à l’issue duquel une sélection-
gence et ils calculent les corrélations entre les tests orientation doit être effectuée. Il met en garde
et les notes obtenues à l’examen. Ces corrélations contre le risque de hiérarchisation des voies qui
sont faibles, et quasiment nulles pour les deux tests seront ouvertes et plaide pour qu’elles soient défi-
les plus représentatifs de l’intelligence. Ils nies en prenant en compte des groupes d’aptitudes.
concluent, et cette conclusion vaut pour la plupart L’orientation scolaire est alors une OP au cours de
des examens : « Le certificat d’études, examen la scolarité. Il insiste aussi, on s’en doute, et il le
scolaire peut renseigner sur un trait non négligeable fera constamment, sur la nécessité de modes
à coup sûr de l’individualité enfantine : l’aptitude d’évaluation objectifs.
scolaire, fonction complexe de traits de caractère En 1963, Piéron publie Examens et docimologie
(bonne volonté, docilité) et de capacités d’acquisi- où il retrace l’histoire de la docimologie et présente
tion et de dressage. Mais c’est une donnée, somme les principaux résultats de cette discipline. En fin
toute, assez pauvre et fort insuffisante. d’ouvrage, il énumère une dernière fois les recom-
« Si on veut pratiquer une orientation rationnelle mandations qu’il énonce depuis près de 40 ans. Il
et utiliser dans telle ou telle voie, par exemple à propose aussi de remplacer les concours par « une
l’entrée des organisations d’enseignement plus orientation continue fondée sur une connaissance
élevées, des sélections utiles, il est certain que l’on approfondie de chaque personnalité avec l’aide de
ne peut absolument pas se limiter à un tel examen méthodes objectives » (p. 176).
bulletin de psychologie 377

APRÈS 1945 1950 31. Sous son impulsion, les recherches sur
Le succès l’orientation vont connaître un développement
significatif. La recherche sur les tests devient plus
Dans les années qui suivent la Libération, technique. Alors qu’elle se limitait à la construction
l’usage des méthodes psychométriques se géné- d’étalonnages, elle intègre dorénavant des considé-
ralise et le modèle de l’OP, préconisé par Piéron rations systématiques sur la fidélité et la validité.
et l’INETOP 30, devient la règle. Les services La validité des procédures traditionnelles d’admis-
d’OP se développent et l’INETOP, dont le sion dans les centres d’apprentissage est ques-
Service de recherche s’étoffe, continue à entre- tionnée et de nouvelles procédures sont proposées.
tenir d’excellentes relations avec le ministère de De nouveaux tests sont construits à partir de
l’Éducation nationale, qui le sollicite fréquem- l’analyse factorielle (Reuchlin, Valin, 1953). Des
ment. Tout semble donc aller pour le mieux et questionnaires sont élaborés pour l’évaluation des
Piéron a toutes les raisons d’être satisfait. En intérêts professionnels. De grandes enquêtes sur le
1949, au 9e Congrès international de psychotech- niveau scolaire et les compétences des élèves sont
nique, il s’exprime ainsi : « Pour ma part, conduites. Piéron encourage et supervise tous ces
convaincu de l’importance sociale de l’orientation travaux, mais n’y participe pas activement, à
professionnelle, j’ai toujours consacré à ses tech- l’exception des recherches en docimologie (Piéron
niques et à son développement en France une et coll., 1962). Dans le prolongement des travaux
grande partie de mon activité, avec la satisfaction docimologiques, on construit des tests de connais-
d’avoir obtenu des réalisations substantielles » sances (Reuchlin, 1961).
(1952, p. 9).
Toutes ces recherches ont une visée pratique.
Il a d’autant plus de raisons d’être satisfait que Elles relèvent de la psychologie différentielle dans
les méthodes qu’il a réussi à imposer semblent la mesure où elles sont centrées sur la mesure de
faire la preuve de leur efficacité. Cette même la variabilité inter individuelle (et, occasionnelle-
année 1949, il préface le compte rendu d’une ment, intra-individuelle). Mais elles ont peu de
grande enquête sur « le contrôle de l’OP », liens avec une psychologie générale qui s’intéresse
enquête réalisée dans les centres d’OP à la à un individu moyen, même s’il arrive que l’on
demande de la direction de l’Enseignement tech- souligne la complémentarité des deux approches.
nique. On y montre que lorsque le conseil n’est Encore sous l’impulsion de Maurice Reuchlin, une
pas suivi (20 % des cas) les jeunes ne vont pas nouvelle psychologie différentielle va apparaître.
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en apprentissage. « Le conseil contribue donc Elle se propose d’intégrer la variabilité dans l’étude
puissamment à la qualification ouvrière ». des lois générales du fonctionnement mental. Bien
Lorsque le conseil est suivi, les échecs au cours qu’elle soit toujours concernée par les applications
de l’apprentissage sont moins fréquents (3 %) et la technologie de la mesure, cette nouvelle
que lorsqu’il ne l’est pas (17 %). Enfin, si un psychologie différentielle traite aussi de nombreux
tiers de ceux qui n’ont pas suivi le conseil ne problèmes théoriques. Le Service de recherche de
sont pas satisfaits de leur orientation, ils ne sont l’INOP, qui a cessé d’être le Service de recherche
que 10 % quand ils l’ont suivi. « N’y a-t-il pas des tests, deviendra, en 1964, l’année du décès de
là, écrit Piéron, pour ceux qui ont travaillé et Piéron, une des composantes d’un nouveau Labo-
lutté en faveur de cette application sociale d’une ratoire de psychologie différentielle (Reuchlin,
nouvelle technique humaine, un réel motif de 1999, 2001).
satisfaction et d’orgueil ». Mais il ne pourra se
contenter de développer les acquis, il devra aussi La fin de l’alliance entre positivistes et
répondre aux critiques dont sa conception de marxistes
l’OP sera l’objet. Jusqu’au lendemain de la seconde guerre
Le développement des recherches mondiale, les critiques de la psychotechnique et de
l’OP, telle que la concevait Piéron, venaient surtout
Maurice Reuchlin entre au Service de recherche des secteurs conservateurs de la société, qui
de l’INETOP en 1946, à l’issue de sa formation de voyaient là une mise en cause de leurs habitudes
conseiller d’OP ; il est pour quelque temps le seul et, surtout, une menace pour leurs privilèges. Les
collaborateur de Mme Piéron. Devenu attaché de tests étaient de gauche. Il y avait une alliance totale
recherches au CNRS, il prendra la direction de ce entre les représentants du courant républicain-posi-
service lorsque Mme Piéron cessera son activité en tiviste, dont Piéron est un exemplaire typique, et
ceux des courants socialistes et communistes. Les

30. L’INOP est devenu Institut national d’étude du


travail et d’orientation professionnelle (INETOP) en
1938 et a été rattaché au Conservatoire national des arts 31. Maurice Reuchlin sera le successeur de Piéron à
et métiers en 1941. la direction de l’INOP, en 1963.
378 bulletin de psychologie

uns et les autres appartenaient au camp progres- l’arrestation, puis à l’exécution du leader de la
siste, avaient des idées voisines, menaient en psychotechnique soviétique Isaak N. Spielrein. La
commun les mêmes combats 32. psychotechnique était jugée incompatible avec le
Une manifestation forte de l’unité du camp marxisme. Cette violente condamnation de la
progressiste est le plan de réforme de l’enseigne- psychotechnique semble avoir eu assez peu d’écho,
ment Langevin-Wallon élaboré entre novembre dans l’immédiat, en France. Certes, dans les cercles
1944 et février 1947. Wallon et Langevin viennent intellectuels proches du parti communiste, on
d’adhérer au parti communiste, Piéron, rappe- s’interroge sur les rapports entre science et société,
lons-le, est vice-président de la commission. Les ce qui peut conduire à accorder une valeur relative
membres de cette commission partagent deux idées à la science. Mais, du moins dans le champ de la
fortes indissociables – justice et rationalisation – psychologie, nous sommes loin de l’opposition
deux idées que Toulouse et ses disciples martèlent brutale entre une science bourgeoise, qui ne serait
depuis le début du siècle. Elles sont affirmées dès pas une vraie science, et une science prolétarienne.
l’introduction du projet : « Le premier principe, On s’interroge aussi sur les rapports entre la
celui qui par sa valeur propre et l’ampleur de ses psychologie et le marxisme. Lahy pense que la
conséquences domine tous les autres, est le prin- psychologie doit être fondée sur le matérialisme
cipe de justice. Il offre deux aspects non point dialectique ; Wallon est moins affirmatif (Gouarné,
opposés, mais complémentaires : l’égalité et la 2013).
diversité. Tous les enfants, quelles que soient leurs Après la guerre, avec le début de la guerre froide,
origines sociales, familiales, ethniques, ont un droit le débat sur les deux sciences, qui se radicalise en
égal au développement maximum que leur person- URSS à propos de la génétique, est introduit en
nalité comporte. Ils ne doivent trouver d’autres France. Les biologistes sont sommés de se rallier
limitations que leurs aptitudes... à la thèse de Lyssenko, qui met en cause la géné-
« La mise en valeur des aptitudes individuelles tique mendélienne et le darwinisme ; ceux qui s’y
en vue d’une utilisation plus exacte des compé- refusent sont accusés de complicité avec le
tences pose le principe de l’orientation. Orientation nazisme ! Derrière les affirmations des commu-
scolaire d’abord, puis orientation professionnelle nistes, et au-delà des outrances verbales de
doivent aboutir à mettre chaque travailleur, chaque l’époque et des références continues à Staline, il y
citoyen au poste le mieux adapté à ses possibilités, a l’idée que l’organisation sociale socialiste, telle
qu’elle est réalisée en URSS, rend tout possible :
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le plus favorable à son rendement. À la sélection
actuelle qui aboutit à détourner les plus doués de le changement de climat, la multiplication des
professions où ils pourraient rendre d’éminents rendements agricoles et la formation d’un homme
services, doit se substituer un classement, fondé à complètement nouveau. Dans ce contexte, on
la fois sur les aptitudes individuelles et les besoins comprend que l’idée de différences individuelles
sociaux. » relativement stables, et a fortiori si cette stabilité
est attribuée à l’hérédité, soit mal acceptée par les
Ce préambule aurait pu être écrit par Toulouse ;
communistes, dont le poids dans la société fran-
il reprend le programme des scientifiques de l’OP.
çaise était alors considérable 33. La personnalité de
La belle unité du camp progressiste qu’il manifeste
Piéron est ménagée – du moins dans les textes
ne va pas durer.
publiés. Il en impose par son œuvre scientifique et
À partir des années 1950, les critiques les plus par son pouvoir institutionnel, et personne ne met
vives de l’OP, telle que la conçoit Piéron, vont en cause son indépendance. Mais ses idées seront
venir de la gauche communiste et seront inspirées fortement contestées. Cependant, avant que les
par un certain marxisme à prétention scientifique. communistes développent leur critique du modèle
Pour leurs auteurs, manifestement, les tests sont de l’OP de Piéron, celui-ci a déjà été attaqué par
passés à droite. La critique de la psychotechnique, un franc-tireur, se référant à Marx lui aussi, Pierre
pourtant fort appréciée dans les années ayant suivi Naville.
la révolution d’Octobre, s’est manifestée en URSS
dès le début des années 1930 et a conduit, en 1936, La critique de Naville
à l’interdiction de toute pratique des tests, à la Dès 1945, Pierre Naville, figure du trotskisme,
destruction des ouvrages en traitant et à ancien étudiant de l’INOP et directeur du Centre
d’OP d’Agen de 1942 à 1944, conteste les idées
de Piéron et le rôle qu’il attribue aux aptitudes.
32. La longue et solide amitié entre Piéron et Wallon,
leur complicité même, est le symbole de cette alliance
(Wallon a adhéré au parti communiste en 1942, mais il 33. Aux élections législatives de 1951, le parti
en était depuis longtemps un compagnon de route). Leur communiste recueille 25,9 % des suffrages. De très
éloignement au début des années 1950 peut être consi- nombreux intellectuels, et des intellectuels éminents, en
déré comme un signe de sa rupture. sont membres ou en sont proches.
bulletin de psychologie 379

Deux thèses sont développées dans sa Théorie de malgré tout un rôle à jouer, à condition que ses
l’orientation professionnelle (voir Huteau, 1997). connaissances ne se limitent pas à la stricte
La première affirme le primat de l’économie sur pratique des recettes psychotechniques par tests
la psychologie. D’un certain point de vue elle n’est qui constituent l’essentiel de son travail actuel ».
pas contestable, puisque c’est bien l’état de Piéron réagit vivement. Il réunit tous les
l’économie qui détermine la distribution des étudiants, se livre à une critique de leur texte et
métiers vers lesquels les jeunes seront orientés. La somme ses auteurs de se rétracter ou de quitter
seconde thèse, directement inspirée du behavio- la formation. C’est alors qu’intervient la cellule
risme de Watson – qui, pour Naville, est la des personnels de l’INETOP (janvier 1952).
psychologie dont le marxisme avait besoin – Dans une déclaration de quatre pages, intitulée
affirme que les aptitudes ne préexistent pas à « Pour la défense et l’avenir de l’orientation
l’exercice des professions. Elles sont la consé- professionnelle », elle manifeste sa solidarité
quence et non la cause de l’orientation. Cette thèse avec les étudiants et plaide pour leur droit à
heurte de plein fouet la théorie de Piéron sur les s’exprimer (tout en regrettant la brutalité
aptitudes ; aussi, celui-ci se sent-il obligé de mettre fâcheuse de cette expression). La psychotech-
en garde les conseillers d’OP qui seraient troublés nique est dénoncée : elle repose sur des « postu-
par les écrits de Naville. Naville et Piéron ont lats fixistes », sur une « conception mécaniste et
beaucoup de points communs : ce sont des ratio- statique » des aptitudes, elle limite la place des
nalistes, des farouches partisans des méthodes influences sociales. Les positions politiques de
objectives en psychologie, ils veulent réformer la Piéron sont condamnées : « L’on s’étonne et
société... Certes, Naville est révolutionnaire et s’inquiète de voir un savant du prestige et de
Piéron réformiste, mais le différend essentiel porte l’autorité de Monsieur Piéron reprendre à son
sur les déterminations héréditaires. Pour Piéron compte les calomnies les plus usées de l’antiso-
(1945), Naville surestime fortement la plasticité viétisme et les falsifications les plus grossières
des conduites. Naville ne proposant aucune alter- du marxisme ». On regrette que Piéron détourne
native, la portée de ses critiques fut limitée. Il n’en le débat de son objet essentiel, qui porte sur la
ira pas de même, quelques années plus tard, quand transformation de l’OP, car « la véritable défense
les communistes, alors staliniens, prendront son de l’OP ne s’identifie pas avec la préservation
relais. jalouse de sa structure et de ses méthodes
actuelles ». Ces discussions ne se déroulent pas
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Antoine Léon et la psychopédagogie du choix seulement dans le cadre de l’INETOP. En 1953,
professionnel à l’issue d’une journée d’étude des conseillers
Dans le contexte de la guerre froide et de la d’OP communistes, une brochure de 97 pages est
critique de la science bourgeoise, les militants diffusée par la fédération de la Seine du parti
communistes présents dans le champ de l’OP vont communiste. Elle a pour titre « Les difficultés
critiquer durement la psychotechnique et entrer en théoriques et pratiques rencontrées par le
conflit avec Piéron. Au cours de ces polémiques on conseiller d’orientation et le psychotechnicien
verra apparaître, avec Antoine Léon, une nouvelle dans l’exercice de leur métier. Formes positives
manière de concevoir l’OP. de travail ». Elle reprend la critique de la
psychotechnique et vise à promouvoir une
En novembre 1951, les étudiants communistes conception éducative de l’orientation (Léon,
de l’INETOP, dans le numéro 59 du journal 1991).
ronéoté de leur cellule, La Boussole, expliquent
Antoine Léon, corédacteur des deux textes qui
que l’OP, du moins telle qu’elle se pratique, n’a
viennent d’être cités, est conseiller d’OP au Service
pas beaucoup d’avenir. Actuellement, disent-ils,
de recherche de l’INETOP. C’est un militant du
elle compense les carences de l’école pour
parti communiste. Ses travaux ont porté notam-
l’information sur les métiers. Ne connaissant pas
ment sur le choix professionnel des apprentis et sur
les élèves, et considérant que les familles sont
les méthodes d’information. Léon apparaît comme
incapables de trouver la bonne voie pour leurs
le théoricien de l’opposition au modèle de l’OP
enfants, les conseillers doivent procéder à de
auquel Piéron est attaché 34. Ses positions et propo-
brefs examens standards. La question de l’exis-
sitions, présentées comme le fruit d’un travail
tence et de la détermination des aptitudes est
collectif en vue d’un congrès syndical, sont notam-
provisoirement laissée de côté. Dans le régime
ment présentées dans un numéro de La Raison en
socialiste qui verra bientôt le jour, et tel qu’il
1952. La prétention de l’OP à être au service du
fonctionne dès maintenant en URSS, l’école sera
toute différente et prendra en charge les fonc-
tions d’orientation. « Nous voyons donc que le
rôle de l’“orienteur spécialiste” se réduit à sa 34. Sur les écrits de Léon pendant cette période, voir
plus simple expression. Il lui reste cependant P. Roche (2000).
380 bulletin de psychologie

bien commun est contestée. Certes, elle peut aider Ces propositions, on s’en doute, déplaisent
l’individu, mais elle le fait « tout en aidant la bour- profondément à Piéron. En 1954, considérant
geoisie à accroître ses profits et en contribuant à la qu’« elles risquent de saper les bases mêmes de la
conservation de l’ordre social... » (p. 123). Tant les profession » (de conseiller d’OP), il juge utile de les
approches cliniques que psychométriques ont des condamner en réaffirmant les positions qu’il défend
présupposés fixistes. Supposant la fixité du sujet et depuis 40 ans. Pour lui, « le rôle d’un conseiller
de la profession, les coefficients de validité nient d’OP ne doit pas se confondre avec celui d’un éduca-
« la nature dialectique des rapports de l’individu et teur ». À la base de cette attitude pédagogique chez
de son milieu ». Les critères de validité relatifs à les conseillers, il voit « une doctrine attribuant aux
la performance sont ceux des employeurs, ceux influences sociales une portée qui rendraient négli-
relatifs à la satisfaction risquent de ne révéler que geables les différences constitutives » (p. 134).
la résignation. Il faut dépasser cette notion de vali- Piéron affirme, au nom de la science et en dehors de
dité et se référer à une théorie de l’adaptation réci- toute doctrine, dit-il, que la marge de développe-
proque de l’individu et de son milieu professionnel. ment des capacités « est souvent assez étroitement
La scientificité et l’objectivité de la psychotech- limitée ». Il rappelle une nouvelle fois les objectifs
nique ne sont que des apparences. Le raffinement généraux de l’OP : justice et rationalisation.
de la méthode des tests n’est pas souhaitable dans « Pour ma part, les efforts que j’ai poursuivis en
la mesure où « il contribue à maintenir ou à conso- faveur de l’orientation professionnelle ont été en
lider la conception rétrograde d’une OP “révéla- grande partie soutenus par l’espoir que l’on pour-
trice” » (p. 135). rait, en assurant la mise en place des individus dans
L’OP doit donc changer de bases. Il faut conce- l’organisation sociale de façon rationnelle, remé-
voir « une orientation professionnelle authentique, dier à des privilèges de classe en faveur d’incapa-
écrit Léon, moins comme une technique de mise bles, alors que la collectivité perd le bénéfice
en place des individus que comme un ensemble de d’aptitudes éminentes, lorsqu’elles restent ignorées
moyens propres à faciliter le processus d’interac- dans des classes effectivement sacrifiées... Les
tion entre l’individu et son milieu dans le cadre de conseillers d’OP peuvent beaucoup pour assurer
la préparation du choix professionnel, de l’appren- actuellement le succès de cette rationalisation, dans
tissage et de l’exercice du métier » (p. 131). la mesure où ils auront, non une attitude de péda-
« Le vrai problème, écrit encore Léon, est gogues uniquement soucieux d’appliquer les meil-
leures méthodes possibles, mais celle de psycholo-
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d’étudier l’individu et sa profession non pas comme
des réalités indépendantes et figées, mais dans leurs gues objectifs attachés à la connaissance
interactions et leurs transformations réciproques. approfondie des adolescents, à l’appréciation de
En d’autres termes, il s’agit de substituer une orien- leurs capacités et au dépistage de leurs aptitudes
tation professionnelle “formatrice” à une orienta- réelles, tout en éclairant leurs goûts par une infor-
tion professionnelle “révélatrice”. Une orientation mation professionnelle aussi large et aussi exacte
“formatrice” signifie l’auto-détermination de que possible... » (p. 135).
l’adolescent en fonction d’une connaissance sûre Antoine Léon n’hésitera pas à polémiquer avec
des perspectives du marché du travail et grâce à Piéron et il maintiendra ses positions 35. Son
une éducation des goûts et des aptitudes s’exerçant ouvrage de 1957, Psychopédagogie de l’orienta-
dans le cadre des activités multiples et variées tion professionnelle (préfacé par Wallon), peut être
d’une collectivité organisée et orientée vers un considéré comme le premier manifeste de l’orien-
but » (p. 133). tation éducative. Il en fixe ainsi les objectifs : « Il
Une telle orientation suppose, précise Léon, une s’agira de faire participer activement les adoles-
économie saine et un système d’enseignement cents à l’élaboration de leurs projets, de les
démocratique, conditions qui semblent être informer pour qu’ils puissent élargir leur horizon
remplies en URSS. Elle suppose aussi, pour guider professionnel et choisir leur métier d’une manière
l’action des conseillers, « une théorie dynamique plus réfléchie, plus motivée » (p. 55).
des goûts et des aptitudes », semble-t-il à La psychologie développementale de Donald
construire. En attendant et pratiquement, Léon ne E. Super
propose pas de techniques spécifiques, mais insiste
sur les actions d’information : « Cette information Donald Edwin Super (1910-1994) est un
doit être conçue dans un sens très large, c’est-à-dire psychologue américain qui a fait toute sa carrière
sous une forme à la fois audiovisuelle et pratique
(préapprentissage polyvalent). Elle doit comporter
non seulement des indications précises sur la tech- 35. Contrairement à l’impression que l’on peut avoir
nique des métiers, mais aussi la connaissance réelle à la suite de ses interventions, Piéron était un libéral. À
des rapports sociaux propres au monde du travail » la suite de son article du BINOP rejetant les thèses de
(p. 125-136). Léon, on trouve la réponse de celui-ci.
bulletin de psychologie 381

à l’Université Columbia de New York. Il est un en place un modèle de testage et d’appariement


des premiers auteurs à avoir étudié la genèse des comme en Grande-Bretagne, mais il l’a mis en
choix professionnels et le développement des atti- œuvre avec de meilleurs tests et des conseillers
tudes vis-à-vis des professions tout au long de la mieux formés pour le travail de conseillers
vie. Il ne met pas en cause l’existence de diffé- d’orientation professionnelle. Il a maintenu ce
rences individuelles relativement stables, mais modèle jusque dans les années 1960, quand le
s’intéresse surtout à la manière dont le sujet les travail conduit aux États-Unis sur le développe-
perçoit, à son concept de soi qui se modifie en ment professionnel a commencé à avoir un
fonction des expériences. Sur le plan pratique, impact sur des conseillers et des enseignants qui
Super utilise encore, dans les années 1950, des s’occupaient d’orientation professionnelle, prêts à
évaluations objectives. Mais, et c’est là son origi- courir le risque d’être traités d’hérétiques. Le
nalité, il propose aussi une série d’entretiens, et résultat de l’hérésie fut, en bout de course, une
c’est au cours de ces entretiens, quand cela paraît révolution qui aurait pu sauver l’INOP de la
nécessaire, que le sujet peut passer des tests ou stagnation et qui aurait pu conduire au dévelop-
remplir des questionnaires. Il s’agit d’aider le sujet pement, dans d’autres villes, d’instituts de forma-
à se construire une image intégrée de lui-même et tion plus ouverts aux idées développementales
de la mettre à l’épreuve de la réalité afin d’arriver qu’à Paris » (Super, 1983, traduction personnelle).
à des choix. Cette démarche s’éloigne, bien sûr,
de celle que préconise Piéron et qui donne une La fin d’une utopie
place centrale au diagnostic des aptitudes. Tant On le voit, les idées de Piéron, alors qu’elles
pour ses apports théoriques que pour sa pratique, viennent de triompher, sont attaquées de toutes
Super a subi l’influence de Carl Rogers (voir parts 36. Les critiques, d’où qu’elles viennent, souli-
Guichard, Huteau, 2006). gnent deux faiblesses associées : une sous-estima-
tion des capacités d’adaptation des individus et une
Super a séjourné en France en 1959-1960 et a sous-estimation de leur besoin et de leur capacité
donné une série de conférences qui ont retenu à agir. Dans la conception diagnostique de l’orien-
l’attention d’assez nombreux conseillers d’OP, tation, le sujet n’est effectivement pas très actif.
peu satisfaits de la pratique psychotechnique. Une Certes, il ne lui est pas interdit de réfléchir, mais
fois de plus, Piéron se sent obligé de procéder à on l’incite surtout à suivre les conseils que le
une mise en garde. Celle-ci prend la forme spécialiste lui donne. D’autres facteurs ont
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curieuse d’un bref avant-propos à un article contribué à rendre de moins en moins crédible la
d’Anne Nepveu, responsable du centre d’Appli- conception de l’OP défendue par Piéron. Le plus
cation de l’INETOP, portant sur « Les relations important d’entre eux est le développement massif
interpersonnelles en OSP et le processus de de la scolarisation avec ses conséquences sur les
conseil » (1961). Cet article est manifestement lieux d’activité des conseillers. De 1949 à 1963, le
destiné à montrer que les relations interperson- secondaire triple ses effectifs et les conseillers
nelles ne sont pas négligées dans l’examen d’OP interviennent de plus en plus au niveau du
psychologique d’OP, tel qu’il est pratiqué à collège. En 1952-1953 ils ne consacrent que 5 %
l’INETOP. Piéron ne critique pas la méthode de de leur activité dans le secondaire, 10 ans plus tard
Super. Après l’avoir présentée de manière cari- c’est 40 % et 20 ans plus tard, en 1974-75, 80 % 37.
caturale (« des entretiens proches des séances de La conception de Piéron, avec son temps fort,
psychanalyse »), il se borne à signaler qu’elle l’examen psychologique d’OP était surtout adapté
n’est pas du tout adaptée à la situation française. à l’OP des élèves de fin d’études primaires se diri-
Aux États-Unis, dit-il, le conseiller a des clients geant vers l’enseignement professionnel. Avec la
et n’est pas impliqué dans les problèmes généraux mise en système des cycles d’enseignement et le
de l’enseignement, tandis qu’en France on a poids croissant des critères scolaires dans l’orien-
réduit au minimum la commercialisation de tation qui l’accompagne, les préoccupations rela-
l’orientation, et le conseiller est intégré à l’œuvre tives à l’orientation deviennent omniprésentes chez
nationale d’éducation. Dans une courte réponse les élèves, leur famille et les enseignants. Dans ces
fort courtoise, Super (1961) signale que ces conditions, on considère que les décisions d’orien-
remarques sont inexactes et, ce qui est assez tation doivent être préparées de longue date et
drôle, il termine en déclarant que Piéron et lui ont
la même conception de l’orientation, que les
différences qui paraissent les séparer « n’existent
pas », ne sont qu’« apparentes » et il parle de 36. Ces attaques sont indépendantes. Les communistes
staliniens ne reconnaissent pas l’antériorité de Naville ;
l’« excellent article » de Piéron et Nepveu ! Vingt Léon critique Super (réification de l’image de soi,
ans plus tard, le ton n’est plus le même. Là où conception réactionnaire des rapports sociaux).
il n’y avait aucune différence, il y a maintenant 37. C’est en 1963 que les conseillers d’OP deviennent
des orthodoxes et des hérétiques : « Piéron a mis des conseillers d’OSP (S pour scolaire).
382 bulletin de psychologie

qu’un accompagnement des élèves est nécessaire 38. le développement personnel, elle ne se sent plus
En 1968, Reuchlin prend acte de cette évolution. concernée directement par l’affectation des indi-
Après avoir rappelé l’intérêt des évaluations objec- vidus laissant à d’autres le soin de s’en
tives, il déclare que la tâche essentielle du préoccuper 39.
conseiller-psychologue « consiste (...) à suivre le Finalement, la conception de l’OP de Piéron, qui
processus par lequel l’enfant prend connaissance était aussi celle de Toulouse, était une utopie. Elle
de lui-même et du monde, à comprendre comment projetait l’image d’une société jugée idéale, où la
il se perçoit lui-même dans son milieu actuel, quelle différenciation des fonctions et des statuts sociaux
image il adopte de son rôle futur. Ce sont seule- serait uniquement fondée sur les différences natu-
ment ces interactions, ces intégrations, dont relles entre individus. Elle ignorait certaines
l’enfant est le lieu, qui peuvent expliquer ses réac- propriétés de ces individus (plasticité, besoin
tions et ses choix. C’est seulement en agissant sur d’autonomie) et les mécanismes sociaux pourtant
ce processus que l’on peut espérer avoir une au cœur des questions d’orientation (production et
influence véritable sur l’orientation ». L’orientation reproduction des inégalités, mobilité profession-
devient éducative. nelle, changements rapides des qualifications...).
Les méthodes d’éducation à l’orientation qui Elle ignorait aussi l’histoire. Il n’est donc pas
apparaissent à partir des années 1970, et qui surprenant, malgré les efforts constants de Piéron,
supplantent l’usage des tests, ne se limitent pas à son talent et son énergie, qu’elle n’ait pas résisté à
l’information sur les études et les professions, l’épreuve du temps.
comme c’était le cas des méthodes qui avaient
cours dans les années 1920-1930. Elles visent à
permettre à l’individu de mieux se connaître, de 39. En France, Antoine Léon a été le premier à définir
développer toute une série de compétences néces- les objectifs d’une orientation éducative (formatrice,
saires à l’élaboration d’intentions d’avenir, de disait-il). Ce n’est cependant pas à partir de ses travaux
s’impliquer davantage dans le processus d’orienta- que l’orientation éducative s’est développée. Réalisés
avant l’explosion scolaire, ils portaient sur des élèves en
tion. Il ne s’agit pas seulement d’un changement fin de scolarité primaire, et les méthodes qu’il préconisait
de méthode, mais surtout d’un changement de fina- étaient des méthodes d’information. Le développement
lité. Cette nouvelle forme d’orientation est axée sur de l’orientation éducative doit beaucoup à un groupe de
conseillers fortement impliqués dans la diffusion d’une
méthode importée d’Amérique du Nord, et devant beau-
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38. On a aussi signalé l’évolution du recrutement des coup à Super. Ces conseillers se situaient dans la
conseillers. Jusqu’aux années 1960, l’étudiant-type était mouvance du catholicisme social, tandis que Léon se
un homme relativement âgé, ancien instituteur, il ne référait au marxisme. Piéron n’aurait peut-être pas été
possédait que le baccalauréat et était d’origine populaire. surpris par ce rapprochement. N’écrivait-il pas, en 1937,
Par la suite, l’étudiant-type est devenu une jeune femme, et dans un tout autre contexte il est vrai : « voici qu’une
diplômée de l’enseignement supérieur et, le plus souvent, autre mystique intervient, un spiritualisme chrétien rejoi-
issue des classes moyennes, moins encline que le précé- gnant plus ou moins la mystique apparentée au matéria-
dent à adhérer à la psychotechnique. lisme dialectique ! » (p. 3).

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