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François Geoffroy, Pascal Koeberlé

2018-1-Crédit aux PME : les objectifs commerciaux influencent les


décisions des banquiers

Les points forts

Il existe une relation entre l’octroi de crédits aux PME et les objectifs
commerciaux des banquiers.

Une recherche qualitative confirme ce lien et dévoile les pratiques informelles


pour stopper, retarder, accepter ou accélérer l’octroi de crédits.

Nous apportons une vision pragmatique de l’octroi de financements aux PME


en prenant en compte à la fois le fonctionnement des banques et le
comportement de leurs cadres.

La difficulté à obtenir des financements bancaires est une problématique récurrente


qui touche principalement les PME et cela pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, les PME sont par nature peu transparentes : d’une part, elles ont du mal
à anticiper une gestion globale aussi bien du point de vue commercial que
stratégique, opérationnel et humain ; et d’autre part, elles manquent de visibilité du
fait de leur business plan peu étayé.

Ensuite, la plupart d’entre elles ont une dépendance vis-à-vis d’un client, et de ce fait,
le banquier peut douter de la pérennité financière de l’entreprise.

Enfin, les PME n’ont pas ou peu accès aux marchés financiers ou à
l’autofinancement [1][1]Berger A. N. & Udell G. F. (2002). Small Business Credit….

Cette problématique est le plus souvent appréhendée sous l’angle de l’économie


financière. Dans cette perspective, les banques subissent une situation d’asymétrie
informationnelle car elles connaissent mal le risque des projets présentés et peuvent
par prudence rationner leur offre de financements [2][2]Stiglitz, J. & Weiss, A. (1981).
Credit Rationing in Markets….

Une alternative existe : les banques peuvent adopter un financement relationnel et


s’orienter vers des relations de long terme afin de mieux évaluer le risque [3][3]Bass,
T. & Schrooten, M. (2006). Relationship Banking and SMEs:….

Le financement relationnel est couramment défini comme une démarche de prêt dans
laquelle le banquier produit une information soft à partir de la répétition des
interactions avec l’entreprise-cliente, ses propriétaires, ses clients et ses
fournisseurs [4][4]Berger A. N. & Udell G. F. (2006) ; A More Complete Conceptual…

L’enjeu pour le chargé d’affaires entreprise (CAE) en tant qu’intermédiaire de la


relation, est de mieux mesurer le risque en anticipant l’évolution de la santé financière
et économique de la PME. Pour cette raison, la décision du CAE quant à l’octroi ou
non d’un financement, repose sur une information quantitative mais aussi sur son
jugement plus qualitatif.

L’introduction de paramètres qualitatifs dans la décision crée des marges de


manœuvre pour le CAE. Ces paramètres et leur impact sur le comportement du CAE
et sur l’octroi de crédits ont été peu étudiés.

Existe-t-il d’autres éléments expliquant la décision du CAE dans l’octroi de


financements ?

Le principal intérêt de ce travail est d’apporter une explication différente, plus


gestionnaire, voire sociologique, de l’octroi de crédits aux PME en prenant en compte
à la fois le fonctionnement des banques et le comportement de ses cadres. Nous
prenons appui sur les résultats d’une recherche qualitative, menée par l’un des
auteurs dans une banque française dédiée aux PME, qui montrent l’influence des
objectifs commerciaux dans l’attribution de crédits et identifient des pratiques
informelles associées. En ce sens, cet article constitue l’une des rares recherches à
l’intersection du comportement organisationnel et du management bancaire.

Relation bancaire et octroi de crédits

Les relations bancaires ont évolué. Passant d’une approche formelle et rigide à une
approche informelle et flexible, elles privilégient la confiance, la transmission
d’informations et l’innovation. Les banques appellent cela le financement relationnel.

Le financement relationnel

Le processus d’octroi de crédits

L’étape la plus importante du processus d’octroi de crédits est l’évaluation du dossier.


À ce stade, le chargé d’affaire analyse l’information quantitative (hard) et qualitative
(soft) du dossier pour quantifier le risque du financement [12][12]Berger A. N., Miller
N. H., Petersen M. A., Rajan R. G. & Stein….

L’information quantitative est impersonnelle, objective, basée sur des chiffres tels que
le bilan, le compte de résultat, le tableau de financement, la cotation Banque de
France. Face à cette information, le risque d’une mauvaise interprétation par le
banquier est relativement limité. À l’opposé, l’information qualitative est personnelle,
subjective, non chiffrée, basée sur le jugement du CAE qui la collecte tout au long de
la relation bancaire.
Ces deux informations sont complémentaires et généralisées dans le milieu bancaire
car elles améliorent la prévision du risque de crédit [13][13]Grunert J., Norden L. &
Weber M. (2005). The Role of….

À partir de l’information quantitative, le CAE réalise une analyse financière classique (SIG,
BFR, CAF) à l’aide du logiciel interne qui attribue une note (de A+ à G-).

Dans un second temps, le CAE mène une analyse qualitative du dossier de financement. Elle
est plus ou moins importante selon les pratiques bancaires et son traitement  peut être
différent : laissé au jugement du CAE ou imposé par le système informatisé.

Dans la banque étudiée, la partie qualitative est formalisée dans le logiciel interne en une
série de douze questions regroupées sous quatre thèmes : la documentation financière (la
méthode comptable employée, le délai de transmission des documents) ; les soutiens
financiers (la politique actionnariale, l’existence de pool bancaire) ; l’environnement (le cycle
du marché, les parts de marché acquises) ; le management (une stratégie claire, connaissance
du secteur d’activité).

Les réponses déterminent la note qualitative de l’entreprise (de A+ à G-).

Finalement, une moyenne est calculée entre les volets quantitatif et qualitatif de l’analyse (de
A+ à G- : A étant un excellent dossier et G une affaire très risquée). La moyenne détermine,
outre le montant de crédits demandé, le taux d’intérêt proposé et le niveau de la prise de
décision au sein de la banque, comme nous le verrons plus bas.

Une observation participante dans un groupe mutualiste

Nous avons mené une observation-participante de deux mois dans un centre d’affaires
bancaire appartenant à un groupe mutualiste français. Nous l’appellerons dorénavant la
Banque du Sud. Ce centre est dédié aux PME qui ont pour la plupart un chiffre d’affaires
compris entre 3 et 6 millions d’euros. Aucun secteur n’est exclu sauf les casinos et boîtes de
nuit. Les institutionnels peuvent aussi devenir client : mutuelles, assurances, caisses de
retraite…

Cette structure est dirigée par un directeur d’agence (DA) qui manage et contrôle le travail
de sept chargés d’affaires Entreprise.

Au quotidien, le CAE est responsable du suivi de son portefeuille de clients (175 entreprises


en moyenne par portefeuille). Ainsi, le centre est constitué de sept portefeuilles,
représentant 1 226 entreprises-clientes, réparties comme suit : Grandes et Moyennes
Surfaces, TPE, PME, Institutionnel, Agriculture, Développement durable et Industrie.

Le contrôle du DA porte à la fois sur le suivi commercial et la délégation-crédit. Le suivi


commercial est fait par le DA qui vérifie l’atteinte des objectifs commerciaux du centre. Le
contrôle de l’activité de crédit s’exerce grâce au principe de délégation-crédit. Dans la
Banque du Sud, la délégation est identique pour tous les CAE et ascendante dans la ligne
hiérarchique (cf. Tableau 1).

Au-delà de sa délégation, le CAE confronte obligatoirement son appréciation à celle du DA.


Dans le cas où le financement demandé dépasse la délégation-crédit du DA, alors le dossier
est transmis soit au Directeur Marché Entreprise (DME) soit au Comité de Crédits (CC), dont
l’avis doit être favorable pour que la décision soit appliquée.

Collectivement, les sept CAE observés ont géré sur la période d’étude un portefeuille de  392
entreprises-clientes. Nous avons géré intégralement 21 dossiers de financements et assisté à
7 entretiens entre les CAE et les chefs d’entreprises.

Notre recherche vise à comprendre la réalité au travers des observations et des


interprétations qu’en font les acteurs qui y sont impliqués. Notre but étant d’appréhender
comment le cadre bancaire, via des pratiques informelles, va infléchir sa décision d’octroi de
crédits.

Pour ce faire, nous avons utilisé un carnet de recherche dans lequel les faits et les
comportements observés étaient notés. Une analyse de contenu a été réalisée avec le logiciel
d’analyse Nvivo en codant les données présentes dans ce carnet. Nous avons suivi un
protocole de traitement des données qui se décompose en un certain nombre d’étapes allant
de la pré-analyse à l’interprétation des résultats en passant par le codage et la
catégorisation [14][14]Robert, A. D. & Bouillaguet, A. (2002). L’analyse de contenu,…  :

Une pré-analyse consiste en une lecture flottante, c’est-à-dire une lecture rapide et intuitive
permettant de prendre connaissance des éléments importants du discours. Des lectures
flottantes ont été effectuées à plusieurs reprises afin de condenser les données du carnet de
bord via une analyse de contenu thématique. Ce travail de condensation vise à synthétiser,
trier et organiser les données pour pouvoir ensuite tirer des conclusions. [15][15]Miles, M. B.
& Huberman, A. M. (1991), Analyses des données… Ce qui nous a permis aussi d’identifier les
éléments des actions informelles qui décrivent un même thème ou une même pratique.
Nous avons ensuite découpé le corpus en « unités d’analyse » à savoir en thèmes. À chaque
thème, on a associé des exemples et/ou des citations des CAE illustrant la situation
informelle.

Une fois tous les thèmes repérés, une lecture approfondie des corpus a été menée pour les
regrouper en quatre catégories : refusé, accepté, retardé et accéléré. Ce travail de
catégorisation a permis de réunir les codes thématiques en un tout intelligible et de mettre
en lumière les dérives individuelles des CAE vis-à-vis du processus de crédit.

Les catégories et les thèmes trouvés ont fait l’objet d’une validation lors «  d’un tour de
table » avec trois de ces chargés d’affaires.

De l’influence des objectifs commerciaux

Le CAE a un objectif commercial annuel en Produit Net Bancaire (PNB) qui est l’équivalent
bancaire de la valeur ajoutée. Dans la Banque du Sud, la répartition du PNB s’effectue
principalement sur les crédits et les flux bancaires [16][16]Flux bancaire désigne le chiffre
d’affaires confié par…. Le CAE est donc encouragé à monter des dossiers de financements et à
domicilier la totalité de l’activité de la PME sur son compte bancaire.

Cet objectif annuel en PNB ouvre droit à une commission bancaire qui peut représenter
jusqu’à 3 mois de salaire. Cette rétribution dépend du pourcentage d’atteinte de la mission
commerciale. Par exemple, si le CAE réalise son objectif en totalité, il obtiendra 100  % de sa
prime. En revanche, s’il n’en concrétise que 90 %, il ne pourra percevoir que 90 % de sa
commission. En deçà de 80 %, aucun gain n’est perçu par le CAE et le plafond est fixé à 120 %.
Chaque année, l’objectif en PNB attribué aux CAE augmente suivant un taux fixe même s’il
n’est pas atteint (plus ou moins 2,75 % selon les portefeuilles). Si le CAE dépasse son objectif
commercial, le pourcentage d’augmentation sera calculé sur le chiffre d’affaires (CA) réalisé
et non sur celui préalablement fixé. Cela compliquera l’année suivante l’atteinte de l’objectif.

Le CAE tient à jour un tableau de suivi des objectifs. À la vue de ses résultats et
essentiellement en fin d’année, le CAE peut freiner ou stopper le processus d’octroi de crédits
pour ne pas franchir son objectif commercial en PNB et maximiser ses chances de l’atteindre
l’année suivante. À l’inverse, le CAE peut être amené à accepter des demandes de
financement qui ne devraient pas l’être pour atteindre son objectif.

Les pratiques informelles du CAE

Pour influencer le processus de crédit, le CAE met en place plusieurs pratiques informelles.
Au quotidien, il doit faire face à un dilemme : « maximiser son chiffre » sans faire « sauter la
banque ». Par conséquent, il déploie des pratiques informelles et franchit « la ligne jaune ».
Ces pratiques informelles peuvent être classées en quatre groupes selon leurs conséquences
sur la quantité de crédits délivrés.

1. Le CAE refuse certains crédits pour ne pas dépasser son objectif et/ou garder ainsi une
marge de manœuvre pour d’autres crédits qui eux seront difficilement refusables.

2. Le CAE retarde certaines lignes de crédits pour qu’elles soient prises en compte l’année


suivante plutôt qu’imputées sur l’année en cours.

3. Le CAE accepte, en connaissance de cause, d’accorder des crédits qui ne devraient pas


l’être dans l’unique but d’augmenter son PNB pour tenter d’obtenir ou d’augmenter sa
rémunération.

Les CAE détournent le formalisme en gonflant la note qualitative du dossier de financement


pour renforcer leur pouvoir informel. Si le logiciel interne attribue à une PME une note
globale inférieure ou égale à E, alors pour tout type de financement sollicité le CAE doit
« monter le dossier » et obtenir obligatoirement la signature de la personne ayant la
délégation (par exemple le DA). Le cadre bancaire a alors la responsabilité de remplir
objectivement les variables paramétrées, aussi bien la notation qualitative que quantitative.
Malgré cela, le CAE, quotidiennement, détourne le système interne de notation, notamment
en survalorisant la notation qualitative et donc la note globale de l’entreprise (ce qui peut
faire passer la note de E à D). Cette pratique est utilisée par les CAE pour être seul juge dans
la prise de décision et échapper au contrôle de sa hiérarchie.

Tableau 2

Pratiques informelles pour stopper un dossier


4. Le CAE accélère volontairement le traitement des dossiers en cours dans le but d’atteindre
son objectif commercial en PNB pour l’année (voir Tableau 5). Le CAE peut accélérer
volontairement le processus d’octroi de crédits pour atteindre son objectif commercial en
PNB. Pour ce faire, il utilise la garantie ou le taux comme variable d’ajustement.

L’acceptation ou le refus justifiés par les objectifs commerciaux sont assez fréquents. D’une
part, les PME obtiennent pour la plupart une notation entre D et E qui permet de faire
basculer la décision dans un sens ou dans un autre. En outre, le logiciel interne va décoter
automatiquement la note quantitative des PME qui réalisent moins de 7,5 millions d’euros de
CA.

Or, la plupart des PME de la Banque du Sud ont un CA inférieur à 6 millions d’euros. D’autre
part, les PME demandent des financements qui entrent, le plus souvent, dans la délégation
des CAE et sont automatiquement plus concernées par de telles manipulations.

Une autre logique cachée derrière celle du risque

La contribution principale de cette recherche est de montrer que la prise de décision de


financements est fortement influencée par les objectifs commerciaux et le fonctionnement
interne de la banque. Rappelons que pour atteindre leurs objectifs sans les dépasser, les CAE
mettent en place des pratiques informelles afin de stopper, retarder, accepter ou accélérer le
financement. Ces agissements influencent significativement le financement aux PME et
doivent dorénavant être pris en compte dans l’étude du milieu bancaire. Les détecter et les
manager est de fait un enjeu crucial pour les banques.

Nos résultats confirment et complètent certains travaux qui nous ont précédés, et il est utile
de préciser les nouvelles interprétations qu’ils suggèrent.

Notre observation confirme le constat avancé par Honoré [18][18]Honoré L. (1998). Systèmes


de contrainte, systèmes… : les CAE ont une véritable marge de manœuvre dans leur travail et
transgressent les règles.

De même, notre étude se rapproche de celle de Berger et Udell [19][19]Op. cit. qui


constatent que les banquiers sont incités à octroyer de nouveaux prêts, car leur
rémunération est basée sur cet indicateur et, de fait, délaissent le reste de leur travail.

Enfin, nos résultats corroborent et prolongent ceux de Voordeckers et Steijvers  [20]


[20]Voordeckers W. & Steijvers T. (2006). Business Collateral and… qui constatent que les
arguments de risque ne sont pas les seuls à influer sur la détermination du crédit, mais que
les arguments commerciaux jouent également un rôle.

Si l’étude d’un centre d’affaires a permis d’appréhender le système en profondeur et d’y


détecter des pratiques informelles, nous devons garder à l’esprit que l’étude d’une seule
banque relativise la portée des résultats.

L’influence du comportement des CAE sur les financements des PME mériterait d’être
approfondie, car plusieurs questions restent insuffisamment explorées : ce phénomène
existe-t-il dans d’autres banques françaises ?
Est-il présent dans les banques dites capitalistes ?

Concerne-t-il uniquement les PME ? Quelles autres pratiques informelles influencent le


processus d’octroi ?

Comment faut-il rémunérer les CAE pour minimiser ce risque d’opportunisme susceptible de
se réaliser dans leurs décisions d’octroi de crédits aux PME ?

2019-Le côté obscur de la relation banque-entreprise: les risques du marketing


relationnel

2015-L'information informelle dans les dossiers de financement des PME

2-2015-L’information informelle dans les dossiers de financement des PME

François Geoffroy pascal.koeberle@u-picardie.fr


Maître de Conférences
IAE d’Amiens - CRIISEA (EA 4286)

francois.geoffroy@u-picardie.fr

Pascal Koeberlé

Maître de Conférences

IUT d’Amiens - CRIISEA (EA 4286)


bankers = chargés d’affaires entreprises

Résumé
Cette recherche vise à détecter et d’identifier les éléments informels qui interviennent dans la prise de décision
des chargés d’affaires entreprise lors d’un octroi de crédits. Nous présentons une analyse de contenu thématique
d’entretiens semi-directifs et directifs tenus auprès de chargés d’affaires entreprise. Nos résultats montrent que les
banquiers ne fondent pas leurs prises de décisions uniquement sur des données quantitatives et financières prévues
par les procédures formelles (i.e. bilans et ratios financiers), mais s’appuient, surtout et avant tout, sur des éléments
informels tels que la confiance accordée au dirigeant, la crédibilité, l’historique bancaire, la gestion de l’entreprise-
cliente et le respect des engagements, etc.
Mots-clefs : Crédits, Information, Informel, Relation Banque-PME, Risque
JEL: G32; G21

Abstract
The aim of this research is to detect and identify the informal elements that influence the decision-making process of
bankers in matters of credit. We present a content analysis of semi-structured and structured interviews of bankers.
Research findings show that the bankers do not only base their decision-making on hard and financial information
(i.e. balance sheets and financial rates) but that they especially use informal elements such as the confidence and
credibility of company director, the banking history, the management and the honour one’s commitments, etc.

Keywords: Credit, Information, Informal, Bank-SME relationship, Risk

L’informel est présent dans toutes les organisations y compris dans les établissements bancaires
pourtant perçus, à tort, comme des structures bureaucratiques affranchies de pratiques informelles. Au
sein de la relation banque-PME, les aspects informels sont souvent considérés comme inexistants ou
secondaires dans l’octroi de crédits.

Néanmoins, les banques prennent des décisions qui reposent sur le traitement de l’information, aussi
bien informelle que formelle, afin de connaître le risque réel des projets de financement (Petersen et
Rajan, 1994), le principal risque étant le défaut de recouvrement de la PME.

Lors du montage d’un dossier de financement, le décideur reste maître de son choix tant que le montant
du crédit est compris dans sa délégation (Lamarque, 1996). Dans cette zone d’autonomie, il est libre
d’obéir ou de désobéir au formalisme bancaire (Alter, 2000).
Honoré (1998, 1999) considère que les arrangements informels sont quotidiens et constitueraient la
principale source de risque dans la banque. Ne retenir dans l’octroi de crédits que les éléments formels
impliquerait d’annihiler une partie essentielle de la réalité bancaire.

L’utilisation de l’informel dans les dossiers de financement peut être considérée comme une innovation
sociale, une nouvelle pratique managériale (Favre-Bonté et al., 2009 ; Geoffroy et Guillemet, 2012 ;
Gardes et Machat, 2013) qui permet l’obtention d’un avantage concurrentiel durable dans le secteur
bancaire (Leitaifa et Paulin, 2011).

Dans ce travail, nous nous interrogeons sur l’impact de l’information informelle dans la décision bancaire
et essayons d’appréhender les éléments qui la composent.

Nous considérons dans les lignes qui suivent que l’information informelle, issue de la relation bancaire,
est créée par le décideur sur la base de son ressenti.

Elle est, par nature, non chiffrée, non formalisée par des documents écrits ou par la hiérarchie,
difficilement transmissible à une tierce personne. En d’autres termes, l’information informelle prend sa
source dans l’interaction avec le client et alimente une connaissance tacite de sa situation.

Nous allons dans un premier temps étudier les aspects formels de la décision bancaire, ceux qui doivent
théoriquement être respectés ainsi que les aspects informels mobilisés notamment dans le cas des
dossiers discutables.

Suite à cela, nous présentons le protocole méthodologique suivi lors de 2 études menées au sein de 5
centres d’affaires dédiés aux PME d’un groupe bancaire mutualiste français. Nous avançons que
l’informel est une composante indéniable de la décision d’octroi de crédits et tentons d’identifier les
différentes dimensions informelles existantes dans la relation banque-PME.

I – Procédures formelles de l’octroi de crédits aux PME

Les crédits sont primordiaux pour les PME qui n’ont pas ou peu accès à d’autres alternatives de
financement (Berger et Udell, 1995 ; Nakamura, 1999 ; Longhofer et Santos, 2000). L’octroi de crédits est
l’aboutissement de la relation bancaire qui doit respecter certaines procédures formelles.

La prise de décision incombe, le plus souvent et selon le niveau de délégation, au cadre bancaire qui
gère la relation banque-PME : le chargé d’affaires entreprise (CAE). L’octroi ou le refus de crédits
s’accomplit après l’évaluation attentive du dossier de financement incluant l’analyse des données
quantitatives et qualitatives.

1.1 – Analyse quantitative du dossier

La décision se base, de prime abord, sur les données comptables et financières de l’entreprise telles que
les bilans, les comptes de résultat et les liasses fiscales. D’autres données quantitatives entrent en ligne
de compte dans l’évaluation, telles que la cotation émise par la Banque de France et la notation
financière interne à la banque.

Cette partie du dossier est la plus importante pour la hiérarchie (Liberti et Mian, 2009). Cette information
quantitative, basée sur les chiffres, s’apparente à l’information hard décrite dans la littérature anglo-
saxonne (Berger et Udell, 2002 ; Stein, 2002 ; Petersen, 2004 ; Berger, Miller et al., 2005). Ces
renseignements chiffrés sont saisis dans le logiciel de la banque 0 qui permet d’éditer une synthèse des
postes-clés du bilan et du compte de résultat, mais aussi de calculer le fonds de roulement net global
(FRNG), le besoin de fonds de roulement (BFR), la capacité d’autofinancement (CAF), les soldes
intermédiaires de gestion (SIG)... Les délais de rotation des stocks, des créances clients et des crédits
fournisseurs sont également examinés. Les ratios utilisés sont approximativement les mêmes d’un
établissement bancaire à l’autre : BFR/CA, CAF/CA, trésorerie en jours de CA, FRNG/BFR, etc. Tous ces
éléments permettent de déterminer une note financière. À partir de cette analyse quantitative, le CAE
réalise une analyse financière de l’entreprise en apportant ses conclusions.

Mais, peut-on vraiment faire confiance aux informations comptables et financières publiées par les
entreprises ?

Si les documents comptables et l’analyse financière jouissent, de par leur apparente objectivité, d’un
« statut » qui leur confère une autorité relative sur des données plus subjectives, ils omettent une partie
importante de la réalité : basés sur des faits passés, ils envisagent l’avenir de façon déterministe comme
la conséquence des opérations déjà engagées et prévues. En fait, ils présument mais ne prédisent pas
l’impact des opérations à venir formalisées dans la stratégie délibérée justifiant la demande de
financement. Il est acquis que la stratégie réalisée sera sensiblement différente de celle prévue
(Mintzberg et Waters, 1985).

Les opérations dépendront d’ailleurs en partie du financement qui aura été obtenu et de son emploi
réel. De plus, les informations comptables et financières ne reflètent pas fidèlement la performance de
l’entreprise, mais en construisent une image nécessairement partielle, ce qui explique l’émergence des
travaux traitant des actifs immatériels et du capital humain (Cappelletti, 2006, 2010). Certes, l’analyse
financière suffit pour faire une interprétation succincte de la relation, mais semble incomplète pour
appréhender le contexte organisationnel dans son ensemble.

Ainsi, pour améliorer leur prévision du risque de crédit, les banques ont intégré l’information soft,
qualitative, censée combler les lacunes des informations chiffrées (Berger et al., 2005 ; Grunert, Norden
et Weber, 2005). On entend par information soft toute information privée, non financière, non chiffrée
issue de la relation bancaire (Berger et Udell, 2002 ; Petersen, 2004).

1.2 – Analyse qualitative du dossier


Suite à l’analyse quantitative, une seconde analyse « non financière », fondée exclusivement sur les
éléments qualitatifs du dossier, est menée par le CAE. Elle est plus ou moins importante selon les
pratiques des banques et son traitement peut être différent : laissé au jugement du CAE ou imposé par le
système informatisé.

Dans le premier cas, ces éléments qualitatifs représentent un peu moins de la moitié du volume du
dossier de financement et sont collectés par le CAE lui-même (Geoffroy, 2011). Le CAE rédige un compte
rendu de plusieurs pages décrivant l’activité de l’entreprise, les gammes de produits vendus, la stratégie
menée, les caractéristiques du marché, la dépendance avec les clients et les fournisseurs, la description
de l’outil de production et la qualité de l’équipe dirigeante.

0
Le logiciel diffère d’un établissement bancaire à l’autre. Le logiciel de la banque étudiée est également utilisé dans deux autres banques
mutualistes.
Ce fonctionnement permet de tirer profit de cette information contextualisée à la relation banque-PME
et proche du terrain. Mais cette information non formalisée varie selon les décideurs et peut entrainer
une asymétrie informationnelle entre, d’une part, le CAE qui collecte et créer l’information et, d’autre
part, le directeur d’agence (DA) qui ne peut la vérifier (Berger et Udell, 2002 ; Stein, 2002).

Dans le second cas, qui est en vigueur dans la banque étudiée, les éléments qualitatifs sont formalisés
par le logiciel bancaire. Le CAE répond à des questions paramétrées dans le logiciel à l’aide de listes
déroulantes. Elles portent sur la documentation financière (e.g. la méthode comptable employée, le
délai de transmission des documents, etc.) ; les soutiens financiers (e.g. la politique actionnariale,
l’existence de pool bancaire) ; l’environnement (e.g. le cycle du marché, les parts de marché acquises) ;
le management (e.g. une stratégie claire et non exagérée, connaissance du secteur d’activité). Les
réponses déterminent la note qualitative de l’entreprise (de A+ à G-). Ce système contribue à réduire la
marge de manœuvre des CAE, à encadrer sa subjectivité, et à accroître la standardisation des dossiers.

L’information soft perd alors sa nature qualitative, libre, contextualisée. Cette « formalisation » a été mal
perçue par les CAE qui la voient comme un outil inefficace et imposé par la hiérarchie. La connaissance
du CAE vis-à-vis de l’entreprise-cliente est plus large qu’une simple lecture du dossier de crédits  : elle
s’appuie sur des éléments informels qui ne peuvent être objectivés, normalisés et formalisés. Dans un
contexte risqué qui caractérise la relation banque-PME, l’information informelle s’avère plus innovante
et pertinente que l’information quantitative et qualitative (cf. Figure 1). Il faut comprendre par
information informelle : toute information issue de la relation bancaire, créée par le décideur sur la base
de son ressenti. Elle est, par nature, non chiffrée, non formalisée par des documents écrits ou par la
hiérarchie, difficilement transmissible à une tierce personne.

Figure 1. Continuum informationnel


Pertinence

Information informelle

Information qualitative

Information quantitative

Risque

Au terme de ces deux analyses, une moyenne comprise entre A+ et G- est calculée. Cette note, ainsi que
le montant de crédits sollicité, déterminent quel niveau hiérarchique est compétent pour prendre la
décision d’octroi ou de refus de crédits.
1.3 – Demande de financement et prise de décision

Dans la banque observée, la délégation-crédits est depuis peu identique pour tous les CAE (Geoffroy et
Guillemet, 2012) : plafonnée à 600 k€ et limitée à une cotation allant de A+ à D-. Au-delà de sa
délégation, le CAE transmet le dossier de crédit à son supérieur hiérarchique, le directeur d’agence (DA),
et doit obtenir son aval. Les deux avis doivent concorder.

Si le crédit demandé dépasse le seuil d’autonomie du supérieur hiérarchique direct (i.e. > 1000 k€, E), le
dossier de financement doit alors être validé par le directeur du marché Entreprise (DME). Il y a ainsi 4
niveaux hiérarchiques au-dessus du CAE : DA, le DME, le comité de crédit (CC) départemental et régional
(cf. Tableau 1).

Tableau 1. Délégations-crédit

Niveau hiérarchique Montant Notation

Comité de Crédits régional X > 6000k€ /

Comité de Crédits départemental 1600k€ < X < 6000k€ /

Directeur marché entreprise 1000k€ < X < 1600k€ F et G

Directeurs d’Agence 600k€ < X < 1000k€ E

Chargés d’affaires X < 600k€ A+ à D-

Lorsque le crédit sollicité reste dans les limites de sa délégation-crédits, plusieurs cas de figure sont
possibles. Dans les dossiers qui ont, soit une bonne analyse quantitative et qualitative, soit une mauvaise
analyse sur ces deux points, l’informel ne change pas la décision prise du CAE.

Par contre, dans les dossiers qui nécessitent une attention particulière (i.e., notation C et D) alors
l’informel peut faire basculer la décision vers un refus parfois injustifié, ou encore enjoliver un dossier un
peu faible. C’est cette dernière éventualité qui nous intéresse tout particulièrement car elle met en avant
le rôle prépondérant de la dimension informelle dans l’octroi ou le refus de crédits.

Un autre élément joue un rôle dans l’octroi de crédit : la garantie demandée à l’emprunteur. Selon la
littérature bancaire, le risque de prêt peut être réduit par la garantie. Plus la garantie que le client est en
mesure d’apporter est importante, plus l’obtention de crédit est facilitée (Harhoff et Korting, 1998 ;
Manove, Padilla et Pagano, 2001). À l’inverse, Voordeckers et de Steijvers (2006) avancent que la qualité
de l’entreprise et de la relation banque-PME sont bien plus déterminantes dans l’octroi de crédits que la
garantie, le montant et les caractéristiques du prêt. Nos résultats permettront, par la suite, de nous
positionner dans ce débat controversé.
II – Méthodologie

Notre étude a été menée au sein d’un groupe bancaire mutualiste français décentralisé en centres
d’affaires, que nous appellerons Banque du Sud, dédiés au marché des entreprises et essentiellement
positionnés sur le marché des PME. Nous avons choisi la Banque du Sud plutôt qu’une autre, car nous
avons déjà réalisé une observation-participante dans cet établissement, et cela nous a permis de rentrer
dans le milieu secret et opaque qui est le milieu bancaire. Nous avons rencontré différents acteurs (e.g.,
CAE, DA, DME) qui ont, selon le niveau de délégation, un pouvoir sur l’octroi de financements.

Nous avons toutefois focalisé notre attention sur le cas du CAE, qui intervient dans chaque demande ou
renouvellement de crédits, quel que soit le niveau de délégation : c’est lui qui « monte » le dossier. Deux
séries d’entretiens ont ainsi été réalisées auprès de CAE : 18 entretiens semi-directifs (ESD) et 10
entretiens directifs (ED). Les entretiens ont tous été enregistrés et intégralement retranscrits pour ne pas
travestir les propos des répondants (Miles et Huberman, 1991).

2.1 – Entretiens semi-directifs ESD

Un guide d’entretien a été construit et pré-testé lors « d’un tour de table » avec 3 CAE pour détecter et
corriger les éventuelles ambiguïtés ou erreurs de celui-ci.

18 CAE ont participé aux ESD, dont 10 hommes (âge moyen 39 ans) et 8 femmes (âge moyen 36 ans).
Tous les CAE qui ont participé aux ESD ont représenté par leur fonction un échantillon de  1008
entreprises-clientes. Pour le traitement des données, nous avons opté pour une analyse thématique
quantitative qui met l’accent sur la fréquence d’apparition des thèmes (Bardin, 2007).

Cette analyse s’est faite avec l’appui du logiciel de codage-repérage NVivo. Nous avons dans un premier
temps extrait 23 thèmes de l’analyse de contenu. Seuls 12 thèmes informels intervenant dans l’octroi de
crédits aux entreprises ont été retenus. Ce choix se justifie par deux raisons  : premièrement, ces 12
thèmes sont mobilisés par l’ensemble des répondants, et deuxièmement, ils nous ont confirmé leur
importance et leur récurrence dans leur prise de décision. Nous avons alors réalisé une Analyse en
Composantes Principales (ACP) qui permet d’analyser des données et de regrouper nos 12 thèmes en
catégories. L’ACP montre l’existence de 3 grandes dimensions de l’informel :

(1) La dimension relationnelle, composée de l’historique bancaire (occurrence = 68), de la gestion des
comptes (occurrence = 44), du partenariat (occurrence = 37), et de la confiance dans l’homme
(occurrence = 114).

Figure 2. Représentation de la proposition 1 (P1)


P1a
Historique bancaire
P1b P1
Gestion des comptes DIMENSION
P1c RELATIONNELLE
Partenariat
P1d
Confiance dans
l’homme

(2) La dimension managériale, composée du respect des engagements (occurrence = 56), de


l’organisation et du fonctionnement (occurrence = 71), de la confiance dans l’entreprise (occurrence = 49)
et de la transparence du client (occurrence = 61).

Figure 3. Représentation de la proposition 2 (P2)

Respect des P2a


engagements
P2b P2
Organisation et
Fonctionnement Dimension
P2c managériale
Confiance dans
l’entreprise
P2d
Transparence

(3) La dimension entrepreneuriale, constituée de la réputation individuelle (occurrence = 58), de la


crédibilité de la personne (occurrence = 56), de la compétence technique (occurrence = 87) et de la
compétence individuelle (occurrence = 104).

Figure 4. Représentation de la proposition 3 (P3)


Réputation P3a
individuelle P3
P3b
Crédibilité
Dimension
P3c entrepreneuriale
Compétence
Technique
P3d
Compétence
individuelle

Pour tester la fiabilité de notre recherche, nous avons utilisé l’alpha de Cronbach et la communalité des
variables. Dans une démarche exploratoire, l’alpha doit être supérieur à 0,60 et la communalité doit être
supérieure à 0,50 (Thiétart et al., 2003). Les 12 items ont un alpha de Cronbach moyen de 0,68, ce qui
confirme le constat de validité de notre construit. La communalité moyenne de l’ensemble des 12 items
informels est de 0,79, ce qui est très satisfaisant, et démontre une bonne validité de notre échelle.

2.2 – Entretiens directifs

Ces ED étaient à visée confirmatoire. À partir des 12 thèmes informels des ESD, nous avons formulé 12
questions (e.g., l’historique bancaire a-t-il une incidence dans votre décision de crédit ?, la confiance
dans l’homme peut-elle influencer votre décision de financement ?, etc.) (cf. annexe 1). Le guide
d’entretien a fait l’objet d’un premier pré-test auprès de 2 CAE qui ont validé la plupart des formulations
d’origine. 10 CAE ont participé à cette étude dont 4 hommes (âge moyen 35 ans) et 6 femmes (âge
moyen 37 ans). Nous avons choisi d’interrompre notre recherche au dixième entretien conformément au
principe de « saturation théorique » : les répondants n’apportaient plus, dans leurs discours, d’éléments
nouveaux à l’analyse (Thiétart et al., 2003).

Nous avons affecté, par la suite, une valeur numérique aux réponses (Oui : 1 ; Non : 0) pour pouvoir les
saisir dans le logiciel Sphinx. L’opération de codage de ces questions peut comporter une part de
subjectivité liée à l’interprétation des réponses par les codeurs (Loubet Del Bayle, 1991 ; Evrard, Pras et
Roux, 1993). Nous avons par conséquent réalisé un double codage avec un second codeur pour les 10
entretiens directifs. Nous avons testé la fiabilité du double codage via le Kappa de Cohen (K) et obtenons
un K de 0,976. Le codage des réponses nous a permis de réaliser des « tris à plat » et des Khi-deux. Dans
notre distribution, nous n’avons qu’une seule variable (i.e. la question posée) à deux modalités (i.e. Oui
ou Non), nous calculons par conséquent des Khi-deux de conformité. Puisque notre échantillon est de
petite taille (N = 10), nous avons effectué une correction de Yates pour les 12 propositions de recherche.
III – Résultats
3.1 – Informel et dimension relationnelle
Dans cette première catégorie, 3 des 4 propositions sont confirmées : l’historique bancaire (χ² = 4.9, p
< .05), la gestion des comptes (χ² = 8.1, p < .01) et la confiance dans l’homme (χ² = 4.9, p < .05) ; mais pas
le partenariat (χ² = 0.9, ns).

Historique bancaire. La relation avec le dirigeant est-elle de qualité ? La relation banque-entreprise est,
avant d’être une relation commerciale, une relation humaine qui possède une histoire, avec des hauts et
des bas. Tous les éléments passés comptent même les plus anodins. Cet historique se construit aussi
bien au fil des propositions d’affaires (i.e., crédits, placements, épargne, etc.) que des interactions
individuelles. Dès le début de la relation bancaire, le CAE est capable de dégager de l’information
informelle sur le client.

« Forcément que l’historique compte, même un historique à court terme, un prospect à qui l’on a
fait une ouverture de compte, six mois après, l’historique est déjà très important. On est capable
de de… moi, je prends en compte ce passé-là, même s’il est très court, ça donne énormément
d’éléments.  » Extrait ESD, CAE1.

Un bon rapport avec le client encouragera le CAE à accorder un crédit et à défendre jusqu’au bout le
dossier face à sa hiérarchie. À l’inverse, si le CAE est engagé dans une mauvaise relation avec le client, il
ne prendra pas la peine de le défendre correctement, en particulier si le dossier sort de sa délégation-
crédits. L’importance, pour les CAE, de l’historique bancaire est connue par la hiérarchie qui, selon les
circonstances, lui accorde un certain poids dans la présentation des dossiers. Cette information
informelle est un ressenti du décideur qui est, par sa nature, non formalisable et difficilement
transmissible aux successeurs.

Gestion des comptes. Les comptes bancaires sont-ils bien gérés ? Cette information n’est normalement
pas prise en compte dans l’octroi de crédits. Elle est pourtant le premier indicateur d’alerte à la
disposition des CAE qui peuvent voir si la situation économique se dégrade et, surtout et avant tout, si le
dirigeant respecte ses obligations et sa parole. De cet indicateur formel se dégage une interprétation
informelle : en cas de mauvaise gestion des comptes, le CAE en déduit, le plus souvent, que l’entreprise
est globalement mal gérée par son équipe dirigeante.

«  Si le compte est constamment en dépassement, qu’il faut appeler constamment, que les choses
ne sont pas bien faites, que les remises tardent à venir, etc. Eh oui  ! Ça apporte des doutes sur un
dossier. » Extrait ESD, CAE4.
Il est alors normal, pour les CAE, de douter de la gestion globale de l’entreprise-cliente aussi bien du
point de vue commercial, stratégique, opérationnel et humain et, de fait, de douter de la capacité de
remboursement de crédits, même à court terme.

« Ça a une importance, car inconsciemment l’entreprise qui gère mal donne une image au chargé
d’affaires qui n’est pas… Il se dit c’est le bordel (rires) et, inconsciemment, on se dit, si c’est le
bordel sur cet item-là pourquoi ça serait bien ailleurs et, c’est oui, ça a une incidence, oui bien
sûr. » Extrait ED, CAE2.

Confiance dans l’homme. Le dirigeant est-il une personne à qui on peut se fier ? Elle est le principal
élément discriminant dans une prise de décision de financement. Sans confiance dans l’homme, aucune
relation n’est créée, développée et conservée. À l’opposé, une bonne confiance dans la personne
compense tous les autres points négatifs du dossier. Cet élément est issu d’une perception et d’un
ressenti que peuvent avoir les CAE.

« Si vous ne faites pas confiance à la personne que vous avez en face, et ça, c’est assez subjectif,
hein  ! C’est un ressenti, moi, même si l’entreprise est belle, il y a des gens que je n’ai pas, avec
lesquels, je n’ai pas envie de travailler parce que je ne les sens pas, parce qu’ils ne sont pas, ils ne
sont pas heu… ils ne sont pas fiables. Ils n’ont pas l’air fiable. Ils ne vous regardent pas dans les
yeux, enfin je n’en sais rien, c’est des, c’est des petits trucs comme ça  » Extrait ESD, CAE5.

La confiance dans l’homme peut permettre à un dossier discutable d’obtenir un financement. L’inverse


est également vrai, une méfiance envers le dirigeant bloque tous types de financements.

« Alors, oui, ça influence totalement, si on a confiance, effectivement, dans le dirigeant, donc on va


être plus enclin à le financer. Si je n’ai pas confiance dans le dirigeant, je ne fais pas, qu’importe le
projet d’ailleurs.  » Extrait ED, CAE2.

Partenariat. Cette proposition n’est pas validée dans les ED. Certes, les CAE sont sensibles à l’attention
que leur portent les dirigeants des entreprises-clientes aussi bien dans leur travail à proprement parlé
que dans leur métier en général. Ils apprécient tout particulièrement le partenariat mis en place dans la
relation banque-PME, mais cela ne doit en rien interférer avec les relations d’affaires.

« Tous nos clients nous considèrent comme des partenaires financiers plutôt que des fournisseurs
mais je ne fais pas de différence  : le business c’est le business. Je le défendrai de la même façon. Je
ferai mon travail de la même façon… donc non, cela n’a pas d’importance ». Extrait ED, CAE16.
« Je préfère être un partenaire qu’un fournisseur mais on joue sur les mots. Ce sera non. » Extrait
ED, CAE14.

3.2 – Informel et dimension managériale


Dans cette seconde catégorie, 3 des 4 propositions sont confirmées : le respect des engagements (χ² =
4.9, p < .05), l’organisation et le fonctionnement de l’entreprise (χ² = 4.9, p < .05) et la transparence du
dirigeant (χ² = 8.1, p < .01) ; mais pas la confiance dans l’entreprise (χ² = 0.9, ns).

Respect des engagements. Le dirigeant fait-il ce qu’il dit ? Quelqu’un qui ne respecte pas ses
engagements ne sera tout simplement pas financé. Le respect des engagements dans la relation ne se
rapporte pas uniquement au respect des obligations contractuelles, mais à tous les engagements même
les plus anodins. Toutes les paroles et toutes les actions comptent, que ce soit un retard de
positionnement de chèques, un oubli d’appel téléphonique, un retard à un rendez-vous, une non-
domiciliation promise des flux, etc.

« À partir du moment où, dans la gestion quotidienne, un bon chef d’entreprise nous appelle et
nous dit, voilà, je vais dépasser pendant trois jours et au bout de trois jours, il régularise bon, je
veux dire, déjà, c’est bien et c’est par des petits exemples comme ça, ou alors par exemple, on
rentre en partenariat avec une nouvelle entreprise et vous dit voilà, dès que vous mettez le crédit
en place, je vous mets les flux. Et puis, il le fait, rien ne l’oblige à le faire enfin, c’est à partir du
moment où quelqu’un vous dit quelque chose et qui le fait déjà, c’est un élément, ça conforte la
relation. » Extrait ED, CAE19.

Ce qui est dit doit être fait. Le non-respect des engagements crée du doute chez le CAE qui va passer son
temps à contrôler les dires et les faits du dirigeant. Cette situation pèse sur la relation et créée
inexorablement des conflits qui débouchent le plus souvent vers une relation commerciale
improductive, ou pire encore, vers une rupture.

« Bon heu, s’il n’y a un non-respect, ça peut durer qu’un temps, parce que la première fois, bon ça
peut arriver bon, la deuxième fois on se dit qu’il nous prend pour un imbécile, puis la troisième fois,
on n’y croit plus, donc oui c’est important (rires). Je pense que ceux qui ne respectent pas leurs
engagements, ils ont, oui, tout à perdre.  » Extrait ED, CAE12.

Organisation et fonctionnement de l’entreprise. L’entreprise est-elle bien gérée ? Les CAE se déplacent
sur le site de l’entreprise-cliente pour voir son fonctionnement, sa structure et son système productif.
« C’est d’ailleurs bien pour ça qu’on essaye de visiter les sites de production de mes clients. Deux
clients de la même activité, l’un gagne de l’argent et l’autre n’en gagne pas, quand on visitait
l’usine de production singulièrement, la première était impeccable, l’autre c’était n’importe quoi.
Donc, oui ça se voit, le fonctionnement interne à une incidence certaine sur le niveau d’activité. »
Extrait ED, CAE7.

Il faut ajouter à cela, le fonctionnement général de l’entreprise-cliente perçu de visu, tel qu’un bon
climat social, un management démocratique et une bonne gestion des ressources, est important pour le
CAE. Selon leurs dires, une entreprise désorganisée est le signe d’un dirigeant désordonné qui
engendrera une relation bancaire à problèmes.

« Il se dégage une certaine atmosphère au niveau de l’équipe, ça se voit au niveau de l’accueil, au
niveau des collaborateurs, lorsque l’on va les saluer, déjà une atmosphère, disons un peu humaine.
Ensuite, une atmosphère, je dirais, un environnement oui, heu, lorsque tout est en désordre et que
tout est en vrac, que les locaux ne sont pas entretenus, que tout manque de soin, etc. Bon, c’est un
élément aussi qui peut traduire une certaine limite dans… je dirais, la bonne gestion de l’affaire.
Donc bien sûr, ce sont des éléments d’ordre subjectif, mais qui rentre en ligne de compte dans
notre appréciation générale. » Extrait ESD, CAE17.

Transparence du dirigeant. Le dirigeant transmet-il toute l’information nécessaire pour un


financement ? Elle concerne toutes les informations, qu’elles soient bonnes ou mauvaises, transmises au
CAE. La non-transparence du dirigeant se traduit le plus souvent par le comportement soucieux de ce
dernier durant les entretiens dyadiques.

« Tu vas voir si, un client qui va être anxieux, qui te cache des choses. C’est tout ça que tu ressens,
ce n’est pas savoir si le client te plaît ou pas, c’est il va te donner pleins d’indicateurs sans… il va
éviter les questions, heu, il va changer de sujet, heu, il y a pleins de choses, c’est, il y a pleins de
choses, en fait, qui sont presque impalpables. » Extrait ESD, CAE1.

Cette transparence dépasse la simple transmission des documents comptables et fiscaux. Elle se
rapporte à toutes les informations concernant, de loin ou de près, l’activité économique, stratégique,
financière et humaine de l’entreprise-cliente. Sans transparence de la part du dirigeant, le CAE ne peut
pas quantifier les risques et donc prendre une décision sereine. L’absence de transparence aura une
conséquence immédiate sur les demandes et les renouvellements des lignes de crédits.

« C’est que la transparence du dirigeant influe dans la décision, pas d’un crédit, de tous les crédits,
de tous les crédits qu’il aura à demander au cours de l’existence, parce qu’un chef d’entreprise qui
ment pour obtenir un crédit inévitablement, on le sait, donc, à un moment, c’est plus dans le temps
que cela va avoir une incidence, c’est dire ce gars, c’est quelqu’un de fiable. Quand il a eu des
difficultés, il nous l’a dit et ce n’est pas parce qu’il a eu des difficultés que l’on ne l’a pas aidé, mais
il nous l’a dit, on savait où on allait, etc. ça lui assure, ça lui assure de la… transparence au
dirigeant, c’est vachement important, c’est très important  !  » Extrait ED, CAE2.

Confiance dans l’entreprise. Cette proposition n’est pas confirmée. Les CAE rencontrés font une
différence entre la confiance dans le dirigeant et la confiance dans l’entreprise. Une entreprise peut
inspirer confiance mais pas son équipe dirigeante et inversement. Pour les PME, c’est la confiance dans
l’homme qui prime.

« Ce n’est pas important. Pourquoi  ? Parce qu’on a vu des enseignes, des noms prestigieux qui
faisaient faillite donc ça… on n’y fait pas trop attention à la confiance dans l’entreprise.  Non, c’est
toujours le dirigeant qui représente l’entreprise donc c’est plus lié à la confiance que l’on a du
bonhomme. » Extrait ED, CAE1.

« On a une clientèle qui n’est pas suffisamment importante pour s’intéresser à ce critère… oui
seulement quand on fait des crédits syndiqués mais pas sur notre clientèle de base ». Extrait ED,
CAE3.

3.3 – Informel et dimension entrepreneuriale


2 des 4 propositions sont confirmées dans la dernière catégorie : la crédibilité (χ² = 4.9, p < .05) et la
compétence technique (χ² = 4.9, p < .05 ; mais pas la réputation individuelle (χ² = 0.1, ns) et la
compétence individuelle (χ² = 0.1, ns).

Crédibilité. Le dirigeant est-il crédible ? La crédibilité ne se fonde pas, uniquement, sur le savoir du
dirigeant, mais aussi sur son savoir-être. Savoir s’impliquer personnellement et croire à son projet
semble être indispensable pour avoir un financement.

« On va lui poser des questions, voir aussi si, lui, est-ce qu’il croit à son projet  ? Parce qu’on a des
gens qui ne croient pas trop à leur projet en rentrant (rires). Donc si, lui, il n’y croit pas, donc a
priori, on rigole, mais ça nous arrive, donc il y a des clients qui rentrent, qui veulent un financement
sur une société, et qui ne demandent pas de caution personnelle au cas où ça tournerait mal. »
Extrait ESD, CAE12.

Le client doit être aussi capable d’effectuer un travail sur lui-même, reconnaître ses difficultés et ses
lacunes. Selon les CAE, les chefs d’entreprises ont, pour la plupart, un égo surdimensionné et une réelle
aversion à déléguer du pouvoir et des responsabilités à des collaborateurs.
« Le dirigeant d’entreprise qui me dit, je sais tout, je maîtrise tout, par principe, je crains voilà. Par
contre, un dirigeant à qui je pose une question, et qui me dit ah  ! Ca écoutez, je n’y connais rien, et
je ne me suis pas plongé parce que je ne sais même pas, si j’étais capable de comprendre. Par
contre, j’ai pris quelqu’un dans l’entreprise, il est bon, je vais l’appeler, puis vous allez en discuter
avec lui, et l’on va être en mesure d’échanger sur ce sujet-là. » Extrait ESD, CAE2.

Compétence technique. Le dirigeant a-t-il démontré sa capacité dans son activité ? Pour les CAE, un
dirigeant doit être compétent professionnellement. Il doit connaître aussi bien son produit que son
entreprise, son secteur et son métier en général. Cette compétence technique est un avantage qui
permet de conquérir des parts de marché face à la concurrence.

« Lui, il y arrive quand tous les autres rangent leur frein, donc il y a effectivement la comparaison
sur un secteur donné avec les autres, pour dire effectivement, celui-là, il sort du lot, et il doit avoir
heu très certainement une compétence technique ou une expérience, un savoir-faire, que n’ont
peut-être pas les autres. Donc pourquoi, lui, il gagne de l’argent, et pourquoi, tous les autres en
perdent, voilà de l’intelligence dans les affaires… » Extrait ESD, CAE2.

Le dirigeant doit se vendre et prouver sa compétence technique auprès des CAE qui, le plus souvent, ne
connaissent pas les particularités du métier.

«  On essaye de vérifier leur professionnalisme sur des secteurs d’activités qui nous sont parfois
inconnus. Heu donc là, oui c’est à c’est aux professionnels de se mettre en valeur et de nous vendre
son secteur d’activité et, mieux il nous le vend, et mieux on est conforté dans sa compétence et
plus on octroie.  » Extrait ED, CAE6.

Réputation individuelle. Cette proposition n’est pas validée. Le dirigeant peut effectivement faire valoir
sa bonne réputation comme « une carte de visite » auprès des clients et des fournisseurs, garantissant
ainsi une partie du chiffre d’affaires de l’entreprise. Pourtant la réputation n’est pas prise en compte par
le CAE, sauf si elle est communiquée par des professionnels du secteur (e.g. clients, fournisseurs et
concurrents).

« Moi, je me méfie beaucoup parce qu’il y a un phénomène de jalousie entre les différents
intervenants locaux et donc, j'essaye de ne pas trop regarder ça ». Extrait ED, CAE7.

« Tout dépend des sources d'information. Tout dépend qui véhicule la réputation. Je chercherai,
tout de même, à en savoir un petit peu plus. Je ne serais pas totalement neutre. Le lendemain, je
chercherai à savoir pourquoi cette réputation est véhiculée et avoir un cas concret ». Extrait ED,
CAE16.

Compétence individuelle. La compétence du dirigeant n’est pas seulement le fruit d’un savoir-faire, mais
aussi d’un savoir-être : l’attitude individuelle d’un dirigeant à savoir, par exemple, construire son carnet
d’adresses, travailler ses relations, son réseau, etc. La compétence individuelle renvoie aussi à la capacité
de vendre et d’argumenter sur son projet. Bien que le CAE a besoin d’être rassuré et apprécie les
explications pour comprendre une situation qui réduisent ses doutes, cet élément n’est pas suffisant
pour le financement.

«  Je dirais oui et non, c’est difficile à répondre. C’est un contexte, avoir du relationnel c’est
important mais maintenant ce n’est pas une source de décision finale… Qu’est-ce qui passe avant
la technique ou le relationnel  ? C’est délicat à répondre puisque c’est un tout, quand on fait une
analyse ce n’est pas blanc ou noir, d’un côté ou de l’autre. Je pense que le relationnel pour un
dirigeant d’une grande entreprise. Je ne parle pas si parce que bon si une PME, si c’est un artisan
où ils sont deux employés enfin il y a qu’un employé, il vaut mieux qu’il soit un bon technicien
qu’avoir du relationnel. Par contre, si c’est une boîte de 200 employés il vaut peut être mieux avoir
du relationnel que de la technicité donc tout dépend de la grandeur de l’entreprise, de sa taille. Je
dirai que plus la taille est importante, plus le relationnel est important. » Extrait ED, CAE12.

« Non, je vais dire non… je resterai dans l'étude d’un dossier sur le plan financier et après sur le
plan du chef d'entreprise sans faire état de ses relations, de sa compétence individuelle qu'ils
pourraient avoir. Je regarde sa technicité. » Extrait ED, CAE14.

IV – Discussion
Le but de la présente recherche est d’appréhender les éléments qui constituent l’information informelle
dans la décision bancaire. Sur 12 propositions de recherche formulées, seules 8 ont été validées. Les 8
éléments informels validés peuvent être regroupés en 3 dimensions représentées dans le schéma ci-
après.

Figure 5 : Dimensions de l’information informelle


INFORMEL
Historique bancaire

Dimension
Gestion des comptes
relationnelle
Confiance dans l’homme

Respect des engagements Décision d’octroi de


Dimension crédits
Organisation & Fonctionnement
managériale

Transparence

Crédibilité
Dimension
Compétence technique entrepreneuriale

Ce qui ressort le plus des résultats obtenus dans cette étude est que les principales sources d’information informelle
proviennent des entretiens entre le client et le CAE et des visites de site de production. Ces premiers sont
fondamentaux pour que le CAE puisse « lire » le comportement du dirigeant en temps réel et démasquer l’hypocrisie
mais ont une importance moindre que la visite de l’entreprise-cliente. Ces derniers permettent cette fois-ci de repérer
le fonctionnement, l’activité et l’organisation de l’entreprise. D’ailleurs, les 4 propositions non validées n’ont peu ou
prou de lien avec les entretiens dyadiques. Ce qui démontre la portée de voir « sur place ». Autrement dit, les
affirmations du dirigeant ont moins d’impact que ses actions traduites sur le terrain.
Tous les éléments informels validés sont importants dans le schéma mais seront pondérés différemment selon le
stade où en est la relation. Par exemple, quand une relation bancaire débute la dimension relationnelle est moins
importante que les deux autres (managériale et entrepreneuriale). Au fil du temps, et selon les propos des CAE, la
dimension relationnelle les supplante.
Le CAE ne doit plus être considéré comme un simple acteur obéissant à des règles décisionnelles quasi mécaniques.
Il semble en effet peu probable que, dans la prise de décision d’octroyer ou non un crédit, le CAE puisse se baser
uniquement sur de l’information formelle. Bien au contraire, le CAE a recours, plus ou moins consciemment, à
l’informel dans sa décision de financement aux entreprises. La principale raison invoquée pour justifier de
l’utilisation de l’informel au détriment du formel est l’inefficacité du système bancaire formel. Cette inefficacité est à
imputer en partie à l’informatisation et à la formalisation de l’ensemble des outils d’aide à la décision : analyse
financière, cotation...
Force est de constater que la relation interindividuelle entre le CAE et le dirigeant de la PME est très riche et permet
de dégager de l’information informelle plus pertinente que l’information formelle. Cela étant, même si la dichotomie
information formelle et informelle est nécessaire d’un point de vue théorique, elle reste délicate dès lors qu’il s’agit
d’aborder la complexité des décisions bancaires. Puisque les informations formelles et informelles évoluent, côte à
côte, nous pouvons nous attendre à certains chevauchements.
Il est par conséquent fort difficile de déterminer les frontières entre ces deux types d’informations. Certains éléments
semblent être moins informels que d’autres, car ils s’appuient en partie sur des éléments factuels (e.g., historique
bancaire, gestion des comptes, respect des engagements, organisation et fonctionnement et transparence), tandis que
d’autres sont issus de la simple conviction du CAE (e.g., confiance dans l’homme, crédibilité et compétence
technique). Ce qui suggère que plusieurs d’entre eux peuvent a priori être formalisés et/ou contrôlés par la
hiérarchie. Ce constat confirme l’entrelacement et la complémentarité du formel et de l’informel dans les relations
inter-organisationnelles (Guibert et Dupuy, 1997 ; Geoffroy, 2014).
Ces résultats vont à l’encontre des travaux de la littérature qui considèrent que le CAE finance un projet voire juste
une entreprise. Nous avons démontré que le banquier finance, surtout et avant tout, l’homme, qui doit prouver son
esprit d’entreprendre (i.e. dimension entrepreneuriale), sa capacité à gérer l’entreprise en « bon père de famille » (i.e.
dimension managériale) et son aptitude à construire une relation fiable (i.e. dimension relationnelle). Peu importe
que l’analyse financière et qualitative soit bonne, si le dirigeant ne convainc pas alors aucun financement ne lui sera
accordé.
Nos résultats corroborent ceux trouvés par Voordeckers et Steijvers (2006) concernant la place des
garanties dans la demande de financements. Une garantie conséquente n’est pas un facteur suffisant
pour l’octroi de crédits.

« Ce n’est pas parce qu’il y a une garantie, que le client a une assise financière importante
qu’on va le suivre, et inversement.  » Extrait ESD, CAE12.

Dans la plupart des dossiers, la mise en place de la garantie se fait après l’accord de principe du dossier
de financement et ne sert qu’à justifier a posteriori la décision en cas de contentieux. Notons pour finir
que la demande de garantie peut relever d’une stratégie du CAE lui permettant de tester un dirigeant. Il
peut, par exemple, proposer une caution solidaire et personnelle (CSP) au chef d’entreprise juste pour
voir sa réaction et déterminer s’il est réellement impliqué et confiant dans son projet.

« Avant de déterminer le type de garantie pour nous sécuriser, je dis au dirigeant que c’est, ça
sera une caution personnelle pour voir son comportement… s’il est absolument contre, c’est
qu’il me cache le vrai risque de son projet.  » Extrait ESD, CAE16.

La garantie peut même parfois être un élément, parmi d’autres, pour refuser une demande de
financement.

«  Ce n’est pas compliqué si tu ne veux pas signer le client… Il suffit de négocier un taux de crédit
supérieur au taux moyen du marché, pour encourager le dirigeant de l’entreprise-cliente à aller
voir la concurrence. Et, s’il ne comprend pas, tu lui demandes un montant de garantie qui le
dissuade. » Extrait ESD, CAE7.

Malgré certaines précautions (e.g., prétests, double codage, correction de Yates, etc.), cette recherche possède des
limites. La première concerne sa validité externe. En raison de son caractère qualitatif et contextualisé, ce travail
donne lieu à des conclusions qu’il faut éviter de généraliser trop rapidement. La seconde concerne la petitesse de
l’échantillon de l’étude qui relativise la portée des résultats. Il conviendrait d’étendre notre étude à d’autres
participants afin d’augmenter la robustesse de nos conclusions.
V – Conclusion
Cette contribution a permis de démontrer l’intervention « d’autres éléments » que les éléments formels
dans le processus décisionnel du CAE dans l’octroi de crédits aux PME. L’informel est d’autant plus
important dans les dossiers sur le « fil du rasoir » en permettant de faire basculer une décision : « faire
échouer » des dossiers convenables ou au contraire « faire passer » des dossiers discutables.

Ces éléments informels, utilisés par l’ensemble des CAE, portent principalement sur les différentes
capacités du dirigeant de l’entreprise-cliente : la dimension relationnelle, la dimension entrepreneuriale,
la dimension managériale. Cette importance du dirigeant dans la décision d’octroi de crédits s’explique
probablement par le fait qu’il est, dans le cas des PME, l’homme-clé.

L’enjeu pour les banques est donc savoir comment détecter et manager l’information informelle sans la
dénaturer pour la mettre au service de la relation banque-PME. Plusieurs questions restent en suspens et
nous poussent à continuer dans cette voie de recherche : ces éléments informels concernent-ils aussi le
financement des grandes entreprises ? Sont-ils également présents dans les autres banques ? Peut-on et
doit-on les formaliser pour les intégrer dans l’analyse qualitative ?
Annexe 1 : Guide d’entretien des ED

Consigne initiale : En dehors de l’analyse financière, je voudrais savoir quels sont les éléments qui vous
permettent l’octroi ou le refus de crédits ? N’hésitez pas à approfondir et à me donner des exemples.

1. Dimension relationnelle.

1.1. L’historique bancaire a-t-il une incidence dans votre décision de crédit ?

1.2. La façon dont le dirigeant gère ses comptes au quotidien a-t-elle un effet dans votre décision ?

1.3. Préférez-vous que l’entreprise vous considère comme un partenaire ou comme un simple
fournisseur, cela vous influence-t-il dans votre décision ?

1.4. La confiance dans l’homme peut-elle influencer votre décision de financement ?

2. La dimension managériale.

2.1. L’organisation et le fonctionnement de l’entreprise ont-ils une incidence dans votre décision de
crédit ?

2.2. La transparence du dirigeant de l’entreprise peut-elle influer dans l’acceptation ou le refus d’un
crédit ?

2.3. Le respect des engagements a-t-il un effet dans votre décision de financement ?

2.4. La confiance dans l’entreprise peut-elle influencer votre décision de financement ?

3. La dimension entrepreneuriale.

3.1. La compétence technique du dirigeant a-t-elle une incidence dans votre décision de crédit ?

3.2. La compétence individuelle du dirigeant, a-t-elle un effet dans votre décision d’octroi de
financement ?

3.3. La réputation individuelle du dirigeant peut-elle influer dans l’acceptation ou le refus d’un
financement ?

3.4. La crédibilité du dirigeant peut-elle influencer votre décision de financement ?


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