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Leçon d’économie Avril 2007

Sujet : Les politiques fiscales

Introduction

En 1707, dans la dernière année de sa vie, Sébastien le Prestre, seigneur de Vauban publia son
« Projet de dixme royale ». Pour Joseph Schumpeter : « C’est l’un des travaux remarquables
dans le domaine des finances publiques, inégalé avant ou après dans la clarté et la force de
l’argument »1. Vauban souhaitait remplacer les nombreux impôts qui coexistaient en France
avec souvent un rendement faible par un impôt général sur tous les types de revenus avec des
taux qui ne devaient pas dépasser 10% (d’où le nom de dixme). Ce qu’il recommandait reste
d’actualité : que tout le monde paie l’impôt, qu’il y ait peu ou pas d’exemptions, que l’on
mette en place des taux de prélèvement pas trop élevés afin de ne pas décourager le commerce
au sein du royaume de France. Trois siècles plus tard, on peut lire dans la dernière Etude
économique sur la France de l’OCDE « Le système de prélèvements fiscaux et sociaux de la
France se caractérise par des taux apparents élevés, des taxes spécifiques encore nombreuses,
un nombre assez important d’institutions intervenant dans le calcul, la collecte et l’affectation
des recettes, et la complexité supplémentaires qui résulte du grand nombre d’exemptions
et d’abattements »2. Ainsi, trois siècles après le projet de Vauban, l’OCDE recommande à la
France de simplifier son système fiscal (en introduisant le prélèvement à la source), d’alléger
les taux de prélèvement et de limiter les crédits d’impôts et déductions spéciales.
Comme on peut le voir avec cet exemple, les réflexions sur la politique fiscale ne sont pas
nouvelles et les recommandations actuelles peuvent avoir des racines anciennes. Il reste que la
fiscalité est au cœur des débats de politique économique avec la question de la place
respective du marché et de l’Etat, le poids croissants de la fiscalité locale avec la
décentralisation, la réforme du financement de la protection sociale, le problème de la
concurrence fiscale dans un contexte de mondialisation des économies, l’urgence des
questions environnementales qui pose le problème des eco-taxes, la difficile conciliation
d’une fiscalité réductrice d’inégalités qui ne soit pas un frein aux créations d’emplois…
Pour identifier ces multiples enjeux d’une politique fiscale nous commencerons par cerner les
grandes caractéristiques de la fiscalité en prenant l’exemple de la France comparé aux autres
pays, puis nous nous interrogerons sur ce que l’analyse économique présente comme étant
une bonne fiscalité pour enfin essayer de cerner les enjeux des réformes fiscales actuelles.

1
Shumpeter J. (1983), Histoire de l’analyse économique, tome 1, p 287, Editions Gallimard
2
OCDE (2005), Etude économique de la France 2005, Synthèses OCDE, p 4
http://www.oecd.org/dataoecd/57/15/35006524.pdf

1
1 - Fiscalité : de quoi parle t-on ?
Guy Gilbert écrit : « La fiscalité se définit comme l’ensemble des prélèvements pécuniaires
obligatoires effectués par les administrations publiques à titre définitifs et sans contrepartie
immédiate ou directe. Elle se distingue du prix de marché, paiement volontaire et mode de
couverture intégral des coûts »3.
Les typologies pour classer les impôts : directs – indirects ; selon l’assiette (revenus,
patrimoines, biens et services…) ; selon leur barème (progressif , régressif, proportionnel) ;
forfaitaire (sans effet sur les prix relatifs) – non forfaitaires (distorsion des prix relatifs)
1.1 - Des systèmes fiscaux difficiles à comparer
Entre pays à système fédéral et pays « centralisés »
Entre pays à protection sociale fiscalisée et pays à financement par cotisations sociales
ou (et) par assurances privées
La difficile comparaison entre la situation des pays industrialisés et celle des pays en
développement où le besoin de services publics est considérable, la classe dirigeante est aussi
souvent celle qui possède l’essentiel des ressources avec une réticence marquée pour payer
l’impôt, enfin, la collecte fiscale repose sur la coercition qui doit s’exercer de la même
manière sur tous les citoyens, ce qui est rarement le cas dans les pays en développement
(moyens matériels limités de l’administration fiscale, corruption, importance de l’économie
informelle d’où le rôle souvent essentiel des droits de douane qui sont les taxes les plus faciles
à lever.
On peut préciser les différences de situation en utilisant les informations des documents en
annexe intitulés : Graphique 1 - Total des recettes fiscales en pourcentage du PIB 2004 ;
Graphique 2 - Recettes fiscales en pourcentage du total des recettes fiscales 2004 ; Graphique
5 – Structure des recettes fiscales des administrations centrales 2004 ; Graphique 6 – Structure
des recettes fiscales des administrations d’Etats et locales 2004 ; Classement des pays selon le
poids des recettes fiscales dans le PIB avec et hors sécurité sociale.
Concernant la France , l’OCDE critique en particulier la fiscalité sur le travail en montrant
le poids de celle-ci sur ce qu’ils appellent le travailleur moyen : « Un autre aspect de la
fiscalité sur lequel on a beaucoup travaillé ces derniers temps est celui de la fiscalité sur le
travail et, en particulier, ce que l’on appelle la fiscalité du travailleur moyen. On a imaginé le
concept de la tranche fiscale. La tranche fiscale comprend l'impôt sur le revenu et les
contributions sociales en tant que pourcentage des coûts de main-d’œuvre… Concernant la
tranche fiscale pour un travailleur célibataire sans enfants percevant un salaire moyen dans un
pays de l'OCDE, la situation de la France n’est pas très bonne avec une tranche fiscale plutôt
élevée. L'OCDE estime que c'est une des raisons du taux de chômage élevé en France. Cela a
aussi un rapport avec la composition de la tranche fiscale.
L'impôt sur les revenus représente la plus petite partie de la tranche, puis une partie un peu
plus importante est constituée par les contributions sociales de l'employé, enfin une partie
encore plus importante constituée par les contributions de l'employeur. D'après la théorie
économique, si on avait un marché parfait, il n'y aurait pas de différence entre les paiements
faits par les employés ou les employeurs. Mais la France occupe une position inhabituelle
dans les pays de l'OCDE. Un grand nombre de ses travailleurs est payé au salaire minimum et
les contributions des employeurs ne peuvent pas être transférées aux travailleurs. En France,
comme dans tous les pays qui ont un grand nombre de travailleurs payés au salaire minimum,
la plus grande partie des contributions pèse sur les employeurs.
La loi Fillon a quasiment annulé les contributions des employeurs pour les travailleurs payés

3
Gilbert G. (2001), « Fiscalité » in Dictionnaire des sciences économiques, p 421, PUF

2
au salaire minimum. Or, pour ceux qui sont payés au salaire minimum, la question des
contributions sociales ne se pose pas vraiment. Cela devient plus compliqué pour ceux qui se
situent entre le salaire minimum et le salaire moyen. Si l’on regarde la situation dans les
autres pays, on voit que les contributions sociales jouent un rôle beaucoup moins important,
notamment les contributions des employeurs »4.
Voir le dernier document de l’annexe : « Impôts applicables à l’ouvrier moyen ».

1.2 - Marqués par une hétérogénéité croissante depuis les années 1970

On a déjà des systèmes complexes avec de nombreux types d’impôts comme le montre en
annexe la nomenclature : « Classification d’impôts de l’OCDE », mais l’hétérogénéité entre
les pays qui est déjà forte avec des structures complexes de prélèvements obligatoires, est
encore accentuée par des évolutions divergentes.
D’un côté on a les pays anglo-saxons qui depuis les années 1980 sont engagés dans un
mouvement de réduction des prélèvements obligatoires qui repose aux Etats-Unis sur une part
croissante du financement de la santé et de la vieillesse par les assurances privées et au
Royaume-Uni sur la réduction des investissements publics
Cette hétérogénéité croissante pourra être illustrée par l’analyse de trois documents en
annexe :
- Graphique 4 – Structure de la fiscalité dans les pays membres de l’OCDE (1965 –
2004) fait apparaître que les pays ont des évolutions divergents de leur structure des
prélèvements obligatoires.
- Le tableau A – Total des recettes fiscales en pourcentage du PIB fait apparaître à la
fois des divergences dans les niveaux moyens de pression fiscales et dans les
évolutions : certains pays comme l’Allemagne ont une tendance à la baisse de leur
pression fiscale, alors que la France, l’Italie ou l’Espagne connaissent un
alourdissement sensible.
- Le tableau B – Impôts sur le revenu et les bénéfices en pourcentage du PIB fait
apparaître de grandes différences dans le niveaux des impôts directs (faible poids de
ces impôts en France dans la totalité des prélèvements obligatoires) et dans les
évolutions entre 1975 et 2005.

2 – Qu’est-ce qu’une bonne fiscalité ?


La théorie économique aborde le question de la fiscalité à partir de deux approches.
2.1 – Concilier efficacité et redistribution
La première approche, celle de l’économie objective, pose le problème de l’incidence
fiscale, c’est à dire la prise en compte de la modification de comportement de l’agent
économique sur le marché du travail, sur celui des capitaux ou des biens et services quand on

4
Heady Ch. (2006), Les politiques fiscales dans les pays de l’OCDE : éléments de comparaison, communication
dans le cadre des Rencontres économiques 2006 de l’Institut de gestion publique et du développement
économique sur le thème : « La fiscalité au service des politiques économiques », p 11 – 12.

3
introduit un impôt. Il faut aussi prendre en compte, l’influence de l’impôt dans les stratégies
de localisation, de transferts intergénérationnels de revenus et de patrimoine. L’économiste
cherchera à évaluer les effets de revenu et de substitution liés à la mise en place d’un
prélèvement fiscal, il calculera des effets de seuil, il cherchera à identifier des problèmes de
coin fiscal… Le problème posé est celui des distorsions qui sont créées par la fiscalité dans
l’allocation des ressources, sauf dans le cas d’un impôt forfaitaire.
Concernant la redistribution, François Bourguignon dans une étude de 19985, estime que
les transferts sociaux et les impôts progressifs permettent d’élever de 69% le revenu net du
quintile inférieure de la distribution en prélevant 16% sur le revenu net du quintile supérieur.
Bourguignon constate par ailleurs que la redistribution opérée par le canal des impôts et des
transferts sociaux est relativement faible en France comparé à nos principaux partenaires.

Source Rapport N°11 du CAE, p 30

Cela tient au faible poids de l’impôt sur le revenu, aux multiples possibilités de déductions
fiscales. La redistribution en France s’opère plus par le revenu minimum que par la fiscalité.
La redistribution horizontale opère largement par le système du quotient familial
2.2 – La fiscalité optimale
La seconde approche, celle de l’économie normative s’intéresse à la fiscalité optimale avec
deux critères qui conduisent à des choix contradictoires : celui de l’efficacité allocative
(implique que la fiscalité ne créée pas de distorsion de prix relatifs => impôts forfaitaires
individualisés) et celui de l’équité interindividuelle. Guy Gilbert fait remarquer : « On peut
assigner d’autres caractéristiques souhaitables au système fiscal idéal. La simplicité, la
flexibilité, la transparence, le rendement financier ou l’équité horizontale sont autant de
critères supplétifs que la théorie de l’impôt optimal ignore en général mais qui ne manquent
pas de pertinence » (P 423).

Règle de Ramsey : Les taux d’imposition à appliquer à chaque bien doivent être inversement
proportionnels à l’élasticité prix directe de leur demande, plus ou moins compensée par
d’éventuelles élasticités croisées => la fiscalité optimale sur les biens est une fiscalité
discriminante selon les biens.

5
Bouguignon F. (1998), Fiscalité et redistribution, rapport N°11 du CAE

4
Pour la taxation des revenus, les critères sont multiples : équité verticale – horizontale,
efficacité économique, prise en compte de l’élasticité de substitution entre loisirs et
consommation => débat sur l’impôt négatif.

Jacques Le Cacheux dans le texte ci-dessous critique le raisonnement de Pareto et introduit la


présentation de l’arbitrage efficacité – équité avec le barème en U :
« Pareto nous a induit en erreur pour presque un siècle en essayant de distinguer
analytiquement les deux grandes fonctions : celle qui consiste à prélever et celle qui consiste à
redistribuer. Globalement, sa théorie disait que, si l’on a des impôts forfaitaires qui permettent
de redistribuer sans modifier les prix relatifs, cela ne modifiera pas les incitations et l’on peut
donc modifier les deux. Dans un premier temps, on a l’objectif de maximiser la « taille du
gâteau » et, dans un deuxième temps, complètement indépendamment de la première
opération, l’objectif de « partager le gâteau ». C’est « l’illusion parétienne de la redistribution
forfaitaire », c’est-à-dire l’idée que l’on pourrait distinguer les deux opérations et que l’une
n’influerait pas sur l’autre… Evidemment, cette idée est totalement fausse et toute la théorie
moderne de la microéconomie et de l’analyse de la fiscalité s’attache à montrer précisément le
contraire. Depuis la théorie de la fiscalité optimale qui s’est développée depuis une trentaine
d’années, il existe un arbitrage entre efficacité et équité
La théorie de la fiscalité optimale dit que le barème optimal, si l’on veut faire un arbitrage
entre efficacité et équité, est un barème en U… Selon cette théorie, il faut des taux marginaux
très élevés « en bas », parce qu’il y a beaucoup de monde « en bas » de la répartition des
revenus mais, comme ces individus ne sont pas très productifs, il n’est pas très grave de les
dissuader de travailler, du moins du point de vue de la production nationale. C’est la même
chose « en haut », mais pour la raison opposée : il y a très peu de monde, mais les individus
concernés sont très concernés. Cela ne coûte donc pas très cher non plus de les dissuader.
Globalement, il faut donc imposer relativement peu tous ceux qui se trouvent au milieu, où les
individus sont nombreux et relativement productifs, et assez fortement ceux qui se trouvent en
haut et en bas de la fourchette »6.
Le raisonnement est modifié dans le cas d’une économie ouverte avec l’apparition de
situations de concurrence fiscale, dans ce cas, les élasticités de la recette fiscale au taux de
prélèvement vont être beaucoup plus élevées sur les assiettes mobiles comme le capital ou les
revenus des salariés les plus qualifiés. Dans ce cas il faut aplatir la courbe en U, ce qui va
rendre le système moins progressif.
On peut prolonger la réflexion sur la taxation optimale avec la présentation de l’impôt linéaire
(la flat tax) qui a été présentée pendant les années 1980 par les économistes de l’offre comme
le meilleur système fiscal dans le cadre d’une économie de marché afin de stimuler
l’investissement ett l’épargne : « Le flat rate system, tel qu’il a été proposé à l’origine,
consiste à taxer une seule fois tous les revenus à un taux « unique » et « bas », remplaçant
ainsi un régime d’imposition des revenus global et progressif basé sur une grille de taux
variables en fonction du niveau des revenus. Afin de conserver une certaine progressivité, ce
régime prévoit une exemption pour les bas revenus ainsi que la possibilité d’opter pour une
déduction standard ou pour des déductions détaillées des frais liés à la santé ou d’autres
dépenses à caractère social »7. On constate que diverses expériences de mise en place de taux
forfaitaires ont été introduits pendant les années 1990, en particulier dans des économies en
transition : l’Estonie avec un impôt sur le revenu à 22%, la Lettonie avec un taux à 25%, la

6
Le Cacheux J. (2006), La fiscalité au service des politiques économiques, Les rencontres économiques 2006,
Institut de la gestion et du développement économique, p 30 - 31
7
Maggiulli C. et Mors M., Quelques éléments d’analyse de la flat tax, Reflets et perspectives de la vie
économique 2006/3, Tome XLV, p. 54.

5
Russie a introduit en 2001 un taux linéaire d’impôt sur le revenu à 13%. La Slovaquie a mis
en place en 2004 un flat tax généralisé avec un taux linéaire de 19%. On pourrait poursuivre
avec des exemples en Lituanie, Roumanie, Slovénie, Pologne.
Il est trop tôt pour tirer des enseignements significatifs de ces réformes, mais on peut y voir
un risque accru de concurrence fiscale et une volonté de ne pas taxer le capital qui pose
problème pour une harmonisation au niveau européen.

Quel est le niveau optimal de décentralisation fiscale (dépend de la qualité de l’information


de l’administration publique à chaque niveau concernant les caractéristiques des agents).
Risque de concurrence fiscale locale et de multiplication de décisions fiscales décentralisées
=> autre solution, les transferts pigouviens de l’autorité centrale vers les collectivités locales.
Dans le cas de la France, Philippe Mills remarque : « il est absolument vital de restaurer en
France le lien entre les contribuables locaux et les collectivités publiques locales. Les
dépenses locales ont augmenté de plus de moitié dans les 25 dernières années. Elles sont
passées de 7 points de PIB à 11 points de PIB depuis le début des années 1980. Les
collectivités locales interviennent désormais dans de nombreux domaines de l’action sociale
et les régions, notamment, produisent aussi des effets incontestables en matière de
développement économique. Elles le font avec une fiscalité extrêmement complexe et le lien
est très lâche entre ce qui est décidé par les collectivités et ce qui est effectivement perçu par
le contribuable. Cela aboutit à des comportements dont il n’est pas sûr qu’ils soient
parfaitement efficaces »8.

Quelle est la voie optimale pour réaliser des réformes fiscales : la théorie économique des
réformes montre que l’on est confronté à un biais de statu quo9 qui résulte d’un manque de
support électoral suffisant. Toutefois comme le remarquent Micael Castanheira et Christian
Valenduc : « La solution n’est cependant pas nécessairement d’attendre une crise grave.
Les travaux de Dewatripont et Roland (1992, 1995) dégagent une série de principes qui
peuvent aider les gouvernements à se défaire (du moins en partie) de cette contrainte de statu
quo. Le principe fondamental de leur analyse est de voir comment les gouvernements peuvent
adapter leurs propositions de réforme pour modifier la structure du support électoral tout en
atteignant les mêmes objectifs. Ils démontrent que, dans de nombreuses circonstances, il est
préférable de passer par une série de réformes graduelles (une « politique des petits pas »)
qui n’altèrent que progressivement le système en place. Les vertus du gradualisme sont
multiples : le gradualisme permet d’apprendre comment améliorer les réformes à venir à la
lumière des évolutions consécutives aux premières mesures. Il permet aussi de réduire les
coûts de renversement des mesures qui s’avèrent les moins efficaces – ce qui permet
d’expérimenter plus souvent, dans plus de directions, comme l’ont fait des pays tels que le
Danemark et la Suède. Finalement, il permet soit d’atténuer les coûts de transition pour
certains groupes, soit de réduire la taille des groupes « perdants » qui sont ainsi plus isolés
politiquement »10

8
Mills Ph. (2006), Le système fiscal français favorise-t-il le développement économique ? Les rencontres
économiques 2006, Institut de la gestion et du développement économique,, 21.
9
FERNANDEZ R. et D. RODRIK (1991). “Resistance to reform: Status quo bias in the presence of individual specific
uncertainty”. American Economic Review, no 81, p. 1146-1155

10
Castanheira M. et Valenduc C., Économie politique de la taxation, Reflets et perspectives de la vie
économique 2006/3, Tome XLV, p. 25.

6
3 – Les enjeux des réformes fiscales actuelles

3.1 – Répartir équitablement la charge fiscale


Henri Sterdyniak dans un document de travail récent de l’OFCE propose de voir : « en
étudiant les principales réformes fiscales ou sociales mises en oeuvre en France de 1993 à
2005, comment les préoccupations redistributives ont été prises en compte. Les réformes ont-
elle abouti à renforcer un modèle social français (MSF), caractérisé par un fort niveau de
redistribution, ou au contraire à l’éroder progressivement ?
Le bilan apparaît mitigé. Des mesures importantes aboutissent à renforcer le MSF, comme la
création de la CSG, de la CMU et de la PPE ou l’instauration de la progressivité des
cotisations sociales employeurs. La France maintient un niveau élevé de prélèvements sur les
titulaires de hauts revenus et de patrimoine importants. En sens inverse, le poids de l’impôt
sur le revenu a été réduit ; de nombreuses prestations sociales ont vu leur importance relative
diminuer. Le souci de la redistribution fait place à celui d’inciter les riches à rester en France ;
celui de secourir les plus pauvres à celui de les inciter à travailler »11. Il constate : « Une
tendance commune vers l’atténuation de la progressivité de l’impôt se dessine au sein des
pays européens. En France, le taux marginal supérieur est passé de 56 % en 1988 à 48 % en
2004 ; en Espagne et en Allemagne, il a baissé de 11 points. L’Italie envisage la mise en place
d’un barème à deux tranches avec un taux supérieur à 33 %. Cette évolution suit
l’abaissement massif des taux supérieurs de l’impôt sur le revenu effectué depuis le début des
années 1980 aux Etats-Unis. L’évolution fut similaire au Royaume-Uni de 1979 à 1988, avec
une baisse du taux marginal supérieur de 98 % à 40 %, non remise en cause par les
Travaillistes. Actuellement, les plus riches paient un taux marginal de l’ordre de 50 %, sauf en
Espagne 45 % et au Royaume-Uni, 40 % »12.
On peut présenter le travail de Antoine Bozio, Fabien Dell et Thomas Piketty qui « proposent
deux impôts sur le capital, susceptibles de résister au critère de faisabilité. Le premier est un
impôt sur l'ensemble du passif des sociétés afin de taxer sans distorsion et à un taux très faible
l'ensemble du capital à la disposition des entreprises. Un taux proche de 1,4% permet de
supprimer l'impôt sur les bénéfices et la taxe professionnelle. Le second impôt vise à taxer le
patrimoine des ménages à un taux de 1% afin de supprimer la taxe d'habitation, les taxes
foncières, les droits de succession, l'ISF et l'imposition de l'épargne »13.

3.2 - Faire face à la concurrence fiscale entre économies de plus en plus intégrées
Jacques Le Cacheux remarque : « Au sein de l’Union européenne (UE), comme dans tout
groupe de pays, les gouvernements nationaux sont fréquemment tentés par les stratégies non
coopératives. Depuis l’analyse fondatrice de Mancur Olson sur la « logique de l’action
collective » (1965), l’on sait que cette tentation est d’autant plus forte que le groupe est
nombreux, les membres de petite taille et hétérogènes. La concurrence fiscale apparaît
aujourd’hui comme l’une des modalités majeures de telles stratégies. En effet, l’achèvement
du Marché unique, au premier janvier 1993, et le mouvement continu de libéralisation auquel

11
Sterdyniak H., La redistribution est-elle encore un objectif des politiques budgétaire et sociale ? document de
travail N°2006-02, p 2.
12
Sterdyniak H., La redistribution est-elle encore un objectif des politiques budgétaire et sociale ? document de
travail N°2006-02, p 26
13
Voir : http://www.cepremap.ens.fr/depot/docweb/docweb0521.pdf

7
son perfectionnement progressif donne lieu depuis lors, puis le passage à la monnaie unique
semblent avoir significativement altéré de l’UE. L’application au domaine de la fiscalité du
principe décentralisateur de subsidiarité et le maintien des décisions sur la fiscalité dans le
champ des décisions régies par la règle de l’unanimité empêchent une véritable concertation
en matière fiscale, favorisant au contraire les stratégies opportunistes et non coopératives
des États membres. En rendant impossible les dévaluations compétitives, l’unification
monétaire a, en effet, fait de la concurrence fiscale le principal instrument des stratégies non
coopératives des États »14.
Les grands pays de l’UE sont en particulier confrontés à la concurrence fiscale des petits pays
qui ont des niveaux de dépenses publiques plus faibles à financer et depuis 2004 avec
l’élargissement, la concurrence économique, fiscale et sociale s’est renforcée avec les
nouveaux entrants.
La France avec un niveau de prélèvements obligatoire est confronté à une nécessaire
adaptation de sa fiscalité =>
Exemple des réformes fiscales françaises annoncées en 2005 : réduction de l’impôt sur le
revenu (l’abattement de 20% est étendu aux revenus supérieurs à 10 000€ par mois, le barème
passe de 6 à 4 tranches avec une tranche la plus élevée qui passe de 48,09 à 40%) ;
revalorisation de la prime pour l’emploi ; mise en place d’un bouclier fiscal (le total des
impôts d’un contribuable ne pourra être supérieur à 60% de ses revenus.
Mathieu Plane et Henri Sterdyniak concluent à partir d’une simulation que les 10% de la
population la plus aisée reçoit 40% des gains générés par ces réformes, tandis que les 10% les
plus pauvres reçoivent 2%15
Pour Jacques Le Cacheux : « La théorie de la fiscalité optimale, initiée par les travaux de
Ramsey, puis de Mirlees, suggère que l’accroissement de la mobilité des détenteurs des
revenus et des patrimoines les plus élevés, en rendant plus forte l’élasticité des assiettes aux
taux de prélèvement, oblige à réduire la pression fiscale en haut des barèmes. Mais la
contrepartie devrait en être, en économie ouverte, une amélioration parétienne dont les fruits
peuvent, en principe, être redistribués. Les évaluations menées dans le cadre de nos travaux
montrent que l’on peut sans doute alléger la pression fiscalo-sociale sur les plus bas revenus et
améliorer la compétitivité fiscale, sans léser les classes moyennes. »16.
Reste à préciser les enjeux de la réforme du financement de la protection sociale. Thomas
Piketty cerne bien cette question : « Aujourd'hui, un salaire brut de 100 correspond à un
salaire net d'à peine 80 et un coût du travail de 145, soit pratiquement un écart de un à deux
entre ce que touche le salarié et ce qu'il doit rapporter à son employeur. Abaisser cet écart,
ou en tout cas faire en sorte qu'il ne progresse pas (trop), devrait probablement être la
priorité de toute politique globale des prélèvements obligatoires en France. D'autant plus
que cela n'a guère de sens de financer avec des cotisations pesant exclusivement sur les
salaires l'ensemble des dépenses de la protection sociale. Cela se justifie pour les prestations
relevant de l'assurance obligatoire (retraites et chômage), qui ouvrent des droits
proportionnels aux cotisations versées, et qui doivent apparaître comme telles pour les
citoyens, séparément des autres prélèvements. Les plafonds de ce système d'assurance
obligatoire mériteraient au passage d'être abaissés : par exemple, le régime de retraite
complémentaire des cadres s'applique dans notre pays jusqu'à huit fois le plafond de la
Sécurité sociale, soit l'équivalent de 15 smic. Mais comme il faut bien payer les retraites

14
Le Cacheux J. (2006), « Réformer la fiscalité française pour faire face à la concurrence fiscale, Reflets et
perspectives de la vie économique, tome XLV, p 81 – 82.
15
« Réforme fiscale 2007 : un pas de côté », par Mathieu Plane et Henri Sterdyniak, p 102, dans L’économie
française 2007, septembre 2006, Repères N°463, La découverte
16
Le Cacheux J. (2006), « Réformer la fiscalité française pour faire face à la concurrence fiscale, Reflets et
perspectives de la vie économique, tome XLV, p 88.

8
correspondantes et que les personnes en question ont tendance à vivre plus longtemps que
les autres, c'est l'exemple même d'un prélèvement qui, en termes de redistribution, ne
rapporte rien. Mais cela ne peut se justifier pour les prestations familiales et les dépenses de
santé, qui relèvent d'une logique de solidarité nationale et devraient reposer sur des bases
fiscales aussi larges que possible - surtout à un moment où le travail est déjà surtaxé et où
l'on cherche à favoriser les créations d'emplois »17.
Evoquer les différentes pistes pour alléger la fiscalité sur le travail : les exonérations, la
fiscalisation de la protection sociale (CSG créée en 1991, CRDS créée en 1996, TVA
sociale…), les projets d’élargissement de l’assiette des cotisations sociales employeurs18.

3.3 - Fiscalité et politique de développement durable


« L’utilisation de la fiscalité dans les politiques environnementales, afin de réduire la
pollution et les impacts environnementaux liés aux activités économiques et aux modes de
consommation, s’est fortement développé dans les pays de l’OCDE durant les années 90.
Cette tendance, amorcée par les pays d’Europe du nord, complète la batterie d’outils plus
classiques (réglementation, subventions, mesures de couverture des coûts) et initie un
mouvement d’intégration de différents outils basés sur le marché (instruments tarifaires
comme les contributions amont sur les déchets, marchés de contrats négociables / permis
d’émissions, crédits d’impôts...)19 ».
Voir les initiatives de taxes vertes, eco-taxes, taxe carbone… Dans le cas de la France on peut
se référer au document sur l’ecofiscalité20.
Il semble que la fiscalité environnementale pourrait permettre de développer une véritable
harmonisation fiscale dans ce domaine en Europe et aussi être une source de financement
pour un budget européen ce qui en contrepartie permettrait de lancer une politique
environnementale au niveau de l’Union européenne plus ambitieuse que ce qui existe
aujourd’hui.

Conclusion
Au nom de la mondialisation et de la concurrence fiscale qu’elle activerait, on assiste à de
nombreuses réformes visant prioritairement à réduire la pression fiscale. Cette tendance est
porteuse de nombreux risques :
- La mondialisation révèle des défaillances de marché qui nécessitent une intervention
publique qu’il faudra financer (développer une gouvernance économique mondiale…)
- Les problèmes environnementaux s’intensifient avec un croissance économique
mondialisée (la pollution se diffuse avec l’industrialisation et l’urbanisation des
économies)
- Les phénomènes de polarisation économiques et sociales semblent l’emporter sur les
effets de diffusion attendus ce qui entraînent la nécessité de développer des politiques
de rééquilibrage qui ont un coût
C’est un approche rénovée de l’intervention publique qui est en jeu, mais qui ne pourra être
mise en œuvre qu’en pensant des réformes fiscales progressives, harmonisées dans une

17
Piketty Th. (2006), Fiscalité : augmenter ou diminuer ? Pas de destin commun sans pression fiscale, Le
Monde du 20/10/2006
18
Voir les analyses présentées dans un dossier sur le site du CAE :http://www.cae.gouv.fr/avis_cotsoc.htm
19
http://www.ecologie.gouv.fr/Synthese-du-dossier-thematique-sur.html
20
http://www.ecologie.gouv.fr/IMG/pdf/DP_20070123_ecofiscalite.pdf

9
logique visant à mieux intégrer les logiques privées et publiques et donc aussi les financement
par les prix de marchés et par les prélèvements obligatoires .
Comme le rappelle Thomas Piketty : « La question de la pression fiscale est une question
politique. Sans impôts, pas de destin commun, pas de capacité collective à agir. Toutes les
grandes avancées institutionnelles ont toujours mis en jeu une révolution fiscale. C'est le cas
de la Révolution française avec l'abolition des privilèges fiscaux ou encore de la Révolution
américaine, dont l'un des mots d'ordre était "pas de taxation sans représentation"21.

Bibliographie
- Rapport du CAE N°56 (octobre 2005), Croissance équitable et concurrence fiscale
http://www.cae.gouv.fr/rapports/dl/056.pdf
- Gilbert G. (2001), « Fiscalité » in Dictionnaire des sciences économiques, PUF
- Bénassy-Quéré A. Coeuré B. Jacquet P. Pisani-Ferry J. (2004), Politique économique,
chapitre 7 : « La politique fiscale », De Boeck Université
- « Réforme fiscale 2007 : un pas de côté », par Mathieu Plane et Henri Sterdyniak dans
L’économie française 2007, paru en septembre 2006, Repères N°463, La découverte
- Vallée A. (2000), Les systèmes fiscaux, Seuil, Points Economie
- Reflets et perspectives de la vie économique Tome XLV –2006/3
L'imposition des revenus : Des modèles remis en question ?
- Problèmes économiques N°2890, « Réforme fiscale et concurrence » (4/01/2006), La
Documentation française
- Concernant la TVA sociale : http://fr.wikipedia.org/wiki/TVA_sociale et
http://www.tva-sociale.org/
- Concernant l’éco-taxe : http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cotaxe
- Prélèvements obligatoires : compréhension, efficacité économique et justice sociale
LE CLEZIO Philippe Conseil économique et social (2005)
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports
publics/064000071/index.shtml?xtor=EPR-526

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Piketty Th. (2006), Fiscalité : augmenter ou diminuer ? Pas de destin commun sans pression fiscale, Le
Monde du 20/10/2006

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Classement des pays selon le poids des recettes fiscales dans le PIB avec et hors sécurité
sociale

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Impôts applicables à l’ouvrier moyen
Cette série, qui traite de l’imposition d’un ouvrier célibataire, mesure la différence entre le
coût salarial d’un ouvrier moyen célibataire pour son employeur et le montant du revenu
disponible (salaire net) qui est perçu. Ce « coin fiscal » permet de mesurer l’effet dissuasif du
système fiscal sur l’emploi.
Définition
Les impôts pris en compte dans l’indicateur sont les impôts sur le revenu des personnes
physiques, les cotisations salariales et patronales de sécurité sociale. Les taxes sur les salaires
sont également prises en compte pour les rares pays où elles s’appliquent. Le montant de ces
impôts payés pour l’emploi d’un ouvrier moyen est exprimé en pourcentage des coûts de
main-d’œuvre (salaire brut plus cotisations patronales de sécurité sociale et taxes sur les
salaires). Un ouvrier moyen (OM) est défini comme une personne dont la rémunération est
égale au revenu moyen de l’ouvrier qui travaille à temps complet dans le secteur
manufacturier du pays concerné. L’ouvrier moyen est réputé vivre seul, ce qui signifie qu’il
ou elle ne bénéficie d’aucun allègement fiscal au titre d’un conjoint, d’un concubin ou d’un
enfant.

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Graphique Impôts applicables à l’ouvrier moyen

Source : Panorama des statistiques de l'OCDE 2006, p 196 - 197

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