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Partie 2 

: La Russie – Le retour d’une puissance


eurasiatique ?

En géopolitique, on s’interroge sur les rapports de force entre les différentes


puissances, que ce soient des puissances internationales (comme les Etats-Unis) ou alors des
puissances régionales (la Turquie). Entre ces deux niveaux de puissance, on s’interroge sur la
Russie. La Russie est-elle une puissance capable de peser sur le destin de sa région ou sur le
destin du monde ?
Quels sont les instruments que la Russie met en œuvre pour assurer son influence sur
ses voisins et peut-être au-delà ? On peut parler du militaire, de facteurs économiques comme
l’énergie, des aspects financiers, du numérique comme levier de puissance. Comment le
Russie s’en sert ou s’en est-elle servi. Desquels ? Dans quelles mesures ? Vis-à-vis de qui ?
Problématique : Comment l’histoire, la géographie, l’économie et même les mentalités
influent-elles sur la politique étrangère de la Russie ?
La Russie est un Etat qui est né en Europe, il est devenu eurasiatique au fil du siècle.
C’est un monde qui est passé d’une unipolarité à une multipolarité au cours de l’histoire. La
Russie est-elle en train d’essayer de rebâtir une superpuissance qu’elle aurait récemment
perdu ?

Chapitre 1 : La « Terre russe » sous la menace terroriste

I. Construction, déconstruction, reconstruction du


territoire : de l’Empire à la Fédération
Le premier facteur qui est déterminant quand on parle de géopolitique est le territoire qui
est un héritage de l’histoire mais qui a été modifié et continu d’être modifié. La Fédération de
Russie est le plus grand Etat au monde par sa superficie avec un territoire qui s’étend sur dix-
sept millions de km² (c’est-à-dire 11% des terres émergées) et sur deux continents, l’Europe et
l’Asie.
Si on fait un peu d’histoire, paradoxalement, on s’aperçoit que lors de la construction de
ce qu’on va appeler « l’Etat russe », les russes sont des slaves et que leur berceau se trouve
aujourd’hui dans un Etat voisin, l’Ukraine (en particulier Kiev). Donc la Russie n’est pas née
à Moscou, à Saint-Pétersbourg, ni même dans la limite des frontières russes d’aujourd’hui
mais à l’extérieur des frontières actuelles de la Russie. Si on étudie ce peuple slave au cours
de l’histoire, si on étudie leur trajectoire entre le VI° et le IX°-X° siècles, on s’aperçoit que
ces slaves vivent dans un espace originel qui se situe entre le Dniepr, le Dniestr et la Vistule,
donc dans ce qu’on appelle aujourd’hui l’Europe centrale et orientale. On voit que les slaves
vont se diviser. Une partie des slaves qu’on va appeler « les slaves du sud » vont partir vers le
sud pour donner naissance aux bulgares et aux yougoslaves. Une partie des slaves va migrer
plus à l’ouest pour donner naissance aux polonais et aux tchécoslovaques. Et puis, une partie
des slaves qu’on va appeler « les slaves de l’est » vont donner naissance à un premier Etat (la
Russie kiévienne) qui deviendra par la suite l’Ukraine.
Pour avoir un repère stable en géographie, il est recommandé de se repérer par rapport à la
presqu’île qui est dans la Mer Noire qui porte le nom de la Crimée. Cette Crimée va nous
permettre d’avoir un axe géographique pour voir comment la Russie va se déporter vers l’est.
Elle va rester en Europe mais va se décaler de plus en plus vers l’est au cours de l’histoire et
donc s’éloigner de l’Europe occidentale pour se rapprocher de l’Asie.
L’étape décisive pour la Russie est la naissance de ce premier Etat au IX° siècle. On se
situe au nord de la Crimée autour d’une ville qui va connaitre un essor à la fois politique,
économique et culturel et qui s’appelle Kiev. Une principauté kiévienne va naitre sur les bords
du Dniepr. La Russie va se développer et donner naissance à des villes secondaires. Une étape
va être très importante dans l’histoire de cette Russie kiévienne, c’est la conversion de la
Russie kiévienne au christianisme en 988 sous l’influence de Byzance, le grand prince de
Kiev de l’époque Vladimir va choisir de se convertir lui, puis ce sera au peuple de se
convertir. Par cet acte, il va conforter la position russe dans la sphère culturelle européenne.
La Russie est culturellement européenne. Le christianisme fait partie de l’identité russe, elle
en constitue un héritage essentiel. On a par exemple la Cathédrale Saint-Sophie de Kiev qui
est caractéristique par son nom et son architecture de l’influence byzantine sur la culture
kiévienne et russe de manière générale. Elle s’inspire de la Cathédrale de Byzance.
Les luttes princières vont avoir raison de la principauté de Kiev qui entre dans une phase
de déclin au XII° siècle. Cette phase de déclin va entrainer la dispersion des terres russes qui
vont se morceler. Il va y avoir un deuxième événement qui va modifier le cours de l’histoire
de la Russie. C’est l’apparition des tataro-mongoles (tribus nomades) qui viennent d’Asie, et
qui vont occuper la Russie pendant 250 ans, qui vont faire payer un tribut au prince russe. Des
villes ont émergé après la chute de Kiev, d’abord autour de Kiev et puis plus à l’est. C’est la
ville de Moscou qui va prendre son essor. Cette occupation mongole, ce qu’on va appeler le
joug-mongol, va marquer durablement la Russie puisque ces nomades vont apporter une
culture asiatique dans la culture russe. Ils vont occuper quasiment la totalité du territoire russe
et vont cohabiter avec les russes pendant ces 250 ans. Cette occupation va éloigner encore un
peu plus les russes de la sphère européenne puisque leur occupation va être justement
concentrer sur la cohabitation avec ces nomades. Evidemment, ces mongols vont durablement
laisser leur empreinte sur le destin de la Russie.
Donc on a 250 ans d’occupation mongole entre le XIII° et le XVI° siècle et peu à peu,
vers le XIV° et au XV° siècle, un second foyer russe se développe donc Kiev a périclité. C’est
une deuxième capitale qui va émerger pour la Russie, c’est la ville de Moscou qui va être le
nouveau centre de gravité de la Russie et qui va permettre un nouveau rassemblement des
terres russes autour d’une ville qui va prendre un essor considérable. Elle va peu à peu
absorber les territoires pour donner une grande principauté de Moscou. C’est ce centre de
gravité qui s’étendre d’abord un peu à l’ouest puis au nord et surtout vers l’Oural (chaîne de
montagnes qui fait la frontière entre l’Europe et l’Asie). Et donc, c’est à partir de Moscou que
les russes vont se développer à l’est et reconquérir les territoires perdus. Cette expansion va
connaitre une date qui va être marquante, c’est au XVI° siècle avec la prise de la ville de
Kazan par Yvan Le Terrible en 1552. Cette ville était tataro mongole. Kazan est aujourd’hui
le milieu d’une région qui s’appelle le Tatarstan et qui est un haut lieu de l’islam russe. De
plus, les tataro mongols vont se convertir à l’islam et avec l’intégration de ces territoires
tatares islamisés, c’est la Russie qui intègre l’islam dans son territoire. C’est un facteur qui
joue considérablement dans la trajectoire de la Russie.
Ensuite, la Russie va continuer de se développer à l’est avec la conquête de la Sibérie qui
commence dès le XVI° siècle. Elle va être très rapidement terminée au XVII° siècle. Les
russes atteignent assez vites les rives de l’Océan Pacifique, de la mer d’Okhotsk. La partie
nord de la Sibérie est une contrée très froide, les conditions climatiques sont suffisamment
difficiles pour que peu de peuples y habitent et donc la conquête se fait assez facilement.
Cette conquête de la Sibérie a des conséquences pour la Russie, notamment durable. C’est le
sous-sol sibérien qui fournira les matières premières qui aujourd’hui contribuent à la
puissance de la Russie. Donc c’est un élément économique de la puissance de la Russie avec
le pétrole et le gaz. Cette nouvelle étape va peu à peu amener la Russie à devenir un empire
qui va une fois qu’il aura terminé sa conquête à l’est, continuer de se développer au sud et va
consolider ses positions au nord et à l’ouest. Au début du XVIII° siècle, l’empereur Pierre Le
Grand est alors en guerre avec la Suède. Il va décider de déplacer la capitale de la Russie pour
plusieurs raisons. La première est une raison militaire puisque la guerre avec la Suède
nécessite de renforcer la frontière nord donc il faut construire une forteresse au nord pour
stabiliser la frontière. Ensuite, Pierre Le Grand va décider de sortir la Russie du Moyen-Âge.
A l’époque, la Russie a des mœurs moyenâgeuses à Moscou. Elle s’est éloignée de l’Occident
et ne connait pas cette période de renaissance que connait l’Occident. Pierre Le Grand était un
tsar qui va être extrêmement cultivé et visionnaire. Il va décider de construire au début du
XVIII° siècle une nouvelle capitale ex nihilo dans des marécages à la frontière finlandaise.
C’est une nouvelle capitale qui va s’appeler Saint-Pétersbourg. Une nouvelle capitale émerge
donc après Kiev et Moscou en 1703 (construction). Elle deviendra la capitale en 1712 et se
trouve sur les bords du Golfe de Finlande qui débouche sur la Mer Baltique. Le Tsar interdit
les constructions en pierre dans son empire, et il va obliger les tailleurs de pierre à s’installer
dans la capitale pour faire cette nouvelle ville. Donc à ce moment-là, la Russie continue à se
développer. Elle reprend le contrôle de Kiev, prend le contrôle des rives de la Mer Noire et du
Caucase. Au XIX° siècle, la conquête s’achève par le Turkestan, une grande région qui se
trouve en Asie centrale et arrive jusqu’aux frontières de l’URSS.
Il y a une révolution bolchevique en octobre 1917. L’URSS nait en 1922 et englobe une
grande partie de ces territoires, peut-être à l’exception de la Finlande et de la Pologne. Les
frontières seront peu modifiées pendant la période soviétique (1922-1991). Elles vont l’être un
petit peu essentiellement après la Seconde Guerre Mondiale. Pa exemple, les états baltes qui
avaient été perdues pendant la révolution russe sont récupérées. Les soviétiques accusent les
baltes d’avoir collaboré avec les nazis et en profitent pour annexer les trois états baltes
(Estonie, Lettonie et Lituanie). Aujourd’hui, ce sont des pays membres de l’Union
Européenne mais qui ont été intégrés après la Seconde Guerre Mondiale et ce jusqu’à la chute
de l’URSS donc en 1991. Cette URSS était une Union des Républiques Socialistes
Soviétiques. Donc c’était un seul état. Mais cet état était divisé en quinze régions qui
s’appelaient des républiques. Il y avait la République fédérative de Russie qui était la région
la plus grande et puis il y avait quatorze autres régions appelées des républiques : les trois
baltes, deux régions slaves (l’Ukraine avec la Crimée et la Biélorussie), la région de la
Moldavie (peuplée de roumains et intégrée de force à l’URSS), trois régions dans le Caucase
(Géorgie, Arménie et Azerbaïdjan), cinq régions dans l’Asie centrale (Kazakhstan,
Ouzbékistan, Turkménistan, Tadjikistan et Kirghizstan. Cet Etat va perdurer entre 1922 et
1991. En 1991, il va exploser. Le communisme va tomber comme système politique. Chacune
de ces parties va reprendre son destin en main. Le 8 décembre 1991, l’URSS est
officiellement dissoute à l’initiative des gouverneurs des républiques de Russie, d’Ukraine et
de Biélorussie. Ils se réunissent et décident la dissolution de l’URSS et c’est l’ensemble de
l’Etat URSS qui disparait. A ce moment-là, les dirigeants vont décider que les frontières vont
être maintenues en l’état et qu’on va donner l’indépendance aux régions mais en respectant
scrupuleusement les frontières qui étaient les frontières de ces différentes régions au sein de
l’URSS. La République socialiste soviétique d’Ukraine va devenir l’Ukraine, etc. Et donc la
République socialiste fédérative de Russie va devenir un nouvel Etat, la Fédération de Russie
(qui existe toujours aujourd’hui). La Russie est la plus grande partie, elle reprend les trois
quarts de l’URSS et va avoir un héritage considérable. Il ne faut pas oublier que cette chute de
l’URSS est un traumatisme profond du fait de la division du territoire (ça va séparer des
familles, il va y avoir des russes ethniques qui vont se retrouver en dehors des frontières, de
nombreuses migrations de retour et de départ, les russes installés dans les républiques
périphériques vont revenir en fédération de Russie, problème de passeport, de citoyenneté,
etc). Pour cette nouvelle Russie, il faut retisser des relations avec ces nouveaux voisins qui ne
sont plus des concitoyens mais des voisins à part entière. Il va falloir créer des ambassades et
essayer de créer des relations, sachant qu’au départ les économies sont dépendantes les unes
des autres, les mentalités sont les mêmes (ce qui va les rapprocher), la langue qui était la
langue officielle de l’URSS va être un point qui va permettre une certaine proximité ou en
tous cas un certain dialogue, le passé soviétique qui est partagé et cet espace géographique
proche. Donc il faut établir ces nouvelles relations diplomatiques.
Il est évident que la Russie ne va pas avoir les mêmes relations avec ses voisins proches
(Kazakhstan, Ukraine, Moldavie, Biélorussie, etc.) qu’avec ses voisins plus éloignés (la
France, le Japon ou les Etats-Unis). Elle va distinguer deux modes de dialogue diplomatique.
Cet étranger, ce voisinage nouveau, elle va l’appeler « l’étranger proche » (par opposition à
l’étranger lointain. Ce sont ces anciennes républiques de l’URSS avec lesquelles elle va se
sentir une proximité. La Russie, avec ce concept de l’étranger proche, veut créer une sorte
d’ensemble qui serait russophone. Dans un premier temps, il va s’appeler la Communauté des
Etats Indépendants. Elle va essayer des créer un ensemble dans lequel elle serait le centre
mais très vite la domination russe va être contestée et ces membres de la Communauté des
Etats indépendants vont décider de choisir librement leurs accords avec d’autres partenaires.
Ce qui va être aussi une conséquence de l’éclatement de l’URSS est la naissance de
communautés russes. Il y a 25 à 30 millions de russes qui vivent à l’étranger au moment de la
chute de l’URSS. Ils vont constituer des petites diasporas qui vont s’installer, parfois en se
regroupant dans tel ou tel pays, et qui vont aussi servir de base pour l’influence de la Russie
puisqu’ils vont continuer à parler russe. Ils vont contribuer, parfois de manière involontaire, à
l’influence de la Russie. La Russie va prendre conscience que cette présence de russophones
et de russes à l’étranger constitue un élément important. Elle va se poser dans son attitude
politique en matière de relation internationale en rassembleur des terres russophones. Moscou
continue de se penser comme le centre de cet ensemble ethnique, géographique, linguistique
que constitue la Russie, les russes, les russophones. Ces concepts de terres russes ou de
nations russes, ou de monde russe, vont servir à légitimer l’action du pouvoir de Moscou.
Est-ce que le fait d’avoir des locuteurs à l’extérieur de ses frontières a des conséquences
géopolitiques importantes ? On peut prendre l’exemple des forces françaises en Afrique. On
sait que la France intervient par exemple au Mali pour lutter contre le terrorisme islamiste. On
peut s’interroger pour savoir si la présence des forces françaises en Afrique correspond à un
critère linguistique. Quand on compare l’intervention de la France à la présence linguistique,
on remarque qu’il y a une certaine analogie entre les deux. On voit que la présence des forces
françaises est particulièrement forte à l’ouest, dans la partie occidentale du continent africain.
Que ce soit volontaire ou involontaire, il est tout à fait naturel que lorsqu’on parle la
même langue, on se comprend mieux et donc la diplomatie ne peut pas être la même que si la
langue était différente.
Pour reparler de la Crimée, le 18 mars 2014, la Russie va annexer la Crimée et la Crimée
va officiellement demander son rattachement à la Russie. Cette Crimée est largement peuplée
de russophones, ce qui va contribuer à pousser la Russie à opérer se rassemblement de terres
russes et russophones en intervenant militairement. La Crimée qui appartenait à l’Ukraine au
moment de la chute de l’URSS va revenir dans la Russie et donc entrainer une grande crise
diplomatique avec l’Occident.

II. Empire multiethnique et multiconfessionnel : la Russie


orthodoxe et l’islam
Le territoire est un facteur déterminant. Le facteur démographique et ethnique l’est
tout autant. La Russie est le plus grand Etat du monde mais sa population est relativement
modeste. C’est 146 millions d’habitants donc elle est au neuvième rang mondial. Elle connait
un facteur de dépopulation avec une crise de la natalité et une mortalité qui s’est encore
accrue avec la pandémie du coronavirus en 2020-2021. Ce facteur de population relativement
modeste est donc un outil qui ne va pas être très important pour assoir l’influence russe dans
le monde. Si on regarde la Chine qui a une population considérable, ce facteur démographique
contribue à son rayonnement et sa puissance.
Le fait que la Russie connaisse cette dépopulation à l’intérieur de ses frontières va
renforcer l’importance des diasporas à l’étranger. Dans la conscience russe, l’immigration
n’est à priori pas une réponse à dépopulation comme on a pu le voir en Allemagne.
L’Allemagne qui connait elle aussi un problème de natalité a recours à l’immigration pour
compenser sa dépopulation. Idéologiquement, la Russie ne voit pas l’immigration comme une
réponse globale à la dépopulation, ceci-dit, comme tout le monde, elle a recours à une
immigration de travail pour contribuer à sa croissance économique.
La réintégration de la Crimée en 2014 va contribuer aux statistiques démographiques
pour masquer le déclin démographique et donc la Russie va s’empresser de vite ajouter la
démographie de Crimée aux statistiques. Cela correspond tout à fait aux mentalités du pays
pour faire bonne figure.
La Russie est un Etat multiethnique et multiconfessionnel. Cette caractéristique est
inscrite dans la Constitution de 1993. La Constitution russe stipule que la Fédération russe est
un Etat multinational. Dans son recensement de 2010, la Russie affiche 193 « nationalités »
différentes. Ce qu’elle appelle « nationalités » correspond aux groupes ethniques. Parmi ces
groupes ethniques, il y a un groupe slave qui est largement majoritaire puisqu’il contribue à
83% de la population de la Russie. Rien que l’ensemble russe correspond à 80%. On voit que
la Russie est un groupe multiethnique mais où dominent largement les russes à 80%. Dans les
autres familles ethniques, on a des familles altaïques, turco mongoles et caucasiennes sont des
héritages de l’occupation turco mongole entre le XIII° et le XVI° siècles. Ces turcos mongols
se sont islamisés. Et donc, les musulmans aujourd’hui, font partis de cette Fédération de
Russie et contribuent à ce caractère multiethnique. Si on regarde la position des musulmans
aujourd’hui, on se trouve dans le sud de la Fédération de Russie. On a notamment Kazan et
puis le Tatarstan, cette nouvelle région de la Russie. Comme dans son passé soviétique, la
Russie continue d’appeler certaines de ses régions des « républiques », c’est le statut le plus
important à l’intérieur de la fédération. Et donc, avoir le statut de république à l’intérieur de la
fédération est une marque de respect vis-à-vis de ces peuples qui sont ethniquement non russe
mais qui ont le passeport russe et qui sont des citoyens russes à part entière. C’est pour cela
qu’il faut distinguer les russes ethniques des citoyens russes. A l’intérieur de la Fédération de
Russie, toute personne qui a le passeport russe, qu’il soit russe ethnique ou de tout autre
peuple, est considéré comme citoyen de la Fédération de Russie et donc comme un russe. Par
son poids démographique, l’ethnie russe peut légitimement imposer son modèle culturel à la
fois à l’intérieur de ses frontières et puis sur l’espace post-soviétique. Donc la Russie reste
avant tout ethniquement européenne, russe et orthodoxe et c’est cette Russie là qui va
organiser le vivre ensemble. La langue nationale donc le ciment de la nation, est la langue
russe. Toutes les ethnies ont hérité du modèle soviétique commun. Cela a sans doute
contribué à effacer certaines différences culturelles mais il y a un certain nombre de question
qui se posent, notamment sur la laïcité. A l’extérieur des frontières, ce qui est un des
marqueurs est que la guerre en Ukraine, en 2014 lorsque la Russie va annexer la Crimée à
l’Ukraine, au sein de la famille slave, il y a ici une guerre diplomatique et même
indirectement militaire puisque les russes vont contribuer à participer au conflit militaire à
l’intérieur des frontières de l’Ukraine. On s’aperçoit que l’enjeu à ce moment là est plus
politique et géopolitique qu’ethnique et que les russes sont prêts à faire la guerre à des voisins
slaves si ses intérêts politiques et géopolitiques sont en jeu.
Donc, dans le modèle russe, l’intégration des peuples non russes se fait sans
assimilation contrairement au schéma français qui était en tout cas celui de la République
dans un premier temps. Les russes laissent leur identité aux peuples conquis dans un schéma
qu’on peut appeler impérial. Donc la relation entre les russes ethniques et leurs compatriotes
non russes ethniques et musulmans en particulier, à l’inverse du modèle français, est un
héritage de l’Empire russe du XVIII° et XIX° siècles. Et donc, c’est une cohabitation qui se
fait selon ce schéma là et qui un peu une sorte de contrat entre les russes qui ont toujours leur
capitale à Saint Pétersbourg et qui est revenue à Moscou à l’occasion de la Révolution
d’Octobre 1917 et ce centre européen majoritairement russophone et ethniquement russe qui
assure la cohésion de l’ensemble.
Par ailleurs, le territoire russe est suffisamment vaste pour permettre une cohabitation
sans gros risque de conflit interethnique à l’intérieur de la Russie. Il est évident que lorsqu’on
a un territoire vaste, il est plus simple de cohabiter que lorsqu’on est sur un petit territoire.
Le poids de l’islam en Fédération de Russie est de 20 millions de fidèles, c’est-à-dire
environ 15% de la population. L’islam constitue la deuxième religion de la Russie après
l’orthodoxie. Le territoire de la Russie est une terre d’islam depuis très longtemps. Si on prend
les frontières historiques de la Russie, ce n’est pas le cas. Comme on l’a vu, quand la Russie
part de Kiev et se déplace à Moscou, il n’est pas question d’islam. Mais, aujourd’hui, la
Russie occupe un territoire qui est beaucoup plus vaste qu’originellement. Si on regarde le
territoire Daghestan qui est majoritairement musulman et qui appartient à la Fédération de la
Russie, est déjà une terre d’islam au VIII° siècle, c’est-à-dire avant même la conversion de la
Russie au christianisme de Byzance. Les musulmans sont présents sur les bords de la Mer
Caspienne dès les premiers temps de l’islam. Evidemment, les musulmans présents sur ces
terres caucasiennes sont tout à fait légitimes à occuper leur sol et donc il n’est absolument pas
question pour Moscou de les considérer comme des peuples d’immigration. C’est
l’intégration dans l’Empire russe de territoires islamisés qui fait entrer l’islam en Russie.
Ce qui a aussi marqué les relations entre la Russie et l’islam a été les relations
particulières avec une autre république du Caucase, non pas le Daguestan mais la
Tchétchénie. Cette Tchétchénie a fait l’objet de deux guerres après l’éclatement de l’URSS.
Quand l’URSS a éclaté, Boris Eltsine a été le premier président de la nouvelle Fédération de
Russie en 1991 et il va être président de cette nouvelle Russie multiethnique et démocratique.
Il va devoir faire face aux tentations du séparatisme de certaines régions qui vont vouloir
s’émanciper en faisant fi de la règle qui disait qu’on respectait les frontières intérieures de
l’URSS des quinze républiques de l’ex-URSS. La Tchétchénie n’a pas ce statut de république
dans l’URSS et donc, elle va vouloir accéder à son indépendance. Cela va faire l’objet de
deux guerres terribles, tragiques, qui vont ensanglanter le Caucase. Une première guerre en
1994-1996 : Boris Eltsine va refuser dans un premier temps l’indépendance de la Tchétchénie,
va essayer de mater la Tchétchénie musulmane avec son armée fédérale. L’état de l’armée à
ce moment là est catastrophique et la Russie ne va pas réussir à mater la rébellion tchétchène.
Elle va signer un accord de manière à ce que la Tchétchénie puisse bénéficier d’une large
autonomie. En fait, ça va être une autonomie de facto qui ne sera pas reconnue par la Russie
ni par la Communauté internationale. Cette Tchétchénie indépendante va être un voisin assez
inquiétant pour la Russie parce que c’est un territoire qui va être un Etat très instable et qui va
connaitre le développement d’un islamisme fondamentaliste. Une des figures qui vont être un
peu caractéristique de l’évolution de la Tchétchénie sont Djokhar Douaev (ancien colonel de
l’armée soviétique) qui va contribuer militairement à l’indépendance de la Tchétchénie mais
qui est tout à fait caractéristique de ce premier mouvement indépendantisme qui va en fait être
issu de l’armée. Ce mouvement va changer peut à peu de forme pour différentes raisons, en
particulier parce qu’évidemment, le combat est inégal entre les indépendantistes tchétchènes
et l’armée russe. Certes la Tchétchénie va remporte la première guerre de 1994-1996, va
accéder à l’indépendance, mais elle va perdre la seconde guerre (1999-2000) et elle va être
poussée dans les bras de l’islamisme radical. L’illustration de cette dérive va être illustrée par
cette image d’un autre combattant qui va venir en Tchétchénie qui lui est de tous les combats
de l’islam radical, que ce soit l’Afghanistan puis la Tchétchénie. C’est Ibn Al-Khattab qui va
être un combattant né en Arabie Saoudite. Il va être une sorte de mercenaire avec un certain
talent militaire. Il va proposer aux tchétchènes de les aider à devenir indépendant et la
Tchétchénie va céder à cette tentation. Ce chef de guerre va être à l’image de ce que va
devenir le combat de l’indépendantisme tchétchène. Au lieu de pousser vers l’indépendance
de l’ex-Tchétchénie soviétique, ça va être un mouvement qui va se mettre au service du
fondamentalisme mondial. Cet Al-Khattab va proposer ses services à la Tchétchénie. Il va
s’occuper de l’accueil des djihadistes étrangers pour venir combattre contre l’armée fédérale
russe, de la gestion des aides financières étrangères et de l’organisation d’attentats sur le sol
russe. Cette dérive du mouvement indépendantiste va légitimer l’action de la Russie qui va
tout de suite se poser en combattant de l’islam radical et du fondamentalisme islamiste et puis
de terrorisme évidemment. Donc, la Russie va connaitre des attentats sanglants, en particulier
en 2002. La Russie va connaitre une prise d’otages dans le théâtre Doubrovka à Moscou. Ça
va être un petit peu la préfiguration de ce que la France va connaitre avec le Bataclan. Donc,
pour la Russie, la présence de l’islam sur son sol pose de multiples défis : lutter contre les
actes terroristes quand il s’agit d’un islamisme fondamental qui essaie de s’infiltrer, en
particulier dans le Caucase. La capitale de Tchétchénie, Grozny, est rasée, les combats sont
violents. C’est Vladimir Poutine qui arrive au pouvoir en décembre 1999. Il va contribuer à
cette deuxième guerre qui va réussir à mater la rébellion tchétchène mais dans le sang. Mais,
pour stabiliser la région, la Russie va aussi mettre le paquet financier pour tout de suite éviter
que les anciens combattants tchétchènes soient dans un esprit de revanche et d’humiliation et
donc la Russie va faire couler des milliards de roubles sur la capitale Grozny pour contribuer
à sa renaissance urbaine. On trouve en particulier la construction d’une immense mosquée-
cathédrale qui va être un nouveau repère culturel, religieux et bien sûr architectural pour
l’islam russe.
Donc, les défis de la présence de l’islam en Russie sont de lutter contre les actes
terroristes, éviter que les nombreux musulmans de nationalité russe qui sont partis combattre à
l’extérieur des frontières et notamment auprès de Daesh en Syrie et en Irak à partir de 2012.
On estime entre 1 500 et 3 000 combattants russes qui seraient partis combattre aux côtés de
l’Etat islamique. L’Etat islamique a été battu par la coalition américaine et également du côté
syrien par l’armée syrienne soutenue par la Russie et donc, ces combattants-là, musulmans et
de nationalité russe en particulier issus du Caucase, reviennent en Russie. C’est d’ailleurs une
crainte des autorités russes, comme des autorités françaises. La Russie veut protéger les
musulmans russes de l’islamisme radical. Il y a maintenant les revendications du séparatisme
tchéchène par exemple qui a été largement écrasé par l’armée russe et par les forces spéciales
russes à l’intérieur des frontières. Ce n’est plus de créer l’itchkérie donc une simple
république autonome, c’est de créer l’émirat du Caucase qui a prêté allégeance à l’Etat
islamique. Cet émirat du Caucase existe virtuellement dans la tête de ces islamistes qui
veulent le créer physiquement mais c’est une vraie menace pour les autorités russes.
La relation avec l’islam en Russie peut être illustrée par le 23 septembre 2015 qui
correspond à l’inauguration de la grande Mosquée de Moscou après dix ans de construction,
en présence du président turc Erdogan. Donc la Russie accepte l’islam comme une des
composantes de son sol, au sein de la capitale où évidemment, la communauté musulmane est
très importante puisqu’elle est multiculturelle, de plus, il y a ces immigrés qui viennent
chercher du travail dans une capitale qui a besoin de main d’œuvre. Ce n’est pas tellement le
fait que Moscou a une mosquée, mais c’est le fait que Vladimir Poutine se déplace en
personne pour inaugurer cette grande mosquée et invite Erdogan pour afficher ensemble cette
présence musulmane au sien de la Russie qui obtient une légitimité politique. Cette mosquée
est un symbole très fort pour les musulmans. On a aussi l’arrivée à Grozny donc en
Tchétchénie le 25 août 2016 du Grand Imam Ahmed al-Tayeb de la Mosquée d’al-Azhar qui
est un phare de l’islam en Egypte. Il est une personnalité qui a un rayonnement international
de l’islam sunnite qui est un repère en matière de pensée religieuse. Le Grand Imam n’est pas
reçu par n’importe qui, il est reçu par le Président Kadyrov qui est le gouverneur de la région
de la Tchétchénie. Il a le titre de Président puisqu’à l’intérieur de la Fédération de Russie, la
Tchétchénie bénéficie du plus grand statut administratif qui est le terme république, ce même
terme qui est hérité de la période soviétique. Donc, quand une région acquiert un fort statut
d’autonomie, on lui donne le nom de république. Le Président Kadyrov est un pion du
Kremlin, il est tout à fait en phase avec Vladimir Poutine pour stabiliser la région et lutter
contre les fondamentalistes islamistes en Tchétchénie. Il contribue à lutter contre les
fomenteurs d’attentats dans sa république. Il tient sa république d’une main de fer, mais le
Kremlin ferme les yeux puisque la stabilité de sa région n’a pas de prix.
Donc, la politique générale est une politique pragmatique vis-à-vis des pays
musulmans et notamment quand il s’agit de lutte contre le terrorisme islamiste. La Russie n’a
pas une seule politique face aux différents Etats musulmans mais elle a une politique tout à
fait pragmatique et n’hésite pas à s’allier à tel ou tel pays musulmans du moment que les
intérêts géopolitiques sont communs.

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