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DESTIN DE L'OBJET ET DE LA PARTIE DANS LE MOI

Béatrice Ithier

Presses Universitaires de France | « Revue française de psychanalyse »

2006/5 Vol. 70 | pages 1507 à 1514

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ISSN 0035-2942
ISBN 2130555888
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Béatrice Ithier, « Destin de l'objet et de la partie dans le Moi », Revue française de psychanalyse
2006/5 (Vol. 70), p. 1507-1514.
DOI 10.3917/rfp.705.1507
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Destin de l’objet
et de la partie dans le Moi
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Béatrice ITHIER

Sans reprendre l’appréhension détaillée de l’introjection de l’objet, ou de la


partition du Moi, je souhaiterais aborder ici un point particulier concernant le
destin des objets introjectés – à savoir la nature cristallisante de certains objets
par rapport à la partie du Moi qui va s’y agglomérer et, par identification, s’y
aliéner. Cette question, en effet, me semble devoir être approfondie lorsque l’on
parle soit de l’assimilation de l’objet introjecté dans le Moi, soit de son clivage
ou de son encapsulement, comme le souligne B. Brusset1. Car l’objet n’est-il
qu’assimilé ou clivé et, surtout, dans quelles conditions et comment s’effectue
cette cristallisation ? D’autre part, quel impact et quel destin cet objet cristalli-
sant va-t-il avoir dans l’interrelation qui meut le processus ?

PARTITION DU MOI ET INTROJECTION DE L’OBJET

La relation entre le Moi et ses objets est, bien entendu, couramment


évoquée. Ils peuvent être ainsi fréquemment appréhendés comme s’ils ren-
voyaient à un processus d’assimilation permettant une sorte de relation
d’équivalence entre eux, mais lorsque l’on parle et de parties du Moi et d’objets,
leur lien ne paraît pas avoir été toujours véritablement précisé. Les références
princeps de la partition de la vie psychique, du clivage du Moi (S. Freud), ou
encore de l’introduction des personnalités psychotique et non psychotique

1. B. Brusset, Métapsychologie du lien et « troisième topique » ?, in Bulletin de la SPP, 66e Con-


grès des psychanalystes de langue française, 2005.
Rev. franç. Psychanal., 5/2006
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(W. R. Bion), ont, semble-t-il, focalisé l’attention et laissé dans un flou relatif
l’intérêt de ce lien intrapsychique, tant en ce qui concerne le sujet que l’inter-
relation des deux protagonistes du couple analytique. Or, qui de la partie ou de
l’objet du Moi fomente cette singulière complexité de la partie de la personnalité

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suffisamment différenciée, précisément, pour se détacher du Moi ou de ses
autres aspects ?
Cette partition du Moi se rencontre aux confins de la description de la vie
psychique telle que Freud nous l’a rendue familière dès 1923, sous la rubrique
des trois instances : Moi, Ça et Surmoi, qu’il a revisitée ensuite dans « La décom-
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position de la vie psychique »1, en 1933. Mais c’est, bien sûr, en étroite allé-
geance avec la notion de clivage que doit être située cette partition, déjà présente
en 19072, avant que Freud ne lui confère, si l’on peut dire, ses lettres de noblesse
dans son approche du « Fétichisme » (1927)3 et dans « Le clivage du Moi dans
les processus de défense », ainsi que dans l’ « Abrégé de psychanalyse », tous
deux écrits en 19384.
S’il est vrai que, dans ce véritable testament, il nous accorde à tous la possibi-
lité du déni ou du clivage sans que nous sombrions pour autant dans la psychose
ou la perversion, c’est la seule proportion entre les deux attitudes d’acceptation
ou de refus de la réalité qui décide, selon lui, de l’organisation de la personnalité
en névrose, psychose ou perversion. Il ouvre ainsi la voie, via M. Klein, à ce qui
va devenir chez Bion la « Différenciation des personnalités psychotique et non
psychotique » en 19575, qui prolonge et radicalise l’ultime réflexion freudienne.
Or, dès 1915, dans « Deuil et mélancolie », l’identification narcissique
mélancolique avait déjà signé une partition du Moi avec la perte de l’objet,
puisque le Moi, s’identifiant à l’objet pour ne pas s’en séparer, instaure « une
scission entre la critique du Moi et le Moi modifié par identification », critique
constituant, en fait, le véritable précurseur du Surmoi. Cette introjection de
l’objet fut donc d’abord dévolue à celle de l’objet perdu dans une partie « clivée
du Moi », avant de s’affirmer par la suite le plus souvent calibrée sur le Surmoi
dans ses différents aspects.
Cette appréhension charnière dans la métapsychologie freudienne et relati-
vement monothéiste de l’objet interne soulève un questionnement, car nous
savons, depuis K. Abraham, que l’objet interne, partiel ou total6, qui a d’abord

1. S. Freud, Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, Paris, Gallimard, 1984.


2. S. Freud, Le délire et les rêves dans La Gradiva de Jensen, Paris, Gallimard, 1986.
3. In La vie sexuelle, Paris, PUF, 1970.
4. In Résultats, idées, problèmes, II, Paris, PUF, 1985.
5. W. R. Bion, Différenciation des personnalités psychotique et non psychotique, in Réflexion
faite, Paris, PUF, 1983.
6. K. Abraham, Esquisse d’une histoire du développement de la libido basée sur la psychanalyse
des troubles mentaux, Développements de la libido, Paris, Payot, 1973.
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constitué le bestiaire réjouissant ou terrifiant de l’infantile, y compris chez


l’adulte, s’inscrit dans cette diversité et cette relative pérennité à laquelle le pro-
cessus analytique devra se confronter. Nous pourrions ainsi nous souvenir ici
de l’identification du même Abraham à son père mort, qu’il remarque à travers

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le grisonnement soudain de ses cheveux, comme s’il avait troqué là, tout à
coup, sa tête pour celle de son père !

ASSIMILATION OU DISPONIBILITÉ DES OBJETS INTERNES ?


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Ainsi, lorsque nous parlons de parties, pouvons-nous seulement parler de


parties et qu’en est-il de l’identification de ces parties avec les objets introjec-
tés ? C’est bien d’un « paradigme mystérieux » dont parle ainsi B. Brusset à
propos de l’identification primaire.
Sans entrer dans le débat de la réalité interne des objets qui anima Les
Grandes Controverses1, dans lequel on a pu lier leur caractère concret à leur
ancrage corporel, mâtiné d’omnipotence, je souhaiterais évoquer ici l’approche
du processus d’internalisation tel que l’a appréhendé P. Heimann2, par exemple.
Cette internalisation de l’objet de la satisfaction par le nourrisson repose, selon
elle, sur l’incorporation fantasmatique du sein au moment de la tétée et sur une
identification à lui. Pour Winnicott, cette expérience vécue de l’omnipotence,
grâce à un environnement facilitant, permet ensuite l’adaptation au principe
de réalité, au niveau d’une relation à des objets subjectifs, car il faut du temps
pour que l’objet, tout d’abord phénomène subjectif, devienne un objet perçu
objectivement.
Si donc, de manière générale, l’objet ou les objets sont ressentis comme
appartenant au Moi, « précipité d’objets investis puis abandonnés »3, et s’ils
subsistent comme fondement de la réalité psychique, en visiteurs des rêves, des
délires et dans l’hypocondrie, la fluidité de l’organisation des identifications,
comme en témoigne le jeu d’enfants, devrait, dans la croissance psychique,
autoriser une disponibilité des objets à l’identification du Moi. Telle était,
semble-t-il, la position qu’adopta M. Klein, suite à sa conception d’un clivage
initial en bon et mauvais objet, même si, bien sûr, elle a par la suite articulé la
trajectoire du rapport du Moi aux objets internes en décrivant :
1 / un Moi soutenu par un objet interne ;
2 / puis un Moi renforcé et soutenu par l’identification à cet objet ;

1. Dans la Société britannique, entre kleiniens et anna-freudiens, en 1943-1944.


2. P. Heimann, Some notes of the psycho-analytic concept of introjected objects, in P. Heimann,
About Children Children-no-longer. Collected Papers, 1942-1980.
3. S. Freud, Le Moi et le Ça, in Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1981.
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3 / et une partie du Moi, détachée par clivage, devenant alors soit un objet
interne hostile, soit un bon objet, mais pouvant parfois devenir submergeant
et écrasant.

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OBJETS INTERNES ET PARTIES DU MOI

Ainsi pouvons-nous concevoir que des objets internes puissent devenir des
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parties du Moi, en leur fournissant une panoplie de qualités, de comportements


et de pensées liés au processus d’identification à ces objets. Mais, s’il convient
de différencier, dans l’écoute analytique, comme l’a bien montré F. Guignard1,
le langage du Moi de celui de ses objets, cette distinction s’avère parfois diffi-
cile, tant l’identification peut constituer la mesure conservatoire de toute
l’assise narcissique du sujet. Par ailleurs, d’autres objets internes fonctionnent
comme des corps étrangers inassimilables, et cela en raison surtout, mais pas
seulement, de leur mauvaise qualité. Or, ce sont ces objets intempérants, préci-
sément, qui posent problème.
W. R. D. Fairbairn a tenté une compréhension très différenciée de l’intro-
jection de l’objet2, dans laquelle, contrairement à M. Klein, seul le « mauvais
objet » se trouve en définitive intériorisé à des fins de contrôle, pour être
ensuite clivé, j’ajouterai, dans une partie du Moi. La démarche de Fairbairn
peut susciter des réserves, notamment et pour le dire rapidement, sur son
asepsie pulsionnelle, toutefois plus explicite que fonctionnelle. Elle comporte,
cependant, une analyse assez fine de l’introjection de l’objet et de la destructi-
vité qui mérite que l’on s’y attarde. Il m’est apparu intéressant de la confronter
à la théorie du narcissisme destructeur de H. Rosenfeld en 1964, puis en 19713,
en partie reprise par A. Green en 1983, dans son étude du Narcissisme de vie,
narcissisme de mort4. Cette approche de Rosenfeld présente une pertinence cli-
nique remarquable.
Freud, sous la dénomination de « narcissisme primaire », désignait des
relations d’objet primitives. L’approche kleinienne de ces relations d’objet nar-
cissiques, creuset des « états narcissiques », insiste, quant à elle, sur le lien entre
l’omnipotence et l’identification narcissique qui conduit au déni de la sépara-
tion entre soi et l’objet. Cette séparation, révélatrice de la dépendance et donc

1. F. Guignard, Épître à l’objet, Paris, PUF, 1997.


2. W. R. D. Fairbairn, Structures endopsychiques et relations d’objet, vol. I, Paris, Éd. du Monde
interne, 1997.
3. H. Rosenfeld, États psychotiques, Paris, PUF, 1977, puis Impasse et interprétation, Paris, PUF,
1989.
4. A. Green, Narcissisme de vie, narcissisme de mort, Paris, Éd. de Minuit, 1983.
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facteur d’angoisse, voire « crainte d’effondrement » (D. W. Winnicott), menace


d’ « agonie » (R. Roussillon), ou de « terreur sans nom » (W. R. Bion), est sou-
vent vécue comme annonciatrice d’une confrontation avec une expérience
limite de mort psychique, suscitant le retrait hors du trauma et de toute situa-

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tion psychique pouvant s’y apparenter, comme seule réponse pour survivre.
Il semble assuré que cette organisation narcissique renvoie aux divers acci-
dents de la « rêverie maternelle », notamment aux carences transformatrices de
l’objet dans son traitement des identifications projectives du bébé, ce qui
entraîne un fonctionnement par identification projective pathologique, comme
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une confusion identificatoire, surdéterminées par la carence d’un masculin


paternel suffisamment présent et séparant. Un tel fonctionnement est source de
difficultés dans la relation analyste-patient.
Martin, un patient, revenait souvent des séparations des vacances en rêvant
d’une femme « idéale », pourvue d’une sensualité beaucoup plus riche que celle
de sa femme. Il pouvait reprendre alors contact avec une maîtresse ou se jeter
sur la première beauté rencontrée. Il s’évadait alors dans des rêveries où la sen-
sualité devait le conduire à une vie « totalement épanouie ».
Il s’agissait, pour lui, d’évacuer le contact émotionnel qu’il avait ressenti
avec moi, alors que ses associations le ramenaient vers le ressenti fortement
dépressif de son enfance et que, à nouveau, il était confronté à la souffrance des
séparations qui avaient pris un tour dramatique dans le passé.
Dans cette configuration, par exemple, le sujet – en identification narcis-
sique à la mère – peut combattre tout sentiment de dépendance dans un fan-
tasme d’autosuffisance. Il instaure une suprématie de la sensualité et des procé-
dés évacuatifs masturbatoires, et génère ainsi un clivage et un évitement de la
douleur psychique par l’érotisation. Son organisation de défense dessine alors
un objet d’emprise, toujours à disposition, prometteur d’une fusion idéale qu’il
lui suffira de projeter à la première occasion.
Ainsi, Jacques, un autre patient, raconte un rêve fait au tout début du
week-end : « Sur la route, dit-il, je double une voiture, c’est la voiture de N... (une
collègue femme), je mords sur la bordure en terre non stabilisée. »
Il associe sur sa femme et ses filles. Le week-end s’était bien passé mais il
avait eu ce fantasme de revoir Jeanne, une ancienne amie, de la rechercher. « Si
je replongeais dans une relation avec elle, je n’en sortirais pas vivant. » La rela-
tion avait été volcanique et s’était très mal terminée.
« Quand je réactive les fantasmes pour Jeanne, poursuit-il, comme quand
j’étais mordu pour elle, je risque de sortir du chemin de la rencontre de l’analyse.
Le week-end, en particulier, me dit-il, je vous double. »
À quoi j’ai répondu qu’il me doublait en une Jeanne et avec une Jeanne,
comme il doublait l’analyse pendant les séparations avec l’érotisation.
1512 Béatrice Ithier

« Et là, m’a-t-il dit, je suis au bord du dérapage. Mais, à l’entrée du week-


end, il y a comme une poussée interne, érotisante, excitante, pour combattre
l’angoisse de ne pas vous avoir. Conduire vite, c’est une espèce d’excitation, c’est
se donner des sensations fortes, des poussées d’adrénaline, c’est un peu en compé-

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tition avec l’adrénaline de l’émotion relationnelle. J’ai toujours mon petit pro-
blème de cœur. »
Il avait aussi associé sur son cœur, et il en était arrivé à penser qu’il pouvait
s’agir d’un problème de régulation de ses émotions. « Comme si mon cœur ne
savait pas s’il devait accélérer ou ralentir », m’avait-il dit. Il avait poursuivi en
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disant qu’il avait l’impression de ne pas avoir encore commencé à vivre et qu’il
ne savait pas aimer. « Je suis encore un peu dans la chrysalide. » Comme s’il me
disait qu’il était enfermé dans un fonctionnement défensif où il ne pouvait pas
utiliser et transformer sa vie émotionnelle en sentiments.
Rosenfeld caractériserait cette partie comme un véritable gang, qui opère
en se présentant au Moi comme secourable et salvateur. Il en parle, toutefois,
tantôt comme d’un Soi, tantôt comme d’un objet clivé1, exerçant par persua-
sion et suggestion une influence puissante et suscitant un faux sentiment de
culpabilité, massivement présent dans nombre de pathologies borderline. Ce
faux sentiment de culpabilité résulte d’attaques violentes dérivant de cette orga-
nisation narcissique contre la partie infantile du Soi. Cette équivalence, chez
lui, entre Soi et objet clivé pour décrire cette organisation défensive, semble
exprimer, de fait, une relation d’identification narcissique d’une partie du Moi,
avec un objet interne pathogène, autour duquel, je dirais, elle se cristallise.

CLIVAGE DE L’OBJET EN OBJET ATTIRANT


ET OBJET REJETANT

Il est intéressant de confronter cette conception du narcissisme destructeur


au modèle de Fairbairn, notamment à son clivage de l’objet interne en objet
attirant et en objet rejetant. Cette confrontation permet une articulation plus
détaillée de cette situation interne.
Fairbairn soulignait l’équivalence émotionnelle pour le petit enfant de la
frustration et du rejet de la part de l’objet, et insistait sur le fait que la différen-
ciation kleinienne de « bon » et de « mauvais » objet ne peut s’effectuer qu’à tra-
vers le clivage d’un objet internalisé, à l’origine ni bon ni mauvais mais « insa-
tisfaisant dans une certaine mesure », d’où son introjection qui doit être

1. H. Rosenfeld, Impasse et interprétation, Paris, PUF, 1989.


Destin de l’objet et de la partie dans le moi 1513

considérée comme une technique de défense du Moi. Il va sans dire qu’un objet
particulièrement insatisfaisant accentuera les différentes composantes de cet
objet interne en les aggravant. Une seconde défense, pour Fairbairn, consistait
dans le rejet des éléments clivés de l’objet, grâce auquel, alors, un noyau rési-

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duel représentait l’aspect relativement satisfaisant, du moins tolérable, de
l’objet internalisé.
Ce sont ces différentes composantes des défenses qui trouvent, semble-t-il,
une autre organisation dans le narcissisme destructeur, tant les composantes
attirantes et rejetantes sont surinvesties, au détriment du noyau central du Moi
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et de son « objet idéal » (si l’on reprend la terminologie de Fairbairn), qui se


trouve alors déplacé et dévolu à cette organisation défensive, ce qui explique
son caractère à la fois destructeur et séduisant. Quant aux composantes reje-
tantes, elles sont souvent projetées dans le partenaire et, bien entendu, dans
l’analyste.

TRAUMA ET OBJET CRISTALLISANT DE L’ORGANISATION DÉFENSIVE

Mais c’est à D. W. Winnicott que revient le mérite d’avoir souligné ce rôle


du trauma dans la mise en place de cette organisation de défense, structurée
autour d’un objet interne pathogène, constitué de l’alliage de la toute-puissance
infantile, pulsionnellement indexée, et de l’aspect agressif et anti-émotionnel de
l’objet. Dans le cas de Philippe, exposé dans « Le respect du symptôme en
pédiatrie »1, on voit comment une partie du Moi, s’instituant en recours, sur-
vient en réaction à une expérience traumatique extrême, en prenant appui sur
une identification massive à cet aspect pathogène d’un objet externe, qui place
l’enfant en désarroi sous l’injonction d’un clivage anti-émotionnel violent, que
l’enfant va introjecter et rattacher à un autre versant de cet objet, aimé celui-là,
et qui dès lors fonctionnera comme un objet-partie destructeur de sa capacité
émotionnelle.
C’est donc la gestion du trauma, et le recours qu’elle suscite à telle ou telle
figure interne, qui institue cette organisation défensive dans laquelle une partie
du Moi va s’aliéner et se cristalliser autour de l’objet interne le plus hostile à la
détresse, à la débâcle émotionnelle – bref, aux vicissitudes du lien. Cette recon-
naissance de la cristallisation d’une partie du Moi autour d’un objet pathogène
introjecté, partie ainsi promue en organisation défensive de la personnalité,

1. D. W. Winnicott, De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris, Payot, 1969.


1514 Béatrice Ithier

peut permettre une meilleure compréhension de la dialectique complexe des


objets internes et externes qui se joue dans la dynamique transféro-contre-
transférentielle ; encore convient-il qu’elle ne fonctionne qu’en seul étayage des
ressources émotionnelles de l’analyste.

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20, rue Brey
75017 Paris

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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Abraham K., Esquisse d’une histoire du développement de la libido basée sur la psy-
chanalyse des troubles mentaux, in Développements de la libido, Paris, Payot,
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in Réflexion faite, Paris, PUF, 1983.
Brusset B., Métapsychologie du lien et « troisième topique » ?, Bulletin de la SPP,
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Fairbairn W. R. D., Structures endopsychiques et relations d’objet, vol. I, Paris, Éd. du
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Ferenczi S., Réflexions sur le traumatisme, in Œuvres complètes, IV, Paris, Payot,
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Freud S., Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, Paris, Gallimard,
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Guignard F., Épître à l’objet, Paris, PUF, 1997.
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Winnicott D. W., De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris, PUF, 1969.

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