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SUBLIMATION ET PERVERSION

Michèle Van Lysebeth-Ledent

Presses Universitaires de France | « Revue française de psychanalyse »

2005/5 Vol. 69 | pages 1763 à 1770

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ISSN 0035-2942
ISBN 2130552528
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Michèle Van Lysebeth-Ledent, « Sublimation et perversion », Revue française de psychanalyse
2005/5 (Vol. 69), p. 1763-1770.
DOI 10.3917/rfp.695.1763
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Sublimation et perversion
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par Michèle VAN LYSEBETH-LEDENT

| Presses Universitaires de France | Revue française de psychanalyse

2005/5 - 695
ISSN 0035-2942 | ISBN 2130552528 | pages 1763 à 1770

Pour citer cet article :


— Van Lysebeth-Ledent M., Sublimation et perversion, Revue française de psychanalyse 2005/5, 695, p. 1763-1770.

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Sublimation et perversion

Michèle VAN LYSEBETH-LEDENT


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Comme les deux rapporteurs le suggèrent, un traumatisme se décèle à l’ori-


gine des sublimations. De manière analogue, la littérature analytique relève fré-
quemment l’existence d’un traumatisme comme facteur causal de la perversion.
Comment comprendre qu’une genèse commune puisse donner lieu à deux
entités apparemment si opposées ? L’une s’accompagne en effet d’une désexua-
lisation, tandis que l’autre évolue dans le sens d’une hypersexualisation. De
plus, considérée comme un destin pulsionnel « supérieur », la sublimation est
valorisée, tandis que, moralement désapprouvée, la voie perverse est sociale-
ment condamnée.
Pourtant, soulignons-le, au-delà des différences manifestes, ces deux entités
sont souvent réunies au sein d’une même personnalité et présentent des ressem-
blances troublantes qui posent question. S’agit-il de deux solutions d’un même
problème initial, de deux modalités totalement clivées ou, au contraire, de deux
fonctionnements, en fin de compte, très voisins ?
À première vue, ces deux modalités :
— proviennent d’une même source pulsionnelle : les pulsions partielles ;
— sont idéalisées ;
— font appel à l’acte ;
— évitent le refoulement ;
— sont associées à l’idée de créativité.
Convaincue comme Bion que, « dans l’image onirique, le sens est pris au
piège comme la lumière dans un diamant », j’ai choisi de m’appuyer sur le rêve
d’un même analysant présentant ces deux types de fonctionnement, pour en
investiguer les ressemblances et différences. En voici une première lecture.
Confronté à l’annulation d’une séance, qui réveille à l’évidence un trauma-
tisme profond, Boris, l’analysant, se trouve à la croisée des chemins. Son rêve
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rend compte d’une hésitation entre la voie perverse, courte, facile et immédiate,
et l’issue sublimatoire, longue, exigeante et difficile.
Boris est un jeune adulte excessivement fragile. Son comportement est
désorganisé et parfois inquiétant. Son discours est souvent confus. Le processus

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analytique est lent et les thèmes abordés excessivement répétitifs.
Au moment du rêve, l’analysant entame sa quatrième année d’analyse.
Mal tolérées, les séparations analytiques provoquent des angoisses sidérantes et
un débordement de violence. Pour se rassurer et se rassembler, Boris se réfugie
habituellement dans des masturbations compulsives. À cette époque, je pres-
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sens l’existence d’un comportement pervers. Rien n’a jamais été explicité à ce
sujet, mais l’analysant évoque régulièrement ses masturbations « bizarres ».
C’est seulement dans une séance ultérieure, lorsque je fais référence à son rêve,
qu’il me révèle que le tuyau d’arrosage y figurant est jaune tout comme le
fétiche utilisé pour se masturber.
Depuis peu, j’assiste aux prémices d’un mouvement mutatif. Ayant noué
une relation amoureuse, Boris s’efforce de renoncer aux masturbations com-
pulsives. Dans la foulée, il tente de se défaire des conduites systématiquement
opposantes et destructrices qui le caractérisaient. De plus, il se passionne tou-
jours davantage pour la peinture.
Le mardi précédant le rêve, je lui annonce mon impossibilité de le recevoir
le vendredi suivant. Il ne manifeste aucune réaction mais, la veille de mon
absence, il apporte un rêve. L’événement est rare et prend souvent la forme
d’un cauchemar. C’est avec émotion que j’accueille un scénario onirique d’une
facture inconnue jusqu’ici.
Voici le rêve : Il fait un stage de survie. Interrompant son récit, Boris
m’explique qu’il s’agit de survivre seul, dans des conditions extrêmes. Une
haute montagne doit être escaladée. Parvenu au sommet, il découvre une mai-
son et, sur le sol, un tuyau d’arrosage avec lequel – mû par une impulsion sou-
daine – il s’apprête à inonder l’habitation. Surgit alors un homme – sans doute
l’habitant de la maison – qui le lui interdit. Il obéit. Plus loin, une plate-forme
grillagée donne accès à un télésiège. Un morceau de la plate-forme manque ; il
faut donc enjamber le vide. La grille bouge. Il est paralysé d’angoisse. À tra-
vers les barreaux à claire-voie, il aperçoit le gouffre, est pris de vertige et
craint de tomber dans le vide. Contre toute attente, la grille s’avère solide.
Pivotant légèrement autour de son axe fixe, elle bouge à peine. Progressive-
ment, il s’abandonne au léger balancement du support. C’en est presque un jeu.
Il n’a plus peur.
L’analysant n’associe rien et sombre dans une torpeur mutique. Je connais
ces états où son psychisme sidéré est au point mort. Lorsqu’il en émerge, Boris
en parle de coutume comme d’une glu dans laquelle il s’est enlisé.
Sublimation et perversion 1765

Espérant le sortir du trou noir qui l’aspire, j’interviens en disant que


l’interruption analytique, plus longue qu’à l’accoutumée, semble lui faire l’effet
d’un stage de survie. Boris s’ébroue et sort de sa torpeur. Je poursuis en évo-
quant la grille, dont un morceau manque à l’image de la séance manquante de

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la semaine. Angoissé, il découvre pourtant – lui dis-je – la solidité de la grille
sur laquelle il prend appui. Il reconnaît alors que ses angoisses sont désormais
plus tolérables. Il ajoute que le balancement sur la grille lui rappelle les enfants
autistes. Ayant entendu l’évocation du jeu dans une aura winnicottienne, je me
sens perplexe.
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Après un silence, l’analysant enchaîne en parlant de sa peinture. Expres-


sive et violente, elle lui évoque le tragique de la condition humaine. Il se
demande s’il peindra ce week-end. Quand il y parvient, il éprouve un réel soula-
gement, mais bien souvent l’angoisse l’en empêche. J’interprète alors que la
peinture est peut-être aussi une forme de « jeu » avec ce qui l’angoisse, tout
comme le jeu avec la grille au-dessus du vide. Ému, il reste silencieux, et détaille
ensuite comment il se prépare à vivre l’interruption.
Avant de poursuivre, il importe de préciser que le scénario masturbatoire
du rêve n’est que partiellement superposable au scénario fétichique habituel.
Plus complexe, ce dernier fait également appel au sado-masochisme. Dans la
suite de l’analyse, il m’est apparu que le fétiche avait de multiples fonctions.
Il fait office de roue de secours toujours disponible en cas de difficulté.

L’AXE SEXUALISATION-DÉSEXUALISATION

Le rêve traduit l’impact de l’annonce de mon absence, qui entre en réso-


nance avec un traumatisme profond, ressenti comme une menace vitale (le
stage de survie). Une solution masturbatoire fétichique est alors immédiate-
ment convoquée. Elle contourne les vécus auxquels confronte l’annulation de la
séance. En fantasme, elle permet l’envahissement de la mère-maison-analyste,
ce qui est censé en chasser son habitant, le père. Toutefois, celui-ci se pose en
surmoi œdipien interdisant la solution fétichique. Ce que l’analysant accepte.
Contrairement à la voie perverse reposant sur une érotisation instantanée,
l’issue sublimatoire évolue, à première vue, dans le sens d’une désexualisation.
Elle impose, en effet, le renoncement au scénario masturbatoire et contraint
d’affronter la séparation. Cependant, comme nous le verrons par la suite, la
notion de désexualisation est complexe et doit être nuancée.
Penchons-nous maintenant sur les points communs à la sublimation et à la
perversion.
1766 Michèle Van Lysebeth-Ledent

LE TRAUMATISME

À propos de la perversion, Freud1 évoque le traumatisme résultant de la

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découverte de la différence des sexes. À l’heure actuelle, un large consensus
soutient que ce traumatisme en recouvre un autre, plus profond, mettant en
question l’identité même du sujet.
Dans une communication préalable au LXVe Congrès des psychanalystes
de langue française, j’avance l’hypothèse que les traumatismes manifestes (perte
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objectale ou autre) à l’origine du processus sublimatoire sont sous-tendus par


un trauma plus précoce occasionné par une rencontre insatisfaisante entre la
mère et son enfant. La même hypothèse me semble valable en ce qui concerne
la perversion.
C’est la manière de se positionner par rapport au traumatisme inaugural,
qui spécifierait les deux entités considérées.
Comme l’illustre le rêve de Boris, le fonctionnement pervers refuse la per-
ception traumatisante, pourtant entrevue dès l’abord. Le mécanisme de sexuali-
sation et la néo-réalité du fétiche viennent colmater la blessure à vif. Le fonc-
tionnement sublimatoire implique, par contre, l’acceptation de la perception
douloureuse et suppose la figuration des angoisses et des répercussions psy-
chiques qui s’ensuivent.

LA SOURCE PULSIONNELLE : LES PULSIONS PARTIELLES

Ici, conformément à l’hypothèse freudienne2, les pulsions partielles consti-


tuent la source pulsionnelle du comportement pervers, qui y reste fixé. Comme
le figure le scénario onirique, le phénomène sublimatoire traduit, a contrario, le
passage du partiel au total, tant pour les pulsions que pour l’objet concerné.
C’est l’hypothèse post-kleinienne de Meltzer3 qui me semble rendre compte
le plus précisément de l’opération qui se déroule sous nos yeux. Pour cet
auteur, la seule contribution active du sujet au processus de réparation-
sublimation est le renoncement aux identifications projectives faisant intrusion
dans les objets internes. C’est ce que traduit le rêve. Boris accepte, en effet, de
ne pas inonder la maison et poursuit seul son chemin. Selon Meltzer, délivrés
du contrôle qui s’exerçait sur eux, les objets internes retrouvent alors leur
liberté et leur capacité de s’unir. Cette union sous-tendrait les capacités créa-

1. S. Freud (1938), Le clivage du moi dans le processus de défense, in Résultats, idées, problèmes,
II, Paris, PUF, 1971.
2. S. Freud (1905), Trois essais sur la théorie sexuelle, Paris, Gallimard, 1987.
3. D. Meltzer (1972), Les structures sexuelles de la vie psychique, Paris, Payot, 1977.
Sublimation et perversion 1767

trices et sublimatoires du sujet. Aussi est-il quelque peu abusif d’envisager en


l’occurrence une désexualisation radicale.
Comme nous le constatons, la voie sublimatoire implique l’élaboration
dépressive de la problématique œdipienne, axée sur l’abandon de toute forme

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de satisfaction incestueuse. Si cette voie est angoissante, elle se fonde également
sur un élan libidinal prenant en compte le rôle bénéfique de l’objet et des chan-
gements psychiques qu’il favorise. Boris découvre qu’il n’est plus prisonnier de
l’éternel retour du même. Une assise narcissique solide – la plate-forme gril-
lagée du rêve – s’est construite en lui. L’apport de l’analyse, le lien positif à
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celle-ci, est ainsi implicitement reconnu. Tout comme il assume l’élan amou-
reux qui l’anime, l’analysant s’appuie désormais sur ses forces libidinales. Jus-
qu’ici, seules la révolte, la haine et la violence avaient droit de cité.
La problématique perverse, quant à elle, contourne le deuil œdipien, main-
tient l’omnipotence infantile et les gratifications incestueuses.

L’IDÉALISATION

Chez Boris, tant les conduites perverses que sublimatoires sont toutes deux
idéalisées, mais le sont différemment. Lorsqu’il est aspiré dans l’univers per-
vers, Boris se sent omnipotent, idéalise son fétiche et l’intensité de son excita-
tion sexuelle. Dans cet état maniaque, il est le maître du monde. Cependant, à
peine a-t-il éjaculé que son humeur bascule. La déréliction et la dépression
s’emparent de lui. L’aspect factice du fétiche lui saute aux yeux. Il lui arrive
d’ailleurs de le détruire et de le jeter à la poubelle. Cependant, très vite il s’en
procure un autre et le cycle infernal recommence.
La peinture – la sublimation de l’analysant – est, par contre, idéalisée de
manière constante. Elle est vécue comme ce qui donne sens à la vie.

L’ACTE

É. Sechaud considère le passage par l’acte comme un point commun à la


perversion et à la sublimation. C’est « comme si le fantasme ne suffisait pas »,
nous dit-elle. Une question se pose : la nature de l’acte est-elle identique dans
les deux cas ?
Dans la perversion, l’acte est sans conteste l’indice d’une faille de l’élabo-
ration symbolique. C’est ce que dénote le début du rêve. Après l’évocation du
stage de survie illustrant l’insupportable de l’interruption analytique, tout se
passe comme si Boris refusait d’élaborer plus avant ce à quoi il est confronté.
L’absence, l’angoisse et la solitude ne sont pas symbolisées et sont occultées par
1768 Michèle Van Lysebeth-Ledent

le scénario masturbatoire fétichique. Apparaît cependant en filigrane un fan-


tasme de scène primitive où le père et son pénis – habitant de la mère – sont
confondus. Le scénario masturbatoire a pour fonction de l’annihiler en faisant
de Boris le seul habitant de la maison.

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La perception pertinente et le sens symbolique auquel elle donne accès sont
détruits. Le processus C – (l’anticonnaissance, selon Bion1) est mis en œuvre.
La haine de la réalité, tant dans sa dimension externe que dans sa dimension
interne, prévaut.
Si l’acte pervers traduit l’indigence de la fonction symbolique, comment
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imaginer qu’il en soit de même pour la sublimation, le plus beau fleuron de


l’activité psychique ? Penchons-nous sur la dernière partie du rêve, qui nous
achemine vers l’idée de peinture, la sublimation. Nous y découvrons une élabo-
ration symbolique où la réalité et les répercussions émotionnelles qu’elle
engendre sont représentées. L’annulation de la séance renvoie au morceau man-
quant de la grille, au vertige et à l’angoisse de tomber dans le vide. L’analysant
découvre ensuite la solidité de son support, et l’idée de jeu s’impose alors.
Au vu de cette séquence, deux remarques peuvent être faites :
— L’activité sublimatoire se fonde sur une élaboration symbolique et une
appropriation subjective, tant de la réalité externe que de la réalité psychique
interne. Cela se traduit par la reconnaissance du triangle œdipien et par la sou-
mission au surmoi.
— Cette activité requiert un niveau d’angoisse tolérable, sinon elle
demeure inaccessible. À l’opposé, l’activité fétichique a la propriété d’apaiser
sur-le-champ les angoisses les plus vives.
Examinons le « soulagement » exprimé par Boris à propos de la peinture.
En quoi consiste-t-il ?
Dans la perspective freudienne, la sublimation donne au surmoi la preuve
que le sujet abandonne toute forme de décharge sexuelle et opère une transfor-
mation pulsionnelle dont la valeur est confirmée par le surmoi culturel. Un
soulagement peut, à l’évidence, s’ensuivre.
Dans l’optique post-kleinienne, la sublimation traduit – outre la réparation
des objets et du monde internes – la sortie du monde égocentrique de la posi-
tion schizo-paranoïde et le désir altruiste de partager avec ses pairs les fruits du
travail psychique effectué.
Quittons un instant le rêve de Boris. La clinique nous apprend que cette
hypothèse résolument optimiste n’est pas généralisable. Certains produits subli-
matoires sont, en effet, investis comme un fétiche colmatant la blessure ouverte
par le réel.

1. W. R. Bion (1963), Éléments de psychanalyse, Paris, PUF, 1979.


Sublimation et perversion 1769

LE REFOULEMENT

On connaît la formule fameuse : « La névrose est le négatif de la perver-

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sion. »1 La perversion s’envisage alors comme une organisation psychique
échappant à toute mesure défensive et permettant de ce fait une grande liberté
sexuelle. Curieusement, cette théorie rejoint le credo du sujet pervers, qui met
en exergue la liberté et l’originalité de sa vie sexuelle.
La fin de l’œuvre freudienne2 dément pourtant cette conception simpliste.
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Reposant sur le déni et le clivage, la perversion ressemble désormais à une


forme de psychose très localisée.
N’était l’allusion au fétiche, la séquence du scénario masturbatoire évoque
la banale réalisation d’un désir incestueux refoulé. Les processus primaires sont
à l’œuvre et Boris n’a manifestement pas conscience du sens de son récit.
Cependant, la présence du fétiche nous introduit dans une néo-réalité qui
diffère à l’évidence de la simple réalisation d’un désir refoulé. Une remarque
s’impose par ailleurs. C’est au moment où, sous l’égide de son fonctionnement
le plus névrotique, Boris s’efforce de renoncer à ses pratiques fétichiques, qu’il
livre un tel scénario. Aurait-il pu le faire en un autre temps ? L’indigence de sa
vie onirique antérieure invalide une telle hypothèse.
En ce qui concerne la problématique du refoulement dans la sublimation,
nous n’avons guère d’éléments. Aucun scénario refoulé ne se devine sous
l’activité sublimatoire. Mais la séquence onirique nous apprend – et ce fait est
d’importance – que la sublimation se fonde sur la représentation de la réalité
telle qu’elle est, et ce tant dans sa dimension perceptive que dans ses réper-
cussions sur le monde interne. Une fonction autosymbolique traduisant
l’appropriation subjective est mise en jeu. Évacué du secteur pervers, le principe
de réalité est ici respecté.
Évoquant les artistes, Freud admire leur capacité d’obéir au principe de
plaisir, tout en imposant leurs œuvres à la réalité sociale. Peut-être n’a-t-il pas
suffisamment mesuré combien le principe de réalité, dans ses aspects contrai-
gnants et inflexibles, joue également un rôle dans la création artistique.

LA CRÉATIVITÉ

La créativité se mesure à l’aune de la richesse symbolique. Reconnue sans


réserve à l’activité sublimatoire, elle est, par contre, contestée à la perversion.

1. S. Freud (1905), Trois essais sur la théorie sexuelle, Paris, Gallimard, 1987.
2. S. Freud (1938), Le clivage du moi dans le processus de défense, in Résultats, idées, problèmes,
II, Paris, PUF, 1971.
1770 Michèle Van Lysebeth-Ledent

S’efforçant de se dégager de toute considération morale, Joyce McDougall1


parle de néo-sexualité, reconnaissant ainsi, ipso facto, une certaine créativité au
phénomène. Elle souligne cependant la pauvreté, la rigidité et l’aspect compul-
sif du scénario pervers construit une fois pour toutes. Ajoutons que la créativité

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du sujet pervers se manifeste surtout par la « création » du fétiche. Celui-ci
apparaît comme un objet « trouvé-créé » magnifié.
Chez les auteurs post-kleiniens, une certaine conception de la perversion se
dégage. Celle-ci a le statut d’une créativité négative fondée sur le mensonge
et l’envie destructrice. Ce sont les liens d’anti-amour, d’anti-haine et d’anti-
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connaissance, bien mis en évidence par Bion2, qui sont ici sollicités.
Comme nous l’avons constaté, la créativité sublimatoire s’efforce, au con-
traire, de symboliser la réalité et les multiples facettes de l’expérience émotion-
nelle qu’elle engendre. En fin de compte, si l’artiste nous touche, n’est-ce pas
parce qu’il réussit à figurer ce quelque chose d’intime et d’indicible, que nous
sentons, sans être capables de le représenter ?
Le concept de fonction objectalisante d’A. Green3 départage les deux phé-
nomènes. Le rêve de Boris le suggère, la sublimation n’est pas motivée par le
désir de s’affranchir de l’objet, mais par le désir libidinal de l’introjecter. Seul
le fonctionnement pervers recherche un affranchissement radical. Dans la
séquence menant à l’idée de sublimation, si Boris s’éloigne de l’objet, c’est par
respect de son identité et de son altérité. La transformation pulsionnelle qui
s’ensuit est gouvernée par Éros.
Même si le mécanisme de déplacement est au cœur de la créativité objecta-
lisante, les nouveaux objets auxquels elle donne lieu me semblent toujours en
lien, fût-il ténu, avec l’expérience émotionnelle originaire.
La création du fétiche signe, par contre, l’affranchissement du lien objec-
tal. Gouvernée par Thanatos, elle implique la fonction désobjectalisante fondée
sur le désinvestissement. Le fétiche n’est plus en lien libidinal avec l’objet origi-
naire qui, dégradé, perd son altérité et sa spécificité.
Michèle Van Lysebeth-Ledent
Rue H. van Zuylen, 76
1180 Bruxelles
Belgique

1. J. McDougall (1978), Plaidoyer pour une certaine anormalité, Paris, Gallimard.


2. W. R. Bion (1963), Éléments de la psychanalyse, Paris, PUF, 1979.
3. A. Green (1989), Pulsion de mort, narcissisme négatif, fonction objectalisante, in La pulsion
de mort, Paris, PUF.

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