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PATRICK BORD

LA PLACE DE L'ARGENT

BNE Editions
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C'est quoi, la place de l'argent, dans ta vie ?


Cette question m'a d'abord été posée par mes enfants !
Puis, c'est moi qui ai posé cette question à des dizaines de personnes, des
clients de ma société de conseil international de passage au Japon, des
candidats à l'embauche, des personnes à l'égard desquelles j'ai pu jouer le
rôle de coach, des rencontres de passage …
Vous vous en doutez, le spectre des réponses s'étend de l'extrême âpreté à
l'extrême dénuement. Et les raisons qui sous-tendent ces réponses sont des
plus variées, de même que les suggestions pour réussir.
La facilité, ç'aurait été d'écrire un livre de 3.000 pages, tant le sujet est riche
et les anecdotes ne manquent pas. Mais vous auriez alors dû faire un choix
douloureux, tant la lecture de ce (trop) long livre vous aurait privé de la
lecture d'autres ouvrages. Alors j'ai développé mon observation et ma
réflexion dans un volume que vous pourrez parcourir en moins d'une
heure, afin que vous ayez envie de le relire en y trouvant toujours de
nouvelles richesses.

Patrick Bord, HEC, a fondé et dirigé un groupe de


consultants internationaux au Japon, en France et aux
Etats-Unis. Depuis 2007, il se consacre à l'avenir de
l'industrie automobile, au développement personnel et à
l'économie politique.
Ses précédents ouvrages : "Le Cours" (HDiffusion),
"Redresser le Pays, c'est si con ?", "La Revanche des
Peugeot", "Zébulon International", "Murmures
économiques" et "Libérez les motoristes" (BNE Edition).

ISBN : 978-2-36447-023-1
Prix public : 8 €

pbordsarl@orange.fr - 3 rue de l'Arrivée, 75749 Paris Cedex 15


Illustrations : Kak, Damien Barban - Photo : Thierry Sarment
Dépôt SGDL n° 2014-07- 0196
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La vie est comme un miroir : si tu lui souris, elle te sourit en


retour et si tu la méprises, elle te méprise à son tour.
C'est vrai des gens. En plus, les émotions sont contagieuses.
C'est vrai des mécaniques : si tu les maltraites, elles te
laisseront tomber au pire moment.
Et c'est aussi vrai de l'argent, si tu prends le risque de ne pas
le respecter.
Sois donc respectable dans la façon dont tu le gagnes, puis
sois respectable dans la façon dont tu en uses.

Je dédie ce livre à ceux et celles qui cultivent le respect : le


respect d'eux-mêmes, des autres, de la vie, de la différence,
de la planète et … de l'argent dont ils ont ou auront besoin.
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Souvent, l'insouciance n'est qu'une porte ouverte sur le malheur.

Introduction : Une impérieuse nécessité

La scène se passe dans le TGV.


Diez #, consultant, investisseur et éventuellement écrivain, est
assis à côté d'un jeune homme, Arrobe @, ingénieur informaticien
au talent confirmé.
Arrobe a reconnu en Diez l'auteur de "Zébulon international", un
court ouvrage sur la vie d'un cadre international enrichi. Il l'a
interpelé sur cet ouvrage.

@ Bravo pour votre livre que l'on peut dévorer lors d'un simple
déplacement francilien.
Votre héros, Zébulon, a une relation particulière à l'argent, non ?

# Il me semble bien que chacun d'entre nous a une relation


particulière à l'argent. L'homme que j'ai décrit aime ses activités
qui lui procurent de l'argent et, par extension, l'argent qu'il gagne
ou qu'il possède est un peu la mesure de sa forme de réussite.

Vous semblez vous intéresser à la place de l'argent dans la vie des


gens. Dans la vie des gens en général ? Ou dans votre vie à vous ?

@ Vous êtes perspicace.


Je suis ingénieur informaticien et je gagne plutôt bien ma vie.
D'autant que mon épouse travaille aussi et que nos besoins sont
limités.
En fait, j'ai l'impression d'être moi-même programmé pour gagner
de l'argent.
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# Ne vous en plaignez pas. L'argent est une impérieuse


nécessité dans ce monde moderne. Si vous oubliiez d'en gagner,
vous vivriez beaucoup moins bien, jusqu'au moment où il vous
faudrait peut-être tendre la main.

@ Je le vois déjà autour de moi. La carrière d'un programmeur


ressemble à celle d'un sportif : il est préférable de s'être
reconverti avant 40 ans tellement les jeunes talents poussent
leurs aînés vers la sortie.

# A moi donc de vous féliciter pour votre observation et votre


maturité. Parmi les gens dans votre situation, ce n'est pas si
fréquent.

@ Je puis vous poser une question indiscrète ?


C'est quoi, la place de l'argent, dans votre vie ?

# Votre question est très personnelle. Ma réponse le sera donc


aussi.
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L'argent est comme l'hôte que tu reçois :


Un jour il est là, le lendemain il est reparti.
Proverbe malais

Chapitre 1 : La place de l'argent, c'est derrière moi

# Derrière moi. La place de l'argent, c'est derrière moi.

@ Oui ?

# Excusez-moi. Je vous ai fait la même réponse qu'à mes


enfants quand ils me posaient cette question.
Ce que je veux dire par cette réponse, c'est que si l'occasion de
m'enrichir se présente, je dois la saisir, afin de mettre mes
problèmes d'argent derrière moi. C'est ma philosophie.
Je dis aussi : "L'argent, c'est important d'en avoir quand on en a
besoin."

@ Vous avez parlé d'une réponse personnelle. Je connais peu de


personnes qui mettraient en doute ce que vous venez de dire :
s'enrichir si et dès qu'on le peut.

# Ne croyez pas ça.


La jeunesse est, pour beaucoup, l'époque de l'insouciance et une
bonne raison à cela est que les besoins sont limités et les plaisirs
gratuits.
Par ailleurs, je ne suggère pas de consacrer ma vie au gain. Je veux
plutôt me défaire de cette malédiction judéo-chrétienne : "Tu
gagneras ta vie à la sueur de ton front."
Je me disais : "Si tu peux faire autrement, si tu t'en donnes les
moyens, tu pourras faire ce que tu aimes, ce que tu veux, sans la
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contrainte d'avoir à accepter l'inacceptable simplement pour des


raisons matérielles."

@ Et ça s'est passé comme vous l'avez prévu ?

# Globalement, oui.
Je me suis fié à la phrase de Ford : "Il y a ceux qui pensent qu'ils
vont réussir et ceux qui pensent qu'ils vont échouer : ils ont tous
raison."
Bien que les accidents n'aient pas été aussi insignifiants. La vie n'a
pas à être un long fleuve tranquille.

@ Vous avez dû accepter des compromis ?

# Forcément. Mon premier job intégrait des avantages et des


inconvénients. Mais il me laissait beaucoup de liberté, j'étais
responsabilisé et mes revenus nets étaient appréciables. Je vivais
beaucoup plus chichement et discrètement que mes collègues. J'ai
donc pu me constituer une épargne importante en peu de temps.

@ Rien de trop désagréable, je vois.

# J'ai utilisé cette épargne pour monter ma première


entreprise, de conseil international. Pendant quelques années, j'ai
dû consacrer le plus clair de mon temps, de mes ressources, de
mes préoccupations à mettre cette jeune entreprise à l'abri des
coups durs.

@ Je traduis vos propos par : pas de vie de famille, de loisirs


personnels, de temps pour la flemme, etc.
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# Vous y êtes presque : je ne travaillais pas 24h/24, mais j'étais


disponible pour ma société, mobilisable 24h/24.
Chaque mois, je me faisais un chèque de salaire, que je rangeais
soigneusement dans un tiroir de mon bureau. Mais je n'ai encaissé
mon premier chèque qu'après 3 années pleines, quand j'ai senti
que ma société devenait solide.

@ Et donc ensuite ?

# Ensuite, ma vie a changé. J'ai totalement rééquilibré mes


objectifs. J'ai réussi à consolider encore l'entreprise tout en
m'accordant une vraie vie de famille et de vrais loisirs.

@ Alexandre le Bienheureux ?
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# Pas vraiment !
Une entreprise, c'est comme un enfant : elle vit sa vie et elle
connaît forcément des tribulations. Il faut en permanence rester
mobilisé pour prévenir les accidents, ou les traiter.
J'ai découvert qu'en prenant du recul, on améliore sa vision de
l'entreprise, de son contexte et de son fonctionnement. La
prévention en est facilitée. En évitant d'avoir le nez sur le guidon,
on est aussi plus disponible pour intervenir en cas de besoin, voire
d'urgence.

@ Otez-moi un doute : cette nouvelle vie équilibrée, c'est parce


que vous aviez limité vos ambitions ?

# Mes ambitions quantitatives, oui. Pas d'emprunts : au


contraire, je voulais que mon entreprise soit plus solide qu'une
banque.
Mais mes ambitions qualitatives reflétaient la même mégalomanie
que celle de mes amis qui se sont réellement enrichis.

@ Racontez-moi vos ambitions qualitatives.


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Ce qui a un prix n'a pas tant de valeur.


Ce qui a vraiment de la valeur n'a pas de prix.
Regardez l'amour, la paix, le silence, la sérénité, …

Chapitre 2 : Se consacrer au reste

# Tant que ma société restait fragile, elle était une priorité de


tous les instants : je tenais entre mes mains la destinée de gens qui
me faisaient confiance.
A mesure qu'elle prenait de la vigueur et de la résistance, j'ai pu
me consacrer à des tâches plus qualitatives : choisir mes
collaborateurs, leur donner un cadre de travail agréable, leur
faciliter une vie extra-professionnelle de valeur, en les soulageant
de la nécessité matérielle et en leur laissant le temps nécessaire,
les aider à progresser dans leur travail, …
Ma définition de mon rôle d'entrepreneur évoluait. Ma définition
du travail également.

@ Vous avez une définition personnelle du travail ?

# Un travail est une activité utile, efficace et agréable.

@ Une définition patronale ! Ou, en tout cas, de riche !

# Vous mettez parfaitement le doigt dessus. Celui qui parvient


à être déchargé de la contrainte matérielle à court et moyen
termes se trouve en position de pouvoir choisir. Evidemment, il
existe beaucoup de mauvais choix. Mais il en existe aussi
beaucoup de bons.
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@ Donc, là où d'autres auraient imposé la croissance à un


rythme de combat, vous avez préféré installer la qualité de vie à
l'intérieur et à l'extérieur de votre entreprise.

# Oui. C'est à peu près ça.


J'ai servi les autres, puis je me suis servi.

@ A propos de servir, votre expérience peut servir aux autres ?


Moi, je ne suis pas entrepreneur, mais salarié.

# Jeune homme, vous êtes ce que vous décidez. Vous êtes


salarié … jusqu'au jour où vous déciderez autre chose. Je suggère
que vous soyez respectueux de vos espaces de liberté, qu'il ne
tient qu'à vous de cultiver pour pouvoir, un jour, en profiter.

Mon expérience ne sera pas utile à grand monde. Mais une


constellation d'expériences diverses et variées peut aider à
réfléchir, d'abord, puis à se lancer en évitant ou en surmontant les
obstacles à mesure qu'ils se présentent.

On peut donc commencer par le début : faut-il gagner de l'argent ?


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Si tu n'as pas ce que tu aimes, aime ce que tu as.


Proverbe bouddhiste

Chapitre 3 : Faut-il gagner de l'argent ?

@ La question ne se pose même pas !

# Détrompez-vous !
La moitié de l'humanité y répond par une activité lucrative.
L'autre moitié de l'humanité parvient à vivre, parfois fort bien,
sans se donner le mal de "gagner de l'argent".

Pour le moment, laissons de côté ceux qui exercent une activité


lucrative, celle qui rapporte effectivement de l'argent.
Intéressons-nous donc aux autres.

Les enfants : grâce au développement mondial, ils sont de moins


en moins nombreux à travailler ; ou ils font des études qui sont
rarement rémunérées ; dans les pays pauvres, des enfants
exercent encore des actes de subsistance qui leur permettent juste
de … subsister.

Et à propos d'activités de subsistance, de nombreux adultes n'ont


pas d'autre choix que de les pratiquer aussi, notamment en
Afrique.

Vous avez les femmes au foyer : bien qu'occupées la majeure


partie de leur temps, elles ne gagnent pas d'argent.

Vous avez les retraités, dont on peut dire qu'ils ont longtemps
travaillé, cotisé et épargné, bénéficiant enfin d'un revenu différé.
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Vous avez les héritiers, nés avec une cuillère dans la bouche,
suffisamment dorée pour ne pas avoir à considérer "gagner de
l'argent" en travaillant.

Dans les pays développés, vous avez un assez grand nombre


d'allocataires qui profitent des transferts sociaux sans
nécessairement avoir à travailler.

@ Effectivement. Cette moitié de l'humanité est facilement


occultée quand on pense à faire fortune. Maintenant que j'y pense,
j'en connais un certain nombre et je reconnais qu'ils ne vivent pas
tous mal.
Mais sont-ils heureux ?

# Cela dépend beaucoup d'eux, de leur culture, de leur


philosophie, de la stabilité de leur situation, de leur sociologie.
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Avant d'être une sujétion, le travail est une activité libératrice :


elle facilite la socialisation, rend leur indépendance aux uns, et
leur fierté aux autres.
Et, passer de l'activité de subsistance à l'activité rémunérée ouvre
le choix des besoins que l'on peut satisfaire, permet une première
épargne, rend moins dépendant des petits accidents de la vie …

@ Pourquoi évoquer ce sujet des gens qui vivent sans travailler


me met-il mal à l'aise ?

# J'avance des hypothèses : parce que vous avez reçu une


éducation judéo-chrétienne ; parce que vous avez le sentiment
que ce sont vos contributions qui leur permettent de vivre, parfois
bien ; parce que vous pensez devoir un jour envisager cette
situation pour vous-même, …

@ Je suppose que vos hypothèses sont fondées, surtout la


dernière.
C'est probablement aussi la raison pour laquelle j'occulte si
facilement ces populations qui vivent sans travailler pour gagner
de l'argent.
Je suppose que ce détour, sans m'être agréable, est cependant
nécessaire à une saine réflexion.

# Considérez que ces populations dont nous venons de parler


peuvent s'y retrouver de façon choisie ou subie.
Pour certains, le choix a été celui de la paresse, du cynisme, de
l'exploitation du travail des autres.
Pour d'autres, le choix a été celui de la pauvreté pour mieux se
consacrer aux besoins immatériels de l'humanité : certains ordres
religieux, comme les moines bouddhistes, ou des associations à
but non lucratif, en comptent quelques-uns. Il existe aussi une
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tendance, notamment en France, à refuser le risque qui se traduit


par une acceptation de ne jamais s'enrichir : le fonctionnaire
opposé dans ses convictions et ses choix professionnels au chef
d'entreprise.

Où que vous vous trouviez sur le chemin de la fortune, pensez


qu'elle peut tourner et que, à votre tour, vous aurez peut-être à
décider des raisons pour lesquelles vous vivez, sans travailler
pour gagner de l'argent.
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Choisissez un travail que vous aimez et vous n'aurez pas à travailler


un seul jour de votre vie
Confucius

Chapitre 4 : Gagner de l'argent

@ Vous avez fait le tour des recettes pour gagner de l'argent ?

# Vous serez déçu : pas vraiment. Aussi, ma légitimité n'est-elle


que partielle. Cependant, je peux vous livrer quelques ingrédients
et deux stratégies principales.

@ Vous commencez par les ingrédients ?

# Ceci me semble plus logique.

Le premier ingrédient a trait à l'inclinaison vers un milieu, une


activité, une situation. Cette inclinaison vous pouvez l'appeler
passion quand elle est assez forte.

@ L'amour du football peut générer une grande vocation de


footballeur, comme la passion de guérir une vocation de médecin,

Je vois bien le rôle de la passion chez les artistes : la danse, la
musique, le chant, le cinéma, … De même que dans certaines
professions libérales ou assimilées : les avocats, les pâtissiers, les
architectes, les jardiniers, … et les métiers où prévaut le caractère
cosmique : les métiers de la mer, de la montagne, de l'aérien, … et
d'autres où prévaut le caractère social : l'encadrement d'enfants,
la formation, la télévision, …
Ce que je vois moins bien, c'est la relation entre la passion et le fait
de gagner de l'argent.
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# Je vais peut-être vous saouler avec une phrase à variations,


ici : "Si tu n'as pas ce que tu aimes, aime ce que tu as."
Variation : "Si tu ne fais pas ce que tu aimes, aime ce que tu fais."

Beaucoup de gens ont la chance et/ou le talent de devenir


passionnés de ce qu'ils font. Nous en reparlerons d'ailleurs.
Et donc, vous ne devez pas limiter l'existence d'une passion à
quelques domaines réservés.
La passion peut arriver d'elle-même, naturellement. Elle peut
aussi être plantée, puis cultivée systématiquement, soit par le
passionné, soit par son milieu, notamment l'entreprise qui
l'emploie. Un doigt d'intérêt, deux doigts de curiosité, trois doigts
d'apprentissage, quatre doigts de recherche et une bonne main
d'expérimentation, seul ou de préférence en réseau.

@ Vous énoncez ceci comme si la passion était permise à tout le


monde.

# Je ne répondrai pas à ce qui n'est d'ailleurs pas une question.


Revenons plutôt à votre question sur la relation entre la passion et
le gain financier.
Vous observez que tout le monde n'est pas riche. Vous observez
que tout le monde n'est pas animé par une passion. Voici donc une
première relation. Peut-être verrez-vous une relation de cause à
effet que trop de gens n'accèdent pas à la richesse parce que trop
de gens n'accèdent pas à la passion.

@ Si je comprends le message : la passion permet de se


dépasser, donc de faire de grandes choses. Et comme elle n'est pas
donnée à tout le monde, elle reste élitiste, exceptionnelle et, de ce
fait, elle est mieux rémunérée.
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# On peut le dire comme ça.


La passion est aussi comme l'arbre qui cache la forêt, à moins
qu'elle ne la mette en valeur : la passion génère la motivation,
l'enthousiasme, l'engagement ; la passion est le principal moteur
d'acquisition des talents ; la passion est contagieuse, parce qu'elle
sait à la fois convaincre et séduire, et se communique aux
investisseurs, aux collaborateurs, aux fournisseurs, aux clients ; la
passion permet la patience, la résilience.

@ Les passions ne sont-elles pas éphémères ?

# Les mots peuvent être dangereux. Ne confondez pas passion


et passade.
Les passions n'ont pas à être éphémères, à condition de
progresser dans la passion.
Les passions durables sont souvent celles où l'on progresse le
plus, par exemple grâce à la technologie, comme l'automobile ou
l'aéronautique. On peut aussi progresser en approfondissant un
sujet comme le management, la psychologie. Et on peut se faire
dépasser quand le domaine de la passion évolue trop vite, comme
les technologies de l'électronique et de l'informatique.

@ Et donc, les autres ingrédients permettant de gagner de


l'argent dépendent étroitement de la passion professionnelle ?
Le talent, la motivation, le travail, l'engagement, …

# Oui. La passion est à la fois un moteur et un facilitateur pour


ces autres ingrédients.
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@ Je repense au personnage que vous décrivez dans "Zébulon


International". Sa passion à lui, c'est l'argent, non ? Ça change
quelque chose ?

# Non. Comme je vous l'ai dit, la passion peut être naturelle


mais elle peut être cultivée, entretenue.
J'ai connu des Chinois qui avaient fui la Chine de Mao après avoir
eu faim toute leur vie. Ils répétaient parfois : "Plus jamais ça !" Ils
voulaient être riches, très riches. Leur moteur initial était le refus
de manquer. Assez rapidement cependant, leur talent pour gagner
de l'argent s'est doublé d'une passion pour l'art de gagner de
l'argent. Non pas un art en particulier, mais tous les arts leur
permettant d'amasser, bien au-delà des besoins primaires ou
secondaires connus. Ils se sont consacrés à cette activité jusqu'à
leur dernier souffle.

@ Si je suis passionné d'informatique, je peux booster ma


carrière ?

# Certainement. La passion ne fait quand même pas tout.


Même avec du talent. Il vous faudra le faire reconnaitre. C'est
l'intérêt du réseautage.

@ Je me demande s'il n'y a pas des gens qui ne réussissent que


par le réseautage …

# C'est le cas en politique où, malheureusement de plus en


plus, ce sont les réseauteurs qui se font progressivement coopter
aux différents étages de leurs partis. Mais, si on peut vivre et
même bien vivre de la politique, elle ne garantit pas la richesse …
ou alors par alliance, par cumul, corruption ou après coup, avec
les conférences. Rien de bien sûr ni de bien rapide.
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@ Je reviens sur la passion. Si je n'ai pas de passion naturelle


pour une activité professionnelle et si j'échoue à en faire éclore
une ou à la cultiver suffisamment, je suis un handicapé de la
réussite professionnelle ?

# Pas forcément. Mais il est facile de comprendre à quel point il


vous sera difficile de réunir les autres ingrédients nécessaires.
Supposons que vous soyez cadre : il est difficile de motiver les
autres, ceux que vous encadrez ; mais arriverez-vous à vous
motiver vous-même, sans passion ? Et sans auto-motivation,
comment efficacement motiver les autres ?
L'acquisition des talents supposera beaucoup plus de travail et
infiniment plus d'effort de votre part si la matière ne vous inspire
pas particulièrement.
Idem pour votre engagement. S'engager pour quelque chose qui
nous plaît ne suppose pas qu'on se botte les fesses chaque matin,
tout comme s'engager à fond chaque jour pour des activités dont
on n'apprécie ni le contenu ni l'objectif.
Heureusement, ces activités sont rares : dans la plupart des cas, la
satisfaction des clients est un signe visible de reconnaissance qui
aide à progresser.

@ La reconnaissance est un important facteur de réussite ?

# Certainement. Je n’encouragerai jamais suffisamment les


parents et les dirigeants à faire usage de toute la reconnaissance
dont ils sont capables à l'égard de leurs enfants et de leurs
partenaires en affaires. La reconnaissance que l'on reçoit est une
importante source de motivation.
En même temps, chacun doit pouvoir s'autoalimenter en
reconnaissance. Salarié, artisan ou entrepreneur, chacun doit
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régulièrement faire le bilan de la reconnaissance que lui donne


son entourage et de celle qu'il peut s'accorder à lui-même, tant en
fonction de ses efforts que de ses résultats.

@ Un autre ingrédient ?

# "Connais-toi toi-même." Socrate avait raison.


J'ai eu la chance de faire trois années de préparation aux grandes
écoles dans un pensionnat. A la fin de la seconde année, j'ai
manqué un concours à l'écrit d'un point, et un autre à l'oral, de
quelques places. Cette troisième année aurait pu être un calvaire
mais c'est véritablement là que je me suis rencontré.

@ Et vous êtes restés les meilleurs amis du monde !

# Moquez-vous ! Vous ne croyez pas si bien dire.


Par la suite, j'ai pu constater la force que donne une telle
expérience. J'ai aussi fréquenté une association d'aide aux cadres
en recherche d'emploi, ACE. Le travail fait par ACE avec ces cadres
sur ce qu'ils sont, ce qu'ils veulent, ce qu'ils peuvent et la
recherche d'harmonie entre tous ces paramètres est un
formidable outil de développement. Non seulement ces cadres
retrouvent un emploi après leur passage chez ACE, mais ils y
réussissent dans tous les sens du terme, et durablement.

@ Nous en avons fini, avec les ingrédients ?

# Non. On n'a jamais fini.


La raison en est que, s'il existe des conditions nécessaires pour
réussir, il n'existe pas de condition suffisante. Quelque part, celui
qui réussit le fait contre le reste du monde. Dès qu'il gagne
suffisamment, quelqu'un cherche à partager son pactole.
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Vous êtes pâtissier et vos gâteaux sont si bons que vous attirez
une clientèle bien supérieure à celle de votre quartier. Mais les
autres pâtissiers qui voient votre réussite voudront rapidement
en imiter les recettes particulières.

@ Et donc je dois constamment innover ! La créativité comme


ingrédient !

# Exactement. L'adaptation, dont Darwin disait qu'elle était le


premier facteur de survie des espèces, suppose une certaine dose
de créativité. L'observation de la nature offre d'infinis exemples.

Et puis il y a les anti-ingrédients : ceux qui tuent la réussite.


Le premier d'entre eux, c'est l'arrogance. J'en suis venu au point
où, quand je vois de l'arrogance, j'imagine assez bien l'échec.
Et sa cousine, la désinvolture : vos partenaires auront horreur de
découvrir ne serait-ce qu'un soupçon de désinvolture à leur égard.
Dans ce domaine, vous êtes condamné au respect le plus total.

@ Je ne vous suis pas bien sur le plan de l'arrogance, mais je


vous entends. Comment est-elle mortelle ?

# L'arrogant se croit au-dessus des lois, mais il ne l'est pas.


Premier danger, il se fait rattraper par la justice et les choses ne
seront plus comme avant. Second danger, comme il agit en-dehors
de la loi, il est la proie des truands et ne pourra pas demander la
protection de la justice : il entre dans le monde de la violence.
Pendant un temps, il peut se battre et même gagner. Mais, vous le
savez, on ne reste pas éternellement le meilleur tireur de l'Ouest.
A un degré moindre, l'arrogance peut simplement consister à se
croire plus fort que ses clients : j'en connais peu qui apprécient
longtemps.
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Voici en quoi l'arrogance peut tuer le succès.

@ Je comprends mieux.
Et, vous parliez de deux stratégies.

# Oui. Vous avez réuni plusieurs des principaux ingrédients et


vous voulez gagner de l'argent, si possible rapidement.

Une première stratégie, la plus fréquemment employée par ceux


qui affichent leur ambition, consiste à avoir l'œil rivé sur l'objectif
et à ne pas dévier du chemin qui y mène.

@ Une évidence, quoi !

# Si vous voulez, au moins pour la plupart de ceux qui affichent


leur ambition, comme je le disais.
Mais le vrai passionné peut voir les choses autrement : même s'il
admet vouloir réussir financièrement, le chemin est plus
important pour lui que l'objectif. Le pilote vole, le médecin soigne,
l'avocat protège, l'acteur joue pour son public, le comique fait rire
(et je connais peu de gens qui n'aiment pas rire), etc.
Leur stratégie sera d'exceller dans leur activité, de toujours
s'améliorer et de toujours améliorer leur performance. Ils vont
disposer des instruments de mesure partout où c'est possible afin
de quantifier leurs progrès.

Un instrument est de plus en plus important : le satisfactomètre.


Plus une conférence, plus une nuit d'hôtel, plus une prestation un
peu significative sans un questionnaire sur votre satisfaction. Et ça
marche. Mais le satisfactomètre le plus important pour vous, c'est
celui que vous appliquez à chacune de vos actions : êtes-vous
satisfait de ce que vous faites ? Et comment évolue cette
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satisfaction dans le temps ? Le repérage des informations


recueillies est essentiel pour cultiver votre passion et vous
adapter constamment et efficacement.

@ J'ai lu quelque chose sur la voie bouddhiste vers le succès


professionnel et financier. Vous ne me dites pas que, si je suis
totalement satisfait de ce que je fais, il ne m'est plus aussi
important de gagner de l'argent ?

# C'est vous qui le dites, et fort bien, d'ailleurs. Et c'est


totalement vrai.
Cependant, je tempérerai les conséquences possibles de votre
affirmation en parlant d'un ingrédient que j'ai volontairement
laissé pour la fin.

@ Quoi ? Encore ?

# Ne l'oubliez jamais non plus.


Il s'agit de la chance. Il est toujours facile de s'attribuer les succès,
les siens propres, ceux de son entreprise ou de ses clients. Mais la
vérité est que ceux qui réussissent finissent généralement par
s'avouer qu'ils ont eu beaucoup de chance et qu'il s'en est suffi
d'un rien qu'ils ne se retrouvent dans la rue.

@ Vous avez forcément un moyen pour contrôler la chance !

# La contrôler, non. Mais l'aider, oui.


D'abord avancer les yeux ouverts pour détecter les opportunités
et les mains prêtes à les saisir.
Et puis je vous offre cette phrase de Thomas Jefferson :
"Je crois beaucoup en la chance ; et je constate que plus je travaille,
plus la chance me sourit."
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@ Nous voici sur le chemin de la fortune !

# Oui. Sur le chemin seulement.


La fortune est plus loin !
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Il n'y a pas de réussite facile, ni d'échec définitifs.


Marcel Proust

Chapitre 5 : La fortune

# La fortune est un autre nom pour désigner la chance.


La première définition de "fortune" dans le dictionnaire est :
"Puissance qui est censée décider du bonheur ou du malheur des
humains. Ex. Les caprices de la fortune."
Le dictionnaire continue ainsi : "Divinité des anciens, souvent
représentée sous les traits d'une femme aux yeux bandés tenant
une corne d'abondance."
Et encore : "Evénement heureux ou malheureux, dépendant du
hasard. Ex. Une bonne fortune. Ex. Faire contre mauvaise fortune
bon cœur."
Plus loin dans les définitions de "fortune" : "Chance favorable. Ex.
J'ai eu la fortune de le rencontrer." Puis : "Destinée. Ex. Il connut
une fortune brillante." Et : "Position sociale élevée. Ex. Parvenir à
une haute fortune. Ex. Revers de fortune."
La seconde définition de "fortune" dans le dictionnaire est :
"Ensemble des biens que possède une personne, une collectivité."
Et enfin : "Grande richesse. Ex. Faire fortune."

@ Voici des définitions qui relativisent ce que vous venez de me


dire sur les ingrédients et les stratégies pour gagner de l'argent.

# Pas forcément.
D'une part, je ne vous ai pas caché l'importance de la chance dans
la réussite professionnelle et financière.
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D'autre part, depuis l'Antiquité et sa mythologie, depuis


l'invention du dictionnaire et ses définitions, le monde a
progressé. Ce qui était chance ou fortune est devenu aléa.
Voici la définition du dictionnaire pour "aléa" : "Risque, tournure
hasardeuse que peuvent prendre les événements. Ex. Affaire
pleine d'aléas."

@ Vous cherchez à m'entrainer sur ce terrain où les risques


seraient gérables, la théorie des grands nombres, des statistiques
et des probabilités comme en profitent les assurances.
Mais moi, je n'ai qu'une vie, ce qui n'est pas un grand nombre,
convenez-en !

# Vous n'avez qu'une vie, mais les événements qui déterminent


la réussite ou l'échec, d'ailleurs tout relatifs, de votre vie, sont eux
suffisamment nombreux pour les considérer statistiquement
vérifiés. Ce train rapide peut dérailler et nous tuer à l'instant, mais
c'est peu probable grâce aux précautions prises par toute une
chaine de professionnels. Inversement, vous pouvez apprendre
demain que vous héritez de l'énorme patrimoine d'un lointain
oncle d'Amérique dont vous n'avez jamais entendu parler, mais
c'est peu probable également.

@ Ce que je retiens de notre échange, à ce point, c'est que :


1. la passion est un ingrédient que l'on peut cultiver et
2. les aléas doivent être pris en compte pour éviter les accidents
de toute nature.

# Vous pouvez visualiser votre carrière professionnelle comme


un décollage en avion : une fois votre vol préparé et votre check-
list achevée, vous vous alignez sur la piste et vous mettez plein
gaz. Vous roulez sur le sol et vous vérifiez les paramètres, puis
28

vous tirez sur le manche et, enfin, vous décollez. Votre décollage
ne se termine que quand vous êtes parvenu à une distance
raisonnable du sol, vous permettant un retour géré. Après votre
décollage, vous pouvez un peu réduire la puissance moteur, puis
une fois arrivé à votre niveau de vol, passer en palier et en régime
de croisière.

@ Si je rephrase votre analogie, la préparation et la check-list


sont des ingrédients importants dans tout projet professionnel.
Puis on s'engage à fond dans le projet. On dispose souvent d'une
petite phase de roulage pour confirmer le bien-fondé de la prise
de risques ou avorter l'aventure. Une fois lancé, on n'abandonne
surtout pas son engagement total parce que les risques, s'ils
étaient avérés, pourraient avoir des conséquences tragiques. Ce
n'est que quand ces risques sont moins importants, en probabilité
ou en effets nocifs, que l'on peut lever un peu le pied, disons
passer d'un rythme de combat à un rythme de mobilisation active.
Puis on s'installe au bon niveau sur la bonne route et on peut
gérer sa vie de façon plus équilibrée et pour le long terme.

# Bravo. Comprenez-moi bien et retenez cette petite phrase


qui m'accompagne dans chaque nouveau projet : "Un projet se
construit autour de ses marges." Quand vous élaborez un projet,
ou quand vous acceptez d'entrer dans un projet qu'on vous
propose, pensez à bien considérer vos marges : les marges
financières, évidemment, mais aussi les marges de temps, de
compétences, de travail, etc.
Il existe de nombreux avantages à cette pratique :
- D'abord, vous respecterez vos engagements. Vous serez
considéré comme un meilleur professionnel et fidéliserez vos
partenaires.
29

- Vous serez moins stressé, et donc moins stressant pour les


autres qui vous font confiance, comme clients, prestataires ou
fournisseurs.
- Vous générerez un résultat gagnant-gagnant dans lequel votre
client obtient ce qu'il veut et vous sauvegardez vos marges
financières.
- Vous aurez un faible taux d'accidents et un plus faible taux
encore d'échecs. Les marges servent à la prévention des accidents
et donnent des moyens de mieux en traiter les conséquences.

@ OK. Je vous entends.


Mais celui qui décolle a un long apprentissage du pilotage, il a
passé des brevets et des qualifications, il a probablement une
certaine expérience aussi. Moi, je n'ai qu'une vie et donc aucune
façon de me fonder sur pareilles formations et expériences.

# Il est effectivement possible que nous ne réussissiez pas vos


premiers projets, mais n'en perdez surtout pas la leçon. La France
est un des rares pays qui pénalisent ceux qui ont fait faillite.
Ailleurs, on apprécie plutôt qu'ils aient pris des risques et qu'ils en
aient retiré une expérience personnelle, de celles qui ne
s'enseignent pas.

@ Donc, je n'ai pas à m'appuyer sur un parcours sans faute. A la


réflexion, je connais même des gens qui ont attendu l'âge de 40
ans pour connaitre leur premier échec. Ils ne s'en sont pas remis.

Mais nous parlons beaucoup de réussite professionnelle et peu


d'argent. J'aimerais bien connaître la mécanique de
l'enrichissement.

# Elle est de deux ordres.


30

Pour le salarié ou l'artisan qui progresse, les revenus arrivent avec


une certaine régularité. La progression est fonction des qualités
de travail, mais aussi de la reconnaissance soit de la hiérarchie,
soit du marché. Celui qui a du savoir-faire doit donc penser à le
faire savoir.
Normalement, son revenu augmente plus vite que ses dépenses et
il dispose donc d'une épargne disponible croissante. C'est sur
cette épargne disponible que je lui recommande d'avoir un projet.

Pour l'entrepreneur, la situation est totalement différente. Si son


entreprise réussit, ses besoins en capitaux ne faiblissent pas. Bien
que son patrimoine se valorise d'année en année, il est possible
que son revenu disponible ne suive pas. Il est confronté à de
nombreux risques :
- S'il a accepté de s'endetter, il n'est plus tout à fait maitre chez
lui. Il doit respecter des conditions (on utilise souvent le mot
anglais covenant) qui peuvent s'avérer impossibles lors des creux
d'activité ou au premier accident de parcours (souvent la perte ou
l'insolvabilité d'un important client).
- S'il a ouvert son capital à d'autres actionnaires, il n'est plus
tout à fait maitre chez lui non plus. Avant de devenir actionnaires,
les investisseurs ont exigé une certaine forme de gouvernance qui
a des répercussions sur le revenu du président-fondateur. Lui-
même n'a généralement pas intérêt à se laisser diluer dans le
capital de son entreprise et, s'il a de l'épargne disponible, il y
réinvestit la quasi-totalité de ses moyens.

Ce n'est donc que si l'entrepreneur génère une croissance


autofinancée et garde la maitrise de ses revenus qu'il pourra
profiter de leur croissance pour générer une épargne. Toutefois,
celle-ci ne sera pas autant disponible que pour un salarié ou un
31

artisan parce que cette épargne doit pouvoir être mobilisée en cas
de coup dur pour son entreprise.

@ Cette fois-ci, nous sommes bien lancés sur le chemin de la


fortune, avec la seconde définition du dictionnaire, la richesse ?

# Ce que je vais vous dire n'est pas évident à votre âge. Au


mien, c'est devenu banal. S'enrichir n'est pas donné à tout le
monde. Rester riche est encore plus élitiste. Dans les deux cas, il y
a un dénominateur commun, l'exposition aux risques.
Je pourrais vous en dire un mot.
32

Il y a bien des manières de ne pas réussir, mais la plus sûre est de ne


jamais prendre de risques.
Benjamin Franklin

Chapitre 6 : L'exposition aux risques

# Je me suis souvent fait la remarque que j'ai vécu, et je vis


encore, ma vie sur le fil d'une épée : moins de risque et je
m'ennuierais, plus de risque et je tombe dans la galère.

@ Tout le monde n'a pas une telle appétence au risque.

# La psychologie moderne nous montre que nous connaissons


un état particulièrement agréable quand nous sommes totalement
mobilisés, notamment en environnement risqué. C'est
probablement ce que recherchent les pilotes automobile, les
marins au long cours, les alpinistes, les spéculateurs, …

@ Ne nous éloignons-nous pas du sujet principal de notre


échange, l'argent ?

# Vous avez raison quand je décris le risque comme facteur


d'émotion, de mobilisation, de plaisir ou de bien-être.
J'y reviens tout de suite si je vous dis que celui qui ne veut pas
assumer les conséquences d'un risque, par nature incertain, peut
les transférer à un assureur qui, en échange, recevra une prime, la
prime de risque.

@ Cette fois-ci, vous m'emmenez bien sur le métier d'assureur


et la maîtrise du risque par les probabilités et les lois des grands
nombres.
33

# Oui sur le principe.


Mais mon propos est plutôt, ici, d'attirer votre attention sur la
relation personnelle que nous entretenons à l'égard des risques en
général et de certains risques en particulier.

En signalant que l'exposition aux risques permet d'éviter l'ennui,


j'ai voulu montrer un premier aspect positif : la montée
d'adrénaline, l'excitation, la mobilisation, le sentiment d'exister
pleinement dans l'action.
Puis je vous ai généralisé cet exemple particulier en affirmant que
chaque exposition aux risques contient sa prime de risque. Dans
mon exemple, la prime est purement immatérielle, une forme de
contentement, de réalisation personnelle, mais elle peut être
quand même très forte.
Maintenant, je mentionne que le risque peut être géré.

@ Ce qui est un risque pour l'un ne l'est pas forcément pour


l'autre.
Quand j'ai commencé le parapente, je pensais que c'était une
activité vraiment risquée. A mesure que j'ai appris et que je
pratique, je connais mieux les dangers et j'espère avoir
suffisamment développé ma maturité pour voler avec un bon
niveau de sécurité. Maintenant, je me pose la question de savoir si
j'aurai toujours envie de voler quand j'aurai des enfants … jusqu'à
ce qu'ils aient l'âge de voler avec moi !

# Vous venez de mettre le doigt sur quelque chose d'essentiel :


le risque peut et doit être apprécié, tant dans sa probabilité que
dans ses conséquences.
Ces activités que vous maitrisez, comme votre expérience du
parapente le montre, vous programment à mieux gérer les risques
34

inhérents à vos diverses activités, professionnelles ou sportives.


Ne sous-estimez pas l'importance qu'il y a, quel que soit votre
métier ou quelle que soit votre position dans ce métier, patron,
artisan ou salarié, à prévenir les risques, à limiter leur occurrence
et leurs conséquences, et à en guérir les blessures. N'oubliez
jamais d'être votre propre risk manager, celui de votre activité et
celui de votre entreprise.
Par contre, dans les situations que vous ne maitrisez pas, comme
les crises économiques, les évolutions de la fiscalité, la hausse ou
la baisse des matières premières, … vous devrez estimer ces aléas
pour leurs justes proportions – si possible mieux que le marché –
ET prendre les marges correspondant à ces aléas afin de ne pas en
devenir une victime définitive.

@ Quel est l'intérêt d'estimer les risques "mieux que le


marché"?

# Je vais m'appuyer sur un exemple simple.


Hier, j'ai visité un gros distributeur d'électro-ménager pour
remplacer une vieille TV. Le vendeur m'a conseillé et m'a donc
vendu une nouvelle TV dernier cri pour 800 euros, garantie 2 ans.
Puis il a beaucoup insisté pour me vendre également une
extension de garantie à 150 euros, avec moult explications
techniques sur le prix des composants qui pouvaient tomber en
panne après deux ans, plus le prix de la main d'œuvre.
Comme il était plutôt sympathique et que je ne voulais pas le
laisser sur la mauvaise impression d'un refus sec, je lui ai
argumenté ma décision de décliner l'offre maison : "J'aurais pu
être dans la position de quelqu'un qui ne peut pas se passer des
services de son téléviseur, mais il se trouve que j'en ai d'autres
chez moi. J'aurais pu être dans la position de ne pas pouvoir payer
une réparation, mais ce n'est pas le cas. De plus, je connais peu
35

d'assurances qui perdent de l'argent et il est également fort


improbable que l'assurance qui prendra mon risque de panne
après deux ans en perde sur ce contrat ; elle en gagnera donc, à
mon détriment. Enfin, deux ans dans le domaine des téléviseurs,
c'est une éternité. Si mon poste a tenu tout ce temps, il pourra
encore tenir 3 ans de plus. Quand bien même tomberait-il en
panne après deux ans, le prix des composants aura chuté de
moitié, ou ce téléviseur sera devenu obsolète, ou je pourrai le
remplacer pour une fraction du coût d'aujourd'hui, … Sans
compter que si je signe un nouveau contrat d'assurance, je vais
devoir le gérer et faire confiance à l'assureur pour qu'il me
dédommage au mieux de mes intérêts. Bref, je choisis la prise de
risque dans ce cas précis et je garde donc la prime de 150 euros
pour le couvrir moi-même."

@ L'assureur, dans ce cas, c'est le marché : il travaille avec le


grand nombre et propose un prix susceptible d'être accepté. Le
vendeur insiste évidemment sur les avantages du produit proposé
et passe sur ses possibles inconvénients. Il donne une lecture
biaisée du risque réel afin de faire accepter le prix de l'assurance.
Vous vous êtes mis dans la situation concrète des occurrences de
pannes et des évolutions probables à horizon de deux ans. Du
coup, la prime de risque vous est apparue beaucoup plus
importante que le risque réellement encouru.

# Parfois, l'arnaque marche ! Je réserve et paie pour la location


d'une voiture à Pise : 145 euros, tout compris pour 5 jours. En
arrivant au comptoir cependant, l'hôtesse m'informe que la
franchise est de 1.200 euros et qu'au moindre problème, y
compris une petite rayure sur la carrosserie, la société de location
prélève 200 euros de frais administratifs. L'assurance
36

complémentaire pour la levée de franchise est de 90 euros. Que


pensez-vous que j'ai fait ?

@ L'arnaque a marché. Donc vous avez payé pour être en paix ?

# Oui. Les autres clients ont généralement eu la même réaction


que moi. Ici l'arnaque vient bien du montant inattendu de la
franchise et de la lourdeur des frais administratifs, les deux
évidemment bien cachés avant le paiement à la réservation.

Il existe beaucoup de cas où nous ignorons le risque, où nous le


sous-estimons considérablement. Ceux qui se droguent pour la
première fois veulent passer outre aux avertissements sur la
dépendance que les drogues du marché provoquent
généralement. La prime de risque est l'expérimentation. Le risque,
c'est de se trouver dans un état de dépendance infernal et fort
douloureux à quitter.
On peut en dire autant des chauffards sous l'influence de l'alcool
ou du cannabis.
En finance, j'espère que nous pourrons en reparler, un des plus
grands talents consiste à évaluer chaque risque réel par rapport à
sa prime.

@ Votre message, ici, c'est que je dois appréhender les risques


liés à mes projets et à mes activités, je dois apprendre à les gérer,
je dois travailler avec des marges pour éviter que les accidents se
transforment en catastrophes et que je dois constamment
comparer les risques avec leurs primes lorsque j'ai la liberté de
faire un choix.

Si j'ai bien résumé votre propos, nous pouvons maintenant parler


de richesse ?
37

# J'ai peur que, pour bien expliquer ce qu'est la richesse, il me


faille faire encore un petit détour.
38

Savoir se contenter de ce que l'on a, c'est être riche.


Lao Tseu

Chapitre 7 : La richesse

# Monsieur Morin est boulanger, le seul de sa petite ville de


5.000 âmes. Il a repris ce commerce il y a déjà 10 ans. Il connait
par cœur son compte d'exploitation : un chiffre d'affaires stable ou
en faible croissance de 300.000 euros par an, des frais fixes
stables de 100.000 euros par an et des frais variables stables à
environ un tiers de son chiffre d'affaires, soit 100.000 euros par
an. Son bénéfice est de 100.000 euros. La population de sa ville
n'augmente pas vite. Monsieur Morin a remboursé le plus clair de
ses emprunts liés à l'achat du commerce en habitant le petit
appartement situé juste au-dessus.
Son épouse travaille avec lui, elle tient le comptoir, et ses revenus
disponibles commencent à lui permettre d'envisager un
changement de vie : il souhaite s'acheter une maison pour
héberger sa famille qui s'agrandit et une belle voiture, plus
représentative de son statut de professionnel installé. Il achète
donc une belle maison située près de la mairie et une berline
familiale grande routière.
Monsieur Morin prend un crédit de 300.000 euros sur 10 ans pour
payer la maison qui en coûte 450.000 et un crédit de 20.000 euros
sur la berline. Ses remboursements mensuels sont de 3.000 euros
pour la maison et de 500 euros pour la berline.
Peu de temps après, arrive Monsieur Dupuis, boulanger
également, qui étudie la faisabilité d'une installation dans sa petite
ville. Il constate la maison bourgeoise et la berline cossue de
Monsieur Morin. Il décide de s'installer. Un an plus tard, grâce à
son travail et à sa campagne de lancement, le chiffre d'affaires de
Monsieur Dupuis est presque l'égal de celui de Monsieur Morin.
39

Mais les habitants du petit village n'ont pas pour autant changé
leurs habitudes, mangé plus de pain, ni acheté plus de pâtisseries.
Le nouveau compte d'exploitation de Monsieur Morin est devenu
un chiffre d'affaires de 180.000 euros (parce que la concurrence
porte quand même ses fruits et qu'il reste ouvert plus tard), des
charges fixes de 80.000 euros (parce qu'il fait maintenant
attention à tout, renégocie chaque poste de dépense) et des
charges variables du tiers de son chiffre d'affaires, soit 60.000
euros. Son nouveau bénéfice est de 40.000 euros au lieu de
100.000 euros. Sa situation personnelle se détériore rapidement.
Il va devoir revendre la maison et la berline pour retourner dans
le petit appartement au-dessus de la boulangerie.

@ Petite dramatisation au moment où l'on parle de richesse.


Vous n'en faites pas un peu trop ? Il n'en profite pas pour divorcer,
perdre la garde de ses enfants et tomber malade ?

# Ne vous moquez pas. Les ennuis volent en escadrille. Ces


maux supplémentaires que vous évoquez arrivent précisément
dans ce genre de circonstances.
Notre boulanger a fait un sans-faute, il n'a été désinvolte avec
personne et n'a montré aucune arrogance à l'égard de quiconque.
Son seul tort est de s'être estimé riche trop vite. Ce qui d'ailleurs,
si j'ai bonne mémoire est la pression que vous me mettez
amicalement depuis le début de notre conversation pour passer
de l'état de travailleur talentueux, travailleur et passionné à l'état
de "riche".

@ N'empêche, depuis le début vous m'adressez le message que


la richesse, si elle arrive, ne se trouve qu'au bout d'un long
chemin, pratiquement quand on ne peut plus en profiter.
40

# Vous connaissez ces magazines féminins qui retouchent sans


vergogne les photos des stars et modèles, à faire pâlir d'envie les
plus belles femmes. La presse quotidienne et les magazines vous
adressent des messages semblables quand ils vous vantent des
réussites qui restent exceptionnelles. Le commun des mortels ne
parvient jamais à l'état de richesse au sens où je l'entends.

@ Et comment l'entendez-vous ?

# Bonne question.
Cette question, je l'ai posée à beaucoup de personnes, la plupart
pouvant être jugée comme riche au sens banal du terme : dans les
10% ayant les plus gros revenus ou le plus gros patrimoine d'une
population.
Paradoxalement, bien qu'ils soient conscients d'appartenir à ce
plus haut décile des revenus ou du patrimoine, ils ne se sentent
pas riches et ne se disent pas riche.

@ Ils se comparent à une autre population !

# Vous avez raison et nous en reparlerons peut-être.


Mais ils se cachent derrière des notions mathématiques comme :
"Pouvoir vivre des revenus de son patrimoine" ou "Pouvoir vivre
avec les revenus de ses revenus".

@ Ils n'en font pas trop ?

# Pas forcément et c'est justement à ce point qu'un échange


peut devenir intéressant et apporter une importante contribution
à la place que l'argent peut tenir dans notre vie.

@ Alors, je suis toute ouïe.


41

# Notre discussion ne s'est bien sûr pas arrêtée à ces


définitions. Eux aussi avaient une expérience de la richesse, celle
des autres et la leur propre et eux aussi avaient constaté de
nombreuses anomalies de parcours.
L'anomalie la plus fréquente semble être celle de "l'effet richesse".
Il s'agit d'un concept qui a été particulièrement observé et analysé
aux Etats-Unis et dont on a beaucoup parlé lors de la crise des
subprime.

@ Vous parlez de ces propriétaires de maisons cossues et de


ces porteurs d'actions qui voient le prix de leur patrimoine
augmenter et qui en profitent pour dépenser plus.

# C'est exactement ça. Cet effet richesse commence à être


dangereux quand le propriétaire, constatant la hausse de la valeur
de sa maison, en profite pour s'endetter plus afin de consommer
plus. La France, sous l'impulsion de son président de l'époque, a
été à deux doigts d'imposer la relance hypothécaire, celle qui
permet à un propriétaire de faire constater la hausse de son bien
immobilier pour emprunter plus, en fonction de la nouvelle valeur
de ce bien.
Le principal danger de l'effet richesse est de pousser à
l'endettement. En face de la dette, on met des actifs et/ou des
revenus. Quand les uns ou les autres s'effondrent, la dette devient
insupportable.

Monsieur Raymond est le président-fondateur d'une entreprise de


plus de 10.000 salariés, milliardaire et cotée en Bourse. Cette
société a fait un parcours sans faute depuis sa création, avec une
croissance rentable de l'ordre de 20% par an. Il détenait 30% (3
millions) des actions de sa société quand ses partenaires co-
42

fondateurs, qui en détenaient 15% (1,5 millions), ont décidé de


vendre leurs titres. Il a proposé de racheter leurs 15% à un prix de
30 euros, lui-même se finançant auprès des banques par un
emprunt in fine de l'ordre de 5% sur 10 ans. Son risque était
faible, surtout compte tenu de la santé de son entreprise. Il se
trouve que la crise de 2007-2008 est passée par là et a réduit le
cours de ses actions à 10 euros, alors même qu'il devait débourser
chaque année environ 1,5 euro par action pour régler l'intérêt de
sa dette. Les 1.500.000 titres achetés 30 euros lui reviennent à 45
millions euros, plus les intérêts, alors que les 4.500.000 titres en
propriété, qui lui servent de collatéral, ne valent plus que 45
millions euros et que les intérêts annuels sont de 2.250.000 euros.
L'homme le plus riche du monde, s'il prend des risques à la
hauteur de son patrimoine, est potentiellement l'homme le plus
pauvre du monde.

@ Il a tout vendu à perte et se retrouve SDF ?

# C'est probablement ce qu'attendaient les vendeurs à


découvert, prédateurs toujours présents pour s'emparer du
patrimoine de ceux qui sont en état de faiblesse. Mais il a su
garder la confiance des banques ; il a décidé le versement d'un
dividende lui payant le montant de sa charge d'intérêts ; le cours
est progressivement remonté au-dessus de 30 euros et il a pu
revendre ces actions si chèrement acquises.
Il s'agit d'un dirigeant pour lequel j'ai une immense estime et je
pensais, moi aussi, qu'en achetant les titres de ses co-fondateurs à
30 euros, il faisait une excellent opération.

@ Vous avez certainement entendu Denis Payre raconter aux


médias que, ayant quitté Business Objects sans pouvoir en vendre
ses actions, il s'est retrouvé trop démuni pour pouvoir revenir
43

habiter en France : il n'avait simplement pas le cash pour payer


l'ISF que lui réclamait le fisc.

# Ou ces porteurs d'actions Internet qui, au moment de la


bulle, se sont retrouvés avec des titres les obligeant à déclarer un
haut niveau de fortune et, au moment de payer l'ISF
correspondant, se retrouvaient sans patrimoine, la valeur de leurs
titres étant passé en-dessous de l'impôt dû !

@ Je commence à comprendre que l'état de richesse a à voir


avec l'état des risques encourus, qu'ils soient subis ou qu'ils aient
été pris volontairement. Et que la perception même de l'état de
richesse concourt à la prise de risque.
Pouvons-nous revenir aux échanges que vous avez eus avec vos
interlocuteurs sur une sorte de définition de la richesse ?

# Oui.
Une grosse minorité de gens affirment que la richesse commence
à 20% au-dessus de leurs revenus actuels. Comprenez qu'ils se
serrent un peu la ceinture et qu'ils se sentiraient à l'aise avec une
marge de manœuvre ; ou encore qu'ils souhaiteraient mettre de
l'argent de côté pour en avoir devant eux.

@ Bonne blague sur les trivialités de la langue française !

# Une proportion nettement plus faible de la population estime


que le revenu, garanti, qui leur permet de payer le loyer, de quoi
manger raisonnablement et de payer tel ou tel objet ou activité
superflu de temps en temps, suffit à être riche. Ces personnes ont
souvent côtoyé des populations qui sont loin d'avoir ce minimum.
44

A l'inverse, une partie de la population estime que la richesse


commence quand on se distingue, par le haut, de son milieu. Cette
population est souvent urbaine ou vit dans des quartiers où les
habitants sont amenés à comparer leurs trains de vie (maison,
voiture, loisirs). Cette population permet de faire un constat
beaucoup plus général : la plupart des sondés affirment préférer
gagner 150 au sein d'une population dont le revenu moyen est de
100, que de gagner 200 au sein d'une population dont le revenu
moyen est de 250.

@ Sauf qu'il est peut-être plus facile de gagner 200 quand on


habite un quartier aisé que de gagner 150 au sein d'un quartier
pauvre.

# Ce que vous suggérez est probablement vrai pour certaines


professions. Nous citions le boulanger : il vendra plus de
pâtisseries à forte marge dans un quartier riche qu'il ne le ferait
dans un quartier pauvre. Je suppose qu'il en est un peu ainsi pour
les professions où le réseautage et l'image publique est un
important facteur de réussite.
Mais à l'inverse, si votre profession n'est pas vraiment affectée par
ces facteurs, ce peut être plus économique et socialement
confortable de choisir d'habiter un quartier où les habitants sont
moins fortunés que vous. J'ai rencontré la pression sociale sur des
familles qui habitent des quartiers "trop chers pour elles" : c'est
un peu destructeur, tant sur la cohésion familiale, que sur l'auto-
estime des parents et des enfants.

@ Dans ces quartiers, le pauvre est aujourd'hui comme le fils


d'immigrés des années 50 ?

# C'est à peu près ça.


45

Votre question sur la définition de la richesse était personnelle.


Vous m'avez demandé comment je l'entendais. Il me semble que
j'appartiens à une autre catégorie d'individus, celle qui souhaite se
trouver assez libre pour échapper à la contrainte et pouvoir se
consacrer à ses passions.

@ Et ça suffit pour définir un niveau de richesse ?

# La définition n'est vraiment pertinente que pour celui qui la


formule, auquel elle s'applique, qui la vise ou qui la vit. Pour vous
qui m'observez en ce moment, cette définition est floue. Mais pour
moi qui ai des exigences, des besoins, des passions, mais aussi des
moyens extra-matériels d'acceptation du risque, de résilience, de
contentement de ce que j'ai, cette définition me suffit. Si je peux la
reformuler, je vous confirmerai que je me considère riche si j'ai
mis mes problèmes d'argent derrière moi, parce que je ne veux
pas que ces problèmes règlent ma vie.

@ Mais vous êtes prêt à laisser l'argent guider votre vie ?

# C'est bien de cela dont nous finirons de parler. Votre


question se formule facilement. Ma réponse suppose quelques
attendus.
46

Si tu es prêt à sacrifier un peu de liberté pour te sentir en sécurité, tu


ne mérites ni l'une ni l'autre.
Thomas Jefferson

Chapitre 8 : Liberté ou sécurité ?

# J'observe assez souvent, dans la vie professionnelle de ces


"talents à haut potentiel", un point d'inflexion où, à condition de
n'y voir ni arrogance ni désinvolture, ce cadre a suffisamment
construit pour avoir confiance en lui et, ce faisant, inciter les
autres à lui faire confiance.

@ Celui qui commence à réussir se trouve ainsi satellisé sur sa


bonne orbite ?

# Si vous voulez. J'aimais bien la comparaison avec le


décollage, au moment où l'avion arrive à son niveau de croisière et
peut se permettre de réduire la puissance appliquée tout en
accélérant.

Cet entrepreneur, cadre ou artisan talentueux se trouve continuer


à travailler "à l'intérieur" de ses marges. Il a appris et connait bien
les règles du jeu ; il a la confiance de ses partenaires et dépense
donc peu d'énergie à les convaincre ; quand il propose un projet,
son dossier est traité avec une prime de performance, de qualité
et de fiabilité ; il est sur les listes des promotions à venir et, s'il
passe devant ses collègues, ceux-ci ne lui en voudront pas parce
qu'ils lui reconnaissent ce droit.

@ Je rêve ! Votre type super bien, il a un secret ?

# Il n'en a pas qu'un ! Disons trois :


47

Il est conscient et soucieux de l'intérêt de ses partenaires : sa


hiérarchie, ses collègues, ses clients, ses fournisseurs, … De ce fait,
il n'est jamais ni désinvolte ni arrogant.
Il ne se laisse pas dépasser et cultive donc la capacité à toujours
apprendre ce qui est un facteur décisif de succès. Il n'est peut-être
pas un pionnier ou un défricheur de tout ce qui se présente, mais
il s'informe et est un early adapter des outils modernes.
Last but not least, il se positionne au bon endroit au bon moment.
Il connait les défis qu'il peut relever, s'y prépare puis postule et
réussit. Conscient de ses possibilités, il ne s'attaque qu'à des cibles
qui se trouvent à l'intérieur de son périmètre de compétence et de
maitrise. Il a un sens inné, ou il l'a développé avec l'expérience, de
ces situations où le risque perçu (par les autres) est supérieur au
risque réel (si c'est lui qui les affronte).

@ Bref, dans son genre, c'est un artiste…

# Oui, et un bon. Comme il est plus facile de suivre la vie des


artistes que celle des personnes moins en vue, quel que soit leur
talent, on s'aperçoit effectivement que les qualités de notre super-
professionnel sont parmi les qualités que les artistes développent
pour réussir.

@ Et il n'a pas besoin d'être super doué ?

# Non. C'est un bon professionnel qui a beaucoup appris et


observé, puis qui a mis en pratique les leçons de la vie.

@ En régime de croisière, où va-t-il ?


48

# En régime de croisière, les choix s'ouvrent devant lui, des


choix qui ne sont pas neutres mais qui vont révéler sa philosophie
de la vie, ses priorités et peut-être même sa capacité au bonheur.

Cet homme est probablement dans une grande harmonie avec son
métier et son entourage. Il peut aussi penser que tout ce qui vit
meurt et qu'un accident peut toujours gâcher la fête, soit le plaisir
qu'il éprouve dans son travail, soit les revenus qu'il lui procure,
soit même mettre fin à ce travail.

@ Je parie qu'il n'est plus tout jeune : il voudra profiter plus de


la vie extra-professionnelle, ne serait-ce que voir grandir ses
enfants, il voudra plus de sécurité, là aussi, pour lui et sa famille, et
il voudra plus de liberté, précisément pour cultiver ses choix.

# Bravo ! Vous me parlez à la troisième personne, mais j'ai le


sentiment que c'est le point où vous êtes vous-même arrivé. Me
trompe-je ?

@ Je ne sais pas si j'y suis, mais je m'y vois bien !

# Dans ce cas, vous êtes représentatif de ces personnes à


moitié de carrière qui voient leur horizon professionnel plutôt
dégagé et qui commencent à avoir un patrimoine.
Pourriez-vous me préciser vos intentions ?

@ Comme je l'ai dit, j'ai besoin de plus de liberté et de plus de


sécurité.

# Rassurez-vous, ces deux notions sont plus souvent réunies


que mutuellement exclusives.
Concrètement, qu'envisagez-vous ?
49

@ Concrètement ?
Enfin devenir propriétaire de ma résidence principale.
Je suppose qu'il s'agit là d'un souhait universel, un choix presque
évident.

# Ciel ! L'exception à ce que je viens de dire !


Ça mérite d'y réfléchir.
50

Mieux vaut voyager plein d'espoir que d'arriver au but.


Proverbe japonais

Chapitre 9 : La résidence principale

# Votre souhait est légitime et répandu. Les raisons de se


rendre possesseur de sa résidence principale sont tellement
évidentes qu'on peut rapidement les évoquer.

@ Dans mon cas, il s'agit surtout d'une forte demande de mon


épouse. Cet achat se traduira, surtout pour elle, par une grande
sécurité, vous savez : garder le toit qu'on a sur la tête ! On
apprécie aussi les avantages financiers de cet achat : c'est une
façon de nous forcer à l'épargne tout en économisant un loyer, la
plus-value sera nette d'impôt.
Et c'est le premier achat patrimonial recommandé par les
conseillers financiers, non ?

# Tout ce que vous avez mentionné est certainement exact.


Je dois avoir un parti pris contre la résidence comme premier
investissement patrimonial.
Vous me permettez de poursuivre ?

@ Faites donc. Nous n'avons pris aucune décision et n'avons


même pas commencé à chercher.

# Globalement, la première chose qui m'interpelle dans l'achat


de la résidence principale, c'est qu'il s'agit d'immobilier. Cette
caractéristique me gêne dans la mesure où elle peut nouer des
liens qui entraveront votre mobilité, si vous en avez besoin.
51

@ Vous êtes en train de me dire que, si je suis propriétaire de


ma résidence principale, j'hésiterai à changer de région ou de pays
si j'en ai besoin.

# C'est cela même. Non seulement vous hésiterez, mais vous


passerez à côté d'opportunités que vous ne prendrez même pas en
considération, du fait de l'abandon qu'elles supposent.

@ La mobilité est un booster de la réussite professionnelle ?

# Plus que cela, pour un grand nombre de salariés, mais aussi


de professions libérales, d'artisans et même d'entrepreneurs.
L'expatriation peut aussi être un formidable accélérateur de
carrière et d'enrichissement, dans tous les sens du terme, et donc
un atout ou un outil à ne pas négliger.

@ Donc, pas d'achat rapide de ma résidence principale ?

# La seconde caractéristique qui me gêne, c'est qu'il s'agit du


plus gros investissement que vous allez faire dans votre vie. A
moins que vous ne disposiez d'une importante partie de la valeur
de votre logement, vous prenez un très important pari sur
l'avenir, l'évolution du prix du bien, l'évolution de vos revenus,
l'évolution de vos besoins familiaux et/ou personnels. C'est
beaucoup, compte tenu que cet investissement n'est ni divisible
(on ne vend pas une salle de bains après avoir vendu une chambre
ou un salon), ni liquide (la somme des frais de mutation et les
durées en jeu pour acheter et vendre l'attestent).

@ C'est pour ces raisons que vous avez dit, tout à l'heure, que
l'achat de la résidence principale n'apporte pas à la fois la liberté
et la sécurité. C'est vrai que, si nous nous endettons pour 15 ans,
52

nous devenons très dépendants de nos employeurs respectifs


pendant au moins 10 ans.
Je constate cependant que beaucoup de gens autour de moi se
sont notablement enrichis en achetant leur résidence principale.

# C'est vrai. Comme quelques-uns se sont trouvés ruinés parce


qu'incapables de s'adapter à des évolutions défavorables parmi
celles que j'ai mentionnées.
Le projet mérite toujours d'être étudié. Comme tout projet,
inscrivez-le dans vos marges : besoins prévisibles, évolution
prévisible de vos revenus, études financières (stress test,
assurances), possibilité de garder une épargne de précaution,
évolution probable des prix dans le quartier visé, évolution
probable des charges de maintenance et/ou de copropriété, …

@ Vous en parlez comme d'une alternative à construire sa


propre maison, ou à la retaper : presque promoteur, presque
marchand de bien opportuniste.

# Si vous voulez êtes certain de ne pas perdre d'argent avec cet


achat, vous devez envisager d'en gagner. Dans ce cas, vous devez
vous comporter comme un professionnel.
Rassurez-vous : quelles que soient les formes que prendra votre
épargne, ou votre patrimoine, je vous conseille fortement de
devenir un professionnel des produits dans lesquels vous
investirez.

@ Vous ne dites pas cela sérieusement ?


53

Le danger, ce n'est pas ce que l'on ignore, c'est ce que l'on tient pour
certain et qui ne l'est pas.
Mark Twain

Chapitre 10 : Confier son argent

# Voyons les choses comme cela : gagner de l'argent avec son


travail, ça s'appelle aussi avoir un métier, et un bon. S'ils
réussissent, on reconnait généralement leur talent. Seuls les vrais
professionnels y parviennent et ils se trouvent dans un
environnement le plus souvent concurrentiel.

Gagner de l'argent avec son argent ne suppose pas moins de


travail, ni de talent, ni d'expérience. Je connais peu d'industries, si
la finance peut être assimilée à une industrie, où les règles, les
modes et la technologie soient aussi rapidement évolutives que
dans la finance.

@ Il existe des spécialistes pour cela, non ?

# Certes. Mais il en est des bons et il en est aussi des mauvais.

@ On doit pouvoir les reconnaitre ?

# L'Autorité des Marchés Financiers (AMF) impose à tout


gestionnaire d'actifs qui se vante de ses performances passées
d'ajouter, dans sa communication : "Les performances passées ne
sont pas une indication fiable des performances à venir."

@ Ces gestionnaires, il y a bien quelqu'un qui les note ?


54

# Il existe effectivement une célèbre entreprise, célèbre parmi


les professionnels et les bons amateurs, qui note les fonds
communs de placement, MorningStar. Elle a un site bien fait dont
on ne peut pas se passer si l'on veut choisir soi-même les fonds
auxquels on confiera son argent.

Pourtant, cette connaissance est toute relative. Comment pouvez-


vous connaitre une équipe de financiers, équipe dont les membres
changeront sans même que vous en soyez au courant, comme
vous pourriez connaitre, disons, une entreprise dont vous achetez
les produits régulièrement, dont on parle souvent dans la presse,
dont les patrons sont médiatisés, qui publie son chiffre d'affaires
tous les 3 mois et ses résultats complets tous les 6 mois?

@ Vous m'amenez sur le terrain de la Bourse !

# De façon toute relative. Les meilleures décisions se prennent


quand même quand on dispose d'un bon niveau d'information. Je
disais seulement qu'il est plus facile d'être bien informé sur une
entreprise que sur un fond commun de placement.

Prenons les choses autrement. Vous disposez d'une épargne que


vous alimentez mois après mois. Une partie de cette épargne peut
être qualifiée de "précaution", en cas de besoin comme une
opportunité ou un coup dur. Le reste de votre épargne est
consacrée à vos objectifs, comme l'achat d'une résidence
principale ou secondaire, comme le capital de départ d'une
entreprise que vous rêvez de créer ou comme de disposer d'une
plus grande liberté de vie sans sacrifier le niveau de vie.

@ Je dirais que la gestion de l'épargne de précaution est la plus


facile.
55

# En effet. On ne lui demande pas de performance particulière


car sa première qualité est de pouvoir être mobilisée rapidement
et en "toute" sécurité : absence de risques, absence de rendement
ou de possibilités de plus-values, absence de fiscalité, grande
liquidité et disponibilité. S'il n'avait que cela, un couple disposant
de 2 livrets d'épargne défiscalisés (le Livret A) aurait déjà
constitué une bonne épargne de précaution. Evidemment à
mesure que son patrimoine grandit, le ménage aura procédé à
d'autres investissements qui pourront, pour une part au moins,
contribuer à la précaution. C’est-à-dire qu'il ne lui sera plus
forcément utile de garder ces 2 livrets à leur maximum autorisé.

@ Vous me demandez quand même de faire confiance aux


banques. L'épargne de précaution ne peut-elle pas être en liquide?

# Si, bien sûr. Mais dans ce cas, il vous faut une grande
discipline. Le liquide que vous destinez à votre épargne de
précaution ne doit pas être mélangé avec l'argent des courses ou
des dépenses courantes, sinon il sera vite consommé.
Egalement, s'il se sait que vous gardez de l'épargne liquide chez
vous, ce sera une grosse incitation donnée à des indélicats pour
visiter votre maison en votre absence et votre risque
supplémentaire porte sur ce liquide autant que sur les autres
biens de valeur que vous y avez. Personnellement, je ne
souhaiterais pas que mon argent m'empêche de dormir.

Ayant dit ce qui précède, je vous rejoins sur votre remarque qui
est précisément la confiance que l'on fait, implicitement ou
explicitement, à ceux auxquels nous confions notre argent.

@ Ah !
56

# Voici comment je voudrais vous présenter cette


problématique.
En finances, il existe quelques règles de base. Elles restent
valables sur de très longues périodes. Il vaut mieux partir avec.
L'une de ces règles est que c'est le seul propriétaire qui est
responsable de ce qu'il possède. Les autres sont là pour l'aider, à
moins que ce ne soit pour le dépouiller : il ne l'apprendra toujours
qu'après. Il existe évidemment des grands noms de la gestion de
fortune, mais ils sont surtout destinés à ceux qui disposent déjà
d'une réelle fortune, au second sens du dictionnaire : aujourd'hui
ce sont des fortunes financières à 7 chiffres en euros.

@ Mais toutes les banques proposent des conseils financiers.

# Il existe de nombreux types de banques. Restons simples en


se contentant de distinguer les banques à guichets des banques en
ligne, sans guichet.

Les banques en ligne ont une structure de coûts bien inférieure


aux banques à guichets. Ce qui exprime des causes et des
conséquences. Les banques en ligne sont low cost parce qu'elles ne
mettent pas de personnel dédié à votre disposition. Vous
communiquez avec elles par messagerie ou par téléphone. Votre
correspondant ne vous connait pas, mais il accède à votre dossier
sur son écran en quelques clics. Il vous écoute et sert vos besoins
bancaires, mais il ne vous conseille pas. Par contre, leur site
regorge d'informations sur les placements, depuis les véhicules
(assurance-vie, PEA, compte-titres, …) jusqu'aux produits finaux
(actions, obligations, SICAV, …) que l'on loge dans les véhicules.
57

Les banques à guichet ont des couts élevés et facturent donc


chacun de leurs services. En contrepartie, elles offrent les services
de conseillers financiers. Le principal atout de ces conseillers est
de vous rencontrer et de vous connaitre, parfois depuis
longtemps. Ils connaissent votre parcours professionnel, vos
revenus, vos dépenses, votre fiscalité, probablement aussi vos
objectifs de vie, un certain nombre de qualités et de défauts qui
vous définissent : tient ou ne tient pas ses engagements, stable ou
instable, économe ou dépensier, …

@ Me connaissant bien, il peuvent me conseiller bien !

# Oui, aussi.

@ Me connaissant bien, ils peuvent m'influencer bien pour me


placer les produits maison, ceux sur lesquels ils font de fortes
marges ?

# Il n'y a pas forcément de conflit d'intérêt dans chaque conseil


mais le seul fait de poser la question, c'est aussi y répondre.
Je vais plutôt vous fournir une statistique : la plupart des clients
qui sont passés d'une banque à guichets vers une banque en ligne
ne sont pas revenus en arrière.
Mais, ça n'a pas besoin d'être fait en un jour, ni avec pour seul
conseiller financier celui de la banque.
Il existe des conseillers financiers indépendants.

@ Qu'est-ce qu'ils ont pour eux que les autres n'ont pas ?

# Comme leur nom l'indique, ils sont conseillers financiers


indépendants. Le fait qu'ils vous conseillent n'impose pas que
vous leur confiez votre argent, ni évidemment en dépôt (ils
58

n'auraient pas le droit de le recevoir), ni même en mandat de


gestion. Le fait qu'ils soient indépendants a deux conséquences :
d'une part, ils n'ont pas les mêmes conflits d'intérêts que les
conseillers bancaires qui reçoivent des consignes accompagnées
de commissions sur les produits de la banque les plus
rémunérateurs pour la banque ; d'autre part, ils ont une
responsabilité personnelle qu'il est plus facile à mobiliser qu'avec
une banque.
Leur limite vient de ce qu'ils n'ont pas l'universalité d'une banque
en ligne : la plupart des conseillers financiers ne conseillent pas
sur le choix des actions que vous voudriez mettre en portefeuille
et préfèrent vous proposer des fonds communs de placement. Et
ils redistribuent une structure de coûts qui est à mi-chemin entre
celle d'une banque à guichets et celle d'une banque en ligne.

@ En quoi est-ce si important, une structure de coût ?

# Prenons l'exemple d'un investissement dans des fonds


communs de placement. Vous en avez éliminé quelques-uns qui ne
répondent pas à vos attentes et en avez sélectionné quelques
autres qui ont l'air prometteur. Statistiquement, sur l'ensemble de
vos investissements de ce type et sur une assez longue durée, il est
difficile de générer plus de 5% de rendement brut par an. Si vos
frais d'entrée sont de 4% au lieu de 2% et si vos frais de gestion
sont de 2% au lieu de 1% et si votre horizon de placement dans ce
fond est de 5 ans (le temps de se faire une idée, d'en trouver une
meilleure ou d'affecter votre patrimoine financier à un projet),
votre capital se sera apprécié d'un peu plus de 10% avec la
structure de coût normale et d'un peu moins de 20% avec la
structure de coût allégée. Cette différence ne diminue pas avec le
temps.
59

@ Dans ce cas, pourquoi prendre un conseiller financier ?

# Justement pour ses conseils indépendants. Quelque part,


vous acceptez de le rémunérer, par le biais des partages de
commission et d'éventuels frais annuels, pour la formation très
pratique qu'il vous donne, tout en vous économisant les
déconvenues qui frappent souvent les nouveaux entrants en
finance.

@ Je suppose que je vais devoir bien le choisir.

# Ce peut être une des premières étapes de votre formation:


réunir les éléments qui vous permettront de bien choisir votre
conseiller financier indépendant.

@ Vous me disiez qu'il existe quelques règles de base en finance


et que la première consiste à se rappeler l'unique responsabilité
du propriétaire du patrimoine.
Quelles sont les autres règles de base ?
60

Dans la vie, rien n'est à craindre, tout est à comprendre.


Marie Curie

Chapitre 11 : Règles de base de l'investisseur individuel

# Votre question vient à temps : ces règles de base peuvent


servir à évaluer les qualités de votre conseiller financier.

Ma seconde règle de base : connaissez-vous bien ! Qu'est-ce qui


est important pour vous, dans la vie ? Etes-vous cigale ou fourmi ?
La cigale n'a aucun problème pour gagner sa vie, voire même bien
la gagner. Son problème, c'est seulement si et quand ses revenus
se tarissent. Beaucoup de gens à hauts revenus sont du type cigale
et se trouvent endettés, sans parfois même suffisamment d'actifs à
mettre en face de leur dette. Notre propos à venir n'intéresse a
priori pas les cigales.
Aimez-vous le risque ? Ou vous sentez-vous capable de l'affronter
après l'avoir étudié et estimé, tant en probabilités qu'en
conséquences ?
Etes-vous discipliné ou impulsif ? La discipline vous mènera,
lentement, au succès. L'impulsivité vous mènera, rapidement, au
succès ou à l'échec, selon votre instinct et selon la chance. Si vous
réussissez en étant impulsif, attention à la superstition (celle qui
vous fait croire que votre succès tient à un chiffre magique) et à
l'arrogance (celle qui vous fait croire que gagner est facile et que
vous pouvez replacer tous vos gains sur une même case du tapis).

@ Je vous sens quand même biaisé en faveur de la fourmi qui


accepterait une prise intelligente de risques et qui serait
disciplinée.
61

# Regardez là-haut. C'est exactement le profil de Warren


Buffet. Je vous conseillerais d'ailleurs bien de lire ses écrits quand
vous aurez développé un peu de culture économique et financière.

@ Je crains d'avoir une longue liste de livres en attente sur mon


étagère.

# Ma troisième règle de base : attachez-vous à connaitre et à


comprendre ce que vous achetez.
Commencez par les grands principes de la finance : les taux
d'intérêt, la macro-économie, le rôle des banques et des
organismes financiers, la fiscalité qui s'applique tant aux véhicules
(PEA, assurance-vie) qu'aux produits (actions, obligations,
immobilier).
En matière d'actions et d'obligations, intéressez-vous aux
entreprises et d'abord à celles que vous fréquentez déjà :
fournisseurs, clients, employeurs, concurrents, …
Dans ces entreprises, le point le plus important, celui qui fera la
différence entre vous et un investisseur lointain, c'est le chef
d'entreprise. Comment le qualifiriez-vous ? Avez-vous envie de lui
faire confiance ? Qu'a-t-il déjà fait qui vous rassure ? Ou, au
contraire, qui soit facteur d'incertitude ? Comment comparez-vous
sa stratégie et la mise en œuvre de ses décisions avec ses
confrères du même secteur ? Que vaut son discours par rapport à
ses actes ? Tient-il ses engagements de moyens comme de
résultats ?
En matière d'immobilier, intéressez-vous à l'emplacement, à la
qualité des immeubles, aux perspectives de développement des
villes et des quartiers retenus (attractivité, infrastructures,
démographie, …). Si vous n'avez pas encore acheté votre résidence
principale, n'achetez pas de l'immobilier en direct, mais passez
62

par un fonds ou par une foncière (société immobilière) cotée dont


vous allez devoir connaitre les dirigeants et comprendre leur
stratégie.
Et cette recommandation de connaitre ce que vous achetez et des
principes qui les régissent valent pour les autres actifs : devises,
matières premières, œuvres d'art, …

@ Vous me parlez là d'un projet à long terme et très


chronophage.

# C'est vrai. Cet effort n'a de raison d'être que si vous


envisagez de vous constituer un patrimoine.

@ La fourmi disciplinée qui tutoie les risques …

# Ma quatrième règle concerne la diversification des risques.


En temps normal, les actifs de diverses natures (actions,
obligations, immobilier, …) ne varient pas dans le même sens.
Ainsi, de 2000 à 2010, les actions ont été très chahutées tandis
que l'immobilier, du moins en France, a presque doublé. En 2008
et 2009, les actions ont beaucoup chuté, mais les obligations se
sont presque tenues.
Vous pouvez choisir de devenir le spécialiste d'un actif particulier,
ce qui ne vous garantit rien parce que cet actif porte son risque
intrinsèque.

@ Vous allez devoir me donner des exemples concrets, si vous


voulez que je vous suive dans vos explications.

# Supposons que vous ouvriez un compte assurance-vie en


euros. Vous choisissez un fonds obligataire, principalement investi
en obligations du Trésor français à 10 ans (une OAT) qui vous
63

promet actuellement 1,6% brut par an. Outre le fait que vous
aurez votre investissement réduit des frais d'entrée puis des frais
de gestion, d'ici 10 ans il peut vous arriver beaucoup de choses :
hausse des taux d'intérêt qui diminuera la valeur de vos
obligations, hausse de l'inflation qui en diminuera le pouvoir
d'achat, risque de contrepartie si l'Etat français venait à demander
une restructuration de sa dette, risque de solvabilité de la
compagnie d'assurance qui vous la garantit avec son "effet
cliquet", etc.

@ Ce que je comprends tout de suite avec votre exemple, c'est


que si une OAT qui rapporte si peu (sans upside, comme disent les
anglo-saxons) couvre autant de risques, alors les autres classes
d'actifs couvrent des risques plusieurs fois supérieurs, en fonction
de leur upside, précisément.

# Exactement.
Les actions sont volatiles. Les investisseurs individuels n'ont pas
oublié Richelieu Finance qui se spécialisait dans les actions value,
des actions supposées décotées par rapport à leur fair value. En
2008-2009, ce sont toutes les actions qui ont dévissé. Richelieu n'a
évidemment pas été le seul gérant à souffrir, perdant la moitié de
la valeur de ses actifs. Mais il a aussi fait l'erreur de prendre une
position forte dans une société pas très liquide, le Club Med. Il a dû
se vendre à un gérant belge.

@ D'accord, mais l'immobilier, c'est un actif tangible !

# Ceux qui ont vécu les années 1990-92 en France ont peut-
être encore le souvenir de ces data rooms où des fonds vautours
américains venaient estimer la valeur des actifs immobiliers des
grands propriétaires fonciers, essentiellement des compagnies
64

d'assurance, afin de les acheter avec une décote. Il y a eu beaucoup


de faillites de promoteurs et de marchands de biens à ce moment
en France. D'autres pays ont connu l'éclatement de bulles
immobilières, comme le Japon, les Etats-Unis, le Royaume-Uni,
l'Irlande, l'Espagne.
Une hausse des taux d'intérêts, de la fiscalité ou des contraintes
administratives représente le principal facteur de risques sur
l'investissement immobilier français. Mais il y en a d'autres.

@ Je crois avoir compris. Les devises ne rapportent rien, pas


plus que l'or ou les matières premières, alors qu'elles présentent
une grande volatilité dans le temps.
Il n'existe pas de sanctuaire pour les patrimoines.
Du coup, je comprends mieux vos diverses mises en garde : se
constituer une épargne digne de ce nom suppose une certaine
mobilisation, un peu de talent, un peu d'expérience, du travail et
beaucoup de discipline.

# Sauf que vous n'êtes pas seul. Vous allez choisir un conseiller
financier.

@ D'accord. Et vous avez encore beaucoup de règles de base ?

# Bien sûr. Mais restons-en là sur le sujet pour le moment.


Je vous propose une stratégie à adopter avec votre conseiller.
65

Vivre, ce n'est pas attendre que les tempêtes passent, c'est danser
sous la pluie.
Gandhi

Chapitre 12 : Une première stratégie d'investissement

# Puisque les investissements sans risque n'existent pas, que


ceux qui sont jugés peu risqués ne rapportent rien, notamment eu
égard aux risques qu'ils contiennent encore, alors je vous suggère
une stratégie qui accumule les risques, mais dont le risque
foisonné reste faible.

@ Le risque foisonné ?

# Le risque foisonné est la composante finale des risques


individuels que vous avez acceptés. Je prends un exemple simple,
déjà utilisé dans un de mes livres :
La famille Peugeot a, pour principal actif, des actions dans le
groupe automobile éponyme. Elle gère l'ensemble de ses actifs par
l'intermédiaire d'une holding qui diversifie ses avoirs depuis près
de 30 ans. Un des risques majeurs liés à l'industrie automobile est
la pénurie de pétrole, soit structurelle suite à la croissance forte et
prolongée de la consommation par de nouveaux usages et la
montée des économies émergentes, soit historique suite à
l'instabilité de plusieurs régions productrices de pétrole, comme
l'Amérique Centrale ou le Moyen-Orient. Une façon de couvrir ce
risque est d'investir dans une entreprise d'exploration pétrolière
qui a des actifs bien distribués dans le monde, surtout en dehors
des régions instables. Ainsi, en cas de crise pétrolière, les actions
des entreprises automobiles baisseront, mais les actions des
66

entreprises pétrolières épargnées monteront. Le risque foisonné


sera limité.

@ Votre exemple est simple, mais je ne suis pas la Famille


Peugeot et votre stratégie de couverture du risque est trop
compliquée pour moi.

# Vous avez raison, au début du moins. A mesure que vous


maitriserez mieux la finance et votre patrimoine, ces couvertures
deviendront chose courante.
Revenons donc à la stratégie d'un patrimoine qui se construit à
partir de connaissances et d'une expérience limitées.
Vous gagnez confortablement votre vie. Vous disposez d'une
épargne qui s'accumule chaque mois. Vous souhaitez la placer
avec un risque minimum et une valorisation maximum.

@ Vous me faites à nouveau rêver !

# Tant mieux. Une bonne dose d'ambition ne nuit pas.


En fonction de la taille de votre patrimoine, vous allez constituer
un certain nombre de "cases" qui correspondent chacune à une
catégorie d'actifs.
Si vous commencez à investir 10.000 euros après avoir constitué
une épargne de précaution de 40.000 euros, vous pouvez ouvrir
un PEA et un compte d'assurance-vie. Dans le PEA, vous choisissez
3 ou 4 sociétés qui vous plaisent, aux activités non trop corrélées,
et vous répartissez 5.000 euros entre les actions de ces sociétés.
Dans l'assurance-vie, vous investissez également 5.000 euros avec
l'aide de votre conseiller financier, par exemple sur un ou deux
fonds obligataires.

@ Ca, je pense pouvoir le faire !


67

# N'oubliez pas de suivre la vie des sociétés et des fonds dans


lesquels vous avez investi. Apprenez à comprendre leurs facteurs
de progression ou d'échec. Vous êtes en période d'apprentissage
de votre nouvelle activité financière, alors n'hésitez pas à
revendre des actifs dont vous découvrez qu'ils ne vous
conviennent pas. Soyez toujours à l'affût de nouvelles
opportunités. Il existe des salons spécialisés où vous pouvez
discuter avec les responsables, directeurs généraux ou directeurs
financiers. Participez aux assemblées générales.

@ Ce n'est pas un peu beaucoup, pour 10.000 euros ?

# Soit cette gestion vous ennuie, et vous pouvez vous contenter


de suivre les avis de votre conseiller financier.
Soit vous semblez accrocher à cette nouvelle activité, notamment
en découvrant comment les dirigeants mettent leur stratégie sur
la table au moment des assemblées générales et de leurs
rencontres avec les investisseurs, et vous aurez l'occasion de
cultiver une nouvelle passion, à laquelle vous donnerez le degré
de priorité que vous aurez choisi.

@ Et donc, si je fais tout cela ?

# Après un an, il est peu probable que votre patrimoine


financier soit toujours réparti à 50/50 entre votre PEA et votre
assurance-vie. Par exemple, le PEA vaudra 5.650 euros et
l'assurance-vie vaudra 4.950 euros. C'est normal, d'abord à cause
des frais qui grèvent les fonds, puis il a pu y avoir des hausses de
taux d'intérêt ou des baisses de devises étrangères.
Mais, comme je l'ai déjà mentionné, les diverses classes d'actifs
(vos "cases") n'évoluent généralement pas dans le même sens.
68

Alors, votre stratégie à la fin de la première année, sera de rétablir


l'équilibre entre ces deux portefeuilles.

@ Je ressors de l'argent du PEA pour mettre dans l'Assurance-


vie ?

# Non, la fiscalité et les obligations qui s'appliquent au PEA


défavorisent totalement ce que vous mentionnez.
Mais vous avez pu vous constituer une nouvelle épargne durant
cette première année, disons 4.000 euros et ce sont ces 4.000
euros que vous allez répartir entre vos deux "cases" afin d'en
rétablir l'équilibre 50/50. Avant cette opération, la somme de vos
deux "cases" vaut 10.600 euros (vous avez gagné 6% sur la
totalité) et comme vous rajoutez 4.000 euros, vous aurez 14.600
euros de patrimoine financier à répartir à 50/50, 7.300 euros par
"case" et donc un apport de 7.300 – 4.950 = 2.350 euros sur
l'assurance-vie et 7.300 – 5.650 = 1.650 sur le PEA.

@ Ca, je peux le faire chaque année ?

# A mesure que votre patrimoine augmentera, que vous aurez


confiance en vous et en votre conseiller financier, vous pourrez
augmenter le nombre de cases. Une nouvelle case évidente
porterait sur des actifs immobiliers.

@ Je vous croyais opposé à l'immobilier ?

# Loin de là !
L'investissement immobilier présente des risques assez
importants quand il s'agit de sa première résidence principale et
que l'on s'endette lourdement pour l'acquérir. Une fois l'achat
effectué, il faut l'assumer contre vents et marées, sur un bien
69

unique et avec les aléas de vie forcément significatifs sur la durée


de vos remboursements.
L'investissement immobilier "financier" présente les
caractéristiques contraires, sinon qu'il évolue dans le même sens
qu'une résidence principale et peut donc vous préparer à cet
achat.

@ Alors, c'est pareil ou c'est différent ?

# Si vous mettez de l'argent de côté en vue de l'achat de votre


résidence principale, le plan et le compte d'épargne logement sont
de bonnes solutions. Mais, au-delà, si vous voulez garder le
pouvoir d'achat de votre épargne, relativement à cet achat
immobilier, c'est une stratégie de bon sens d'accumuler une
épargne investie dans l'immobilier.
L'investissement immobilier "financier" a ceci de bien qu'il ne
vous endette pas, qu'il vous donne des revenus stables et qu'il
peut être aussi diversifié que vous le désirez.

@ Comme des bureaux ?

# Des bureaux, des murs de commerce, des entrepôts, à Paris


ou en province, en France ou à l'étranger, en nue-propriété ou en
jouissance, etc.

@ Il y a beaucoup d'autres cases ?

# En théorie, il y en a autant que vous voulez : si vous voulez


diviser vos actions en "value" et "croissance", en grosses
entreprises et en PME, en actions françaises, actions européennes,
actions pays émergents, etc. Idem pour les obligations, qui
peuvent être "investment grade", les plus sûres mais qui
70

rapportent peu et les "high yield" qui rapportent plus mais sont
plus risquées. Avec l'augmentation de votre patrimoine financier,
vous serez tenté d'ajouter des "cases" afin de mieux répartir vos
risques.
En pratique, c'est la nature de vos centres d'intérêt qui orientera
plus sûrement vos choix. Je constate que des investisseurs se
prennent de passion pour une classe d'actifs : rappelez-vous,
Zébulon ne faisait que les émissions d'obligations d'entreprises
saines. Moi, j'aime l'aventure humaine et je m'intéresse plutôt aux
entreprises de taille intermédiaire (ETI), suffisamment
spécialisées pour que l'on en comprenne bien le métier,
suffisamment petites pour que les dirigeants soient abordables et
suffisamment nombreuses pour que l'on puisse faire des
comparaisons de performance.

@ Avant de gagner de l'argent avec mon argent, je suppose que


je dois être averti de certains pièges, de pratiques à éviter et de
conseils à suivre.
71

Il n'y a rien de plus facile à dire ni de plus difficile à faire que de


lâcher prise.
Santoka Taneda

Chapitre 13 : Pièges et précautions

# Vous anticipez fort bien. Le monde de l'argent peut être


passionnant et il est, malheureusement, le terrain de jeu de
beaucoup de profiteurs.

@ Je vais donc me faire détrousser !

# Certainement !
Mais ce que je peux faire, maintenant, c'est de vous avertir
comment !

@ Un homme averti en vaut deux, je me ferai donc détrousser


deux fois plus !

# Plutôt deux fois moins. Voici donc quelques conseils.

La fiscalité est tellement insupportable en France que l'Etat a crû


bon de créer des "niches" fiscales. Je ne les énumérerai pas
tellement elles sont nombreuses, mais vous serez d'autant plus
sollicité à y entrer que votre patrimoine financier sera important.
Méfiez-vous de toute sollicitation qui s'appuie sur un avantage
fiscal, surtout si celui-ci est récent, pour au moins deux raisons :
1. Les vendeurs du produit d'investissement l'ont conçu de façon à
ce qu'ils leur rapportent, à eux et non à vous, le maximum de gain.
De ce fait, les produits proposés n'ont souvent aucun intérêt
72

économique pour la collectivité ni aucun financier pour vous : le


plus clair du profit des vendeurs est réalisé lors de la première
signature.
2. Quand un produit, ou un véhicule comme le PEA ou l'assurance-
vie, s'avère être populaire, l'Etat le laisse gonfler puis transforme
la "niche" fiscale" en "nasse" fiscale, avec des prélèvements
successifs en hausse qui finissent par enlever tout intérêt à ces
produits et/ou véhicules.

@ Ce que vous dites, je m'en doute. Mais je n'ai pas encore


acquis cette réaction de défense quasi-automatique qui semble
être la vôtre.
La fiscalité influe beaucoup sur l'enrichissement ?

# Oui et non.
Oui, parce que la fiscalité française est en permanente
transformation, deux pas en avant, un pas en arrière. Avec le
temps, elle est devenue complexe, confiscatoire, incohérente,
aléatoire, incompréhensible et imprévisible.
Non, parce que ces facteurs sont déjà pris en compte par les
marchés mondialisés qui exigent, bon an mal an, 5% de rentabilité
nette sans risque par an. Ce sont donc les entreprises qui portent
le plus clair des abus de la fiscalité française.
Non, parce que vous disposerez toujours de quelques façons d'y
échapper, au moins partiellement : le PEA, l'assurance-vie sont
des premières solutions. A mesure que votre patrimoine grandira,
vous trouverez les conseillers financiers qui vous permettront
d'optimiser cette facture.
Notre fiscalité est beaucoup plus nocive à notre économie qu'à nos
investisseurs.
73

@ Effectivement, la Bourse est plutôt haussière quand les


socialistes sont aux affaires. Et je comprends mieux que nombre
de gens riches et célèbres votent à gauche ou soutiennent des
médias de gauche. Alors que je m'en faisais toute une histoire !
Merci !

# Une autre précaution concerne la différence entre


investissement et spéculation.
Sans vouloir généraliser ce qui est mon idée d'un investissement,
je considère que l'investisseur s'intéresse à l'entreprise, au projet,
aux hommes et il décide de s'engager à leurs côtés. Le spéculateur
ne s'intéresse qu'aux perspectives d'évolution du titre coté : il
achète un produit en pensant qu'il va monter (surperformer) et il
le revend en pensant qu'il va stagner ou baisser (sous-performer).
L'investisseur lie son sort à celui de l'entreprise en accompagnant
son projet. Le spéculateur peut se retirer chaque soir du jeu en
ramenant ses positions à zéro.

@ Mais, dans la pratique, leur rôle dans l'économie est le même.

# Le spéculateur contribue effectivement à la liquidité des


marchés, et donc à leur efficacité, à deux grosses nuances près.
D'une part, le spéculateur doit comprendre qu'il joue contre
quelqu'un d'autre : quand il achète, quelqu'un lui a vendu et
quand il vend, quelqu'un lui a acheté. Sur une courte période, il
s'agit d'un jeu à somme nulle. S'il n'est pas un professionnel
confirmé qui travaille avec les outils d'un professionnel, si
possible les meilleurs qui sont aussi les plus récents et les plus
chers, la probabilité est que ce spéculateur donne son argent aux
professionnels les plus efficaces.
D'autre part, en faisant de nombreux allers et retours, il contribue
aussi à enrichir les intermédiaires bancaires et les places de
74

marché, plus le fisc qui perçoit le nouvel impôt sur les


transactions financières. Le spéculateur individuel amateur a peu
de chances de s'enrichir de son activité.

@ Il me faut également renoncer aux multiples sollicitations


pour me lancer dans le trading, avec les enseignements que
proposent les opérateurs de cette activité et les conseils qu'ils
prodiguent.

# Ce qui vaut pour le trading vaut aussi pour les produits


dérivés, les produits structurés et autres créations intellectuelles
dont la complexité ne sert qu'un objectif : cacher au client final le
véritable coût de ces produits qui n'ont aucune chance de
l'enrichir.

A propos de ces produits quelque peu atypiques et sophistiqués,


mais cependant destinés à un assez large public, et comme de tout
autre investissement comme une résidence, principale ou
secondaire, une société non cotée, une exploitation agricole ou
forestière, …, n'oubliez jamais de vous poser la question de la
sortie de votre investissement. Il est rare que le vendeur attire
votre attention sur ce point et, si vous ne le faites pas, vous
connaitrez quelques désagréments : commissions de sortie,
imposition supplémentaire, durée de vente en semaines, en mois,
voire en années, etc. Cette caractéristique de facilité de sortie pour
récupérer son investissement est appelée liquidité : vous devez
l'apprécier, de même que vous devrez en acquitter le coût, qui se
traduit généralement par de moindres avantages (fiscaux,
rendement, plus-value, …) quand elle est forte que quand elle est
faible, ou même douteuse.

@ Mon conseiller financier me dira la même chose ?


75

# Certainement. De même que les journaux et magazines


financiers que vous consulterez au début, puis que vous lirez
attentivement à mesure que vous y serez familiarisé, puis dont
vous regarderez seulement les opinions à mesure que vous
recevrez une information largement redondante.

@ Il existe des sources meilleures que d'autres ?

# Les meilleures ne sont pas forcément les plus attractives. Un


journal doit d'abord informer, mais vous constaterez que le
journaliste choisit les informations qui vont dans le sens de sa
recommandation. C'est logique, sauf que vous ne savez pas quelle
est la cause et quel est l'effet. S'il écrit sur une valeur qu'il a déjà
recommandée dix fois, il est peu probable qu'il se déjuge la
onzième fois ; dans ce cas, il accumulera des facteurs positifs et
vous livrera la recommandation d'achat qui va avec.
Vous devez donc vous armer d'un sérieux filtre critique quand
vous recevez de "l'information" financière.

@ C'est la même chose quand vous écoutez les discours des


dirigeants en assemblée générale ?

# Bien sûr.
Et vous allez devoir vous méfier de vous-même !

@ J'irais choisir des actions à l'insu de mon plein gré ?

# La psychologie collective est souvent basée sur l'avidité et la


peur. C'est cette dualité que vous constaterez souvent sur les
marchés et qui en augmente la volatilité. L'investisseur sain doit
76

plutôt se montrer prudent et courageux : quand il a pesé ses


risques, il peut s'engager dans la durée.
Par ailleurs, de même que le journaliste n'aime probablement pas
se déjuger sur un titre qu'il a recommandé dans le passé, vous
hésiterez à réaliser que votre investissement dans telle entreprise
était une erreur, que vous n'aviez pas toutes les informations, que
la situation a changé ou s'est retournée, etc.
Il faut plusieurs années pour construire un portefeuille digne de
ce nom et c'est la force des meilleurs gérants de vous apporter une
performance positive année après année, ou de se refaire
rapidement après un gros trou d'air. Si vous sentez que vous ne
parvenez pas à progresser dans la sélection de valeurs en direct,
demandez à votre conseiller financier de vous donner les noms de
deux ou trois gérants auxquels vous pourrez confier votre argent.
Vous augmenterez vos chances de gain, mais vous réduirez votre
intérêt à l'égard de l'économie en général, des entreprises en
particulier et surtout de celles que vous pourriez rencontrer et
accompagner.

@ C'est quoi, un horizon de temps raisonnable, pour


commencer à réussir ?

# Vous progresserez assez rapidement. N'ayez pas peur de vos


premières erreurs si elles ne sont pas trop grosses par rapport à
votre patrimoine financier. La formation par l'expérience est une
excellente formation. Avec un bon conseiller financier, un peu de
travail et un peu de chance, deux ou trois ans devraient vous
suffire.

@ Vous avez dit un peu de chance ?


77

# Oui, parce que vous n'aurez pas connu beaucoup de crises en


deux ou trois ans. Tant qu'on n'a pas connu de crise, de baisse
forte des marchés, de chute significative de la valeur de son
patrimoine, on entretient une sorte d'arrogance avec ses
placements, on se sent invincible et, quand la vraie crise arrive, on
n'y est pas préparé, on peut rester dans le déni, puis prendre des
décisions qui aggravent encore la situation.

@ Et je l'achète quand, ma résidence principale ?

# Quand vous voulez. Je devrais dire quand vous le sentez


après les quelques réserves que j'ai évoquées auparavant : cet
achat ne représentera pas un risque important ni pour votre
carrière professionnelle, ni pour votre patrimoine ; vous aurez les
marges de manœuvre suffisantes pour faire face aux accidents de
la vie ; cet achat sera mûrement réfléchi et contribuera à
l'enrichissement du ménage ; et il fera plaisir à chaque membre de
votre famille sans se transformer en facteur de stress.

@ Excusez-moi de vous demander. C'est fréquent, ce facteur de


stress chez les acheteurs de leur première résidence principale ? Il
existe un "Sweet Home Blues" comme il existe un "Baby Blues" ?

# A titre personnel, je suis mal placé pour en juger. Mais je me


souviens avoir déjeuné avec un dirigeant d'un important
constructeur de maisons individuelles qui me racontait l'arrivée
d'une famille dans sa toute nouvelle maison.
Il disait :
"Cette arrivée d'une famille dans sa nouvelle maison, c'est le pire
jour de leur vie. Ils ont acheté avec un crédit sur vingt ans qui les
obligera à manger des patates et des topinambours, et les
empêchera de prendre des vacances dignes de ce nom pendant au
78

moins la moitié de cette période. La maison est dans un


lotissement encore plein de travaux, alors que la famille a laissé
son appartement dans un quartier qu'elle appréciait avec plein
d'amis pour venir dans cette "campagne" boueuse et pas encore
aménagée. Evidemment, on avait promis la maison pour la rentrée
de septembre, mais on a pris du retard à cause de l'administration
et des intempéries et elle n'est livrée que début janvier.
L'acquéreur avait donné son congé et il a passé les fêtes à l'hôtel.
Quand il arrive, le chauffage n'est pas encore opérationnel.
Madame a commandé une moquette blanche pour son salon, mais
comme les travaux ne sont pas complètement terminés, les
ouvriers la salissent à chaque passage …"

@ Et ça vous fait rigoler ?

# Euh ! Oui ! Pas vous ? Je suppose que tant que je ne suis pas
directement concerné … L'important, c'est que je m'en souvienne
encore, pour vous éviter l'expérience si jamais vous êtes tenté.

@ Merci. D'accord, je prends.


Vient un moment où, je l'espère, je me sens riche ?

# Vous êtes incorrigible, vous !


Le moment où vous avez commencé à me parler dans ce train, j'ai
senti que vous vous sentiez riche : un bon métier, de bons
revenus, une épargne, de bonnes perspectives, … Que vous faut-il
pour, enfin, vous sentir vraiment riche ?

@ Je suppose que tout est relatif …


79

Tu vaudras aux yeux des autres ce que tu seras à tes yeux.


Proverbe latin

Chapitre 14 : La relativité

# Effectivement.
La richesse, tout comme le sentiment d'être riche, fait partie de cet
univers relatif.

@ J'ai déjà reçu un truc comme ça sur Internet :


"Si tu manges à ta faim, que tu as un toit et un peu de confort
dessous, que tu as un métier et que tu en vis, alors tu fais partie de
la moitié la plus riche de l'humanité. Si tu as une épargne, que tu
peux prendre des vacances, que tu as un téléphone ou un
ordinateur, alors tu fais partie du quart le plus riche de
l'humanité. .."
Vous avez raison, monter les marches de la richesse matérielle,
c'est se comparer à d'autres, souvent très au-dessus de nous.

# Ce peut être la première forme de la relativité : vous vous


sentez riche par rapport à qui ?
Nous avons déjà vu les résultats de ce sondage où le contentement
de richesse commence dans les quartiers pauvres à un niveau bien
plus bas que dans les quartiers riches.

Je vous propose une seconde forme de relativité : vous vous


sentez riche par rapport à quoi ? Ou, en d'autres termes, à quoi
vous servirait-il d'être plus riche ? Que feriez-vous de plus ou de
moins que vous faites actuellement ? En quoi seriez-vous plus
heureux ou plus accompli dans votre vie ?
80

@ Vous avez-vous-même mentionné, tout à l'heure, au-delà de


la satisfaction des besoins matériels, les besoins de sécurité et de
liberté.

# C'est un des grands conforts que peut apporter l'argent :


prendre de la hauteur et s'en servir.
Un travailleur pauvre est souvent enfermé dans son univers de
longues heures de travail, de déplacements quotidiens forcés, de
travaux ménagers et d'absence de moyens pour voir ailleurs
autrement que par la télévision.
Un travailleur aisé dispose de plus de moyens pour regarder
ailleurs, ou simplement devant lui, compléter sa formation,
formuler des stratégies professionnelles, prendre le temps de faire
reconnaitre son talent et ses résultats, etc.
On peut effectivement appeler richesse la situation de celui qui
choisit de faire ce qu'il aime et qui y réussit sans s'embarrasser de
trop de contraintes.
Enfin, dans cette échelle, mon Graal est de pouvoir consacrer aussi
du temps à d'autres passions, ou dimensions de ma vie, qui loin de
rapporter de l'argent peuvent en coûter un peu ou beaucoup. Le
vrai luxe, ici, c'est le temps libre dont on dispose pour ces activités
extra-professionnelles.

@ J'ai lu quelque chose à ce propos dans un livre :


"Tu jettes la pièce. Pile, tu as du temps. Face, tu as de l'argent. Sur
la tranche tu as les deux."

# Et la citation se termine par : "Il y en a encore beaucoup qui


n'ont même pas la pièce."

@ Exact. Je l'avais occulté.


81

Donc, on peut être riche de temps, une forme libératrice de la


richesse.

# On peut aussi être riche de projets : apprendre, éduquer,


construire, voyager, écrire, contribuer à la vie collective,
associative ou politique, entreprendre, sans même parler de jouer
ou de faire l'amour… On est dans le monde du "faire".

@ J'ai le sentiment que, tant que je reste à ce niveau plutôt


technique, j'ai du temps : week-ends, jours fériés, vacances et RTT
me suffisent. Par contre, quand je regarde la hiérarchie, je les vois
souvent partir le soir et le week-end avec des dossiers.

Je constate aussi que ceux qui ont du temps peuvent économiser


beaucoup d'argent, ne serait-ce qu'en cherchant les "bons coups".

# Ceux que l'on trouve sur Internet ?

@ Oui, mais pas seulement.


Ma compagne n'est pas seulement adepte à trouver les voyages les
plus extraordinaires au meilleur prix, souvent une fraction des
prix les plus pratiqués. Cela peut prendre du temps, mais elle s'y
consacre et elle réussit. L'économie est assez fantastique.
Par ailleurs, elle constate les différences de prix pour les
vêtements et accessoires en allant sur des sites où les prix vont de
5 à 15 euros.
Enfin, elle me fait remarquer les différences de prix qu'il peut y
avoir sur les marchés. Dans mon quartier, 4 euros le kilo de
tomates. A seulement quatre kilomètres, 1 euro le kilo. Idem pour
tous les fruits et légumes. Je n'ose plus en parler : on me répond,
dans mon quartier que la qualité n'est pas la même, mais je ne vois
pas la différence.
82

# Vous illustrez fort bien l'adage "Le temps c'est de l'argent."


De l'origine de l'humanité à des époques récentes, c'étaient plutôt
les hommes qui chassaient, cultivaient et, au final gagnaient
l'argent, et les femmes qui achetaient, cuisinaient, décoraient, …
bref en faisaient le meilleur usage.
La bonne nouvelle est effectivement que ceux qui n'ont pas
d'argent mais qui ont quand même du temps peuvent faire
beaucoup avec peu, parce qu'ils ont la possibilité d'aller chercher
les bons plans : les vide-greniers où on peut s'équiper pour
quelques pourcents du prix en magasins, les brocantes où les
meubles sont trois à cinq fois moins cher que chez Ikea, les
opportunités de co-voiturage qui permettent un Paris-Lyon pour
15 euros, les parkings d'aéroports moins chers que ceux de
l'aéroport et même ceux où on vous propose de gagner de l'argent
en laissant votre voiture en location.
J'ajoute que les transferts sociaux seraient encore beaucoup plus
importants si tous les Français qui y ont droit acceptaient de
passer le temps nécessaire pour les obtenir : on estime que 20 à
30% des prestations ne sont pas distribuées à ceux qui y ont droit.

@ J'avoue ne pas trop me consacrer aux tâches administratives


pendant mon temps libre. J'ai constamment l'impression que
l'argent que je vais recevoir compense à peine le temps que je vais
y passer. Pour moi aussi, T=M, Time is Money.

# Vous avez donc la chance d'avoir du temps libre. Mais, même


comme salarié, attendez-vous à voir se généraliser l'exigence de
résultats, et pas seulement de moyens, dans le monde du travail.
Et, avec la globalisation, chacun est en concurrence avec beaucoup
d'autres acteurs et même beaucoup d'autres solutions. Ce luxe de
83

temps dont vous profitez actuellement n'est peut-être pas


pérenne.

@ Si je voulais créer une entreprise, il me faudrait beaucoup


d'argent ?

# Cela dépend, non seulement du projet, mais de vos objectifs.


Si vous avancez beaucoup dans le pré-développement de votre
projet, vous pouvez aller voir quelques investisseurs et recevoir
du love money, dans de bonnes conditions, c’est-à-dire sans trop
abandonner de contrôle de votre société. Puis les prêts et
subventions vous aideront ensuite à démarrer.

@ Et le jour où je prendrai ma retraite ?


84

Le contentement apporte le bonheur, même dans la pauvreté.


Le mécontentement apporte la pauvreté, même dans la richesse.
Confucius

Chapitre 15 : la retraite

# Vous mentionnez là un des sujets les plus anxiogènes des


papy boomers, ceux qui sont nés en grand nombre après la
Seconde Guerre Mondiale.
La question est :"Mon capital me survivra-t-il ? Ou survivrai-je à
mon capital ?" Dans le premier cas, je peux encore transmettre à
mes enfants. Dans le second cas, je leur tends la main.

@ Nous avons la chance, en France, d'avoir un régime de


retraite par répartition et une démographie favorable !

# Par rapport à bon nombres d'autres pays voisins ou


développés, nous sommes effectivement chanceux d'avoir une
démographie favorable. Mais, ici aussi, tout est relatif.

@ Dites-moi ! Vous ne seriez pas un peu pessimiste de nature,


vous ? En quoi notre démographie ne vous semble-t-elle pas être
une garantie pour des retraites par répartition.

# A votre première question, je me considère comme un


pessimiste heureux : prêt au pire, en espérant l'éviter afin de
profiter du meilleur. La méthode a fait ses preuves, vous pouvez
l'essayer vous aussi.

Sur la démographie face à la retraite par répartition, je vois deux


incertitudes.
85

La première est que notre Produit Intérieur Brut n'augmente pas


autant que notre population, ce qui veut dire que les Français
s'appauvrissent d'année en année. Il va être de plus en plus
difficile de leur demander des sacrifices pour donner à des
retraités trop nombreux et à l'égard desquels ils auront peut-être
des reproches, notamment sur le niveau de dettes que ceux-ci leur
laissent en héritage.
La seconde est que nous ne sommes plus capables de faire des
prévisions fiables sur l'espérance de vie de nos concitoyens. Celle-
ci n'a pas cessé de progresser dans les pays développés depuis la
fin du XVIIIe siècle, passant de 25 ans en Europe à 80 ans. Il existe
quatre thèses concernant l'avenir : 1) ceux qui prédisent que cette
espérance de vie régressera à mesure que l'homme attaquera les
ressources de la planète ; 2) ceux qui prédisent que l'espérance de
vie va plafonner là où elle est, parce que l'on a atteint une limite
théorique de vieillissement du corps humain ; 3) ceux qui
prédisent que la courbe d'augmentation de l'espérance de vie
continuera à progresser au même rythme que dans le passé, soit
environ 4 mois de vie en plus année après année ; et enfin 4) ceux
qui voient la courbe s'envoler grâce aux progrès récents et
prévisibles des sciences de la vie, des prothèses et de
l'informatique.

@ Oui, comme tout le monde j'ai lu que Google estime que


l'homme qui vivra 1.000 ans est déjà né. Vous y croyez ?

# Ça ne changera rien que j'y crois ou pas. Même si ce n'est


qu'une hypothèse, du point de vue de la retraite par répartition en
France, ce rallongement de la période de vie à partir de l'âge de la
retraite est susceptible de casser tout le système.
86

@ Comme toutes les évolutions démographiques, celle-ci se


fera suffisamment lentement pour que nous lui trouvions des
solutions.

# Ces solutions sont de deux ordres : individuelle et collectives.


Individuellement, les Français sont parmi les meilleurs
épargnants du monde, aidé en cela par l'Etat et les niches fiscales
que nous avons déjà mentionnées : assurance-vie, PEA, Livret A, …
Collectivement, nous pouvons agir sur 3 paramètres : les
cotisations, les pensions et l'âge de la retraite, soit directement en
imposant un âge minimum, soit indirectement en imposant un
nombre minimum de trimestres de cotisation.
Nous constatons déjà que les prélèvements sociaux sont trop
importants dans notre pays. Il est donc difficile de les augmenter
pour alimenter les régimes de retraite.
Nous constatons aussi que beaucoup de Français refusent qu'on
leur impose un âge de départ trop tardif. Ils n'auront peut-être pas
le choix, mais encore faudrait-il traiter l'emploi des seniors,
notamment leur employabilité et les conditions de leur maintien
dans la vie active (responsabilité, travail, aménagement des
horaires, revenus).

@ Dois-je comprendre que la principale variable d'ajustement,


ce sont les pensions ? Et, comme il est difficile de réduire encore
les petites retraites, on rabotera celles de ceux qui en ont les
moyens ? Et qu'au final ce sont encore les classes moyennes qui
assureront les transferts sociaux de leurs retraites ?

# Le pire n'est jamais sûr. Regardez : on vient de publier une


étude qui montre que la moyenne des Français se retrouve avec
une retraite supérieure de 20% à ce qu'ils avaient anticipé. Et puis
vous avez encore beaucoup de populations qui bénéficient de
87

"régimes spéciaux", ce terme désignant rarement des conditions


défavorables, bien au contraire.
D'ici que vous preniez votre retraite, les choses auront le temps
d'évoluer. Et puis n'oubliez pas ce que nous venons de dire sur
l'équivalence argent-temps : quand vous serez à la retraite, vous
aurez plus de temps pour chercher, trouver et profiter des bons
plans pour la satisfaction de vos besoins matériels.

@ Je peux me tromper, mais j'ai le sentiment que vous vous


moquez un peu de moi en assurant que la promesse d'une retraite
par répartition me donne une garantie …

# Loin de moi cette idée.


Cette retraite peut rester le maillon fort de votre avenir. Mais un
autre aléa vient des interruptions de cotisation, liées à des
périodes de chômage, à des années sabbatiques, à des
expatriations, etc. Vous êtes dans un métier à fort contenu
technologique, susceptible de rapides évolutions et vous devez
donc vous soucier de rester employable quelles que soient les
évolutions à venir.

@ Et jusqu'à un grand âge, si je vous comprends bien.

# Vous me comprenez bien.

@ Et je commence à apprécier vos conseils de me constituer


une épargne suffisante et bien gérée, susceptible de
m'accompagner longtemps, en tenant compte des incertitudes sur
la durée de vie.

# Ceci me semble tout à fait pertinent.


88

Je puis vous offrir deux indicateurs qui sont susceptibles


d'orienter vos choix à venir, malgré leur probable impermanence.
Les Américains ne disposent généralement pas de mutuelle par
répartition et ils estiment que, quel que soit l'âge du rentier, si on
dépense plus de 7% par an de son capital, on a beaucoup de
chance d'avoir à tendre la main dans son grand âge ; mais si on
dépense moins de 4% par an, on devrait pouvoir transmettre un
peu de capital à ses enfants. Entre les deux, c'est la totale
incertitude. Cette estimation s'est révélée plutôt juste jusqu'à
présent mais, vous le savez, "les performances passées ne sont pas
un indicateur fiable des performances à venir."
Le second indicateur est celui-ci : un homme de 65 ans prend sa
retraite et souhaite investir une partie de son patrimoine en rente
à vie. Il devra aliéner plus de 300.000 euros pour se constituer
une rente mensuelle de 1.000 euros et donc un million d'euros lui
achèteront une rente mensuelle de 3.000 euros. Ici, les
incertitudes portent sur les taux d'intérêts, fort bas aujourd'hui,
sur la revalorisation de la rente en cas d'inflation, sur
d'éventuelles participations à la performance du placement par la
compagnie d'assurance, etc.

@ Depuis que nous avons commencé à discuter, je me sens de


moins en moins riche.
Le Zébulon de votre livre, vous l'avez vraiment rencontré ?

# Les choses se sont passées comme je l'ai indiqué, à quelques


détails près pour ménager l'anonymat de mon sujet.

@ Lui, vous considérez qu'il est riche ?

# Moi, je considère qu'il est riche. Mais lui, j'en doute !


89

@ Ça nous ramène à ce que vous disiez : pour la plupart d'entre


nous, la richesse commence avec 20% de revenus
supplémentaires ; c'est un horizon qui s'éloigne à mesure que
nous avançons. Ou alors nous nous comparons à ceux qui sont
plus riches ; le résultat est le même.

Je me demande : vous devez en connaitre plus que moi, des riches.


Ils vous semblent heureux ?
90

L'homme crée la fortune.


Mais la fortune n'a jamais créé l'homme.
Proverbe vietnamien

Chapitre 16 : Le bonheur des riches

# A mon âge, on sait que le bonheur est une ressource


intérieure, basée sur le contentement de ce que l'on a.
Mon image d'un bonheur renouvelable, c'est un camping
populaire, dans lequel des gens simples ont des joies simples et
partagées : manger, boire, rire, jouer sans enjeu. Vous comprenez
qu'à mesure que l'on monte dans l'échelle de la richesse, on
s'éloigne de plus en plus de cette image.

@ L'argent isole ?

# Le manque d'argent peut être un facteur d'isolement parce


que sortir de chez soi suppose une consommation dont on n'a pas
forcément les moyens ou parce que rencontrer d'autres
personnes, c'est avoir à partager ce que l'on ne peut offrir en
partage.
Mais une famille habituée du camping qui s'enrichit risque de
sortir de son environnement social de confort : avec une plus
grande voiture, une plus grande caravane, on les placera
probablement ailleurs. Dans le groupe, ils vont se distinguer par
de meilleurs vins, de meilleurs aliments. Même s'ils partagent,
tout ne sera pas exactement comme avant. Dans les activités, ils
auront peut-être des jouets qui les distinguent aussi : le vélo plus
performant, le dériveur léger, … S'ils ne les possèdent pas, ils
peuvent les louer. Bref, ces différences finissent par isoler un peu,
puis beaucoup. Ils sortent du groupe et leur bonheur social,
91

simple, fait place à d'autres formes de satisfactions, comme un


plus grand champ d'action, un meilleur confort ou même des
formes différentes de vacances, plus lointaines et plus haut de
gamme. Vous le savez, il n'existe pas de limite à l'argent que l'on
peut mettre dans les jouets de loisirs, jusqu'aux yachts, aux jets et
aux châteaux dans des îles paradisiaques. Le problème de cette
transition du camping vers plus de luxe, plus de confort et plus de
mobilité, c'est que les retours en arrière sont difficiles. Imaginez
avoir quitté le camping pour cause d'enrichissement et devoir y
revenir après un revers de fortune !

@ Vous nourrissez une vision du bonheur simple que je n'avais


pas.

# Heureusement, il en existe au moins une autre : celle de


l'homme qui a un projet, un projet digne de lui et dont il devra
rester digne, et qui s'y consacre. Ce type de bonheur peut être plus
difficile à trouver mais il apporte un sens à la vie, sans lequel nous
ne connaissons pas l'état d'accomplissement.

@ L'accomplissement d'atteindre l'objectif ?

# Bien avant, dans le rêve que l'on a de son projet, dans l'action
de créer, d'organiser, de perfectionner. Pour cet homme, la
réussite est présente dès le premier pas d'engagement dans le
projet, alors que pour ses proches, la réussite n'est visible que
quand les résultats concrets sont matérialisés.

@ Avec plus d'argent, on peut avoir de plus grands projets.

# C'est exact, mais le bonheur se moque un peu des


comparaisons avec les autres. Il regarde plutôt la valeur de
92

l'engagement, dans l'absolu et par rapport aux limites de


l'individu, notamment s'il s'agit de les dépasser, ces limites.
C'est d'ailleurs une bonne raison de poursuivre un objectif de
richesse, d'avoir des projets toujours plus grands. L'impossible est
la limite : regardez Google et ses rêves d'éternité !

@ Bon. Mais vous n'avez toujours pas répondu à ma question


sur le bonheur des riches.

# Franchement, je crois le bonheur assez orthogonal (sans


raison de cause à effet) à la richesse, sauf peut-être au moment du
rêve d'enrichissement et au cours du projet susceptible d'y mener.

Comme nous l'avons vu, peu de gens se sentent riches. Les uns
savent quelle part revient à la chance, la fortune. Ce que la chance
leur a apporté, elle peut le leur reprendre. Voyez cette étude du
Crédit Suisse : en 2000/2001, le monde comptait 613
milliardaires ; parmi ceux-ci, 52 l'étaient encore dix ans plus tard!
Même en enlevant ceux qui sont morts, qui ont divorcé ou qui ont
partagé leur fortune, vous voyez que les raisons pour lesquelles
vous avez gagné de l'argent sont aussi celles pour lesquelles vous
pouvez le perdre. En l'occurrence, cette période a été marquée par
l'éclatement de la bulle Internet. Les fortunes construites avec le
temps résistent probablement mieux au temps.

@ Et le fait d'être envié ?

# Le riche, certains l'envient, certains le jalousent et beaucoup


le sollicitent.
"La liste de mes envies" est un roman, adapté au cinéma, dans
lequel l'héroïne gagne une dizaine de millions au Loto. Elle est
reçue par la Société des Jeux qui lui explique, ou lui caricature, les
93

changements relationnels qu'elle va devoir affronter. Elle préfère


donc cacher son gain, d'autant que ses envies matérielles restent
simples, bien à l'intérieur de sa capacité à les obtenir par une vie
de travail ordinaire.
L'évolution des sentiments à l'égard de celui qui s'enrichit est bien
naturelle. "Pourquoi est-ce lui et pas moi ?" "A-t-il totalement
respecté les règles du jeu ou a-t-il triché ?" "Il étale sa fortune, il
devient arrogant, il me méprise certainement." "Comment se
permet-il de dépenser autant d'argent pour des broutilles alors
que moi, son ami, je suis dans le besoin ?" "Ces gens, il leur faut
tout. Ils ne s'arrêtent jamais. Rien pour les autres." "Là où il est
arrivé, je peux y arriver aussi, quitte à prendre sa place."

@ Je comprends mieux les discours politiques et médiatiques


sur la haine des riches, sur le besoin populaire qu'il y a à les punir
à la première occasion. Plus vous montez, plus vous vous exposez
aux critiques, plus vous faites une cible facile pour les escrocs,
mais aussi les flatteurs, les envieux, les jaloux, … Finalement, les
sentiments que vous décrivez nous renvoient à notre médiocrité ?

# Ces sentiments ne sont pas universels. Je dirais même que


beaucoup de pays cultivent l'estime du riche parce qu'il est
présumé avoir vécu son projet, avoir surmonté les obstacles, avoir
gagné ses galons et il contribue désormais aux besoins de la
société par l'impôt et par ses activités associatives.

@ C'est une incitation à emprunter le tapis rouge déployé à nos


riches par un certain nombre de pays voisins ?

# L'expatriation est un choix difficile et je ne crois pas que la


plupart des riches la choisissent pour de strictes raisons fiscales.
Par contre, s'ils se sentent mal-aimés dans leur pays, comme les
94

protestants à d'autres époques ou les juifs en d'autres lieux, il est


normal que l'expatriation en attire quelques-uns.

J'ai une petite observation pour synthétiser le bonheur des riches :


Sur une population de 1.000 personnes, 10% réussissent, au sens
qu'on lui donne généralement en termes de patrimoine et/ou de
revenus.
Sur ces 100 personnes qui réussissent, 10% évitent de se montrer
arrogants ou désinvoltes, les deux défauts principaux destructeurs
de richesse.
Sur ces 10 personnes qui réussissent sans être ni arrogants ni
agressifs, 10% profitent vraiment de la vie au sens où on l'entend
habituellement.

@ 10% de 10 : votre singulier personnage est bien seul !


95

Je pense à tous ces gens qui ont des responsabilités et qui ne


semblent jamais pouvoir être eux-mêmes, de peur de voir leur
statut, puis leur position, puis leurs revenus abaissés. Le pire, ce
sont les politiques qui vous démontrent, en privé, pourquoi ce
qu'ils affirment, en public, ne marchera jamais. J'ai du mal à croire
que de telles postures puissent laisser place à un quelconque
bonheur.

Il me reste encore une question.


A votre avis, quel est le meilleur usage que l'on puisse faire de sa
fortune ?
96

Ce ne sont pas les richesses qui font le bonheur, mais ce que l'on en
fait.
Miguel de Cervantès

Chapitre 17 : Du bon usage du bien

# J'ai perdu l'habitude de faire de l'angélisme. La première


personne à laquelle je songe quand je gagne de l'argent, c'est moi.
J'aurais trop peur, si je me négligeais moi-même, de perdre un peu
de ma motivation pour continuer à travailler avec discipline et
régularité, le reste (talent, passion, …) étant supposé acquis.

@ Vous vous faites donc plaisir. Et comment ?

# Comme on se fait plaisir dans ces cas-là : un voyage, une


nouvelle paire de ski, une petite fête entre amis, … En fait, je
m'efforce de fêter chaque étape de mes opérations, pas seulement
la conclusion finale. Ainsi, la fête est plus fréquente et la
motivation s'en trouve rehaussée, la mienne et celle de mes
partenaires.

@ Ceci est des plus raisonnables et ne doit pas entamer votre


fortune …

# Qu'en savez-vous ?
Supposons !
Abraham Maslow a créé une thèse selon laquelle les besoins des
hommes répondent à une logique, une échelle des priorités :
1. Besoins physiologiques (manger, boire, dormir)
2. Sécurité (protection, ordre)
97

3. Besoins sociaux (aimer et être aimé, appartenance à un groupe)


4. Estime et reconnaissance
5. Réalisation de soi (créativité, développement personnel, …)

Tant qu'un besoin, ou un groupe de besoins, n'est pas satisfait, il


constitue une source de motivation. Quand il est satisfait, c'est le
niveau supérieur qui devient source de motivation.

@ Et ça marche pour tout le monde ?

# Au départ, ce devait être le cas. L'état de manque peut être


une très sérieuse motivation, surtout la soif, la faim, le logement,

@ Et donc, maintenant, nous ne connaissons plus le manque ?

# Nos sociétés de l'abondance sont condamnées à la croissance


économique et attisent les besoins, bien au-delà de l'excès.
Combien d'entre nous doivent faire des efforts pour moins boire
ou moins manger ?

@ Le genre de discours rabat-joie qui affirme que tout ce qui est


agréable est mauvais pour la santé ou réglementé par la société !

# C'est pourtant malheureusement vrai et la richesse n'aide


pas à contenir ces excès !

@ OK pour les besoins physiologiques. Mais comment peut-on


faire des excès dans la satisfaction des besoins de sécurité ?

# Cherchez bien ! Vous n'avez jamais entendu parler de ces


milliardaires qui s'enferment pour se protéger du moindre germe?
98

Vous ne connaissez personne autour de vous qui soit


pathologiquement peureux ? Un détail que je ne vous ai pas livré
à propos de Zébulon : c'est un homme inquiet, angoissé et même
peureux. Quand il visite une ville, il reste dans son taxi qu'il fait
arrêter de temps en temps pour prendre une photo. Il est allé à
Moscou en touriste sans pouvoir descendre dans le célèbre métro.
Sa richesse ne lui apporte qu'une sécurité financière, matérielle.
Dans la vraie vie, au sein de populations normales, comme les
piétons de centre-ville, il ne se sent pas en sécurité.
La protection des biens et des personnes constitue l'une des
premières dépenses des riches, justement parce que leur richesse
constitue une cible en soi. Et il n'est pas nécessaire d'être très
riche pour multiplier les serrures, donc les clés, les garages pour
les véhicules, les gardiens d'immeubles résidentiels ou de
bureaux, … avant de penser à prendre un garde du corps.

@ Bon d'accord, mais pour les besoins sociaux, comme


l'amour?

# L'argent peut acheter le sexe, mais pas l'amour ! Si vous


croyez appartenir à un groupe, simplement parce que vous êtes
riche, alors vos besoins sociaux seront bien pauvrement satisfaits.

@ Et donc, ce n'est pas la peine de chercher du côté de l'estime


et de la reconnaissance ?

# Ceux qui ont besoin de la reconnaissance des autres peuvent


étaler leur richesse. Ceux qui ont surtout besoin d'estime propre,
de se regarder dans la glace, ne multiplient pas les signes
extérieurs de richesse, en eussent-il largement les moyens.

@ C'est autour des premiers qu'on trouve les principaux excès ?


99

# Les riches de première génération, nouveaux riches ou


novaritchs, font des dépenses visibles de l'extérieur : les
immeubles de centre-ville, les résidences d'été les plus grandes et
les mieux placées, les super-yachts et les jets privés.
Ils comprennent rapidement que ces formes de dépenses ne leur
attirent pas l'estime de ceux auxquels ils veulent montrer leur
réussite. Alors, ils s'entourent de conseillers spécialisés et
cherchent à diversifier leur patrimoine dans l'art.

@ C'est plus efficace pour la considération ?

# S'ils sont bien conseillés, non seulement ils se bâtiront une


réputation culturelle, mais ils verront leur patrimoine ainsi placé
s'évaluer et, enfin pour les Français, ils sortiront ces
investissements artistiques de leur patrimoine imposable à l'ISF.
S'ils se prennent au jeu, ils deviennent intimes avec des artistes de
valeur, améliorent sincèrement leur connaissance des arts et en
deviennent les bienfaiteurs reconnus.

@ Vous êtes subtilement passé à la dernière classe de besoins


de la pyramide de Maslow : la réalisation de soi …

# Merci de votre écoute active !


Beaucoup de gens riches, ou même au cours de leur
enrichissement, visent directement cette dernière classe de
besoins. Ils limitent leurs dépenses matérielles pour se consacrer
le plus possible à leur projet personnel, celui dont je disais qu'il
devait être digne d'eux et qu'eux devaient rester digne de leur
projet.
100

@ J'ai déjà compris que tout ce que l'on est, tout ce que l'on a,
consomme de la ressource. Si je parle anglais, je dois pratiquer
cette langue, sinon je l'oublierai. Si j'ai des amis, je dois me
rappeler à leur bon souvenir, sinon ils m'oublieront. Si j'ai une
maison, je dois l'entretenir, sinon elle se dégradera.
J'ai aussi entendu le dicton, dans les ports : "Petit bateau, petits
soucis. Gros bateau, gros souci."
D'après ce que vous me dites, ceux qui donnent la priorité à leur
projet ont aussi compris ce que je viens de mentionner.

J'ai envie de paraphraser : "Dis-moi comment tu dépenses, je te


dirai qui tu es."

# Oui. J'aime aussi ce proverbe arabe : "Le trop de quelque


chose est un manque de quelque chose."

@ Je l'interprète comme valorisant le projet, comme l'œuvre


d'une vie, et critiquant l'addiction, celle des achats compulsifs
qu'on regrette dès qu'on les a commis.

# Vous me lancez une lapalissade. C'est précisément ma


définition d'une connerie : "Un acte qu'on regrette ou qu'on
regrettera."

@ Autant pour moi.


Vous ne m'avez pas parlé du partage !
101

Il vaut mieux donner un talent à son fils que mille pièces d'or.
Proverbe chinois

Chapitre 18 : Le partage

# Probablement parce que c'est un sujet trop sensible pour la


société.

Ça ne vous aura pas échappé que l'argent n'a pas la même valeur
pour tout le monde. Les motivations du donneur sont d'une
incroyable variété, de même que le ressenti du receveur.

Ayant vécu au Japon, j'ai observé combien le "confucianisme"


ressemblait à ce que les occidentaux appellent corruption, alors
que je crois qu'il s'agit d'actions tout à fait différentes. En Asie, il
est normal de partager sa bonne fortune, notamment avec ceux
qui ont pu contribuer à vous l'obtenir. C'est comme un acte de
gratitude. Si, en France, je commence à avoir ce comportement, je
suis considéré comme un corrupteur et risque le pénal.

@ Je sentais que le sujet vous tient à cœur, mais vous


commencez fort !

# La devise de notre république est, dans l'ordre : "Liberté -


Egalité - Fraternité". Je dois dire que je la trouve formidable, à
condition de l'interpréter dans son sens original. Notamment, je
déteste cette interprétation de l'Egalité qui veut qu'on dépouille
ceux qui créent les richesses pour éviter à d'autres de se lever le
matin.
Pour moi, l'Egalité, c'est l'égalité des chances, c'est l'effort de la
nation pour permettre à chacun d'être autonome et de pouvoir
prendre l'ascenseur social.
102

Le partage est une grande idée, à la base. Progressivement, c'est


devenu l'argument des médiocres pour profiter du succès de ceux
qui exercent leur talent avec constance.

@ Votre analyse est une sérieuse limite au partage !

# A nouveau, les sociétés asiatiques sont habituées à cette


forme de solidarité qui est le partage des devoirs avant le partage
des droits et donc des richesses. Ainsi, les communautés
asiatiques, nous en avons en France, jouent la mutualisation des
moyens financiers pour investir les uns chez les autres et
accélérer l'enrichissement commun. Ailleurs, on a inventé le
micro-crédit, sur la base d'un contrat respectable et qui doit être
respecté.
Dans nos pays aux forts relents judéo-chrétiens, la solidarité se
confond avec la charité et on occulte complétement la
contrepartie du don ou du partage. Du coup, le don devient une
action susceptible de polluer les relations entre donneur et
receveur, surtout s'il est répété.

@ J'ai besoin de mieux comprendre !

# Avec le temps qui passe, le prêt d'argent perd de son


impérieuse nécessité de remboursement. Les entreprises le savent
bien, qui courent après leurs créances dès le premier jour.
De la même façon, celui qui reçoit un don se réjouit le premier
jour de cette bonne fortune et remercie. Dans 90% des cas, ce don
est rapidement oublié.
Si le don est répétitif, les rapports changent entre le donneur et le
receveur, ce dernier considérant que le donneur fait partie de ses
sources possibles ou régulières de revenus. Le donneur se rend
compte qu'il s'est construit une quasi-obligation envers le
103

receveur en laissant se développer cette forme de dépendance. La


culpabilisation du donneur et le chantage ne sont pas loin, qui
empoisonnent la vie dans nombre de familles. Dans la vie
économique, les banques qui ont trop longtemps financé des
entreprises par ailleurs peu viables sont accusées de soutien
abusif.

@ Je n'avais aucune intention de vous solliciter !

# Pourtant, vous le pourriez.


J'ai un peu l'idée que l'argent que l'on possède est comme l'eau
dans un abreuvoir : l'un comme l'autre sont nécessaires à la vie
104

telle qu'on la conçoit. Mais quand le réservoir est plein, l'eau qui
s'y déverse déborde et, d'une façon ou d'une autre, se trouve
gâchée. Quand je me sens suffisamment riche pour vivre sans
tendre la main, alors il me semble important de partager.
Il s'agit simplement de filtrer ces dons ou partages par la nature
des raisons qui les motivent et/ou par la valeur des conséquences
qu'ils peuvent avoir.

@ La corruption qui est le détournement du devoir d'un agent


économique, constitue un don pour de mauvaises raisons. Le
cadeau fait en remerciement d'une bonne fortune constitue un
don pour une bonne raison ?

# Vous constatez vous-même que les zones grisées


commencent assez rapidement en matière de don. Ayant travaillé
avec des Japonais la plus grande partie de ma vie professionnelle,
je ne suis pas rentré dans leur "confucianisme", que je comprends
et respecte pourtant.

@ Et vous partagez donc aussi ces déclarations de grands


milliardaires qui ne transmettront pas leur patrimoine à leurs
enfants à leur mort ?

# En quelque sorte, oui.


Comme nous en sommes convenus, l'argent que l'on gagne a une
certaine saveur de rêve, de projet, de passion, d'effort et
d'accomplissement que l'argent que l'on reçoit n'a pas. Si vous
cherchez à vérifier ce que je dis, promenez-vous dans les iles qui
voisinent nos DOM-TOM. Le niveau de vie n'y est pas élevé, mais
les populations y ont l'air beaucoup plus heureux que dans nos
DOM-TOM où le niveau de vie dépend trop largement de l'Etat.
105

Les milliardaires dont vous parlez font un réel effort, non pas
simplement pour de débarrasser de leur surplus envers les plus
démunis, mais pour le faire de la façon la plus utile et efficace
possible. Et heureusement qu'ils ont cette discipline parce qu'ils
distribuent des sommes qui sont comparables au PIB de petits
pays et ils pourraient être un facteur majeur de déstabilisation.

@ Vous pensez aux financements dans d'autres régions du


monde, qui entretiennent la déstabilisation de pays entiers ?

# Non. Mais maintenant que vous le mentionnez …


Je reviens à vos milliardaires américains et leurs déclarations à
l'égard de leurs héritiers. Ils expriment leur conviction qu'un
106

héritage trop important promis à une personne est susceptible de


lui enlever une part de motivation pour poursuivre ses propres
rêves, ses propres projets, ses propres passions.

@ Donc, pour vous, la meilleure justification du partage, c'est


d'aider le receveur à gagner son autonomie ?

# Je n'ai aucun souci pour donner de l'argent qui sera bien


utilisé. Mon souci est donc de savoir s'il sera bien utilisé.
En France aussi, nous avons nos milliardaires, dont le partage
consiste à investir dans des start-ups, des projets, des aventures
humaines, des équipes de valeur, etc. Je dois dire que j'ai une
certaine admiration pour les business angels, surtout quand ils
font bien leur travail. Je m'y essaie d'ailleurs.

@ On a mentionné l'instabilité du monde, trop rapidement.


Vous pensez que le chaos généralisé est probable ?
107

Mieux vaut se fier à son courage qu'à sa fortune.


Publilius Sirus

Chapitre 19 : A quand le chaos ?

# Le chaos peut venir de n'importe où, surtout d'où on ne


l'attend pas.

@ OK. Mais vous le verriez bien venir d'où ?

# Internet.
En quelques années, on a généralisé l'usage d'un outil qui n'est
pas sécurisé. Je ne parle pas seulement d'aller surfer sur des pages
d'information, de jeux, d'échanges, … Nos banques sont, de facto,
toutes en ligne. L'Etat exige que nous payions l'impôt en ligne. Nos
comptes ont donc une partie virtuelle, tant dans les stocks que
dans les transferts.

@ Evidemment, le nombre de malfaisants et l'absence d'un


gendarme digne de ce nom … Vous voyez donc la possibilité que
tout s'écroule ?

# Des malfaisants … il en suffit d'un, s'il est assez fort.


Lisez donc ce livre, dont le scénario est très crédible, "The Risk
Factor". C'est l'histoire d'un chercheur qui met au point un logiciel
autonome d'intelligence artificielle, dont l'objectif est
l'enrichissement financier par le trading. Comme le logiciel est
autonome, il se promène sur la Toile et en exploite les ressources,
tant méthodologiques que factuelles. Non seulement il réussit
dans son objectif de capter de la richesse, il n'en produit aucune,
mais il trouve aussi le moyen de détourner les ressources qui vont
lui permettre de traiter les colossales masses d'information,
108

publiques et privées, accessibles par Internet : il crée des sociétés


qui vont lui construire des moyens de calculs toujours croissants.
Il me semble que, face à un tel phénomène, pas si éloigné de ce
que l'on connait déjà, la seule solution sera d'éteindre Internet et
de patiemment remettre de l'ordre dans nos affaires.

@ Vous vous définissez comme un pessimiste heureux. Où se


trouve votre bonheur dans un tel scénario catastrophe ?

# Mon bonheur ? Il est dans la citation d'un auteur latin :


"Mieux vaut se fier à son courage qu'à sa fortune."

@ Oui.
C'est probablement ça, la bonne place de l'argent dans notre vie.

**************
109

Table des matières

Introduction : Une impérieuse nécessité


Chapitre 1 : La place de l'argent, c'est derrière moi
Chapitre 2 : Se consacrer au reste
Chapitre 3 : Faut-il gagner de l'argent ?
Chapitre 4 : Gagner de l'argent
Chapitre 5 : La fortune
Chapitre 6 : L'exposition aux risques
Chapitre 7 : La richesse
Chapitre 8 : Liberté ou sécurité ?
Chapitre 9 : La résidence principale
Chapitre 10 : Confier son argent
Chapitre 11 : Règles de base de l'investisseur individuel
Chapitre 12 : Une première stratégie d'investissement
Chapitre 13 : Pièges et précautions
Chapitre 14 : La relativité
Chapitre 15 : La retraite
Chapitre 16 : Le bonheur des riches
Chapitre 17 : Du bon usage du bien
Chapitre 18 : Le partage
Chapitre 19 : A quand le chaos ?
110

Directeur d'Edition : François Vallet


BNE Editions, 8 rue du Foin, 75003 Paris

Auteur : Patrick Bord


Du même auteur :
Méthodes de fixation des prix en milieu industriel (1971)
Le recyclage des capitaux occidentaux par les institutions
financières japonaises (1991)
Le Cours (2012), HDiffusion
Redresser le pays, c'est si con ? (2013), BNE Editions
La revanche des Peugeot (2013), BNE
Zébulon International (2014), BNE
Murmures économiques à l'oreille des politiques (2014), BNE
Libérez les motoristes ! (2014), BNE
Murmures économiques (saison 2) (2014), BNE
2017 : "Action"

pbordsarl@orange.fr - 3 rue de l'Arrivée, 75749 Paris Cedex 15


Retrouvez la tribune de Patrick Bord sur pbord.eu, rubrique
"Actualité"

Illustration couverture : KAK est dessinateur et illustrateur,


notamment pour la presse ( "L'Opinion", "Le film français",
"Studio Cinélive"), la pub et la communication des entreprises.
www.monsieurkak.com -
Illustrations intérieures : Damien Barban
Photo : Thierry Sarment

Dépôt SGDL : 2014-07-0196


ISBN : 978-2-36447-023-1

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