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« Tâche sociale destinée à guider les individus Toulouse. Ils sont jeunes, positivistes, avec des
dans le choix de la profession, de telle manière idées de réforme sociale, et souhaitent instituer
qu’ils soient capables de l’exercer et qu’ils s’en l’OP sur des bases scientifiques. Piéron est l’un
trouvent satisfaits, en assurant aussi, par la répar- d’eux.
tition de ces choix, la satisfaction des besoins
professionnels de la collectivité. »
UN RATIONALISTE HUMANISTE
C’est ainsi qu’Henri Piéron (1951/1968) définit Henri Piéron s’est toujours intéressé aux appli-
l’orientation professionnelle (OP) dans son Voca- cations de la psychologie et plus particulièrement
bulaire de la psychologie. La question de l’OP peut à l’OP. Depuis l’époque où, jeune étudiant à peine
être abordée de divers points de vue : économique sorti de l’adolescence, il faisait le coup de poing
(répartition de la main-d’œuvre), sociologique au Quartier Latin contre les groupes nationalistes
(facteurs sociaux de cette répartition), psycholo- et antisémites pour la révision du procès de
gique (conduite des individus). L’approche que Dreyfus, il s’est toujours senti concerné par les
Piéron défendra et développera tout au long de sa problèmes politiques et sociaux et a constamment
vie est résolument psychologique. Elle est fondée affiché des positions progressistes. Il est convaincu
sur une idée largement partagée et pas spéciale- très tôt que les nécessaires réformes sociales
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pour n’avoir pu songer à m’enfermer dans la méta- Libération il sera, avec Henri Wallon, vice-prési-
phorique tour d’ivoire, qui paraît bien démodée à dent de la Commission de réforme de l’enseigne-
notre société moderne » (p. 20). Piéron et Toulouse ment présidée par Paul Langevin 3.
resteront en contact comme en témoigne leur volu- Piéron, et en cela aussi il est toujours fidèle à
mineuse correspondance (450 lettres de Toulouse à Toulouse, a toujours manifesté une véritable foi en
Piéron sont déposées aux archives Piéron à la science. C’est un positiviste. Non seulement la
l’université René Descartes). Piéron est cosigna- science, et la science seule, permettra les réformes
taire de la dernière publication scientifique de sociales rationnelles et justes, mais elle est aussi un
Toulouse en 1945. Les positions de Toulouse et de facteur puissant de rapprochement des hommes.
Piéron sont voisines, mais ce dernier les a expri- Piéron note qu’il y a un mouvement vers l’unifi-
mées moins fréquemment et avec davantage de cation des cultures et il pense qu’il faut l’encou-
modération (il ne s’est jamais présenté comme un rager. « La première place dans cette œuvre
biocrate). d’uniformisation doit être donnée à la science. La
Piéron n’a jamais adhéré à un parti politique. science est vraiment quelque chose de commun à
Bien qu’engagé à gauche avec de fortes convic- tous les hommes... et cela est vraiment la chose
tions républicaines, et en cela fidèle à Toulouse, il essentielle » (1932, p. 267). Aussi est-il scandalisé
s’est toujours tenu à distance des mouvements que l’on puisse, dès le début des années 1930, en
socialistes et du marxisme qu’il a qualifiés, à Union soviétique, distinguer une science bour-
plusieurs reprises, de « métaphysique » (par geoise et une science prolétarienne. Il a toujours
exemple, 1931a, p. 223). Il pense que le progrès pensé que la science devait être indépendante des
vient principalement de l’action des élites éclairées conditions sociales et des philosophies, et devait se
et est résolument réformiste. « Je pense, déclare-t-il tenir à l’écart (au-dessus) des luttes partisanes qui
en 1932 (p. 268), que les révolutions ne sont, quand ne pouvaient que lui nuire.
elles apparaissent, que des manifestations de
surface, qui trahissent une évolution profonde. Ce
DE LA FIN DU XIXE SIÈCLE
qu’il y a de viable dans une révolution, c’est préci-
À LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE
sément ce qui sort de par cette transformation qui
s’est lentement produite sans qu’on l’ait vue... Il y Au début du siècle, les applications de la psycho-
a dans toutes les révolutions des choses durables et logie commencent à se développer (Reuchlin,
des choses passagères... Je pense justement que les 1971) et celles qui concernent l’OP sont fréquem-
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facteur social il pourra devenir, pour le plus grand instituteur, Arthur G. Christiaens (1921) 5, et le
bien de lui-même et de la collectivité » médecin-psychologue Ovide Decroly (Dubreucq,
(p. 251-252). 2010).
En 1909, dans une conférence prononcée à
l’École d’anthropologie de Paris, Piéron explique L’ENTRE-DEUX GUERRES
que l’anthropologie psychologique, telle qu’il la
conçoit, ne se limite pas à l’étude de « groupes issus La multiplication des services d’orientation
de phylums différents », mais est aussi concernée La situation change radicalement au lendemain
par l’étude de groupes sociaux. Et parmi ceux-ci il de la première guerre mondiale et l’OP va devenir
y a les métiers. à l’ordre du jour et commencer vraiment à exister.
« S’il est vrai, dit-il, en effet, que trop souvent Il faut d’abord procéder au reclassement profes-
les facteurs sociaux seuls déterminent les groupe- sionnel des blessés et des mutilés. Il y a aussi un
ments qui, pour la meilleure utilisation des forces gigantesque effort de reconstruction à entreprendre
individuelles, devraient provenir seulement du jeu alors que, du fait de la guerre, il y a un manque
des aptitudes naturelles, il est bien certain qu’une considérable de main-d’œuvre qualifiée. En même
meilleure connaissance de ces aptitudes permettrait temps que l’on relance et réorganise la formation
à la différenciation sociale de coïncider davantage professionnelle des ouvriers (loi Astier de 1919) il
avec la différenciation mentale... paraît aussi nécessaire, selon les propres termes du
ministre du Travail de l’époque d’organiser « la
« Déterminer les caractères et les causes de la
meilleure répartition possible des valeurs humaines
supériorité professionnelle, de quelque ordre soit-
entre les divers groupes d’activités ». Dans ce
elle..., déterminer les limites des influences éduca-
contexte, le plus souvent à l’initiative des chambres
tives et la part à attribuer aux caractères fondamen-
des métiers ou des offices de placement des jeunes,
taux de la psychologie des individus, pour les
on voit apparaître divers centres, bureaux, cabinets,
différents métiers, est une vaste tâche dont on
offices consacrés à l’orientation des écoliers vers
commence à peine à comprendre l’importance...
l’apprentissage. Strasbourg (avec Julien Fontègne)
« On conçoit aisément que l’étude systématique et Bordeaux (avec Fernand Mauvezin) sont les
des aptitudes intellectuelles représentera un facteur premières villes à être dotées de telles institutions.
important du classement social dans la société Dès 1921, une trentaine de villes possèdent leur
future... » (p. 121-122). service d’OP, mais ces services ont peu de moyens
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du Travail dont la création se fait sous la pression scientifiques de l’OP et totalement absentes chez
des événements et des besoins créés par la guerre les praticiens empiriques. Enfin, dernière diffé-
(circulaire du 5 février 1915) et des Bureaux de rence, pour devenir « orienteur », il suffit d’un peu
placement municipaux, créés par la loi du 14 mars d’expérience et de beaucoup de bon sens pour les
1904 dans les communes de plus de 100 000 habi- praticiens empiriques, alors que pour les scientifi-
tants 6 (Larquier, 2000, p. 15 ; Martin, 2011, ques de l’OP une formation en psychologie est
p. 130-131). On trouve aussi des ingénieurs préoc- nécessaire 8.
cupés de formation, des enseignants... Les seconds Pendant toute la période de l’entre-deux-guerres
ne sont qu’une poignée. Ce sont des universitaires les « scientifiques », et Piéron tout particulière-
qui ont acquis une forte notoriété dans leur domaine ment, vont déployer une grande activité pour faire
(psychologie, physiologie) : Henri Piéron, Henri prévaloir leur point de vue et promouvoir les
Wallon, J.-M. Lahy, H. Laugier... méthodes psychotechniques. Ils vont agir auprès
Bien qu’ayant des intérêts communs – comme le des pouvoirs publics, combattre « les ennemis de
développement des services d’orientation – les uns l’OP », formaliser leur démarche, construire des
et les autres n’attribuent pas les mêmes objectifs à tests, établir un modèle de l’examen psychologique
l’OP et ne préconisent pas les mêmes méthodes. d’OP. Piéron va réaliser et susciter des travaux sur
Pour les praticiens empiriques, l’orientation se les aptitudes et l’intelligence. Il va aussi être à
limite à un placement raisonné des apprentis ; il l’origine de la docimologie. Cet activisme, nous le
faut satisfaire au mieux les demandes des entre- verrons, sera récompensé.
prises. Pour les scientifiques, l’orientation doit
concerner toute la jeunesse. Ils militent pour l’école La psychologie de l’orientation
unique et appartiennent sans équivoque au camp En 1923(b) Piéron expose sa conception du rôle
progressiste. Les uns et les autres se réfèrent à la de la psychologie dans l’OP. L’OP et la sélection
théorie des aptitudes (il faut conseiller aux jeunes professionnelle relèvent de la même logique. Dans
les métiers qui correspondent à leurs aptitudes), les deux cas on recherche le meilleur appariement
mais ils ne comprennent pas de la même manière entre des caractères individuels et des exigences
cette théorie et ils n’en tirent pas les mêmes consé- des professions. Mais le problème pratique se pose
quences. Pour les praticiens empiriques, la théorie différemment dans les deux cas. Pour mettre au
se résume à ce qu’en dit le sens commun et pour point une procédure de sélection pour un métier on
apprécier les aptitudes il suffit de recueillir les avis recherche alors « des signes de la supériorité
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c’est-à-dire réunir les monographies profession- bien davantage » (1951). Aussi réclame-t-il la créa-
nelles disponibles. Il faut ensuite « tâcher de tion d’un institut de formation spécifique pour les
dégager quels sont les caractères essentiels qui relè- conseillers d’OP. Il reçoit l’appui du directeur de
vent d’une catégorie de métiers de telle manière l’enseignement technique, Léon Labbé, et de son
que nous puissions déterminer chez un individu s’il adjoint Hippolyte Luc, qui partagent ses convic-
répond à ces exigences essentielles » (p. 61). Enfin, tions positivistes et sa conception de l’OP 12. Ils se
et c’est sans doute le plus difficile, « si nous rencontrent dans diverses sociétés savantes et dans
voulons [...] déterminer les grandes fonctions une « commission d’orientation professionnelle »
impliquées dans des catégories de professions ou qui a été créée au Ministère. C’est dans le cadre de
de métiers, il faut que nous tâchions de connaître cette commission que fut décidée la création de
d’abord, quelles peuvent être, dans une individua- l’INOP. L’INOP est créé en 1928 (voir Piéron,
lité, les principales fonctions psycho-physiologi- 1928, 1953a ; Huteau 2005). C’est une victoire
ques... » (p. 62). Piéron ne procède pas à un inven- importante pour les scientifiques de l’OP. Il exis-
taire de ces fonctions, mais, dans une perspective tera désormais des professionnels formés aux
futuriste, il donne cependant quelques indications. méthodes qu’ils préconisent.
« Nous admettons, écrit-il, qu’il y a des fonctions L’INOP a le statut d’« établissement d’enseigne-
perceptives (...), des fonctions verbales, des fonc- ment supérieur libre ». Il a pour unique ressource
tions logiques, des fonctions imaginatives (...), la subvention que lui attribue la direction de
etc. » (p. 69). Il ajoute : « Nous admettons (...) que l’enseignement technique. Il est dirigé par un
nous disposons d’épreuves propres à mettre en comité de trois membres 13 : Henri Piéron, Henri
évidence les aptitudes particulières correspondant Laugier et Julien Fontègne, alors collaborateur de
à ces fonctions ». Labbé et chargé depuis 1924 d’une mission
On assiste donc à un renversement : on ne d’inspection des services d’Orientation profession-
recherche plus chez l’individu les exigences des nelle 14. Le directeur effectif est Piéron, lorsqu’il
professions (les « signes de la supériorité profes- est absent, Wallon le remplace. Le conseil d’admi-
sionnelle »), mais on recherche dans les profes- nistration de l’Institut, présidé par Edmond Labbé,
sions les caractéristiques positives des individus 10. comprend de nombreuses personnalités scientifi-
Cette manière de procéder est économique, car la ques de premier plan 15, des membres de l’admi-
description de l’individu est fortement allégée et nistration et un représentant de la CGT.
nous sommes loin des interminables questionnaires
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il assurera régulièrement la formation des person- (en 1936-1937, sur 69 offices départementaux, 14
nels en place. Une consultation d’OP ouverte au seulement utilisent des tests), mais toutes les condi-
public fonctionnera régulièrement à partir de 1932. tions sont remplies pour qu’elle le devienne, et elle
La formation dispensée est à dominante psycho- le deviendra effectivement, après la seconde guerre
logique, voisine de celle donnée à l’Institut de mondiale. C’est par leur maîtrise de la méthode des
psychologie, mais résolument pluridisciplinaire. tests que les conseillers d’OP se professionnalise-
Les futurs conseillers d’orientation doivent ront et acquerront une identité de psychologue
acquérir une solide culture psychologique, être en (Martin, 2012).
mesure de pratiquer « les méthodes expérimentales Les tests de Piéron
d’examen » (utilisation d’appareils pour les capa-
cités sensorielles et motrices, tests individuels et L’INOP étant créé, il faut armer les futurs
collectifs), connaître les exigences des principaux conseillers d’OP, et Piéron et son épouse vont
métiers, être au courant de l’organisation des proposer des tests. Conscient de l’importance de la
offices, acquérir des notions de physiologie, de collaboration des éducateurs à l’œuvre d’orienta-
pathologie générale et psychiatrique, ils doivent tion, Piéron propose en 1930 une « fiche psycho-
enfin assimiler les données économiques générales pédagogique d’orientation pour les éducateurs ».
concernant les professions et l’organisation du C’est un guide d’observation de l’activité des
travail... ». Entre 1929 et 1945, l’INOP délivrera élèves dont les différentes rubriques sont à remplir
plus de diplômes que l’Institut de psychologie par les instituteurs. Ce guide d’observation,
(350). En matière de recherche, le service de construit en vue d’améliorer la qualité des obser-
recherche se consacre à la confection de tests (on vations faites par les instituteurs sur leurs élèves,
l’appelle d’ailleurs le Service de recherche des porte à la fois sur les aptitudes scolaires, les apti-
tests). Ce service est peu développé 17, mais on tudes mentales, le caractère et la personnalité, et
observera une bonne synergie avec d’autres labo- enfin sur les goûts et les intérêts des élèves (Piéron,
ratoires : celui de Piéron à la Sorbonne, celui de Piéron, 1930). Ce n’est pas une épreuve standar-
Laugier au CNAM, celui de Wallon à l’EPHE. disée de connaissances scolaires, du type de celles
fabriquées quelques années plus tôt par Binet et
Les décrets de 1938 Vaney (1910) et par Claparède (1924).
Avec la création de l’INOP les scientifiques de La « Fiche psychologique d’orientation
l’OP marquent un point important. Ils vont en
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17. Jusqu’à la guerre, il sera limité à Mme Piéron. 19. Ce n’est qu’en 1936 que la scolarité obligatoire
18. Ce diplôme deviendra un diplôme d’État en 1944. est portée à 14 ans.
bulletin de psychologie 369
« La mère coupa le gâteau en deux moitiés, mais pour leur emploi (notamment Piéron Mme, 1934)
à Paul elle donna la plus grosse. » qui permettent également l’établissement d’un
• Réponses à des alternatives [ne figure dans la profil grâce à l’étalonnage fourni.
Technique] L’examen psychologique d’OP
« Il ne reste plus que trois couteaux dans le
La pratique de l’« examen d’orientation profes-
magasin.
sionnelle » (institué par le décret-loi du 28 mai
Si je prends un couteau à deux lames, il peut 1938) se met en place dans les années 1930, mais ne
coûter 10 ou 15 francs. se développera en France de manière significative
Si le couteau a un tire-bouchon, il coûte 10 ou qu’après la seconde guerre mondiale. En dépit des
12 francs. difficultés théoriques et pratiques relatives à la
Or, celui que je choisis a deux lames et un tire- mesure des aptitudes et à la mise en œuvre d’une
bouchon, combien coûte-t-il ? » logique d’appariement entre les caractéristiques des
individus et celles des métiers, l’« examen d’orien-
• Questions de bon sens [ne figure pas dans la tation professionnelle » a pour objectif de fournir,
Technique] aux jeunes qui consultent un conseiller et à leur
« Un tiers des élèves de l’école joue habituelle- famille, des informations qui peuvent les aider dans
ment au ballon ; un tiers joue généralement aux leur choix d’une profession ou, plus souvent, d’une
barres. Y en a-t-il qui pratiquent les deux jeux ? formation professionnelle. Il débouche sur un
(S’il est impossible de le savoir, dites-le.) » conseil. Cet examen – qui concerne des jeunes âgés
– Épreuve d’imagination [ne figure pas dans la d’environ 14 ans sortant de classes de fin d’études
Technique] primaires – est ponctuel et s’inscrit dans un cadre
temporel limité (le total des interventions collec-
On demande au sujet quelles formes lui suggère
tives et individuelles est inférieur à 10 heures). Il
une tâche d’encre. On attribue 4 points à chaque
comporte des épreuves écrites passées en classe
indication d’un objet, d’un animal, d’une indivi-
(séance d’environ 3 heures comprenant des tests de
dualité quelconque. Le nombre total des points
raisonnement, d’abstraction, de compréhension
constitue la valeur caractéristique de l’épreuve.
technique, de coup d’œil, d’attention, de mémoire,
Mme Piéron résume comme suit la présentation etc.), et une consultation individuelle au Centre
de la « Fiche psychologique d’OP » : « Cette fiche d’orientation professionnelle (d’une durée
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conseiller, de la famille et du jeune dans le cadre du pour une grande part sur des tests d’efficience intel-
conseil d’orientation professionnelle ? lectuelle, essentiellement des épreuves factorielles
1. Pour Maurice Reuchlin, l’activité du conseiller d’aptitudes intellectuelles, dont les qualités métro-
d’orientation au cours de cet examen d’orientation logiques sont analysées et dont la validité pronos-
professionnelle qui aboutit à un conseil d’orienta- tique est étudiée. Le conseiller synthétise les
tion, est une activité de structuration de l’informa- diverses informations et propose des pistes d’orien-
tion concernant un jeune particulier, une activité tation sous forme d’un conseil (au sens d’avis)
intégratrice : « Par les contacts qu’il a avec la prodigué au jeune et à sa famille.
famille, avec l’enfant, avec les enseignants, par les Les aptitudes et l’hérédité
examens psychologiques qu’il fait, les informations
médicales dont il dispose, le conseiller est celui qui Pour Piéron la distribution inégale d’aptitudes
peut le mieux structurer en un ensemble cohérent naturelles est le fondement de l’OP : « il est
les différents aspects de la personnalité d’un enfant, possible d’affirmer, en l’état actuel de nos connais-
les significations qu’il convient sans doute d’atta- sances, la validité du fondement de l’OP, à savoir
cher à ses réactions et à ses difficultés dans tel ou l’existence chez les hommes d’aptitudes différentes
tel milieu particulier, par exemple le milieu familial d’origine constitutionnelles, héréditaires (1937,
ou le milieu scolaire. » (Reuchlin, 1971, p. 16-17). p. 2). Il a toujours affirmé et défendu une concep-
tion des aptitudes faisant une large part à l’hérédité.
Cette activité intégratrice n’est pas simple, car « L’aptitude est la condition congénitale d’une
elle porte sur un grand nombre d’informations. certaine modalité d’efficience », écrit-il en 1949
Maurice Reuchlin place ainsi le conseiller dans le (c’est lui qui souligne). Et il ajoute (p. 31) : « C’est
rôle d’un expert qui traite cette information le substrat, non directement accessible, d’une capa-
complexe et qui propose des solutions précises (des cité, qui, celle-ci, est directement révélable, sous
avis) au jeune qui l’a consulté et à sa famille. Une condition d’une volonté d’exécution, mais qui
information sur les chances de réussite est fournie dépend aussi de la formation éducative et de l’exer-
par les résultats aux tests dont la validité pronos- cice, ainsi que du degré de maturation, quand le
tique a, en principe, été étudiée. C’est pourquoi il développement n’est pas terminé, ou se trouve
est prudent de suivre le conseil de l’expert qui arrêté précocement ». Il ajoute : « ce qui a une
« offre de sérieuses garanties de sécurité ». Reste valeur dans le concept c’est une possibilité de
la question de savoir si le jeune et sa famille prédiction » et encore : « normalement on doit
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que la mesure des capacités fournit une bonne esti- part de l’hérédité serait beaucoup plus faible si les
mation des aptitudes 21. Sinon, les aptitudes n’étant variations du milieu étaient plus grandes si, par
pas observables, on ne voit pas très bien comment exemple, on comparait des enfants élevés à Paris
elles pourraient permettre des prédictions. et des enfants élevés chez les aborigènes austra-
Commentant des travaux où l’on compare des liens. Mais il considère que cette quantification des
enfants élevés à la campagne et des enfants élevés rôles respectifs de l’hérédité et du milieu présente
en ville il écrit : « Les inégalités, très limitées, de néanmoins « une valeur pratique considérable »,
“nurture” ne sont en général pas suffisantes pour car « nous avons à opérer, dit-il, avec des individus
entraîner des différences de capacités quand les qui appartiennent à un milieu relativement homo-
aptitudes sont identiques. Il y a là un point très gène ». « Les milieux dans lesquels sont élevés les
important au point de vue pratique, car cela légi- enfants sont considérés comme des milieux diffé-
time une hiérarchie d’aptitudes – directement inac- rents d’une famille à l’autre, mais ils sont tout de
cessibles – en la fondant sur la hiérarchie des même relativement peu différents » (1936a,
capacités effectives, dans les conditions normales, p. 110). En 1950, peut-être ébranlé dans ses convic-
où il n’y a que des différences assez minimes de tions et convenant qu’à un même niveau d’aptitude
milieu » (1949, p. 20-21, souligné par nous). Une peuvent correspondre des capacités très inégales,
telle conception suppose une valorisation des Piéron envisagera la possibilité d’établir des étalon-
facteurs héréditaires et une minoration des facteurs nages en fonction du milieu de l’enfant.
de milieu dans la formation des aptitudes (certes, Cette importance accordée à l’hérédité permet
le « congénital » concerne aussi les conséquences d’envisager des applications eugéniques « et ouvre
de la vie intra-utérine, mais il n’en est quasiment la porte à des possibilités d’amélioration notable
jamais question dans les données sur lesquelles se des capacités par des sélections convenables (...)
fonde Piéron.) dans les unions des géniteurs » (1949, p. 23). Mais
Constamment, Piéron souligne l’importance de Piéron ajoute que « les fondements scientifiques
l’hérédité dans la détermination des aptitudes 22. d’une eugénique précise sont encore loin d’être
« La science, écrit-il, par exemple, en 1929a, nous suffisamment établis ». Cette valorisation de
montre quantité de faits qui révèlent le rôle tout à l’hérédité est un facteur important de l’opposition
fait capital de la constitution organique de l’indi- de Piéron au marxisme. « Il y a, écrit-il en 1931a,
vidu, de sa constitution héréditaire » (p. 135). Les dans la philosophie qui est à la base de l’organisa-
faits cités sont des mesures de l’héritabilité effec- tion soviétique... une surestimation de l’influence
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Fortement impliqué dans le mouvement pour sont concrètement accessibles ». « Même en suppo-
l’éducation nouvelle et la réforme de l’enseigne- sant que nous parvenions à éliminer l’influence de
ment, Piéron, bien sûr, accorde une grande impor- toute formation éducative systématique, nous ne
tance à l’éducation. Mais cela ne le conduit pas, pourrions jamais connaître “le substrat congénital”
bien au contraire, à minimiser le rôle des aptitudes que dans l’état où l’ont amené les conditions de vie
innées. Les aptitudes innées constituent d’abord des que le sujet a connues avant notre examen, condi-
contraintes et imposent des limites à l’éducation. tions de vie qui sont largement fonction de facteurs
Certes, on peut toujours développer les capacités, socio-économiques » (p. 371). Par ailleurs, « il n’y
mais, « au-delà de 9 ans, le fond mental paraît être a pas une d’aptitude “en soi” à un métier », « mais
pratiquement fixé » (1952, p. 14). L’action éduca- bien une aptitude par rapport à certaines conditions
tive permet à l’homme de se développer, mais, dit techniques, économiques et sociales d’exercice de
Piéron, dans le sens où il est « préparé », c’est- ce métier, par rapport à une certaine échelle de
à-dire en fonction de ses aptitudes (1953b). valeurs acceptée par un certain groupe social »
(p. 372). Reuchlin dénonce ensuite deux idées
Mis en présence d’individus ayant des aptitudes
fausses, sur les tests et sur l’analyse factorielle.
différentes et inégales, l’éducateur a deux possibi-
« L’assimilation du résultat d’un test à la mesure
lités : soit se proposer de compenser la faiblesse de
d’une aptitude ne correspond qu’à une définition
certaines aptitudes – on vise alors la formation d’un
arbitraire du mot aptitude, ou à l’acceptation de
individu moyen –, soit développer les aptitudes
postulats peu vraisemblables sur la nature de la
déjà affirmées. Piéron opte sans ambiguïté pour la
réussite professionnelle » (p. 381). L’analyse facto-
seconde possibilité. « Je crois qu’il est capital, pour
rielle est « une technique descriptive susceptible de
l’utilisation sociale des hommes, que nous déve-
révéler les structurations possibles d’une série de
loppions (...) ce par quoi chacun peut devenir supé-
variables... et non un moyen universel de connais-
rieur... Il faut que notre éducation s’adapte à cette
sances des aptitudes » (p. 389). Cette critique est
tâche de mettre l’homme à la place où il faut qu’il
sévère, mais elle ne met pas en cause l’intérêt d’un
soit, et à développer ses aptitudes propres pour qu’il
diagnostic des « aptitudes-capacités » au moyen de
puisse rendre dans la société le maximum de
tests. En effet, écrit Reuchlin, « les tests (...) ont un
services. » (1929a, p. 138).
intérêt qui n’est pas lié à l’hypothèse selon laquelle
Une des tâches importantes de l’éducateur ils sont de pures mesures d’aptitudes » (p. 381). La
consiste donc à découvrir les aptitudes, ce qui est distinction de Piéron avait une visée pratique : faire
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vaincre des difficultés, sans que cette capacité des adolescents, et, dans ce profil, donner une place
relève d’une faculté particulière de l’esprit... En importante à l’intelligence en nuançant le niveau
réalité, quand l’esprit se heurte à un problème, c’est de cette aptitude, capitale pour l’élite de nos
avec toutes ses ressources qu’il travaillera pour sociétés, d’après les formes prédominantes
aboutir à une solution valable. Toutes les fonctions (abstraite, verbale, etc.) et d’après les types (plus
mentales participent à cette activité complexe, dont compréhensif, ou plus critique, ou plus inventif).
la réussite plus ou moins grande donnera lieu à une Car c’est d’après la forme et le type de l’intelli-
appréciation du degré d’intelligence » (1929b, gence, qu’on dirigera avec plus de précision ceux
p. 3). L’activité intelligente est en somme « une qu’il importe davantage de former par une éduca-
manifestation de la vie tout entière » y compris, tion spécialisée et d’utiliser au mieux, pour l’œuvre
bien sûr, de la vie affective. Dans ces conditions, sociale aujourd’hui, si différenciée » (1929b,
il semble bien que les évaluations analytiques p. 12).
soient problématiques et Piéron l’affirme : « Les Peut-on, à partir des profils, vraiment définir des
fonctions s’intriquent d’une façon tellement étroite formes et des types d’intelligence ? Piéron en est
que nous ne pouvons jamais réellement les isoler, convaincu.
les étudier tout à fait à part. On ne peut pas étudier
À partir du constat d’une forte variabilité intra
une fonction perceptive, par exemple, sans tenir
individuelle (qu’il étudiera systématiquement en
compte de l’attention, de la mémoire, de la vie
1940 en analysant des profils en 25 points) et aussi
mentale tout entière (1923b, p. 67). On pourrait
pour des raisons idéologiques, tenant à sa concep-
alors s’attendre à ce que Piéron recommande des
tion de la République, Piéron a toujours été très
évaluations globales. Or, il n’en est rien. Il criti-
hostile aux conceptions unidimensionnelles de
quera les évaluations globales (âge mental et
l’intelligence. Il les juge trop commodes et
facteur g) et plaidera pour des évaluations
« dangereuses » (1936b, par exemple). Il se refuse
analytiques.
à hiérarchiser les différentes formes d’intelligence.
Si toutes les fonctions psychologiques sont « En aucun cas, écrit-il, on ne peut envisager
nécessaires à l’activité intellectuelle, elles le sont comme naturelle une échelle linéaire des intelli-
inégalement selon la nature des problèmes posés. gences... Nous voulons toujours classer et pouvons
Pour des problèmes concrets, par exemple, ce sont évidemment établir une hiérarchie des intelli-
surtout les fonctions perceptives qui sont sollicitées gences ; mais, suivant les milieux, les besoins, les
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adultes le classement observé chez les enfants. Sur « intelligence » de la « Fiche psychologique
ce point, les recherches ultérieures sur la stabilité d’OP » et prennent en compte 6 des 7 scores que
du QI montreront que le scepticisme de Piéron permet de calculer cette échelle : compréhension,
n’était pas justifié et il le reconnaîtra quelques critique et invention ; intelligence logique, verbale
années plus tard (1936b). Examinant le contenu de et numérique. Les résultats de ces recherches (voir
l’Échelle de Binet, Piéron constate que tous les notamment Jeanne Monnin, 1934) montrent que les
items ne font pas appel à l’intelligence définie corrélations entre ces dimensions sont positives (il
comme capacité à résoudre des problèmes. Il y a donc un facteur général) et modérées (de l’ordre
constate aussi que ce ne sont pas les mêmes fonc- de .30 alors que l’homogénéité des épreuves, véri-
tions qui sont évaluées aux divers âges. La conclu- fiée pour l’occasion afin de s’assurer que ce n’est
sion est sans appel : « Pour mesurer à proprement pas une fidélité défectueuse qui est à l’origine des
parler l’intelligence, l’échelle ne se montre guère faibles corrélations, est excellente). À partir de
satisfaisante » (1927b, p. 258). Si l’on s’intéresse cette seule faiblesse relative des corrélations,
au développement, surtout dans le cadre de préoc- Piéron conclut un peu vite : « Je crois donc pouvoir
cupations relatives à l’OP, il serait souhaitable, affirmer qu’il existe des types différenciés d’intel-
dit-il, de connaître les différences de développe- ligence, pour ce qui concerne l’aptitude à résoudre
ment dans les diverses fonctions, ce qui souligne des problèmes de nature différente, ou posés de
une nouvelle fois « qu’une évaluation analytique façon différente 27. » (1936b, p. 4). Sans doute
des fonctions mentales s’impose » (p. 261). Donc, conscient de la faiblesse de l’argumentation 28,
même comme échelle de développement, l’Échelle Piéron invite à poursuivre les recherches 29 et
métrique est peu satisfaisante. Piéron approfondira insiste sur l’intérêt pratique des types.
ces remarques en 1933 lors d’une série de confé- Sur cette question des types d’intelligence
rences prononcées à l’université de Barcelone. comme sur d’autres, Piéron établit une séparation
Piéron connaît bien les travaux de Spearman avec nette entre psychologie fondamentale et psycho-
qui il entretient d’excellentes relations. Mais l’idée logie appliquée, entre théorie et pratique, alors que,
d’un facteur général 26 conduisant à une conception en bon disciple de Toulouse, il pense que les prati-
unidimensionnelle de l’intelligence ne lui plaît ques sociales, et notamment l’OP, doivent être
guère. En 1923, il conteste l’existence de ce facteur fondées sur la science. Il n’y pas de rapport entre
en présentant de simples hypothèses comme des son activité principale de recherches et ses idées
faits acquis : « Je crois que nous ne pouvons pas sur l’orientation. Maurice Reuchlin (2001)
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niveau de la physiologie par des méthodes analy- de type traditionnel, et que l’on ne doit même pas
tiques alors que les problèmes pratiques sont, par donner une valeur éliminatoire décisive à cette
essence, globaux, inaccessibles par ces méthodes, épreuve. »
et de plus appellent des solutions urgentes. Mais il Si les examens manquent de pertinence, ils
est vrai aussi que, par idéologie, Piéron a des manquent aussi d’objectivité. Les multiples études
convictions fortes (les seules inégalités acceptables de multi-correction ont abondamment montré des
sont les inégalités naturelles, tout le monde est différences importantes, et généralement largement
intelligent à sa manière) et ce sont ces convictions sous-estimées, entre correcteurs, en matière de
qui guident ses interventions en matière d’OP. Elles sévérité et de dispersion des notes attribuées, et plus
ne sont pas forcément en accord avec les données grave encore, des différences dans le classement
de la recherche. Comme l’a encore noté Reuchlin, des sujets.
Piéron est manifestement « tiraillé entre son atta-
chement fondamental à des méthodes objectives de Enfin, les examens ont des effets pervers dans la
description et d’analyse (...) et son désir de contri- mesure où ils orientent l’enseignement d’une
buer à l’édification d’une société égalitaire » (2000, manière négative. « La préoccupation de la réussite
p. 16). aux examens est le principal obstacle à la généra-
lisation de méthodes d’enseignement assouplies,
L’école unique et la docimologie mieux adaptées aux diversités individuelles des
écoliers, plus propres à éveiller les initiatives des
Pour Piéron comme pour Toulouse, « l’admis-
maîtres » (1931b, p. 270).
sion à des examens... représente une des formes
fondamentales de l’OP... et c’est un devoir en Piéron ne se limite pas à la critique, il fait de
matière d’OP d’envisager la méthode des nombreuses propositions afin d’aboutir à une
examens et concours, de l’étudier, (...), de la « docimastique rationnelle ». Certaines relèvent de
perfectionner » (1929c, p. 161). Pour désigner la technique statistique (par exemple ne pas choisir
cette étude qu’il présente comme une branche de la note moyenne pour distinguer les admis des
la psychotechnique, il propose le terme docimo- refusés). D’autres concernent la formation des
logie. Le projet d’une école unique implique aussi correcteurs. Plus fondamentalement il propose de
l’étude des examens et concours. En effet, dans distinguer clairement les deux fonctions des
ce projet tous les enfants, quelle que soit leur examens : l’établissement d’un bilan des acquis et
origine sociale suivent le même cursus jusqu’au la détection des aptitudes pour les formations ulté-
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APRÈS 1945 1950 31. Sous son impulsion, les recherches sur
Le succès l’orientation vont connaître un développement
significatif. La recherche sur les tests devient plus
Dans les années qui suivent la Libération, technique. Alors qu’elle se limitait à la construction
l’usage des méthodes psychométriques se géné- d’étalonnages, elle intègre dorénavant des considé-
ralise et le modèle de l’OP, préconisé par Piéron rations systématiques sur la fidélité et la validité.
et l’INETOP 30, devient la règle. Les services La validité des procédures traditionnelles d’admis-
d’OP se développent et l’INETOP, dont le sion dans les centres d’apprentissage est ques-
Service de recherche s’étoffe, continue à entre- tionnée et de nouvelles procédures sont proposées.
tenir d’excellentes relations avec le ministère de De nouveaux tests sont construits à partir de
l’Éducation nationale, qui le sollicite fréquem- l’analyse factorielle (Reuchlin, Valin, 1953). Des
ment. Tout semble donc aller pour le mieux et questionnaires sont élaborés pour l’évaluation des
Piéron a toutes les raisons d’être satisfait. En intérêts professionnels. De grandes enquêtes sur le
1949, au 9e Congrès international de psychotech- niveau scolaire et les compétences des élèves sont
nique, il s’exprime ainsi : « Pour ma part, conduites. Piéron encourage et supervise tous ces
convaincu de l’importance sociale de l’orientation travaux, mais n’y participe pas activement, à
professionnelle, j’ai toujours consacré à ses tech- l’exception des recherches en docimologie (Piéron
niques et à son développement en France une et coll., 1962). Dans le prolongement des travaux
grande partie de mon activité, avec la satisfaction docimologiques, on construit des tests de connais-
d’avoir obtenu des réalisations substantielles » sances (Reuchlin, 1961).
(1952, p. 9).
Toutes ces recherches ont une visée pratique.
Il a d’autant plus de raisons d’être satisfait que Elles relèvent de la psychologie différentielle dans
les méthodes qu’il a réussi à imposer semblent la mesure où elles sont centrées sur la mesure de
faire la preuve de leur efficacité. Cette même la variabilité inter individuelle (et, occasionnelle-
année 1949, il préface le compte rendu d’une ment, intra-individuelle). Mais elles ont peu de
grande enquête sur « le contrôle de l’OP », liens avec une psychologie générale qui s’intéresse
enquête réalisée dans les centres d’OP à la à un individu moyen, même s’il arrive que l’on
demande de la direction de l’Enseignement tech- souligne la complémentarité des deux approches.
nique. On y montre que lorsque le conseil n’est Encore sous l’impulsion de Maurice Reuchlin, une
pas suivi (20 % des cas) les jeunes ne vont pas nouvelle psychologie différentielle va apparaître.
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uns et les autres appartenaient au camp progres- l’arrestation, puis à l’exécution du leader de la
siste, avaient des idées voisines, menaient en psychotechnique soviétique Isaak N. Spielrein. La
commun les mêmes combats 32. psychotechnique était jugée incompatible avec le
Une manifestation forte de l’unité du camp marxisme. Cette violente condamnation de la
progressiste est le plan de réforme de l’enseigne- psychotechnique semble avoir eu assez peu d’écho,
ment Langevin-Wallon élaboré entre novembre dans l’immédiat, en France. Certes, dans les cercles
1944 et février 1947. Wallon et Langevin viennent intellectuels proches du parti communiste, on
d’adhérer au parti communiste, Piéron, rappe- s’interroge sur les rapports entre science et société,
lons-le, est vice-président de la commission. Les ce qui peut conduire à accorder une valeur relative
membres de cette commission partagent deux idées à la science. Mais, du moins dans le champ de la
fortes indissociables – justice et rationalisation – psychologie, nous sommes loin de l’opposition
deux idées que Toulouse et ses disciples martèlent brutale entre une science bourgeoise, qui ne serait
depuis le début du siècle. Elles sont affirmées dès pas une vraie science, et une science prolétarienne.
l’introduction du projet : « Le premier principe, On s’interroge aussi sur les rapports entre la
celui qui par sa valeur propre et l’ampleur de ses psychologie et le marxisme. Lahy pense que la
conséquences domine tous les autres, est le prin- psychologie doit être fondée sur le matérialisme
cipe de justice. Il offre deux aspects non point dialectique ; Wallon est moins affirmatif (Gouarné,
opposés, mais complémentaires : l’égalité et la 2013).
diversité. Tous les enfants, quelles que soient leurs Après la guerre, avec le début de la guerre froide,
origines sociales, familiales, ethniques, ont un droit le débat sur les deux sciences, qui se radicalise en
égal au développement maximum que leur person- URSS à propos de la génétique, est introduit en
nalité comporte. Ils ne doivent trouver d’autres France. Les biologistes sont sommés de se rallier
limitations que leurs aptitudes... à la thèse de Lyssenko, qui met en cause la géné-
« La mise en valeur des aptitudes individuelles tique mendélienne et le darwinisme ; ceux qui s’y
en vue d’une utilisation plus exacte des compé- refusent sont accusés de complicité avec le
tences pose le principe de l’orientation. Orientation nazisme ! Derrière les affirmations des commu-
scolaire d’abord, puis orientation professionnelle nistes, et au-delà des outrances verbales de
doivent aboutir à mettre chaque travailleur, chaque l’époque et des références continues à Staline, il y
citoyen au poste le mieux adapté à ses possibilités, a l’idée que l’organisation sociale socialiste, telle
qu’elle est réalisée en URSS, rend tout possible :
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Deux thèses sont développées dans sa Théorie de malgré tout un rôle à jouer, à condition que ses
l’orientation professionnelle (voir Huteau, 1997). connaissances ne se limitent pas à la stricte
La première affirme le primat de l’économie sur pratique des recettes psychotechniques par tests
la psychologie. D’un certain point de vue elle n’est qui constituent l’essentiel de son travail actuel ».
pas contestable, puisque c’est bien l’état de Piéron réagit vivement. Il réunit tous les
l’économie qui détermine la distribution des étudiants, se livre à une critique de leur texte et
métiers vers lesquels les jeunes seront orientés. La somme ses auteurs de se rétracter ou de quitter
seconde thèse, directement inspirée du behavio- la formation. C’est alors qu’intervient la cellule
risme de Watson – qui, pour Naville, est la des personnels de l’INETOP (janvier 1952).
psychologie dont le marxisme avait besoin – Dans une déclaration de quatre pages, intitulée
affirme que les aptitudes ne préexistent pas à « Pour la défense et l’avenir de l’orientation
l’exercice des professions. Elles sont la consé- professionnelle », elle manifeste sa solidarité
quence et non la cause de l’orientation. Cette thèse avec les étudiants et plaide pour leur droit à
heurte de plein fouet la théorie de Piéron sur les s’exprimer (tout en regrettant la brutalité
aptitudes ; aussi, celui-ci se sent-il obligé de mettre fâcheuse de cette expression). La psychotech-
en garde les conseillers d’OP qui seraient troublés nique est dénoncée : elle repose sur des « postu-
par les écrits de Naville. Naville et Piéron ont lats fixistes », sur une « conception mécaniste et
beaucoup de points communs : ce sont des ratio- statique » des aptitudes, elle limite la place des
nalistes, des farouches partisans des méthodes influences sociales. Les positions politiques de
objectives en psychologie, ils veulent réformer la Piéron sont condamnées : « L’on s’étonne et
société... Certes, Naville est révolutionnaire et s’inquiète de voir un savant du prestige et de
Piéron réformiste, mais le différend essentiel porte l’autorité de Monsieur Piéron reprendre à son
sur les déterminations héréditaires. Pour Piéron compte les calomnies les plus usées de l’antiso-
(1945), Naville surestime fortement la plasticité viétisme et les falsifications les plus grossières
des conduites. Naville ne proposant aucune alter- du marxisme ». On regrette que Piéron détourne
native, la portée de ses critiques fut limitée. Il n’en le débat de son objet essentiel, qui porte sur la
ira pas de même, quelques années plus tard, quand transformation de l’OP, car « la véritable défense
les communistes, alors staliniens, prendront son de l’OP ne s’identifie pas avec la préservation
relais. jalouse de sa structure et de ses méthodes
actuelles ». Ces discussions ne se déroulent pas
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bien commun est contestée. Certes, elle peut aider Ces propositions, on s’en doute, déplaisent
l’individu, mais elle le fait « tout en aidant la bour- profondément à Piéron. En 1954, considérant
geoisie à accroître ses profits et en contribuant à la qu’« elles risquent de saper les bases mêmes de la
conservation de l’ordre social... » (p. 123). Tant les profession » (de conseiller d’OP), il juge utile de les
approches cliniques que psychométriques ont des condamner en réaffirmant les positions qu’il défend
présupposés fixistes. Supposant la fixité du sujet et depuis 40 ans. Pour lui, « le rôle d’un conseiller
de la profession, les coefficients de validité nient d’OP ne doit pas se confondre avec celui d’un éduca-
« la nature dialectique des rapports de l’individu et teur ». À la base de cette attitude pédagogique chez
de son milieu ». Les critères de validité relatifs à les conseillers, il voit « une doctrine attribuant aux
la performance sont ceux des employeurs, ceux influences sociales une portée qui rendraient négli-
relatifs à la satisfaction risquent de ne révéler que geables les différences constitutives » (p. 134).
la résignation. Il faut dépasser cette notion de vali- Piéron affirme, au nom de la science et en dehors de
dité et se référer à une théorie de l’adaptation réci- toute doctrine, dit-il, que la marge de développe-
proque de l’individu et de son milieu professionnel. ment des capacités « est souvent assez étroitement
La scientificité et l’objectivité de la psychotech- limitée ». Il rappelle une nouvelle fois les objectifs
nique ne sont que des apparences. Le raffinement généraux de l’OP : justice et rationalisation.
de la méthode des tests n’est pas souhaitable dans « Pour ma part, les efforts que j’ai poursuivis en
la mesure où « il contribue à maintenir ou à conso- faveur de l’orientation professionnelle ont été en
lider la conception rétrograde d’une OP “révéla- grande partie soutenus par l’espoir que l’on pour-
trice” » (p. 135). rait, en assurant la mise en place des individus dans
L’OP doit donc changer de bases. Il faut conce- l’organisation sociale de façon rationnelle, remé-
voir « une orientation professionnelle authentique, dier à des privilèges de classe en faveur d’incapa-
écrit Léon, moins comme une technique de mise bles, alors que la collectivité perd le bénéfice
en place des individus que comme un ensemble de d’aptitudes éminentes, lorsqu’elles restent ignorées
moyens propres à faciliter le processus d’interac- dans des classes effectivement sacrifiées... Les
tion entre l’individu et son milieu dans le cadre de conseillers d’OP peuvent beaucoup pour assurer
la préparation du choix professionnel, de l’appren- actuellement le succès de cette rationalisation, dans
tissage et de l’exercice du métier » (p. 131). la mesure où ils auront, non une attitude de péda-
« Le vrai problème, écrit encore Léon, est gogues uniquement soucieux d’appliquer les meil-
leures méthodes possibles, mais celle de psycholo-
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qu’un accompagnement des élèves est nécessaire 38. le développement personnel, elle ne se sent plus
En 1968, Reuchlin prend acte de cette évolution. concernée directement par l’affectation des indi-
Après avoir rappelé l’intérêt des évaluations objec- vidus laissant à d’autres le soin de s’en
tives, il déclare que la tâche essentielle du préoccuper 39.
conseiller-psychologue « consiste (...) à suivre le Finalement, la conception de l’OP de Piéron, qui
processus par lequel l’enfant prend connaissance était aussi celle de Toulouse, était une utopie. Elle
de lui-même et du monde, à comprendre comment projetait l’image d’une société jugée idéale, où la
il se perçoit lui-même dans son milieu actuel, quelle différenciation des fonctions et des statuts sociaux
image il adopte de son rôle futur. Ce sont seule- serait uniquement fondée sur les différences natu-
ment ces interactions, ces intégrations, dont relles entre individus. Elle ignorait certaines
l’enfant est le lieu, qui peuvent expliquer ses réac- propriétés de ces individus (plasticité, besoin
tions et ses choix. C’est seulement en agissant sur d’autonomie) et les mécanismes sociaux pourtant
ce processus que l’on peut espérer avoir une au cœur des questions d’orientation (production et
influence véritable sur l’orientation ». L’orientation reproduction des inégalités, mobilité profession-
devient éducative. nelle, changements rapides des qualifications...).
Les méthodes d’éducation à l’orientation qui Elle ignorait aussi l’histoire. Il n’est donc pas
apparaissent à partir des années 1970, et qui surprenant, malgré les efforts constants de Piéron,
supplantent l’usage des tests, ne se limitent pas à son talent et son énergie, qu’elle n’ait pas résisté à
l’information sur les études et les professions, l’épreuve du temps.
comme c’était le cas des méthodes qui avaient
cours dans les années 1920-1930. Elles visent à
permettre à l’individu de mieux se connaître, de 39. En France, Antoine Léon a été le premier à définir
développer toute une série de compétences néces- les objectifs d’une orientation éducative (formatrice,
saires à l’élaboration d’intentions d’avenir, de disait-il). Ce n’est cependant pas à partir de ses travaux
s’impliquer davantage dans le processus d’orienta- que l’orientation éducative s’est développée. Réalisés
avant l’explosion scolaire, ils portaient sur des élèves en
tion. Il ne s’agit pas seulement d’un changement fin de scolarité primaire, et les méthodes qu’il préconisait
de méthode, mais surtout d’un changement de fina- étaient des méthodes d’information. Le développement
lité. Cette nouvelle forme d’orientation est axée sur de l’orientation éducative doit beaucoup à un groupe de
conseillers fortement impliqués dans la diffusion d’une
méthode importée d’Amérique du Nord, et devant beau-
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