En géopolitique, on s’interroge sur les rapports de force entre les différentes
puissances, que ce soient des puissances internationales (comme les Etats-Unis) ou alors des puissances régionales (la Turquie). Entre ces deux niveaux de puissance, on s’interroge sur la Russie. La Russie est-elle une puissance capable de peser sur le destin de sa région ou sur le destin du monde ? Quels sont les instruments que la Russie met en œuvre pour assurer son influence sur ses voisins et peut-être au-delà ? On peut parler du militaire, de facteurs économiques comme l’énergie, des aspects financiers, du numérique comme levier de puissance. Comment le Russie s’en sert ou s’en est-elle servi. Desquels ? Dans quelles mesures ? Vis-à-vis de qui ? Problématique : Comment l’histoire, la géographie, l’économie et même les mentalités influent-elles sur la politique étrangère de la Russie ? La Russie est un Etat qui est né en Europe, il est devenu eurasiatique au fil du siècle. C’est un monde qui est passé d’une unipolarité à une multipolarité au cours de l’histoire. La Russie est-elle en train d’essayer de rebâtir une superpuissance qu’elle aurait récemment perdu ?
Chapitre 1 : La « Terre russe » sous la menace terroriste
I. Construction, déconstruction, reconstruction du
territoire : de l’Empire à la Fédération Le premier facteur qui est déterminant quand on parle de géopolitique est le territoire qui est un héritage de l’histoire mais qui a été modifié et continu d’être modifié. La Fédération de Russie est le plus grand Etat au monde par sa superficie avec un territoire qui s’étend sur dix- sept millions de km² (c’est-à-dire 11% des terres émergées) et sur deux continents, l’Europe et l’Asie. Si on fait un peu d’histoire, paradoxalement, on s’aperçoit que lors de la construction de ce qu’on va appeler « l’Etat russe », les russes sont des slaves et que leur berceau se trouve aujourd’hui dans un Etat voisin, l’Ukraine (en particulier Kiev). Donc la Russie n’est pas née à Moscou, à Saint-Pétersbourg, ni même dans la limite des frontières russes d’aujourd’hui mais à l’extérieur des frontières actuelles de la Russie. Si on étudie ce peuple slave au cours de l’histoire, si on étudie leur trajectoire entre le VI° et le IX°-X° siècles, on s’aperçoit que ces slaves vivent dans un espace originel qui se situe entre le Dniepr, le Dniestr et la Vistule, donc dans ce qu’on appelle aujourd’hui l’Europe centrale et orientale. On voit que les slaves vont se diviser. Une partie des slaves qu’on va appeler « les slaves du sud » vont partir vers le sud pour donner naissance aux bulgares et aux yougoslaves. Une partie des slaves va migrer plus à l’ouest pour donner naissance aux polonais et aux tchécoslovaques. Et puis, une partie des slaves qu’on va appeler « les slaves de l’est » vont donner naissance à un premier Etat (la Russie kiévienne) qui deviendra par la suite l’Ukraine. Pour avoir un repère stable en géographie, il est recommandé de se repérer par rapport à la presqu’île qui est dans la Mer Noire qui porte le nom de la Crimée. Cette Crimée va nous permettre d’avoir un axe géographique pour voir comment la Russie va se déporter vers l’est. Elle va rester en Europe mais va se décaler de plus en plus vers l’est au cours de l’histoire et donc s’éloigner de l’Europe occidentale pour se rapprocher de l’Asie. L’étape décisive pour la Russie est la naissance de ce premier Etat au IX° siècle. On se situe au nord de la Crimée autour d’une ville qui va connaitre un essor à la fois politique, économique et culturel et qui s’appelle Kiev. Une principauté kiévienne va naitre sur les bords du Dniepr. La Russie va se développer et donner naissance à des villes secondaires. Une étape va être très importante dans l’histoire de cette Russie kiévienne, c’est la conversion de la Russie kiévienne au christianisme en 988 sous l’influence de Byzance, le grand prince de Kiev de l’époque Vladimir va choisir de se convertir lui, puis ce sera au peuple de se convertir. Par cet acte, il va conforter la position russe dans la sphère culturelle européenne. La Russie est culturellement européenne. Le christianisme fait partie de l’identité russe, elle en constitue un héritage essentiel. On a par exemple la Cathédrale Saint-Sophie de Kiev qui est caractéristique par son nom et son architecture de l’influence byzantine sur la culture kiévienne et russe de manière générale. Elle s’inspire de la Cathédrale de Byzance. Les luttes princières vont avoir raison de la principauté de Kiev qui entre dans une phase de déclin au XII° siècle. Cette phase de déclin va entrainer la dispersion des terres russes qui vont se morceler. Il va y avoir un deuxième événement qui va modifier le cours de l’histoire de la Russie. C’est l’apparition des tataro-mongoles (tribus nomades) qui viennent d’Asie, et qui vont occuper la Russie pendant 250 ans, qui vont faire payer un tribut au prince russe. Des villes ont émergé après la chute de Kiev, d’abord autour de Kiev et puis plus à l’est. C’est la ville de Moscou qui va prendre son essor. Cette occupation mongole, ce qu’on va appeler le joug-mongol, va marquer durablement la Russie puisque ces nomades vont apporter une culture asiatique dans la culture russe. Ils vont occuper quasiment la totalité du territoire russe et vont cohabiter avec les russes pendant ces 250 ans. Cette occupation va éloigner encore un peu plus les russes de la sphère européenne puisque leur occupation va être justement concentrer sur la cohabitation avec ces nomades. Evidemment, ces mongols vont durablement laisser leur empreinte sur le destin de la Russie. Donc on a 250 ans d’occupation mongole entre le XIII° et le XVI° siècle et peu à peu, vers le XIV° et au XV° siècle, un second foyer russe se développe donc Kiev a périclité. C’est une deuxième capitale qui va émerger pour la Russie, c’est la ville de Moscou qui va être le nouveau centre de gravité de la Russie et qui va permettre un nouveau rassemblement des terres russes autour d’une ville qui va prendre un essor considérable. Elle va peu à peu absorber les territoires pour donner une grande principauté de Moscou. C’est ce centre de gravité qui s’étendre d’abord un peu à l’ouest puis au nord et surtout vers l’Oural (chaîne de montagnes qui fait la frontière entre l’Europe et l’Asie). Et donc, c’est à partir de Moscou que les russes vont se développer à l’est et reconquérir les territoires perdus. Cette expansion va connaitre une date qui va être marquante, c’est au XVI° siècle avec la prise de la ville de Kazan par Yvan Le Terrible en 1552. Cette ville était tataro mongole. Kazan est aujourd’hui le milieu d’une région qui s’appelle le Tatarstan et qui est un haut lieu de l’islam russe. De plus, les tataro mongols vont se convertir à l’islam et avec l’intégration de ces territoires tatares islamisés, c’est la Russie qui intègre l’islam dans son territoire. C’est un facteur qui joue considérablement dans la trajectoire de la Russie. Ensuite, la Russie va continuer de se développer à l’est avec la conquête de la Sibérie qui commence dès le XVI° siècle. Elle va être très rapidement terminée au XVII° siècle. Les russes atteignent assez vites les rives de l’Océan Pacifique, de la mer d’Okhotsk. La partie nord de la Sibérie est une contrée très froide, les conditions climatiques sont suffisamment difficiles pour que peu de peuples y habitent et donc la conquête se fait assez facilement. Cette conquête de la Sibérie a des conséquences pour la Russie, notamment durable. C’est le sous-sol sibérien qui fournira les matières premières qui aujourd’hui contribuent à la puissance de la Russie. Donc c’est un élément économique de la puissance de la Russie avec le pétrole et le gaz. Cette nouvelle étape va peu à peu amener la Russie à devenir un empire qui va une fois qu’il aura terminé sa conquête à l’est, continuer de se développer au sud et va consolider ses positions au nord et à l’ouest. Au début du XVIII° siècle, l’empereur Pierre Le Grand est alors en guerre avec la Suède. Il va décider de déplacer la capitale de la Russie pour plusieurs raisons. La première est une raison militaire puisque la guerre avec la Suède nécessite de renforcer la frontière nord donc il faut construire une forteresse au nord pour stabiliser la frontière. Ensuite, Pierre Le Grand va décider de sortir la Russie du Moyen-Âge. A l’époque, la Russie a des mœurs moyenâgeuses à Moscou. Elle s’est éloignée de l’Occident et ne connait pas cette période de renaissance que connait l’Occident. Pierre Le Grand était un tsar qui va être extrêmement cultivé et visionnaire. Il va décider de construire au début du XVIII° siècle une nouvelle capitale ex nihilo dans des marécages à la frontière finlandaise. C’est une nouvelle capitale qui va s’appeler Saint-Pétersbourg. Une nouvelle capitale émerge donc après Kiev et Moscou en 1703 (construction). Elle deviendra la capitale en 1712 et se trouve sur les bords du Golfe de Finlande qui débouche sur la Mer Baltique. Le Tsar interdit les constructions en pierre dans son empire, et il va obliger les tailleurs de pierre à s’installer dans la capitale pour faire cette nouvelle ville. Donc à ce moment-là, la Russie continue à se développer. Elle reprend le contrôle de Kiev, prend le contrôle des rives de la Mer Noire et du Caucase. Au XIX° siècle, la conquête s’achève par le Turkestan, une grande région qui se trouve en Asie centrale et arrive jusqu’aux frontières de l’URSS. Il y a une révolution bolchevique en octobre 1917. L’URSS nait en 1922 et englobe une grande partie de ces territoires, peut-être à l’exception de la Finlande et de la Pologne. Les frontières seront peu modifiées pendant la période soviétique (1922-1991). Elles vont l’être un petit peu essentiellement après la Seconde Guerre Mondiale. Pa exemple, les états baltes qui avaient été perdues pendant la révolution russe sont récupérées. Les soviétiques accusent les baltes d’avoir collaboré avec les nazis et en profitent pour annexer les trois états baltes (Estonie, Lettonie et Lituanie). Aujourd’hui, ce sont des pays membres de l’Union Européenne mais qui ont été intégrés après la Seconde Guerre Mondiale et ce jusqu’à la chute de l’URSS donc en 1991. Cette URSS était une Union des Républiques Socialistes Soviétiques. Donc c’était un seul état. Mais cet état était divisé en quinze régions qui s’appelaient des républiques. Il y avait la République fédérative de Russie qui était la région la plus grande et puis il y avait quatorze autres régions appelées des républiques : les trois baltes, deux régions slaves (l’Ukraine avec la Crimée et la Biélorussie), la région de la Moldavie (peuplée de roumains et intégrée de force à l’URSS), trois régions dans le Caucase (Géorgie, Arménie et Azerbaïdjan), cinq régions dans l’Asie centrale (Kazakhstan, Ouzbékistan, Turkménistan, Tadjikistan et Kirghizstan. Cet Etat va perdurer entre 1922 et 1991. En 1991, il va exploser. Le communisme va tomber comme système politique. Chacune de ces parties va reprendre son destin en main. Le 8 décembre 1991, l’URSS est officiellement dissoute à l’initiative des gouverneurs des républiques de Russie, d’Ukraine et de Biélorussie. Ils se réunissent et décident la dissolution de l’URSS et c’est l’ensemble de l’Etat URSS qui disparait. A ce moment-là, les dirigeants vont décider que les frontières vont être maintenues en l’état et qu’on va donner l’indépendance aux régions mais en respectant scrupuleusement les frontières qui étaient les frontières de ces différentes régions au sein de l’URSS. La République socialiste soviétique d’Ukraine va devenir l’Ukraine, etc. Et donc la République socialiste fédérative de Russie va devenir un nouvel Etat, la Fédération de Russie (qui existe toujours aujourd’hui). La Russie est la plus grande partie, elle reprend les trois quarts de l’URSS et va avoir un héritage considérable. Il ne faut pas oublier que cette chute de l’URSS est un traumatisme profond du fait de la division du territoire (ça va séparer des familles, il va y avoir des russes ethniques qui vont se retrouver en dehors des frontières, de nombreuses migrations de retour et de départ, les russes installés dans les républiques périphériques vont revenir en fédération de Russie, problème de passeport, de citoyenneté, etc). Pour cette nouvelle Russie, il faut retisser des relations avec ces nouveaux voisins qui ne sont plus des concitoyens mais des voisins à part entière. Il va falloir créer des ambassades et essayer de créer des relations, sachant qu’au départ les économies sont dépendantes les unes des autres, les mentalités sont les mêmes (ce qui va les rapprocher), la langue qui était la langue officielle de l’URSS va être un point qui va permettre une certaine proximité ou en tous cas un certain dialogue, le passé soviétique qui est partagé et cet espace géographique proche. Donc il faut établir ces nouvelles relations diplomatiques. Il est évident que la Russie ne va pas avoir les mêmes relations avec ses voisins proches (Kazakhstan, Ukraine, Moldavie, Biélorussie, etc.) qu’avec ses voisins plus éloignés (la France, le Japon ou les Etats-Unis). Elle va distinguer deux modes de dialogue diplomatique. Cet étranger, ce voisinage nouveau, elle va l’appeler « l’étranger proche » (par opposition à l’étranger lointain. Ce sont ces anciennes républiques de l’URSS avec lesquelles elle va se sentir une proximité. La Russie, avec ce concept de l’étranger proche, veut créer une sorte d’ensemble qui serait russophone. Dans un premier temps, il va s’appeler la Communauté des Etats Indépendants. Elle va essayer des créer un ensemble dans lequel elle serait le centre mais très vite la domination russe va être contestée et ces membres de la Communauté des Etats indépendants vont décider de choisir librement leurs accords avec d’autres partenaires. Ce qui va être aussi une conséquence de l’éclatement de l’URSS est la naissance de communautés russes. Il y a 25 à 30 millions de russes qui vivent à l’étranger au moment de la chute de l’URSS. Ils vont constituer des petites diasporas qui vont s’installer, parfois en se regroupant dans tel ou tel pays, et qui vont aussi servir de base pour l’influence de la Russie puisqu’ils vont continuer à parler russe. Ils vont contribuer, parfois de manière involontaire, à l’influence de la Russie. La Russie va prendre conscience que cette présence de russophones et de russes à l’étranger constitue un élément important. Elle va se poser dans son attitude politique en matière de relation internationale en rassembleur des terres russophones. Moscou continue de se penser comme le centre de cet ensemble ethnique, géographique, linguistique que constitue la Russie, les russes, les russophones. Ces concepts de terres russes ou de nations russes, ou de monde russe, vont servir à légitimer l’action du pouvoir de Moscou. Est-ce que le fait d’avoir des locuteurs à l’extérieur de ses frontières a des conséquences géopolitiques importantes ? On peut prendre l’exemple des forces françaises en Afrique. On sait que la France intervient par exemple au Mali pour lutter contre le terrorisme islamiste. On peut s’interroger pour savoir si la présence des forces françaises en Afrique correspond à un critère linguistique. Quand on compare l’intervention de la France à la présence linguistique, on remarque qu’il y a une certaine analogie entre les deux. On voit que la présence des forces françaises est particulièrement forte à l’ouest, dans la partie occidentale du continent africain. Que ce soit volontaire ou involontaire, il est tout à fait naturel que lorsqu’on parle la même langue, on se comprend mieux et donc la diplomatie ne peut pas être la même que si la langue était différente. Pour reparler de la Crimée, le 18 mars 2014, la Russie va annexer la Crimée et la Crimée va officiellement demander son rattachement à la Russie. Cette Crimée est largement peuplée de russophones, ce qui va contribuer à pousser la Russie à opérer se rassemblement de terres russes et russophones en intervenant militairement. La Crimée qui appartenait à l’Ukraine au moment de la chute de l’URSS va revenir dans la Russie et donc entrainer une grande crise diplomatique avec l’Occident.
II. Empire multiethnique et multiconfessionnel : la Russie
orthodoxe et l’islam Le territoire est un facteur déterminant. Le facteur démographique et ethnique l’est tout autant. La Russie est le plus grand Etat du monde mais sa population est relativement modeste. C’est 146 millions d’habitants donc elle est au neuvième rang mondial. Elle connait un facteur de dépopulation avec une crise de la natalité et une mortalité qui s’est encore accrue avec la pandémie du coronavirus en 2020-2021. Ce facteur de population relativement modeste est donc un outil qui ne va pas être très important pour assoir l’influence russe dans le monde. Si on regarde la Chine qui a une population considérable, ce facteur démographique contribue à son rayonnement et sa puissance. Le fait que la Russie connaisse cette dépopulation à l’intérieur de ses frontières va renforcer l’importance des diasporas à l’étranger. Dans la conscience russe, l’immigration n’est à priori pas une réponse à dépopulation comme on a pu le voir en Allemagne. L’Allemagne qui connait elle aussi un problème de natalité a recours à l’immigration pour compenser sa dépopulation. Idéologiquement, la Russie ne voit pas l’immigration comme une réponse globale à la dépopulation, ceci-dit, comme tout le monde, elle a recours à une immigration de travail pour contribuer à sa croissance économique. La réintégration de la Crimée en 2014 va contribuer aux statistiques démographiques pour masquer le déclin démographique et donc la Russie va s’empresser de vite ajouter la démographie de Crimée aux statistiques. Cela correspond tout à fait aux mentalités du pays pour faire bonne figure. La Russie est un Etat multiethnique et multiconfessionnel. Cette caractéristique est inscrite dans la Constitution de 1993. La Constitution russe stipule que la Fédération russe est un Etat multinational. Dans son recensement de 2010, la Russie affiche 193 « nationalités » différentes. Ce qu’elle appelle « nationalités » correspond aux groupes ethniques. Parmi ces groupes ethniques, il y a un groupe slave qui est largement majoritaire puisqu’il contribue à 83% de la population de la Russie. Rien que l’ensemble russe correspond à 80%. On voit que la Russie est un groupe multiethnique mais où dominent largement les russes à 80%. Dans les autres familles ethniques, on a des familles altaïques, turco mongoles et caucasiennes sont des héritages de l’occupation turco mongole entre le XIII° et le XVI° siècles. Ces turcos mongols se sont islamisés. Et donc, les musulmans aujourd’hui, font partis de cette Fédération de Russie et contribuent à ce caractère multiethnique. Si on regarde la position des musulmans aujourd’hui, on se trouve dans le sud de la Fédération de Russie. On a notamment Kazan et puis le Tatarstan, cette nouvelle région de la Russie. Comme dans son passé soviétique, la Russie continue d’appeler certaines de ses régions des « républiques », c’est le statut le plus important à l’intérieur de la fédération. Et donc, avoir le statut de république à l’intérieur de la fédération est une marque de respect vis-à-vis de ces peuples qui sont ethniquement non russe mais qui ont le passeport russe et qui sont des citoyens russes à part entière. C’est pour cela qu’il faut distinguer les russes ethniques des citoyens russes. A l’intérieur de la Fédération de Russie, toute personne qui a le passeport russe, qu’il soit russe ethnique ou de tout autre peuple, est considéré comme citoyen de la Fédération de Russie et donc comme un russe. Par son poids démographique, l’ethnie russe peut légitimement imposer son modèle culturel à la fois à l’intérieur de ses frontières et puis sur l’espace post-soviétique. Donc la Russie reste avant tout ethniquement européenne, russe et orthodoxe et c’est cette Russie là qui va organiser le vivre ensemble. La langue nationale donc le ciment de la nation, est la langue russe. Toutes les ethnies ont hérité du modèle soviétique commun. Cela a sans doute contribué à effacer certaines différences culturelles mais il y a un certain nombre de question qui se posent, notamment sur la laïcité. A l’extérieur des frontières, ce qui est un des marqueurs est que la guerre en Ukraine, en 2014 lorsque la Russie va annexer la Crimée à l’Ukraine, au sein de la famille slave, il y a ici une guerre diplomatique et même indirectement militaire puisque les russes vont contribuer à participer au conflit militaire à l’intérieur des frontières de l’Ukraine. On s’aperçoit que l’enjeu à ce moment là est plus politique et géopolitique qu’ethnique et que les russes sont prêts à faire la guerre à des voisins slaves si ses intérêts politiques et géopolitiques sont en jeu. Donc, dans le modèle russe, l’intégration des peuples non russes se fait sans assimilation contrairement au schéma français qui était en tout cas celui de la République dans un premier temps. Les russes laissent leur identité aux peuples conquis dans un schéma qu’on peut appeler impérial. Donc la relation entre les russes ethniques et leurs compatriotes non russes ethniques et musulmans en particulier, à l’inverse du modèle français, est un héritage de l’Empire russe du XVIII° et XIX° siècles. Et donc, c’est une cohabitation qui se fait selon ce schéma là et qui un peu une sorte de contrat entre les russes qui ont toujours leur capitale à Saint Pétersbourg et qui est revenue à Moscou à l’occasion de la Révolution d’Octobre 1917 et ce centre européen majoritairement russophone et ethniquement russe qui assure la cohésion de l’ensemble. Par ailleurs, le territoire russe est suffisamment vaste pour permettre une cohabitation sans gros risque de conflit interethnique à l’intérieur de la Russie. Il est évident que lorsqu’on a un territoire vaste, il est plus simple de cohabiter que lorsqu’on est sur un petit territoire. Le poids de l’islam en Fédération de Russie est de 20 millions de fidèles, c’est-à-dire environ 15% de la population. L’islam constitue la deuxième religion de la Russie après l’orthodoxie. Le territoire de la Russie est une terre d’islam depuis très longtemps. Si on prend les frontières historiques de la Russie, ce n’est pas le cas. Comme on l’a vu, quand la Russie part de Kiev et se déplace à Moscou, il n’est pas question d’islam. Mais, aujourd’hui, la Russie occupe un territoire qui est beaucoup plus vaste qu’originellement. Si on regarde le territoire Daghestan qui est majoritairement musulman et qui appartient à la Fédération de la Russie, est déjà une terre d’islam au VIII° siècle, c’est-à-dire avant même la conversion de la Russie au christianisme de Byzance. Les musulmans sont présents sur les bords de la Mer Caspienne dès les premiers temps de l’islam. Evidemment, les musulmans présents sur ces terres caucasiennes sont tout à fait légitimes à occuper leur sol et donc il n’est absolument pas question pour Moscou de les considérer comme des peuples d’immigration. C’est l’intégration dans l’Empire russe de territoires islamisés qui fait entrer l’islam en Russie. Ce qui a aussi marqué les relations entre la Russie et l’islam a été les relations particulières avec une autre république du Caucase, non pas le Daguestan mais la Tchétchénie. Cette Tchétchénie a fait l’objet de deux guerres après l’éclatement de l’URSS. Quand l’URSS a éclaté, Boris Eltsine a été le premier président de la nouvelle Fédération de Russie en 1991 et il va être président de cette nouvelle Russie multiethnique et démocratique. Il va devoir faire face aux tentations du séparatisme de certaines régions qui vont vouloir s’émanciper en faisant fi de la règle qui disait qu’on respectait les frontières intérieures de l’URSS des quinze républiques de l’ex-URSS. La Tchétchénie n’a pas ce statut de république dans l’URSS et donc, elle va vouloir accéder à son indépendance. Cela va faire l’objet de deux guerres terribles, tragiques, qui vont ensanglanter le Caucase. Une première guerre en 1994-1996 : Boris Eltsine va refuser dans un premier temps l’indépendance de la Tchétchénie, va essayer de mater la Tchétchénie musulmane avec son armée fédérale. L’état de l’armée à ce moment là est catastrophique et la Russie ne va pas réussir à mater la rébellion tchétchène. Elle va signer un accord de manière à ce que la Tchétchénie puisse bénéficier d’une large autonomie. En fait, ça va être une autonomie de facto qui ne sera pas reconnue par la Russie ni par la Communauté internationale. Cette Tchétchénie indépendante va être un voisin assez inquiétant pour la Russie parce que c’est un territoire qui va être un Etat très instable et qui va connaitre le développement d’un islamisme fondamentaliste. Une des figures qui vont être un peu caractéristique de l’évolution de la Tchétchénie sont Djokhar Douaev (ancien colonel de l’armée soviétique) qui va contribuer militairement à l’indépendance de la Tchétchénie mais qui est tout à fait caractéristique de ce premier mouvement indépendantisme qui va en fait être issu de l’armée. Ce mouvement va changer peut à peu de forme pour différentes raisons, en particulier parce qu’évidemment, le combat est inégal entre les indépendantistes tchétchènes et l’armée russe. Certes la Tchétchénie va remporte la première guerre de 1994-1996, va accéder à l’indépendance, mais elle va perdre la seconde guerre (1999-2000) et elle va être poussée dans les bras de l’islamisme radical. L’illustration de cette dérive va être illustrée par cette image d’un autre combattant qui va venir en Tchétchénie qui lui est de tous les combats de l’islam radical, que ce soit l’Afghanistan puis la Tchétchénie. C’est Ibn Al-Khattab qui va être un combattant né en Arabie Saoudite. Il va être une sorte de mercenaire avec un certain talent militaire. Il va proposer aux tchétchènes de les aider à devenir indépendant et la Tchétchénie va céder à cette tentation. Ce chef de guerre va être à l’image de ce que va devenir le combat de l’indépendantisme tchétchène. Au lieu de pousser vers l’indépendance de l’ex-Tchétchénie soviétique, ça va être un mouvement qui va se mettre au service du fondamentalisme mondial. Cet Al-Khattab va proposer ses services à la Tchétchénie. Il va s’occuper de l’accueil des djihadistes étrangers pour venir combattre contre l’armée fédérale russe, de la gestion des aides financières étrangères et de l’organisation d’attentats sur le sol russe. Cette dérive du mouvement indépendantiste va légitimer l’action de la Russie qui va tout de suite se poser en combattant de l’islam radical et du fondamentalisme islamiste et puis de terrorisme évidemment. Donc, la Russie va connaitre des attentats sanglants, en particulier en 2002. La Russie va connaitre une prise d’otages dans le théâtre Doubrovka à Moscou. Ça va être un petit peu la préfiguration de ce que la France va connaitre avec le Bataclan. Donc, pour la Russie, la présence de l’islam sur son sol pose de multiples défis : lutter contre les actes terroristes quand il s’agit d’un islamisme fondamental qui essaie de s’infiltrer, en particulier dans le Caucase. La capitale de Tchétchénie, Grozny, est rasée, les combats sont violents. C’est Vladimir Poutine qui arrive au pouvoir en décembre 1999. Il va contribuer à cette deuxième guerre qui va réussir à mater la rébellion tchétchène mais dans le sang. Mais, pour stabiliser la région, la Russie va aussi mettre le paquet financier pour tout de suite éviter que les anciens combattants tchétchènes soient dans un esprit de revanche et d’humiliation et donc la Russie va faire couler des milliards de roubles sur la capitale Grozny pour contribuer à sa renaissance urbaine. On trouve en particulier la construction d’une immense mosquée- cathédrale qui va être un nouveau repère culturel, religieux et bien sûr architectural pour l’islam russe. Donc, les défis de la présence de l’islam en Russie sont de lutter contre les actes terroristes, éviter que les nombreux musulmans de nationalité russe qui sont partis combattre à l’extérieur des frontières et notamment auprès de Daesh en Syrie et en Irak à partir de 2012. On estime entre 1 500 et 3 000 combattants russes qui seraient partis combattre aux côtés de l’Etat islamique. L’Etat islamique a été battu par la coalition américaine et également du côté syrien par l’armée syrienne soutenue par la Russie et donc, ces combattants-là, musulmans et de nationalité russe en particulier issus du Caucase, reviennent en Russie. C’est d’ailleurs une crainte des autorités russes, comme des autorités françaises. La Russie veut protéger les musulmans russes de l’islamisme radical. Il y a maintenant les revendications du séparatisme tchéchène par exemple qui a été largement écrasé par l’armée russe et par les forces spéciales russes à l’intérieur des frontières. Ce n’est plus de créer l’itchkérie donc une simple république autonome, c’est de créer l’émirat du Caucase qui a prêté allégeance à l’Etat islamique. Cet émirat du Caucase existe virtuellement dans la tête de ces islamistes qui veulent le créer physiquement mais c’est une vraie menace pour les autorités russes. La relation avec l’islam en Russie peut être illustrée par le 23 septembre 2015 qui correspond à l’inauguration de la grande Mosquée de Moscou après dix ans de construction, en présence du président turc Erdogan. Donc la Russie accepte l’islam comme une des composantes de son sol, au sein de la capitale où évidemment, la communauté musulmane est très importante puisqu’elle est multiculturelle, de plus, il y a ces immigrés qui viennent chercher du travail dans une capitale qui a besoin de main d’œuvre. Ce n’est pas tellement le fait que Moscou a une mosquée, mais c’est le fait que Vladimir Poutine se déplace en personne pour inaugurer cette grande mosquée et invite Erdogan pour afficher ensemble cette présence musulmane au sien de la Russie qui obtient une légitimité politique. Cette mosquée est un symbole très fort pour les musulmans. On a aussi l’arrivée à Grozny donc en Tchétchénie le 25 août 2016 du Grand Imam Ahmed al-Tayeb de la Mosquée d’al-Azhar qui est un phare de l’islam en Egypte. Il est une personnalité qui a un rayonnement international de l’islam sunnite qui est un repère en matière de pensée religieuse. Le Grand Imam n’est pas reçu par n’importe qui, il est reçu par le Président Kadyrov qui est le gouverneur de la région de la Tchétchénie. Il a le titre de Président puisqu’à l’intérieur de la Fédération de Russie, la Tchétchénie bénéficie du plus grand statut administratif qui est le terme république, ce même terme qui est hérité de la période soviétique. Donc, quand une région acquiert un fort statut d’autonomie, on lui donne le nom de république. Le Président Kadyrov est un pion du Kremlin, il est tout à fait en phase avec Vladimir Poutine pour stabiliser la région et lutter contre les fondamentalistes islamistes en Tchétchénie. Il contribue à lutter contre les fomenteurs d’attentats dans sa république. Il tient sa république d’une main de fer, mais le Kremlin ferme les yeux puisque la stabilité de sa région n’a pas de prix. Donc, la politique générale est une politique pragmatique vis-à-vis des pays musulmans et notamment quand il s’agit de lutte contre le terrorisme islamiste. La Russie n’a pas une seule politique face aux différents Etats musulmans mais elle a une politique tout à fait pragmatique et n’hésite pas à s’allier à tel ou tel pays musulmans du moment que les intérêts géopolitiques sont communs.