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ISSN 0035-2942
ISBN 2130552528
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http://www.cairn.info/revue-francaise-de-psychanalyse-2005-5-page-1763.htm
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Sublimation et perversion
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2005/5 - 695
ISSN 0035-2942 | ISBN 2130552528 | pages 1763 à 1770
rend compte d’une hésitation entre la voie perverse, courte, facile et immédiate,
et l’issue sublimatoire, longue, exigeante et difficile.
Boris est un jeune adulte excessivement fragile. Son comportement est
désorganisé et parfois inquiétant. Son discours est souvent confus. Le processus
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analytique est lent et les thèmes abordés excessivement répétitifs.
Au moment du rêve, l’analysant entame sa quatrième année d’analyse.
Mal tolérées, les séparations analytiques provoquent des angoisses sidérantes et
un débordement de violence. Pour se rassurer et se rassembler, Boris se réfugie
habituellement dans des masturbations compulsives. À cette époque, je pres-
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sens l’existence d’un comportement pervers. Rien n’a jamais été explicité à ce
sujet, mais l’analysant évoque régulièrement ses masturbations « bizarres ».
C’est seulement dans une séance ultérieure, lorsque je fais référence à son rêve,
qu’il me révèle que le tuyau d’arrosage y figurant est jaune tout comme le
fétiche utilisé pour se masturber.
Depuis peu, j’assiste aux prémices d’un mouvement mutatif. Ayant noué
une relation amoureuse, Boris s’efforce de renoncer aux masturbations com-
pulsives. Dans la foulée, il tente de se défaire des conduites systématiquement
opposantes et destructrices qui le caractérisaient. De plus, il se passionne tou-
jours davantage pour la peinture.
Le mardi précédant le rêve, je lui annonce mon impossibilité de le recevoir
le vendredi suivant. Il ne manifeste aucune réaction mais, la veille de mon
absence, il apporte un rêve. L’événement est rare et prend souvent la forme
d’un cauchemar. C’est avec émotion que j’accueille un scénario onirique d’une
facture inconnue jusqu’ici.
Voici le rêve : Il fait un stage de survie. Interrompant son récit, Boris
m’explique qu’il s’agit de survivre seul, dans des conditions extrêmes. Une
haute montagne doit être escaladée. Parvenu au sommet, il découvre une mai-
son et, sur le sol, un tuyau d’arrosage avec lequel – mû par une impulsion sou-
daine – il s’apprête à inonder l’habitation. Surgit alors un homme – sans doute
l’habitant de la maison – qui le lui interdit. Il obéit. Plus loin, une plate-forme
grillagée donne accès à un télésiège. Un morceau de la plate-forme manque ; il
faut donc enjamber le vide. La grille bouge. Il est paralysé d’angoisse. À tra-
vers les barreaux à claire-voie, il aperçoit le gouffre, est pris de vertige et
craint de tomber dans le vide. Contre toute attente, la grille s’avère solide.
Pivotant légèrement autour de son axe fixe, elle bouge à peine. Progressive-
ment, il s’abandonne au léger balancement du support. C’en est presque un jeu.
Il n’a plus peur.
L’analysant n’associe rien et sombre dans une torpeur mutique. Je connais
ces états où son psychisme sidéré est au point mort. Lorsqu’il en émerge, Boris
en parle de coutume comme d’une glu dans laquelle il s’est enlisé.
Sublimation et perversion 1765
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la semaine. Angoissé, il découvre pourtant – lui dis-je – la solidité de la grille
sur laquelle il prend appui. Il reconnaît alors que ses angoisses sont désormais
plus tolérables. Il ajoute que le balancement sur la grille lui rappelle les enfants
autistes. Ayant entendu l’évocation du jeu dans une aura winnicottienne, je me
sens perplexe.
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L’AXE SEXUALISATION-DÉSEXUALISATION
LE TRAUMATISME
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découverte de la différence des sexes. À l’heure actuelle, un large consensus
soutient que ce traumatisme en recouvre un autre, plus profond, mettant en
question l’identité même du sujet.
Dans une communication préalable au LXVe Congrès des psychanalystes
de langue française, j’avance l’hypothèse que les traumatismes manifestes (perte
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1. S. Freud (1938), Le clivage du moi dans le processus de défense, in Résultats, idées, problèmes,
II, Paris, PUF, 1971.
2. S. Freud (1905), Trois essais sur la théorie sexuelle, Paris, Gallimard, 1987.
3. D. Meltzer (1972), Les structures sexuelles de la vie psychique, Paris, Payot, 1977.
Sublimation et perversion 1767
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de satisfaction incestueuse. Si cette voie est angoissante, elle se fonde également
sur un élan libidinal prenant en compte le rôle bénéfique de l’objet et des chan-
gements psychiques qu’il favorise. Boris découvre qu’il n’est plus prisonnier de
l’éternel retour du même. Une assise narcissique solide – la plate-forme gril-
lagée du rêve – s’est construite en lui. L’apport de l’analyse, le lien positif à
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celle-ci, est ainsi implicitement reconnu. Tout comme il assume l’élan amou-
reux qui l’anime, l’analysant s’appuie désormais sur ses forces libidinales. Jus-
qu’ici, seules la révolte, la haine et la violence avaient droit de cité.
La problématique perverse, quant à elle, contourne le deuil œdipien, main-
tient l’omnipotence infantile et les gratifications incestueuses.
L’IDÉALISATION
Chez Boris, tant les conduites perverses que sublimatoires sont toutes deux
idéalisées, mais le sont différemment. Lorsqu’il est aspiré dans l’univers per-
vers, Boris se sent omnipotent, idéalise son fétiche et l’intensité de son excita-
tion sexuelle. Dans cet état maniaque, il est le maître du monde. Cependant, à
peine a-t-il éjaculé que son humeur bascule. La déréliction et la dépression
s’emparent de lui. L’aspect factice du fétiche lui saute aux yeux. Il lui arrive
d’ailleurs de le détruire et de le jeter à la poubelle. Cependant, très vite il s’en
procure un autre et le cycle infernal recommence.
La peinture – la sublimation de l’analysant – est, par contre, idéalisée de
manière constante. Elle est vécue comme ce qui donne sens à la vie.
L’ACTE
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La perception pertinente et le sens symbolique auquel elle donne accès sont
détruits. Le processus C – (l’anticonnaissance, selon Bion1) est mis en œuvre.
La haine de la réalité, tant dans sa dimension externe que dans sa dimension
interne, prévaut.
Si l’acte pervers traduit l’indigence de la fonction symbolique, comment
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LE REFOULEMENT
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sion. »1 La perversion s’envisage alors comme une organisation psychique
échappant à toute mesure défensive et permettant de ce fait une grande liberté
sexuelle. Curieusement, cette théorie rejoint le credo du sujet pervers, qui met
en exergue la liberté et l’originalité de sa vie sexuelle.
La fin de l’œuvre freudienne2 dément pourtant cette conception simpliste.
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LA CRÉATIVITÉ
1. S. Freud (1905), Trois essais sur la théorie sexuelle, Paris, Gallimard, 1987.
2. S. Freud (1938), Le clivage du moi dans le processus de défense, in Résultats, idées, problèmes,
II, Paris, PUF, 1971.
1770 Michèle Van Lysebeth-Ledent
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du sujet pervers se manifeste surtout par la « création » du fétiche. Celui-ci
apparaît comme un objet « trouvé-créé » magnifié.
Chez les auteurs post-kleiniens, une certaine conception de la perversion se
dégage. Celle-ci a le statut d’une créativité négative fondée sur le mensonge
et l’envie destructrice. Ce sont les liens d’anti-amour, d’anti-haine et d’anti-
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connaissance, bien mis en évidence par Bion2, qui sont ici sollicités.
Comme nous l’avons constaté, la créativité sublimatoire s’efforce, au con-
traire, de symboliser la réalité et les multiples facettes de l’expérience émotion-
nelle qu’elle engendre. En fin de compte, si l’artiste nous touche, n’est-ce pas
parce qu’il réussit à figurer ce quelque chose d’intime et d’indicible, que nous
sentons, sans être capables de le représenter ?
Le concept de fonction objectalisante d’A. Green3 départage les deux phé-
nomènes. Le rêve de Boris le suggère, la sublimation n’est pas motivée par le
désir de s’affranchir de l’objet, mais par le désir libidinal de l’introjecter. Seul
le fonctionnement pervers recherche un affranchissement radical. Dans la
séquence menant à l’idée de sublimation, si Boris s’éloigne de l’objet, c’est par
respect de son identité et de son altérité. La transformation pulsionnelle qui
s’ensuit est gouvernée par Éros.
Même si le mécanisme de déplacement est au cœur de la créativité objecta-
lisante, les nouveaux objets auxquels elle donne lieu me semblent toujours en
lien, fût-il ténu, avec l’expérience émotionnelle originaire.
La création du fétiche signe, par contre, l’affranchissement du lien objec-
tal. Gouvernée par Thanatos, elle implique la fonction désobjectalisante fondée
sur le désinvestissement. Le fétiche n’est plus en lien libidinal avec l’objet origi-
naire qui, dégradé, perd son altérité et sa spécificité.
Michèle Van Lysebeth-Ledent
Rue H. van Zuylen, 76
1180 Bruxelles
Belgique