Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
L’intelligence arti cielle (IA) est un domaine de recherche en pleine expansion et promis à un grand avenir. Ses
applications, qui concernent toutes les activités humaines, permettent notamment d’améliorer la qualité des
soins. L’IA est en e et au cœur de la médecine du futur, avec les opérations assistées, le suivi des patients à
distance, les prothèses intelligentes, les traitements personnalisés grâce au recoupement d’un nombre croissant
de données (big data), etc.
Les chercheurs développent pour cela des approches et techniques multiples, du traitement des langues et de la
construction d’ontologies, à la fouille de données et à l’apprentissage automatique. Il est toutefois indispensable
que le grand public comprenne comment fonctionnent ces systèmes pour savoir ce qu’ils font et surtout ce qu’ils
ne font pas. Le robot omniscient, qui pour beaucoup symbolise l’IA, n’est pas pour demain !
Comprendre l’IA
L’intelligence arti cielle est née dans les années 1950 avec l’objectif de faire produire des tâches
humaines par des machines mimant l’activité du cerveau. Face aux déboires des premières heures,
deux courants se sont constitués.
Les tenants de l’intelligence arti cielle dite forte visent à concevoir une machine capable de
raisonner comme l’humain, avec le risque supposé de générer une machine supérieure à l’homme
et dotée d’une conscience propre. Cette voie de recherche est toujours explorée aujourd’hui, même si
de nombreux chercheurs en IA estiment qu’atteindre un tel objectif est impossible.
D’un autre côté, les tenants de l’intelligence arti cielle dite faible mettent en œuvre toutes les
technologies disponibles pour concevoir des machines capables d’aider les humains dans leurs
tâches. Ce champ de recherche mobilise de nombreuses disciplines, de l’informatique aux sciences
cognitives en passant par les mathématiques, sans oublier les connaissances spécialisées des
domaines auxquels on souhaite l’appliquer. Cette approche - dont il sera question tout au long de ce
dossier - génère tous les systèmes spécialisés et performants qui peuplent aujourd’hui notre
environnement : créer des pro ls d'amis possibles sur les réseaux sociaux, identi er des dates dans
les textes pour classer des dépêches d’agence, aider le médecin à prendre des décisions, etc. Ces
systèmes, de complexité très variable, ont en commun d’être limités dans leurs capacités d’adaptation
: ils doivent être manuellement adaptés pour accomplir d’autres tâches que celles pour lesquelles ils
ont été initialement conçus.
https://www.inserm.fr/information-en-sante/dossiers-information/intelligence-artificielle-et-sante 1/8
04/11/2018 Intelligence artificielle et santé | Inserm - La science pour la santé
Dans les années 1980, cette approche, dite symbolique, a permis le développement d’outils capables
de reproduire les mécanismes cognitifs d'un expert. C’est pourquoi on les a baptisés « systèmes
experts ». Les plus célèbres, Mycin (identi cation d’infections bactériennes) ou Sphinx (détection
d’ictères), s’appuient sur l’ensemble des connaissances médicales dans un domaine donné et une
formalisation des raisonnements des spécialistes qui lient ces connaissances entre elles pour aboutir à
un diagnostic.
Les systèmes actuels, quali és d’aide à la décision, de gestion des connaissances ou d’e-santé, sont
plus sophistiqués. Ils béné cient de meilleurs modèles de raisonnement ainsi que de meilleures
techniques de description des connaissances médicales, des patients et des actes médicaux. La
mécanique algorithmique est globalement la même, mais les langages de description sont plus
e caces et les machines plus puissantes. Ils ne cherchent plus à remplacer le médecin, mais à
l’épauler dans un raisonnement fondé sur les connaissances médicales de sa spécialité.
La plupart des systèmes actuels procèdent par apprentissage automatique, une méthode fondée
sur la représentation mathématique et informatique de neurones biologiques, selon des modalités
plus ou moins complexes. Les algorithmes d’apprentissage profond (deep learning) par exemple,
dont l’usage explose depuis une dizaine d’années, s’inspirent du fonctionnement cérébral : ils simulent
un réseau de neurones organisés en di érentes couches, échangeant les uns avec les autres. La force
de cette approche est que l’algorithme apprend la tâche qui lui a été assignée par "essais et erreurs",
avant de se débrouiller tout seul.
La chirurgie assistée par ordinateur en est sans doute un des versants le plus connu. Elle
permet aujourd’hui d’améliorer la précision des gestes ou d’opérer à distance.
Les prothèses intelligentes visent quant à elles à réparer, voire augmenter le corps
humain : membres ou organes arti ciels (bras, cochlée, cœur, sphincter…), simulateur
cardiaque, etc.
Les robots d’assistance aux personnes, âgées ou fragiles par exemple, représentent un
troisième secteur très médiatisé et en fort développement. Cette robotique de service vise à
imiter le vivant et à interagir avec les humains. Elle soulève de nombreux problèmes
éthiques, portant notamment sur la protection de la vie privée et des données
personnelles, mais aussi sur les conséquences d’un brouillage de la frontière humain-robot.
Une frontière qui peut être vite franchie par l’utilisateur.
Les voies de recherche portent en particulier sur le traitement des données, très hétérogènes, leur
structuration et leur anonymisation, mais aussi sur la conception de systèmes transparents pour
https://www.inserm.fr/information-en-sante/dossiers-information/intelligence-artificielle-et-sante 3/8
04/11/2018 Intelligence artificielle et santé | Inserm - La science pour la santé
l’utilisateur et bien adaptés au contexte d’utilisation.
L’approche numérique peut se prévaloir de grandes performances en médecine, mais elle nécessite
des données parfaitement propres et bien annotées, comme celles utilisées pour la
reconnaissance de mélanomes. Or la plupart des données médicales n’ont pas été recueillies dans
l’objectif que se xe le concepteur de logiciel. Elles posent donc de nombreux problèmes pour leur
exploitation.
La France dispose en particulier d’une des plus grandes bases en santé du monde : son système
national de données médico-administratives, le SNIIRAM (pour Système national d’information
interrégimes de l’Assurance Maladie). Cette base stocke toutes les prescriptions de médicaments, la
description des maladies et les actes hospitaliers. Elle est toutefois délicate à exploiter, car la base a
été créée pour l’analyse économique des prestations de santé et non pour une analyse médicale.
Ainsi, une personne hospitalisée pour un problème respiratoire sera traitée pour ce problème sans
nécessairement faire mention du cancer qui l’a ecte par ailleurs. On relève, dans certains cas, 30%
d’erreurs dans la description des pathologies associées aux malades. Corriger ces erreurs passe par le
croisement des données avec d’autres sources, comme celles correspondant aux médicaments
administrés.
Dans ce cadre, les données personnelles ne sont pas la propriété du patient, ni celle de
l’organisme qui les collecte. Les Français sont usufruitiers de leurs données : ils peuvent en
disposer mais non les vendre. D’autre part, le traitement de ces données est conditionné au
consentement éclairé de la personne concernée. En France, les données de santé sont
anonymisées pour être accessibles par les chercheurs, uniquement sur des projets
autorisés.
Autre problème soulevé par l’exploitation des données médicales, 80% des informations sur les
patients sont textuelles (comptes rendus d’hospitalisation ou rapports d’imagerie par exemple). Il s’agit
alors de mettre en œuvre des logiciels de traitement automatique des langues pour analyser ces
textes et en extraire des informations sur le patient (fouille de données).
Ces logiciels peuvent mobiliser une approche symbolique ou des approches fondées sur les réseaux
de neurones. Les algorithmes d’apprentissage non supervisé (sans apprentissage préalable sur des
échantillons) suscitent des espoirs dans ce domaine : ils permettent en e et de recouper rapidement
un très grand nombre de données a n d’établir des structures cachées et de déterminer des
catégories d’intérêt pour la tâche visée. On espère de cette façon pouvoir mieux identi er des facteurs
de risques, personnaliser les traitements et en véri er l’e cacité, prédire les épidémies ou améliorer
la pharmacovigilance.
Ces algorithmes peuvent être très performants mais nécessitent encore beaucoup de recherches
avant de pouvoir être utilisés de façon able.
https://www.inserm.fr/information-en-sante/dossiers-information/intelligence-artificielle-et-sante 4/8
Fournir l’information au bon moment et au bon niveau
04/11/2018 Intelligence artificielle et santé | Inserm - La science pour la santé
Depuis quelques années, des projets plus ciblés dans leurs objectifs se concrétisent. Par exemple, en
2010, les chercheurs du LIMICS ont participé à la conception d’un logiciel de traitement automatique
des langues dans le cadre du projet Lerudi (pour Lecture rapide en urgence du dossier informatique du
patient). Ils ont piloté le développement de l’ontologie des urgences qui entre dans la mise au point
d’un prototype de moteur de fouille du dossier médical du patient ou du futur dossier médical partagé
de la CNAM. Destiné aux urgentistes, l’outil doit répondre à leurs besoins, en l’occurrence, porter à
leur connaissance des informations essentielles (comme les prescriptions médicamenteuses qui
permettent d’identi er des pathologies préexistantes) dans les quelques minutes dont ils disposent
pour prendre une décision.
Ontologie convergeant vers un diagnostic d’appendicite dans le cadre du projet Lerudi. Dans le contexte de l’IA symbolique, les connaissances
sur un domaine médical sont organisées dans une ontologie, c’est-à-dire un ensemble structuré de concepts et de leurs relations, qui décrit un
domaine en respectant des principes des langages formels. Une ontologie fournit un modèle de données permettant de raisonner à l’intérieur
du domaine en question.
Par ailleurs, un système d’aide à la décision en analyse d’échographies pour les grossesses extra-
utérines (GEU) développé par le LIMICS et l’hôpital Trousseau, OPPIO, entre en phase de tests en 2019.
Il est soutenu par une ontologie qui fournit un modèle centré sur les signes du domaine, avec les
relations entre les signes des di érents types de grossesse extra-utérine, les structures anatomiques
et les éléments techniques. Ce système permet au médecin de sélectionner un type de GEU et de se
voir proposer les signes pertinents à rechercher et les images de référence associées.
OPPIO : un outil d’aide à la décision en imagerie médicale développé en collaboration avec l'Inserm.
L’interface permet de mieux analyser les images échographiques de grossesses débutantes et
propose des protocoles personnalisés d’aide au diagnostic.
crédits : F Dhombres, unité Inserm 1142/AP-HP, Hôpital Trousseau, service de médecine fœtale/Médecine Sorbonne Université/SATT-Lutech
Les approches numériques s’apparentent en revanche à une boîte noire, incapable de justi er ses
décisions : nul ne sait ce que fait l’algorithme. Comment, dès lors, endosser la responsabilité de la
décision médicale ? Les données d’apprentissage sont en particulier biaisées par les préjugés de
l’époque et ceux des concepteurs. L’algorithme tend donc à reproduire, voire renforcer, ces mêmes
préjugés. Dans le domaine médical, les biais principaux sont dus à la surreprésentation d’une
catégorie de personnes, comme les personnes âgées ou des patients d’origine géographique
particulière.
Des projets tentent de combiner les approches symbolique et d’apprentissage, a n de béné cier
à la fois du raisonnement de l’un et des performances de l’autre. Ainsi, dans le projet Lerudi cité
plus haut, la construction d’ontologies (IA symbolique) est faite à partir d’algorithmes numériques de
fouille de texte.
Autre exemple, l'interprétation d'images médicales pédiatrique est d'une importance majeure pour le
diagnostic, le suivi des patients ou encore la préparation d'une intervention chirurgicale. Il s'agit de
détecter, segmenter et reconnaître des structures anatomiques normales et pathologiques, et d'en
proposer des visualisations 3D. Pour répondre à la di culté de ces tâches, il est important de
combiner les informations numériques extraites des images, donc spéci ques au patient, à des
modèles génériques, représentant les connaissances anatomiques sous la forme de bases de
connaissances, d’ontologies, de graphiques…. C’est en particulier crucial avec les images pédiatriques
qui doivent être acquises sur des durées aussi brèves que possible et qui montrent des structures
souvent de petite taille et de grande variabilité d'un patient à l'autre.
Cette double approche est aussi particulièrement pertinente pour exploiter les données "variées" des
patients (génomiques, cliniques, d’imagerie et d’analyses biologiques) qui seront regroupées sur une
même plateforme dans le cadre du Plan France médecine génomique 2025. L’IA permettra de gérer ce
nombre considérable de données en fournissant des classi cations ou des ontologies de description
des éléments cliniques des patients. L’apprentissage automatique permettra d’identi er des pro ls de
patients tenant compte de toutes ces données. Il sera alors possible de personnaliser les soins et
d’améliorer leur taux de réussite, notamment, dans un premier temps, pour les cancers, les maladies
rares et le diabète.
Par ailleurs, le risque que le médecin abdique devant la machine « qui sait mieux que lui »
est réel. Il peut être amené à endosser une décision qui n’est pas la sienne et découvrir
après coup que la machine s’est trompée. Pour éviter cet écueil, le médecin, seul habilité à
porter un diagnostic, doit pouvoir garder son autonomie face à la machine. Il doit être en
mesure de comprendre le pourquoi et le comment des décisions a chées, et de les
contourner si besoin.
Pour progresser dans cette voie les chercheurs essaient de comprendre le comportement des
neurones et de leurs connexions, a n d’être en mesure de mimer le cerveau. Cette démarche
permettra peut-être un jour de créer des robots imitant l’intelligence humaine. En attendant elle
contribuera à mieux comprendre le fonctionnement de cet organe et à mieux appréhender les causes
de certaines maladies d’origine cérébrale comme Alzheimer, Parkinson ou la maladie de Charcot. C’est
l’objectif qui motive la participation de l’Union européenne, dans le cadre de son initiative phare
Technologies futures et émergentes, au Human brain project. Ce projet vise à construire une
infrastructure informatique de classe mondiale, qui pourra être utilisée par la communauté
scienti que pour simuler le fonctionnement cérébral dans des conditions expérimentales
particulières.
https://www.inserm.fr/information-en-sante/dossiers-information/intelligence-artificielle-et-sante 8/8