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PAPILLON ÉPINGLÉ
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Gérard de Villiers

PAPILLON
ÉPINGLÉ

PRESSES DE LA CITÉ
PARIS
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© Presses de la Cité, 1970.


Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation
réservés pour tous pays, y compris l'U.R.S.S.
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PROLOGUE

Pour Maître Albert Naud, avocat au barreau de


Paris, grand admirateur de « Papillon », Henri Char-
rière est « un bloc de sincérité et d'authenticité ».
Par contre, aux yeux de George Arnaud, l'auteur du
« Salaire de la peur », qui a connu Henri Charrière au
Venezuela après la guerre, « ce mec Papillon, c'est un
menteur, mais un menteur monotone qui ne dispose
que d'une seule version pour chaque histoire incroya-
ble mais pas vraie qu'il s'attribue ».
Laquelle est la vraie, de ces deux opinions diamétra-
lement opposées ?
Vous allez le découvrir dans les pages qui suivent
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PAPILLON EPINGLE

Pourquoi « Papillon épinglé » ?


Surtout par curiosité. J'ai lu « Papillon ». J'ai ren-
contré Henri Charrière durant l'été 1969, à Saint-Tro-
pez. J'ai été intrigué par le personnage, un mélange
de force de la nature et de hâbleur méridional, avec
un accent à la Raimu. Un peu trop sûr de lui, un peu
trop précis sur des détails de plus de trente ans.
D'autre part, si tout ce qu'il s'attribuait dans son
livre était vrai, Henri Charrière était un mélange de
saint Georges, de Robin des Bois et de Don Quichotte,
avec un zeste de Tarzan. Un peu comme si Peter Town-
send se vantait d'avoir abattu des Messerschmidt
durant la bataille d'Angleterre en pilotant seulement
de la main gauche, les yeux bandés.
Intrigué par le décalage entre le personnage et ses
aventures supposées, j'ai décidé de me pencher sur
Papillon avec le soin et l'intérêt d'un entomologiste
sur un insecte.
Pour ce faire, j'ai parcouru environ 30 000 kilomè-
tres en avion, en voiture, en pirogue, en bateau.
J'ai interrogé des dizaines de personnes, pour recou-
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per leurs témoignages, essayant de faire la part de la


haine, de la jalousie, du désir qui sommeille en chacun
d'enjoliver les choses, de l'oubli qui les déforme. J'ai
essayé, le plus souvent possible, d'obtenir plusieurs
témoignages du même fait. Je n'ai négligé personne,
des anciens compagnons de bagne de Papillon à la
sacro-sainte Administration Pénitentiaire.
Surtout, j'ai essayé d'être objectif, de ne pas voir
les choses par le petit bout de la lorgnette. Certains
des anciens compagnons de Papillon — je pense entre
autres à l'ancien bagnard Charles Hut — se sont pen-
chés sur son livre avec une haine corrosive, relevant
la plus petite inexactitude matérielle pour en tirer des
conclusions négatives.
Or, il ne faut quand même pas oublier que Papillon
a écrit son livre vingt-cinq ans après avoir quitté la
Guyane, sans aucune documentation. Cela a de quoi
excuser certaines petites erreurs matérielles.
Bien sûr, il appelle le Tribunal Maritime Spécial qui
jugeait les bagnards « Conseil de guerre ».
Il dit que « La Martinière », le navire qui transpor-
tait les bagnards de France en Guyane, pouvait embar-
quer 1 800 personnes alors que la capacité de ce navire
ne dépassait pas 800 passagers.
Il dit être arrivé à cacher 25 000 francs dans un
« plan », ce tube métallique que les bagnards conser-
vaient dans leurs intestins avec leur fortune, ce qui
a semblé à tous ceux que j'ai interrogés nettement
exagéré.
Il a vu des araignées d'une livre, alors que les plus
grosses dépassent difficilement cent grammes.
Dans son souvenir, les barreaux de la réclusion
étaient gros comme des rails de chemin de fer. Je les
ai vus. Ils sont d'une taille nettement plus modeste.
Il a aussi confondu deux oiseaux, l'agami et le rocco,
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ce qui est, paraît-il, aux yeux des spécialistes, impar-


donnable.
Je donne volontiers acte aux puristes de ces petites
erreurs, mais à mes yeux elles n'ont aucune impor-
tance.
Ce qui m'intéressait surtout, c'était une vérité plus
profonde : oui ou non, Papillon est-il le héros qu'il a
complaisamment décrit dans son livre ? Ou s'est-il
contenté de ramasser un certain nombre d'histoires
et de les ficeler ensemble selon un procédé de roman-
cier et de journaliste vieux comme l'imprimerie ?
Pour tenter de le savoir, j'ai remonté le Maroni en
pirogue, de jour et de nuit, comme Papillon raconte
qu'il l'a fait dans son livre. J'ai même été interroger
un ancien bagnard algérien qui tient une épicerie à
Maripasoula, à 300 kilomètres de Saint-Laurent-du-
Maroni, à l'intérieur de la Guyane.
J'ai été aux îles du Salut, à la Royale, à Saint-Joseph,
à l'île du Diable, là d'où Papillon prétend s'être évadé.
J'ai passé au peigne fin Cayenne, Kourou et Saint-
Laurent-du-Maroni, les trois villes principales de
Guyane.
Ensuite, de là, j'ai sauté en Guyane anglaise, à Geor-
getown, première étape de la première évasion de
Papillon.
J'ai continué le périple supposé de Papillon par Tri-
nidad, l'île où il a abordé après sa première évasion
et où vit encore l'avocat anglais qui l'a accueilli, Mon-
sieur Bowen.
Enfin, j'ai été au Venezuela, à Caracas, à Maracaïbo ;
à Maracaïbo où Papillon vendait des chemises au mar-
ché en 1948.
A Caracas où il vit depuis de nombreuses années,
au septième étage d'un immeuble modeste dans le
quartier de Chaquaito.
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De la Guyane que Papillon a connue, il reste peu


de chose. Le bagne a quitté le pays en 1948. Avec son
personnel et ses archives qui se trouvent maintenant
à St-Martin-de-Ré.
Toutes les installations sont abandonnées. Aux îles
du Salut, pourtant, la jungle n'a pas encore fait dis-
paraître les vestiges des bâtiments pénitentiaires. A
l'exception de son toit de tôle, la réclusion est presque
intacte. Sur certaines portes, on distingue encore les
numéros des cellules. Un grand bâtiment qui servait
d'atelier est intact, lui aussi.
Sur l'île Royale, même abandon, sauf en ce qui
concerne la caserne : un Parisien y a installé un res-
taurant pour les touristes qui viennent de Kourou cha-
que dimanche. Le gardien du phare s'est installé dans
les anciens bâtiments de l'administration. Mais le
cimetière des enfants des surveillants est abandonné,
envahi par les herbes et la végétation luxuriante.
Par contre, l'île du Diable, où Dreyfus purgea sa
peine, est retournée à l'état sauvage. On ne peut y
aborder que difficilement, en pirogue. Pour y circuler,
on est obligé de se frayer un chemin au coupe-coupe.
Même abandon au pénitencier de Saint-Laurent-du-
Maroni. Des familles noires se sont installées dans les
bâtiments les moins décrépits, après avoir ôté les bar-
reaux. L'hôpital existe toujours. Une douzaine de vieux
bagnards, atteints de diverses maladies et surtout de
vieillesse, y croupissent doucement en attendant la
mort.
Saint-Laurent est mort, il ressemble à une de ces
villes du Far-West abandonnées après la ruée vers l'or.
Il n'y a pas cinq cents Blancs.
Même impression d'abandon à Cayenne. De vieilles
maisons de bois, des boutiques minuscules, des gens
apathiques. Le bagne est parti, mais rien ne l'a rem-
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SAINT-JOSEPH

Ceci est le plan de la Réclusion. On y voit à la lettre F qu'à chacun


des bâtiments correspond un préau où les condamnés se promenaient
tous les jours entre trente minutes et une heure sans toutefois sortir
du bâtiment proprement dit.
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placé. Quelques « tapouilles » brésiliennes viennent


toutes les semaines échanger du bétail volé contre du
whisky et de la soie. Il n'y a pas de touristes. La res-
ponsable du Syndicat d'Initiative, mal payée, passe le
plus clair de son temps à la chasse aux papillons.
Il y a encore des anciens bagnards. On les appelle
les « vieux Blancs ». Une trentaine environ. Sur les
70 000 condamnés et relégués qui sont passés au bagne
et dont la moitié sont morts. Certains se sont reclassés
et ne veulent plus parler de leur passé. D'autres, au
contraire, brandissent fièrement leurs années de
chiourme, comme un drapeau. Ils se mélangent tous
amicalement aux gardiens qui ont pris leur retraite
sur place ou qui sont encore en exercice à la minus-
cule prison de Cayenne. Comme des anciens combat-
tants ennemis, après un armistice.
C'est dans cet univers crépusculaire que j'ai com-
mencé à rechercher la trace de Papillon.
Et d'abord, de quel Papillon ?
Le problème s'est tout de suite posé. Monsieur Ber-
trand, le photographe local, qui était là du temps du
bagne, m'a immédiatement dit :
— Papillon ? Tiens, c'est amusant. Cela me ferait
bien plaisir de le revoir. Je l'ai photographié lors de
sa libération, après la guerre. Je me souviens très bien.
Il avait un papillon tatoué sur la poitrine... D'ailleurs,
je dois toujours avoir la photo...
Monsieur Bertrand n'a pas retrouvé la photo. Et
après un interrogatoire serré, il s'est avéré que la des-
cription physique de son Papillon ne correspondait pas
entièrement au mien.
Mais il m'a parlé également d'un autre Papillon qui
avait, lui, « Papillon » tatoué en lettres sur le haut
de la poitrine. Encore un homonyme.
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Du coup, les Papillon ont surgi comme des lapins


du chapeau d'un magicien.
Un Papillon tatoué, de 1,70 mètre, qui vivait dans
le camp de relégués de Saint-Jean-du-Maroni. Coupa-
ble de trente cambriolages.
Un autre Papillon, alsacien, venant des Bat' d'Af',
qui était « pousseur » sur le chariot à rails reliant
Saint-Jean à Saint-Laurent.
J'ai même retrouvé la trace d'un certain Georges
Papillon, transporté de première catégorie, évadé le
9 novembre 1922 en direction de Trinidad. Lui, c'était
son vrai nom. Son dossier est resté en Guyane, oublié
par l'administration.
Mais ma plus belle émotion, je l'ai éprouvée à la
léproserie d'Akarouany, où des sœurs de Saint-Vin-
cent-de-Paul soignent une centaine de malades, à
douze kilomètres de Mana, en pleine brousse. On
m'avait dit à la léproserie : « Il y a un vieux Blanc qui
a connu Papillon. »
La léproserie se trouve au bout d'une longue piste
de latérite rouge semée de carcasses d'automobiles.
C'est un alignement de petits bungalows blancs, sage-
ment posés sur un endroit gagné sur la forêt, avec au
fond, les bâtiments où logent les sœurs. Lorsque je
suis arrivé, il pleuvait à torrents, une de ces pluies
tropicales qui vous trempent en dix secondes.
J'ai arrêté la voiture devant les premiers bungalows.
Un homme est sorti sur le pas de sa porte et m'a
regardé curieusement. Un petit vieux tout ratatiné,
torse nu, vêtu d'un vieux short rapiécé et, bizarre-
ment, de chaussettes dans des nu-pieds.
— Je cherche Célestin Dubus, lui ai-je demandé.
Il m'a regardé, franchement étonné :
— Mais c'est moi !
Ravi de voir un étranger —Akarouany est à l'écart
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de la piste Saint-Laurent-Mana et personne n'y va


jamais —, il m'a fait entrer « chez lui », dans la pièce
minuscule où il dort et où il vit. Les sœurs pourvoient
à sa nourriture et à son logement et il gagne son argent
de poche en attrapant les immenses papillons bleus
qui pullulent dans la forêt guyanaise.
Les chaussettes blanches cachent ses lésions qui ont,
en partie, dévoré ses pieds.
Il a 67 ans. Il est allé au bagne en 1928 et en est
sorti en 1936. Tombé malade, on ne l'a pas laissé reve-
nir en France et il s'est résolu à finir ses jours en
Guyane. Je lui ai posé l'éternelle question : « Avez-
vous connu Papillon ? »
Sa réponse a été immédiate :
— Papillon ? Mais il s'est pendu en 1959...
J'ai eu un choc au cœur, mais il ne s'agissait pas
du même Papillon. Celui-là était, paraît-il, un fanfaron.
Dubus n'a jamais entendu parler de mon Papillon à
moi.
Je suis parti d'Akarouany avec deux papillons
empaillés, mais guère plus avancé dans mon enquête.
Célestin Dubus m'a regardé m'éloigner devant son
bungalow, un peu triste. Il n'est pas sûr de revoir quel-
qu'un de France avant de mourir.
On m'avait parlé d'un certain Bébert, ex-bagnard,
devenu ouvrier agricole, sans domicile fixe.
J'ai traqué Bébert de Saint-Laurent-du-Maroni à
Cayenne, m'arrêtant dans chaque village, car il voyage
exclusivement à pied, s'arrêtant pour travailler deux
ou trois jours, ensuite prendre une bonne cuite et
repartir. AMana, il venait de partir, après avoir dormi
deux jours chez un Guyanais noir où il a ses habitudes.
Je l'ai finalement retrouvé à Irakoubo, un gros village,
à mi-chemin entre Saint-Laurent et Kourou. C'était la
fête annuelle du village et Bébert, après avoir travaillé
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deux jours à la cueillette de la canne à sucre pour


le compte du maire d'Irakoubo, était en train de boire
consciencieusement son salaire.
Bébert est un petit vieux complètement édenté, aux
cheveux blancs, très prolixe, avec une gibecière pleine
de papillons empaillés, qu'il vend aux boutiques de
Cayenne. Bien entendu, il m'a parlé du bagne. Mais
dès que j'ai cité le nom de Papillon, il s'est fermé et
il m'a jeté :
— Papillon, c'était un « porte-clés ».
Il n'a pas voulu en dire plus, ni m'expliquer pour-
quoi il portait cette accusation contre son ancien core-
ligionnaire. En effet, dans le langage du bagne, être
« porte-clés » signifiait remplir les fonctions d'auxi-
liaire des gardiens. Les « porte-clés » étaient un peu
ce qu'étaient les « kapo » dans les camps de concen-
tration, c'est-à-dire des détenus ayant la confiance de
leurs gardiens et bénéficiant évidemment de beaucoup
d'avantages. Mais ils étaient généralement méprisés et
détestés par les autres bagnards.
Je n'ai rien pu tirer de plus de Bébert et je le
regrette. Je dois dire qu'il est le seul parmi tous ceux
quej'ai interrogés à avoir porté cette accusation contre
Papillon.
ACayenne, j'ai rôdé dans la rue de la Cathédrale,
là où se retrouvent les « vieux Blancs ». En vain. Les
rares que j'y ai rencontrés sont des épaves ayant perdu
toute mémoire ou, au contraire, des malins ayant
entendu parler de Papillon, prêts à toutes les affabula-
tions pour gagner un peu d'argent.
Puis, par hasard, on m'a parlé de Monsieur Doro-
thée.
— Si vous arrivez à lui parler, me dit-on, il sait des
tas de choses. C'est un ancien surveillant-chef qui a
liquidé administrativement le bagne. Il a connu beau-
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coup de gens. Il habite un peu au-dessus de la ville,


à la cité Castor.
Je suis parti à la recherche de Monsieur Dorothée.
La cité Castor est une sorte de HLMtropical. Je n'eus
aucun mal à y découvrir Monsieur Dorothée. C'est un
grand Noir d'environ 70 ans, qui vit paisiblement de
sa retraite. Malheureusement, j'ai eu le tort de ne pas
le questionner immédiatement. En effet, tous les
matins, il part de chez lui à 7 heures, en bicyclette.
Il descend d'une traite jusqu'à la place des Palmiers,
dans le centre de Cayenne, s'asseoit et commande son
premier rhum de la journée.
Dès 7 heures et quart, Monsieur Dorothée est perdu
pour toute forme de conversation. L'essentiel de sa
journée consiste à remonter lentement jusqu'à la cité
Castor, en ponctuant son trajet de haltes dans les prin-
cipaux cafés de Cayenne.
Aussi, j'ai dû renoncer au témoignage de Monsieur
Dorothée qui, dans les vapeurs du tafia, s'est souvenu
vaguement d'avoir connu, non pas un, mais trois ou
quatre « Papillon ».
Heureusement, j'ai retrouvé en Guyane d'autres
témoins, plus dignes de foi, mais j'y reviendrai.
On m'avait conseillé d'aller à Kourou voir un ex-
bagnard qui a réussi : Raymond Vaudet. Qui, paraît-il,
avait connu Henri Charrière. Aussi, je me suis arrêté
à Kourou. Jadis, ce n'était qu'un village doté d'un péni-
tencier, juste en face des îles du Salut, au bord de la
mer, à l'embouchure de la rivière Kourou. C'est main-
tenant le cœur de la Guyane, à cause de la base spa-
tiale. Trois ou quatre mille techniciens y vivent dans
une sorte de Sarcelles tropicalisé, au bord d'une mer
limoneuse et jaunâtre, dans des clapiers de béton
appelés dans le jargon administratif « concentrations
verticales » ou « concentrations horizontales »! C'est
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dans ce dédale de cubes gris que j'ai trouvé le café de


Raymond Vaudet. C'est un établissement prospère qui
ne désemplit pas. Raymond Vaudet, en casquette blan-
che à la Marius, gourmande sans cesse deux serveuses
guyanaises placides. Il parle de Papillon avec un
mélange de jalousie et d'obséquiosité.
Lui aussi s'est évadé. Six mille kilomètres de cavale.
Jusqu'en Floride. Lui aussi a écrit un livre. Qui n'a
pas eu le succès de « Papillon ». Tant s'en faut. Mal-
heureusement, il n'a jamais connu Papillon au bagne,
car Raymond Vaudet n'y est resté que six mois.
Il semble pourtant en avoir conservé un souvenir
ému. Chaque fois qu'il va à Saint-Laurent-du-Maroni,
il se rend au camp de la Transportation et va jeter
un coup d'œil à la cellule où il a passé quelques mois !
Lorsque Papillon est venu en Guyane, durant l'été
1969, Raymond Vaudet l'a accueilli à bras ouverts. Ils
se sont dédicacé leurs livres respectifs avec émotion.
Ce qui n'empêche pas Raymond Vaudet, quand je le
rencontre, de mettre sérieusement en doute la véra-
cité de l'œuvre de son ex-collègue. Malheureusement
la plupart de ses critiques ne sont que des opinions
personnelles, dont je préfère ne pas tenir compte. C'est
pourtant lui qui me donnera l'adresse de Charles Hut
et de Titin Girard, anciens bagnards vivant à Saint-
Laurent-du-Maroni.
De son témoignage, je ne retiendrai qu'une chose.
Cela concerne la fameuse cavale de l'île du Diable, le
morceau de bravoure de « Papillon ». Et c'est la pre-
mière lézarde au récit !
—Je n'ai pas quitté la Guyane depuis mon arrivée
au bagne, m'a dit Raymond Vaudet. Si Papillon avait
réussi une évasion aussi spectaculaire que celle qu'il
décrit, en s'enfuyant sur des sacs de coco de l'île du
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Diable, toute la Guyane en aurait parlé. Or, je n'ai


jamais entendu la moindre allusion à une telle évasion.
A aucun moment.
En plus, ici à Kourou, nous sommes exactement à
quinze kilomètres des Iles. Quand même bien placés
pour entendre parler d'une évasion.
Aussi, je suis sûr que Papillon ne s'est jamais évadé
de l'île du Diable, ni d'aucune des îles du Salut. Les
rares qui l'ont fait, tout le monde l'a su. »
Effectivement, la Guyane est un petit pays où il ne
se passe pas grand-chose. Du temps du bagne, lorsqu'il
y avait une évasion, le nom de l'évadé, ainsi que les
circonstances de l'évasion, étaient communiqués à
toutes les gendarmeries du pays, qui promettaient
alors une prime de 10 francs par évadé aux « chas-
seurs de têtes ». Ceux-ci, des bagnards libérés,
astreints à la liberté surveillée en Guyane, survivaient
en rattrapant les évadés. Haïs et méprisés de tous.
Mais la Guyane n'était pas un pays pour enfants de
chœur.
Des durs, il en est resté quelques-uns. Comme Titin
Girard.
C'est à Saint-Laurent-du-Maroni que j'ai enfin
trouvé un témoin intéressant, quelqu'un qui ait connu
Papillon autrement que par des ragots ou la tradition
orale du bagne.
En face de l'hôpital attenant au pénitencier, tou-
jours en activité, il y a une épicerie tenue par une
Guyanaise opulente. Une échoppe sombre, où l'on vend
un peu de tout, de la quincaillerie au lait en boîte.
Elle est mariée avec un ancien bagnard, Titin Girard.
Et Titin, lui, a connu Papillon.
Il l'a même revu lorsque Charrière est revenu l'été
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dernier à Saint-Laurent-du-Maroni. Ils ont bavardé


ensemble.
Contrairement à la plupart des bagnards rencontrés
qui semblaient nourrir une violente antipathie envers
Charrière du fait de ses succès littéraires, Titin m'en
a parlé assez objectivement et semble vraiment l'avoir
bien connu.
Titin a dû être très beau. Il y a au mur un portrait
de lui à l'époque où il faisait tourner la tête des jeunes
Guyanaises, en dépit de son habit rayé de forçat.
Aujourd'hui, trapu et rigolard, il a encore du charme.
C'est un vieux dur aux yeux clairs, un malin qui parle
peu et qui, contrairement à tous les bagnards —y
compris Papillon —ne prétend pas avoir été condamné
injustement. Il m'a avoué :
—Moi, j'ai fait de tout. J'ai trafiqué de la drogue,
des femmes. J'ai été «maq », et je n'ai aucune raison
de m'en cacher.
« Je suis arrivé avec Seznec au bagne, c'est-à-dire
bien avant Papillon. J'étais condamné pour meurtre.
Je me suis évadé au Venezuela peu après, en 1930.
Nous avons été repris et nous sommes revenus qua-
tre-vingt-deux d'un coup.
Bien entendu, j'ai lu tout le livre de Papillon et si
je suis d'accord avec la description qu'il fait du bagne,
je ne suis pas d'accord avec de nombreux points de
son livre.
D'abord, Papillon n'a jamais été tenancier de jeux,
comme il le prétend, aux Iles. Je suis payé pour le
savoir. J'étais moi-même tenancier de jeux et personne
ne considérait Papillon comme un dur. C'était un gar-
çon gentil, serviable, qui faisait tout pour se faire
bien voir des gardiens. Jamais il ne se mettait en avant
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et on avait presque l'impression qu'il n'appartenait pas


au milieu.
Lorsqu'il dit qu'il gardait l'argent de certains déte-
nus, c'est absolument faux. Ce n'était pas un homme
d'un poids suffisant pour qu'on lui confie une telle
responsabilité.
Il décrit aussi une révolte de détenus dans laquelle
il aurait eu un rôle modérateur et aurait servi d'inter-
médiaire entre les bagnards et l'administration péni-
tentiaire ; et même dicté des ordres au commandant
des îles du Salut. Cela aussi sort de son imagination.
Or, il n'a pas assisté à cet événement. Je le sais, j'y
étais.
Il décrit dans son livre le meurtre de Bébert Cellier
— qu'il appelle Tellier —, un autre forçat, qu'il aurait
tué d'un coup de couteau en 1936. Or cela aussi est
impossible. Bébert Tellier était parti en cavale en 35
et je l'ai vu bel et bien vivant à Trinidad.
D'ailleurs, la vie au bagne de Papillon a été très
calme. A Saint-Laurent-du-Maroni, il travaillait à
l'infirmerie. C'est dire qu'il n'était pas fiché comme
individu dangereux. Lorsqu'il a été transféré aux Iles
à la suite de son évasion manquée, on l'a nommé là-bas
infirmier. Il continuait donc à être bien vu des surveil-
lants.
Il y a aussi une histoire qu'il a considérablement
modifiée. C'est celle des fourmis rouges. Papillon pré-
tend que deux détenus avaient fait mourir un Arabe
« porte-clés » en l'attachant vivant sur un nid de four-
mis rouges, et qu'ils avaient été condamnés à mort
pour ça.
En réalité, le seul fait qui s'est passé — j'en ai été
témoin —, c'est qu'un jour dans le camp de la forêt
de l'Inini, des surveillants ont essayé de faire travailler
un détenu qui s'y refusait en le maintenant quelques
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minutes sur un nid de fourmis rouges. Mais personne


n'a jamais été attaché jusqu'à ce que mort s'ensuive.
Au sujet de la réclusion aussi, Papillon commet des
inexactitudes. On ne pouvait pas être condamné à huit
ans de réclusion : le maximum était cinq ans. Je le
sais, car moi aussi je suis passé devant le Tribunal
Maritime Spécial et j'ai fait six mois de réclusion,.
Quand Papillon dit qu'il est resté plusieurs mois sans
sortir de sa cellule, c'est faux également. Nous avions
droit à une heure par jour dans la cour. Et cela était
valable pour tous les réclusionnaires.
Quant à sa cavale de l'île du Diable, je n'y crois
absolument pas. J'ai suffisamment d'amis dans le
camp des Corses et des Marseillais qui étaient les deux
bandes fréquentées par Papillon, pour qu'une telle his-
toire me soit revenue aux oreilles si elle était vraie.
Pour revenir au meurtre de Bébert Tellier, je vais
vous raconter exactement ce qui s'est passé.
Il y avait à l'île Royale deux frères qui s'appelaient
Barbolosi. Ils se sont pris de querelle avec un certain
Escudero. Il y a eu une bagarre et c'est au cours de
cette bagarre que Escudero a été tué, d'un coup de
couteau, dans les circonstances exactes que s'attribue
Papillon à la page 361 de son livre.
Papillon a également inventé une histoire au sujet
de l'ex-horloger Badin, l'homme qui aurait été sorti de
sa cellule et amené sous le couperet par erreur pour
être guillotiné, alors que ce n'était pas encore son tour.
Badin n'a jamais été condamné à mort et n'a pas
été exécuté. On a seulement ouvert la porte de sa cel-
lule par erreur, un matin d'exécution et le gardien l'a
refermée aussitôt. D'ailleurs, vous pouvez le lui
demander, il habite deux rues plus loin.
Quant au récit de l'évasion au Venezuela de Papil-
lon, c'est tout simplement ma cavale qu'il a racontée
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et que, moi, je lui avais racontée. Moi aussi, j'ai été


au bagne d'Eldorado au Venezuela. Nous étions atta-
chés deux par deux, avec un boulet de douze kilos au
bout d'une chaîne, et j'ai failli y mourir.
D'ailleurs, Papillon a très mauvaise mémoire. Lors-
qu'il est revenu à Saint-Laurent-du-Maroni, il y a
quelques mois, et où je l'ai vu, il ne se souvenait même
pas de l'emplacement exact du débarcadère du péni-
tencier. On a bavardé de son livre et c'est là qu'il m'a
avoué : « J'ai fait ça pour du pognon. »
Après ma visite à Titin Girard qui vit paisiblement
entre sa femme et ses trois filles, j'ai été retrouver
Badin, l'horloger dont parle Papillon. Il vit à une cen-
taine de mètres de là, juste en face du bagne, dans
une masure de bois, au milieu de Noirs guyanais. Il
est le seul Blanc à habiter le quartier. Son logement
se compose de deux pièces minuscules, dont l'une tient
lieu d'atelier ; car il continue à exercer son métier.
Il y a une vingtaine de vieux réveils rouillés sur les
étagères, une table et deux chaises défoncées. Badin
était étendu sur un lit de fer, dans ce qui lui sert à
la fois d'arrière-boutique et de chambre, en train de
lire des bandes dessinées. Je lui ai dit qui j'étais. Je
lui ai demandé de me parler du bagne. Il m'a refusé.
Il m'a dit :
— Foutez le camp... Je ne veux parler à personne.
Il vit là depuis des années dans l'ombre du péniten-
cier, subsistant ou réparant les montres et les réveils.
Il mourra de faim bientôt, car il n'y voit presque plus.
Il ne peut presque plus travailler. Il aurait certaine-
ment pu refaire sa vie ailleurs, en Guyane britannique
ou au Surinam. Mais on dirait que beaucoup de
bagnards ont peur de quitter la Guyane, où ils restent
attachés par des liens étranges à leur bagne.
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PEUT-ON CROIRE PAPILLON ?

Me Albert Naud, qui fut l'avocat de Papillon, a dit


de lui à l'occasion d'une interview :
— Henri Charrière est un bloc de sincérité et d'au-
thenticité.
Papillon lui-même, interrogé par le journaliste Jac-
ques-Laurent Bost, du Nouvel Observateur, a précisé
le 19 mai 1969 :
— Il n'y a rien d'arrangé dans mon livre. Tout est
rigoureusement vrai. Si j'ai menti, c'est par omission ;
il y a la moitié de caché dans mon livre. Des trucs qui
se sont passés, des trucs que j'ai faits moi-même, et
que je n'avais pas envie de raconter. Des trucs qui
te feraient trembler.
Jacques-Laurent Bost ajoute que Papillon lui a juré
sur tout ce qu'il avait de plus sacré qu'il n'avait pas
inventé une virgule, qu'il n'avait rien embelli.
Henri Charrière, donc, fait profession de sincérité.
Quant à l'authenticité, elle semble garantie par deux
déclarations qu'il fit à des journalistes.
D'abord, à Serge Lafaurie, du Nouvel Observateur,
le 19 mai :
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— J'ai une si bonne mémoire, affirma-t-il, que


vingt-huit ans après, je peux compter le nombre d'étoi-
les qu'il y avait dans le ciel la nuit de mon évasion
de l'île du Diable.
Papillon réaffirme qu'il a une fantastique mémoire
dans l'interview qu'il accorde à l'Express du 30 juin
1969. Je le cite :
L'Express : Et après tant d'années, vos souvenirs
étaient aussi vivaces, ou vous avez brodé ?
H. Charrière : Ecoutez, ça paraît rare, mais ma
mémoire, la partie de mon cerveau qui fonctionne pour
ma mémoire, je crois qu'elle est hypertrophiée. En rai-
son de ce que je suis resté des mois et des années
seul avec moi-même. Sans m'en apercevoir, je faisais
fonctionner ma mémoire sur les moindres détails de
ma jeunesse, de mon enfance et de tout ce qui avait
été ma vie avant de disparaître dans ce fameux chemin
de la pourriture où m'avaient envoyé douze « froma-
ges » aux Assises.
C'est clair. Papillon ne ment pas, et aidé par une
mémoire fabuleuse, il est à même de remonter dans
son passé, sans erreur. Lui-même, quand je l'ai ren-
contré chez lui, à Caracas, m'a affirmé qu'il avait une
mémoire au-dessus de la moyenne. Pour le prouver, il
m'a récité par cœur l'article du code militaire qui lui
avait permis de se faire réformer après sa mutilation
volontaire, aux bataillons disciplinaires.
Et pourtant, sans même parler de son récit, Papil-
lon s'est fait prendre deux fois en flagrant délit d'affa-
bulation.
Je reviens à son interview de l'Express :
— H. Charrière (page 85) : Bien sûr. J'étais avec
mon grand-père à Avignon. C'était lui le fondateur de
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la maison Thierry et Sigrand. Du coup, il est si content


qu'il m'amène dans une des succursales qui apparte-
naient à la société dont il avait été élu président et
il m'achète un manteau en poil de chameau. Quand
on arrive à la maison, mon père m'embrasse ; on fait
une petite fête. On dit : enfin, Henri va pouvoir vivre
tranquille.
J'avais vingt ans.
Voilà une anecdote précise, bien dans le ton de celles
qui ont fait le succès de « Papillon ».
Seulement, voilà. Le 28 juillet — soit une semaine
plus tard —; l'Express publie un démenti formel de
M. G. de Saint-Anthost. La famille de Papillon n'a
jamais eu rien à voir de près ou de loin avec « Thierry
et Sigrand ». Papillon, à son tour, fait amende hono-
rable, reconnaît qu'il a menti. « Cela est arrivé en 1925,
j'avais 20 ans... »
On passe. Pourtant, dans la même interview de l'Ex-
press, Henri Charrière parle d'un événement qui n'est
pas arrivé en 1925, mais en 1967. Même sans une
mémoire hypertrophiée, il n'a pas pu oublier.
Je cite :
L'Express : Vous avez soixante-trois ans, vous avez
passé treize ans de votre vie au bagne, et vous voilà
soudain l'auteur d'un best-seller de 500 pages. Com-
ment avez-vous eu l'idée de l'écrire ?
H. Charrière : C'est une grosse perte dans une
affaire après le tremblement de terre de Caracas qui
m'y a poussé. J'avais tout perdu et en plus, ce com-
merce avait été installé à base de crédit et de
confiance : je devais une trentaine de millions, parce
qu'on m'avait installé des meubles de luxe d'un dan-
cing.
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L'Express : De quel genre d'établissement s'agissait-


il ?
H. Charrière : D'un restaurant de luxe, d'un dan-
cing.
L'Express : Et d'autre chose aussi ?
H. Charrière : Non. J'avais des ambassadeurs, j'avais
tout le monde. C'était un restaurant tout ce qu'il y
a d'honnête. Ecoutez, j'ai une femme formidable ; c'est
certainement ma meilleure amie, mais elle a une
conception très pure, elle n'admet pas la prostitution,
ni qu'on en vive directement ou indirectement. J'ai
toujours été obligé de chercher des trucs qu'elle
accepte ; c'est pour cela, plus que par inclination per-
sonnelle, que j'ai toujours eu des négoces sains. D'au-
tre part, en raison que les Vénézuéliens m'ont accepté
malgré un casier judiciaire assez chargé, je dois, dans
le pays où je vis, non seulement respecter ce pays,
mais être deux fois honnête pour être reconnu comme
honnête.
L'Express : Vous avez toujours ce restaurant, non ?
H. Charrière : Non, non, j'en ai monté un autre
depuis. Mais à ce moment-là, je me suis trouvé dans
une situation délicate. Il n'y avait qu'une solution :
vendre une action que j'avais dans un club, mon
bateau de plaisance, pour payer. Mais ça ne suffisait
pas.
Voilà. Malheureusement pour Henri Charrière, la
vérité est un peu différente. J'ai été à Caracas et je
me suis livré à une enquête sérieuse sur lui.
Le tremblement de terre auquel Henri Charrière fait
allusion s'est produit le 29 juillet 1967.
Il a effectivement touché durement une partie de
la ville, mais uniquement dans trois quartiers bien dis-
tincts : Altamira, quartier résidentiel à l'est de la ville,
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où il ne se trouve aucun établissement du genre décrit


par Papillon, Palos Grandès et la Guaira, à une dizaine
de kilomètres en contrebas de la ville, en bordure de
l'océan.
En effet, Caracas est situé dans une vallée à neuf
cent mètres d'altitude et relié à la mer par une auto-
route.
ALa Guaira, donc, deux clubs furent détruits : le
Bahia et la Gucira. L'hôtel Sheraton fut également
sérieusement endommagé. Aucun de ces établisse-
ments n'appartenait à Henri Charrière, ni directement,
ni indirectement.
Aucunimmeuble n'a été détruit dans le centre, là
où Henri Charrière a possédé successivement plusieurs
établissements.
Ensuite, en 1967, Henri Charrière ne possédait en
tout et pour tout que deux participations dans des
affaires :
—50 %du restaurant « MiVaca y yo », situé dans
le quartier de Las Mercedes, sur l'ancienne route de
Baruta, derrière l'hôtel Tamanaco. Ce restaurant-dis-
cothèque-boîte de nuit existe toujours et n'a jamais
été touché par le tremblement de terre.
—50% d'un bar à entraîneuses, le « Scotch-Club »,
situé en face de l'immeuble où habite Papillon. Ce der-
nier s'est associé avec un certain René Cerceau —un
Français —pour acheter cet établissement en 1965,
soit deux ans avant le tremblement de terre. Le
« Scotch-Club »n'a jamais eu la moindre égratignure
du fait d'une secousse sismique et existe toujours.
Papillon l'a revendu en octobre 1969. Je précise que
c'est lui-même, qui m'a donné les dates d'achat et de
vente de cet établissement, en présence de son associé
et de la femme de ce dernier.
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Il n'a donc pu être ruiné par le tremblement de terre


de 1967.
Par contre, la touchante histoire de l'ancien bagnard
ayant fait fortune, ruiné par un cataclysme naturel,
a réellement existé à Caracas. Seulement, il ne s'agis-
sait pas d'Henri Charrière.
C'est une histoire que tout Caracas connaît. Qui est
arrivée à un personnage que Papillon a bien connu
à son arrivée au Venezuela : Gilbert Pommier, qui se
faisait appeler Pierre-René Deloffre, ancien bagnard lui
aussi. Ce casseur, condamné à dix ans de travaux for-
cés, évadé du bagne après une « cavale » assez fabu-
leuse, avait fini par s'installer à Caracas et y faire for-
tune tout à fait honnêtement, en y montant un res-
taurant-boîte de nuit, le « Longchamp-Trocadéro ». Il
y recevait les ministres et le gratin de Caracas, et c'est
ce qui le perdit. Un jour, il eut une altercation avec
un client et l'expulsa de son établissement. Malheu-
reusement pour lui, ce client s'appelait Romulo Bet-
tencourt.
Deux mois plus tard, en 1945, Romulo Bettencourt
prenait le pouvoir au milieu d'une révolution san-
glante. La première chose que firent les vainqueurs
fut de piller consciencieusement le « Longchamp-Tro-
cadéro ». Bien entendu, lorsque Deloffre se présenta
pour réclamer des dommages, on lui fit comprendre
qu'il devait s'estimer heureux d'être encore vivant...
Dans l'affaire, il perdait deux millions de bolivars. Il
était ruiné.
C'est ainsi qu'un peu plus tard, il travailla avec
Papillon pour la police politique du dictateur Perez
Gimenez.
Cette histoire est intéressante, car symptomatique
de la façon dont Henri Charrière accommode la vérité.
Comme tous les mythomanes, il part d'un fait véridi-
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que, survenu à une tierce personne et se l'attribue avec


un luxe de détails qui empêchent le dou e dans l'esprit
d'un interlocuteur crédule.
C'est un procédé que l'on retrouve fréquemment
dans son livre.
Je dois dire également qu'une étude un peu appro-
fondie de sa mémoire « hypertrophiée » laisse scep-
tique.
Effectivement, lorsque les reporters de Paris-Match
l'ont amené aux îles du Salut, Papillon s'est retrouvé
très facilement, comme s'il avait quitté les lieux la
veille, dans les trois Iles.
Mais comment expliquer qu'avec une mémoire aussi
fabuleuse, il ne se rappelle même pas son numéro
matricule au bagne ? En effet, il a toujours prétendu,
auprès de tous ceux qui l'interrogeaient, qu'il ne s'en
souvenait plus. Ce qui paraît pour le moins étrange,
car tous ceux qui ont été des « numéros » une fois
dans leur vie, s'en souviennent, même des années plus
tard.
Comment expliquer également une erreur aussi
grossière que celle qu'il commet à la page 56 de son
livre, en situant Saint-Laurent-du-Maroni à 120 kilo-
mètres de la mer, alors que cette ville est à 25 kilo-
mètres de l'océan. Comme si on mettait Pau à la place
de Bayonne.
Ou en disant (même page) que les îles du Salut se
trouvent à 500 kilomètres de Saint-Laurent, alors
qu'elles n'en sont éloignées que de 190 kilomètres.
Comme si on situait Nancy à la place de Paris.
Puisque Papillon porte sa mémoire en écharpe,
pourquoi dit-il, à la page 58, que le fronton du péni-
tencier porte la mention « Pénitencier de Saint-Lau-
rent-du-Maroni. Capacité 3000 hommes. »
La véritable inscription était : « Camp de la Trans-
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portation. » Tous les bagnards qui y sont passés s'en


souviennent. Je les ai interrogés. Il faudrait admettre
que Papillon n'y a jamais été. Mais justement, c'est
un des endroits où on est certain qu'il a été. Donc, il
a tout simplement oublié.
Trou de mémoire.
Ce chapitre n'a d'autre but que de montrer que
Papillon n'est pas toujours le bloc d'authenticité et de
sincérité décrit par Me Naud. Et qu'il y a de sérieuses
fêlures dans le bloc. Ce qui explique le livre « Papil-
lon ».
Mais avant de me pencher sur ses exploits, j'ai cher-
ché à savoir qui était Papillon. Comment un fils d'ins-
tituteur d'un petit village de l'Ariège était devenu un
truand. Car la jeunesse de Papillon éclaire la suite de
ses aventures. Torturé entre son appartenance au
milieu et son origine honnête, il a cherché à recréer
un monde où il serait un héros, admiré et respecté.
Je crois que c'est l'origine assez touchante de sa
mythomanie.
Et la raison profonde pour laquelle il a écrit son
livre de cette façon.
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Un autre Papillon s'est évadé... Mais c'était le 9 novembre 1922 et il s'appelait


vraiment PAPILLON.
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Il était courant que les forçats parviennent jusqu'à Trinidad. Les Anglais les
réexpédiaient parfois en Guyane, comme on peut le voir d'après cet ordre
d'expulsion concernant onze forçats.
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Pour Maître Albert NAUD, avocat au barreau de Paris, grand admi-


rateur de « PAPILLON », Henri Charrière est «un bloc de sincérité et
d'authenticité. »
Par contre, aux yeux de Georges Arnaud, l'auteur du «Salaire de la peur »,
qui a connu Henri Charrière au Venezuéla après la guerre, «ce mec
Papillon, c'est un menteur, mais un menteur monotone qui ne dispose
que d'une seule version pour chaque histoire incroyable mais pas vraie
qu'il s'attribue. »
Laquelle est la vraie, de ces deux opinions diamétralement opposées ?
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