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deux ans : 66 F
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Les articles paraissant dans impact


expriment l'opinion de leurs auteurs et
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l'Unesco o u d e la rédaction

Les références supplémentaires de la rubrique


« Pour approfondir le sujet » qui apparaît à la
fin de la plupart des articles sont normalement
choisies par le rédacteur de la revue.

wiess-
Organisation
des Nations Unies pour
l'éducation, la science
et la culture,
7 , place de Fontenoy
7 5 7 0 0 Paris (France)

Imprimerie des Presses Universitaires


de France, V e n d ô m e
ISSFAF28 (1) 1-98 (1978)
L'aptitude humaine
à visualiser

L'art et la science sont tous deux des activités spécifiquement


humaines, qui échappent aux possibilités de l'animal. N o u s voyons
ici qu'elles résultent de la m ê m e faculté de l ' h o m m e : l'aptitude à
visualiser l'avenir, à prévoir ce qui pourra se produire, à l'anti-
ciper — et à nous le représenter dans des images que nous pro-
jetons et animons dans notre tête—ou dans u n carré de lumière sur
la paroi obscure d'une grotte ou encore sur u n écran de télévision.

© J. Bronowski, The ascent of man.


Boston/Toronto, Little, Brown and C o . , 1973.

Frontispice : Tête d u quatrième taureau de la paroi droite de la grotte de


Lascaux, à Montignac (France), datant probablement d'il y a plus de
vingt-cinq mille ans.
Vol. 28, n° 1, janvier-mars 1978

Le cerveau, la mémoire
et l'apprentissage

Présentation 3

Dietmar Biesold et Volker Bigl


L e rôle de l'hérédité et d u milieu dans le développement d u cerveau 11

Junji Matsumoto
L'éveil, le sommeil et le cerveau : structure cyclique
des relations avec la société 2 7

Organisation internationale de recherche sur le cerveau ( I B R O ) 2 6

Janice R. Stevens
Recherches sur la schizophrénie : régulation de la dopamine
dans le système mésolimbique 39

Helena RaSkovâ et Jiri Elis


L a fonction thérapeutique des placebos 59

Yorick Wilks
Structures de la connaissance pour la compréhension d u langage naturel
par l'ordinateur 6 9

Nikolai Aí. Amossov


Modélisation de l'intellect humain 79

Lettres 91

Appel aux lecteurs


Nous serons heureux de publier des lettres contenant des
avis motivés—favorables ou non—sur tout article publié
dans impact ou présentant les vues des signataires sur les
sujets traités dans notre revue. Prière d'adresser toute
correspondance à : Rédacteur, impact : science et société,
Unesco, 7, place de Fontenoy, 75700 Paris (France).
© Unesco 1978

ISSN 0304-2944
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impact : science et société est publié régulièrement
en anglais par l'Unesco.
L a revue est aussi publiée en espagnol par la Oficina
de Educación Iberoamericana, Ciudad Universitaria,
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Elle est également publiée en arabe par le Centre
de publications de l'Unesco, L e Caire (Unesco
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Notre périodique est maintenant publié en portugais
sous le titre impacto da ciência na sociedade. Cette
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20000 Rio de Janeiro — R J (Brésil).
Les lecteurs désireux de s'abonner à impact dans
l'une de ces langues peuvent entrer en contact
directement avec ces bureaux.
Présentation

Il y a cinq ans, nous avons publié une série d'articles en deux


parties consacrée au thème « Fonctions biologiques et compor-
tement ». Dans la demi-décennie suivante, les recherches ont fait
considérablement avancer notre connaissance des processus neuro-
physiologiques, en ce qui concerne les fonctions du cerveau tant
dans un organisme sain que dans un organisme présentant des
anomalies. Dans le présent numéro ¿'impact, nos auteurs se
penchent tout spécialement sur les processus d'accoutumance de
la mémoire et de Vapprentissage, deux fonctions du comporte-
ment qui ont une importance capitale pour la façon dont
l'individu fonctionne en tant qu'entité autonome et dont il ou
elle fonctionne en tant que membre de la société. Ils signalent en
outre certaines ressemblances entre le cerveau et un ordinateur.

Pour le profane, la notion de recherche sur le cerveau évoque


habituellement une vague idée d'opérations mystérieuses en
laboratoire et les aspects les plus scandaleux des expériences
cliniques décrites dans u n film sorti il y a quelques années,
Orange mécanique. Bien entendu, la réalité est toute diffé-
rente, mais les problèmes que l'on rencontre en cherchant à
en savoir davantage sur le fonctionnement d u cerveau et ses
multiples processus secondaires sont fort complexes et sont
sources de maintes déceptions. « Les chercheurs n'ont pas
directement accès aux processus de la mémoire et de l'ap-
prentissage, nous dit le Brésilien Ivan Izquierdo ; il leur faut
donc s'appuyer sur le comportement manifesté par l'or-
ganisme. »
Voilà près de quatre-vingts ans, Santiago R a m ó n y Cajal a
émis la thèse que le système nerveux (y compris le cerveau)
était fondé sur les fonctions des neurones o u cellules ner-
veuses, qui fonctionnent individuellement plutôt que c o m m e
chaînons contigus d'un réseau cohérent. Pour R a m ó n y Cajal

impact : science et société, vol. 28 (1978), n° 1 3


Années écoulées (en millions)

15 10 5 1 0,5 Présent

i Ascendants de l'homme •Apparition


Les primates
de l'homme
apparaissent
L'australopithèque Í
dans la
apparaît, puis
savane
disparait 4 millions
â cette
d'années plus tard
période
Singes-

<*> Croissance du volume


de l'encéphale :
doublement
tous les 100 0 0 0 ans

10 5 1 0,5 Présent

F I G . ï. Évolution schématique des primates et du volume de


l'encéphale humain. D u point de vue structurel, ce qui distingue
essentiellement l'encéphale des singes supérieurs de celui de l'homme,
c'est le cerveau. Les deux hémisphères cérébraux réunis par le corps
calleux occupent en effet la plus grande partie de la voûte du crâne
humain. Notre parent le plus proche, le chimpanzé, a l'un des cerveaux
les plus volumineux du m o n d e « animal », tandis que les oiseaux et les
poissons sont pratiquement dépourvus de ce tissu. C'est dans le cerveau
que l'homme est conscient de lui-même (et de son propre encéphale et
du m o d e de fonctionnement de ce dernier), de la société et de l'univers.
C'est là que Vhomo sapiens est conscient du passé, qu'il perçoit le présent,
fait des plans et prend des dispositions pour l'avenir.

et plusieurs générations de neurophysiologistes après lui, la


combinaison de , nombreuses cellules travaillant presque
simultanément a pour effet synergique de transformer les
réactions d e perception, de régulation et les réactions
motrices en des processus que nous appelons plaisir, d o u -
leur, sensation de chaleur, soif, prise de décisions, m é m o r i -
sation, apprentissage, formulation d'hypothèses, imagina-
tion, voire folles conjectures.
D e m ê m e que l ' h o m m e et le volume de son cerveau se sont
transformés et développés depuis l'apparition de Vhomo
sapiens il y a u n peu plus de deux millions d'années (fig. ï),
de m ê m e , plus récemment, a évolué notre conception d u

4 Présentation
F I G . 2. Circuit de communication au voisinage d'une cellule nerveuse
(le neurone). L'axone est le tronçon principal du circuit, tandis que
les dendrites communiquent des informations de caractère strictement
local à leurs synapses (ï, 2, 3, 4). Des produits chimiques sont
sécrétés, qui franchissent la fente synaptique, établissant la liaison
avec les sites récepteurs situés le long des neurones voisins.
L'information est ainsi transmise de neurone en neurone jusqu'à l'encé-
phale (perception sensorielle) ou depuis l'encéphale (réaction motrice).

fonctionnement de notre système de pensée. Gerald Edelman,


lauréat d u prix Nobel, croit, par exemple, à l'existence dans
le cerveau d'innombrables aiguillages de signaux électro-
chimiques à u n niveau local ou « silencieux ». Ces signaux
sautent d'une dendrite à l'autre (fig. 2) sans passer par les
circuits classiques qui traversent le centre des cellules ner-
veuses, L a conception locale des processus de signalisation
neurophysiologique d'Edelman est très voisine de l'inter-
prétation que les spécialistes d'un autre domaine de la
physiologie — l'immunologie — donnent des structures,
sous-systèmes et fonctions d u corps qui réagissent à la pré-
sence de substances étrangères puis se mettent à fabriquer
les anticorps permettant de les neutraliser.

Les éléments d'une bonne alimentation

L e rôle de la nutrition dans le bon développement d u cerveau


est u n facteur essentiel que nous connaissons tous, mais nous
ne savons pas jusqu'à quel point u n aliment donné (ou ses
éléments constitutifs) peut être effectivement nocif. L e
lithium, qui est u n métal, est connu depuis longtemps pour
certaines de ses qualités, mais l'Australien Richard M a r k a

Présentation 5
établi que si l'on injecte d u chlorure de lithium dans le
cerveau de poulets cinq minutes avant une expérience
d'aversion, la faculté de ces volatiles de retenir (mémoriser)
l'expérience diminue considérablement.
L a synthèse de substances présentes dans le cerveau, appe-
lées neurotransmetteurs, nous a permis de comprendre assez
bien c o m m e n t trois d'entre elles se forment. L a plus connue,
la 5-hydroxytryptamine o u Serotonine provient d'une pro-
téine qui, une fois digérée, devient l'acide aminé connu sous
le n o m de tryptophane; celle-ci est acheminée par le sang
jusqu'au cerveau, où elle se transforme partiellement en Sero-
tonine. Par conséquent, le régime alimentaire de l'individu a
une influence directe sur la production de Serotonine.
Inversement, le maïs (dont les protéines contiennent peu de
tryptophane) entraîne des réactions anormales aux chocs
électriques après deux semaines d'ingestion.
U n autre neurotransmetteur, l'acétylcholine, est extrait
des protéines et de la lécithine (œufs, viande et conserves au
vinaigre). (Dans le cerveau, l'acétylcholine est fabriquée à
partir de la choline, elle-même produite dans le foie par
synthèse d'acides aminés.) L e métabolisme de la synthèse de
l'acétylcholine dans le cerveau paraît être réglé lui aussi par
la consommation alimentaire. U n troisième type de trans-
metteur connu sous le n o m de catécholine — essentiellement
la dopamine et la norepinephrine — provient d'un acide
aminé, la tyrosine, acheminé lui aussi au cerveau par le cou-
rant sanguin. D e s expériences consistant à donner soudain à
des rats, après une période de jeûne, une nourriture riche en
protéines, montrent que leur cerveau contient beaucoup plus
de tyrosine et de dopamine que celui de rats qui n'ont pas
reçu les m ê m e s aliments.
L a taille de la portée est directement liée à la nutrition
c o m m e facteur de rapidité de l'apprentissage. E n Italie,
Alberto Oliverio et ses collaborateurs ont constaté sur des
animaux élevés en laboratoire que les sujets apprennent
plus vite s'ils sont issus d'une portée peu nombreuse.
L a lenteur d'apprentissage se retrouve chez les sujets m a l
nourris, la malnutrition consistant à donner u n régime sans
acides gras. Oliverio croit que des électrocorticogrammes
d'enfants pourraient faire apparaître le m ê m e rapport
nutrition
rapidité d'apprentissage"

6 Présentation
Sommeil, accoutumance et apprentissage

L e Français Vincent Bloch s'intéresse depuis longtemps à la


correspondance entre l'apprentissage et l'état de veille, y
compris à l'interprétation large de la veille étendue au s o m -
meil avec mouvements d'yeux rapides o u sommeil para-
doxal. « L a privation.de sommeil a u n effet amnestique
signale Bloch, ainsi la privation sert à entraver la mémoire...
et l'apprentissage. » L'importance d u sommeil pour les pro-
cessus mentaux est une source d'intérêt constant pour les
chercheurs d'autres régions de France (par exemple l'équipe
de Michel Jouvet à Lyon).ainsi qu'au Japon, en Union
soviétique, aux États-Unis, etc.
L'accoutumance dépend dans une certaine mesure de
l'efficacité avec laquelle certains éléments ou composés chi-
miques sont acheminés dans l'organisme. H a n s Flohr (Répu-
blique fédérale d'Allemagne) a établi comment l'hypoxie
(insuffisance de la quantité d'oxygène atteignant les tissus)
pouvait être u n agent d'amnésie. Il a montré que des souris
soumises à un choc électroconvulsif tiraient profit de l'expé-
rience en améliorant leur faculté d'apprentissage, la répé-
tition du traitement entraînant une nouvelle amélioration de
cette aptitude. Eric R . Kandel (de l'Université de N e w York)
a fait observer que m ê m e la dynamique d u transport d u
calcium était, semble-t-il, u n facteur important dans la
transmission des courants de signaux dans les neurones.
D'après lui, « c'est peut-être ce qui explique pourquoi cer-
taines synapses s'habituent et d'autres pas ». O n a noté aussi
que la plupart des cellules nerveuses perdent des ions de
potassium et s'enrichissent d'ions de sodium après u n e
activité des neurones, mais on ne sait pas très bien par quel
processus électrochimique.
. D e s expériences de toutes sortes se poursuivent. D a n s le
système des limbes (partie du cerveau probablement la plus
ancienne dans l'évolution de l ' h o m m e ) , les amygdales céré-
belleuses, l'hippocampe et l'hypothalamus s'allient pour
régler nos émotions ; ce « cerveau sensoriel », c o m m e on l'a
appelé, est sans doute aussi le siège de notre mémoire d e
longue durée. James L . M c G a u g h (de l'Université de Cali-
fornie à Irvine), a fait observer que les amygdales étaient
particulièrement réceptives à des stimulations qui ont pour
effet de développer la mémoire o u d'entraîner l'amnésie,
« qu'il s'agisse de stimulations générales [sur la totalité d u
cerveau] o u d e stimulations sur des zones précises ». L e s

Présentation 7
malades qui ont perdu leur hippocampe par accident,
maladie ou ablation sont incapables de retenir des éléments
d'information récents. L'hippocampe joue, semble-t-il, le
rôle d u « mémoire » d'un tableau d'ordinateur.
L a mémoire et l'accoutumance procèdent donc d'une pre-
mière accoutumance fondamentale, au niveau des synapses,
déclenchée probablement par u n processus binaire rudimen-
taire du type option oui/non. Si les conditions sont propices
— c'est-à-dire si aucune anomalie physique, chimique o u
pathologique ne vient déséquilibrer le processus engagé —
l'option primitive peut devenir une simple habitude1. Si l'on
renouvelle l'expérience plusieurs fois dans les m ê m e s condi-
tions, l'habitude est retenue par la mémoire et l'expérience
accumulée est « acquise ». E n d'autres termes, c o m m e le dit
Kandel, « l'élaboration de systèmes de comportement est une
condition préalable à l'apprentissage ».

Dysfonctionnement et siege de la mémoire

Des impédances somatiques viennent évidemment entraver


les processus mnémoniques, dont la principale peut être une
lésion de l'encéphale, mais il en existe d'autres : la maladie
d'Alzheimer (état névrotique ou psychotique entraînant la
perte de mémoire et la confusion et pouvant résulter d'une
carence en vitamine B ) , le syndrome de Korsakoff (troubles
mentaux consistant le plus souvent en amnésie, désorien-
tation, tendance à l'affabulation morbide — l'alcoolisme en
étant la cause déterminante), voire l'intrusion de l'herpès.
(Si l'herpès s'est logé dans les ganglions nerveux puis
c o m m e n c e à se propager, il peut être u n facteur de perte de
mémoire.)
L a schizophrénie, trouble encore mal connu qui affecte
ï % de la population mondiale, peut résulter de la présence,
dans l'encéphale, d'un excès de dopamine, autre neuro-
transmetteur (voir dans le présent numéro l'article de
Janice R . Stevens). Si les médicaments généralement pres-
crits pour traiter la schizophrénie, tels que la chlorpromazine
et l'halopéridol, sont employés sans discernement, des s y m p -
tômes semblables à ceux qu'on observe dans le syndrome de

ï. O n trouvera la description détaillée de ce processus dans P . K . A n o -


khine, « L a formation de l'intelligence naturelle et de l'intelligence
artificielle », Impact, science et société, vol. X X I I I , n° 3 (juillet-sep-
tembre 1973).

8 Présentation
Parkinson peuvent apparaître. L a maladie de Parkinson,
conséquence d'une insuffisance en dopamine, est u n trouble
caractérisé par une mauvaise coordination et des tremble-
ments extrêmes, en particulier dans les mains.
O n sait depuis longtemps que l'odorat, autre forme de
mémoire et d'apprentissage — c o m m e n t pourrions-nous
sans cela reconnaître l'odeur des roses et d u jasmin, de
l'ammoniaque et d u poisson pourri sans les voir ? — régit le
fonctionnement sensoriel de ce qu'on appelle les papilles
gustatives. Esmaïl Meisami, de l'Université de Téhéran, a
montré que si l'on ferme au m o y e n d'un cautère les narines
de rats âgés de deux jours, il en résulte une destruction totale
des bulbes olfactifs (situés dans l'encéphale) de ces animaux.
Ceux-ci sont privés d'odorat et le phénomène est irréversible.
O ù se trouve donc en réalité le siège de la mémoire, le point
précis où se situe ce processus vital qui fait que l'être humain
est ce qu'il est, et qui détermine ce qu'il peut faire ? Il est en
effet singulier que nous soyons encore incapables de le situer
sur une carte d u cerveau. Les recherches menées par Robert
Doty et ses collègues, en Californie, donnent à penser que,
dans le cas des singes, certains neurones pyramidaux
contenus dans la troisième des six couches que comporte le
cortex cérébral d u singe sont le siège des fonctions m n é m o -
niques de base. L'équipe de Doty a coloré ces neurones au
m o y e n d'une enzyme à base de raifort (technique également
employée en Suède) pour détecter le trajet de la protéine
porteuse d'informations. A Canberra, Geoffrey Henry et son
équipe de l'Université nationale d'Australie utilisent actuel-
lement le péroxydase de raifort, extrait de l'enzyme, pour
déterminer les trajets suivis par les stimuli optiques qui se
déplacent de la rétine vers le cortex cérébral. Il convient de
noter que les phénomènes visuels et leur interprétation dans
les centres pertinents d u cerveau demeurent aussi mystérieux
que les processus de la mémoire et de l'apprentissage.

L'avenir commence aujourd'hui

Si l'on veut savoir où en est cet effort global entrepris pour


comprendre ce que fait le cerveau, c o m m e n t il le fait et peut-
être pourquoi, on peut s'appuyer sur les recherches actuelles,
dont certaines se poursuivent encore, pour formuler plusieurs
conclusions positives.
L a première, selon les termes m ê m e s de Francis Otto

Présentation 9
Schmitt (fondateur d u projet de recherche sur les neuro-
sciences au Massachusetts Institute of Technology), est la
suivante : « Je crois que l'on peut arriver à connaître le
cerveau. » L a deuxième, exprimée par Kandel, est que « l'un
des principaux apports que notre génération (de chercheurs
sur le cerveau) peut fournir à la recherche sur le cerveau est
de démystifier le processus d'apprentissage ». U n e troisième,
pour reprendre l'idée de l'Australien M a r k , est que dans la
recherche menée en laboratoire, « ce qui est nécessaire, c'est
u n instrument de mesure de la mémoire meilleur que les
quanta d'apprentissage utilisés jusqu'à présent ». N o u s dirons
en guise de conclusion, pour le cas où le lecteur n'en serait
pas encore tout à fait convaincu, que ce passionnant domaine
d'étude est vaste — pour ne pas dire illimité — et riche de
promesses infinies pour les futures générations de chercheurs.

impact

Pour approfondir le sujet F A V R E A U , O . ; CoRBALLis, M . Negative


aftereffects in visual perception. Scientific
A L L A T N - R E G N A U L T , M . Dans le cerveau, des American, vol. 235, n° 6, décembre 1976.
morphines naturelles. Sciences et avenir, G O T T L I E B , G . L e comportement de l'embryon.
n° 361, mars 1977. La recherche, n° 71, septembre 1976.
B A I L E Y , R . The role of the brain. Amsterdam, HÉCAEN, H . L a dominance cérébrale,
Time-Life International, 1976. La recherche, n° 76, mars 1977.
B L A K E M O R E , C . Mechanics of the mind. L Y T L E , L . ; MosKowiTZ, M . ; S T R A U S S , R .
Cambridge, Cambridge University Press, Drugs and the brain: neuropharmacological
1977. models of drug action. Technol. rev.,
B L A N C , M . La recherche en neurobiologie. vol. 79, n° r, oct.-nov. 1976.
Paris, L e Seuil - L a recherche, 1977. R E N A U D , J. Anatomie de la liberté.
C A M P B E L L , R . The enigma of the mind. Science et vie, vol. C X X L X , n° 711,
Amsterdam, Time-Life International, 1977. décembre 1976.
Die 'Ideographie' des menschlichen Gehirns. R O D R Í G U E Z D E L G A D O , J. El control de las
Umschau in Wissenschaft und Technik, neuronas cerebrales. Ibérica actualidad
vol. 77, n° 15, I er août 1977. científica, mai 1977.

10 Présentation
Le rôle de l'hérédité et du milieu
dans le développement du cerveau
Dietmar Biesold et Volker Bigl

Se basant sur l'analyse expérimentale, l'article qui suit traite de l'influence de l'hérédité
et du milieu sur le processus d'évolution du cerveau.

L'une des caractéristiques les plus frappantes l'agencement de ses composantes et de leurs
d u système nerveux est la grande précision relations. D a n s u n organisme adulte, l'étude
avec laquelle tous les neurones sont liés à la de l'articulation structurelle de la base maté-
fois entre eux et avec certaines structures rielle des fonctions cérébrales complexes est
d'organes et de tissus périphériques — fais- nécessairement limitée, car à la complexité
ceaux de muscles ou partie de la peau, par des mécanismes s'ajoute le fait qu'il est dif-
exemple. Alais les principes de relation sur ficile d'accéder expérimentalement aux diffé-
lesquels est fondé le fonctionnement d u cer- rents éléments de l'ensemble.
veau ne se trouvent pas seulement dans les L'interaction entre la structure et la fonc-
liaisons précises existant entre les organes tion et la raison pour laquelle la haute préci-
sensoriels et des zones bien définies d u cer- sion des mécanismes de relation est nécessaire
veau ou entre différentes parties du cerveau ; au fonctionnement d u cerveau deviennent
ils se manifestent aussi dans la disposition plus claires si l'on étudie le développement du
géométrique des faisceaux defibresqui pé- système nerveux. E n effet, si l'on suit la
nètrent dans toutes les parties d u cerveau. maturation d u cerveau, au cours de laquelle
Il est évident que la haute précision des le répertoire fonctionnel s'étend progressi-
mécanismes de relation tient à l'action de vement avec la complexité de la structure,
chaque groupe de neurones. O n ne peut on repère plus facilement les différentes
s'empêcher d'être émerveillé quand on pense, composantes qui sont ultérieurement inté-
par exemple, que le cerveau humain contient grées dans l'ensemble.
io milliards de neurones et que chacun de
ces neurones peut entrer en contact avec
Quelques principes d'organisation
io ooo autres.
C o m m e le fonctionnement d u système N o u s pouvons prendre pour point de départ
nerveux ne s'explique pas seulement par le qu'aux fonctions les plus diverses d u cerveau
nombre de ses composantes mais aussi par correspondent des principes d'organisation
d'autres paramètres quantitatifs et quali- de la.structure cérébrale bien déterminés.
tatifs, qui se reflètent dans les caractéristiques N o u s ne pouvons comprendre ces fonctions
morphologiques, bioélectriques et biochimi- qu'en examinant de plus près ces principes.
ques d u neurone, il faut déterminer dans L e développement d u système nerveux sup-
quelle mesure la capacité fonctionnelle d u pose, à tous les stades, l'exécution d'un
cerveau d'un organisme adulte dépend de programme grâce auquel les rudiments

impact : science et société, vol. 28 (1978), n ° I II


sent sur les principes de développement en
• Dietmar Biesold, Volker Bigl « transportant » les facteurs extérieurs et sont,
de ce fait, à l'origine des variations fonc-
L'auteur, qui est professeur de neurochimie, tionnelles.
et son collègue, Volker Bigl, s'occupent N o u s souhaiterions ici mettre en évidence
activement de recherche au le rôle que jouent l'hérédité et le milieu dans
Paul-Flechsig-Institut für Hirnforschung, le développement du cerveau. L ' h o m m e étu-
Karl-Marx- Universität, die le rôle de ces deux facteurs dans le déve-
Karl-Marx-Städter 50, 7039 Leipzig loppement des fonctions supérieures depuis
(République démocratique allemande). qu'il s'est rendu compte qu'il était u n animal
social. A u cours des recherches scientifiques
entreprises sur ce sujet, différentes écoles se
élaborés au stade embryonnaire — la plaque sont constituées, qui donnent la priorité à
neurale — se transforment en u n système l'un ou l'autre facteur. Aujourd'hui encore,
nerveux achevé. C e programme suit u n ca- d'aucuns attribuent u n rôle dominant à l'hé-
lendrier précis où tous les événements se rédité. D'autres, par contre, ont tendance
succèdent dans u n ordre déterminé. — en particulier dans le domaine de la psy-
L e développement spatio-temporel de par- chologie et de la pédagogie — à surestimer
ties d u cerveau qui entrent ultérieurement l'influence d u milieu. Hérédité et milieu
en contact étroit les unes avec les autres est forment une unité dialectique où les gènes
coordonné de façon que toutes les phases se contiennent les potentialités qui ne peuvent
complètent. A u cours des dernières décen- se réaliser que dans u n milieu adéquat, adapté
nies, on a souvent tenté d'attribuer ce pro- à chaque niveau de développement. Mais
cessus à l'information stockée dans l'appareil c o m m e u n examen approfondi de cette ques-
génétique. Selon cette hypothèse, non seule- tion déborde notre propos, nous nous limi-
ment les caractéristiques des neurones mais terons à l'examen de l'influence respective de
aussi leur localisation et leurs Hens avec ces deux facteurs sur l'organisation cellulaire.
d'autres éléments feraient partie d u donné
génétique. Cette approche déterministe ren- Influences intérieures et extérieures
drait possible et compréhensible la nécessaire
précision des mécanismes de relation. Mais il L'étude analytique d u fonctionnement d u
suffit de comparer le nombre de neurones que cerveau visant, par une connaissance plus
possède u n individu (avec toutes les combi- approfondie des processus partiels, à mieux
naisons possibles) et l'information contenue en comprendre l'ensemble, prend depuis
dans le génome pour voir que c'est impos- quelques années une importance croissante.
sible. N o u s pouvons aujourd'hui affirmer C'est qu'en effet nous s o m m e s aujourd'hui
que la capacité ne peut, à elle seule, diriger en mesure de voir le rapport entre les trans-
l'ensemble du processus de formation de la formations que subissent, pendant le pro-
structure d u cerveau adulte. Elle détermine cessus de maturation, les différents éléments
seulement certaines fonctions d u système dans leur forme et dans leurs fonctions, y
nerveux. compris les changements métaboliques fon-
L'influence des facteurs extérieurs (tenant damentaux et le développement structurel et
au milieu) croit à mesure que se développe fonctionnel de l'ensemble de l'organe. Certes
le système nerveux. L a formation d u sys- il faut, dans maints domaines importants,
tème nerveux adulte est ainsi déterminée réinterpréter les conclusions de la biologie
par des mécanismes qui garantissent sa sta- du développement auxquelles avaient n o -
bilité structurelle génétiquement établie. E n tamment abouti des chercheurs spécialisés
outre des processus interviennent qui agis- dans telle ou telle branche.

12 Dietmar Biesold et Volker Bigl


L'étude de l'aspect ontogénétique permet du comportement déclenchées par des sti-
déjà de repérer avec une certitude assez muli visuels. L'influence de stimuli lumineux
grande les phases du développement qui sont dont l'intensité, la durée et la composition
d'abord déterminées par le génome 1 et de peuvent être déterminées avec précision et
préciser l'influence du milieu. Les recherches qui peuvent être localisés sur certaines par-
sur le comportement ont montré que des ties de la rétine, peut être étudiée dans les
fonctions de base simples c o m m e le réflexe centres d'aiguillage du système qui sont aisé-
de succion d u nouveau-né ou les divers ré- ment accessibles. C'est ainsi que l'on a p u
flexes musculaires ne sont pas influencées obtenir la plupart des données concernant
par l'extérieur. Il y a donc certains processus des changements extérieurs sur le dévelop-
stables, régis par les centres nerveux, qui pement d u cerveau.
empêchent, pendant la vie de l'organisme,
tout changement de la réponse à une excita- Des constatations fondamentales
tion extérieure donnée. L e développement
de ces systèmes partiels est avant tout déter- L a question de l'importance des change-
miné par le génome. ments extérieurs pour la maturation d u cer-
E n revanche, les fonctions complexes, in- veau et sa capacité de fonctionnement finale
tégrantes d u système nerveux c o m m e l'ap- — réduite au problème de l'influence de
prentissage ou la motivation sont beaucoup stimuli lumineux — est posée depuis long-
plus modulables : elles réagissent à de très temps. D è s 1870, V o n G u d d e n eut l'idée
faibles variations d u milieu. L a « modula- géniale d'élever des animaux en les sous-
bilité » des rapports stimulus-réponse cor- trayant à l'influence de certains stimuli ex-
respond aussi au concept de plasticité, qui térieurs. Il fut le premier à étudier, en
s'applique non seulement aux processus de cousant les paupières d'animaux nouveau-
l'accoutumance et de l'apprentissage mais nés, quel effet l'absence d'impressions vi-
aussi aux mécanismes d'adaptation du sys- suelles peut avoir sur le développement des
tème nerveux. O n peut affirmer que le centres de la vue. Hans Berger, de l'Uni-
développement des fonctions complexes d u versité d'Iéna, qui est entré dans l'histoire
système nerveux exige une stimulation exté- de la recherche sur le cerveau par sa décou-
rieure. S'il n'y a pas de stimuli adéquats ou verte de l'électroencéprtalogramme,adémon-
si leur qualité change, le développement n'est tré, à partir des expériences de V o n G u d d e n ,
pas normal ou il s'arrête. l'existence de transformations structurelles
Les processus de développement liés au du cerveau qui sont dues au milieu. Il a cousu
milieu présentent pour nous u n intérêt par- les paupières de quelques chiens et chats
ticulier ; en effet, ils montrent la mesure dans nouveau-nés et laissé le reste de la portée
laquelle le programme génétique peut être grandir dans des conditions normales. Ainsi,
modifié. L a transformation sélective d u m i - chez les animaux cobayes, la perception des
lieu permet de repérer les stades auxquels la objets était entravée puisque ne parvenaient
maturation est influencée par les facteurs à la rétine que des stimuli de lumière diffuse
extérieurs, et le m o m e n t o ù l'action de d'intensité variable. Berger déclare, dans
ceux-ci est la plus forte. L e système visuel l'ouvrage qu'il a publié en 1900, que cette
présente pour l'étude de cette question de absence de stimuli sensoriels a réduit
nombreux avantages. N o u s en connaissons non seulement la surface de cortex visuel
très bien l'aspect relationnel et disposons de mais aussi le nombre des cellules qui s'y
méthodes qui permettent non seulement de
déterminer les caractéristiques électrophy-
1. Le génome est la combinaison des différents
siologiques en tant que telles, mais aussi de chromosomes qui se trouvent dans un simple
mieux comprendre par exemple les réactions noyau de n'importe quelle espèce. [ N D L R . ]

L e rôle de l'hérédité et d u ilieu dans le développement d u cerveau 13


trouvent [i]x. Aujourd'hui encore, il est inté- tions de neurones sont produites suivant u n
ressant de lire ce qu'il en dit : « Les examens calendrier précis, les cellules perdant leur
ont montré que le cortex cérébral est tota- faculté de division et emigrant d u feuillet;
lement diflférent selon qu'il comporte ou non ainsi c o m m e n c e la différenciation cellulaire.
les traces matérielles des perceptions, et je Les neurones formés au cours de la période
considère que ces résultats sont très impor- embryonnaire sont là pour toute la durée de
tants dans la mesure où ils montrent que les la vie de l'organisme ; ils ne sont pas rem-
Stimuli extérieurs laissent une empreinte d u - placés par de nouvelles cellules. Il faut en
rable sur le cortex cérébral, organe de la outre noter que la production des popu-
psyché. » Lorsqu'il dit dans son introduction lations de neurones suit u n ordre déterminé.
que « chaque processus cortical laisse dans D'abord se forment les grands neurones qui
le cerveau une empreinte matérielle durable constituent le réseau de télécommunications
que nous devons considérer c o m m e la trans- entre les différentes régions d u cerveau. E n -
position physique de molécules des cellules suite vient le groupe important des petits
ganglionnaires », il est en avance sur son neurones, dont les liaisons avec les autres
temps, puisque, aujourd'hui, nous fondant neurones et l'aire d'extension sont limitées.
sur les découvertes de la biologie moléculaire Ces cellules sont chargées de l'élaboration
nous cherchons, sans maîtriser encore par- locale des signaux qui sont transmis par le
faitement le sujet, des transformations m a - réseau de communication à longue distance.
cromoléculaires pour expliquer des transfor- Tous les neurones « voyagent » de leur lieu
mations fonctionnelles. de constitution à leur emplacement définitif.
Avant de revenir à la question, posée plus Par conséquent, la coordination doit être non
haut, de l'interaction de l'hérédité et d u m i - seulement chronologique mais aussi spatiale.
lieu pendant le processus de développement Des «filsdirecteurs » sont donc tracés, que
du cerveau, il convient de donner u n bref suivent dans leur cheminement les neurones
aperçu d u déroulement de ce processus. O n à mesure de leur création. L a différenciation
peut à cet égard se limiter aux phases essen- par laquelle les neuroblastes se transforment
tielles, car ce qui est important, c'est beau- en neurones ayant une structure et une fonc-
coup moins l'exhaustivité que l'observation tion adultes, c o m m e n c e pendant la migra-
attentive des phénomènes régis par le génome tion. Elle apparaît clairement dans le déve-
et des changements que peuvent y provo- loppement des dendrites, c o m m e le montre
quer les facteurs extérieurs. la figure ï. L a forme de l'arborisation den-
L a plaque neurale — forme primitive d u dritique, qui recueille les informations ve-
système nerveux — contient l'information nant des autres neurones diffère selon les
génétique qui détermine toutes les poten- neurones. E n m ê m e temps que les dendrites
tialités de développement de toutes les popu- se développe l'axone, qui transmettra des
lations de neurones. Dans cette plaque, qui signaux bioélectriques à partir d u corps
se transforme ensuite en feuillets embryon- cellulaire.
naires distincts, se forment en permanence Ces processus se déroulant, pour la plu-
des cellules qui se différencient, établissent part des neurones, pendant la période e m -
entre elles des liaisons et construisent ainsi bryonnaire, les stimuli extérieurs ne peuvent
petit à petit la structure d u cerveau adulte. pas avoir une grande influence sur eux.

Coordination dans le temps


et dans l'espace

N o u s savons aujourd'hui que dans les feuil- ï. Les chiffres entre crochets renvoient à la
lets embryonnaires les différentes popula- bibliographie à la fin de l'article.

14 Dietmar Biesold et Volker Bigl


Elles sortent toutes du feuillet embryonnaire
conformément à leur propre programme et
commencent à se différencier. Si, après u n
certain temps, elles ne sont pas incorporées
c o m m e il convient à l'ensemble de la struc-
ture, elles meurent.
Les données disponibles prouvent que,
dans chaque partie du cerveau, jusqu'à 50 %
des cellules meurent pendant u n laps de
temps très court. C e phénomène, reconnu
c o m m e u n principe général d u dévelop-
pement d u cerveau, marque une phase déci-
sive. C o m m e on l'a mentionné plus haut,
l'axone s'étend jusqu'à sa zone cible où il
entre en contact avec des cellules détermi-
F I G . I. Développement des dendrites durant nées. Si cette prise de contact n'a pas lieu d u
l'ontogenèse. C e schéma illustre le
développement de l'arborisation dendritique des fait que tous les neurones sont déjà rattachés
cellules pyramidales d u cortex visuel d u rat. à d'autres axones, le processus de différen-
Les cellules représentées correspondent aux ciation s'interrompt et la cellule meurt puis-
stades de développement atteints les premier, qu'elle ne peut plus jouer u n rôle dans le
huitième et onzième jours après la naissance. réseau. Quelles sont les informations qui
Avec la croissance de la dendrite principale
dirigée vers le haut, l'arborisation devient déterminent la survie ou la mort de la cel-
plus dense et l'on distingue dans la cellule du lule ? Elles ne peuvent pas provenir des
milieu les premiers rudiments des épines cellules qui se différencient; elles doivent
(ramifications des dendrites) qui apparaissent venir de la cellule cible, car il est établi que
nettement dans la cellule de droite. L'axone
est présent dès le lendemain de la naissance : c'est seulement lorsque le bon contact a été
c'est le prolongement filiforme dirigé vers établi que commence le stade suivant de la
le bas (d'après Winckelmann). différenciation.
Quels éléments structurels d u contact
La « machine cerveau » a-t-elle
entre le neurone et la cellule cible intervien-
un nombre fixe de composantes? nent dans cet échange d'information ? Les
particularités structurelles de ce contact—les
Devant la migration des neurones jusqu'à synapses — sont décrites à la figure 2 . O n
leur emplacement définitif on peut se de- voit que la synapse est le lieu de transmission
mander s'il y a u n nombre caractéristique de de l'excitation. L'interaction transmission-
composantes pour une région donnée d u réception détermine la qualité du phénomène
cerveau. L'analyse morphométrique montre déclenché dans l'élément postsynaptique ;
que le nombre des cellules au sein d'une elle peut conduire à u n processus d'excitation
région d u cerveau est relativement constant. ou d'inhibition localisé. L'excitation peut se
Est-ce parce qu'un nombre déterminé de propager dans les deux sens; de plus, les
cellules s'établit dans cette région ? E n effets locaux se différencient aussi par leur
d'autres termes, ce nombre est-ilfixédès la durée.
production des cellules dans les feuillets e m - Mais la transmutation de l'influx bioélec-
bryonnaires ? O n ne sait pas encore comment trique — dont on parlera plus loin — en
le volume de la production est réglementé termes chimiques n'est pas la seule fonction
pour les différents groupes de neurones. Il de la synapse. L a mort des cellules qui n'ont
semble, d'après les études expérimentales, pas trouvé de contact adéquat révèle l'exis-
que les cellules sont produites en surnombre. tence d'un deuxième système de transfert

L e rôle d e l'hérédité et d u milieu dans le développement d u cerveau 15


F I G . 2. L a communication interneuronique du système nerveux. Les príncipes d u contact
interneuronique sont présentés ici en ce qui concerne une partie d u système d'interconnexion du
cervelet. Les cellules de Purkinje (CF), avec leur arborisation dendritique très étendue communiquent.
avec les cellules granuleuses ( C G ) par les épines. L e segment d'une dendrite, agrandi en A , met en
évidence l'épine visible au microscope optique.
E n B , on voit l'ultrastructure des points de contact entre deux neurones. A son extrémité (At),
l'axone se renfle en u n bouton présynaptique, au contact duquel se trouvent les vésicules synaptiques
(VSyn) où sont stockés les transmetteurs chimiques. L a zone de contact proprement dite est divisée
par l'espace synaptique (EspSyn). L a cellule postsynaptique, qui est ici une épine (Ep), est accolée
à l'élément présynaptique ; dans la zone de contact, la membrane s'épaissit. L a transmission des
signaux électriques se décompose en plusieurs processus distincts. L e potentiel d'action active le
transmetteur en réserve, qui, à travers l'espace synaptique, agit à son tour sur la membrane
postsynaptique ; l'interaction entre le transmetteur et le récepteur spécifique produit u n changement
local de potentiel. L'action éphémère du transmetteur est due à une transformation chimique ou au
transport de ces molécules.
Les schémas C et D représentent la synapse entre l'axone (Ax) d'une cellule en panier (CB)
et le corps cellulaire d'une cellule de Purkinje, vue au microscope optique (C) et électronique (D).

de rinformation. O n sait aujourd'hui avec pouvons mesurer ces changements physi-


certitude que dans les deux sens — vers ques, mais les signaux qui les provoquent
l'aval et vers l'amont de la synapse — des nous sont inconnus. C e qui nous importe,
signaux sont transmis, qui déclenchent les toutefois, c'est qu'à u n certain stade le pro-
mécanismes d'adaptation appropriés dans les cessus de différenciation a besoin d'une i m -
cellules correspondantes et provoquent en pulsion extérieure pour se poursuivre. Ces
général des changements métaboliques. N o u s informations transportées de l'extrémité de

16 Dietmar Biesold et Volker Bigl


l'axone au corps de la cellule doivent exercer
finalement une influence sur le génome. L a
figure 3 indique les possibilités à cet égard.

La nécessité de stimulations extérieures

L'exemple que nous avons choisi montre


qu'à certaines périodes du processus de dé-
veloppement il faut une impulsion de l'ex-
térieur. Si nous partons d u principe que la
contribution génétique représente la s o m m e
des activations successives d u génome, des
facteurs extérieurs doivent agir sur ce pro-
cessus en influençant la conversion de l'infor-
mation génétique. Ces facteurs peuvent agir
au niveau de la transposition, de la transcrip-
tion mais aussi de l'activation des enzymes,
i modulant ainsi la voie tracée par le génome.
.' Il nous faut donc relativiser la question
initialement posée : on ne peut pas dire que
l'hérédité ou le milieu soit le seul facteur
déterminant ; dans toutes les phases du dé-
veloppement, il y a interaction des deux.
L'étude du processus de développement peut
seulement indiquer lequel des deux facteurs
a joué le plus grand rôle. Si l'on considère
toutes les catégories de neurones, on peut les
classer selon l'influence de l'hérédité ou d u
milieu. A u n bout de l'échelle se trouvent les
* neurones dont le développement subit l'in-
fluence persistante du génome ; à l'autre bout
se trouvent ceux qui ne parviennent à m a -
turité que dans des conditions extérieures
optimales. Entre ces deux extrêmes se trouve
F I G . 3. Hypothèse concernant l'importance la majorité des neurones, qui subissent au
de contacts cellulaires organisés pour la cours de leur développement l'influence pré-
différenciation des neurones. C e schéma pondérante soit d u génome soit d u milieu.
montre le contact entre l'arborisation terminale Selon cette classification, on aurait, d'un
de l'axone et plusieurs cellules cibles (de a à d).
Dans la zone du contact synaptique (A) u n côté les grands neurones, avec leurs liaisons
transfert de substances (1) se produit de invariables, qui sont déterminés par le gé-
la cellule postsynaptique vers l'extrémité de n o m e et, de l'autre, les petits neurones qui
l'axone. O n peut supposer qu'il existe des subissent davantage l'influence du milieu.
mécanismes récepteurs spécifiques pour les
signaux chimiques. Après enrichissement (2),
ces substances remontent vers le corps La réception des stimuli visuels
cellulaire (B). Dans le péricaryone, les signaux
s'exercent soit directement dans le noyau (ii)
soit par l'intermédiaire de processus Sur quelles constatations expérimentales se
cytoplasmiques (i). Ainsi se déclenchent les fondent ces généralisations ? O n peut ré-
phases ultérieures de la différenciation. pondre à cette question en se référant à

L e rôle de l'hérédité et d u milieu dans le développement d u cerveau 17


l'interaction structure-fonction que l'on o b - sion des impressions optiques en signaux
serve dans le système visuel. O n trouvera à électriques — c'est-à-dire leur traduction
lafigure4 une image simplifiée de ce système dans le langage d u système nerveux — se
— où les liaisons fibreuses qui vont de la produit dans les cellules réceptrices de la
rétine au cerveau ont été schématisées et les rétine. D e s ondes électriques, diffusées à
éléments venant d'autres systèmes fonction- partir de la m e m b r a n e extérieure de la cel-
nels éliminés. lule, servent de signaux pour la réception,
Les impressions optiques que reçoit l'or- le traitement et la transmission de l'infor-
ganisme sont traitées par les couches de mation entre deux neurones ou entre deux
neurones de chaque centre — rétine, corps parties d'un m ê m e neurone. Elles sont pro-
genouillé externe et cortex visuel. L a conver- duites par le m o u v e m e n t des ions, des

F i e 4 . Structure du système visuel. L e schéma A représente le trajet du message visuel chez les
primates, vu de sous l'encéphale. A partir de la rétine (R), le nerf optique (N) passe par le
chiasmaoptique (Ch) et arrive dans le noyau genouillé externe (Ne). D e là la voie d'acheminement (VA)
rayonne dans le cortex visuel ( V K ) . O n peut voir que le côté droit de chaque rétine correspond au
côté droit de l'encéphale.
Dans le schéma B , les numéros correspondent aux différentes couches d u corps genouillé externe,
i indiquant les couches ipsilatérales et c les couches contralatérales (par rapport aux accès à partir
de la rétine). Les liaisons entre ces couches et le cortex visuel sont représentées à lafigure7 .
L e schéma C montre les principaux éléments structurels du cortex visuel tels qu'ils apparaissent
après imprégnation argentique. Les dendrites apicales des cellules pyramidales (Py) s'épanouissent
de façon radiale et établissent leurs réseaux aussi dans cette région. L e système dendrite des cellules
en étoile (Stz) s'étend de tous côtés. Les axones (A) des cellules représentées partent dans
différentes directions.

18 Dietmar Biesold et Volker Bigl


fluides intra et extra-cellulaires à travers la du système visuel pouvaient jadis être étu-
membrane cellulaire, qui est perméable seu- diées par l'emploi d'éclairs lumineux diffé-
lement aux ions ayant une certaine charge. rant uniquement par leur intensité. Mais on
Il faut distinguer à cet égard plusieurs types ne comprit le m o d e de fonctionnement de ce
de signaux. Il y a d'abord les variations de système qu'en mettant au point des formes
potentiel localisées qui apparaissent dans la simples de stimuli correspondant au milieu
zone de la synapse et par lesquelles sont normal. Wiesel et Hubel, à qui nous devons
intégrées les diverses informations transmises l'étude approfondie des capacités fonction-
au neurone par l'axone d'autres cellules. Si nelles de ce système, sont allés encore plus
la variation de potentiel dépasse (après une loin. Tout en cherchant à déterminer quel
durée déterminée) u n seuil critique, le neu- stimulus déclenche telle réponse d'un groupe
rone répond en émettant u n deuxième type donné de neurones, ils ont aussi étudié les
de signal—le potentiel d'action—qui trans- types ou les formes de stimuli qui produisent
met par l'axone cette information intégrée la plus forte réaction [2, 3 , 4 ] .
aux cellules suivantes. L a rétine comporte des « champs récep-
L e côté droit de la rétine projette les i m - tifs », qui sont les régions concentriques de
pressions sur le corps genouillé externe et la couche de cellules photoréceptrices à par-
le cortex visuel droit, le gauche sur les tir desquelles la décharge d'une cellule gan-
structures correspondantes d u côté gauche glionnaire peut être influencée. Ces régions
d u cerveau. Toutes les impressions visuelles comportent plusieurs zones différentes dont
d u côté gauche sont transmises dans l'hémi- les caractéristiques réceptrices augmentent
sphère droit et celles d u côté droit dans ou diminuent l'excitation. O n distingue deux
l'hémisphère gauche. Les cellules photoré- champs réceptifs où le principe de réaction
ceptrices sensibles aux stimuli lumineux diffère. Dans les on centers, la décharge aug-
transforment les impressions extérieures en mente quand le centre est éclairé. D a n s les
impulsions électriques. off centers, c'est l'inverse : la décharge dimi-
nue quand le centre est éclairé et augmente
L'acuité de la fonction visuelle quand le signal lumineux s'éloigne. :

Mais ce n'est pas la seule fonction de la Comparer par les contrastes


rétine : dès ce stade c o m m e n c e le traitement,
c'est-à-dire la transformation, des signaux. O n comprendra peut-être mieux les carac-
L e système nerveux est fondé sur u n prin- téristiques de ces champs réceptifs si on
cipe général : d'une couche cellulaire — ou analyse leur m o d e de fonctionnement à par-
zone d'un système — à une autre, le n o m - tir des réponses de la couche des cellules
bre des moyens de transfert de l'information ganglionnaires. Ces cellules ne tiennent pas
diminue. L'œil humain contient plus de compte des différences de luminosité abso-
ioo millions de cellules photoréceptrices ; lue; elles fonctionnent de la m ê m e façon
dans la couche cellulaire suivante de la ré- quelle que soit l'illumination. C e qu'elles
tine, il y en a moins et à partir de la dernière enregistrent, ce sont les différences de lunnV
couche des cellules ganglionnaires n'accèdent nosité au sein de leur c h a m p réceptif, par
au cerveau qu'environ u n million d'axones. comparaison entre la périphérie et le centre.
Les informations transmises par ces fibres Elles sont conçues de façon à réagir aux
nerveuses sont coordonnées, à des niveaux contrastes de luminosité qui se trouvent en
déterminés de la hiérarchie structurelle, avec bordure d'une image. Si nous comparons le
d'autres systèmes de transfert de l'informa- m o d e de fonctionnement de la rétine avec
tion, qui est ainsi progressivement condensée. les impressions optiques, avec la configu-^
Les principales caractéristiques des fibres ration de notre milieu, il est évident que nous

L e rôle de l'hérédité et du milieu dans le développement du cerveau 19


percevons les objets par leurs formes et leurs cérébral, les problèmes se compliquent. Les
contours se détachant sur leur environne- principes d'organisation y atteignent u n de-
ment, par les différences de luminosité des gré de complexité beaucoup plus élevé. Les
lignes et des points. éléments cellulaires sont disposés en couches,
D e la multiplicité des formes qui nous parmi lesquelles les différentes populations
entourent, la rétine ne retient donc que les de neurones peuvent être différenciées de
différences de luminosité qui donnent d u façon très précise selon la forme et la gran-
milieu une image « abstraite ». Cette image deur. D e plus, on distingue dans cette région
est ensuite traduite dans le langage d u cer- u n deuxième principe d'organisation. Les
veau et véhiculée par les centres nerveux. neurones se développent radialement, leur
Les objets extérieurs ne sont plus qu'un extension horizontale étant très limitée. Les
assemblage de contours partiels qui n'ont liaisons entre les différentes parties d u cer-
une signification qu'une fois réunis de façon veau ne sont donc assurées que dans une
ordonnée. Il faut donc que les signaux lancés faible mesure par les dendrites qui s'étendent
par la rétine et dont la répartition et l'agen- horizontalement ; elles le sont surtout par le
cement sont très rigoureux soient transmis contact avec les axones qui partent de la
aux centres cérébraux dans le m ê m e ordre substance grise et rentrent dans le cortex à
géométrique, condition indispensable d'une u n autre endroit. Il convient d'examiner
bonne perception. deux grands types de neurones d u cortex
Cela veut dire, d u point de vue m o r p h o - (fig. 5 et 6).
logique, que certaines parties de la rétine Les cellules pyramidales sont disposées
doivent être liées à certaines parties du corps en couches. Elles ressemblent à des sapins
genouillé externe et d u cortex visuel. Les élancés, leurs dendrites ne s'étendant pas
expériences montrent effectivement que la très loin latéralement. Leur axone se déve-
stratification des champs réceptifs de la rétine loppe selon u n axe radial, c o m m e la dendrite
se reflète dans certaines couches d u corps centrale qui part vers le haut. Les cellules
genouillé. L e nombre des fibres d u nerf en étoile appartiennent à la catégorie des
optique correspond à peu près à celui des petites cellules ; leur extension est limitée.
cellules du corps genouillé externe. Mais tous L a voie d'acheminement d u message visuel
les axones se divisent en leur extrémité et pénètre dans le cortex cérébral en éventail.
entrent en contact avec plusieurs neurones du O n peut suivre chaquefibrejusqu'à la qua-
corps genouillé de sorte qu'une certaine di- trième couche d u cortex, mais on n'a pas
vergence d u flux d'informations s'établit. encore déterminé exactement le type de cel-
Les champs réceptifs de ce relais ne diffèrent lules avec lesquelles elle entre en contact.
pas fondamentalement de ceux de la rétine. - Les caractéristiques structurelles du cortex
E u x aussi sont plus sensibles aux contrastes cérébral et la forme des deux types de cel-
qu'aux différences absolues de luminosité. lules qui viennent d'être décrites, ainsi que
O n pense que les petits neurones qui s'y celles d'autres types de cellules, ont été
trouvent et sont chargés des liaisons jouent définies dans les études remarquables de
u n rôle d'intégration. Ils pourraient parti- Santiago R a m ó n y Cajal, pionnier de la
ciper à l'aiguillage des différentes voies de recherche sur le cerveau. Mais il reste encore
transfert de l'information. beaucoup à faire pour dresser u n plan dé-
taillé des liaisons à ce niveau, o ù le nombre
Structures corticales et types de cellules et la concentration des cellules atteignent des
dimensions sans précédent. C'est grâce aux
Quelles sont les données structurelles qui recherches électrophysiologiques que notre
permettent l'analyse d ufluxd'informations connaissance de l'organisation du traitement
dans le cortex visuel ? A l'intérieur du cortex de l'information dans le système visuel a p u

20 Dietmar Biesold et Bolker Vigl


My

At

F I G . 5. Structure du neurone. Les principes F I G . 6. Cellules pyramidales de la cinquième


de la structure du neurone sont représentés couche du cortex visuel du rat, mises en
ici de façon très simplifiée ; le neurone choisi évidence par la méthode d'imprégnation
est une cellule pyramidale. Les dendrites (D) et argentique de Golgi. L a dendrite apicale . .
l'axone (A) partent du corps de la cellule ( Z K ) principale ( H D ) qui part du corps cellulaire (Z)
qui contient le noyau et le nucléole. Les se termine par u n embranchement à la
arborisations dendritiques, qui couvrent une première couche de la surface du cortex. Seul
vaste surface, forment le champ réceptif qui le début de l'axone (flèche) est coloré.
reçoit l'information par le contact avec d'autres (Cliché gracieusement fourni par le
neurones. C e contact — synapse — peut se professeur Winckelmann.)
faire soit par l'épine soit directement à la
surface des dendrites. O n trouve aussi des
synapses au niveau du corps de la cellule.
L'axone (A) conduit l'influx nerveux vers son
extrémité (At), où, en règle générale, il se
divise ; l'arborisation terminale (Term)
entre ainsi en contact avec plusieurs autres
neurones. D e l'axone partent souvent des
collatérales et des récurrentes (R). L a substance
grise de l'axone est entourée d'une gaine de
myéline ( M y ) . .

L e rôle de l'hérédité et d u milieu dans le développement d u cerveau 2 1


progresser. Les techniques de cette disci- disposition radiale en colonnes ou disques
pline permettent de déceler plus facilement de neurones reliés entre eux peut, dans cer-
les mécanismes de liaison. taines circonstances, être plus importante
Par exemple, nous savons aujourd'hui que encore. O n l'a schématiquement représentée
la stratification horizontale des neurones à lafigure7, ainsi que la liaison avec le corps
n'est pas le seul équivalent fonctionnel : la genouillé externe. Les colonnes correspon-
dent aux champs réceptifs mais, ici, la sensi-
bilité aux variations absolues de luminosité
est encore moins évidente. Les cellules y sont
conçues pour réagir aux contrastes et sont
activées par des formes et des contours bien
définis qui présentent des différences de
luminosité et qui ont dans l'espace une orien-
tation et une position précises. Certains
groupes de neurones réagissent aux angles
et aux coins, d'autres au mouvement dans
une direction donnée. E n outre, il importe
de noter que certaines cellules sont excitées
par la rétine d'un seul œil alors que d'autres
obéissent aux excitations de la m ê m e partie
des deux rétines.

Réactions à des stimuli donnés

O n peut donc établir une règle générale à


tous les niveaux d u système visuel ; ce sont
toujours des cellules voisines — autrement
dit des groupes de cellules — qui réagissent
à des stimuli extérieurs donnés. L'informa-
tion est progressivement décomposée aux
différents niveaux de la hiérarchie d u sys-
tème, de sorte que dans le cortex, par exem-
ple, il y a des cellules qui détectent les angles
F I G . 7. Structure d u cortex visuel. C e schéma droits se présentant verticalement, horizon-
représente les liens structurels entre le corps talement ou autrement dans le c h a m p visuel.
genouillé externe ( C G E ) et le cortex visuel ( V K ) . D'autres, que l'on peut assimiler aux neu-
Les projections de l'œil ipsilatéral dans les rones disposés en colonnes détectent les
deux parties du cerveau sont représentées en
pointillé et celles de l'œil contralateral sont mouvements. Ainsi, les images que reçoit la
laissées en blanc. Dans le cortex visuel, sont rétine ne sont pas transmises telles quelles
indiquées les positions relatives des colonnes au cortex visuel, elles sont analysées, de la
de dominance oculaire ( C D O ) qui s'étendent rétine au cortex et décomposées selon tous
radialement et forment u n angle droit avec
les colonnes d'orientation (CO). Les lignes leurs éléments distinctifs — contour, forme,
horizontales indiquent la stratification position, orientation et couleur. L a s o m m e
horizontale des cellules. Four illustrer les de ces différentes informations constitue
relations interneuroniques, on a fait figurer l'image perçue.
dans deux colonnes une cellule complexe ( K Z )
qui est en contact avec deux cellules Cette digression, qui a d û se limiter aux
simples (SZ) situées dans des C D O voisines aspects principaux de l'interaction entre la
mais originaires de la m ê m e C O . structure et la fonction d u système visuel,

22 Dietmar Biesold et Volker Bigl


nous a paru importante pour établir la pers- l'avons déjà dit, les mécanismes réflexes
pective dans laquelle il convient d'évaluer simples ne soient pas sensibles aux in-
les critères de la maturation du système ner- fluences extérieures et que seules les fonc-
veux. Pour u n exposé plus détaillé d u fonc- tions complexes soient troublées.
tionnement d u système nerveux, le lecteur Cette hypothèse est corroborée par le fait
devra se reporter aux ouvrages d'origine (par que si l'on coud les paupières d'un seul œil
exemple Kuffler et Nicholls) [5]. au lieu des deux, les conséquences pour le
Si l'on considère, à la lumière de ce qu'on développement du système visuel sont beau-
sait aujourd'hui d u traitement de l'informa- coup plus durables. Les chats dont on a
tion visuelle, l'expérience de Berger décrite cousu les paupières d'un seul œil dès leur
plus haut, on en aperçoit les limites mani- naissance ont un développement normal ; ils
festes : les différences de luminosité ne cons- se servent de l'autre œil. Mais si, après un à
tituent pas une excitation optimale pour la trois mois, on ouvre l'œil fermé et l'on coud
rétine, laquelle est conçue pour l'analyse des les paupières de l'autre œil, ils se comportent
contrastes. c o m m e s'ils étaient aveugles. Ils ne peuvent
Néanmoins, la tentative de V o n G u d d e n pas s'orienter, bien que la réaction de la
et de Berger — consistant à élever des ani- rétine et d u corps genouillé externe aux sti-
m a u x à l'abri de toute excitation optique — a muli lumineux soit normale. O n observe des
fourni la toile de fond théorique d'un nombre transformations notables dans les champs
incalculable de recherches expérimentales. réceptifs d u cortex cérébral. Dans ceux qui
E n modifiant le déroulement de l'expérience reçoivent les excitations de l'œil « libre »,
et notamment en faisant appel aux tech- tout se passe normalement ; mais lorsqu'on
niques électrophysiologiques pour étudier excite l'œil qui avait été fermé, il se produit
les troubles d u développement, on a obtenu rarement une réaction dans le cortex. Si l'on
des résultats qui ont fait considérablement fait la m ê m e expérience sur des chats âgés
progresser nos connaissances sur ce sujet. de quatre mois ou adultes, on n'observe pas
les m ê m e s effets.
Simulation de la cécité Q u e peut-on en conclure ? Q u e , pour qu'il
y ait maturation d u système visuel, il faut
O n a constaté que l'absence d'excitation vi- que les deux yeux reçoivent pendant une
suelle provoque dans les centres d u système période limitée des impressions adéquates.
visuel — corps genouillé externe et cortex Pour les chats, cette période se situe entre la
visuel — une réduction non seulement du quatrième et la cinquième semaine. Toute
volume de ces zones, mais aussi d u nombre entrave au développement « normal » durant
des cellules et du neuropile, constitué par les cette période — qui peut provoquer une
ramifications dendritiques. Elle modifie éga- incapacité fonctionnelle — produit des effets
lement la longueur et la configuration géné- irrémédiables. L'œil qui n'a pas reçu de
rale des dendrites. Ces changements sont stimulus lumineux adéquat reste aveugle.
moins évidents dans rultrastructure des L e fait que la rétine reçoit une lumière dif-
synapses du cortex visuel. Si les animaux qui fuse passant à travers les paupières et que
ont vécu longtemps dans l'obscurité sont seule la perception des formes est entravée
exposés à la lumière, ils se comportent prouve l'importance de la perception d'ima-
d'abord c o m m e s'ils étaient totalement aveu- ges adéquates pour le développement.
gles ; mais après quelques jours, ils vont et Dans les cas de strabisme, la perception
viennent normalement : leur système visuel — du degré de luminosité, des formes et des
ne semble donc pas différent de celui d'ani- images — est normale, mais la projection sur
m a u x normaux. L e réflexe pupillaire est la rétine est faussée d u fait de la mauvaise
intact ; il semble donc que, c o m m e nous position de l'œil. Les réponses se déclenchent

L e rôle de l'hérédité et du milieu dans le développement du cerveau 23


normalement dans les champs réceptifs cor- N o u s avons décrit ci-dessus la façon dont les
respondant à chaque rétine mais on ne trouve mécanismes de relation établis à la naissance
pas de représentation binoculaire dans les cessent de fonctionner lorsque les stimuli
neurones corticaux. extérieurs correspondants ne les activent pas.
Ces deux exemples montrent que, si les Les facteurs extérieurs sont donc essentiels
principaux mécanismes de relation se déve- . au maintien des structures et au processus de
loppent normalement m ê m e lorsque la pro- développement de la capacité fonctionnelle.
jection des images sur la rétine est faussée, Les expériences dont nous avons parlé
les fonctions d'intégration du système visuel peuvent être considérées c o m m e les pre-
sont irrémédiablement perturbées. O n peut mières tentatives faites par les chercheurs
dire que ces perturbations sont dues à u n pour dépister les mécanismes fondamentaux
développement anormal des mécanismes de du traitement de l'information jusqu'aux
relation interne des centres. unités cellulaires les plus petites. Elles m o n -
trent bien toute la précision que doivent
avoir les mécanismes de relation pour s'adap-
Facteurs extérieurs
et développement ter au milieu. Cette précision, que l'on
observe, dans le cas du système visuel, jusque
Reste à savoir sous quelle forme les facteurs dans les champs réceptifs du cortex, doit être
extérieurs peuvent influer sur le processus déterminée par le génome. Pour évaluer
de développement. S'agit-il, c o m m e nous l'influence du milieu, il importe de noter que
l'avons vu au début, de facteurs qui doivent le système visuel, qui se développe selon u n
exister au m o m e n t voulu et sous la forme plan préétabli, doit recevoir pendant cer-
voulue pour que la capacité fonctionnelle du taines périodes limitées des impressions ex-
cerveau se développe harmonieusement ? O u térieures adéquates. Si l'on coud les pau-
bien les liaisons cellulaires ne se font-elles pières d'un œil, ce « rodage » est impossible
qu'à partir de stimuli extérieurs ? Les résul- et le systèmefinitpar se dégrader. O n n'est
tats des expériences pratiquées sur le sys- pas encore capable de déterminer pourquoi
tème visuel donnent à penser que ces hypo- des animaux élevés dans l'obscurité et donc
thèses sont trop simples. privés de toute vision ne restent pas aveugles.
Si l'on ouvre artificiellement les paupières Ils n'ont reçu aucun stimulus optique ; peut-
de chatons nouveau-nés, on observe u n phé- être dans ce cas les mécanismes d'origine
nomène surprenant : c o m m e chez l'animal restent-ils intacts c o m m e on l'a vu chez les
adulte, les stimuli de lumière diffuse ne m o - chats. Si l'animal entre en contact ultérieu-
difient aucunement le taux de décharge des rement avec le m o n d e réel, le processus de
cellules du cortex visuel et les rais de lumière rodage se déclenche peut-être simplement
ou d'ombre le modifient en fonction de leur avec un certain retard.
orientation. Chez le nouveau-né, les réponses
des cellules corticales ne sont pas aussi nettes Conclusion
que chez l'adulte mais elles existent. O n peut
observer dans certaines cellules la représen- Dans ces conditions, on pourrait attribuer la
tation binoculaire de stimuli lumineux reçus stabilité dont nous avons parlé au début d u
par les deux yeux ! présent article aux mécanismes de dévelop-
Par conséquent, il est clair que, chez les pement du cortex visuel. L e milieu ne serait
chats, la base structurelle de l'analyse sélec- indispensable qu'au rodage, à la mise au
tive des impressions extérieures existe déjà pointfinaled u système; Mais, nous élevant
peu après la naissance, c'est-à-dire avant dans la hiérarchie structurelle d u cerveau,
toute influence du milieu. Mais à quel stade si nous remontons aux centres où les signaux
du développement le milieu intervient-il ? enregistrés par le cortex visuel sont décodés

24 Dietmar Biesold et Volker Bigl


— centres d'association voisins de l'aire vi- Qu'il nous soit permis de remercier ici tous
suelle — on peut supposer que les facteurs nos collègues de l'Institut Paul-Flechsig
extérieurs jouent u n rôle encore plus durable de recherches sur le cerveau de l'Univer-
dans le développement. Si la recherche sur le sité Karl-Marx de Leipzig, qui ont apporté
cerveau se poursuit dans la voie où elle vient une précieuse contribution à l'élaboration
de s'engager, il sera peut-être u n jour pos- du présent article. N o u s exprimons tout par-
sible de rattacher l'importance—postulée par ticulièrement notre reconnaissance au pro-
la psychologie — que revêtent les premières fesseur Winckelmann, au D r Brauer et au
impressions de la vie pour le comportement D r Brückner, qui nous ont permis de c o m -
futur à des schémas de relation cérébraux pléter cette étude par des illustrations et ont
déterminés, ce qui confirmerait l'hypothèse mis des planches à notre disposition. D
élaborée par Hubel il y a dix ans [6].

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L e rôle d e l'hérédité et d u milieu dans le développement d u cerveau 2 5


Organisation internationale de recherche
sur le cerveau (IBRO)

L ' I B R O a été créée en i960, avec l'aide de « dyslexie ». A u centre de toutes


de l'Unesco, par u n groupe de les recherches sur le cerveau se trouve
spécialistes d u système nerveux qui la science d u comportement. Celle-ci,
souhaitaient promouvoir la recherche qui englobe l'étude des motivations et
fondamentale sur le cerveau. « Tous ceux des actes qu'elles déterminent,
qui ont apporté une contribution notable est indispensable pour notre compréhension
à la recherche sur le cerveau et dont des sciences sociales, parmi lesquelles
la compétence a été démontrée par figurent l'étude des affaires publiques,
des publications de valeur » peuvent faire le droit (en ce qui concerne par exemple
partie de l'IBRO, constituée en 1961 la « responsabilité atténuée »),
en organisme international indépendant. le phénomène de l'agression et
Elle compte actuellement quelque le traitement des délinquants. Les
1 400 membres répondant à cette définition, recherches sur le cerveau constituent
et notamment des spécialistes éminents un domaine d'intérêt c o m m u n
de quarante-cinq pays. où convergent les efforts des spécialistes
Si l'on a reconnu que la recherche des disciplines suivantes : anatomie,
sur le cerveau était une activité biochimie, biophysique, physiologie,
scientifique particulièrement utile, neuro-endocrinologie, neuropathologie,
c'est en partie parce qu'on a de plus pharmacologie et sciences de
en plus pris conscience d u vaste champ la communication.
de ses applications dans d'autres domaines. L ' I B R O se propose essentiellement
Celles qui relèvent de la médecine ne font de'promouvoir, avec l'aide de l'Unesco,
pas de doute : elles comportent non une coopération internationale dans
seulement l'étude des causes et toutes ces disciplines, en organisant
le traitement des troubles c o m m u n é m e n t des colloques, des stages de formation et
appelés neurologiques (tels que des activités analogues. Les lecteurs
l'épilepsie), mais aussi une exploration qui s'intéressent à cette Organisation
approfondie des anomalies qui soulèvent peuvent obtenir des renseignements
également des problèmes sociaux. complémentaires auprès de sa secrétaire :
E n matière d'éducation, la recherche sur D r M a r y A . B . Brazier, Department of
le cerveau touche à la linguistique et Anatomy, University of California
à la sémantique, pour ce qui est Medical Center, Los Angeles C A 90024
notamment d u dysfonctionnement de (États-Unis d'Amérique).
la communication connu sous le n o m
L'éveil, le sommeil et le cerveau
structure cyclique des relations
avec la société
Junji Matsumoto

Ce n'est que depuis une époque relativement récente que V « homo sapiens », conscient depuis
longtemps de son rôle à Vétat de veille, montre une curiosité systématique à l'égard du
rôle et de la signification du sommeil et des rêves. Des découvertes récentes sont décrites
dans cet article et quelques questions philosophiques y sont soulevées sur le « moi* profond
— comment et pourquoi il fonctionne.

Les études scientifiques sur le sommeil et, en chercheurs du m o n d e entier se sont penchés
particulier, ses relations avec le rêve ont fait sur le sommeil R S et leurs études ont surtout
u n grand pas en avant ces vingt dernières porté sur le mécanisme de son apparition. O n
années. L'intérêt des chercheurs d u m o n d e accepte généralement que les régions cen-
entier a en effet été éveillé par la découverte, trales impliquées sont le cortex cérébral pour
en 1957, que si l'on réveillait des sujets en- le sommeil N R S , le pont pour le som-
dormis présentant certains symptômes par- meil R S [2], et que les facteurs humoraux
ticuliers, 80 % d'entre eux étaient en train sont la Serotonine pour le premier et la nora-
de rêver [ï]1. Actuellement, ce sommeil par- drenaline pour le second ; c'est ce qui ressort
ticulier est connu sous le n o m de sommeil de la théorie de la monoamine [3,4].
R E M {rapid eye movement sleep, abrégé R S Ainsi, au cours de la progression des re-
dans la suite du texte), le sommeil ordinaire cherches sur le sommeil, basées sur le som-
étant appelé sommeil N R E M (abrégé N R S ) . meil R S , est apparu, petit à petit, le problème
E n conséquence, dans les débuts de la important de savoir ce qu'était l'autre caté-
découverte du sommeil R S , on l'assimilait au gorie de sommeil que l'on n o m m e sommeil
rêve mais, plus tard, les résultats répétés N R S et, par ailleurs, l'éveil par rapport au
d'études de plus en plus systématiques ont sommeil. Voici par exemple ce qu'en pense
permis de comprendre que le rêve était u n l'auteur. L e sommeil R S est u n phénomène
phénomène accompagnant le sommeil et que, découvert récemment et, pour u n sujet nor-
tout c o m m e le sommeil, le rêve pouvait être mal, le passage du sommeil N R S au som-
divisé en deux catégories : le rêve de la meil R S s'effectue inconsciemment. Par
période d u sommeil R S qui est le « rêve- contre, le passage de l'état d'éveil à celui de
rêvé » (dreaming-like dream) dont le contenu sommeil N R S commence par u n état de
s'appuie sur la mémoire à long terme (long conscience ; le degré de difficulté de passage
term memory) et le rêve de la période N R S dit à l'état de sommeil N R S est suffisamment
« rêve-pensé » (thinking-like dream) dont le conscient et si ce passage est difficile, ce sont
fond est en rapport avec la mémoire à court
terme (short term memory). 1. Les chiffres entre crochets renvoient à la biblio-
Tout naturellement, dans les débuts, les graphie à lafinde l'article.

impact : science et société, vol. 28 (1978), n° 1 27


C'est cette façon de voir qui a amené
• Junji Matsumoto l'auteur à réfléchir sur la signification de
l'existence des phases d'éveil et de sommeil
L'auteur, qui est neurophysiologiste, et en particulier des deux phases de sommeil
est professeur à la Faculté de médecine ainsi qu'aux influences réciproques des pha-
de l'Université de Tokushima depuis 1964. ses d'éveil et de sommeil l'une sur l'autre.
Il a d'abord fait de la recherche C o m m e le contenu du rêve qui se produit
puis enseigné à la Faculté de médecine lors du sommeil reflète la vie pendant l'éveil,
de l'Université d'Osaka. Plus tard, il a été on ne peut pas négliger l'influence de l'en-
chercheur au Laboratoire de pathologie vironnement. C'est ce qui a conduit l'auteur
expérimentale à Lyon (France). à rassembler ses réflexions sur les rapports
Il a publié de nombreux articles et ouvrages entre la société et le cerveau d u sujet.
sur le sommeil paradoxal, les résultats
d'études électroencéphalographiques portant Conscience de deux états de sommeil
sur les réflexes conditionnés, et sur
les convulsions dues à l'absorption de phénol. Avant la découverte d u sommeil R S , u n
L'adresse de M . Matsumoto autre spécialiste avait eu l'idée de proposer
est la suivante : 4-146 Nakashimada, de subdiviser le sommeil en sommeil céré-
Tokushima (Japon). bral {brain sleep) et sommeil corporel (body
sleep) [5]. Ces deux états peuvent être dis-
tingués c o m m e suit : le premier est accompa-
des symptômes que l'on qualifie d'insomnie gné de perturbations de la conscience (dis-
et qui provoquent de graves difficultés d u turbance of consciousness) d û a u contrôle
point de vue de la vie de tous les jours. O n exercé sur le thalamus et le cortex cérébral ;
peut donc dire que, pour u n sujet normal, ce les inhibitions, dites de Pavlov, elles aussi,
processus de passage de l'éveil à l'état de dépendent de cet état ; le second est accom-
sommeil N R S est particulièrement impor- pagné de modifications physiologiques dues
tant et que les études scientifiques ont pour au contrôle exercé sur le centre du système
but principal d'étudier le passage de l'état de nerveux végétatif. Plus tard, à la suite de la
sommeil N R S à celui de sommeil R S . découverte du sommeil R S , et à l'occasion de
la répartition du sommeil en deux catégories
L'influence de l'environnement qualitativement différentes, on a pensé asso-
cier le sommeil N R S au sommeil cérébral et
D'autre part, lorsque, depuis déjà longtemps, le sommeil R S au sommeil corporel, mais
on comparait les états de veille et de sommeil, c'est u n raisonnement transitoire. Compara-
l'éveil permanent était considéré c o m m e u n tivement au sommeil N R S , dans le som-
avantage et le sommeil, c'est-à-dire l'état où meil R S , la fonction émotive végétative pré-
l'on dort, c o m m e tout simplement u n sym- sente une tendance à être activée du fait de
bole d'oisiveté o u de paresse. E n réalité, la prépondérance du rôle du grand sympa-
est-ce vraiment le cas ? Examinons le cas thique, et les normes de classification énon-
d'un nouveau-né, son rythme journalier de cées primitivement ne conviennent plus.
vie est une succession d'états de veille et de Peu après, u n autre chercheur disait déjà
sommeil, dans ces conditions, les deux états que le sommeil était l'endormissement total
ne sont ni u n avantage ni u n inconvénient, du cerveau et qu'il n'y avait aucune raison de
c'est simplement une succession d'états phy- vouloir l'opposer à u n sommeil corporel
siques en relations opposées, mais ce n'est particulier [6].
pas une situation qui permet de placer l'un Par la suite, à partir des données expéri-
des états au-dessus de l'autre. mentales, on a pensé subdiviser ces deux

28 Junji Matsumoto
états de sommeil en fonction de leur signifi- Relations entre les deux sommeils
cation : le sommeil N R S devient plus impor- et les fonctions animale et végétative.
Existence, augmentation, ou renforcement = + ;
tant après u n effort physique, le sommeil absence, diminution ou affaiblissement — —.
N R S est indispensable pour la croissance et
le rétablissement physique. Par contre les Fonction NRS RS
observations chez le nouveau-né ont montré
que le sommeil R S était le plus important et Activité musculaire +
après l'absorption d'héroïne, par exemple, Ronflement + • —
on observe des rebondissements (rebound) Somnambulisme + —
Sensibilité aux stimuli sensoriels + —
pendant une longue période ; on a donc émis —
l'hypothèse que le sommeil R S était utile
Terreur nocturne +
Sécrétion de l'hormone
pour le rétablissement et la croissance d u de la croissance + —
cerveau [7]. Température de la peau de la main •+ .—
Grincement des dents '+ ±
Parler durant le sommeil + ±
Relations entre fonction Enurésie nocturne (lit mouillé) + 4-
et type de sommeil Érection d u pénis ± +
Cauchemars — +
L'auteur, en accord avec Pavlov, considère M o u v e m e n t rapide de l'œil — - +
Crise d'asthme bronchitique — +
que l'homme est une entité et que c'est le Angine de poitrine (crise nocturne) —
cerveau qui dirige le corps.-D'après cette
+'
Sécrétion gastrique nocturne
théorie, les deux états du sommeil sont des (parmi les sujets atteints
fonctions d u cerveau. L'auteur pense donc d'ulcères duodénaux) — . +
Autres activités respiratoires
que les contrôles exercés par le cerveau sur
et circulatoires — +
les fonctions du corps et des organes internes
sont différents au cours des deux phases d u
sommeil..
Fonction animale +
Fonction végétative — +
L'auteur a rassemblé les modifications,
bien connues à ce jour, des différentes fonc-
tions humaines au cours des sommeils R S
et N R S . (Voir tableau.) Dans les deux der- contrôlée. Dans le cas d u sommeil R S , la
nières lignes du tableau, l'auteur a rassemblé rubrique « fonction végétative » qui repré-
les différents phénomènes ci-dessus en deux sente la fonction autonome des organes in-
grandes catégories de fonctionnements phy- ternes n'est pas contrôlée et l'activité de la
siologiques qui sont les fonctions végétatives vie se poursuit. Fonction autonome est syno-
et animales. Toutefois, il faut bien remarquer n y m e de fonction végétative, et si l'on s'ap-
que dans la rubrique « température de la puie sur la définition de l'appellation de
peau de la main », les signes + ou — ont été la fonction contrôlée pendant le sommeil,
déterminés en fonction des variations de la c o m m e le faisait V o n Ecónomo, et en consi-
température de la peau de la main, mais que dérant la fonction active c o m m e une fonction
ces signes doivent être inversés pour se rap- animale, alors le sommeil N R S est u n
porter à la fonction végétative car l'augmen- « sommeil végétatif» et le sommeil R S est un
tation de température de la peau de la main « sommeil animal ». Mais si l'on tient compte
est due à une réduction de l'activité du grand du fait que l'on appelle « sujet végétatif »
sympathique. l'état dans lequel se trouve un sujet chez qui
Ainsi, si l'on résume, dans le cas du som- il ne reste que la fonction végétative, pour
meil N R S , la rubrique « somnambulisme » faciliter la compréhension, il vaudrait mieux
qui représente la fonction relative à l'activité appeler le sommeil N R S « sommeil animal »
musculaire montre que celle-ci n'est pas et le sommeil R S « sommeil végétatif ».

L'éveil, le sommeil et le cerveau 29


Analyse de la structure cérébrale propre connaissance. L a conscience peut
alors être décrite c o m m e une structure
Depuis toujours, la nature humaine en cher- complexe ou, pour s'exprimer différemment,
chant le bonheur a beaucoup trop respecté c o m m e une structure organisée de la vie des
l'application et le travail; elle valorisait relations liant le sujet avec les autres et avec
fortement l'activité consciente de l ' h o m m e et le m o n d e . »
n'avait aucune estime pour l'activité incons-
ciente ; elle considérait l'état de sommeil non La conscience : éveil à tous les stimuli
seulement sans valeur, mais c o m m e exemple
de l'oisiveté, de la paresse ou du « tirage au Dans le troisième chapitre de son livre The
flanc », et aussi c o m m e u n vice. O n peut sans forgotten language [Le langage oublié] [10],
doute penser à une discrimination entre F r o m m définit la conscience c o m m e « l'ac-
sommeil et éveil, similaire à celle qui existe tivité mentale qui a lieu lorsque nous nous
entre h o m m e et f e m m e . concentrons sur la réalité d u m o n d e exté-
Ainsi, quel est donc le genre d'état repré- rieur. L'état inconscient étant l'expérience
senté par l'activité consciente ? Si cette signi- mentale qui se produit lorsque nous inter-
fication n'est que l'activité au cours de l'éveil, rompons notre communication avec le m o n d e
alors l ' h o m m e est pareil à l'animal. Pour être extérieur et non pas une action mais l'état
représentée, la conscience humaine doit s'ac- de se consacrer à l'expérience d u m o i ».
compagner de l'activité de la parole propre à Mais c'est une définition psychoanalytique
l ' h o m m e ; peut-on dire alors que le fait de et l'on ne peut s'empêcher de dire que pour
parler en rêvant et la logique des rêves sont des physiologistes, c'est une abstraction.
les fruits de l'activité consciente ? Dans la E n tant qu'auteur, je proposerai de donner
mesure où ces conditions objectives repré- la définition suivante : la conscience c'est la
sentent le sommeil, on ne peut pas dire que capacité de percevoir u n stimulus aussi bien
rêver tout haut et l'état de rêve sont des interne qu'externe et d'y répondre par des
activités conscientes. mouvements volontaires, y compris une ré-
E n conséquence, pour l'activité consciente ponse linguistique. Si l'on donne une telle
traditionnelle, il faut une condition annexe définition, on ne peut atteindre la « face
telle que l'état d'éveil. A l'heure actuelle, cachée » de la conscience, mais il est alors
pour les h o m m e s , le jugement objectif d u sans doute possible d'en faire l'objet d'une
sommeil ou de l'éveil dépend de la méthode étude pratique en prenant ses manifestations
polygraphique (polygraphia method) qui est que sont la vie consciente et l'activité cons-
internationalement reconnue [8]. ciente c o m m e les manifestations de m o u v e -
Par ailleurs, parmi les réponses offertes ments volontaires.
par la physiologie et la médecine à la question Dans ces cas, la « réponse linguistique »
de savoir ce qu'est la conscience ou au signifie bien sûr aussi bien les langages
contraire l'inconscience, la plupart répon- oraux qu'écrits et sa manifestation est maté-
dent à la question « C o m m e n t ? », mais on rialisée par les mouvements volontaires de
n'en trouve presque aucune qui réponde l'écriture et de la parole. D'après la théorie
avec satisfaction à la question « Quoi ? ». de Pavlov, le langage peut être divisé en
Par exemple, Henri E y dans son livre La deux, le « langage externe » supposé être u n
conscience [9] au début d u premier chapitre m o y e n d'information objectif et le « langage
a utilisé l'expression « être conscient » pour interne » utilisé c o m m e m o y e n de réflexion
désigner la conscience et a écrit : « ... qui introspective.
est, lorsque l'on vit les particularités de sa L e langage interne est acquis par l'étude
propre expérience, l'action de transférer (réflexe conditionné) ; dans sa vie de tous les
cette expérience dans l'universalité de sa jours l'être humain sélectionne, grâce à son

30 Junji Matsumoto
activité consciente, une partie d u langage Relations entre la superstructure
et l'infrastructure
externe qu'il réceptionne de son entourage
social, pour en faire son langage interne qu'il
conserve c o m m e mémoire dans son « centre Tout c o m m e la superstructure — que ce soit
de conscience ». (Le centre de conscience du point de vue idéologique ou organisa-
n'est pas bien défini, mais ce n'est pas le tionnel d'une société quelle qu'elle soit — est
« centre d'éveil ».) influencée et contrôlée par la totalité des
relations de production qui forment son in-
Considérer la conscience frastructure, la superstructure du cerveau, y
comme une unité compris la conscience, est commandée et in-
fluencée par les conditions de sommeil et
E y affirme que la conscience peut être consi- d'éveil qui constituent son infrastructure.
dérée c o m m e u n phénomène de « structure Par exemple, lorsque l'infrastructure est
complexe », mais l'auteur a poussé plus avant dans un état d'éveil et que la conscience, dans
ce raisonnement en proposant de considérer la superstructure, est en relation avec cet
la conscience c o m m e une unité dans la état, le cerveau peut procéder à des activités
structure fonctionnelle d u cerveau et en conscientes ; lorsque Pinfrastructure associée
prenant pour activité consciente le produit passe à l'état de sommeil, l'activité cons-
de l'état dans lequel l'éveil est associé à la ciente du cerveau s'arrête et disparaît. Lors-
conscience. que le sommeil et la conscience sont combi-
Cette manière de penser peut amener à nés, le phénomène qui se produit lors d u
concevoir une nouvelle méthode pour ap- rappel des souvenirs d'une partie de la
préhender les fonctions d u cerveau. Cepen- conscience est appelé « rêver » ; lorsque l'in-
dant, tout c o m m e on a considéré l ' h o m m e en frastructure a repris l'état d'éveil, et que le
tant qu'entité, a) si l'on considère c o m m e sujet peut rapporter le contenu de son rêve en
une entité le cerveau dans lequel se produit utilisant u n langage, qui constitue une unité
l'activité de réflexion qui est la fonction re- pratique de la conscience, c'est ce que l'on
présentative de l ' h o m m e , on peut alors b) le appelle le « rêve ». C'est-à-dire que rêver est
considérer, en adoptant le vocabulaire d u dans l'infrastructure et le rêve dans la super-
matérialisme historique utilisé pour la clas- structure. Dans le cas où le sujet se rappelle
sification des structures sociales, c o m m e di- son « rêver » mais ne désire pas en raconter
visé en superstructure et infrastructure. L a le contenu à une tierce personne, le gardant
conscience, qui est l'activité d u cortex céré- dans son cerveau en tant que langage interne,
bral, partie supérieure d u cerveau, est assi- cela doit être considéré aussi c o m m e rêve.
milée à la superstructure d u cerveau alors L'amélioration de la connaissance des re-
que les facteurs variables tels que l'éveil et lations entre la superstructure et l'infra-
le sommeil — dans lesquels l'activité d u structure d u cerveau a p u être menée plus
tronc cérébral est importante — considérés avant grâce aux résultats du nombre, de plus
jusqu'à présent c o m m e normes de la cons- en plus important, des études consacrées au
cience sont assimilés à l'infrastructure. sommeil, récemment effectuées dans le d o -
Il va sans dire que cette classification est maine de la médecine clinique. O n a, par
purement en termes de fonction cérébrale exemple, découvert que l'une des conditions
et qu'il n'est aucunement question de vou- fondamentales des maladies dépressives était
loir établir une correspondance morpho- la réduction du sommeil N R S , alors que les
logique. phases aiguës de schizophrénie étaient ac-
compagnées d'une diminution similaire d u
sommeil N R S et que parfois, cette dimi-
nution allait jusqu'à exercer u n contrôle sur

L'éveil, le sommeil et le cerveau 31


le sommeil R S . D'autre part dans des cas de ment avec l'éveil et le rapport entre l'éveil
nervosité c o m m e l'inquiétude, l'impatience et le sommeil est de 1:2 dans l'enfance
et la dépression, dues à des causes mentales (8 heures pour 16 heures), la période d'éveil
chroniques ou aiguës, ou dans le cas de per- s'allongeant progressivement pour atteindre
sonnes nerveuses par nature, le sommeil le rapport inverse 2:1 qui se stabilise dans
N R S est largement susceptible d'être affecté, l'adolescence. Les deux processus unifiés
entraînant des insomnies. U n e réduction d u sont des fonctions de l'infrastructure d u
sommeil R S a été notée dans les cas de retard cerveau.
mental [ n ] . Dans de telles circonstances, Les rapports quantitatifs entre l'éveil et le
les anomalies de conscience dans la super- sommeil, cités ci-dessus, représentent la tota-
structure influencent les conditions du cycle lité des périodes des deux états pendant une
sommeil-éveil dans Pinfrastructure. journée. U n e autre modification se produit
A l'opposé, dans des cas où l'éveil m o n o - au cours de la croissance, de l'enfance à l'état
polise rinfrastructure du cerveau pendant de adulte, dans la forme ou le rythme des états
longues périodes, c o m m e par exemple lors d'éveil et de sommeil. L e caractère polypha-
d'études si accaparantes qu'elles empêchent sique du sommeil et de l'éveil dans l'enfance
le sujet de dormir, aucune anomalie de l'ac- devient progressivement monophasique au
tivité consciente n'est observable après vingt- fur et à mesure de l'âge adulte pour redevenir
quatre heures de manque de sommeil, mais polyphasique dans le troisième âge. O n peut
après deux ou trois autres nuits blanches u n remarquer que le cycle éveil-sommeil, chez
état anormal apparaît, c o m m e des visions ou l'animal autre que l ' h o m m e , reste polypha-
des hallucinations auditives. U n e autre cause sique tout au long de la vie, ce qui pourrait
fréquente d'insomnies est la modification de laisser penser que chez l'homme aussi, à
l'environnement social ou familial ; dans de l'origine, le rythme instinctif était poly-
telles circonstances, une cassure dans rin- phasique.
frastructure s'accompagne d'anomalies de Si l'homme n'était pas caractérisé par son
l'activité consciente dans la superstructure. activité consciente particulière qui lui pro-
C'est ce qu'on désigne souvent par les termes vient d u langage, et si son cerveau fonction-
de névrose par m a n q u e de sommeil. nait sur les m ê m e s bases que les autres ani-
m a u x , il aurait sans doute continué à vivre
Analyse de l'infrastructure sur u n rythme polyphasique de sommeil et
d'éveil tout c o m m e le font les autres ani-
L e sommeil humain est généralement divisé m a u x . E n d'autres termes, on pourrait
en sommeil N R S et en sommeil R S qui sont conclure que l'homme a construit sa culture
différents l'un de l'autre quant à leurs aspects particulière en sacrifiant son sommeil.
fonctionnels tout c o m m e le « sommeil ani-
mal » est qualitativement différent d u « som- Le facteur faim
meil végétatif ». Les portions de temps oc-
cupées respectivement par les sommeils N R S A propos de l'analyse du rythme d u sommeil
et R S au cours d'une période de vingt-quatre et de l'éveil qui accompagne la croissance de
heures sont dans le rapport 1:1 au cours de l'homme, la théorie de Finch et K e m p h [12]
la période infantile (8 heures pour 8 heures) ; est intéressante bien que psychoanalytique.
au cours de l'enfance, le sommeil N R S prend O n peut faire le raisonnement suivant en y
le pas et ce rapport se stabilise à une valeur ajoutant nos données physiologiques.
de 3:1 au cours de l'adolescence avec une U n être humain qui vient de naître ne peut
unification des deux catégories de sommeil, vivre sans la protection de sa mère. Pour l'en-
l'état inconscient. fant, la relation mère-enfant est en effet une
C e sommeil unifié contraste qualitative- question de vie ou de mort. Cette relation

32 Junji Matsumoto
(sec)
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F I G . ï. Graphique des périodes d'activité du muscle lisse de l'estomac chez le chat pendant la
dix-septième heure après l'absorption de nourriture. L'axe vertical indique l'intervalle de temps
séparant chaque potentiel de pointe et les chiffres portés en abscisse indiquent le nombre de
potentiels de pointe. L a ligne inférieure représente l'éveil, le trait gras correspond au sommeil N R S
et la configuration supérieure au sommeil R S . Les barres hachurées représentent les perturbations
de l ' E M G (électromyogramme) au cou. C'est pendant la seconde moitié de l'expérience que le chat -
commencerait à avoir faim.

L'éveil, le sommeil et le cerveau 3 3


mère-enfant, dite « unité primaire » (primary d'éveil et à réduire les heures de sommeil.
unit), exerce une influence importante sur la Entre quatre et six ans, l'enfant commence
forme d u sommeil. à s'intéresser à son environnement. Il ressent
Il est bien connu que le rythme de vie d'un le besoin de connaître les secrets de la c h a m -
nouveau-né consiste en une répétition d u bre de ses parents et éprouve des sentiments
cycle nourriture-sommeil-éveil-nourriture, de rivalité envers celui de ses parents d u
avec la prédominance d u tonus parasympa- m ê m e sexe que lui (complexe d'Œdipe).
thique dû à une extension des parois stoma- Mais, dans la journée, la vie de l'enfant reste
cales et provoquant le sommeil. D e façon réglée par l'amour de ses parents et, tant
similaire, nous avons fait des expériences sur que ses désirs sont bien évalués par eux, son
un chat affamé et avons observé que son état sommeil est suffisant. Dans le cas contraire,
d'éveil augmentait en fonction des pertur- des perturbations peuvent survenir dans son
bations des mouvements d u muscle lisse de sommeil. A u cours de l'enfance, des pertur-
son estomac (fig. ï). Il semble que la for- bations d u sommeil dans l'infrastructure
mation de l'ego prenne place au cours d u de m ê m e que des altérations des relations
cycle éveil-sommeil dans la prime enfance, parents-enfants relatives à l'environnement
c o m m e nous l'avons signalé ci-dessus. Si par familial peuvent influencer l'enfant dans sa
exemple, u n enfant est laissé pendant une superstructure.
longue période sans nourriture, état désa- A l'âge de sept ans, l'enfant acquiert u n
gréable en soi, le sommeil qui survient n'est sens de l'indépendance, observe l'heure de
certainement pas une chose agréable pour son coucher et le rythme journalier de ses
lui. repas a tendance à se rapprocher de celui des
Il s'ensuit que l'un des facteurs essentiels adultes. Avec le début de l'école, la super-
pour qu'un enfant puisse entrer normalement structure d u cerveau se développe, l'ego se
dans la phase d u sommeil est qu'il doit tou- stabilise et le sommeil devient plus facile. A
jours avoir présente à l'esprit l'image d'une cette étape, le rythme d u sommeil et de
mère équilibrée. Et l'on peut dire que l'éveil dans l'infrastructure atteint son équi-
l'infrastructure d u cerveau est déjà in- libre, similaire à celui d'un adulte.
fluencée par l'environnement dès le stade de Dans le troisième âge, le rythme m o n o -
l'enfance. phasique de Pinfrastructure devient poly-
phasique. L à encore, les facteurs sociaux
Sommeil et développement de l'ego sont importants, c o m m e le montre la fré-
quence d u rythme polyphasique chez les
Q u a n d l'ego se développe, l'enfant acquiert personnes âgées qui, retirées de la vie active
progressivement la faculté de commander de la société, ont u n travail moindre et per-
son corps et il commence à marcher et à dent ainsi le sentiment d'indépendance. U s
parler. A ce stade, 1' « unité primaire » de la somnolent pendant le jour, vont se coucher
mère et de l'enfant cesse de dépendre de la tôt le soir à cause de leur solitude et se réveil-
poitrine de la mère qui devient pour l'enfant lent donc tôt le matin. C'est un cercle vicieux
un objet de joie ou de tristesse. L e résultat de qui provoque une augmentation d u sommeil
cet état est que l'enfant commence à refuser dans la journée.
d'être laissé seul dans son lit ; le sommeil est
alors, pour l'enfant, u n « délaissement des Relations cycliques
relations » avec la mère et l'éveil n'en est que entre le cerveau et la société
la confirmation. C'est la raison qui pousse
l'enfant à retarder le m o m e n t d'entrer dans Par conséquent, au cours de la vie h u -
la phase d u sommeil. C e phénomène a donc maine, des facteurs de l'environnement so-
tendance à allonger graduellement les heures cial, par l'intermédiaire de la superstructure

34 Junji Matsumoto
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FiG. 2. Relations entre le cerveau et la société, un processus cyclique.
L'éveil, le sommeil et le cerveau 35
d'une part et des facteurs de l'environnement L e cerveau lui-même se meut, tout au
naturel par l'intermédiaire de la force vitale long de la vie, suivant une courbe hélicoï-
fondamentale et de la superstructure d'autre dale, c o m m e u n tout unifié dans lequel l'acti-
part, exercent une grande influence sur le vité consciente résultant de la combinaison
rythme de l'infrastructure, en m ê m e temps des états de conscience et d'éveil serait domi-
que se produisent des modifications fonc- nante suivant u n rythme journalier dans le
tionnelles fondamentales d u cerveau lui- rapport 2:1 (16 heures pour 8 heures). L a
m ê m e . (Cela dépend peut-être des modifi- combinaison conscience-sommeil ne pro-
cations de la force vitale, y compris de la voque pas une activité consciente mais,
totalité des cellules de l'homme lui-même.) lorsque la mémoire à court terme — qui est
L afigure2 est une tentative s'appuyant sur- une partie de la conscience — se combine
tout sur l'infrastructure d u cerveau, de re- avec le sommeil N R S , ou lorsque la mémoire
présenter les relations entre le cerveau et la à long terme se combine avec le sommeil R S ,
société sous une forme phasique. il se produit u n rêve, et lorsque chacun d'eux,
L'observation des deux phases qui consti- au cours de leur révolution, se combine avec
tuent l'infrastructure, intermédiaire entre la l'état d'éveil, il se constitue alors une m é -
superstructure et la force vitale, montre que moire de rêve en tant qu'activité consciente
dans l'état comateux que l'on désigne par et on les considère c o m m e <c rêve-pensé » et
« h o m m e végétatif », quand l'activité cons- « rêve-rêvé ».
ciente est absente, le sommeil R S se produit,
mais pas le sommeil N R S . C'est-à-dire que Relations entre le cerveau
c'est l'état d'éveil qui est directement lié à d'un individu et la société
l'activité de la superstructure et que c'est le
sommeil N R S qui est le plus facilement Le cerveau, considéré c o m m e u n cylindre
influencé par l'état d'éveil; ou, autrement comportant trois points de contact mobiles,
dit, le sommeil N R S et l'éveil sont des états déclenche les préparatifs en vue d'une action
facilement réversibles alors que le sommeil à l'égard d'un autre cerveau ou à l'égard de
R S et l'éveil, chez des sujets normaux, ne le la société — qui est u n ensemble de cer-
sont pas. O n peut donc dire que le sommeil veaux — par la mise en contact entre la
R S , contrairement au sommeil N R S , n'est conscience au niveau de la superstructure et
pas fortement hé à la superstructure mais l'éveil au niveau de l'infrastructure et par
qu'il est plutôt directement lié à la force une activité consciente (ou, en termes phy-
vitale de l'individu lui-même. siologiques, par u n mouvement volontaire)
Ainsi, l'infrastructure est-elle constituée qui se manifeste c o m m e son expression pra-
d'une sorte de circuit. C o m m e nous l'avons tique. Ici, le mouvement volontaire n'im-
décrit ci-dessus, il n'y a donc pas de passage plique pas forcément le désir individuel
direct de l'état d'éveil au sommeil R S , le c o m m e dans le matérialisme historique, mais
mouvement principal dans ce circuit ne fonc- signifie plutôt u n mouvement dans lequel le
tionne que dans u n seul sens, vers la droite principal système de mobilité impliqué est
(dans le sens des aiguilles d'une montre) un système de chemins pyramidaux — pyr-
c o m m e le montre la figure 2. Si le cerveau amidal tract system1.
est comparé à u n modèle animé, on peut ima- C e mouvement volontaire peut être sub-
giner la conscience dans la superstructure divisé, d'une part, en activité musculaire d u
c o m m e u n point de contactfixeet, les trois
états d'éveil, de sommeil R S et de sommeil
N R S dans rinfrastructure, c o m m e trois 1. Les faisceaux pyramidaux sont des faisceaux de
fibres qui relient le cortex cérébral aux cellules
points de contact sur u n cylindre mobile, motrices de la moelle épinière; ce système est
venant en contact l'un après l'autre. lié au contrôle moteur volontaire.

36 Junji M a t s u m o t o
langage externe — impliquant les muscles cet égard, doit être considéré au m ê m e ni-
utilisés pour la parole et pour l'écriture — et, veau que l'éveil.
d'autre part, en activité de travail, impliquant O n peut considérer que la recherche de la
les muscles rattachés au squelette. L e pre- signification d u sommeil y compris le rêve,
mier a une influence sur les autres cerveaux et sa place dans la fonction cérébrale, de-
et sur la société, alors que le second assure la vraient contribuer à évaluer les raisons de
capacité de production qui est le fondement l'existence de l'être humain en tant qu'indi-
de la société, si les moyens de production vidu. C o m m e nous l'avons expliqué ci-
sont à notre disposition. Ces dernières an- dessus, les facteurs de l'environnement social
nées, une trop grande recherche de la pro- exercent une grande influence sur la dyna-
duction a perturbé le cycle biologique de la mique d u sommeil à travers la conscience.
nature et déclenché u n phénomène de nui- Q u a n d on regarde la société dans son en-
sances; ce qui, à son tour, a perturbé le semble, le m o n d e a tendance, ces dernières
processus d u métabolisme entre la nature années, à porter de plus en plus les yeux vers
et l ' h o m m e , provoquant u n effet néfaste l'extérieur ; les gens s'intéressent plus à
pour la force vitale de l'individu. l'étranger qu'à leur pays, l ' h o m m e s'intéresse
A l'inverse, le cerveau d'un individu cons- aux mondes extra-terrestres ; c'est ce que
titue une conscience qui reçoit le langage l'on considère c o m m e u n développement
externe, m o y e n d'information, acquis dans fécond pour l ' h o m m e et les peuples, et l'on
la superstructure de la société, par l'inter- a fait des efforts de production indispensables
médiaire de l'activité des sens qui est une des pour leur réalisation. Mais finalement, on
activités conscientes. C e phénomène de for- commence à se rendre compte de cette ano-
mation de la conscience est aussi largement malie parce que cette productivité concur-
influencé par des stimuli sensitifs émis par rentielle a provoqué des nuisances en chaque
la nature et retransmis par l'activité des sens. point de la terre. A certaines périodes, les
Tout se passe c o m m e si cette relation entre jeunes générations de tous les pays cher-
la nature et le cerveau de l'individu était à chent une modification de conscience dans
la fois indirecte, par l'intermédiaire de la la destruction pour sortir de l'inutilité de
société, et directe, le métabolisme exerçant la production et beaucoup se précipitent
une influence sur la force de vie. — dans des désordres mentaux causés par
l'utilisation d'hallucinogènes — vers la perte
U n peu de philosophie pour conclure de conscience.
Ces derniers temps, on entend souvent
Ainsi, les relations entre le cerveau et la revendiquer le « respect humain » ; ne serait-il
société créent u n e structure phasique par pas temps de bien réfléchir ? Et dans les
l'intermédiaire de la nature. Dans cette milieux scientifiques aussi on se rend compte
structure cyclique, chaque cerveau, c'est-à- de la futilité de l'évaluation excessive qu'on
dire chaque être humain indépendant, cesse avait faite jusqu'à présent de la capacité
d'exister et l'accumulation d'activité laissée humaine pour l'activité extérieure dans le
par chaque cerveau constitue la masse de la m o n d e de l'éveil, et on réalise l'importance
société provoquant des modifications quali- scientifique de la recherche de l'intériorité de
tatives et créant ainsi l'histoire de la race l'être humain qui jusqu'à maintenant était
humaine. Mais, c o m m e l'affirme le dicton déconsidérée parce que jugée improductive.
« l'histoire se fait la nuit », le sommeil, qui N e serait-il pas temps de procéder, de m a -
intervient dans le cycle c o m m e une fonction nière purement scientifique, à des études qui
de rinfrastructure d u cerveau, est u n point permettraient de faire avancer cette quête ?
de contact permettant la mise en relation D
avec la conscience de la superstructure et, à

L'éveil, le sommeil et le cerveau 37


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38 Junji M a t s u m o t o
Recherches sur la schizophrénie :
régulation de la dopamine
dans le système mésolimbique
Janice R . Stevens

L'hypothèse d'un lien entre la dopamine et la schizophrénie est née de la constatation


que l'efficacité des médicaments actifs contre la plupart des symptômes de cette maladie
est en rapport direct avec leur pouvoir de bloquer les récepteurs de la dopamine dans le
cerveau. Pour explorer cette hypothèse, il faut comprendre les mécanismes normaux de
régulation de la dopamine cérébrale. L'examen neurologique de malades non traités révèle
certains troubles remarquables du mouvement externe et du clignement des yeux. Ces
troubles sont analysés, en tant qu'indices possibles de la pathophysiologie sous-jacente, en
relation avec les facteurs anatomiques et biochimiques qui déterminent les mouvements
oculaires à l'état de veille et dans le sommeil et les désordres neurologiques de la pathologie
connue. Les troubles du clignement d'yeux, du mouvement oculaire et du sommeil qu'on
observe chez les schizophrènes correspondent peut-être à des anomalies d'un système opto-
autonome participant à la régulation de la libération de dopamine en relation avec la
lumière et l'obscurité.

Tandis que les maladies infectieuses cessent Malgré ces troubles profonds de la vie
d'être des causes majeures de décès ou d'in- mentale, nous ne possédons guère d'indi-
validité dans les pays économiquement avan- cations sur la pathophysiologie de la schi-
cés, les troubles mentaux sont en train de zophrénie. Les malades n'ont pas de tem-
devenir la première cause de morbidité et pérature et demeurent physiquement bien
m ê m e de mortalité chez les jeunes adultes. portants bien qu'il arrive couramment qu'ils
L e moins bien compris et le plus pernicieux se plaignent de m a u x de tête ou de s y m p -
de ces troubles est la schizophrénie. Cette tômes somatiques inhabituels. Les troubles
maladie, qui se manifeste par des modifica- de la perception et de l'attention rappellent
tions insidieuses ou soudaines de l'expérience souvent ceux qu'on observe dans le petit mal
personnelle de la conscience, par u n senti- ou l'épilepsie temporale, mais l'électro-
ment effrayant d'irréalité, des craintes irrai- encéphalogramme est généralement normal.
sonnées, des troubles de la perception et des Les difficultés de concentration et de pensée,
interruptions de l'attention et de la pensée les hallucinations, la dépression et la confu-
qui s'accompagnent fréquemment de délires, sion mentale font penser à une encéphalite,
d'hallucinations et d'une perte progressive mais l'examen d u liquide céphalo-rachidien
d u sens social, des réponses affectives et de et du sang ne donne aucune indication d'in-
l'efficacité intellectuelle,. est presque aussi fection. Bien que diverses anomalies structu-
courante que le diabète et se traduit pour relles aient été mentionnées sporadiquement,
plus de la moitié de ceux qui en sont atteints l'examen macroscopique et microscopique
par une invalidité permanente. du cerveau de milliers de malades chez qui

impact : science et société, vol. 28 (1978), n° 1 39


par insuline ont été suivis d'améliorations
H Janice R . Stevens dans des cas isolés, mais ne rétablissent que
rarement u n fonctionnement normal d u cer-
Après des études à Reed College veau dans la schizophrénie chronique. M a l -
(États-Unis)y Vauteur a obtenu un doctorat gré la mise au point d'un nombre croissant
à la Faculté de médecine de l'Université d'agents pharmacologiques qui ont souvent
de Boston. Elle a fait des études une action spectaculaire sur la plupart des
postuniversitaires de neurologie, symptômes de la psychose, il n'y a guère de
de neuropathologie et raison de croire que la phannacothérapie
d'électro-encéphalographie à Boston et moderne modifie beaucoup le sombre pro-
à New Haven, et de psychiatrie en Suisse. nostic (« u n tiers de guérisons, u n tiers
Ancienne présidente de VAmerican EEG d'améliorations et u n tiers d'aggravations »)
Society, le docteur Stevens est maintenant formulé au sujet de cette maladie il y a près
présidente du Comité de cette société d'un siècle.
pour la collaboration internationale L a schizophrénie se rencontre dans tous
en matière de recherche et d'éducation les pays, mais il semble qu'elle soit plus
et est également associée à c o m m u n e et plus grave dans les climats tem-
reorganisation internationale de recherche pérés de l'hémisphère nord et qu'elle prenne
sur le cerveau. Elle décrit ses travaux des formes moins malignes dans les régions
sur la schizophrénie comme « un domaine tropicales. O n ne sait trop si cela tient à la
relativement exotique de la nature de la maladie, à des différences de
neurophysiologie », mais considère que diagnostics o u d e notification, à l'effet de
son action la plus utile est la proposition l'environnement ou à une plus grande tolé-
qu'elle a présentée à plusieurs ministères rance de la collectivité, dans ces régions, à
de la santé sur « le rôle que pourraient avoir l'égard des individus atteints.
les techniques de modification
du comportement dans la régulation
Progrès récents
de la croissance de la population des recherches sur la schizophrénie
dans les pays en développement ».
Elle enseigne la neurologie et la psychiatrie L'hypothèse de la dopamine
à V Université de l'Oregon.
Son adresse est la suivante : Trois grandes découvertes faites au cours des
University of Oregon Health vingt-cinq dernières années ont profondé-
Sciences Center, Portland O R 9J20i ment modifié l'orientation des recherches sur
(États-Unis d'Amérique). l'étiologie (étude des causes pathologiques)
de la schizophrénie.
ï. Découverte, en 1952, par Delay et Deni-
une schizophrénie avait été diagnostiquée ker que certains antihistaminiques, les
n'a fait apparaître aucune pathologie cohé- dérivés de la phénotiazine, sont efficaces
rente. Les facteurs génétiques semblent i m - contre u n grand nombre des symptômes
portants, mais n e cadrent avec aucun type de la schizophrénie [ï]1, puis constatation
spécifique de transmission héréditaire. que tous les agents efficaces contre les
Toute une génération de psychiatres a psychoses ont la propriété de bloquer les
traité la schizophrénie, sans résultats appré- récepteurs d u neurotransmetteur, la dopa-
ciables, par la psychanalyse, la psychothéra- mine, dans le cerveau [2,3].
pie et divers types de thérapie (de confronta-
tion, de soutien, de groupe et familiale). Les 1. Les chiffres entre crochets renvoient à la
traitements chirurgicaux, par électrochocs et bibliographie à la fin de l'article.

40 Janice R . Stevens
Glossaire

Choree. Mouvements involontaires, aux noyaux d u bulbe rachidien


intermittents ou continus qui et d u thalamus.)
interviennent généralement sur Noyau caudé. Large masse cellulaire
les membres ou sur la face. subcorticale située sur la partie latérale
Dopamine. Catecholamine dérivée de d u ventricule latéral d u cerveau.
la tyrosine ; on pense qu'elle joue Phylogenese. Évolution d'un groupe
le rôle de médiateur chimique dans biologique à partir de sa forme
la conduction de l'influx nerveux la plus simple.
dans le cerveau. Potentiation. Renforcement de l'action..
Epinephrine. Catecholamine sécrétée par Potentiel d'action de pointe. Mouvements
la médullo-surrénale, dérivée ondulatoires manifestes de
par N-méthylation de l'apophyse, d u noyau géniculé latéral
la norepinephrine et largement et d u cortex occipital enregistrés
répandue dans le sang. chez u n dormeur à mouvements
Hormone Iutéinisante. H o r m o n e sécrétée oculaires rapides.
par la glande pituiraire et stimulant Putamen. Segment latéral de neostriatum,
les cellules epitheliales et interstitielles histologiquement et chimiquement
de l'ovaire et d u testicule. identique au noyau caudé.
Metabolite. Substance formée par R P A . Région pédonculaire antérieure
u n processus biochimique. — noyau pigmenté d u mes encéphale
M R E . .Mouvements rapides de l'œil qui se trouve au milieu de la S N
caractérisant le stade d u sommeil et qui, c o m m e elle, provoque
pendant lequel se produisent la circulation ascendante de la dopamine
les rêves visuels. (voir système limbique).
Neostriatum. N o y a u caudé et putamen. Sclérotique. M e m b r a n e fibreuse blanche
Neuroleptique. N o m donné à une catégorie de l'œil qui déborde l'iris.
de médicaments utilisés dans Serotonine. Indolamine dérivée
certains troubles mentaux, en particulier d u tryptophan et considérée c o m m e
les troubles psychotiques ; tous médiateur ou modulateur chimique
les médicaments de cette catégorie de l'influx nerveux dans le cerveau.
bloquent les récepteurs de la dopamine SN. Substance noire — noyau
dans le cerveau. d u mésencéphale qui contient de
Norepinephrine. Médiateur chimique la dopamine et déclenche le passage
du groupe des catecholamines de la dopamine du noyau caudé et
intervenant dans la conduction d u putamen par les voies nigro-striées.
de l'influx nerveux dans le cerveau Système D A . Corpuscules cellulaires
obtenue par hydroxylation de et axones d u cerveau qui sécrètent,
la dopamine. emmagasinent et transmettent
Noyau arciforme. Groupe de cellules la dopamine.
contenant de la dopamine situées Système limbique. Sur le plan
dans le tubercinereum de phylogénétique, ancienne partie
l'hypothalamus immédiatement derrière d u cerveau formant u n arc (limbe) . .
la tige pituitaire. (Le n o m de noyau . autour d u corps calleux et
arciforme est également donné d u ventricule latéral ; comprend

Nouvelles découvertes sur la schizophrénie 41


les circonvolutions d u corps calleux, du mésencéphale (cerveau moyen)
l'hippocampe, les amygdales et et se terminant dans les noyaux
leurs ramifications subcorticales. subcorticaux d u corps strié antérieur
Système mésolimbique. Trajet de la dopamine (bulbe olfactif, noyau de
commençant dans le pédoncule antérieur la bandelette semi-circulaire).

2. Mise au point de techniques de fluo- le noyau arciforme de Pinfundibulum tulé-


rescence par Falck, Hillarp et ah, qui rien (IT) de l'hypothalamus qui se projette
ont permis de découvrir dans le cerveau en direction de la tige pituitaire. D e la S N ,
des voies de neurotransmission par des axones montent pour s'y ramifier profu-
monoamines (dopamine, noradrenaline, sément, jusque dans le noyau et le putamen
Serotonine) [4]. caudés (neostriatum), structure nucléaire
3. Mise au point de méthodes pour l'étude massive d u prosencéphale qui reçoit aussi
quantitative de ces monoamines cérébra- des projections topographiques ordonnées de
les, de leurs metabolites, de leurs précur- fibres de tout le néocortex et qui se projette
seurs, de leurs sites de liaison et de leurs jusqu'à l'aire motrice d u cortex par l'inter-
effets physiologiques, ainsi que pour la médiaire de relais thalamiques et cérébelleux
détermination des syndromes cliniques et (fig. 1). Parallèlement les axones des neu-
expérimentaux associés à des déficiences rones dopaminergiques occupant une posi-
spécifiques en monoamines, par exemple tion plus médiocre dans la Z T V montent
la maladie de Parkinson, ou à une p o - dans des masses nucléaires phylogénétique-
tentialisation pathologique, par exemple ment plus anciennes mais histologiquement
psychose induite par des amphétamines. similaires occupant une position ventrale
Ces progrès ont eu de profondes répercus- et médiocre par rapport au neostriatum :
sions sur la recherche concernant la schizo- nucleus accumlens, septum latéral, tubercule
phrénie, la manie, la dépression et divers olfactif, noyau de la bandelette semi-
problèmes neurologiques et médicaux et sur circulaire, bandelette diagonale et amygdales
leur traitement. L a découverte d'un lien centrales [5, 6].
étroit entre l'efficacité des neuroleptiques C o m m e le putamen caudé, ces structures
contre les symptômes de la schizophrénie et placées de façon plus axiale, qui sont consi-
leur pouvoir de bloquer les récepteurs de la dérées c o m m e u n élément d u cerveau olfac-
dopamine dans le cerveau a amené à la tif des espèces macromatiques, présentent
conclusion que les systèmes dopaminergi- aussi une réaction colorée intense caractéris-
ques centraux intervenaient dans la patho- tique de terminaisons dopaminergiques chez
physiologie de la schizophrénie et a donné tous les mammifères, y compris l'homme.
naissance à une « hypothèse dopamine » Contrairement au neostriatum (putamen
susceptible d'éclairer l'étiologie de la psy- caudé), ces récepteurs nucléaires médio-
chose [3]. ventraux de terminaisons dopaminergiques
ne reçoivent aucun influx appréciable d u
Anatomie des voies néocortex, mais sont en revanche le Heu de
dopaminergiques cérébrales convergence d'axones projetés de parties
plus anciennes d u cerveau responsables des
Les neurones dopaminergiques ne se trou- comportements d'exploration, de défense, de
vent que dans trois noyaux d u cerveau fuite, d'alimentation, de reproduction, de
de tous les mammifères : la substance noire reconnaissance sociale et de création de liens
( S N ) , la zone tegmentale ventrale ( Z T V ) et sociaux qui visent à assurer la prévention de

42 Janice R . Stevens
F I G . I. Parallèlement aux systèmes sensorimoteurs néocorticaux qui convergent vers le putamen
caudé, des projections de l'hippocampe (Hippo), des amygdales ( A m ) et du cortex piriforme (CP)
convergent sur le striatum limbique (nucleus accumbens, Ace), tubercule olfactif ( T O ) et noyau
de la bandelette semi-circulaire ( N B S C ) . O n aurait donc une voie reliant le striatum limbique au
lobe frontal (LF) et à l'hypothalamus par le globus pallidus (GP), qui serait analogue à la projection
néostriatale jusqu'au G P et au système moteur. Les zones hachurées représentent la rétroaction
présumée au moyen d'un code Gaba du corps strié aux cellules d'origine de la dopamine. (Adapté
de'Klinger et Gloor, et de Stevens [32, 6, 38].)

Nouvelles découvertes sur la schizophrénie 43


la vie et de l'espèce. Les structures anato- dopamine ou une depletion en dopamine
miques qui remplissent ces fonctions, c o m m e d'un ou plusieurs noyaux du striatum lim-
l'hippocampe, les amygdales, le cortex « ol- bique facilitera ou, au contraire, retardera
factif » et leurs projections sous-corticales anormalement l'accès à la conscience et la
constituent le système limbique. traduction en termes de comportement de
L e parallélisme entre lesfibresafférentes ces pulsions, perceptions et réponses é m o -
du large manteau cortical au neostriatum tionnelles archaïques liées à la peur, au
d'une part, et des multiples sites limbiques désir sexuel, à la rage, au sentiment de lien
corticaux et sous-corticaux aux noyaux d o - social et au territoire qui sont « précâblées »
paminergiques d u prosencéphale ventral, dans le système limbique du cerveau de tous
d'autre part, nous a amenés à proposer le les vertébrés [7].
n o m de striatum limbique pour ce dernier. Étant donné cette relation unique du stria-
C e parallèle s'étend aux systèmes efférents tum limbique avec les axones afférents de
du neostriatum et d u striatum limbique. L e l'hippocampe, des amygdales et d u cortex
neostriatum est le point de départ de projec- piriforme, qui sont les centres d u cerveau
tions qui passent par le globus pallidus pour assurant chez les mammifères la régulation
atteindre le thalamus latéral ventral, le cer- des pulsions exploratoires, défensives, repro-
velet et l'aire motrice d u cortex — voies ductrices et sociales, et étant donné que ce
essentielles pour le b o n fonctionnement d u sont ces comportements m ê m e s qui sont
comportement moteur fin. D e son côté, le précocement et profondément perturbés chez
striatum limbique est le point de départ de les schizophrènes, nous avons axé nos re-
projections qui, par l'intermédiaire du palli- cherches sur les signes neurophysiologiques
d u m ventral, atteignent l'hypothalamus et le et cliniques d'une mauvaise régulation de la
lobe frontal, régions déterminantes pour les dopamine dans le système limbique. L a
réponses émotionnelles et les fonctions intel- fonction d u système dopaminergique méso-
lectuelles complexes. L a proportion élevée limbique a été beaucoup moins explorée que
des influx partant d u néocortex et d u cortex celle d u système nigrostriatal, dont la dégé-
limbique par rapport aux influx « produits » nérescence produit la maladie de Parkinson
par le pallidum par l'intermédiaire de ces et dont Pactivation, par des précurseurs
« nouveaux s et « anciens » systèmes striés a et des protagonistes de la dopamine ( c o m m e
conduit à l'hypothèse que les corps striés la L-dopa et les amphétamines), induit
peuvent être considérés c o m m e des « c o m - des mouvements anormaux (dyscinésies) et
mutateurs » sensibles à la dopamine qui des comportements stéréotypés propres à
filtrent les informations provenant d u néo- chaque espèce. L'hypothèse dopaminergique
cortex et des dérivations corticales limbiques, de l'étiologie de la schizophrénie, fondée
respectivement, avant de les transmettre aux sur l'amélioration remarquable des s y m p -
voies finales de réponse effectivo-motrice tômes schizophréniques après administration
coordonnée [6] (fig. ï). d'agents bloquant les récepteurs de la dopa-
mine, semble indiquer qu'on est en présence
d'une hyperactivité de la transmission de
Quelques anomalies
la dopamine o u d'une hypersensibilité à
Les anomalies de la transmission de la dopa- celle-ci dans une o u plusieurs régions d u
mine dans le neostriatum causent des trou- cerveau.
bles graves de la motricité, c o m m e dans la Cette hypothèse amène à se poser deux
maladie de Parkinson, des dyscinésies (mou- grandes questions :
vements anormaux) et les chorees. L'hypo- 1. Constate-t-on chez les schizophrènes des
thèse d u « commutateur » laisse prévoir indices cliniques et pharmacologiques de
qu'une activité pathologique au niveau de la troubles de la fonction des centres d u

44 Janice R . Stevens
cerveau recourant à la dopamine c o m m e (absence de clignement, clignement paroxys-
transmetteur ? tique ou rapide, clignement régulier et sou-
2. C o m m e n t la libération et la fixation de la tenu au rythme de 2,5 à 3 par seconde, perte
dopamine se règlent-elles dans le cerveau ou facilitation du réflexe de clignement).
et, en particulier, dans le système m é - Quant aux anomalies des mouvements laté-
solimbique ? raux de l'œil, ce sont notamment les sui-
Pour répondre à la première de ces questions, vantes : lentes secousses oscillatoires sponta-
nous s o m m e s retournés dans les chambres et nées (brefs et rapides mouvements de l'œil),
les foyers d'hôpitaux psychiatriques afin de coups d'œil inquisiteurs très rapides, coups
réexaminer les aspects neurologiques des d'oeil latéraux uniques et inexpliqués, inter-
troubles schizophréniques. C e faisant, nous ruptions brusques d u fonctionnement har-
avons redécouvert u n certain nombre de monieux d u regard. Les modifications d u
signes neurologiques qui ont été décrits rythme de clignement et les secousses h o -
c o m m e caractéristiques de la démence pré- rizontales allaient fréquemment de pair avec
coce et de la schizophrénie vers le début de des états subjectifs anormaux (rêverie au-
ce siècle, lorsque la neurologie et la psy- tistique, hallucinations visuelles ou auditives,
chiatrie constituaient une seule spécialisation excitation sexuelle, sentiment de danger)
médicale. [voirfig.2].

Études cliniques Quelques cas concrets

Localisation cérébrale des signes U n h o m m e de trente-sept ans, hospitalisé


et des symptômes de la schizophrénie depuis près de vingt ans pour une schizo-
phrénie qui s'était déclarée pendant son
A u cours des cinq dernières années, l'auteur adolescence, se tenait des heures durant
a procédé à des examens neurologiques sur contre le m u r de la salle où il se trouvait et
près de 300 malades chez lesquels avait été ne cessait de tourner les yeux d'un côté et de
diagnostiquée une schizophrénie. Pour 50 de l'autre c o m m e s'il suivait un match de tennis.
ces patients, l'examen a été effectué avant E n m ê m e temps, il se tordait régulièrement
traitement ou après interruption de tout m é - les mains, claquait des doigts, se faisait des
dicament pendant une période d'un mois à signes à lui-même en souriant etriantsans
trois ans. Outre les examens psychiatriques motif. L e soir, lorsqu'il se couchait, il gar-
et neurologiques classiques, des électro- dait la tête à quelques centimètres au-dessus
encéphalogrammes ( E E G ) et des électro- du matelas (« oreiller psychologique ») et
oculogrammes ( E O G ) verticaux et horizon- continuait pendant plusieurs heures à faire
taux ont été pratiqués en permanence par aller ses yeux à droite et à gauche jusqu'à ce
radiotélémétrie, avec enregistrement poly- qu'il s'endorme enfin.
graphique sur bande magnétique, pendant U n h o m m e de vingt-cinq ans avait eu des
des périodes de 2 à 24 heures, sur 34 malades crises d'angoisse et de vomissements à seize
ne recevant aucun médicament et dont le ans, juste avant de passer des examens d'en-
comportement était lui aussi continuellement trée à l'université. Il avait ensuite c o m m e n c é
observé. Exception faite des anomalies carac- à se négliger, à vagabonder, à boire et à
téristiques de leur état mental, les signes les commettre de menus larcins, et il avait été
plus fréquemment constatés chez tous ces renvoyé de plusieurs écoles. Alors qu'il se
malades étaient liés à l'activité externe de comportait auparavant c o m m e u n garçon
l'œil. Ils consistaient notamment en troubles intelligent et bien élevé, il était devenu in-
liés au regard (fixité ou regard extrêmement dolent, soupçonneux, parfois violent et agres-
fuyant), en anomalies d u clignement d'yeux sif à l'égard de sa famille. Il avait menacé de

Nouvelles découvertes sur la schizophrénie 45


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•^ » • ^ < — » ^ " V — ^ ^ w O > . * • .••I.I^,I. . 5

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6/3 9 : 34 p m Calme, regard fixe Marmonnant pour lui-même

F I G . 2 . Électro-encéphalogramme (1-4) et électro-oculogramme (5-6) d'un


schizophrène de vingt-deux ans avec enregistrement polygraphique
par radiotélémétrie. Pendant une période de rêverie autistique,
des mouvements latéraux rythmiques des yeux ont été enregistrés
(canal inférieur). L ' E E G n'a rien de remarquable, si ce n'est une
< contamination > par les potentiels des mouvements oculaires. Les
règles internationales normalisées de placement des électrodes ont été
observées.

Schizophrène chronique Sgée de 46 ans Q G 3/25/76 5:54 pm


Sans traitement depuis quatre mois

50 ¡iV

^Vv^élv/*"v~J\/~,"->V*Y*A/^^^/~l,A^

100 nv

tA^p^^r^yV^-^VVMA^WlAAA^Y^1
Mouvement
/
vertical
de l'œil

Dans le foyer de l'hôpital Clignement, marmonnement

Mouvement
latéral
de l'œil
•r-^^r^^K^-yJ^rJ\fj^^^
I 1
5 cm

F I G . 3. E E G et E O G d'une schizophrène chronique de quarante-six


ans effectués alors qu'elle était assise dans le foyer de l'hôpital et
qu'elle marmonnait pour elle-même. Placement des électrodes
c o m m e à lafig.2 .

46 Janice R . Stevens
se suicider et affirmé qu'il ne savait pas qui intermittence. Ces épisodes ont été inter-
il était. Il a été hospitalisé presque conti- rompus par des stimuli distrayants qui ont
nuellement à partir de l'âge de dix-neuf ans attiré son attention (fig. 2).
et a été traité par administration de divers U n e f e m m e de quarante-six ans chez la-
neuroleptiques sans que son état s'améliore quelle une schizophrénie chronique avait été
beaucoup. U n e série d'électrochocs a amené diagnostiquée vingt ans auparavant était
une brève période de rémission. L'année tranquillement assise dans le foyer de l'hô-
suivante, il s'est plaint qu'il était en train de pital. Elle fumait, l'air préoccupé, en m a r -
« devenir quelqu'un d'autre » et a voulu se monnant. Elle ne cessait de jeter de rapides
suicider pour « se débarrasser de l'autre ». Il coups d'oeil sur cette pièce qui lui était fa-
a aussi exprimé la crainte d'avoir commis des milière, mais ne voulait pas ou ne pouvait
viols. pas expliquer ce comportement et niait fer-
Lorsque nous l'avons examiné, six ans m e m e n t qu'il soit hé à des hallucinations
après que sa maladie se fut déclarée, nous quelconques. Pendant u n entretien struc-
l'avons trouvé débraillé, désorienté, sans m o - turé, elle s'est interrompue de la m ê m e
tivation. Il se plaignait par intermittence manière pour lancer sur le côté de la pièce
d'être distrait par des voix. Il était incapable des coups d'oeil qu'elle ne pouvait expliquer
d'effectuer sur ordre u n mouvement se dé- (fig- 3).
composant en trois phases ou d'imiter des U n travailleur migrant de trente-trois ans
mouvements des mains. Il marchait les jam- souffrant de schizophrénie chronique sem-
bes légèrement écartées, tenait ses bras très blait avoir deux états de conscience. Lors-
raides et éloignés de son corps et ne cessait qu'il parlait aux membres du personnel ou à
de plier et de déplier les quatrième et cin- d'autres malades, il les regardait normale-
quième doigts de chaque main. Ses fonctions ment dans les yeux et formulait des observa-
intellectuelles étaient nettement diminuées. tions pertinentes, bien qu'entièrement limi-
Les nerfs crâniens étaient intacts, exception tées à des banalités conventionnelles. Sinon,
faite des troubles d u mouvement oculaire. Il il revenait immédiatement à une conversa-
avait u n regard fuyant et était incapable de tion animée avec des voix imaginaires. U n
cligner rapidement des yeux sur ordre ou de accroissement remarquable d u rythme de
les tourner sur le côté sans tourner aussi la clignement et des mouvements saccadés des
tête. Il s'interrompait fréquemment lorsqu'il yeux se produisait alors (fig. 4).
essayait de suivre une lumière se déplaçant Presque tous les malades que nous avons
lentement de côté ; ses yeux revenaient alors examinés avaient été traités auparavant au
brusquement en position médiane. Les ré- m o y e n d'agents antipsychotiques. Bien qu'on
flexes et les sensations au niveau des tendons sache que ces médicaments causent divers
profonds étaient intacts. Les réflexes de suc- troubles du mouvement, particulièrement de
cion, de préhension, de constriction des m â - la bouche, de la langue et des extrémités, les
choires et de tremblement d u menton étaient mouvements buccaux anormaux étaient rares
absents. A u c u n mouvement spontané inha- chez ces malades. D e plus, des troubles ana-
bituel des yeux n'a été constaté pendant logues d u mouvement oculaire ont été cons-
l'examen neurologique proprement dit. tatés chez des malades examinés avant tout
A u cours de la troisième heure d'électro- traitement et ont été signalés dès le début de
encéphalographie et d'électro-oculographie ce siècle, bien avant l'apparition des neuro-
par télémétrie, de longues périodes d'oscil- leptiques, par Kraepelin et d'autres clini-
lation latérale des yeux sont intervenues pen- ciens [8]. Immortalisés par Donazetti, qui,
dant que le malade était étendu tranquille- dans ses instructions pour la scène de la
ment sur son ht, manipulant ses organes folie, a décrit de façon expressive les rapides
génitaux et marmonnant pour lui-même par coups d'œil lancés, c o m m e si elle cherchait

Nouvelles découvertes sur la schizophrénie 47


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F I G . 4 . E E G et électro-oculogramme latéral d'un travailleur migrant
de trente-trois ans atteint de schizophrénie chronique ; attestant u n
accroissement des mouvements oculaires lorsqu'il s'entretient avec des
voix imaginaires. Première ligne : E E G de la région pariétale droite ;
deuxième ligne : E O G ; troisième ligne : rythme cardiaque.
48 Janice R . Stevens
quelqu'un ou quelque chose, par la malheu- général confirmé les leurs pour ce qui est de
reuse Lucia de L a m m e r m o o r , ces m o u v e - la constance surprenante d u clignement
ments oculaires des malades atteints de schi- d'yeux spontané dans des conditions iden-
zophrénie rappellent l'activité de « contrôle » tiques. L'observation de singes sauvages
visuel des chats et des singes placés dans des révèle que ces animaux ont un rythme de
environnements étranges ou effrayants et les clignement d'yeux spontané semblable à
mouvements oculaires que provoque l'ad- celui de l ' h o m m e , mais s'accroissant de
ministxation d'amphétamines, d'apomor- façon marquée dans les comportements m e -
phine, de cocaïne et d'autres médicaments naçants et dans certains comportements de
potentialisant de la dopamine. Ces troubles salutation.
frappants d u regard, du clignement d'yeux et L a constance de ce rythme pour chaque
des mouvements latéraux des yeux constatés espèce a conduit Ponder et Kennedy à pré-
chez les schizophrènes sont mal compris et sumer que le clignement d'yeux spontané
ont généralement été interprétés c o m m e des doit remplir une fonction autre que le net-
expressions d'un état sous-jacent de peur, toyage et la lubrification des yeux. Notant
d'hostilité ou d'aliénation sociale. qu'un des premiers symptômes du parkinson
postencéphalitique est l'absence presque to-
Modulation
tale de clignements d'yeux, ces chercheurs
du clignement d'yeux spontané ont émis l'idée, il y a plus de cinquante ans,
que le clignement d'yeux normal était lié à
Bien que de nombreuses études traitent de la l'intégrité des ganglions de la base du cer-
physiologie et de la pathologie clinique des veau. L e traitement par des drogues anti-
mouvements conjugués des yeux et d u di- psychotiques bloquant la dopamine diminue
gnement d'yeux réflexe, il existe peu de p u - le clignement d'yeux spontané et potentialise
blications sur les caractéristiques quantita- le clignement d'yeux réflexe chez l ' h o m m e ,
tives ou la pathophysiologie d u clignement alors que le traitement à la L-dopa accroît le
d'yeux chez l'homme et les animaux. Dans clignement d'yeux spontané et normalise le
l'une des quelques études qui ont été faites clignement d'yeux réflexe chez les malades
sur le clignement d'yeux spontané chez présentant la déficience centrale en dopamine
l'homme, Ponder et Kennedy ont indiqué caractéristique de la maladie de Parkinson.
que œlui-ci est rare ou absent pendant la E n revanche, u n traitement prolongé ou
première enfance, que le rythme adulte est excessif à la L-dopa entraîne fréquemment
atteint dans les derniers mois de la première des dyscinésies avec spasmes des paupières
année de la vie et qu'il reste ensuite remar- et clignements d'yeux paroxystiques. Ces
quablement constant pour chaque individu observations viennent étayer l'hypothèse for-
dans des conditions données [9]. Ces cher- mulée il y a un demi-siècle par Ponder et
cheurs ont également constaté qu'il n'était Kennedy d'un rôle essentiel joué dans la
pas modifié par la lumière, la chaleur, l'hu- régulation du clignement d'yeux par les gan-
midité, l'anesthésie de la cornée ou m ê m e la glions de la base d u cerveau qui, a-t-on
destruction de la totalité du cinquième nerf démontré depuis lors, constituent le princi-
crânien, mais qu'il était par contre étroite- pal point de dépôt de la dopamine cérébrale.
ment lié à l'état émotionnel et à la fixation
visuelle. . Clignements d'yeux, mouvements oculaires
N o u s avons constaté, quant à nous, que le paroxysmiques, mouvements oculaires
rythme d u clignement d'yeux spontané chez rapides dans le sommeil
les individus normaux est u n peu plus va-
riable que ne l'ont indiqué Ponder et Il y a plusieurs relations entre le clignement
Kennedy, mais nos observations ont en d'yeux spontané ( C Y S ) et les mouvements

Nouvelles découvertes sur la schizophrénie 49


oculaires rapides ( M O R ) d u sommeil para- Mouvements anormaux
doxal. Le C Y S c o m m e les M O R se produi- des yeux et système limbique
sent à un rythme relativement constant chez
tous les mammifères dans des conditions Quelle est la signification des troubles des
restant identiques. Fendant le sommeil para- mouvements externes et d u clignement des
doxal ( M O R ) , des ondes épisodiques d e yeux dans la schizophrénie et la maladie de
voltage élevé émises par la protubérance Parkinson ? Dans l'analyse ci-dessus, il a été
annulaire, le corps géniculé latéral et le cor- noté que les malades chez lesquels une schi-
tex occipital sont visibles chez le chat sur les zophrénie a été diagnostiquée présentent u n
électro-encéphalogrammes (pointes ponto- certain nombre de signes et de symptômes
géniculo-occipitales — P G O ) et s'accompa- qui sont très caractéristiques d'une pertur-
gnent de petites contractions d u muscle bation du fonctionnement du système lim-
orbiculaire des paupières analogues à u n bique d u cerveau. D e s signes et des s y m p -
clignement d'yeux [10]. tômes similaires sont fréquemment observés
Les malades atteints d'une maladie de c o m m e épisodes fragmentaires dans les crises
Parkinson non traitée, chez qui le C Y S d'épilepsie psychomotrice, désordres qui ont
diminue beaucoup, de façon caractéristique, leur source dans le système limbique.
pendant le jour, clignent rapidement des Outre les distorsions caractéristiques de la
yeux avant de s'endormir lorsque la lumière perception, les sentiments de crainte, d'ir-
est éteinte, puis ferment spasmodiquement réalité et de déjà vu, les crises psychomotrices
les paupières et ont des accès de digne- ainsi que la schizophrénie, s'accompagnent
ment d'yeux paroxystique pendant les pé- fréquemment d'anomalies d u mouvement
riodes de M O R [il]. Après administration oculaire et de l'activité buccale, par exemple
de parachlorophénylalanine ( P C P A ) , médi- regard fixe, mouvements inquisiteurs des
cament qui provoque une depletion d u cer- yeux, regard conjugué latéral, mouvements
veau en Serotonine et cause des insomnies de mastication, claquement des lèvres. Ces
frappantes, le clignement d'yeux s'accroît de automatismes primitifs fragmentaires liés à
façon marquée et précède souvent chez le l'exploration et à l'alimentation que l'on
chat des accès de mouvements latéraux des constate dans Pépilepsie psychomotrice sont
yeux [12]. D e m ê m e que la privation de habituellement provoqués par une décharge
sommeil paradoxal tend à provoquer des névrotique excessive dans le cortex limbique
accès ou une récurrence de M O R il est rare- et les amygdales, structures qui se projettent
ment possible d'interrompre le C Y S pen- jusqu'au striatum limbique (nucleus accum-
dant plus de 25 à 30 secondes. L a pression bens, tubercule olfactif, noyau de la bande-
poussant à cligner des yeux peut alors être lette semi-circulaire). L a voie efFérente pour
soulagée par u n mouvement latéral de l'œil. le nucleus accumbens, qui est le plus grand
Lorsqu'on cligne des yeux, au m o m e n t où complexe nucléaire du striatum limbique, se
les paupières se ferment, l'oeil roule vers le projette, étant donné qu'il occupe dans le
haut (phénomène de Bell), exposant la marge prosencéphale une position plus médiane que
inférieure de la cornée et de la sclérotique à le neostriatum, jusqu'aux noyaux occupant
la lumière ambiante à travers lefiltrerouge eux-mêmes une position plus médiane dans
des paupières closes. Les M O R sont pareil- le tronc cérébral [13], qui assurent la régula-
lement associés à de brèves expositions pul- tion du mouvement oculaire et d u compor-
sátiles répétées de l'extrême périphérie de la ment buccal.
rétine à la lumière à travers les paupières Selon l'hypothèse d'un « commutateur »
closes. Il a été montré dans notre laboratoire strié, la dopamine, en équilibre avec d'autres
et dans d'autres que ces deux phénomènes neurotransmetteurs, assure la régulation du
s'accompagnent de potentiels visuels. passage par les corps striés d'influx transmis

50 Janice R . Stevens
par les fibres efférentes des structures néo- E . Costa, observations non publiées). La sti-
corticales et limbiques jusqu'aux voies finales mulation répétée par de faibles courants
menant à la perception et au comportement. électriques {kindling) de la Z T V provoque
L a régulation de la libération de dopamine des modifications chroniques d u comporte-
dans le corps strié est donc u n déterminant ment similaires à celles que suscite la
crucial d u seuil de conscience des stimuli et bicuculline sur u n m o d e aigu [16].
de réponse motrice. Notre attention a été attirée sur la Z T V
parce que c'est l'origine de la voie dopami-
nergique menant au système de « c o m m u -
La libération de dopamine
est-elle modulée
tation » limbique strié intervenant, d'après
par le photopériodisme? les observations cliniques, dans la patho-
physiologie de la schizophrénie. L a déter-
O n considérait initialement que la régulation mination des systèmes de régulation qui
de la libération de dopamine dans le neo- influent sur la libération de dopamine ou
striatum dépendait d'une voie inhibitrice sur la sensibilité à la dopamine dans la voie
rétroactive d'acide gamma-amino-butyrique et les terminaisons mésolimbiques est donc
(Gaba), qui reliait les éléments cellulaires fondamentale pour la recherche des causes
postsynaptiques d u putamen caudé à la et du traitement de la psychose. D e s études
substance noire. Dans une série d'expé- récentes de di Chiari et al. [17] amènent à
riences destinées à élaborer u n modèle douter que la régulation de la dopamine
d'hyperactivité de la dopamine mésolim- dans le neostriatum s'opère par des voies
bique chez l'animal, nous avons introduit de inhibitrices rétroactives ayant leur origine
la bicuculline, agent bloquant le Gaba, dans dans les récepteurs striés postsynaptiques et
la zone tegmentale ventrale du mésencéphale à rechercher, par conséquent, des méca-
(origine d u système dopaminergique méso- nismes de contrôle additionnel ou de rem-
limbique) chez des chats éveillés et laissés placement. Parmi les systèmes possibles de
libres qui portaient des électrodes et des régulation de la dopamine traversant la
canules implantées en permanence. U n e Z T Vfigurentdes voies efférentes des noyaux
injection locale de l'antagoniste d u Gaba noradrénolinergiques et sérotoninergiques
dans le Z T V a causé des modifications frap- qui passent par le faisceau prosencéphalique
pantes d u comportement et de l ' E E G : médian, des fibres descendant d u nucleus
regard fixe, peur, regards fureteurs, dissi- accumbens, de l'hypothalamus, de l'habénula
mulation, fuite et mouvements oculaires (noyau de la tige pinéale) et lesfibrestermi-
latéraux o u clignement d'yeux paroxys- nales de la bandelette optique accessoire
tique [14]. Ces activités s'accompagnaient inférieure. Notre attention a été attirée sur
souvent de pointes de haut voltage dans le cette dernière par les troubles marquants d u
nucleus accumbens ipsilatéral, qui constitue mouvement oculaire que présentent les
une des principales terminaisons du système malades chez qui a été diagnostiquée une
dopaminergique mésolimbique. O r c'est jus- schizophrénie.
tement dans cette région que Heath et L a terminaison médiane d u système op-
d'autres chercheurs ont signalé des pointes tique accessoire fait partie d'un système
d'activité chez l ' h o m m e schizophrène [15] opto-mésencéphalique et opto-vestibulaire
(fig- 5). archaïque que l'on rencontre chez tous les
Les premières indications obtenues m o n - mammifères et qui prend naissance dans les
trent que la dopamine se renouvelle plus cellules ganglionnaires de la périphérie de
vite dans le nucleus accumbens lorsque le la rétine dont les axones se séparent de la
G a b a est bloqué dans la substance noire m é - bandelette optique juste au-delà d u chiasma
diane (L. Northup, J. Stevens, A . Guidotti, pour aboutir dans la calotte mésencéphalique

Nouvelles découvertes sur la schizophrénie 51


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52 Janice R . Stevens
F I G . 5. Activité électrique enregistrée par des électrodes intracerebrales
bipolaires isolées d'acier inoxydable, implantées en permanence par
stereotaxic sur u n chat. E n haut : 13 minutes après introduction
de l'agent bloquant le Gaba (bicuculline) dans la zone tegmentale
ventrale du mésencéphale — origine du système dopaminergique
mésolimbique. L e chat regarde fixement sans bouger pendant qu'une
activité épileptiforme est enregistrée par les électrodes dans le noyau
caudé, les amygdales cérébelleuses et l'hippocampe (mais non dans le
cortex cérébral ou la zone d'injection). E n bas, à gauche : 10 minutes
après l'injection de bicuculline dans la Z T V droite, décharge
épileptique focale dans le noyau associée à de brusques mouvements
latéraux des yeux. E n bas, à droite : mouvements latéraux convulsifs
des yeux associés à une décharge en « pointe > à partir d u nucleus
accumbens, deux jours après une lésion chimique produite par
l'administration de 6 hydroxydopamine.

F I G . 6. Représentation graphique des projections de la rétine au


noyau suprachiasmatique de l'hypothalamus ( N S H ) et au noyau optique
accessoire ( N O A ) , à proximité des cellules dopaminergiques de
l'infundibulum tubérien, de la substance noire (SN) et de la zone
tegmentale ventrale ( Z T V ) . L a ligne brisée marque la voie
multisynaptique menant à la moelle et aux ganglions cervicaux
supérieurs et, de là, à la glande pinéale (Pin). Signification des autres
sigles : H B = habénula, T Q A = tubercule quadrijumeau antérieur,
C G L = corps géniculé latéral et C O = chiasma optique.

Nouvelles découvertes sur la schizophrénie 53


dorsolatérale entre la substance noire et la tiques quantitatives concernant la longueur
Z T V [18-20] (fig. 6). Les lésions de la Z T V du jour et de la nuit pour synchroniser ces
qui détruisent une aire critique, notamment fonctions avec la photopériode. L e cligne-
le noyau optique accessoire et les structures ment d'yeux dans l'éveil et les M O R dans le
adjacentes, empêchant chez le rat l'ovula- sommeil fournissent une stimulation oculaire
tion dans la phase préœstrale [21]. L'incision périodique régulière pendant les phases diur-
de la bandelette optique accessoire inférieure nes et nocturnes et pourraient ainsi informer
dans le faisceau prosencéphalique médian le cerveau sur la durée de ces deux cycles.
supprime la photorégulation de l'hydroxy- Ces renseignements seraient évidemment
indol-méthyl-transférase ( M I O M T ) de essentiels pour le déclenchement de compor-
l'hormone pinéale [22]. Outre les projections tements liés à l'exploration, à l'alimentation,
de la rétine jusqu'à la Z T V , d'assez n o m - à la reproduction et à l'agrégation sociale qui
breux indices paraissent montrer qu'une doivent, avec les modifications endocri-
projection directe de la rétine au noyau niennes qui les accompagnent, s'adapter aux
suprachiasmatique de l'hypothalamus assure photopériodes diurnes et aux modifications
la régulation de la N-acétyl-transférase, saisonnières pour assurer la survie de l'indi-
enzyme qui limite la vitesse de formation de vidu et le processus de reproduction. C e sont
la mélatonine et module le cycle d u Cortisol précisément ces comportements auxquels le
et d'autres cycles endocriniens en relation système limbique d u cerveau concourt, qui
avec le cycle de la lumière diurne et de sont modulés par la transmission de la dopa-
l'obscurité nocturne [23]. mine et qui se trouvent bloqués, soumis à
L a régulation cyclique de l'activité neuro- des distorsions ou déclenchés de manière
endocrinienne, métabolique, reproductrice inopportune chez les schizophrènes.
et motrice par la lumière est notoire chez les L a voie mésencéphalique rétinienne qui se
oiseaux, chez lesquels des récepteurs réti- termine entre les cellules dopaminergiques
niens qui ne réagissent qu'à la lumière rouge de la S N et de la Z T V est stratégiquement
ou orange stimulent la croissance des go- placée pour influer sur l'activité neuronale
nades. Dans ces espèces, la phase de lumière dopaminergique dans les systèmes mésolim-
facilite la libération d'hormones gonado- bique et nigrostriatal et, donc, pour réprimer
tropes et celle d'obscurité leur synthèse, ou faciliter le comportement stéréotypé à
mais l'une et l'autre doivent être suffisam- l'égard duquel le neostriatum et le striatum
ment longues ou rapprochées pour déclen- limbique jouent u n rôle de médiateurs en
cher des seuils de réponse endocrinienne relation avec l'heure d u jour et la saison. D e
particuliers à chaque espèce. L a longueur de fait, des études des metabolites d u liquide
ces phases influe aussi sur l'activité repro- céphalo-rachidien qui attestent la modula-
ductrice des mammifères, une phase de tion cyclique de la libération de dopamine en
lumière plus longue exerçant en général u n relation avec les périodes d'obscurité et de
effet positif sur l'activité sexuelle [24,25]. lumière chez les primates [26] indiquent que
les neurones dopaminergiques ont directe-
ment ou indirectement accès à des informa-
Modulation de la libération
tions sur la lumière.
de dopamine par la lumière

Si les informations sur la lumière ambiante Stimulation par CYS et M O R


contribuent à la régulation cérébrale de la
fonction neuro-endocrinienne et d'autres Si les M O R et le clignement d'yeux rem-
rythmes biologiques saisonniers d'explora- plissent des fonctions analogues en exposant
tion et de reproduction, le cerveau doit dis- régulièrement les cellules rétiniennes péri-
poser d'une source sûre d'informations pho- phériques à la lumière ambiante, ces phéno-

54 Janice R . Stevens
Rythme de clignement d'yeux et durée du sommeil paradoxal de toutes les espèces
pour lesquelles des données sont disponibles et une nette prédominance d'activité diurne
ou nocturne est attestée [33-37]

Animaux nocturnes Animaux diurnes


Espèce Durée du Cligne- Durée du Cligne-
sommeil ments sommeil ments
paradoxal d'yeux/min paradoxal d'yeux/min

Oyapock 6,6 Homme 1,9 14


Grand tatou 6,1 Porc 1,9 34
Opossum 5,6 Éléphant d'Asie 1,8 10
Hérisson (d'Europe) 4,1 Chimpanzé IA 14
Grande chauve-souris
brune 3,9 Genette 1,3
Chat 3,6 2 Singe (patas) 0,9 17
Cheval 0,8 28
Hamster 3,4 0 Cobaye 0,8
Dasypus novemcintus Babouin 0,7 18
(tatou à 9 arceaux) 3,1 Vache 0,7 22
Hérisson d u désert 2,7 Vervet 0,6
Rat 2,6 O Mouton 0,6 0-1
Chien 2,6 2 Chèvre 0,5 1
Tupaïa 2,6 0 Girafe 0,3 0
Renard fauve 2A 4 Chameau 12
Tenrec 2,3 Bison 6
Petite chauve-souris Gibbon 20
brune 2,0 Antilope 4
Musaraigne musquée 2,0 Yack 77
Phalanger 1,8 Écureuil gris 8
Chinchilla i,5 0
Blarine IA
Souris 1,3 0
Galago 1,2
Tapir 1,0 6
Lapin 0,9 0
Lion 0
Zèbre 2
Léopard 2
Moyenne 2,813 1,33 1,01'" 12,05"

a. Différence par rapport aux nocturnes : p < o.oor.

mènes oculaires périodiques devraient être plus, contrairement à ce qui se passe pour le
surtout marqués lorsqu'il fait jour. Si l'on sommeil paradoxal, dont la durée est plus
répartit d'après leur période d'activité la plus longue à la naissance et diminue avec la
intense toutes les espèces pour lesquelles on maturité, le clignement d'yeux est peu déve-
dispose de données sur le rythme d u cligne- loppé pendant la première enfance, s'ac-
ment d'yeux et sur le sommeil paradoxal, on croît rapidement pendant le second semestre
constate que la durée de celui-ci est sensible- de la première année de vie et atteint le ni-
ment plus longue et le rythme d u clignement veau adulte aux alentours de la puberté
d'yeux nettement plus faible dans les espèces (A. Zametkin et J. Stevens, observations non
qui sont actives la nuit (voir tableau). D e publiées).

Nouvelles découvertes sur la scrrizophrénie 55


D'autres indices montrent que le cligne- lation quotidienne et saisonnière des hor-
ment et la fermeture des yeux facilitent la mones et d u comportement. Les change-
transmission d'influx lumineux aux noyaux ments frappants d u rythme de clignement
sous-corticaux. U n e stimulation lumineuse d'yeux spontané et des mouvements latéraux
et intermittente suscite dans le tronc cérébral des yeux constatés chez de nombreux schizo-
des primates qui y sont sensibles des dé- phrènes peuvent donc correspondre à une
charges paroxystiques visibles sur l ' E E G . perturbation de la physiologie d'un système
Des décharges similaires sont également visi- opto-autonome phylogénétiquement ancien
bles dans les tracés obtenus à l'aide d'élec- qui module la libération de dopamine dans
trodes appliquées sur le cuir chevelu chez les le système mésolimbique axial et influence
humains non épileptiques et en état de repos ainsi le comportement et l'activité endocri-
sensoriel (paupières closes) et peuvent être nienne en relation avec la photopériode.
provoquées pendant les phases de cligne-
ment d'yeux rapide chez les malades atteints
Comportements archaïques
d'épilepsie photosensitive [27]. Outre les
effets des cycles quotidiens et saisonniers de A u début de ce siècle, u n célèbre neurologue
la lumière sur la fonction endocrinienne, les anglais, John Hughlings Jackson, a fait une
phases alternantes de sommeil lent et para- contribution primordiale à l'analyse de la
doxal s'accompagnent de modifications de dysfonction neurologique en énonçant le
la régulation d'un certain nombre de fonc- principe de la libération de centres « infé-
tions neuro-endocriniennes chez les m a m m i - rieurs » à la suite de la destruction ou de
fères supérieurs. L'augmentation des pé- l'incapacité de systèmes inhibiteurs « supé-
riodes de M O R constatée en relation avec rieurs » d u cerveau [30]. Les psychanalystes
l'afflux de lutéine qui précède l'ovulation considèrent que la schizophrénie représente
chez les primates (y compris les humains), une régression vers l'automatisme et des
a conduit Kapen et al. [28], ainsi qu'Hagino réponses émotionnelles primitifs. U n grand
et Yamaoka [29], à émettre l'idée que le nombre des signes oculaires constatés chez
sommeil aurait, dans une mesure considé- les schizophrènes pourraient aussi corres-
rable, supplanté la lumière dans la régulation pondre à une « libération » d'automatismes
de fonctions endocriniennes spécifiques chez qui ont u n rôle de premier plan dans la
l ' h o m m e et les autres primates. communication non verbale chez tous les
Les monoamines semblent jouer u n rôle primates. Regard fixe, clignement d'yeux
fondamental c o m m e médiateurs de la libé- rapide, coups d'œil latéraux et regard fuyant
ration neuroendocrinienne dans l'hypotha- constituent des éléments d u comportement
lamus. Pour traduire les messages photiques agonistique des singes sauvages [31]. Les
en réponses endocriniennes, l'interface m o - comportements stéréotypés d'examen des
noaminée doit recevoir l'information sur la mains, de toilette, de balancement sur soi-
lumière par l'intermédiaire de systèmes qui m ê m e et de claquement des lèvres de ces ani-
ne témoignent d'aucune faculté d'adaptation m a u x rappellent souvent les tics des malades
et échappent à toute interférence d'autres atteints de schizophrénie chronique avancée.
fonctions visuelles d u système oculaire. L a Des automatismes similaires précédés
stimulation, dans le clignement d'yeux et d'hallucinations ou de délire sont constatés
les M O R , de cellules ganglionnaires réti- pendant les crises d'épilepsie qui ont leur
niennes périphériques, dont les axones se origine dans une décharge pathologique des
terminent à proximité des noyaux dopami- cellules des amygdales, de l'hippocampe ou
nergiques cérébraux particuliers à l'hypotha- du cortex limbique. Les automatismes phé-
lamus et au mésencéphale, fournit peut-être noménologiquement semblables des schizo-
l'interface monoaminée qui permet la m o d u - phrènes peuvent correspondre non à une

56 Janice R . Stevens
décharge neuronique excessive d u cortex ou en inhibant la transmission ou le déclen-
épileptique, mais au contraire à une libé- chement d'automatismes primitifs en rela-
ration, au sens o ù l'entendait Hughlings tion avec la lumière. Les troubles d u m o u -
Jackson, d'engrammes fondamentaux pré- vement externe et du clignement des yeux et
existant dans le système limbique des pri- du sommeil paradoxal constatés chez les
mates aux fins des activités de perception, schizophrènes (et provoqués par les ago-
de reconnaissance et d'expression du danger, nistes et les antagonistes de la dopamine)
de menace et de communication sociale par sont toutefois compatibles avec une interac-
signes. tion importante entre le contrôle oculomo-
Bien que des anomalies frappantes d u teur, la lumière et la régulation de la dopa-
comportement, d u sommeil, de l'activité mine dans le cerveau.
externe de l'œil et d u clignement d'yeux as- Toutes ces observations donnent à penser
sociées au photopériodisme aient été consta- que les anomalies d u mouvement et d u cli-
tées chez des malades atteints d'encéphalite gnement des yeux chez les schizophrènes
épidémique (ou maladie de V o n Ecónomo), traduisent une altération de la fonction des
qui affecte principalement les voies dopami- éléments axiaux anciens d u striatum lim-
nergiques et noradrénolinergiques, on c o m - bique, éléments qui modulent l'activité endo-
mence tout juste à explorer le rôle que l'inter- crinienne et le comportement en relation avec
face dopaminergique peut jouer en facilitant la lumière et les changements de saison. D

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58 Janice R . Stevens
La fonction thérapeutique
des placebos
Helena Rasková et Jiïi Elis

Les auteurs de cet article soulignent la nécessité d'appliquer une méthodologie rigoureuse
lorsqu'il s'agit de séparer les réactions subjectives et objectives à la médication., mettent
Vaccent sur l'utilité des placebos et indiquent les voies à suivre à l'avenir dans ce domaine.

L a révolution scientifique a eu de profondes les méthodes qui aident à faire la distinction


répercussions sur les moyens dont dispose entre les effets objectifs et les effets subjectifs
actuellement l ' h o m m e pour prévenir et gué- des remèdes, c'est-à-dire ceux qui résultent
rir la maladie. Il suffit pour s'en convaincre non pas de l'administration de telle ou telle
de songer à ces innovations qui vont de la substance, mais de l'action d u psychisme.
découverte des sulfamides et de la pénicilline L'explosion pharmaceutique ou, si l'on pré-
à celle, toute récente, des Prostaglandines. fère, la production accélérée de composés
Les progrès qu'a permis de réaliser l'intelli- nouveaux destinés à prévenir ou à guérir la
gence humaine transforment l'art de guérir maladie a abouti à cette « jungle de la dro-
en une discipline véritablement scientifique. gue », pour reprendre l'expression d u scienti-
Pendant des millénaires, l ' h o m m e n'a eu fique. Par milliers, des drogues nouvelles
à sa disposition que fort peu de médicaments envahissent le marché mondial. N o u s e m -
véritablement efficaces ; en dehors de ceux-ci ployons ici le mot « drogue » au sens classique
il n'y avait pour lui de recours que dans les d u terme, c'est-à-dire dans le sens de médi-
superstitions et autres croyances qui pou- cament visant à prévenir o u à traiter la
vaient influer sur l'affectivité humaine. Ces maladie. Quant aux médications tradition-
superstitions et croyances n'ont rien perdu nelles, dont on n'a jamais éprouvé l'efficacité
de leur importance, bien au contraire. M ê m e et l'innocuité, on continue de les utiliser de
dans les pays hautement développés, où les façon empirique, et elles forment une part
réalisations de la science et de la technologie considérable de notre arsenal thérapeutique.
modifient la communauté humaine et son
m o d e de vie, o n rencontre encore mille Les découvertes récentes
exemples de guérisons « miraculeuses » dont
on attribue le mérite à telle ou telle sub- C e n'est que depuis la fin de la seconde
stance (bandelettes magiques, décoctions di- guerre mondiale qu'ont été mis au point
verses, etc.) ou simplement à la foi, le cas des procédés qui nous permettent de faire la
de Lourdes étant l'exemple classique à cet distinction entre les effets tangibles et phy-
égard. siques d'un traitement sur les fonctions phy-
Notre propos, ici, n'est pas d'étudier le siologiques, et ceux qui résultent de la mise
charlatanisme sous ses diverses formes. N o u s en condition psychologique d u patient. Les
voudrions, au contraire, mettre en lumière premières études dans ce domaine furent

impact : science et société, vol. 28 (1978), n° 1 59


pliqué le principe des « deux aveugles » : le
• Helena Rasková et Jifi Elis premier aveugle est le patient, qui ignore en
quoi consiste le traitement auquel il est sou-
Helena Rasková, docteur es sciences, mis ; le second est le médecin, qui prescrit
membre de FAcadémie des sciences des produits désignés uniquement par des
de Tchécoslovaquie et ancien conseiller combinaisons de chifires ou de lettres. O n est
auprès de l'OMS, est l'un des médecins ainsi en mesure d'apprécier les effets qui sont
du service de recherche de l'Institut imputables aux réactions positives d u p a -
tchécoslovaque de pharmacologie ; tient, d'où le terme latin placebo, qui signifie
elle s'est surtout spécialisée « je plairai ». Il peut aussi arriver évidemment
dans la pharmacologie comparée que le patient déteste le produit ; ce type de
et dans les interactions entre les recherches réaction est ce que Lasagna appelle le dys-
portant sur les humains et sur les animaux, placebo et d'autres le nocebo, ce qui signifie
de même que dans la pharmacologie en latin « je nuirai ». Cela nous amène à
des toxines bactériennes et la résistance l'objet d u présent article.
non spécifique. Le coauteur de l'article
ci-dessous, Jifi Elis, est médecin Définition de l'effet « placebo »
et titulaire d'une maîtrise et d'un doctorat
es sciences; il a reçu une formation analogue W o l f définit cet effet c o m m e « l'action d e
à celle d'Helena Rasková et est routeur tout facteur n'ayant aucun effet pharmacolo-
d'une centaine de communications. gique » [6] et Vrhovac c o m m e « l'effet de tout
Toute correspondance destinée aux coauteurs procédé thérapeutique ou d'un de ses élé-
du présent article peut être adressée à : ments qui n'a objectivement aucun effet
Dr. Rasková et Dr. Elis, spécifique sur la maladie traitée » [7]. Quant
Farmakologicky Ústav, Albertov 4, à nous, nous le définirons c o m m e étant la
128 00 Praha 2 (Tchécoslovaquie). part d'efficacité de tout traitement imputable
à la confiance que le traitement et le gué-
risseur inspirent au patient. C'est à dessein
celles de Hill et de son équipe [ï]1, qui, dans que nous utilisons le terme de « guérisseur »,
leur évaluation de l'efficacité et de l'inno- et n o n celui de médecin, parce que : a) dans
cuité d'un produit, analysèrent les facteurs certaines parties d u m o n d e l'art d u guéris-
subjectifs et objectifs. Ils inventèrent des seur reste la thérapeutique la plus courante ;
méthodes qui permettent d'effectuer des m e - b) m ê m e dans les pays développés, le charla-
sures comparatives valables pour les sciences tanisme trouve toujours des défenseurs.
exactes et de délimiter les éléments subjectifs Il y a quelques années, Modell comparait
aussi bien d u côté d u chercheur que de celui l'opposition entre l'effet placebo et l'action
d u patient. Vers lafindes années cinquante pharmacologique à une balance. Si, après
ils ont présenté aux chercheurs européens avoir placé u n médicament nouveau et
les remarquables résultats de leurs travaux éprouvé sur l'un des plateaux de cette ba-
dans u n bref document de synthèse dont lance et u n placebo — c'est-à-dire u n pro-
Schwartz et ses collègues ont publié une ver- duit inerte — sur l'autre plateau, o n consta-
sion condensée en français [2]. Parmi les tait que la balance ne penchait d'aucun côté,
spécialistes américains des propriétés sub- l'effet, dans les deux cas, pouvait être qua-
jectives des drogues, il convient de citer lifié de subjectif. C e n'est que lorsque l'on
les n o m s de Beecher, Lasagna, Modell et constatait que la substance médicamenteuse
W o l f [3-6].
Pour éliminer les facteurs subjectifs, les 1. Les chiffres entre crochets renvoient à la
chercheurs ont, dans leurs statistiques, ap- bibliographie à lafinde l'article.

60 Helena Raäkova et Jifi Elis


avait une action nettement plus marquée tuées au cours de l'expérience, elles le fu-
— autrement dit lorsqu'elle faisait pencher rent par deux chercheurs extérieurs qui ne
la balance de son côté — que la preuve de connaissaient que la version officielle de
son efficacité était objectivement faite. l'expérience.
N o u s étudions depuis des années les effets N o u s analysâmes les résultats des deux
placebo et nocebo. N o u s voudrions exposer premiers jours puis, sur la fiche de chacun
ces problèmes en nous référant à certaines des sujets qui avaient éprouvé l'effet placebo,
expériences que nous avons faites et qui, nous inscrivîmes le mot « amphétamine » et,
pour plus de clarté, ne sont pas toujours pré- sur les fiches des autres, nous inscrivîmes le
sentées ici dans Tordre chronologique. mot « placebo ». Après quoi, c o m m e « par
négligence », nous laissâmes traîner les fiches
U n e expérience d'un type particulier dans le laboratoire, afin que les sujets puis-
sent prendre connaissance des résultats et
N o u s voulions démontrer la réalité de l'effet que chacun d'eux voie si on lui avait « ad-
placebo chez des sujets connaissant déjà l'ac- ministré » une amphétamine ou u n placebo j
tion puissante de la substance qu'ils croyaient de cette façon tous supposeraient, lors de
absorber [8]. N o u s avons demandé à vingt l'expérience suivante, qu'on allait leur don-
et u n membres de notre équipe de nous aider ner le contraire de ce qu'ils avaient absorbé
à réaliser une expérience didactique sur les la première fois. Les résultats, illustrés par
principes qui devaient présider à des essais les figures ï, 2 et 3 , sont à cet égard extrê-
sous contrôle. N o u s leur avons expliqué que m e m e n t intéressants.
nous allions comparer l'action d'une a m -
phétamine à celle d'un placebo inerte, et que Des résultats trompeurs
nous répéterions l'expérience u n peu plus
tard. A ceux qui avaient absorbé la première L a figure 1 récapitule les symptômes signalés
fois la substance pharmaceutique nous ad- par les sujets au cours des vingt-quatre
ministrerions u n placebo la seconde fois, et heures qui avaient suivi l'ingestion des c o m -
inversement. N o s collaborateurs devaient primés. Sur les vingt et u n sujets, onze firent
prendre part au premier essai de cette expé- état de réactions subjectives, à savoir, dans
rience. Celle-ci se déroula de la façon sui- l'ordre décroissant de fréquence : m a u x de
vante : on administra aux sujets des compri- tête, bonne humeur, irritabilité, euphorie,
més deux jours de suite et trois heures et somnolence, réveil précoce la nuit et excel-
demie après ceux-ci furent soumis à divers lente forme. Ils signalèrent également d'au-
examens : rythmes cardiaque et respiratoire, tres symptômes, mais dans u n ou deux cas
pression artérielle et diamètre pupillaire. D e seulement : vertige, nausée, soif, bouche
plus on les soumit à u n test de calcul et on sèche, etc. Selon les individus, le nombre de
leur remit u n questionnaire qu'ils devaient symptômes observés allait de u n ou deux, à
retourner vingt-quatre heures plus tard, dix ou davantage. Après l'absorption de la
après y avoir indiqué les symptômes qu'ils seconde série de comprimés, le tableau s'est
auraient observés. Les sujets étaient tous très peu modifié : les sujets qui, la première
soit des médecins, soit des pharmacologues fois, n'avaient fait état que d'un petit nombre
et connaissaient particulièrement bien la phar- de symptômes n'en remarquèrent aucun la
macologie des amphétamines. seconde fois.
E n fait, à aucun d'entre eux nous Les réactions avaient été positives dans
n'avions administré d'amphétamines ; nous onze cas sur vingt et u n et fortes dans sept
leur avions donné à tous les m ê m e s compri- cas. L e second diagramme de la première
m é s de substance inerte, et nous étions les figure montre les résultats de la seconde ex-
seuls à le savoir. Quant aux mesures effec- périence, où les sujets qui avaient réagi aux

L a fonction thérapeutique des placebos 61


Première expérience

Seconde expérience
F I G . I. Réactions subjectives
aux placebos, chaque cas ayant
•été évalué séparément. L e
nombre de sujets « réagissant »
est indiqué en abscisse et le
nombre d'effets observés en
ordonnée. A gauche, les
résultats de la première
expérience, constituée par
une première ingestion de
comprimés le premier jour, et Sujets
-une seconde le deuxième jour. réagissant
^ 2 au placebo
A droite m ê m e présentation
Ingestion
pour la seconde expérience.

Première expérience

Seconde expérience

Pas de
changements

5 Sujets réagissant
au placebo
F I G . 2. M ê m e présentation que
sur la figure I : le nombre de Ingestion
sujets à réaction positive lors
d u test de calcul est indiqué
en abscisse.

Première expérience

Seconde expérience

Sujets
réagissant
F I G . 3. M ê m e présentation que au placebo
—Ingestion
sur les figures ï et 2 pour ï
indiquer la dilatation pupillaire.

62 Helena Raaková et Jifi Elis


placebos s'étaient attendus à en recevoir tions différentes selon les conditions dans les-
tandis que les autres s'attendaient à ce qu'on quelles sont administrés les placebos, notre
leur administre des amphétamines. Ceux qui expérience nous a permis de faire très nette-
avaient réagi lors de la première expérience ment la distinction entre sujets réagissants et
nefirentétat d'aucun symptôme alors que les sujets non réagissants. D è s lors qu'un sujet
autres n'en signalèrent que de très faibles, qui avait réagi s'imaginait qu'il allait recevoir
tout à fait imperceptibles le deuxième jour. u n placebo (au lieu d u produit actif), les
L a figure 2 est encore plus parlante. L a symptômes n'apparaissaient pas. C e u x qui
performance des onze sujets qui avaient n'avaient pas réagi lorsqu'ils n e savaient pas
réagi positivement lors du test de calcul avait s'ils allaient recevoir u n produit actif ou u n
été nettement meilleure ; il leur avait fallu placebo continuèrent à ne pas réagir, m ê m e
moins de temps pour faire une addition. L e lorsqu'ils étaient certains de recevoir le pro-
deuxième jour cette amélioration ne subsistait duit actif.
que chez quelques sujets seulement. Ceux
qui n'avaient pas réagi la première fois n e Un autre genre de test
réagirent pas davantage la seconde, et aucun
de ceux qui avaient réagi la première fois au Il s'agit en fait du premier essai « en double
placebo n'avait amélioré son temps de calcul aveugle » auquel l'un de nous participa il y a
pour avoir cru qu'il allait absorber u n placebo. de nombreuses années, avec Jankû et ses
L a figure 3 illustre le résultat des mesures collaborateurs [9]. O n cherchait alors à dé-
du diamètre pupillaire. Sur les vingt et u n terminer si la cycloserine racémique, qui
sujets, onze réagirent, dont sept par une est u n antibiotique contre la tuberculose,
dilatation; ils eurent la m ê m e réaction le avait des effets secondaires aussi marqués que
jour suivant. Pendant la première partie de la ¿-cycloserine. Il avait fallu faire cette nou-
la seconde expérience, peu de réactions posi- velle étude parce que l'emploi de la cyclo-
tives furent enregistrées, et aucune ou pres- serine racémique avait été décidé à la suite
que le deuxième jour. N o u s n'avons constaté de tests ouverts qui avaient montré que, tout
entre les sujets qui avaient réagi et les autres en étant aussi efficace, elle avait moins d'ef-
aucune différence imputable à la différence fets secondaires que la forme d alors pro-
de sexe ou de niveau intellectuel (entre cher- duite par plusieurs laboratoires pour les
cheurs et techniciens). m ê m e s indications thérapeutiques. L'expé-
Confirmant en cela les conclusions d e rience avait été menée par u n clinicien réputé
Beecher [3], qui estime que la proportion travaillant dans u n excellent hôpital.
des sujets réagissant aux placebos est d'en- Peu d e temps après que l'emploi d e la
viron 35 %, nous avons constaté pour notre forme racémique se fut répandu, plusieurs
part que le tiers des personnes que nous rapports signalèrent qu'elle provoquait en
avions observées avaient de fortes réactions fait plus d'effets secondaires que la forme d.
au placebo ; le fait d'avoir constaté u n plus O n organisa donc sous contrôle u n e expé-
grand n o m b r e de réactions de faible intensité rience clinique portant sur deux cent cin-
tient à ce que tous nos sujets connaissaient quante tuberculeux de quatre hôpitaux dif-
parfaitement la pharmacologie des amphéta- férents qui suivaient le m ê m e traitement :
mines. Si une partie de notre expérience re- streptomycine, acide para-aminosalicylique
posait sur u n jugement intellectuel (le ques- et I N H (isoniazide) ou acide isonicotinique
tionnaire et l'épreuve de calcul), l'autre hydrazide. Q u a n d u n patient cessait de
reflétait les variations organiques, et les m o - réagir à l'un de ces produits, on changeait de
difications d u diamètre pupillaire nous ont traitement. C'est pourquoi la cycloserine fut
paru, à cet égard, les plus représentatives. ajoutée, pendant trois semaines, à la thérapie
Bien que les sujets puissent avoir des réac- habituelle.

L a fonction thérapeutique des placebos 63


Effets secondaires observés après l'administration de cycloserine racémique,
de d-cyclosérine et d'un placebo (la lettre d représente des cycloserines
provenant de trois laboratoires différents)

Médicament

: Cycloserine
Effet racémique ¿ï dz ¿3 Placebo Total

Somnolence 20 5 12 7' 3 47
Vertige • 15 3 4 3 3 28
Euphorie .. : 5 2 2 5 I 15
Logorrhée" 3 0 4 3 0 lo
Sensation d'ivresse 3 2 2 2 o 9
Allergie 3 3 0 0 i 7
M a u x de tête 3 I O 2 r 7
Insomnie 2 o -I I 0 4
Dépression I ï O 0 2 4
Symptômes cardiaques I o o 2 O 3
Désorientation
au réveil 0 0 0 2 O 2
TOTAL 56 . 17 25 27 II 136
a. La logorrhée est une forme de loquacité aberrante ouincontrôlable.

O n compara, chez des patients pris au reçu des placebos fut sensiblement moins
hasard, les effets de trois ¿-cycloserines dif- élevé que parmi ceux traités à la cycloserine.
férentes, de la cycloserine racémique et d'un Cependant près de 25 % des sujets n'ayant
placebo. C'est en analysant l'urine des pa- absorbé que des placebos firent état d'effets
tients qu'on identifiait le produit qui leur secondaires. Pendant qu'avait lieu l'expé-
avait été administré également au hasard. rience, ils ignoraient pourtant tout des effets
Pour ne pas influencer les patients, on leur de la cycloserine, leur médecin se bornant à
posa à tous la m ê m e question : « C o m m e n t leur demander c o m m e n t ils se sentaient. Ils
vous sentez-vous aujourd'hui ? » Quant aux avaient été placés dans les m ê m e s salles que
expérimentateurs, pour être certain qu'ils les patients ayant absorbé des produits actifs,
seraient tout à fait objectifs, o n ne leur fit de sorte qu'ils tendaient à imiter les s y m p -
connaître les patients qu'au m o y e n de chif- tômes décrits par ces derniers. L ' u n d'eux
fres pris au hasard. D e s comprimés furent présentait aussi une éruption cutanée, et il
distribués, en se servant de flacons portant fallut cesser de lui administrer le placebo.
le n o m des patients. D e s contrôleurs exté-
rieurs, qui ignoraient complètement l'iden-
Distinguer le subjectif de Vobjectif
tité des patients, évaluèrent les résultats. L e
tableau ci-dessus présente le bilan des effets Des signes de haute toxicité apparurent chez
secondaires observés. u n nombre relativement élevé de sujets qui
Cette étude atteignit son objectif fonda- avaient absorbé de la cycloserine racémique.
mental ; elle avait prouvé que la cycloserine Mais, chez les sujets qui avaient absorbé de
racémique était plus toxique que la forme d. la ¿-cycloserine et u n placebo, le nombre des
Pour notre étude à nous, il nous avait fallu sujets présentant de graves effets secondaires
u n grand nombre de sujets à qui administrer et pour lesquels il fallut arrêter l'expérience
des placebos. L e nombre absolu des effets ne fut guère différent. Après l'admimstration
secondaires observés parmi ceux qui avaient de cycloserine racémique, le nombre des

64 Helena Raiková et Jiri Elis


interruptions fut de 13 sur 47 sujets traités ; de proclamer, par l'intermédiaire de la presse
pour la di¡ les chiffres correspondants sont et de la télévision, qu'on avait enfin trouvé
de 4/48 ; pour la ¿2, 1/47 ; pour la ¿3,3/47 ; le remède contre cette redoutable maladie.
pour le placebo, 2/48 ; au total, 23/237. L e L e Ministère de la santé nous consulta à
deuxième patient d u groupe placebo, au ce sujet.
m o m e n t où l'administration du produit avait N o u s décidâmes de faire u n essai cli-
dû être interrompue, était tombé dans u n état nique « en double aveugle » sous contrôle,
dépressif. essai qui se révéla d'ailleurs très difficile, car
Cette expérience diffère de la première en les médecins concernés n'entendaient utiliser
ce qu'aucun sujet n'était au courant de la que le produit en question et refusèrent
façon dont l'opération était menée, des réac- tous ceux qui, à l'époque, étaient considérés
tions qui pouvaient se produire après l'ab- c o m m e les meilleurs. Cependant nous réus-
sorption de la cycloserine ou d u placebo sîmes à comparer le nouveau produit avec
(en l'occurrence il vaudrait peut-être mieux la 6-mercaptopurine et nous étions en m e -
parler de nocebo). Autre différence : l'une sure, quelques mois plus tard, de présenter
des réactions (l'éruption cutanée) n'était pas une réponse objective : la 6-azauridine était
une impression subjective que le sujet était moins efficace que la 6-mercaptopurine mais
seul à signaler; elle était visible et donc aussi moins toxique. C o m m e elle provoquait
susceptible d'une appréciation objective. chez les patients une légère euphorie, ceux-ci
• D e cette étude nous avons tiré u n autre déclaraient — subjectivement — qu'ils se
enseignement : nous avons appris que, lors- sentaient bien. Avant m ê m e que cette série
qu'on prépare un essai clinique sous contrôle, de contrôles fût terminée, l'un des patients
on accroît le risque de partialité, c'est-à-dire était déjà décédé.
le risque d'un préjugé favorable, conscient
ou inconscient, chez le chercheur à l'égard Éliminer les préjugés
du nouveau traitement [10, 11]. O u alors
comment expliquer qu'une clinicienne consi- U n e autre expérience intéressante nous a
dérée c o m m e expert dans son domaine ait permis de mettre en évidence le préjugé d'un
pu conclure à la supériorité de la cycloserine observateur [12,13] : nous voulions compa-
racémique sur la forme d ? E n y regardant rer les effets de la thyminalkylamine avec
de plus près, nous apprîmes que le chimiste ceux de la cyclophosphamide. (Dans le cadre
qui avait synthétisé la forme d n'était autre d'une expérience pilote, u n enquêteur avait
que son mari. L e préjugé des chercheurs, constaté que, pour traiter le cancer des
venant s'ajouter aux réactions d u placebo, ovaires, la thyminalkylamine l'emportait tou-
constitue donc u n obstacle très important jours sur la cyclophosphamide livrée par une
dans la bataille qui est livrée pour faire en certaine firme.) Après avoir mis la cyclo-
sorte que l'approche des thérapeutiques en phosphamide dans desflaconsde thyminal-
général ait un caractère aussi scientifique que kylamine et inversement :— à l'insu évidem-
possible. ment de l'enquêteur — il apparut que c'était
N o u s citerons brièvement un autre exem- la première spécialité qui avait l'action la
ple d'expérience qu'un préjugé peut fausser. plus positive. L e préjugé qui s'était ancré en
Après avoir fait la synthèse de l'antimétabo- lui en faveur de l'autre avait gravement
lite 6-azauridine et après avoir découvert faussé l'évaluation faite par l'enquêteur. Sa
qu'il avait une action anticancéreuse chez préférence n'allait, consciemment, ni à l'une
l'animal et une faible toxicité, un médecin en ni à l'autre, mais, dans u n cas de ce genre,
avait administré à u n jeune leucémique. Il on voit une fois encore comment un préjugé
s'ensuivit une rémission complète, sur quoi peut nuire aux travaux de personnes qui sont
le médecin ne crut rien faire de mieux que cependant intelligentes.

L a fonction thérapeutique des placebos 65


Il nous faudrait trop de place pour énu- exagéraient les vertus d u produit qu'elles
raérer tous les nouveaux médicaments « m i - présentaient. Il n'est donc guère surprenant,
racles », surtout les cures « miracles », contre étant donné l'automatisation de plus en plus
le cancer qu'on nous a présentés. Notre poussée de la recherche médicale — qui
méthode a toujours été celle de l'évaluation s'accompagne d'une dégradation constante
objective au m o y e n d'essais cliniques. N o u s des rapports humains entre malade et m é d e -
avons p u répondre assez vite aux questions cin — que les croyances d'origine émotion-
suivantes : a) dans quelle mesure on pouvait nelle et la superstition arrivent à influencer
attribuer au seul produit les sensations de jusqu'à des individus très intelligents. Ils
bien-être, de soulagement et d'amélioration finissent eux aussi par adopter des attitudes
générale ; b) dans quelle mesure on pouvait affectives et non scientifiques à l'égard d u
attribuer ces sensations aux convictions d u traitement de la maladie.
patient et à celles d u médecin. E n faisant Jusqu'à présent, nous avons surtout voulu
porter les essais comparatifs sur des groupes prouver qu'il était indispensable de connaître
suffisamment nombreux, on peut également la valeur réelle d'un agent thérapeutique, de
vérifier si les remèdes « miracles » utilisés dépouiller ses effets objectifs de la part qui
contre le cancer, par exemple, procurent revient aux réactions placebo ou nocebo.
vraiment une rémission, une prolongation de Mais savons-nous jusqu'où va l'action des
la vie du malade, etc. placebos, quelles modifications fonction-
A lire ce qui s'est écrit au sujet du Laetrile, nelles d u corps humain peuvent résulter de
le dernier en date des médicaments antican- la confiance qu'inspirent et le traitement et
céreux1, et à voir tout le battage fait autour le guérisseur ?
de lui, non seulement par des profanes, mais N o u s avons mentionné les recherches qui
par des médecins qui ont pris parti contre le nous ont montré que l'administration d'un
Ministère américain de la santé [14, 15], placebo peut provoquer des modifications
il nous semble que le meilleur m o y e n de importantes voire une éruption cutanée. U n
trancher la question, c'est de tracer une auteur a m ê m e décrit des cas de « placébo-
limite bien nette entre l'effet placebo et manie » [22]. C'est ainsi qu'un sujet habitué
l'effet réel, méthode déjà utilisée avec succès à absorber de 25 à 35 comprimés par jour
dans l'étude des chimiothérapies anticancé- de méthylphénidate n'a remarqué aucune
reuses [16]. O n obtiendrait ainsi des rensei- différence lorsqu'on ne lui en a plus donné
gnements objectifs — ce qui serait le meil- que deux par jour, les autres ayant été rem-
leur m o y e n de juger de l'efficacité et de placés par 25 à 30 placebos de m ê m e aspect.
l'innocuité d u produit. Après la seconde guerre mondiale, notre

Quelle est la valeur des placebos? 1. Le Laetrile, composé chimique tiré des noyaux
de l'abricot et de la pêche, ainsi que de
Les médecins et les malades, parce qu'ils l'amande amère, fait l'objet de vives contro-
vivent les uns et les autres dans u n m o n d e verses. Le gouvernement américain en a inter-
dominé par les mass media, dans lequel dit le commerce entre États, bien que douze
abondent les réclames pour telle o u telle d'entre eux, sur cinquante, en aient autorisé la
fabrication et la vente. Le gouvernement a m é -
spécialité pharmaceutique, et où le nombre ricain a fait connaître que le Laetrile, outre
des affections circulatoires et malignes ne qu'il ne possède aucune valeur thérapeutique,
cesse de progresser, sont victimes les uns et peut être dangereux. Administré sous forme
les autres d'une sorte de conditionnement liquide, il peut, sous l'action chimique des
processus digestifs normaux, « libérer du cya-
[17-21, il]. Dans u n seul numéro d'une pu- nure ». E n août dernier, on comptait trente-sept
blication professionnelle, W a d e [ n ] a noté cas signalés d'empoisonnement par le Laetrile,
que, sur quarante-quatre réclames, vingt-six dont dix-sept mortels. [ N D L R . ]

66 Helena Raäkova et Jifi Elis


industrie pharmaceutique produisait u n cer- L e pouvoir curatif des placebos est connu
tain sulfamide. Chaque livraison était par- depuis des siècles. L e m b e c k [28] cite de
tagée en deux lots, l'un présenté sous une vieilles pharmacopées comprenant l'oxyde
appellation nationale, l'autre, étant destiné à de zinc sous son appellation noble : pulvis
une firme étrangère, sous l'emballage et le nihilis albium. Les médecins d'avant guerre
n o m de cette dernière. Les médecins signa- prescrivaient souvent une m ê m e médication
lèrent que le médicament « étranger » était sous des n o m s différents, par exemple :
bien plus efficace que le médicament « na- luminal, phénobarbital ou acidum phenyîe-
tional » alors qu'il s'agissait exactement d u thylbarbituricurum. Ils savaient aussi que de
m ê m e produit. Les pharmacologistes d e m a n - l'eau teintée pouvait suffire à influer sur
dent en vain aux médecins d'utiliser les l'état d'un patient. Ici, ce qui compte, c'est
appellations génériques, car il suffit qu'un que le médecin agisse à bon escient.
médecin déclare que telle spécialité est meil- L'amélioration de l'état émotif d'un m a -
leure qu'une autre (alors qu'elle ne diffère lade suppose que lui-même croie à l'efficacité
que par sa désignation commerciale) pour du traitement. L e contact personnel avec son
que son malade la veuille à tout prix. L e médecin et la confiance que celui-ci lui ins-
m ê m e composé, présenté sous u n n o m dif- pire font évidemment partie de tout traite-
férent, semble produire beaucoup moins ment, mais les médicaments puissants — et
d'effets ou d'effets secondaires. parfois dangereux — ne devraient être admi-
nistrés qu'en cas de nécessité. L e fait que
Le rôle du « stress » certains troubles qui n'exigent en fait aucun
traitement puissent être traités au m o y e n de
Presque tout le m o n d e a entendu parler d u placebos — parce que le patient croit qu'il
stress depuis que Hans Selye, en 1950, a n'est pas traité s'il ne reçoit aucune médi-
publié ses observations [23], mais ce n'est cation — ne suffit pas à justifier l'admission
qu'au cours de ces dix dernières années sur le marché d'une foule de produits coû-
qu'on s'est mis à y voir la cause de certaines teux dont l'efficacité n'a pas été démontrée.
altérations pathologiques et m ê m e de di- L e médecin doit être capable de prescrire des
verses maladies chroniques [24]. L e stress placebos à bon marché ; c o m m e ces derniers
peut m ê m e avoir des effets sur lafloreintes- portent en général des n o m s latins et ne
tinale [25]. E n outre, il existe, en plus des peuvent être préparés qu'en pharmacie, leur
études sur le placebo qui nous intéressent, efficacité s'en trouve accrue.
une abondante littérature sur les modifica-
tions autopharmacologiques qui se produi- Il faut poursuivre la recherche
sent dans le corps sous l'effet d u stress.
Tandis que les recherches se poursuivaient L a conclusion que nous pouvons tirer de ce
dans ce domaine, les spécialistes ont pris de qui précède est que la recherche sur la na-
plus en plus conscience des différences dis- ture et la fonction des placebos doit être pour-
crètes qu'on pouvait observer d'un sujet à u n suivie de façon continue et avec sérieux. E n
autre, par exemple la variation de taux de libé- renforçant le traitement scientifique au m o y e n
ration d'adrénaline ou de noradrenaline selon de facteurs subjectifs, en faisant progresser
le degré de stress auquel chacun était sou- la psychologie médicale et en inspirant au pa-
mis [26,27]. Il est certain qu'un placebo qui tient une confiance de plus en plus grande en
agit sur un rhume grave, sur une forme aiguë son médecin, on n'augmentera pas seulement
de coryza ou sur u n ulcère d u d u o d é n u m l'efficacité thérapeutique : on fera reculer
(pour ne citer que des exemples récents) [7], le charlatanisme, qui trompe le patient et
mérite lui aussi d'être étudié du point de vue qui, dans les cas graves, met sa vie en danger,
physiologique et autopharmacologique. quand elle ne la lui fait pas perdre. D

L a fonction thérapeutique des placebos 67


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68 Helena RaSkovâ et Jiïi Elis .


Structures de la connaissance
pour la compréhension
du langage naturel par l'ordinateur
Yorick Wilks

L'auteur examine ici certaines hypothèses de base relatives à la compréhension du langage


naturel, formulées par les spécialistes de l'intelligence artificielle qui font appel au
« structures de cadres ». Il y a une hypothèse majeure : celle du scénario. L'auteur discute
de sa plausibilitê par rapport à une autre hypothèse, plus simple, formulée en termes de
règles d'inference. Pour le moment, rien — ni des arguments de détails pratiques, ni des
arguments de traitement des symboles non plus que des expériences psychologiques — ne
permet de se prononcer en faveur de l'une ou de l'autre. Il faut attendre une nouvelle
génération de programmes d'ordinateur capables de décider entre les diverses théories de
l'intelligence artificielle.

Les spécialistes de l'intelligence artificielle tures qui expriment le sens et notre connais-
(IA) s'intéressent, depuis maintenant bientôt sance courante d u m o n d e . L a plupart des
vingt-cinq ans, à certains problèmes de l'in- chercheurs sont partis de l'hypothèse qu'il
telligence humaine considérés d'un point de est indispensable d'avoir accès à ces struc-
vue particulier : comment programmer u n tures pour comprendre, qu'il s'agisse de
ordinateur afin qu'il effectue certaines tâches l ' h o m m e ou de la machine. M ê m e dans une
intelligentes que nous exécutons sans m ê m e phrase aussi simple que : « Les soldats tirè-
y penser ? rent sur les femmes et j'en vis plusieurs
Appliquée au langage naturel, cette dé- tomber », la quasi-totalité des locuteurs
marche s'est traduite par la mise au point de natifs comprendra qu' « en » se rapporte aux
programmes élémentaires permettant de tra- femmes et non aux soldats. O r cela est
duire d'une langue dans une autre, d'obéir à impossible à distinguer simplement d'après
des ordres, de faire des déductions, de pro- la syntaxe ou la sémantique — « soldats » et
poser des paraphrases ou de réaliser un dialo- « femmes » peuvent tous deux être sujet d u
gue simple avec un être humain par l'intermé- verbe « tomber ». Il est à peu près sûr que
diaire d'un téléscripteur ou d'un écran vidéo. pour comprendre cette phrase il faut savoir
Les chercheurs ont employé des méthodes empiriquement que les choses sur lesquelles
multiples mais considérablement différentes ontireont tendance à tomber après avoir été
de celles qu'appliquaient les pionniers de la touchées. Cela peut paraître exagérément
traduction automatique des années 1950 ou simple, mais le lecteur devrait cependant se
qu'impliquaient les hypothèses formulées demander par quel autre moyen il pourrait
par N o a m Chomsky dans sa grammaire saisir le sens normal de la phrase.
generative transformationnelle [ï]1.
La principale différence a été l'importance 1. L e s chiffres entre crochets renvoient à : la
donnée, dans les systèmes d'IA, aux struc- bibliographie à la fin de l'article.

impact : science et société, vol. 28 (1978). n° I 69


spécifiques pour les cadres [8, 9], et il est
• Yorick Wilks peut-être temps de se demander quelles sont
les hypothèses de base concernant le langage
Uauteur a travaillé sur les problèmes naturel et sa compréhension. N o u s c o m m e n -
de la compréhension du langage naturel cerons par la citation habituelle, qui cerne le
par l'ordinateur à l'Université mieux la notion générale de cadre :
de Cambridge, à l'Université de Stanford « U n cadre est une structure de données
(États-Unis) et en Suisse. Il est à présent qui sert à représenter une situation stéréoty-
chargé de cours de linguistique théorique pée — par exemple u n certain genre de salle
à F Université de I'Essex. Adresse : de séjour, ou la fête donnée à l'occasion de
University of Essex, l'anniversaire d'un enfant. A chaque cadre se
Department of Language and Linguistics, rattachent des renseignements de nature di-
Wivenhoe Park, Colchester C O 4 3SQ verse : certains concernent la manière d'uti-
(Royaume- Uni). liser le cadre, d'autres, ce à quoi on peut
s'attendre ensuite et d'autres encore, ce qu'il
faut faire au cas où ces prévisions ne seraient
A u début des années 1970, on a conçu et pas confirmées.
programmé u n certain nombre de systèmes » O n peut concevoir u n cadre c o m m e u n
qui formalisaient et manipulaient dans l'or- réseau de nœuds et de relations. Les niveaux
dinateur différentes sortes de connaissances élevés d u cadre sontfixeset représentent des
c o m m u n e s [2-6]. Les structures de ces sys- choses qui sont toujours vraies dans la situa-
tèmes sont devenues plus complexes récem- tion considérée. Les niveaux inférieurs ont de
ment, depuis que Minsky a émis l'hypo- nombreuses terminales... des « fentes » dans
thèse [7] que les structures de la connaissance lesquelles on doit introduire des données ou
nécessaire devaient être d'un « ordre supé- des exemples spécifiques. Chaque terminale
rieur ». Il a appelé ces objets plus complexes peut spécifier les conditions que doivent rem-
des « cadres ». plir les éléments qui lui sont affectés... [7] »
L a plupart des écrits de Minsky sur les
Les cadres de Minsky structures de la connaissance s'appliquent à
la vision et ne nous intéressent pas ici.
Les propositions de Minsky ont suscité, chez Minsky définit quatre types de cadres dont
les spécialistes de F I A et ailleurs, de vifs u n seul, le cadre narratif, retiendra notre
débats qui ne manqueront sans doute pas de attention. Il concerne les suites de sous-
contribuer à une unification bénéfique des événements, ordonnés dans le temps, qui
concepts. Beaucoup de spécialistes se sont constituent l'histoire globale d'un événe-
alors rendu compte que depuis des années ils ment, par exemple une fête d'anniversaire.
construisaient des cadres sans le savoir; O n peut parler dans ce cas de « cadre
d'autres s'éloignent, déçus qu'on ne leur ait dynamique », par opposition aux cadres s'ap-
pas expliqué précisément ce qu'est un cadre. pliquant à des structures (non temporelles)
E n présence d'une idée aussi influente et telles que la disposition d'une chambre.
cependant aussi abstraite que celle avancée
par Minsky, il n'est probablement pas bon de Le cadre dynamique
demander trop vite de la précision. Peut-être
est-il préférable de laisser les choses progres- C o m m e exemples récents de construction de
ser en somnambule, c o m m e cela se passe, cadres relatifs à la compréhension du langage
selon Arthur Kœstler, aux premiers âges naturel, on peut citer les scripts de Schank et
d'une science. O n a cependant proposé ré- les cadres de Charniak. J'en donnerai ici u n
cemment u n certain nombre de structures bref aperçu.

70 Yorick Wilks
Schank définit u n script c o m m e « une h) ACHETEUR devant OBJET
chaîne causale prédéterminée de conceptua- 0 situation fortuite TERMINE
lisations qui décrivent une suite normale de devant OBJET
aussi
choses dans une situation familière » [9], et i) méthode suggérée
il entend par là un exposé, facilement forma- —> caddy (ACHETEUR.PANIER,
lisable, de l'ordre normal des événements qui TERMINE, OBJET)
se succèdent lorsqu'on va, par exemple, au /) ACHETEUR tient OBJET
restaurant. Voici la manière dont il ébauche m) OBJET dans PANIER* caddy
un script de restaurant, en se mettant à la
Et ainsi de suite jusqu'à ce que l'acheteur
place du client :
quitte le supermarché à la ligne u. Encore
Script : restaurant une fois l'idée générale devrait être claire,
Rôles : client ; serveuse ; chef; caissière m ê m e si l'on n'explicite pas ce que signifient
Motif : se nourrir de manière à apaiser sa faim et
pour Charniak des termes c o m m e I C (image
à en tirer plaisir
Scène 1 : entrer du cadre d'un caddy), qui apparaissent à la
P T R A N S E E R T — entrer dans le restaurant ligne b, ou l'astérisque.
M C O N S T R U C T I O N — trouver une table
P T R A N S F E R T — aller à la table
A C T I O N — s'asseoir Résolution de problèmes concrets
Scène 2 : passer la commande
A T R A N S F E R T — recevoir le menu Il apparaît clairement qu'on peut concevoir
A T T E N T I O N — le regarder un cadre de type dynamique pour toute
M C O N S T R U C T I O N — choisir la commande représentation qui a une structure, m ê m e
M T R A N S F E R T — passer la commande à la rudimentaire, decomposable en propositions
serveuse distinctes : il surfit de les empiler en une
Et ainsi de suite pour les scènes 3 : manger, suite prédéterminée pour une activité don-
et 4 : sortir. Je n'expliquerai pas les actions née. J'en suggérerai u n pour une situation
primitives associées [4]1 indiquées à gauche moins banale que faire des achats, manger o u
telles que P T R A N S F E R T ; le lecteur verra, conduire : u nritede puberté. L a notation
en gros, je pense, de quoi il s'agit. Schank a que j'ai utilisée dans u n autre article [5]
aussi élaboré u n programme qui, à partir conviendrait tout à fait, mais je prendrai,
d'une histoire de restaurant de la longueur pour plus de simplicité, celles qui ont déjà
d'un paragraphe, produit une histoire plus été illustrées ici.
longue dans laquelle s'incorporent les parties
manquantes qu'on peut rajouter au script Script : rite de puberté pour u n enfant mâle
ci-dessus. Rôles : enfant mâle, anciens d u village, aides,
foule
Charniak a conçu [8] un cadre concernant Motif : faire les incisions rituelles sur le dos d e
la manière normale de faire ses achats dans l'enfant
un supermarché, qui commence ainsi : a) But : E N F A N T est tatoué
b) A I D E S maintiennent E N F A N T (par les deux
à) But : ACHETEUR possède OBJETS E N bras)
VENTE c) A N C I E N se procure O U T I L S
b) A C H E T E U R choisit d'utiliser o u n o n u n p a - d) A N C I E N exhorte F O U L E (au comportement
nier, d'établir s'il y a lieu les I C qui convient)
c) A C H E T E U R se procure P A N I E R * caddy e) (situation générale)
d) A C H E T E U R se procure O B J E T S E N
VENTE
e) méthode suggérée 1. Les entités telles que P T R A N S F E R T sont des
D ' »-faire pour tous OBJETS E N actions primitives — celles-ci indiquant u n
VENTE m o u v e m e n t physique — que Schank utilise
g) ACHETEUR choisit OBJET dans ses conceptualisations sémantiques des
OBJETS EN VENTE — TERMINE phrases introduites dans l'ordinateur.

C o m p r é h e n s i o n d u langage naturel p a r l'ordinateur 71


/) ANCIEN vérifie si E N F A N T correctement n'avons pas besoin de ce renseignement pour
purifié comprendre.
S) (situation spéciale)
ENFANT non purifié, arrêt des opérations
O n pourrait soutenir que, pour compren-
h) A N C I E N marque dos de l ' E N F A N T dre (ï), u n programme devrait relier entre
/) I méthode suggérée elles les deux parties de la représentation par
I—> faire pour toutes les INCISIONS une règle telle que :
(2) [des humains manifestent de l'inquiétude]
Et ainsi de suite. Encore une fois l'idée géné-
rale est claire. L e choix d'une culture loin- [quelqu'un d'autre a mal agi par rapport aux
taine et imaginaire n'est pas fortuit, c o m m e règles humaines]
je vais essayer de le montrer.
O n peut se demander, d'une manière U n Martien, n'ayant pas les cadres de réfé-
très générale, quels sont les problèmes de rence terriens, pourrait comprendre (1)
compréhension du langage qui pourraient ou pourvu qu'il ait compris (2) et les consti-
non être résolus par des cadres c o m m e celui tuants des mots dans (1). C'est pour cela que
de l'exemple précédent. Il m e semble évident j'ai choisi de faire u n cadre à propos d'un
qu'il doit exister certains problèmes concrets rite de puberté plutôt ' qu'à propos d'un
qui trouvent là une solution — par exemple supermarché : la plupart d'entre nous
le sens des mots, ou l'ambiguïté dans l'em- sommes des Martiens à l'égard des rites de
ploi anaphorique des pronoms — sinon c'est puberté. Si nous comprenons (1) — et cela
que les cadres ne sont pas fondamentalement ne fait pas de doute — ce ne peut pas être
liés à la compréhension d u langage naturel. grâce à notre cadre associé puisque, par
E n d'autres termes, la représentation de la hypothèse, nous n'en avons pas. C'est donc
connaissance en tant que telle, indépendam- à partir d'une connaissance organisée sur des
ment de tout autre but ou problème, ne peut principes plus simples.
pas être un objectif pour TIA. Dans la mesure Je ne prétends pas que les cadres de cette
où c'en est u n , nous disposons déjà d'un espèce n'ont pas de fonction dans la compré-
langage qui convient parfaitement bien : le hension d u langage. Je soulève deux types
nôtre. Nous n'avons aucun besoin de cons- de difficultés : a) Quelles sont exactement les
truire des semi-formalismes. affirmations proposées ? b) Par opposition à
Prenons la phrase suivante : d'autres hypothèses plus simples, quelles
sont les structures de la connaissance ?
(ï) L a mère du petit f détourna les yeux
Kimathi malen- laissa tomber son shoga
contreusement |_lui toucha le bras L'hypothèse du scénario
pendant le rite de puberté. L a foule recula
horrifiée. U n e affirmation qui paraît solide, c'est l'hy-
A-t-on besoin du cadre indiqué plus haut si pothèse du scénario {plot-line hypothesis)
l'on désire « comprendre » cette histoire ? Nous sommes 1 capables de comprendre
Dans une certaine mesure, la ligne e du cadre Les ordinateurs sont J une histoire donnée, sim-
couvre l'exemple (ï), à condition qu'elle soit plement en jugeant dans quelle mesure elle est
conforme à l'histoire normale du m ê m e type o u
définie dans le cadre d'une liste suffisante de s'en éloigne.
comportements considérés c o m m e déplacés.
Il est pourtant clair que nous comprenons J'ai mis cette hypothèse sous la forme de
parfaitement bien l'exemple (ï) sans avoir à deux affirmations qui concernent l'une l'in-
nous reporter au cadre. E n termes courants, telligence humaine et l'autre la construction
on pourrait dire que nous déduisons de (ï) de systèmes intelligents (ce qui est notre
qu'il était déplacé que la mère touche véritable propos ici). A u stade de discussion
Kimathi pendant la cérémonie. Mais nous où nous sommes arrivés, il est malheureuse-

72 Yorick Wilks
ment impossible d'examiner la seconde Il est donc clair que le problème est de
hypothèse — celle qui concerne l'ordina- décrire non seulement le comportement nor-
teur — sans introduire des détails intéressant mal, mais de retenir aussi toutes les formes
la compréhension humaine. Dans une I A significatives de comportement non habi-
très évoluée, le débat sur l'hypothèse relative tuel : par exemple, quand on fait des courses
à l'ordinateur ne concernerait que a) des dans u n supermarché, mettre dans sa poche
considérations de traitement des symboles et u n objet qui ne vous appartient pas est
b) la concordance entre les résultats obtenus significatif, alors que s'arrêter pour renouer
par la machine et les protocoles humains u n lacet ne l'est pas.
pertinents — le comportement linguistique
en l'occurrence. L a question de savoir si les Importance d'une connaissance organisée
expériences psychologiques confirment l'hy-
pothèse relative à l'homme intéresse au pre- Nous atteignons probablement ici le cœur du
mier chef le psychologue. Elle peut n'être problème concernant l'hypothèse d u scé-
qu'une question de pure curiosité person- nario. Les cadres de scénario ont-ils un pou-
nelle dans le contexte de l'IA : « l'intelligence voir interprétatif au m ê m e sens que la gram-
artificielle est l'étude des mécanismes intel- maire ou la sémantique conventionnelle ?
lectuels indépendamment des applications et Autrement dit, l'hypothèse de scénario per-
de la façon dont ces mécanismes sont réalisés met-elle d'interpréter u n élément, de la
chez l ' h o m m e ou chez les animaux » [10]. Il m ê m e manière que, si l'on donne une suite
ne fait aucun doute que Charniak, entre de parties du discours telle que A D J A D J ? X
autres, défend une certaine forme d'hypo- V E R B E P R E P D E T V E R B E , on est qua-
thèse de scénario : « L e mécanisme premier siment certain que l'élément ? X doit être un
de la compréhension de la trame d'une his- N O M . ? L'histoire du savon et du chocolat
toire, c'est de la voir c o m m e la concrétisation au supermarché semble exiger un élément de
d'un ou plusieurs Efnoncés] du C[adre] » [8]. connaissance particulier pour pouvoir être
Il est important de préciser que les défen- interprétée. Mais il n'est pas du tout évident
seurs de l'hypothèse d u scénario ne préten- que le cadre d u supermarché, décrit par
dent pas que toutes les histoires, sont Charniak, fournirait cette connaissance sous
conformes à un cadre, ce qui serait absurde. une forme disponible. E n d'autres termes,
C e qu'ils affirment c'est que la manière dont l'exemple (3) a établi la nécessité d'un élé-
une histoire s'écarte d'un cadre est importante ment de connaissance mais il ne fait pas
pour sa compréhension et son interprétation. apparaître le besoin d'une quelconque struc-
Voici u n exemple qui va dans leur sens : ture particulière de connaissance. Pour ce
(3) Jean entra dans le supermarché et mit d u qui est d u cadre d u rite de puberté, la
savon dans le panier. Poussé par une soudaine connaissance nécessaire pour comprendre
impulsion, il mit u n bâton de chocolat dans sa l'histoire de l'exemple (1) est fournie par une
poche mais, en arrivant à la caisse il rougit et dit : connaissance générale sous la forme d'une
« Je n'avais pas l'intention de le prendre. »
règle d'inférence — que j'appelle la « règle
U n défenseur de l'hypothèse du scénario du Martien » [exemple (2)].
soutiendrait que l'interprétation correcte d u Il est important de se rendre compte que la
dernier pronom de l'exemple, qui représente question qui caractérise les cadres — et que
le chocolat et non le savon, exige l'utilisation j'ai isolée en tant qu' « hypothèse d u scé-
d'une certaine forme de cadre de super- nario » — concerne la forme de l'organisation
marché. Et ce cadre doit contenir assez de de la connaissance. Elle ne porte donc ni
renseignements pour indiquer que mettre a) sur l'utilisation de la connaissance en tant
quelque chose dans sa poche est un compor- que telle pour comprendre le langage, ni
tement étrange dans u n supermarché. b) sur la généralité des inferences employées.

C o m p r é h e n s i o n d u langage naturel par l'ordinateur 73


Il n'y a actuellement aucun moyen de ré- un bélier », on a l'impression de savoir que
soudre la querelle qui oppose ceux (par « bélier » désigne u n bouc sauvage plutôt
exemple Charniak et Schank) qui croient que qu'une machine de guerre, parce qu'on est
des entités du type cadre sont indispensables en train de parler de chasse et non de tech-
à la compréhension d'histoires m ê m e sim- nique militaire. O n pourrait dire aussi que
ples, et ceux qui ( c o m m e moi) pensent que c'est parce que la conversation se déroule
beaucoup de problèmes de compréhension dans u n « cadre de chasse ».
du langage par l'ordinateur peuvent être Il est bon de rappeler que, dans les an-
traités à l'aide de règles d'inférence d'un nées 1950 et i960, on pensait que l'outil
niveau inférieur. Par exemple, dans le cas de nécessaire pour la sélection d u topique était
la phrase « les soldats tirèrent sur les femmes un thesaurus. U n thesaurus, c'est en quelque
et j'en vis plusieurs tomber », il suffisait d'une sorte u n dictionnaire à l'envers : les mots
règle d'inférence générale, qu'on peut noter sont classés sous u n millier de rubriques gé-
de manière non formelle : « Si une entité nérales, dont chacune pourrait définir un do-
animée reçoit u n projectile, alors il se peut maine de discours. Ainsi, dans notre exem-
que cette entité tombe à terre. » ple, en cherchant à « chasse » et à « bélier », on
O n élabore en ce m o m e n t des programmes, découvrirait plusieurs rubriques pour cha-
dont certains utilisent des cadres et d'autres cun ; et l'on espérait trouver à une intersec-
pas, qui pourraient faire apparaître des diffé- tion de la liste (par exemple : « sport consis-
rences significatives dans les résultats obte- tant à poursuivre des animaux ») la zone de
nus, et par là m ê m e trancher la question. H discours pertinente.
paraît néanmoins indiscutable que les cadres Si l'on remplace maintenant le mot « bé-
proposés expriment, en matière de sens, lier » par « balles », l'hypothèse rencontre
quelque chose qui manquait aux analyses les m ê m e s obstacles que pour la première
précédentes : à savoir l'aspect dynamique d u phrase. Si l'on dit « Jean est allé à la chasse et
sens d'un verbe c o m m e fumer qui signifie, a perdu cinquante balles » (c'est de l'argent
entre autres, mettre le feu à quelque chose, qui a été perdu), alors tout mécanisme de
puis en tirer des bouffées, puis en écraser le contexte simple et global nous induirait en
bout. J'ai développé ailleurs [ n ] la notion erreur. O n en vient donc naturellement à se
de « cadre minimal », qui non seulement demander si une utilisation sommaire des
saisirait l'aspect dynamique d u sens des cadres permettrait mieux que le thesaurus de
mots, ignoré par les descriptions statiques, traiter des phrases c o m m e celles de l'exemple
mais serait aussi lié à la notion traditionnelle précédent.
de thesaurus. C e dont on a besoin est alors clair : c'est
une intersection de mécanismes opérant à
Un dictionnaire à l'envers des niveaux différents, et pas seulement au
niveau d'un cadre. C'est ce que Aaron
La notion de thesaurus n'est pas très éloignée Sloman a appelé la façon dont différents
des préoccupations qui nous animent, et il niveaux « contribuent à lever leurs ambi-
est peut-être bon de le remarquer au passage. guïtés respectives ».
U n argument solide en faveur de l'appli- Il s'ensuit que, si l'on veut pouvoir appli-
cation des cadres aux problèmes d u langage quer à des textes les structures de cadre, on
naturel, c'est que les cadres pourraient faci- doit les compléter par des structures de
liter le problème du « topique » (sujet traité) ; niveau inférieur, par exemple des méca-
il s'agit, en gros, de la manière dont on peut nismes d'analyse syntaxique ou de contexte
saisir le sens correa des mots si l'on sait dans local. C'est de cette façon seulement qu'on
quel domaine de discours on se trouve. Dans pourrait montrer que les cadres sont néces-
la phrase, « Jean est allé à la chasse et a tiré saires pour la compréhension des textes et

74 YorickWilks
que I' « autre hypothèse » (puisque c'est Examinons la phrase suivante, qui n'est pas
ainsi que je l'ai appelée) relative aux règles du tout compliquée : « E n sortant du restau-
d'inférence est superflue. rant, je m e suis arrêté au supermarché avant
de rentrer chez moi pour regarder lefilmsur
Autres hypothèses de cadre les rites de puberté africains. » U n e analyse
de la phrase fait apparaître aisément au moins
Il reste, au-delà de l'hypothèse du scénario, quatre grandes structures de cadre à intro-
d'autres interprétations possibles des cadres. duire dans la zone de travail du programme.
La première consiste à dire que les cadres ne H n'est pas du tout assuré que les arguments
font que proposer u n langage de program- invoquant la facilité d'accès soient tous en
mation, d'un niveau encore plus élevé, pour faveur des cadres, si l'on veut aussi pouvoir
un certain type de représentation. L e pro- contrôler les éléments auxquels on a accès.
jet en cours à la société Xerox, désigné U n troisième et dernier point, c'est que les
par le sigle K R L (connaissance-représenta- cadres pourraient être u n m o y e n de struc-
tion-langage) est dans cette lignée [12]. Il turer les bases de données d'un certain type
n'est fait dans ce cas-là aucune hypothèse au pour les systèmes questions-réponses. Cette
sujet du langage naturel—puisqu'un langage position est solide, car il n'est pas douteux
de programmation n'a pas besoin de telles que pour répondre à des questions concer-
hypothèses — et il n'y a pas de problème. nant x il faut bien connaître quelque chose
U n e autre possibilité c'est que les défen- de x. Mais on pourrait quand m ê m e encore
seurs de la notion de cadre ne prônent pas se demander quel est le rapport entre cette
l'hypothèse d u scénario en disant •: « L a vérité et la compréhension du langage natu-
structure x est nécessaire pour comprendre. » rel. L a question se pose en effet, car o n
Ils soulignent plutôt qu'il y a intérêt, pour pourrait utiliser la m ê m e représentation de la
comprendre u n texte, à partir d u niveau le connaissance pour répondre à des questions
plus haut et à descendre. Il est cependant en n'utilisant que des phrases toutes faites,
impossible de traiter une hypothèse de scé- préfabriquées — c o m m e dans u n question-
nario efficace en l'absence de procédures naire à choix multiple, qui n'exige pas néces-
d'application d u cadre. D e plus, et c'est u n sairement de compréhension d u langage
point important, l'efficacité d'une telle hypo- naturel.
thèse repose presque certainement sur quel-
que hypothèse statistique concernant le degré Un point douteux . "
de conformité des textes par rapport aux
normes d u cadre. L'hypothèse d u scénario E n définitive, on pourrait croire qu'il y a u n
serait sans aucun doute plus plausible si, par raisonnement faux dans certains travaux que
exemple, 90 % des textes sur x contenaient j'ai décrits ici. L e raisonnement pourrait se
explicitement toute (et rien que) la connais- mettre sous la forme suivante :
sance qui est dans le cadre relatif à x, que si 1. O n a besoin de représentations de la
c'était le cas pour 5 % des textes seulement. connaissance pour comprendre le langage
C'est une variante de cette « hypothèse naturel.
d'efficacité » qu'avancent ceux qui soutien- 2. Il y a deux choses que nous connaissons
nent que l'accès aux cadres est possible, certainement : a) comment se déroulent
éventuellement, alors que ce n'est pas le cas des histoires normales ; b) comment effec-
pour les règles d'inférence. L e bien-fondé de tuer les actes simples de la vie quoti-
cette affirmation n'est pas évident, en parti- dienne.
culier si l'on considère les énormes problèmes 3. D o n c nous avons besoin de représenta-
de manipulation, d'accès et de contrôle que tions de ces deux formes de connaissance
posent les cadres de grandes dimensions. pour comprendre le langage naturel.

Compréhension du langage naturel par l'ordinateur 75


Les prémisses sont sûrement exactes. L L ee par les cadres, sans toutefois être obligé de
raisonnement en lui-même est faux, et, à m ion
on montrer (autant que je sache) que ces m ê m e s
avis, sa conclusion n'est pas prouvée en ce résultats infirment d'autres hypothèses rela-
qui concerne l'hypothèse du scénario. tives à l'IA.
O n pourrait pourtant croire que ces résul-
Intelligence artificielle tats, qui ne sont pas inattendus, sont tout
et psychologie aussi compatibles avec une autre hypothèse,
et en particulier avec une hypothèse concer-
Sommes-nous alors en mesure de dis- lis- nant une règle d'inférence générale [telle
cuter des différentes hypothèses relatives res qu'elle est appliquée dans 3 à 5] qui donne-
à l'IA dans des cas où l'on pourrait se servir
vir rait une structure textuelle maintenue par
d'hypothèses et d'expériences d u domaine ine des liens de cause et d'objectif, ainsi qu'avec
de la psychologie ? Certains spécialistes, tel
tel une hypothèse supplémentaire selon laquelle,
Bower [13], se sont intéressés à des systèmes
íes dans une « histoire bien structurée », F o b -
de cadres analogues à ceux que j'ai décrits,, et jectif doit être présenté aussi tôt que possible,
ont préparé des expériences psychologiques íes Je ne proposerai pas cela sérieusement
les mettant en application. c o m m e une théorie psychologique; je suis
Bower a présenté des expériences préli- îli- convaincu que ce que les spécialistes de l'IA
minaires utilisant des cadres de scénario rio ont à faire c'est de proposer et de vérifier des
c o m m e modèles pour la mémorisation de de hypothèses de traitement de symboles. Il ne
textes. Les sujets lisent des histoires dansins suffit pas de mettre sur le papier des struc-
lesquelles : a) ou bien aucun objectif d'en-:n- tures de connaissances dans d'agréables
semble n'est énoncé pour le rôle principal, al, semi-formalismes, en faisant des conjectures
b) ou bien l'objectif est énoncé plus tard ird sur le ' fonctionnement véritable de l'être
qu'on ne l'aurait normalement escompté, en en humain ; ce qui paraît indéniable, c'est que
m ê m e temps que c) des histoires normales les les expériences psychologiques actuellement
dans lesquelles l'objectif du personnage est envisagées ne permettront pas de trancher la
défini au début. question d u niveau auquel il faut exprimer la
Bower a trouvé que les sujets ont tendance,
ce, connaissance courante pour qu'elle soit utili-
c o m m e on pouvait s'y attendre, à considérer
rer sable dans les programmes machine. Il faudra
l'histoire normale c o m m e la plus compré-ré- attendre pour cela une nouvelle génération
hensible. L e lien étroit entre l'aptitude dduu de programmes d'ordinateur en temps réel,
sujet à se rappeler les histoires et l'estima-
ia- Certains de ces programmes sont en prépa-
tion de la compréhensibilité est u n résultat
tat ration et laissent présager u n progrès véri-
u n peu plus consistant. Bower en tire une ne table dans la conception des processus de
confirmation de l'hypothèse d u traitement :nt compréhension du langage. D

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overview of a knowledge representation • 1976.

C o m p r é h e n s i o n d u langage naturel par l'ordinateur 77


Conférence sur la politique des ressources

U n e Conférence internationale sur les implications


économiques, politiques et sociales de l'utilisation et de la
conservation des ressources naturelles se tiendra à Oxford
(Royaume-Uni), du 20 au 22 mars 1978. Les demandes
d'information peuvent être adressées à : M r . I. Klimes,
I P C Science and Technology Press, 32 High Street,
Guildford G U I 3 E W (Royaume-Uni), tél. 0483-71661.
Modélisation
de l'intellect humain
Nikolaï M . Amossov

Peut-on reproduire l'intelligence de l'homme ? Cette question intéresse des spécialistes de


disciplines variées. Pour les psychologues et les physiologistes, elle relève de la théorie de
leur science et, pour les cybernéticiens, elle pose le problème de l'intellect artificiel. L'auteu
croit que cela est possible.

Introduction objet peut donner lieu à la construction de


nombreux modèles. Tout modèle peut, à
L e m o n d e scientifique connaît actuellement son tour, être perçu c o m m e u n objet et il
une inflation d'idées générales. Si je prends est possible de créer toute une hiérarchie de
le risque de publier cet article, c'est unique- modèles. A mesure que son niveau s'élève,
ment parce qu'en l'absence d'une hypothèse le modèle devient de plus en plus généralisé,
concernant les mécanismes de l'intellect il autrement dit, le nombre de qualités de
n'est pas possible d'en établir le programme. l'objet qui y sont représentées diminue. L'in-
Par m a n q u e de place, je renonce à présenter tellect, qu'il soit artificiel ou naturel, doit
la genèse de la question d'autant que je ne obligatoirement contenir dans sa mémoire
revendique aucune priorité. un grand nombre de modèles élémentaires
L'intellect ou l'intelligence peut être consi- différents.
déré c o m m e u n programme ayant pour fonc- Dans l'ensemble, les opérations auxquelles
tion de contrôler eflicacement des objets on procède avec les modèles ne sont autre
complexes au m o y e n de modèles de ces chose que leur activation successive : après
objets. Cette définition se distingue d'autres avoir été extraits de la mémoire passive, les
formulations en ce sens qu'à l'heure actuelle modèles sont utilisés de manière à se trouver
les modèles et leur manipulation peuvent en interaction selon des programmes déter-
être reproduits par des moyens techniques. minés. Les opérations suivantes, en parti-
Autrement dit, le cerveau n'est plus le seul culier, sont possibles : a) formation d'un
support de ces programmes car ses fonctions modèle complexe à partir de plusieurs m o -
peuvent être exercées par des dispositifs dèles élémentaires ; le nouveau modèle fonc-
techniques. L'intellect artificiel pourra ré- tionne c o m m e u n tout unique, c o m m e une
soudre des problèmes de médecine, de péda- phrase composée de mots ; b) formation d'un
gogie, de sociologie. modèle généralisé par la superposition suc-
U n modèle est u n système nouveau, cessive de plusieurs modèles (objets ayant la
composé d'éléments artificiels ou naturels m ê m e destination) ; c) comparaison des m o -
qui reflètent u n système-objet, sa structure dèles visant à mettre en évidence ce qu'ils ont
et ses fonctions. E n règle générale, u n m o - de c o m m u n et ce en quoi ils diffèrent;
dèle simplifie et déforme l'objet. U n seul d) prévision du futur sous forme d'activation

impact : science et société, vol. 28 (1978), n ° 1 79


dèles possibles d'action en vue de la c o m -
• Nikolai MikhaQovitch Amossov m a n d e , l'intellect en choisit u n seul qui
répond au mieux aux exigences d u « corps »,
L'auteur est chirurgien, mathématicien, des sensations de l ' h o m m e , d u milieu et de
membre de VAcadémie des sciences de la société. Pour l'intellect artificiel le choix
la RSS d'Ukraine, membre correspondant des critères de c o m m a n d e , des « sensations»,
de l'Académie de médecine de l'URSS est opéré par ceux qui le mettent au point.
et directeur du laboratoire de cybernétique E n outre, il faut prévoir u n système régu-
biologique de l'Institut de cybernétique lateur spécial d' « amplification et de frei-
de l'Académie des sciences de la RSS nage » (SAF) capable de choisir u n modèle
d'Ukraine. M . Amossov est également d'action donné malgré les interférences des
directeur de l'Institut de chirurgie thoracique autres modèles que la perception d u milieu
du Ministère de la santé de la RSS met aussi en activité (voir figure).
d'Ukraine. Il est Héros du travail socialiste L e m o n d e animal nous fournit toute une
et lauréat du prix Lénine. On peut entrer g a m m e d'exemples d'intellects de puissance
en contact avec lui par l'intermédiaire variable. L a puissance peut être définie
de l'Académie des sciences de la RSS c o m m e étant le rapport de la complexité
d'Ukraine, Kiev (Union des des modèles et de la complexité d u m i -
républiques socialistes soviétiques). lieu contrôlé. A l'heure actuelle, l'intel-
lect humain surpasse tous les autres. Voici
quelques-unes de ses principales caractéris-
successive de la chaîne entière des modèles tiques : a) esprit utilitaire et capacité de rêve,
(« phrase ») selon les étapes déjà connues. c'est-à-dire aptitude à résoudre les problèmes
^ Les notions suivantes sont importantes liés à la satisfaction des besoins vitaux et, en
dans ce contexte : « énergie d'activation », m ê m e temps, faculté de créer de nouveaux
« niveaux d'activation », « résistance des liai- modèles n'ayant pas.d'application réelle;
sons » entre les modèles élémentaires e m m a - b) diversité des besoins et des sensations qui
gasinés dans la mémoire et reflétant des les expriment et qui stimulent des actes di-
objets, des qualités et des actes. vers souvent contradictoires; c) faculté de
fixer des objectifs lointains et de les attein-
Principes fondamentaux
dre ; d) faculté d'apprentissage, en tant que
de l'activité de l'intellect humain possibilité de créer de nouveaux modèles et
éducabilité en tant qu'aptitude à modifier
L e schéma le plus simple de l'intellect les besoins innés, donc les sensations ; e) le
se compose de trois éléments : récepteur langage en tant que code artificiel de modèles
— intelligence — effecteur. Les récepteurs pour la communication et le stockage de
perçoivent l'énergie des objets à contrôler l'information (ce code complète les modèles
(le milieu) et la transforment en modèle- d'images concrètes, la répercution du m o n d e
image, dans lequel le dispositif de modéli- extérieur) ; f) créativité et travail : faculté de
sation, c'est-à-dire le « cerveau », choisit le créer des modèles entièrement nouveaux
modèle des actes qui sont exécutés par les d'objets qui n'existent pas dans la nature ;
effecteurs (chez l ' h o m m e , ce sont les m u s - g) connaissance de soi et transformation en
cles). D a n s u n schéma plus complexe, des tant que faculté de créer le modèle de sa
organes vivants coordonnent les récepteurs, propre intelligence et de l'intelligence d'au-
et il y a rétro-information des effecteurs à tres modèles.
l'intellect, signalant l'exécution des actes. Il - Sur le plan de sa structure, l'intellect
s'y ajoute le « corps » qui est le vecteur de humain peut être représenté c o m m e u n ré-
l'énergie vers l'intellect. Parmi plusieurs m o - seau de neurones de cellules nerveuses inter-

80 Nikolaï M . Amossov
F I G . L e mécanisme de l'intellect : M E , milieu extérieur ; R j et R^, récepteurs ; M O ! , M O ¡ ,
M 0 3 , modèles-images élémentaires d'objets du m o n d e extérieur ; A ' A " A ' " , modèles d'actions ;
M s , muscles ; Sn, sensations engendrées par les besoins ; S m , sensations de fatigue musculaire ;
S A F , système « amplification-freinage » ; A m p i . , élément amplificateur de ce système ; Fr., élément
frein ; C , « corps ».

Fonctionnement. Les excitateurs extérieurs est indiqué dans le cercle) est freiné
agissent sur les récepteurs R et excitent par la sensation de fatigue venue
les modèles-images élémentaires M O . du muscle M s . Les signes ( + ) et (—)
L'exemple M O x montre que le modèle au voisinage des flèches indiquent
se compose d'un ensemble de neurones respectivement l'amplification
reliés entre eux. Les liaisons entre et le freinage transmis sur la
les modèles M O permettent d'obtenir liaison.
des ensembles qui reflètent u n tableau L e système amplification-freinage ( S A F )
ou une situation complexe composé reçoit les signaux émis par chaque
d'objets. Les modèles M O sont reliés modèle ; ceux-ci sont transmis par
au modèle d'action A , une seule image M O les liaisons, lesquelles sont représentées
étant reliée à plusieurs actions A . par des tirets. A chaque m o m e n t donné,
L a connexion d'une action utile est le S A F amplifie le modèle élémentaire le
sélectionnée par la sensation S„ qui traduit plus actif en le faisant émerger dans
le besoin d u « corps » C . L e modèle la conscience. C e modèle est la pensée.
d'actions A " (l'ensemble de neurones Tous les autres modèles subissent

Modélisation d e l'intellect h u m a i n 81
un certain freinage et demeurent dans A partir de l'image M O et de la
le subconscient. O n voit, sur le schéma, sensation S , l'énergie d'activation est
qu'à un m o m e n t donné c'est le transmise vers le modèle d'action A " qui,
modèle-image M O qui est la pensée. m ê m e s'il se trouve encore dans
L'irruption de ce modèle dans le subconscient, a déjà été
la conscience est provoquée non seulement sensiblement amplifié. O n peut supposer
par une excitation externe venant que, dans l'instant qui suivra, le modèle
du récepteur R x mais également par d'action A " , amplifié par le S F , pénétrera
une amplification venant de la sensation, dans le conscient et deviendra
sous l'effet d'un besoin du corps C . la « pensée » suivante.

connectés de manière à former des groupes. s. 2 . Il existe deux types de mémoire : la


Ceux-ci fonctionnent c o m m e un tout uniquee mémoire de courte durée ou active (elle se
et correspondent aux modèles-images élé- :- manifeste par une intensification temporaire
mentaires des objets, de leurs qualités et dee de l'activité des neurones en réponse à une
leurs actes. Ces modèles peuvent être inté- i- excitation extérieure) et la mémoire de longue
grés dans des ensembles c o m m e les mots s durée ou passive, liée à une efficacité accrue
dans des phrases et présenter des images :s des liaisons entre les neurones. Les liaisons
complexes d u m o n d e extérieur ou une suc-
:- sont très durables à l'intérieur des modèles
cession d'actes. Dire que le cerveau est u nn élémentaires — objets qualités, mouvements
réseau de neurones est évidemment unee (« mots ») — et moins durables dans les
banalité. Toute la question est de savoir ir ensembles qui reflètent les images, les situa-
comment organiser u n tel réseau pour repro-I- rions ou une succession de mouvements
duire les priorités de l'intelligence humaine.
:. simples (« phrases »).
Cette intelligence se caractérise par sa fa-ï- 3. C e sont les besoins (ou leurs équiva-
culté de sélectionner, dans u n milieu exté-i- lents : les sensations, les stimuli, les désirs),
rieur très complexe qui ne cesse de se m o1-- reflets du fonctionnement optimal de l'intel-
difier, les actions qui répondent le mieux àà lect, qui constituent la source principale de
des besoins eux aussi en constante évolution.
1. l'activation des modèles élémentaires (objets,
qualités, actes).
Quelques particularités importantes 4. Les modèles qui sont des ensembles
du cerveau neuroniques ont la propriété d'être éduca-
bles, c'est-à-dire qu'ils sont capables d'ac-
L e cerveau a plusieurs particularités dont il croître leur activité (« puissance de sor-
importe de tenir compte pour expliquer le te tie ») sousx l'effet d'exercices répétés. C'est
fonctionnement de l'intelligence : le principe m ê m e de l'enseignement et de
ï. Les organes des sens comprennent une ie l'éducation.
multitude de cellules réceptrices qui per- :- 5. L a régulation d u niveau d'activité des
mettent de percevoir abondamment le milieu u modèles se fait aussi à partir d'un centre, de
extérieur dans toute sa diversité, ainsi que te manière qu'à chaque instant l'objet « prin-
plus de deux cents paires de muscles dont les s cipal » reste séparé des autres et que l'acte
combinaisons de mouvements sont quasi illi- i- commencé soit m e n é à terme.
mitées. Cela offre de grandes possibilités de le II va sans dire qu'il est impossible de
choisir les éléments voulus dans la représen- i- décrire dans u n bref article la modélisation
tation d u m o n d e et de déclencher des actes
s de tous les phénomènes d u psychisme h u -
moteurs efficaces. main, encore que nous ayons poussé leur

82 Nikolaï M . Amossov
élaboration assez loin. Je m e bornerai donc Premier groupe. Les principaux critères
aux notions essentielles. spécifiques découlant de la nature biologique
et sociale de l'homme. Il s'agit de l'instinct
Les sensations de conservation, de l'instinct de la perpétua-
tion de l'espèce, de l'instinct grégaire (socia-
C e sont les sensations qui servent de critères bilité, aspiration au rôle de chef, sympathie)
pour mesurer l'efficacité avec laquelle le cer- et des sentiments sociaux (convictions, foi,
veau contrôle le milieu extérieur. L e niveau autorité).
d'activité d u modèle des sensations ou de Deuxième groupe. Sensations « auxiliaires »,
l'excitation de son centre est déterminé di- génératrices de plaisir d u seul fait de la
rectement par le degré de satisfaction d u perception d u milieu d'une activité, de la
besoin, autrement dit par la « récompense » réalisation d'un objectif, du repos.
que le milieu offre en réponse aux actes de Troisième groupe. Critères « opératoires »,
l ' h o m m e . N o u s introduirons encore un signe qui suscitent des actes avec modèles, tels que
d'activité dans le modèle : depuis (—) « dé- la comparaison, la généralisation, la prévision.
sagréable » , indiquant l'insatisfaction, jus- Quatrième groupe. L e critère intégral
qu'à ( + ) , « agréable », marquant la pleine « agréable-désagréable », résultat de la s o m m e
satisfaction. L'intellect doit assurer une acti- des composantes agréables ( + ) et désagréa-
vité telle que la « récompense » accordée bles (—) de toutes les sensations. Son niveau
en retour par le milieu lui fasse atteindre détermine le « confort moral » ou le bonheur
le m a Y i m n m d'une sensation agréable, o u de l ' h o m m e . L e comportement de l ' h o m m e
d u moins atténue une sensation désagréable. est orienté vers l'accumulation, par la satis-
L a différence entre u n degré donné de ré- faction de sensations partielles, d u nombre
compense et le point de saturation maximale maximal de signes « plus ».
de la sensation représente la grandeur d u A chaque besoin-sensation correspond u n
besoin qui s'exprime par l'ampleur de la acte « primaire » : « saisir », « courir »,
« récompense » (par exemple, la nourriture). « prendre possession », « commander », « se
L e stimulus de l'activité s'exprime par une soumettre », etc. L'acte émane du stimulus-
intensification correspondante de la sensa- désir. L'accomplissement de cet acte dépend
tion S . N o u s l'appellerons « intensité d u de la « résistance » de l'objet et de la condi-
désir ». tion des organes moteurs. Pris dans leur
L a récompense comprend non seulement ensemble, ils déterminent le caractère « pé-
ce qui a déjà été reçu mais ce qui le sera à nible », « difficile » ou « fatigant » de l'acte
l'avenir, c'est-à-dire la réponse attendue, prévu. Il s'agit d'une sensation qui porte le
affecté d'un facteur de correction dit « de signe opposé à celui du « désir ». L e stimulus
réalité » quitientcompte de la probabilité de total équivaut à la différence entre le « désir »
la récompense et d u délai d'attente. et la « difficulté ».
Les diverses sensations-stimuli, activant
de manière sélective les modèles d'objets et Système <t amplification-freinage » (SAF)
d'actes propres qui leur sont associés, c o m -
mandent l'intellect, dont le rôle consiste uni- C'est par le mécanisme de la conscience que
quement à leur offrir le choix entre plusieurs l ' h o m m e , face à plusieurs besoins dans u n
voies pour atteindre le but recherché, satis- milieu qui se modifie, choisit ses actes. N o u s
faire aux besoins ou saturer les sensations, ce définissons ce choix c o m m e l'action de pri-
qui revient au m ê m e . vilégier u n modèle par rapport à tous les
N o u s avons divisé les besoins-sensations autres. Pour cela, nous postulons u n système
en quatre groupes selon le principe qui est à d' « amplification-freinage » (SAF) dont le
la base de l'acte. schéma est représenté sur la figure p . 81.1

Modélisation de l'intellect humain 83


L e S A F reçoit, par la voie des liaisons, des Rôle de la conscience
informations sur l'activité de tous les m o - et du subconscient
dèles, les compare, complète l'amplification
du plus actif et freine les autres. Après u n L a tension globale des sensations fait varier
bref laps de temps, la « liaison » se fatigue et le niveau de l'amplification et d u freinage
le S A F amplifie par commutation le modèle suscité par le S A F et le rôle relatif de la
suivant qui, à cet instant, est le plus actif. L e conscience et du subconscient.
retour au premier modèle ne peut se produire
qu'au bout d'un certain temps, lorsque la Actes fonctionnels (AF). L'activité exté-
liaison se sera « reposée ». A u m o m e n t de sa rieure de l ' h o m m e , c'est-à-dire le contrôle
connexion au S A F , le modèle a reçu une qu'il exerce sur les objets d u milieu exté-
« charge » d'activité qui se propage le long rieur, s'effectue « par paliers » et se compose
des liaisons et donne la priorité à d'autres d' « actes fonctionnels ». Par cette notion,
modèles solidement liés au premier. nous entendons à la fois la préparation et
L a pensée au niveau de la conscience n'est l'exécution d'une succession de mouvements
autre que l'isolement et l'utilisation, parmi la orientés vers u n objectif. C'est l'état dans
masse totale des modèles, de ceux qui sont les lequel se trouve l'objet de l'intervention,
plus significatifs du point de vue des liaisons représenté par le modèle créé lors de la
avec les sensations. Ces modèles sont capa- préparation des actes fonctionnels, qui cons-
bles d'assurer l'effet maximal dans une situa- titue l'objectif.
tion déterminée pour un rapport donné entre Les actes fonctionnels les plus simples se
les besoins ou désirs et les critères à u n composent de trois éléments : « perception,
m o m e n t donné. Les modèles freinés par le évaluation, acte ». Dans la réalité, cette série
S A F n'en continuent pas moins d'agir l'un est plus longue, m ê m e chez les animaux, et
sur l'autre, traitant l'information au niveau comprend au moins cinq éléments dont cha-
du subconscient. cun peut être subdivisé en plusieurs actes.
Selon ce schéma la mise en modèle des
concepts psychologiques se présente c o m m e Étapes de l'acte fonctionnel. Perception : le
suit : a) faculté de pensée (interaction des récepteur, réglé sur u n « segment » donné
modèles, orientée par les sensations et le du milieu, fournit son modèle-« image »
S A F ) ; b) pensée (modèle amplifié par le S A F primaire.
à u n m o m e n t donné) ; c) conscience ( m o u - L'analyse d u modèle primaire se subdivise
vement de l'activité selon des modèles signi- c o m m e suit : a) identification : comparai-
ficatifs amplifiés par le S A F et reflétant son de l'image primaire avec les modèles
l'optimum des rapports « sujet/milieu »); d'objets connus, leurs qualités, leurs actes
d) subconscient (interaction des modèles af- et leurs rapports emmagasinés. dans la
faiblis par le S A F , préparant les modèles mémoire. L a comparaison engendre une
pour la conscience, l'identification des images image subjective d u milieu « transcrite »
familières et l'exécution des mouvements par ses propres modèles ; b) prévision des
habituels). changements futurs d u milieu ;. c) éva-
C'est l'interaction des zones de la cons- luation : activation des sensations par les
cience et du subconscient qui détermine les modèles identifiés, selon les besoins.du
caractéristiques à la fois contradictoires et m o m e n t . Détermination d u stimulus glo-
complémentaires de l'intellect humain, à sa- bal (« désir ») et de 1' « acte primaire »
voir le caractère discret de la conscience et le (saisir, courir, se battre, etc.).
caractère continu d u subconscient. Planification : 1' « acte primaire » se ramifie
pour former trois chaînes de modèles qui
représentent le plan. C e sont les modèles

84 Nikolaï M . Amossov
de la succession des actes, c'est-à-dire de des objectifs particuliers, qui peuvent eux-
la contraction des différents muscles d u m ê m e s être fractionnés en A F encore plus
modèle de changement réflexe de l'objet, petits, etc. Tout en bas de l'échelle, on trouve
ou modèle des efforts nécessaires. des mouvements dits inconscients qui s'ef-
Décision : intégration d u plan dans l'acte fectuent sans connexion au S A F . Les stimuli
si le stimulus-désir est plus fort que la des A F subalternes sont empruntés aux A F
s o m m e des « freins » qui retardent la réali- d'ordre supérieur.
sation de l'objectif. U n autre exemple : les systèmes parallèles
Actes : c'est la réalisation d u plan, c'est-à- d ' A F orientés vers la satisfaction de besoins
dire de la succession d'actes contrôlés par divers. Dans ce cas, les différentes étapes
la rétroaction, à savoir les changements de d'un A F sont séparées par des intervalles qui
l'objet et les efforts déployés. Si les stimuli servent à l'accomplissement d'un autre A F .
sont incohérents ou insuffisants, l'acte L a possibilité d'alterner les différents A F
prend fin et u n nouveau plan est mis au dépend de la nature des besoins ; les uns
point. « se fatiguent » ou se « saturent », laissant d u
Les trois premières étapes se font par « cer- temps à d'autres A F orientés vers la satis-
cles » concentriques : d'abord une perception faction d'autres besoins. Les plans des A F
superficielle donne une image floue dont sont constamment réexaminés durant les
l'identification et revaluation se font de périodes où le sujet « pense » entre les actes,
manière approximative. Si le bilan est positif lorsque le S A F est déconnecté des récep-
c'est-à-dire si le « désir » l'emporte sur teurs et connecté aux modèles emmagasinés
Ï' « effort », le stimulus augmente et, dans dans la mémoire pour appeler les souvenirs
u n deuxième « cercle », s'effectuent l'étude et procéder à une nouvelle planification.
de l'objet — orientée vers u n butfixé— une
analyse détaillée et une planification précise. Pensée imagée. L'activité de l'intellect est
Ainsi, l'acte fonctionnel tout entier est c o m - fondée sur l'interaction de modèles-images.
m a n d é par les stimuli-besoins-sensations. O n L'image visuelle d u milieu représente une
se trouve ici en présence de critères non seu- succession de modèles-sons, de modèles-
lement spécifiques mais « auxiliaires » qui sensations. Les mouvements sont une suc-
reflètent l'intérêt des actes m ê m e s . Ils orien- cession des activations des modèles qui
tent dans une grande mesure l'activité lors commandent les muscles. Dans la repré-
d u passage d'une étape de l'acte fonctionnel sentation d u m o n d e extérieur ou dans u n
à la suivante. plan d'actes, on distingue toujours des o b -
jets « centraux », perçus dans tous leurs
Signification détails par une vision focalisée, et des objets
périphériques dont la perception est floue.
Toute l'activité de l'intellect se ramène à la L'identification de l'objet central fait appel
planification et à la réalisation d'actes fonc- à la conscience, tandis que les objets péri-
tionnels. U n intellect complexe est généra- phériques sont peut-être identifiés dans le
lement occupé par plusieurs A F ayant des subconscient mais de manière approxima-
objectifs différents, bien qu'à chaque m o - tive ; autrement dit ou bien on reconnaît une
ment l'actualisation se limite à u n seul A F , image très familière ou bien o n ne discerne
les autres n'étant connectés qu'aux fins de qu'une catégorie générale de concepts, par
planification. Les rapports entre les A F peu- exemple : animal ou être humain, adulte ou
vent être différents. L e cas le plus simple est enfant.
celui de la hiérarchie. U n A F de longue Il s'ensuit que le modèle-image-phrase
durée visant u n objectif lointain se compose complexe d u premier ordre se trouve pour
de nombreux A F de plus courte durée, ayant ainsi dire transcrit dans sa « propre langue »

Modélisation de l'intellect humain 85


dont émergent les modèles les plus signifi- cience n'est occupée, à u n m o m e n t donné,
catifs qui désignent la classe de l'objet, ses que par u n seul modèle, par une seule pensée.
particularités et ses actes, ainsi que des mots Il suit les changements d u milieu. Cela si-
du deuxième ordre, c'est-à-dire des concepts gnifie que les modèles des objets extérieurs,
généraux. L a « qualité de généralisation » de son propre corps, d u réglage des récep-
propre aux modèles-images peut s'exprimer teurs, ainsi que les modèles des plans, se
de la manière suivante : il y a « u n h o m m e trouvent dans u n état d'activité supérieure
concret » et il y a « l ' h o m m e en général ». et que les liaisons entre ces modèles et le
L e mécanisme de généralisation des images modèle d u « moi » propre sont bien rodées.
consiste dans la construction d'un modèle D a n s les intervalles qui séparent les diffé-
sans détails mais contenant les caractéris- rentes étapes de l'AF essentiel, la conscience
tiques générales de modèles « particuliers » est connectée périodiquement à ces modèles
de cette classe d'objets. L a généralisation et enregistre les changements éventuels. C e
peut se faire dans l'espace et dans le temps. sont les modèles les plus significatifs qui
A la base de tous les actes fonctionnels, subissent la plus forte excitation et la cons-
il y a une activation successive de modèles- cience continue à faire leur apprentissage
images. Les modèles généralisés intervien- d'autant plus qu'elle y revient souvent. L e
nent dans les A F de longue durée et les niveau d'activité des modèles d'objets moins
modèles concrets dans les A F de courte signifiants et des actes accomplis diminue
durée. régulièrement; les modèles acquièrent u n
caractère de plus en plus « généralisé » et
Le langage. C'est à son développement que s'oublient.
l ' h o m m e doit le langage. Celui-ci est apparu
grâce à la mémoire et à la structure du larynx. Les trois niveaux de conscience
L a pensée imagée est innée. L e langage est
u n code artificiel et parallèle qui est apparu N o u s distinguons conventionnellement trois
au cours du processus de communication, et niveaux de conscience qui caractérisent
qui a permis le développement d'un système l'étendue d u milieu où évolue l'intellect.
supérieur : la société. L e langage écrit sert L e premier, c'est l'attention. Elle existe déjà
de mémoire externe. L a compréhension et chez les animaux et elle est le modèle le
renonciation du discours obéissent aux prin- plus significatif et par conséquent le plus
cipes généraux des actes fonctionnels. Les actif des modèles externes et internes isolés
règles de syntaxe et de grammaire sont le par le S A F . Les actes fonctionnels surgissent
reflet des mécanismes innés d'actes mettant « spontanément », selon le principe « excita-
en œuvre des modèles-images. C'est pour- teur-évaluation-acte », mais m ê m e les ani-
quoi les enfants maîtrisent si facilement le m a u x sont capables de prévoir et de planifier,
langage. encore que cette prévision et cette planifi-
cation échappent à la conscience et soient
Conscient et subconscient. J'ai déjà défini le de courte durée.
mécanisme de la conscience c o m m e le trans- L e deuxième niveau est celui de l'aper-
fert d'un modèle à u n autre, de l'amplifica- ception d u temps, en tant que faculté de
tion engendrée par le S A F , pendant que les discerner les modèles d u présent, d u passé
autres modèles subissent u n certain freinage. et d u futur, celui de la distinction entre le
D a n s u n plan bien conçu, la conscience « moi » et autrui, et entre le réel et l'irréel.
est l'orientation dans l'espace, dans le temps, Tout cela est lié au langage, parce que les
dans les relations et dans les différents états. mots permettent de « noter » et de distinguer
L ' h o m m e , à tout m o m e n t , sait quelles sont les différentes étapes de l'acte fonctionnel
ses liaisons avec le milieu, m ê m e si sa cons- sur lesquelles s'est branchée la conscience,

86 Nikolaï M . Amossov
de savoir qu'à u n m o m e n t donné le « moi » Cela crée le « sentiment » d'être. L a cons-
perçoit, discerne, évalue, planifie, agit. cience ne peut contenir qu'un assemblage
N o u s définissons le troisième niveau restreint de modèles élémentaires, deux ou
c o m m e la faculté de suivre les pensées et, trois au plus. Malgré cela, et aussi étrange
par conséquent, l'aptitude à se connaître que cela puisse paraître, lors d'une pensée
soi-même et à entrer dans le m o n d e d'autrui. brève, l ' h o m m e connaît le contenu de la
Cela élargit sensiblement le cercle des m o - pensée suivante. L e phénomène est analogue
dèles dans la mémoire permanente et active, à ce qui se passe dans la perception visuelle
augmente la faculté de prévision et prolonge d u fait de la vision périphérique, lorsque le
la durée de la planification. C'est ainsi que regard se focalise sur u n objet unique pensée-
se trouvent réunies les conditions néces- figure mais perçoit en m ê m e temps, de
saires aux manifestations de la volonté et à manière floue, d'autres objets (le fond de
l'autoéducation. l'image). L a frontière entre conscient et sub-
L e rôle d u subconscient diminue à mesure conscient n'est pas très nette. L ' u n des m o -
que s'élève le niveau de la conscience dans la dèles est actif mais les modèles voisins sont,
mesure où de nombreuses pulsions subcons- eux aussi, activés dans une certaine mesure,
cientes et obscures se dévoilent et font l'objet m ê m e s'ils se présentent sous une forme
d'une évaluation et d'une critique. généralisée et incomplète. Pour la c o m m u -
tation suivante, le S A F choisit le plus actif
Un choix de modèles parmi les modèles les plus proches. Les sen-
sations y jouent u n rôle important en four-
L'intellect humain est u n réseau gigantesque nissant une large part de l'énergie nécessaire
de modèles. N o u s avons tenté de le systé- à l'activation d u modèle suivant et suffisante
matiser quelque peu en situant les modèles pour faire intervenir le S A F .
sur plusieurs coordonnées. N o u s avons isolé
les objets, les h o m m e s , rinformation et le Travail et création. L e travail peut être assi-
sujet (« moi ») en les plaçant sur deux plans milé à u n acte fonctionnel quelconque. Il se
parallèles : modèles imagés et modèles parlés, fonde essentiellement sur une « lecture », par
avec différents degrés de généralisation. Tous des mouvements ou des contractions m u s -
les éléments se rattachent à des coordonnées culaires, d'un modèle d'image visuelle ou
temporelles — passé, présent, futur et in- sonore.
temporel — et à des coordonnées polaires L a création est la production de modèles
spatiales. Il s'y ajoute ensuite la coordonnée nouveaux et leur matérialisation par des
d u réel. Cependant, la coordonnée principale moyens physiques, c'est-à-dire par le travail.
de tout modèle est son activité. Les liaisons L e point de départ est le modèle d'images.
représentent la relation entre u n modèle L a création est constamment présente dans
donné et le modèle d'une autre classe, de la planification de tout acte fonctionnel au
sorte que, pris ensemble, ils peuvent se m o m e n t où se forme le modèle des actes
comparer à une sorte de construction spatiale. futurs. Dans la plupart des cas, l ' h o m m e
Tous les modèles sont reliés aux points planifie en triant : sur la base d'un modèle
de l'acte fonctionnel à partir desquels se font généralisé, il réunit la succession des modèles
les opérations. L e mécanisme de la cons- d'actes concrets. Pour chaque variante, il
cience s'exprime par une activité constam- détermine la difficulté et le coefficient de
ment élevée des modèles d u « moi », des réalité. O n sait cependant que les problèmes
sensations et du réglage des récepteurs, ainsi les plus difficiles ne peuvent être résolus par
que par l'amplification périodique d'un m o - u n simple tri. Les personnes douées trouvent
dèle qui définit l ' h o m m e dans l'espace, dans des solutions originales en les empruntant à
le temps et dans ses rapports avec autrui. d'autres branches d u savoir et, parfois, les

Modélisation de l'intellect humain 87


idées viennent de manière tout à fait inat- décalage des caractéristiques est notable, le
tendue. C e phénomène peut s'expliquer par comportement transgresse les limites des
la recherche subconsciente : le problème normes moyennes. O n peut obtenir des sché-
reste sous forme d'un modèle très actif et mas de comportement différents en modi-
sa solution surgit de manière aléatoire lors fiant les diverses sensations biologiques o u
des variations d'activité des autres modèles. auxiliaires, notamment les critères de la
E n outre, le modèle-problème engendre, lui réalité. L e comportement se transforme éga-
aussi, une activité qui se propage, par les lement en cas de perturbation du S A F . Tous
liaisons, mais toujours dans le subconscient, ces éléments peuvent être mis en modèle.
vers d'autres modèles dont il peut augmenter
les chances d'émerger dans la conscience. Modélisation de l'intellect

Rêves et psychopathologie. L'hypothèse sur Toute hypothèse ne vaut qu'à partir d u


les mécanismes de la pensée devrait pouvoir m o m e n t où elle est confirmée par les faits ;
expliquer le phénomène des rêves et le cela s'applique également à la modélisation
comportement d'un malade mental (et u n de l'intellect humain. Faut-il chercher des
modèle de l'intellect devrait pouvoir les re- modèles dans le cortex cérébral ou créer des
produire). Cela m e paraît possible si l'on modèles de l'intellect qui imitent le compor-
admet que les caractéristiques du S A F et des tement de l ' h o m m e ? Les derniers modèles
sensations peuvent être modifiées. Pendant ne prouvent pas que l ' h o m m e pense exac-
le sommeil, le S A F est freiné, de m ê m e que tement c o m m e eux, mais ils détruiront le
la « coordonnée » de la réalité, et les récep- mythe d'une raison irréductible à des struc-
teurs sont déconnectés. L'activité circule tures. Malheureusement, l'énigme de la rai-
selon des modèles, généralisés et concrets, son humaine se laisse aussi difficilement dé-
excités antérieurement, qui subsistent dans chiffrer par les voies de la psychophysiologie
la mémoire active après la journée vécue. que par celles de la technique. N o u s avons
L e S A F excite encore légèrement le modèle choisi la technique mais les possibilités qui
le plus actif mais non au point d'exciter ses s'ouvraient à nous étaient très limitées.
liaisons qui vérifient la réalité au m o y e n de L a première hypothèse sur les mécanismes
nombreuses coordonnées. C'est ainsi que sur- de la pensée a été publiée en 1965. U n ou-
gissent des configurations compliquées o ù vrage paraissait sur ce sujet aux États-Unis
s'entremêlent l'absurde et le bon sens. O n en 1967. Depuis lors, une équipe de cher-
observe u n phénomène semblable dans la cheurs de l'Institut de cybernétique de l'Aca-
rêverie, où le critère de réalité est déconnecté démie des sciences de la R S S d'Ukraine a
par u n acte de volonté. accompli, sous la direction de A . M . KasatMn
L e comportement pathologique se carac- et de E . M . Kussul, u n travail considérable
térise par son illogisme et sa déviance par en construisant des modèles de l'intellect sur
rapport aux critères universellement admis. des réseaux conventionnels composés de
Mais les critères, ce sont les sensations. Si modèles élémentaires d'objets, qualités, actes
l'on modifie les caractéristiques des sensa- et sensations et utilisant le S A F . Les pre-
tions qui permettent d'évaluer les influences miers modèles ont été construits par des
extérieures, on provoquera immédiatement calculatrices numériques et reproduisaient
une modification des agissements et de toute le déplacement d u sujet dans u n certain m i -
l'activité d u sujet. L'individualisme qui se lieu où il avait à faire face à des objets tels
manifeste dans le comportement des h o m m e s que « ennemis », « aliments », « obstacles ».
sains psychiquement s'explique par les dif- Ces modèles étaient déjà accompagnés de
férences entre leurs sensations, autrement programmes très simples d u psychisme, tels
dit, entre leurs critères d'évaluation. Si le que le conscient et le subconscient, Poptimi-

88 Nikolaï M . Amossov
satíon de l'action selon de nombreux critères- Cela n'est malheureusement pas encore
sensations avec prévision et planification. O n possible. N o u s travaillons sur l'apprentissage
avait prévu des généralisations diverses des des liaisons et des ensembles mais nous ne
modèles : apprentissage, oubli, voire l'in- pouvons espérer disposer de grands réseaux.
fluence du « caractère » sur le comportement. Les modèles typiques de réseau, construits
L'essentiel d u travail consistait à calculer sur ordinateur numérique, n'ont, eux non
les variations, par unité de temps, de l'ac- plus, aucune perspective d'avenir.
tivité des modèles élémentaires en fonction Il faut chercher la solution ailleurs. Elle
des sensations et d u S A F . L'expérience a nous est suggérée par l'hypothèse fonda-
montré les limites de cette méthode car il est mentale. C o m m e on l'a déjà indiqué, la
difficile de calculer les variations de l'acti- pensée au niveau d u conscient consiste en
vité des modèles lorsque leur nombre dépasse une succession de commutations de modèles
la centaine et la capacité de transmission des selon le schéma de l'acte fonctionnel sous
liaisons lorsque leur nombre dépasse le mil- l'effet d u S A F . Cela correspond au prin-
lier, tout c o m m e il est difficile d'ajuster les cipe de l'algorithme, en tant que séquence
programmes. L a méthode ne vaut que pour d'actions. L a connexion d u modèle suivant
de petits réseaux. L e cerveau humain fonc- dépend d u degré d'activité du modèle précé-
tionne selon le principe d'une calculatrice dent, présent dans la conscience, et d u m o -
analogique et n o n d'une calculatrice n u m é - dèle de la sensation et de l'action primaire.
rique. C'est pourquoi nous avons décidé, il Mais elle ne dépend pas uniquement de ces
y a cinq ans, de travailler sur des réseaux de modèles. Elle estfiéeaussi au niveau de sortie
modèles fondés sur des éléments physiques. de l'activité des modèles et à l'efficacité des
Malgré la modicité de nos moyens techni- liaisons qui les unissent. Ces grandeurs sont
ques, nous avons réussi à créer une petite formulées dans le subconscient. Il s'ensuit
voiture robot commandée par u n intellect que les divers actes de commutation de la
primitif. Elle évolue toute seule dans une pensée, obéissant à u n algorithme, doivent
cour, contournant les obstacles et choisissant être complétés par un inventaire de l'activité
le meilleur trajet pour atteindre le but fixé. de tous les modèles emmagasinés dans la
mémoire, selon le principe appliqué dans les
Peut-on reproduire l'intellect humain ? modèles de réseau, avec cependant cette dif-
férence importante que l'inventaire peut
Peut-on espérer reproduire l'intellect humain s'effectuer toutes les cinq à dix périodes de
et par quels moyens ? Notre expérience de conscience et non pas à chacune d'entre elles.
la modélisation et notre hypothèse sur la Cela permet de réaliser une économie ap-
pensée nous mettent à m ê m e de comprendre préciable de temps d'ordinateur.
la difficulté d u problème. A l'heure actuelle, nous élaborons des
L a solution idéale serait de construire u n modèles de l'intellect où nous nous efforçons
très grand réseau physique composé d'élé- de concilier l'approche algorithmique avec
ments électroniques représentant des m o - l'approche par réseau. N o u s espérons ainsi
dèles d'objets, de qualités, d'actes et de sen- reproduire une pensée spécifiquement h u -
sations. L e réseau devrait comprendre u n maine ayant une conscience du second degré
S A F capable de former de nouvelles liaisons et possédant le langage, ne fût-ce que dans
et des ensembles de modèles élémentaires u n domaine d'activité très limité. Si difficile
(« phrases ») qui refléteraient les images et qu'il soit, ce problème ne nous paraît pas
les situations du m o n d e extérieur, autrement insoluble.
dit les actes fonctionnels de l'activité propre
et, dans l'ensemble, toutes les particularités
du psychisme, y compris le langage.

Modélisation de l'intellect humain 89


L'intellect artificiel et la pensée h u m a i n e conditions atmosphériques ou de l'économie.
L e cerveau de l ' h o m m e s'acquitte mal de
L'hypothèse sur les mécanismes de la pensée ces tâches. Il faut, avant tout, reproduire la
peut-elle avoir une influence sur le dévelop- conscience et le subconscient. D e tels pro-
pement de rinformatique ? Je serais tenté de grammes permettront de surveiller simulta-
répondre par la négative. Les espoirs placés nément de nombreux objets du milieu, de les
dans la bionique, en tant que science qui a commander indépendamment les uns des
pour but d'introduire des « constructions autres et, en m ê m e temps, de réagir, dans le
biologiques » dans la technique, ne se sont sens voulu, par des actes fonctionnels aux
pas réalisées. L e génie réussit mieux à créer déviations les plus significatives qui se pro-
de nouvelles formes qu'à reproduire la na- duisent dans le milieu considéré c o m m e u n
ture. E n outre, notre cerveau est loin d'être tout.
u n intellect idéal. Son volume est limité ; il Cela exigera une technique spéciale avec
établit d u m o n d e extérieur u n modèle très des programmes parallèles qui seront connec-
déformé par les sens. L'évolution l'a façonné tés à partir de critères. U n ordinateur de ce
pour qu'il puisse résoudre le problème de la type représente déjà en substance u n intellect
survie dans une nature diverse qui se trans- artificiel avec une conscience de niveau infé-
forme rapidement ; elle ne l'a pas destiné à rieur. L'idée d'une conscience de haut niveau
faire face à une révolution scientifique et apparaît aussi c o m m e séduisante pour autant
technique. Les progrès de la technique dé- qu'elle promet la capacité de créer. O r , dès
pendent de la physique et non de la biologie. qu'un intellect artificiel possédera son « moi »,
Certaines fonctions de la raison humaine il pourra échapper à tout contrôle du fait qu'il
pourront cependant servir de base à la mise aura la faculté defixerses propres objectifs,
au point d'ordinateurs spéciaux destinés à autrement dit d'avoir une activité non prévue
gérer des systèmes complexes dont la diver- dans la construction initiale. C e danger, tout
sité est aussi grande que mouvante. Exemple : à fait réel, n'est cependant pas pour au-
soins médicaux et éducation, contrôle des jourd'hui. D

Pour approfondir le sujet (dir. publ.). Proceedings of the 3rd Tbilisi


Symposium on Cerebral Circulation,
B A D D E L E Y , A . The psychology of memory. June s~7 I974~ Budapest, Akademia, 1976.
N e w York, N . Y . , et Londres, Harper and (En anglais.)
R o w , 1977. U n texte clair et bien présenté. S A G A N , C . The dragons of Eden. N e w York,
K O S T U K , F . L e cerveau et la neurophysiologie N . Y . , R a n d o m House, 1977. U n e
(communication présentée à l'occasion du reconstitution détaillée de l'évolution de
soixantième anniversaire de la fondation de l'intelligence humaine.
l'Union soviétique). Paris, Palais de la W E I Z E N B A U M , J. Computer power and human
découverte, 22 octobre 1977. reason. San Francisco, Calif., W . H . Freeman,
MEKHEDLISHVILI, G . ; K O V A C H , A. ; N Y A M , I. 1976.

90 Nikolai M . Amossov
Lettres

Méthode numérique pour calculatrices de poche

Répondant à notre dernier numéro, consacré à impossible que cela crée une véritable révo-
« L'enseignement des sciences de l'ingénieur » lution dans l'enseignement de la physique.
(« Engineering Education Today »), un emi- L a méthode généralement employée pour
nent professeur de physique propose une méthode résoudre les équations différentielles par les
nouvelle pour remplacer l'analyse numérique procédés numériques est itérative, procédant
lorsque l'étudiant ne dispose pas de calculatrice par différences finies. Je vais vous l'expliquer
programmable de poche. C'est le professeur à l'aide de l'exemple suivant : u n e m ê m e
Eric Mendoza, Amos De- Shalit Science Teach- série de calculs doit être répétée à plusieurs
ing Centre, 18 Rehov Neve Sha'anan, Jéru- reprises et des tables représentant les va-
salem (Israël), qui est notre correspondant. riables doivent être établies. Ces nombres
(ou leur graphique) sont les produits finals
des calculs. L'étudiant ou le professeur doit
L e prix des calculatrices de poche a suffi- alors les interpréter tout c o m m e o n doit le
samment diminué pour permettre à b o n faire lorsque la solution symbolique d'une
nombre d'étudiants, au lycée o u à l'univer- équation différentielle fait l'objet d'une dis-
sité, d'avoir la leur. Toutefois le rôle joué par cussion ou d'une interprétation.
ces calculatrices dans l'enseignement n'est Les méthodes itératives sont celles qu'uti-
encore que minime. L'objection la plus fré- lisent les grands ordinateurs qui effectuent
q u e m m e n t soulevée porte sur le point de très rapidement les opérations. E n principe,
savoir s'il est équitable q u ' u n étudiant a p - on peut effectuer les m ê m e s opérations en
porte u n e calculatrice lorsqu'il se présente appuyant sur les touches d'une calculatrice
à u n examen, dans la mesure o ù cela peut de poche mais, évidemment, à une vitesse
l'avantager par rapport à celui qui n'en a pas. considérablement moindre. Les calculatrices
Cet argument porte en réalité sur la substi- de poche programmables, relativement nou-
tution de nombres aux symboles dans les velles sur le marché, sont déjà à peu près dix
formules obtenues selon les méthodes d'ana- fois plus rapides que les calculatrices m a -
lyse traditionnelles, employant, par exemple, nuelles ; leur emploi avec des méthodes
des équations différentielles résolues par les itératives a retenu quelque attention [ï]1.
méthodes normales d'intégration. Dans les pays riches, ces calculatrices sont
M o n propos est de montrer que les cal- vendues dans le c o m m e r c e ; leur prix dé-
culatrices de poche peuvent avoir u n tout gringole rapidement, c o m m e cela avait été
autre emploi — elles peuvent permettre de
résoudre des équations directement, en sui- ï. Les chiffres entre crochets correspondent aux
vant les méthodes numériques. Il n'est pas notesfigurantà lafinde cette lettre.

impact : science et société, vol. 28 (1978), n° 1 91


le cas pour les calculatrices ordinaires il y a connaître qu'il n'est nullement question de
quelques années. Mais des écarts de prix supprimer les méthodes analytiques nor-
importants subsistent entre les deux types males, mais seulement de les compléter.
de calculatrices et, dans certains pays c o m m e L'exemple qui suit est tiré du programme
Israël, on ne trouve pas de calculatrices des cours de deuxième année : « Atomes,
programmables. molécules et propriétés de la matière », dis-
Signalons que les calculatrices de poche pensés à Everyman's University (L'univer-
courantes peuvent souvent faire office de cal- sité accessible à tous) en Israël. Lorsqu'ils
culatrices programmables « du pauvre ». Les ont atteint u n certain niveau, les étudiants
étudiants qui s'en servent peuvent obtenir les connaissent la définition de C„ et C p (chaleur
m ê m e s résultats à condition qu'ils veuillent spécifique d'un gaz à volume et pression
bien avoir la patience d'y consacrer quelques constants) et on leur a dit que ces quantités
minutes, alors que quelques secondes suf- étaient essentielles. O n leur a démontré le
fisent à leurs cousins plus privilégiés [2]. rapport (C p — C„) = R , où la constante d u
gaz R (ou r s'il s'agit d'une masse plus faible)
pour 1 mol est une quantité connue. D e la
Complément
aux méthodes analytiques normales sorte, ils savent que s'ils peuvent mesurer Y ,
qui est le rapport C ^ / C , , , ils peuvent déduire
Jusqu'à présent, la plupart des auteurs ont C„ et C p séparément l'un de l'autre.
axé leur étude sur les calculs individuels, par Il est bien plus facile — techniquement —
exemple : comment calculer les solutions de de mesurer y que de mesurer directement
l'équation de Schrödinger, à l'aide de telle une chaleur spécifique, d'où l'importance de
ou telle calculatrice [3,4]. Je désire, pour m a certains phénomènes — la vitesse d u son et
part, étudier la question sous u n angle légè- les changements de température survenant
rement different, dans la mesure où les réper- dans la compression adiabatique. Malheu-
cussions de l'emploi des calculatrices sur le reusement, la démonstration habituellement
contenu des programmes de physique nous faite du rapport p V Y n'est pas toujours bien
apparaîtront plus nettement au fur et à m e - comprise par beaucoup d'étudiants qui sont
sure des expériences actuellement en cours. alors tentés de l'apprendre par cœur sans en
Pourtant nous pouvons deviner, sans avoir à comprendre les principes.
attendre ces résultats, que, si nous donnions Il y a bien des approches différentes, toutes
moins d'importance aux mathématiques ana- également difficiles. L'une d'elles est la
lytiques ordinaires.dans les programmes de suivante :
physique, nous verrions probablement u n Premièrement, de la loi pV = R T , l'on
type nouveau d'étudiant opter pour l'étude déduit :
de la physique. p-dV + V-dp = R-dT, (1)
O n pourrait d'ailleurs soutenir que, puis-
que maintenant les physiciens ne cherchent ayant trait à de faibles écarts de pression,
plus guère à résoudre leurs problèmes par de volume et de température.
voie d'analyse, mais s'adressent directement Deuxièmement
aux ordinateurs, c'est faire preuve de réa- dQ = Cv-dT+p-dV (2)
lisme que d'initier les étudiants aux m é -
thodes numériques le plus tôt possible. Mais établit l'équivalence entre l'énergie calori-
il est encore trop tôt pour répondre d'une fique et le travail; pour une modification
manière définitive à la question : « Dans adiabatique, d Q = 0. E n éliminant dT, on
quelle mesure les méthodes numériques obtient :
peuvent-elles remplacer les méthodes ana- dp- dV
lytiques ? » Sans doute vaut-il mieux re- o = C 0 . y + (C!, + R ) . — . (3)

92 Lettres
E n se servant de (Cj, — C r ) = R , on peut O n procède c o m m e suit :
intégrer cette équation pour obtenir : Imaginons qu'on réduise u n peu le
V * = constante. (4) volume, disons de 50 c m 3 (c'est-à-dire
que de 1 000 x io - 6 m 3 , on le ramène à
Bien qu'elle soit claire, cette analyse apparaît 950 x i o - 6 m 3 ) . Pour arriver à cela, il
souvent c o m m e une mystérieuse jonglerie nous faut une pression légèrement supé-
de mathématicien (comme c'est si souvent le rieure à io6 N m - 2 (pression d u gaz).
cas en thermodynamique), bien éloignée du L'aspect physique de cette compression est
domaine de la physique. C'est ce que nous que le travail effectué sur le gaz est de :
voulions éviter. io5 X 50 X io - 6 = 5J (ou en symboles :
— p - A V , A V indiquant l'augmentation de
Méthode de calcul spécifique volume, et p la pression). Donc la tempéra-
ture s'élève de 5/I = 10 K (en symboles,
L'analyse par méthode numérique (on prête A T = —p - A V / C , , ) , atteignant ainsi la tem-
une calculatrice de poche à chacun des étu- pérature de 3 io° Kelvin. A lafinde cette fai-
diants de la classe) a été développée afin de ble compression, le volume est de 950 c m 3 ;
bien montrer qu'un seul principe de phy- donc la pression est : p = r T / V = i X 310
sique est en jeu — réchauffement résultant X 950 x io - 8 = 1,0877 x I o 5 N m - 2 .
du travail fourni pendant la compression Pour la petite compression qui suit, il
exprimé ci-dessus dans l'équation (2). Pre- faut prendre une pression supérieure à :
nons 1 litre d'un gaz parfait à une tempéra- 1,0877 x IQ5 N m - 2 , à la température de
o
ture de 300 Kelvin (voisine de la tempéra- départ de 310 0 Kelvin. Mais le calcul se fait
5 - 8
ture ambiante) à une pression de io N m de la m ê m e manière. O n peut généraliser le
(voisine de 1 atmosphère). L e gaz suit le procédé (en se servant de l'indice «, qui
rapport pV = rT, où r = i J K _ l et la quan- indique le stade de l'opération) dans le pro-
tité de chaleur latente C„ de toute la masse gramme 1, calcul qui doit être répété un cer-
de gaz est de : \ J K - 1 (en fait, cela veut dire tain nombre de fois jusqu'à obtention du
qu'on doit prendre à peu près 0,04 g/mol de résultat recherché.
gaz monoatomique). L e gaz est comprimé Ce schéma des calculs à faire est l'algo-
à 500 cm 3 , soit la moitié du volume initial, rithme, et le déterminer est l'une des phases
sans déperdition de chaleur. Quelle tempé- créatives de cette analyse. L'algorithme doit
rature atteindra-t-il alors ? Et quels seront alors être reproduit dans une série d'opéra-
les rapports p-W-T pendant la compression ? tions « presse-bouton ». A la différence de
Je vous prie de remarquer que nous nous l'algorithme, ce programme dépend du type
bornons ici à essayer d'analyser un exemple de machine utilisée.
numérique spécifique. Les lois générales ne Deux remarques concernant l'algorithme
pourront être établies que plus tard. ci-dessus : a) le calcul de V „ est si simple que

Programme 1

Choisir A V „ = — 5 0 - io_G r toujours


calculer V„ = yn-r + AV„ et l'inscrire

calculer ATn = - p „ _ 1 . A V J C
calculer T„ = T » . ! + A T n et l'inscrire
calculer Pn = r • T„/V„ et l'inscrire

Lettres 93
les valeurs sont évidentes à la lecture et peu- » = 10, c'est-à-dire V „ allant de 1 000 à 500)
vent être inscrites immédiatement ; les deux peuvent être inscrites immédiatement.
premières lignes du tableau n'offrent donc L'ordre dans lequel on doit appuyer sur
plus aucun intérêt ; b) la quantité—AVJC,, les touches à la B"*™* fois de l'algorithme est
reste constante pendant chacune des étapes indiqué dans la première colonne du pro-
du calcul, de sorte qu'on a intérêt à la rete- gramme 2 . Les trois premières opérations
nir ; elle est de io~* dans nos unités. indiquées au-dessus de la ligne pointillée ne
doivent servir que pour la première des
Séquence à touches « presse-bouton » phases du cycle (où n = 1) ; on lit donc
E N T E R T 0 * M * E N T E R / » 0 * . Si toutefois on
La calculatrice dont on se sert à Everyman's a commis une erreur et qu'il faille recommen-
University comporte une référence de l'ex- cer la séquence, on peut avoir à se resservir
posant ; c'est-à-dire que 4 x io _ ï est entré de ces opérations. Dans la deuxième colonne
dans la séquence « presse-bouton » sous la du programme 2 figurent les commentaires
forme : 4 * E X P * 3 * C H A N G E S I G N * , dans et dans la troisième les nombres où n = 1.
laquelle l'astérisque (*) indique qu'il faut Dans les reprises suivantes de la séquence,
appuyer sur une touche. L a calculatrice a la valeur de Tn_t se trouve déjà dans la
également une mémoire ; il faut appuyer sur mémoire etp B _ 1 apparaît sur le cadran lumi-
la touche M pour introduire le nombre figu- neux, de manière qu'on commence au point
rant sur l'écran de visualisation. L a touche indiqué par laflèche.L a liste des valeurs de
AIR rappelle les valeurs mises en mémoire p et T s'établit progressivement (les valeurs
sur l'écran lumineux. Il faut alors préparer de V ayant déjà été inscrites).
des colonnes pour dresser une liste des va- Le temps nécessaire au calcul de chaque
leurs correspondant à V „ , T „ et pn. Les élément est d'une demi-minute environ. A
valeurs de V „ (à partir de n = 0 jusqu'à force de répéter la séquence, onfinitpar la

Programme 2

Entrer T „ . t normalement nécessaire 300


M uniquement pour w = r M
Entrer/>„_! 1EXP5

->• x -> x
-AV„/C, AT„ = - Î W _ 1 . A V / C , r E X P 4 chgt. S I G N
+ T B _ ! sur l'écran de
+
MR 300
visualisation
= T n sur l'écran 310
M T n dans la mémoire 310 dans le mémoire
Recopier sur la liste Recopier 310 pour T t
T
X -7-
r 3
~7"
V„ (sélectionner sur ~950 E X P 6 chgt. S I G N
la liste)
= Pn = rTJVn 1,0877 E X P 5
— Recopier dans la liste — Recopier 1,088 X 10 s
Pn pour f>!

94 Lettres
Programme 3 .

V„ T„ pn

"O I OCX)-10s '300' i-io*


I • 950 310 1,0877
.2 • , COO 320,88 1,1884
3 850 332.76 1,3050

10 ' 500 463,9 • 3.093

connaître par cœur, en partie ou en totalité, L'étudiant peut calculer y pour le gaz
et le calcul s'opère encore plus vite. Pour les (connaissant les valeurs de C v et de r, il sait
étudiants, la meilleure formule semble être que C p - =Cv + r, et, partant, que y = 1567)
de travailler à deux si possible, l'un énonçant et il peut admettre que, si l'on faisait le calcul
tout haut- les:- nombres et les inscrivant, par étapes infinitésimales au lieu de procéder
l'autre appuyant sur les touches adéquates par diminution discrète d u volume, l'expo-
(ce dernier doit avoir le programme sous les sant serait y lui-même et non pas 1,64.
yeux). Ensuite on peut prendre, en les groupant
Pour tout calcul," il est indispensable de par deux, n'importe quelles lignes consé-
vérifier si les nombres obtenus ont une signi- cutives d u - p r o g r a m m e pour déterminer
fication réelle ou s'ils correspondent seule- l'élasticité adiabatique d u gaz nécessaire, par
ment aux détails de la méthode utilisée. O n exemple, dans le calcul de la vitesse d u son.
peut le faire en changeant sensiblement l'ac- Avec les deux premières lignes on trouve
croissement de la variable indépendante; — V-A/>/AVégalài,7i x io5Nm-2.Ilest
dans le cas d'espèce, cela équivaut à refaire facile de calculer que, si la compression était
dans l'ordre une série de calculs, en adop- isotherme et si p0 V 0 = Pi V „ l'élasticité se-
tant, disons, une diminution de volume de rait de 1,053 X I o 5 N m - 2 . L e rapport entre
25 c m 8 . O n s'aperçoit rapidement que cela ne les deux élasticités est de 1,62 ; là encore, on
modifie guère les résultats, de sorte que peut admettre que le rapport est égal à y dans
ceux-ci sont acceptables. O n peut également le seul cas de faibles augmentations. O n peut
améliorer l'algorithme (une fois qu'on a bien étendre ces résultats aux gaz diatomiques si
compris l'algorithme simple) en choisissant l'on prend C„ = | r , à condition de faire
une pression moyenne de i (Pn-i ~r />»)» passer — à W J C , de i o - 1 à 6 x i o - s . L'ex-
c o m m e pression à employer pendant la c o m - posant d u graphique logarithmique m e n -
pression. Mais l'algorithme apparaît alors tionné est 1,39, qui se compare avec
nettement plus complexe et la précision sup- y = MO.
plémentaire n'en vaut pas la peine. Cet exemple semble bien prosaïque aux
physiciens qui ont des calculatrices program-
mables. Néanmoins, il illustre bien u n cer-
Analyse des résultats tain nombre de points. Premièrement, la
Q u a n d on fait u n graphique de/>„ et V „ sur phase de l'opération « presse-bouton » n'est
papier logarithmique, o n voit que le gaz qu'une partie limitée de l'opération qui
obéit à la loi: comprend l'établissement des : courbes et
leur interprétation, et - devrait également
_yi-«* __ constante. (5) comprendre (de préférence) la traduction par

Lettres 95
l'étudiant de l'algorithme en u n programme moniques d'un corps dans une fonction po-
et sa vérification. tentielle voisine de la parabole peuvent se
Deuxièmement, nous avons suivi une m é - traiter aussi facilement que les vibrations
thode numérique pour nous attaquer à u n harmoniques. A u niveau atomique, les vibra-
problème de thermodynamique — science tions anharmoniques sont à la base de l'ex-
généralement considérée c o m m e exigeant pansion thermique ; elles sont traitées dans
une certaine pureté d'approche et, de ce fait, le programme « Atomes, molécules et pro-
passant, aux yeux de la plupart des étudiants, priétés de la matière » déjà cité.
pour la partie la plus terne de la physique. E n général, on réserve le sujet en question
A u contraire, dans la situation exposée ci- pour u n stade plus avancé du programme, à
dessus, l'étudiant se trouve confronté à des cause de l'aspect si embrouillé des mathé-
quantités réelles. L e fait que la compression matiques. Mais, parce qu'il est très facile de
d'un gaz soit suivie étape par étape lui fait traiter numériquement des oscillations an-
bien mesurer que la pression utilisée pour harmoniques, on a jugé possible de présenter
comprimer le gaz doit toujours être légère- ce sujet dans la première partie d u cours
ment supérieure à celle exercée par le gaz — où elle a sa place logique.
lui-même ; l'établissement progressif du pro- Il y a cependant encore un autre exemple,
g r a m m e démontre clairement cette nécessité. plus connu celui-là, dans lequel les m é -
Cela permet au professeur de partir de cette thodes numériques peuvent aider à démythi-
base pour développer sa leçon, pour faire fier un sujet compliqué : celui du pendule
ressortir que c'est là u n moyen idéal -- simple soumis à de fortes oscillations. N u -
d'élaborer u n processus adiabatique et qu'il mériquement, on se sert seulement du sinus
doit se dérouler avec une lenteur infinie, de l'angle (au lieu de l'angle lui-même) en
affirmation qui déconcerte généralement les calculant les accélérations, ou d'un terme de
étudiants. l'espèce M G L (I — cos. 6) pour l'énergie
Enfin, il convient de remarquer que notre potentielle (au lieu d'un terme , c o m m e
cours n'a pas pour objet de s'en tenir à 1/2 M G I0a). Par voie d'analyse, on est obligé
l'étude de la thermodynamique, mais de pré- de se servir de fonctions elliptiques et le
lever certains résultats techniques (mesures sujet ne figure généralement pas dans les
de chaleur spécifique) qui, à u n stade ulté- programmes de physique, malgré son impor-
rieur du programme, permettront de fournir tance. Avec une calculatrice de poche, c'est
des informations sur l'atomicité des molé- aussi facile à résoudre et à interpréter qu'un
cules. Dans ces conditions, la méthode n u m é - mouvement harmonique pur et simple.
rique est probablement suffisante. N o u s espérons que l'exemple donné ici
encouragera les professeurs de lycée et d'uni-
Applications de la méthode versité à faire l'expérience de cette méthode
pédagogique solide. Il n'y a pas besoin d'at-
J'ai sélectionné u n programme donné et la tendre l'avènement des calculatrices . pro-
place qu'il occupe dans une série de cours grammables pour commencer à l'appliquer.
donnée, mais les méthodes numériques peu-
vent être employées dans toute la physique. ERIC MENDOZA
L'analyse numérique des problèmes de dy-
namique traitant d'accélération variable est
probablement familière à de nombreux lec-
teurs; cependant l'avantage qu'offrent les Notes .
méthodes numériques apparaît vraiment
1. E I S B E R G , R . Applied mathematical physics
lorsqu'on s'attaque à des problèmes non with programmable pocket calculators.
linéaires. Par exemple, les vibrations anhar- New York, N . Y . , McGraw-Hill, 1977.

96 Lettres
2. M E N D O Z A , Ë . Pocket calculators and 4. Pour certains problèmes de dynamique,
numerical methods in physics teaching. les calculs aléatoires, y compris l'entropie
School sei. rev., vol. 56, juin 1975, p. 718. . et l'équation de Schrödinger, voir la note 1.
3. S C H M I D T , S. Fourier analysis and synthesis Certains problèmes de dynamique figurent
with a pocket calculator. A m . j. phys., également dans l'article cité dans la
vol. 45, janvier 1977, p. 79. note 2.

Lettres 9 7
En réponse aux demandes
de lecteurs...

. . . impact : science et société traitera les thèmes suivants au


cours des quinze mois à venir.

vol. 28j n° 3 (juillet-septembre 1978) Ordinateurs


et options sociales

vol. 28, n° 4 (octobre-décembre 1978) L e siècle d'Einstein

vol. 29, n° 1 (janvier-mars 1979) L a science


et la nourriture tirée
de la mer

vol. 29, n° 2 (avril-juin 1979) Énergie provenant d u


noyau atomique

vol. 29, n° 3 (juillet-septembre 1979) Chimie et physique de


l'atmosphère
SCIENTIA
International Review of Scientific Synthesis
Founded in 1907

Scientific Editorial Board: S C I E N T I A has never abandoned its programme


Piero Caldirola
Ludovico Geymonat of rigorous scientific synthesis; it aims at going
Guiseppe Montalenti beyond rather than refuting disciplinary special-
ization.
Editor: N . Bonetti

T h e motivations behind this approach can be


explained today on the one hand through the
formation of n e w areas of scientific research, and
on the other through the lively evolution of those
social frameworks which are atone and the same
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Italy Lit. 18,000 time both cause and effect of such research.
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REVUE
INTERNATIONALE
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SOCIALES
La Revue internationale des sciences sociales a été
créée par l'Unesco pour favoriser le développement de la coopération internationale et inter-
disciplinaire dans les domaines de la recherche et de la documentation.

L a Revue internationale des sciences sociales groupe


des articles de spécialistes de diverses disciplines autour d'un thème principal ; elle contribue
à dégager les fondements, les modalités et les méthodes de la recherche multidisciplinaire
tout en montrant sa fécondité, sa capacité de novation et de création.

L a Revue comporte quatre rubriques permanentes : :


Thème principal. Cette première rubrique occupe
environ les deux tiers de chaque numéro. Les thèmes sont choisis en fonction de leur actualité,.
de leur importance internationale et de leur signification théorique et méthodologique, us trai-
tent des problèmes qui se posent à certaines disciplines dans leur évolution, des champs d'études
interdisciplinaires o u des questions d'ordre professionnel, institutionnel ou documentaire. U n e
rubrique Tribune Kbre, en général assez courte, complète cette première partie. Elle permet de
présenter des compléments d'information, des prises de position, des réactions nouvelles o u
des approfondissements concernant des thèmes traités dans des numéros précédents.

Le milieu des sciences sociales. Cette rubrique


complète l'apport théorique par des informations pratiques concernant des sujets profession-
nels et institutionnels. : .' ' ,
Bases de données socio-économiques : situations et
évaluations. Cette rubrique a été conçue pour compléter le contenu plus théorique et spécialisé -
des parties thématiques de chaque numéro. Elle est consacrée à deux types d'études concernant
les bases de données socio-économiques primaires.

• Services professionnels et documentaires. Cette der-


nière rubrique comprend u n calendrier des réunions internationales, une sélection annotée
des publications et documents d u système des Nations Unies, deux fois par an une liste des
nouveaux périodiques en sciences sociales et, enfin, une liste des livres reçus.

Le numéro : 23 F Abonnement : u n an : 70 F ; deux ans : 116 F


Notre prochain numéro
traitera du thème suivant :

Transfert d e technologie intégré


Balwant Bhaneja etJ.A. S. Walker, Ottawa
Recherche scientifique et coopération technique
K. Nagaraja Rao, Cambridge (Mass.)
L'enseignement scientifique et technique pour le développement à l'université
Leon Zevine, Moscou
Les transferts de technologie : u n point de vue soviétique
Hajime Eto et Ryujiro Ishida, Tokushima
L a valeur réelle de la technologie : une évaluation
K. K. Murthy, Bangalore
La conservation de l'énergie : u n impératif mondial
Edgar Da Silva et al., Paris-Nairobi-Tokyo
La technologie microbienne au service des pays en développement
J. W. Forje, Stockholm
Préparatifs des pays défavorisés pour la Conférence des Nations Unies
sur le développement

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Ratulangi 37, J A K A R T A P U S A T .
Irak McKenzie's Bookshop, AI-Rashid Street, B A G H D A D .
Iran Commission nationale iranienne pour l'Unesco, avenue Iranchahr Chomali
n° 300, B . P . 1533, T E H E R A N . Kharazmie Publishing and Distribution C o . ,
139, Shah Reza Ave., Opposite to University of Teheran, P . O . Box 14/1486,
TEHERAN.
Irlande The Educational Company of Ireland Ltd., Ballymount Road, Walkinstown,
D U B L I N 12.
Islande Snaebjörn Jonsson & Co., H . F . , Hafnarstraeti 9, REYKJAVIK.
Israël Emanuel Brown, formerly Blumstein's Bookstores : 35 Allenby Road et 48 Nachlat
Benjamin Street, T E L A V I V ; 9 Shlomzion Hamalka Street, JERUSALEM.
Italie L I C O S A (Libreria Commissionaria Sansoni S.p.A.), via Lamarmora 45, casella
postale 552, 50121 FrRENZB.
Jamahiriya arabe libyenne Agency for Development of Publication and Distribution, P . O . Box 34-35,
TRIPOLI.
Jamaïque Sangster's Book Stores Ltd., P . O . Box 366,101 Water Lane, K I N G S T O N .
Japon Eastern Book Service Inc., C . P . O . Box 1728, T O K Y O 100 92.
Kenya East African Publishing House, P . O . Box 30571, N A I R O B I .
Koweït The Kuwait Bookshop C o . Ltd., P . O . Box 2942, K U W A I T .
Lesotho Mazenod Book Centre, P . O . M A Z E N O D .
Liban Librairies Antoine A . Naufal et Frères, B.P. 656, B E Y R O U T H .
Cole & Yancy Bookshops Ltd., P . O . Box 286, M O N R O V I A .
Libéria
Eurocan Trust Reg., P . O . Box 5, S C H A A N .
Liechtenstein Librairie Paul Brück, 22, Grand-Rue, L U X E M B O U R G .
Luxembourg
Commission nationale de la République démocratique de Madagascar pour
Madagascar l'Unesco, B . P . 331, T A N A N A R I V E .
Malaisie Federal Publications Sdn. Bhd., Lot 8238 Jalan 222, Petaling Jaya, S E L A N G O R .
Mali Librairie populaire du Mali, BJP. 28, BAMAKO.
Malte Sapienza's Library, 26 Republic Street, V A L L E T T A .
Maroc Toutes Us publications : Librairie < Aux belles images >, 281, avenue M o h a m m e d - V ,
R A B A T (CCP 68-74).
« Le Courrier > seulement (pour les enseignants) : Commission nationale marocaine
pour l'Unesco, 20, Zenkat Mourabitine, R A B A T (CCP 324-45).
Maurice Nalanda C o . Ltd., 30 Bourbon Street, P O R T - L O U I S .
Mexique S A B S A / I T A M , Insurgentes Sur n.° 1032-401, M E X I C O 12 D . F .
Monaco British Library, 30, boulevard des Moulins, M O N T E - C A R L O .
Mozambique Instituto Nacional do Livro e do Disco ( I N L D ) , avenida 24 de Julho 1921,
r/c e i.° andar, M A P U T O .
Nicaragua Libreria Cultural Nicaraguense, calle 15 de Septiembre y avenida Bolívar,
apartado 807, M A N A G U A .
Niger Librairie Mauclert, B.P. 868, N I A M E Y .
Nigéria The University Bookshop of Ife. The University Bookshop of Ibadan, P . O .
Box 286, IBADAN. T h e University Bookshop of Nsukka. The University Book-
shop of Lagos. T h e A h m a d u Bello, University Bookshop of Zaria.
Norvège Toutes les publications : Johan Grundt T a n u m , Karl Johans gate 41/43, OSLO I.
< Le Courrier • seulement : A / S Narvesens Litteraturtjeneste, Box 6125, O S L O 6.
Nouvelle-Calédonie Reprex S A R L , B.P. 1572, N O U M E A . .
Nouvelle-Zélande Government Printing Office, Government Bookshops : Rutland Street, P . O .
Box 5344, A U C K L A N D ; 130 Oxford Terrace, P . O . Box 1721, C H R I S T C H U R C H ;
Aima Street, P . O . Box 857, H A M I L T O N ; Princes Street, P . O . Box 1104,
D U N E D I N ; Mulgrave Street, Private Bag, W E L L I N G T O N .
Ouganda Uganda Bookshop, P . O . Box 14s, K A M P A L A .
Pakistan ' Mirza Book Agency, 65 Shahrah Quaid-e-azam, P . O . Box 729, L A H O R E 3.
Panamá Empresa de Distribuciones Comerciales S.A. ( E D I C O ) , apartado postal 4456,
P A N A M Á Zona 5.
Paraguay Agencia de Diarios y Revistas, Sra. Kelly A . de García Astillero, Pte. Franco
n.° 580, ASUNCIÓN.
Pays-Bas N . V . Martinus Nijhoff, Lange Voorhout 9, ' S - G R A V E N H A G E . Systemen Keesing,
Ruysdaelstraat 71-75. A M S T E R D A M 1007.
Pérou - Editorial Losada Peruana, Jirón Contumaza 1050, apartado 472, L I M A .
Philippines The Modern Book Co., 926 Rizal Avenue, P . O . Box 632, M A N I L A D-404.
Pologne Ars Polona - Ruch, Krakowskie Przedmiescie 7, 00-068, W A R S Z A W A . O R P A N -
Import, Palac Kultury, 00-901 W A R S Z A W A .
Portugal Dias & Andrade Ltda., Livraria Portugal, rua do Carmo 70, LISBOA.
Rép. dém. allemande Librairies internationales ou Buchhaus Leipzig, Postfach 140,701 LEIPZIG.
Rép. unie du Cameroun Le secrétaire général de la Commission nationale de la République unie du
Cameroun pour l'Unesco, B.P. 1600, YAOUNDE.
Rhodésie du Sud Textbook Sales CPVT) Ltd., 67 Union Avenue, SALISBURY.
Roumanie I L E X I M , Romlibri, Str. Biserica Amzei n"> 5-7, P . O . B . 134-135, B U C U R E S T L
Abonnements aux périodiques : Rompresfilatelia, calea Victoriei n° 29, BUCURESTI.
Royaume-Uni H . M . Stationery Office, P . O . Box 569, L O N D O N , S E I 9 N H .
Government bookshops : London, Belfast, Birmingham, Bristol, Cardiff,
Edinburgh, Manchester.
Sénégal La Maison du livre, 13, avenue R o u m e , BJ?. 20-60, D A K A R . Librairie Clair-
afrique, B.P. 2005, D A K A R . Librairie < L e Sénégal », B.P. 1594, D A K A R .
Seychelles N e w Service Ltd., Kingstate House, P . O . Box 131, M A H É .
Sierra Leone Fourah Bay, Njala University and Sierra Leone Diocesan Bookshops, F R E E T O W N .
Singapour Federal Publications (S) Pte Ltd., N o . 1 N e w Industrial Road, off Upper Paya
Lehar Road, S I N G A P O R E 19.
Somalie : M o d e m Book Shop and General, P . O . Box 951, M O G A D I S C I O .
Soudan Al Bashir Bookshop, P . O . Box 1118, K H A R T O U M .
Sri Lanka. Lake House Bookshop, Six Chittampalam Gardiner Mawata, P . O . Box 244,
COLOMBO 2.
. Suède Toutes Us publications : A / B C E . Frittes Kungl. Hovbokhandel, Fredsgatan 2 ,
Box 16356,103 27 S T O C K H O L M 16.
I Le Courrier • seulement : Svenska FN-Förbundet, Skolgränd 2, Box 15050,
S-104 65 S T O C K H O L M .
Suisse Europa Verlag, Rãmistrasse 5, 8024 ZURICH. Librairie Payot, 6, rue Grenus,
1211 GENEVE II.
Rép. arabe syrienne Librairie Sayegh, Immeuble Diab, rue du Parlement, BJ?. 704, D A M A S .
Rép.-Unie de Tanzanie Dar es Salaam Bookshop, P . O . Box 9030, D A R ES S A L A A M .
Tchécoslovaquie S N T L Spalena 51, P R A H A I (Exposition permanente). Zahranicni literatura,
II Soukenicka, P R A H A I. Pour la Slovaquie seulement : Alfa Verlag, Publishers,
Hurbanovo nam. 6,893 31 BRATISLAVA.
Thaïlande Nibondh and Co. Ltd., 40-42 Charoen Krung Road, Siyaeg Phaya Sri, P . O .
Box 402, B A N G K O K . Suksapan Partit, Mansion 9, Rajdamnern Avenue,
B A N G K O K . Suksit Siam Company, 1715 R a m a IV Road, B A N G K O K .
Togo Librairie évangélique, BJ". 378, L O M É . Librairie du Bon Pasteur, B J . 1164,
L O M E . Librairie moderne, BJ?. 777, LOMÉ.
Tunisie Société tunisienne de diffusion, 5, avenue de Carthage, T U N I S .
Turquie Librairie Hachette, 469 Istiklal Caddesi, Beyoglu, ISTANBUL.
URSS Mezhdunarodnaja Kniga, M O S K V A G-200.
Uruguay Editorial Losada Uruguaya, S.A./Librería Losada, Maldonado 1902, M O N T E V I D E O .
Venezuela Librería del Este, avenida Francisco de Miranda 52, Edificio Galipán, apar-
tado 60337, C A R A C A S . La Muralla Distribuciones S.A., avenida 5a, 6a transversal,
Residencia Los Tulipanes, edificio n.° 5, apartada 5 B , C A R A C A S .
Yougoslavie Jugoslovenska Knjiga, Terazije 27, P . O . B . 36, 11-001 B B O G R A D . Drzavna
Zalozba Slovenij'e, Titova C 25, P . O . B . 50-1, 61-000 LJUBLJANA.
"
i Zaïre La Librairie, Institut national d'études politiques, BJ*. 2307, K I N S H A S A ,
Commission nationale zaïroise pour l'Unesco, Commissariat d'État chargé de
l'éducation nationale, B.P. 32, K I N S H A S A .

BONS DE LIVRES DE L'UNESCO


Utilisez les bons de livres de l'Unesco pour acheter des ouvrages et des pério-
diques de caractère éducatif, scientifique ou culturel. Pour tout renseignement
complémentaire, veuillez vous adresser au Service des bons de l'Unesco,
7, place de Fontenoy, 75700 Paris.
GLOBAL IMPACTS
OF APPLIED
MICROBIOLOGY
State of the art, impact on developing countries
(Editors: W . R . Stanton, E . J. DaSilva)

Nature's environment is being reduced relative to the


strongly man-influenced environments—resulting in a
reduction in the diversity of higher plant and animal life.
This applies as well to a reduction in the diversity of
microflora. So it is important that microbiologists measure the
diversity of the minutefloraavailable to m a n for the future,
taking the necessary steps to conserve special strains.
Special sections of the book deal with food; productivity
and the earth; energy and industry; health, pollution and the
environment; and teaching, manpower and application.

T o order, contact:

Professor Robert Stanton,


U N E P / U n e s c o / I C R O Panel,
Faculty of Science,
Penerbit Universiti Malaya,
Pantai Valley,
Kuala L u m p u r (Malaysia).

Price: M $ 2 5 or U . S.S15, plus postage and handling. Write for your copy today.
La Fondation
Fredrik R . Bull
s'adresse à vous
Après quelques mois de travail silencieux, la Fondation Fredrik R . Bull vient
d'annoncer pour juin 1978 son premier symposium, sur le thème :
« L'Informatique, l'homme et le travail ».
Réunissant tous ceux que le sujet préoccupe, des commissions spécialisées
. accueilleront quiconque souhaiterait encore se joindre à leur réflexion pour
sa préparation.
" Vous qui allez entrer demain dans la vie active, vous devriez y tenir une
grande place. L a Fondation Fredrik R . Bull mise particulièrement sur vous
pour exprimer au symposium vos craintes et vos espoirs puisque, sans l'avoir
toujours cherché, vous rencontrerez l'informatique à chaque instant et vous
cohabiterez avec elle.
L a fondation vous propose de rédiger u n mémoire d'une quinzaine de
pages exposant librement votre point de vue à cet égard. Elle s'adresse aussi à
ceux d'entre vous qui, à l'occasion d'un stage, d'une thèse, etc., souhaitent
mener une enquête sur la réalité de l'informatisation dans certains secteurs,
sur ses conséquences psychologiques et sociales, c o m m e sur ses retombées
possibles.
Les trois travaux les plus originaux vaudront à leurs auteurs des
encouragements en espèces (10 000, 7 500 et 5 000 francs).
E n choisissant ainsi d'aborder de front u n sujet qui se trouve au centre des
préoccupations des h o m m e s d'aujourd'hui, la Fondation Fredrik R . Bull reste
fidèle à sa vocation d'être u n point de rencontre d ' h o m m e s libres, u n forum
ouvert sans restriction ni contrainte à tous ceux qui ont quelque chose à dire.

Les mémoires devront être rédigés soit en français, soit en anglais.


L e règlement d u concours est disponible jusqu'au 15 mars 1978, au siège
de la Fondation Fredrik R . Bull, 68, route de Versailles, 78430 Louveciennes,"
tél. 958.6620.
Dans les numéros
précédents

vol. 2 7 (1977), n° 2 Vol. 2 7 (1977), n° 4

Les établissements h u m a i n s L'enseignement de sciences


d e l'ingénieur
Présentation, par Samuel Chamecki.
L'étude écologique Présentation, par Alan S . Goodyear.
des établissements humains, Évolution de la formation des ingénieurs :
par Stephen Boyden. suggestions à l'usage des pays en
La cité de l'avenir et ses besoins, développement, par T . Paul Torda.
par llya G . Lejhava. Le dilemme du professeur d'école d'ingénieurs,
Organisation des premiers établissements indiens, par Wilfred Fishwick.
par Dharamjit Singh. Innovation dans la formation des ingénieurs,
L'arcologie : un autre habitat urbain, par Le Xuan.
par Russell Lewis et Henryk Skolimowski. L'enseignement polytechnique en Chine
Les établissements humains nouvelle, par Tchang Kouang-tou.
et l'organisation sociale de la production, L'expérience malienne de formation des
par M a d h u Sarin. ingénieurs, par M a m a d o u Keita.
Apprendre à concevoir l'habitat. Former des ingénieurs pour demain : une
La cité climatologique de Peter Van G o g h , expérience française, par Jean Laporta.
par Hendrik Matthes. L'ère nouvelle des gestionnaires de services
Influence des communications électroniques et d'équipements, par Robert R . Ruhlin.
sur l'urbanisme La formation des ingénieurs en U R S S ,
et l'aménagement du territoire, par Alekseî Y u . Tchernitchenko.
par Bruno Lefèvre.
La science, la technologie et l'habitat.

Vol. 27 (1977), n° 3

La science et l'Amérique latine

Objectif synergie, par Carlos A . Mailmann.


Pays en développement et science dépendante
par José Leite Lopes (entretien).
La science et la technologie en Amérique
latine à l'époque de sa découverte,
par Ubiratan D'Ambrosio.
Le Centre latino-américain de physique :
une expérience de coopération régionale,
par Roberto Bastos da Costa.
Le rhizobium et les légumineuses :
une symbiose profitable à l'homme,
par J. R. Jardim Freire.
La recherche scientifique et technique pratique
en Amérique latine,
par G . Edward Nicholson (entretien).
Innovation dans l'utilisation et le transfert des
techniques : la Fondation Gran Mariscal
de Ayacucho, par Ruth Lerner de Almea. O n trouvera u n index ou des extraits
Le transfert de technologie et les industriels en
d'articles de ce périodique dans
Amérique latine, par Roberto Salas Capriles.
Mise en valeur des ressources hydro-électriques Current contents, Ebsco, Environmental
de la Guyane, par Grace Olney Nichols. periodicals bibliography, Sociological
C o m m e n t se créent les déserts, Abstracts et Ulrich's.
par Howard Brabyn.

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