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réalisation, et dont les commentaires, les avis et les encouragements m’ont permis de
garder à la fois le fil conducteur du projet et sa cohérence, tout en m’assurant que je
restais compréhensible. Ceci fut possible en dépit de l’ambiance particulière du
confinement, durant lequel j’ai rédigé l’essentiel de ce manuscrit. Je tiens donc à
remercier Jiji Tanios, grand agitateur d’idées qui me pousse souvent dans mes derniers
retranchements, Thibaut Demangeat et Alina Tepes.
À Jules-Adrien, Ambre et Mallaury.
AVANT-PROPOS
Les champions constituent une population que la majorité des gens, qu’il s’agisse de
béotiens amateurs de sport ou de professionnels œuvrant au côté d’athlètes, s’accordent
à considérer comme des individus différents. Ils leur attribuent des vertus psychiques, un
mental hors norme, qui serait leur apanage et échapperait au commun des mortels. Ces
qualités qui les distinguent sont-elles innées, immuables ? Quand des journalistes
fustigent le « manque de mental » de certains footballeurs ou que d’autres, à l’inverse,
vantent les vertus de « guerriers » d’athlètes émérites, de quoi parlent-ils exactement ?
Décrivent-ils deux populations différenciées de manière permanente en raison de
qualités que certains possèderaient, ou auraient développées, à l’inverse des autres ? Ou
au contraire chaque sportif peut-il passer tout à tour par ces deux états ? Et si oui,
pourquoi et comment ?
Cela n’est guère débattu. Or, si tout le monde évoque le « mental », qui sait
exactement comment le cerveau fonctionne et comment les logiciels de la motivation ou
de l’abnégation s’installent ? Peu d’individus ont étudié la neurologie ou l’anatomie du
cerveau. Il n’empêche ; pléthore de nouveaux prophètes de la forme cherchent à
développer le mental et la motivation de leurs élèves comme s’il s’agissait finalement de
muscles invisibles qui gonfleraient à force de se contracter sous des barres virtuelles. Il
en va de même dans le domaine de la santé publique, où des messages très persuasifs
visent à faire changer les comportements des populations. « Pour votre santé, mangez
cinq fruits et légumes par jour. Évitez de manger trop gras, trop sucré, trop salé… »
Mouche ton nez et dis bonjour à la dame ! Ces injonctions reposent sur le postulat qu’il
suffit de savoir et de vouloir pour pouvoir. Autrement dit, en éduquant et en « aidant à
pouvoir » par l’intermédiaire d’un coaching expert, on rendrait les choses
obligatoirement possibles. L’expertise en question, le plus souvent, consiste simplement
en l’expression d’une force de persuasion contagieuse…
Évidemment, cela suscite une forte culpabilité chez ceux qui savent quoi faire,
veulent le faire, mais n’y arrivent décidément pas, tel ce fumeur qui remet toujours au
lendemain l’achat de son dernier paquet, ou telle cette personne pour qui grignoter est
« plus fort qu’elle ». Son échec l’amènera alors à se sentir dépassée par le professionnel
de la santé qui veille sur son alimentation et expie le moindre péché de délinquance
alimentaire selon le modèle judéo-chrétien. Pour résumer, la plupart des techniques
qu’ils proposent font appel à des aspects motivationnels ou à la conscience, et font
abstraction du fait qu’il ne s’agit que d’une partie minoritaire des structures cérébrales.
De surcroît, ce sont rarement elles qui entendent et qui décident, comme nous le verrons
plus loin. Cela explique en partie l’échec des campagnes de sensibilisation menées à
vaste échelle.
Mais le champion se montre-t-il toujours aussi exemplaire qu’on l’imagine sur ce
plan-là ? N’y a-t-il pas quelques exemples récents, dans le sport français, de champions
réputés jusqu’ici invulnérables, et soudainement devenus défaillants ?
Questionnement éthique
L’éthique est également questionnée ; le cerveau se développe de manière
progressive en période fœtale, et cette construction très organisée, qui se déroule sous
l’influence majeure d’éléments extérieurs, conduit à se demander dans quelle mesure des
facteurs environnementaux peuvent également interférer avec ce processus. On pense
évidemment à l’influence de la pollution, mais – comme on le verra plus loin – les
infections ou le stress jouent aussi, tout comme le monde bactérien de la mère au
moment de la grossesse. Sait-on également déterminer de manière indiscutable à partir
de quel instant le cerveau est suffisamment développé pour considérer que le corps qui
l’abrite est déjà un être vivant ? Et inversement, en quoi la « mort cérébrale » se
distingue-t-elle de la mort ou de la vie ? Les chercheurs, faute de pouvoir trancher de
manière claire sur ces points essentiels, ont laissé les hommes de loi poser un cadre qui,
loin de revêtir un contour similaire dans tous les pays, va varier en fonction du contexte
religieux, politique et moral qui traverse les strates de la société. Finalement, ce n’est pas
parce que des textes encadrent l’avortement ou la fin de vie et donnent un cadre légal
aux actes que l’on sera certains que la science, maintenant ou plus tard, ne contredira
pas les positions prises.
Dans l’introduction de ce livre, j’ai fait référence à deux champions ayant dans un
contexte très demandeur, montré des signes de faiblesse, trahis par leur cerveau. Dans
quelle mesure les connaissances relatives au développement du cerveau, tel qu’il s’est
déroulé au fil de l’évolution, pourraient nous aider à comprendre ce qui s’est passé ? Le
sportif en panne de mental a donc exprimé des signes d’incompétence en lien avec le
fonctionnement de sa boîte noire… Faisant fi des considérations biologiques qui
expliqueraient le travail du cerveau dans toutes les circonstances où le mental a failli,
les psychologues ou préparateurs mentaux se sont rabattus sur ce qu’on percevait de
plus visible, à savoir les actions, les comportements et les émotions.
La plupart des approches apparues ces dernières décennies dans leurs domaines de
compétence visent à modifier directement ceux-ci au moyen de techniques par
lesquelles, dans le domaine de la diététique, des addictions ou du sport de haut niveau,
on n’hésite pas à faire appel à un surcroît de motivation. Notons ce fait curieux ; dans ce
domaine de la préparation mentale, beaucoup d’acteurs de terrainont référence au
« mental » sans jamais le définir, ni localiser quelle partie du cerveau le conditionne, ni
quelles influences peuvent l’affecter. On voit donc bien s’imposer à nous la nécessité
d’étudier comment il se forme et évolue… et comment ce processus peut déterminer par
la suite ce que nous faisons, pensons et ressentons.
Comment concevoir qu’un être humain adulte, doté des incroyables compétences
intellectuelles que lui confère son cerveau, puisse se développer à partir d’un simple
embryon, et que la symphonie de cette construction puisse se dérouler sans la moindre
fausse note ? Tout débute avec la rencontre d’un spermatozoïde et d’un ovule, qui vont
fusionner. Il va s’ensuivre la formation de la première cellule. Celle-ci détient déjà
l’ensemble des informations nécessaires à l’élaboration d’un nouvel individu. Et au cours
du développement progressif du fœtus, les cellules apparues par divisions successives à
partir de l’originelle vont peu à peu se différencier en lignées, qui présentent des
caractéristiques distinctes, et formeront plus tard des organes aux fonctions très
spécifiques. Si on sait décrire ce phénomène, on cherche encore qui tient la baguette de
chef d’orchestre.
Développement fœtal du cerveau
C’est ensuite lors de la vie fœtale, puis durant l’enfance et l’adolescence que le
cerveau se développera et que le câblage neuronal qui le caractérise se mettra
progressivement en place. Ainsi, dès la cinquième semaine de grossesse, on peut déjà
observer une ébauche rudimentaire du système nerveux. On distingue le tube neural qui
se forme, alors qu’on commence à reconnaître les grandes régions du futur cerveau.
Chacune des quatre zones qui apparaissent, et qu’on nomme les « lobes », sera plus tard
vouée à une ou plusieurs fonctions spécialisées (voir figure 1). Ainsi, le lobe frontal situé
à l’avant du crâne se chargera de la motricité, le lobe pariétal correspondra à la
sensibilité. Plus en arrière encore, le lobe occipital constituera le futur siège de la vision.
Enfin, sous la tempe, le lobe temporal se trouve notamment chargé de l’audition, de
l’olfaction et de la mémoire. L’établissement précis des fonctions de ces différents lobes
s’est appuyé sur les observations faites à partir de patients ayant subi des traumatismes,
porteurs de lésions localisées sur des zones restreintes du cortex, et chez qui ces atteintes
donnaient lieu à l’altération, voire à la disparition de certaines fonctions.
Figure 1. Les Les différents lobes du cerveau.différents lobes du cerveau.Les différents lobes du cerveau.
Cette figure décrit une vue latérale gauche du cerveau. Le cortex est découpé en
zones anatomo-fonctionnelles : ainsi, le cortex frontal est la zone des processus cognitifs,
de la réflexion. Pour sa part, le cortex pariétal constitue la zone des mouvements et des
sensations corporelles (ce qu’on nomme l’esthésie). Sur le côté, le cortex temporal, situé
juste derrière l’oreille, représente la zone de l’audition, alors que le cortex occipital est
celle de la vision. Notons enfin que le cervelet est la zone dédiée à l’équilibre et la
coordination des mouvements, alors que le tronc cérébral contient les fonctions vitales
de la régulation neurovégétative, comme les fonctions respiratoires et cardiaques. Il
travaille de manière totalement indépendante de la volonté ou de la conscience.
La myélinisation des neurones
Au cours du deuxième mois de grossesse, le cerveau se structure en deux
hémisphères. La myélinisation des neurones (c’est-à-dire la constitution de la gaine
isolante qui les entoure), sans laquelle le système nerveux ne s’avèrerait pas
opérationnel, commence à partir de la 30e semaine et se poursuit jusque l’âge adulte
(50). L’augmentation rapide du poids du cerveau, qui est constatée durant la deuxième
moitié de la grossesse et pendant les deux premières années de la vie extra-utérine,
coïncide avec ces phénomènes. Pour situer l’ampleur du processus, souvenons-nous
qu’au 21e jour de gestation, le cerveau représente 90 % de la masse de l’embryon. Cette
valeur descend à 70 % au 3e mois de grossesse, à 40 % chez le nouveau-né, et enfin
à 2 % du poids de l’adulte (voir figure 2). Les scientifiques estiment par ailleurs que, lors
de la vie intra-utérine, on crée 250 000 neurones à la minute. Beaucoup d’entre eux
disparaîtront par la suite.
Sur les quatre derniers millions d’années, le cerveau humain a connu une
progression étonnante (17). À l’époque la plus reculée, les australopithèques auraient
possédé, d’après les éléments en possession des scientifiques, une capacité cérébrale
comprise entre 410 et 450 cm3. Ces individus se distinguaient par une face proéminente,
et se trouvaient dotés d’une voûte crânienne très abaissée. Ils présentaient également un
fort prognathisme ; cependant, la mâchoire a progressivement reculé au cours de
l’évolution.
Homo habilis
Le successeur de l’australopithèque, que les paléontologues dénomment Homo
habilis, aurait présenté une capacité cérébrale plus importante, de l’ordre de 650 cm3.
En corrélation avec cette particularité, il aurait aussi disposé d’habiletés manuelles
supérieures, d’où le nom qu’on lui a donné. Sur le plan anatomique, il aurait déjà
présenté des traits relativement communs avec l’homme moderne, alors que d’autres,
hérités de l’australopithèque, conservent un caractère plus primitif. Il s’agissait donc
d’un individu « intermédiaire ». Sans doute omnivore, il possédait un système
masticateur plus proche du nôtre. Cette diversification alimentaire n’a pas été sans
influence sur le développement de cet organe, puisque certains micronutriments,
délivrés en quantité accrue, viendront enrichir l’aptitude à la neurogenèse !
Cette influence tient à la fois aux effets propres que ces micronutriments exercent
sur le cerveau, mais aussi à ceux de ces nouveaux choix alimentaires sur le « microbiote »
(15). En effet, les tailles respectives des populations bactériennes présentes dans
l’intestin fluctuent en fonction de nos choix alimentaires. Or, des messages permanents
provenant de ce monde bactérien viennent moduler les connexions, le développement
neuronal et le maintien de certains réseaux. De ce fait, en diversifiant son régime, cet
Homo habilis a renforcé le dialogue constructif existant entre le microbiote et les
neurones.
Un cerveau à étages
Le cerveau reptilien
Le premier serait le « reptilien » qui, comme son nom l’indique, serait caractéristique
des reptiles et se serait constitué il y a 400 millions d’années. On le désigne également
sous le nom de cerveau archaïque ou primitif. Il remonterait à l’époque où des poissons
sortirent de l’eau et devinrent batraciens. Au niveau purement anatomique, il
correspond chez l’être humain au tronc cérébral. Bien protégé, en profondeur, il s’agit
de la structure cérébrale la plus susceptible de résister à un traumatisme crânien. Le
tronc cérébral contribue de manière essentielle à la survie de l’individu et de l’espèce. Il
doit garantir le maintien des fonctions indispensables, telles que le contrôle de la
respiration, du rythme cardiaque, de la température ou des échanges hydriques et
ioniques, sans lesquels les cellules meurent.
Par ailleurs, il assure la satisfaction des besoins primaires, ou besoins vitaux, tels
que l’alimentation, le sommeil, la reproduction. Il est enfin responsable de l’instinct de
conservation et de certains réflexes de défense comme la morsure des serpents, l’envol
des oiseaux face à des menaces, et il se manifeste chez l’homme dans certaines situations
de stress, durant lesquelles il adoptera les comportements classiques que constituent la
fuite, la lutte ou encore l’inhibition (29).
Typiquement, ce cerveau primitif de reptile entraîne des comportements
stéréotypés, préprogrammés, sans doute sous l’influence de gènes spécifiques. Une même
situation, un même stimulus entraînera toujours la même réponse, notamment face à
des menaces. Comme le note Jacques Fradin (18), « le stress animal défensif provient
d’un niveau cérébral qui fonctionne de manière essentiellement inconsciente et
instinctive, ne nécessitant aucun apprentissage, et n’en permettant aucun, ce qui
explique le caractère peu contrôlable, du moins directement, des vécus et impulsions qui
en proviennent ».
Le cerveau limbique
Le second est qualifié de « limbique » ou paléomammalien ; propre aux
mammifères, dotés de particularités fonctionnelles différentes (voir plus loin), il est, pour
sa part, apparu il y a 65 millions d’années. Il se trouverait à l’origine de notre système
limbique, qui constitue le siège des émotions. Quand on l’observe plus en détail, on note
qu’il inclut les circuits de la mémoire et de l’apprentissage. Enfin, le système limbique
englobe l’axe neuroendocrinien : l’hypothalamus et l’hypophyse. Il coordonne donc
toutes les fonctions de l’organisme en fonction des influences biologiques intérieures et
extérieures. Il peut ainsi programmer toutes les réponses stéréotypées à mettre en œuvre
face à un danger imminent, ou à une situation perçue comme telle.
À l’échelle individuelle, il permet de fixer les apprentissages. Il « gère le connu et le
déjà vu » (18). À l’échelle du groupe, il pose les premières bases de la vie en société, et a
permis une organisation stable d’individus relativement semblables en troupeau ou en
tribu. Chez l’homme du XXIe siècle, il peut déterminer certains comportements en
fonction du positionnement grégaire que l’individu a intégré au cours de sa vie. Des
stratégies de soumission ou de domination peuvent ainsi sembler exister de manière
innée et se révéler dans des contextes très exigeants, tels que le sport de haut niveau. Il
peut déterminer en partie la nature du rapport entre l’entraîneur et l’athlète, et
certaines mises sous influence qu’on voit régulièrement dénoncées.
Cette influence du mode grégaire a été parfaitement illustré dans des expériences
très dérangeantes, réalisées il y a plus d’un demi-siècle par le psychologue américain
Stanley Milgram (34). De 1960 à 1963, il conduisit une série de travaux comportant
plusieurs variantes, visant à estimer à quel point un individu peut se plier aux ordres
d’une autorité qu’il accepte si les injonctions qu’on lui adresse entrent en contradiction
avec sa conscience. L’expérience de Milgram passa à la postérité à partir de 1963.
Comment se déroulait-elle ? L’expérimentateur, qui représentait l’autorité,
demandait de manière directive à un sujet de faire réciter des mots à un élève, et si
celui-ci se trompait, il devait lui infliger des chocs électriques. La puissance de ces chocs
augmentait davantage à chaque erreur. En fait, l’élève était un acteur simulant
l’électrocution, les décharges étant virtuelles. Selon les cas, certains participants
continuaient à infliger les chocs jusqu’au maximum prévu (450 V) en dépit des plaintes
de l’acteur, obéissant ainsi aux ordres de l’expérimentateur, tandis que d’autres
refusaient de se soumettre à l’autorité, en accord avec leur conscience. En 1962, au vu
de ces résultats troublants (65 % des volontaires ont délibérément envoyé une décharge
fictive faisant perdre connaissance à l’élève), l’American Psychological Association décida
de suspendre son adhésion à la société savante à cause de questions concernant
l’éthique de ses expériences. Les résultats surprenants et assez inquiétants, mais aussi la
méthode, ont provoqué à l’époque de nombreux remous au sein de la communauté des
psychologues et de l’opinion publique. Cela éclairait d’un jour nouveau les
comportements observés sous l’Occupation, alors encore dans toutes les mémoires, et
rappelait la phrase d’Adolf Eichmann, prononcée au cours du procès de Nuremberg,
pour qui les nazis avaient juste « obéi aux ordres » 1.
Le cerveau préfrontal
Plus haut enfin se trouve le néocortex, ou cerveau préfrontal, propre à l’espèce
humaine. Il résulterait de la troisième et dernière phase de l’évolution. Il ne daterait que
de 3,6 millions d’années, coïncidant avec l’apparition des australopithèques africains,
qui présentaient la particularité d’être bipèdes, ce qui implique un développement accru
du cerveau. Il permettrait notamment le raisonnement logique, le langage et
l’anticipation des actes (19). Il favorise enfin la gestion de la nouveauté, de la
complexité, l’introduction de nouveaux apprentissages, se montrant en cela
– contrairement aux deux autres – capables de s’adapter. C’est à lui qu’on s’adresse
principalement quand on entend éduquer ou motiver… alors que de nombreux choix,
parfois paralysants ou inappropriés, sont décidés par l’un des deux autres cerveaux. Peu
de coaches mentaux en tiennent compte.
Certes, certains auteurs remettent aujourd’hui en cause l’idée d’une totale
indépendance de trois cerveaux, s’appuyant sur l’existence de connexions entre ces
différentes strates. Il n’en reste pas moins que ceux-ci considèrent davantage ces aires
cérébrales comme des ensembles en interaction, l’une ou l’autre imposant son activité
selon le contexte, comme dans le cas du stress (51). Toujours est-il que le modèle de
MacLean, même révisé et réajusté, aide à comprendre beaucoup de situations qu’aucun
autre concept n’aidait jusque-là à appréhender.
Encadré 1 : Du cerveau triunique
au modèle des quatre cerveaux.
Sur la base de structures différenciées et d’études des comportements,
Jacques Fradin a proposé un nouveau modèle plus à même de comprendre les
modalités de fonctionnement de l’homme, notamment dans un contexte de stress.
Il s’agit de la théorie des quatre cerveaux, dérivé du modèle initial de MacLean. Il
est apparu en réponse aux limites que le premier présentait, et a pour objectif
d’offrir un cadre de compréhension plus fin. Il repose sur un découpage
anatomique légèrement différent de celui proposé par MacLean (32)
(voir figure 4). Selon ce nouveau paradigme, le cortex préfrontal et les territoires
reptiliens restent inchangés. Mais il propose de reconsidérer les autres territoires.
Ainsi, il parle désormais de « cortex automatique ». Celui-ci regroupe le vieux
cortex néolimbique situé dans la fente entre les hémisphères cérébraux (au-
dessus du corps calleux) et le néocortex sensorimoteur, qui constitue ce qu’on
nomme le cortex automatique (2a et 2b sur la figure 4 ci-dessous). Ce modèle fait
enfin intervenir les territoires paléolimbiques, qui constituent la partie la plus
ancienne du cerveau limbique, située juste en dessous du corps calleux (no 3 sur la
figure 4). Cette partie contribue notamment à gérer les rapports de force, ce que
Jacques Fradin désigne par le « positionnement grégaire ».
Cette figure décrit la structure très particulière de cette catégorie de cellules nobles
du cerveau. Comme dans n’importe quelle autre cellule, on y trouve un corps cellulaire
comprenant un noyau, qui contient l’ADN nécessaire à l’intégrité de la cellule. Ce corps
cellulaire abrite également d’autres petites structures, qu’on nomme les « organites »,
telles que les mitochondries (les centrales énergétiques), ainsi que le cytoplasme et le
cytosquelette (constitué de microtubules et de protéines associées à l’organisation
spatiale du neurone). De ce corps cellulaire part un réseau très dense de prolongements
spécifiques, qui se nomment les « dendrites ». Elles sont couvertes de synapses et de
récepteurs capables de recevoir des neurotransmetteurs. On ne compte, en revanche,
qu’un seul axone par neurone. Notons enfin la présence de ce que les biologistes
appellent les « synapses ». Il s’agit de zones de communication entre neurones voisins,
ainsi qu’avec des cellules non neuronales : musculaires, glandulaires…, ce qui permet
d’associer différents processus lors d’une réponse à une sollicitation. Le système nerveux,
endocrine et l’immunité peuvent alors intervenir de concert, dans le même sens et avec
un objectif commun, celui de protéger l’organisme et de contribuer à ce qu’il s’adapte
aux facteurs environnementaux, qu’ils soient bénéfiques ou non.
Les neurotransmetteurs
Il existe un grand nombre de molécules messagers. Initialement, on les qualifiait de
« neurotransmetteurs » ou « neuromédiateurs ». Leur synthèse s’effectue à partir de
« précurseurs » délivrés par notre ration. Certaines de ces molécules sont très connues,
telles que la sérotonine, la dopamine, le GABA. Elles s’avèrent plus spécifiques de
certaines voies neuronales qui, elles-mêmes, participent à des fonctions caractéristiques.
Ceci permet de distinguer des signes fonctionnels de déficience en tel ou tel messager.
Les exemples les plus connus de ces perturbations concernent les pulsions sucrées,
associées à un défaut d’activité de certains neurones sérotoninergiques, ou à un manque
d’allant et de motivation propre à un déficit en dopamine (42). En micronutrition,
l’identification de tels manques s’appuie en partie sur des questionnaires qui compilent
les différents troubles fonctionnels qui sont associés à ces déficits (43). C’est notamment
le cas du questionnaire intitulé « D. N. S », abréviations désignant « dopamine »,
« noradrénaline » et « sérotonine » (voir figure 6). On sait désormais, en 2020, que
d’autres messagers s’invitent au bal et modulent, parfois de manière très spectaculaire,
l’activité des neurones. Il va par exemple s’agir de messagers du système immunitaire
(qu’on nomme les « cytokines »), de toxines microbiennes ou d’hormones, de sorte que,
finalement, un grand nombre d’informations peuvent potentiellement influer sur
l’activité cérébrale… ce qui permet de mieux comprendre ce qui a pu se passer dans la
tête de nos deux champions.
Figure 6. Le questionnaire D. N. S.
Pour illustrer ceci, notons qu’actuellement des études ont pu démontrer que, chez
l’homme, le recours à des antibiothérapies (geste signifiant qu’un agent infectieux
sévissait et qu’une perturbation du microbiote va s’ensuivre), notamment lorsqu’on en
propose sous forme de cocktails, donnait lieu à des troubles neurologiques tels que
l’anxiété, les attaques de panique, voire les dépressions majeures, des psychoses ou des
délires 2 (37). Cela signifie que les moyens permettant d’agir sur l’immunité et
l’écosystème intestinal, tels que les probiotiques, vont devenir des acteurs clefs de la
prise en charge, et cette révolution est en cours avec l’émergence des
« psychobiotiques » 3 (16). Cela amène également à s’interroger quant à la bonne santé
digestive et immunitaire des deux champions évoqués en ouverture de cet ouvrage. Or,
on sait que le sport de haut niveau perturbe ces fonctions importantes (44). Y aurait-il
des explications à trouver de ce côté ?
Les astrocytes
Qu’en est-il des premières ? Actuellement, de nombreuses études pointent leur rôle
primordial dans le développement, le fonctionnement et l’évolution du système nerveux,
en coopération avec les neurones (10, 25, 41). Par exemple, au niveau de la synapse, ils
participent au recyclage des neurotransmetteurs, alors que, jusqu’au début des années
’90 on pensait que seuls les neurones possédaient cette aptitude. Ce phénomène
concerne plus particulièrement un acide aminé qui, lorsqu’il s’accumule dans le neurone,
présente une réelle toxicité. Il s’agit du glutamate. En le prélevant puis en le dégradant,
les astrocytes participent pleinement à la protection du cerveau (8). Dans ceux-ci, le
glutamate est transformé en glutamine et est ensuite recédé aux neurones qui les
transforment en un autre neurotransmetteur, le GABA. Ce dernier permet
essentiellement de contrôler l’anxiété.
Ils produisent également un certain nombre de molécules qui renforcent l’action de
neurotransmetteurs libérés par le neurone, ce qui optimise la transmission et la
réception du message véhiculé par ceux-là. D’autres fonctions leur incombent ; ainsi les
astrocytes protègent-ils la barrière hématoméningée (49), barrière semi-perméable qui
isole partiellement le cerveau du reste de l’organisme (et le met relativement à l’abri de
grosses molécules toxiques, retenues par ce filtre). Elles participent également à l’apport
énergétique nécessaire aux neurones, grâce à une intense activité métabolique, ainsi qu’à
la réparation et à la cicatrisation des zones cérébrales lésées après un traumatisme. Elles
contribuent encore, comme de très récentes publications le démontrent, au processus de
neurogenèse chez l’adulte (21, 26). Enfin, les astrocytes régulent également l’intégration
et la survie des nouveaux neurones dans les circuits préexistants, en agissant notamment
sur la création ou l’élimination de leurs synapses (10). Certains auteurs s’interrogent sur
le fait suivant : une dégradation de la capacité de remodelage des astrocytes pourrait-
elle contribuer à la survenue de maladies neurodégénératives (22) ? La question reste
pour le moment sans réponse…
La microglie
Qu’en est-il de la microglie ? Malgré leur tentative de dissimulation sous un nom
compliqué, ils ne peuvent nous tromper longtemps… Il s’agit ni plus ni moins d’une
famille de globules blancs, plus précisément des macrophages. Leur rôle premier ?
Présenter les antigènes débusqués aux cellules chargées de les tuer (en général, les T8
cytotoxiques). Pour cette raison, ces cellules situées dans le cerveau sont qualifiées de
« cellules présentatrices d’antigènes ». Elles constituent donc la première ligne de
défense du cerveau, dont elles représentent 5 à 25 % du nombre total de cellules.
Elles communiquent avec les autres cellules du système immunitaire, ainsi qu’avec le
microbiote, et ce dialogue s’effectue au moyen des cytokines, qui vont de l’un à l’autre.
Elles présentent la particularité de pouvoir proliférer en cas de lésion du système
nerveux et, réceptionnant des cytokines responsables de l’inflammation, elles vont initier
et amplifier un processus potentiellement défavorable. Cela survient également en
réponse à une infection, y compris celles survenant en période fœtale (53). Leur
libération exagérée de cytokines dans ce contexte joue un rôle clef dans la survenue de
troubles psychiatriques. Cela s’observera également, plus tard, au cours de violents
épisodes viraux. Par exemple, ceux de la famille de l’herpès sont fortement incriminés
dans le déclenchement, chez des sujets prédisposés à cette maladie auto-immune, de la
sclérose en plaques (30, 31, 39). Je détaille de manière plus poussée ces éléments dans
un prochain chapitre. Enfin, leur intervention dans les processus de réparation
neuronale est également connue depuis près de 20 ans (2).
Les oligodendrocytes
Enfin, les oligodendrocytes constituent la dernière catégorie de cellules figurant
dans le cerveau. Leur principale fonction consiste à fabriquer le câblage qui entoure les
neurones, et qui se nomme la « gaine de myéline » (c’est elle qui est détruite par un
processus auto-immun dans le cas de la sclérose en plaques) (5). Grâce à elle, la vitesse
de propagation et la fréquence des influx nerveux augmente. Un seul oligodendrocyte
est capable de myéliniser jusqu’à 50 axones. Cette gaine isolante se compose de lipides à
plus de 70 %, preuve s’il en était besoin qu’un cerveau bien gras est un organe qui
fonctionne bien !
Pour résumer ce chapitre, on constate que l’architecture du cerveau, d’une grande
complexité, construite par étapes successives au cours de l’évolution, le dote de fonctions
réparties de manière très hétérogène, chacune se trouvant limitée à des aires très
restreintes et spécialisées, capables de communiquer entre elles. De ce fait, le « mental »
ne se résume pas à l’action privilégiée du cortex préfrontal. La volonté ne gagne pas
toujours, pas plus que la conscience ou l’intelligence. En effet, l’intervention de
structures plus anciennes, activées par le stress, le dialogue permanent avec le
microbiote, la survenue d’événements infectieux – y compris en période fœtale –,
d’éventuels déficits nutritionnels constituent autant de facteurs susceptibles d’affecter le
bon déroulement des fonctions cérébrales. On commence à comprendre pourquoi,
finalement, il ne serait pas si aberrant que cela de voir nos champions déraper dans des
conditions à forte connotation émotionnelle. Enfin, ne négligeons pas que la plupart des
acteurs qui interviennent dans ces cellules dérivent du contenu de notre assiette et
nécessitent des capacités de digestion et d’assimilation très performantes. C’est ce que
dévoile le prochain chapitre.
M. Le cerveau,
que mangez-vous ?
Les chiffres indiquent que le foie peut disposer au maximum de 100 g de glycogène,
qu’il déverse progressivement dans la circulation à mesure que le taux circulant, qu’on
nomme la « glycémie », menace de chuter. Cette situation se rencontre du fait que les
organes nécessitant le glucose pour fonctionner le prélèvent à partir du sang, et que les
quantités captées dépassent rapidement celles que le foie déverse. Le niveau menace
donc de chuter, et ce d’autant plus que nos tissus consomment environ 10 g de glucides
par heure, dont 4 pour le seul cerveau, comme indiqué plus haut. Cela signifie que, s’il
n’existait pas un autre moyen de subvenir aux besoins en glucose de l’organisme, nous
pourrions tomber en panne de sucre durant notre sommeil, et mourir d’un coma
hypoglycémique en dormant. Chacun d’entre nous sait qu’il n’en va pas ainsi. Pourquoi ?
Parce que l’évolution a sélectionné pour nous une aptitude fondamentale ; celle de se
passer temporairement de l’apport de sucre pour maintenir la glycémie. Cela semble
logique : nos ancêtres du Paléolithique et des époques encore plus reculées ne pouvaient
pas faire trois repas par jour. Ils devaient néanmoins prendre à tout instant des décisions
importantes, parfois décisives pour leur survie et celle du groupe, et le cerveau ne devait
pas donner le moindre signe de faiblesse.
Que permet exactement cette adaptation ? Le foie dispose d’une voie métabolique
particulière, activée lors du jeûne, qui a reçu un nom barbare, puisqu’on la nomme la
« néoglucogenèse ». Ce terme signifie qu’elle permet de fabriquer du glucose avec
d’autres types de molécules. En quelque sorte, il leur fait subir un lifting. Ces substrats
sont, en cas de jeûne et en l’absence d’une activité soutenue, principalement de petites
molécules dérivées des graisses et récemment passées à la postérité, les « corps
cétoniques » (34). Il utilise également certains acides aminés, c’est-à-dire certains des
éléments de base qui composent les chaînes de protéines. Avec ces deux stratagèmes, il
s’en sort plutôt bien et permet de maintenir en partie l’approvisionnement du cerveau en
glucose. Parallèlement ce dernier va développer dans ce contexte l’aptitude à utiliser les
corps cétoniques comme carburants d’appoint, et ce grâce à l’intervention complice des
astrocytes (23). Ses performances n’en pâtissent pas, et parfois même sa santé s’en
trouve améliorée, comme on le verra plus loin (54, 57).
Les travaux sur ce thème ont montré que le cerveau s’adapte donc en quelques
jours pour diminuer ses besoins de glucose d’environ 100 g en conditions normales, à
40 g/jour dans ce contexte. Il y parvient en accroissant sa consommation de corps
cétoniques, qui passe de 0 à 30 % de ses besoins après 3 jours, puis jusqu’à 70 % après
40 jours. Il est important de noter que le cerveau ne peut néanmoins jamais
complètement s’affranchir du glucose, dans la mesure où il s’avère essentiel au
fonctionnement de la voie permettant l’utilisation des corps cétoniques. On voit en tout
cas que, en théorie, le neurone ne voit pas son activité se modifier selon que l’on ait
mangé récemment ou pas. Alors pourquoi ces fringales évoquées au début de ce
chapitre ?
Figure 10. Densité de Glu T4 dans les fibres musculaires chez des sujets sportifs comparativement à des
sédentaires.
Hypo ou hyporéactionnelle ?
Un besoin impérieux en glucose
Le cerveau présente donc un besoin crucial : être régulièrement approvisionné en
glucose. Cela implique que la glycémie ne présente pas de fluctuation de grande
ampleur. Pour cela, plusieurs hormones interviennent pour ajuster en permanence la
mise en réserve, la mobilisation et le taux circulant de glucose. Certaines de ces
hormones se voient libérées dans un contexte de stress, et les ordres proviennent des
parties les plus anciennes du cerveau, celles héritées des temps les plus reculés de
l’histoire de l’humanité. Ainsi, comme évoqué dans le chapitre précédent, le système
limbique se trouve en lien avec les glandes surrénales, et sous l’influence de situations
perçues comme des menaces, l’ordre sera donné de verser du cortisol ou de l’adrénaline
dans le sang, et ce phénomène va initier plusieurs réponses destinées à préparer les
comportements induits par ce stress, à savoir la fuite, la lutte ou l’inhibition (70).
Libération du glucose
Le pancréas agit également sur ce processus complexe. Il peut ainsi libérer le
glucagon, hormone qui va donner au foie l’ordre de libérer suffisamment de glucose aux
cellules nerveuses, dès lors qu’on se trouve à distance des repas (71). Notons enfin qu’un
dernier acteur s’est récemment invité à cette pièce : le microbiote. En effet, certains
messagers libérés sous l’influence des bactéries très actives qui se nichent dans notre
intestin se voient libérés – tel le GLP-1 –, et contribuent eux aussi à moduler la gestion
du glucose par nos tissus (68).
Peut-on donner un peu plus de détails à leur sujet ? L’un des précurseurs de ce
domaine très étendu que constitue aujourd’hui la psychonutrition fut sans conteste
l’Américain Robert Wurtman (26, 73). Au cours de cette histoire déjà longue, une étape
clef a sans conteste été l’identification des différents messagers agissant dans le cerveau
et la caractérisation de leurs précurseurs, ainsi que les différentes étapes qui jalonnaient
ces voies métaboliques (voir figure 11). On y voit que deux messagers, issus de la famille
chimique des catécholamines, à savoir la dopamine et la noradrénaline, résultent de la
transformation du même précurseur, la tyrosine. Dans les neurones qui utilisent la
noradrénaline, la dopamine est le dernier maillon avant la synthèse de la
noradrénaline, alors que dans le cas des neurones dopaminergiques, la transformation
comprend une étape de moins. Un même neurone ne peut pas utiliser ces deux
messagers distincts, c’est l’un ou l’autre.
La tyrosine se range parmi les acides aminés essentiels. Cela signifie que, ne
pouvant pas en fabriquer la moindre once, notre organisme se trouve entièrement
dépendant de nos choix alimentaires pour assurer la couverture de nos besoins, en
particulier ceux du cerveau. La sérotonine et la mélatonine, pour leur part, utilisent un
autre acide aminé essentiel, le tryptophane, ce qui m’amène à la même remarque
relative à notre entière dépendance vis-à-vis de nos apports alimentaires. Concernant le
tryptophane, un certain nombre de situations le détourne vers d’autres voies ou d’autres
tissus, au risque d’affecter sa synthèse et, de là, à altérer notre aptitude à gérer le stress,
comme au cœur d’une compétition face à une situation jugée menaçante, nouvelle, ou
échappant à notre contrôle !
Le cerveau, sans nul doute possible, est l’organe de notre corps qui renferme le plus
de graisses, et parmi celles-ci, on doit noter la part très importance de ceux qu’on
nomme les « acides gras polyinsaturés », représentants des familles oméga-6 et oméga-
3 (60). Cette particularité s’explique en partie par leur rôle structurel, au niveau des
membranes des neurones. En effet, cette richesse en acides gras polyinsaturés permet
une plus grande fluidité de ces structures, propice aux connexions des neurones entre
eux et à la capacité des récepteurs qui s’y situent à accueillir convenablement les
messagers qui s’y lient (49).
A contrario, des déficits en oméga-3 vont affecter la qualité de l’information
nerveuse. Mais les études menées ces vingt dernières années ont montré bien plus que
cela ; en particulier l’un des acides gras représentatifs de la famille oméga-3, celui qu’on
désigne par « DHA », exerce des rôles fondamentaux, concernant par exemple
le contrôle de l’inflammation (4) ou la formation de molécules protectrices, les
« protectines » (3, 69). Cette intervention s’exerce directement au niveau de certains
gènes qui vont alors sortir de leur silence. Il s’agit encore une fois d’une intervention
épigénétique, comme je le décris dans mon livre précédent (61). Cette remise en action
va s’avérer cruciale, dans la mesure où le cerveau constitue une cible privilégiée des
radicaux libres, dont je parle plus loin. Cela s’explique en raison de la grande quantité
d’oxygène qu’il consomme et de la vulnérabilité d’un grand nombre de molécules qui y
siègent. De ce fait, des déficits en DHA, survenant très tôt au cours de la vie, voire dès la
naissance selon le statut initial de la maman, peuvent contribuer à un risque plus
important de survenue ultérieure de schizophrénie (48), voire de la plupart des
pathologies psychiatriques ou neurodégénératives (58).
a) La diversité de moyens
Le premier concerne la diversité de moyens dont disposent les cellules pour exercer
cet effet protecteur. Une partie de celui-ci passe par l’intervention d’enzymes qui se
montrent capables d’agir sur les molécules porteuses d’un électron libre, et de les
transformer en molécules stables. On les qualifie d’enzymes antioxydantes (61). Leur
activité peut s’accentuer en présence d’une agression accrue de sorte que, dans ce
contexte, la capacité de nos tissus à nous protéger reste très opérante. Ces enzymes
bénéficient de l’apport de « cofacteurs », tels que le sélénium, le zinc, le manganèse ou
le fer qui, de ce fait, constituent des micronutriments antioxydants. Le deuxième versant
de cette défense repose sur l’intervention en freelance de certaines molécules piégeuses
de radicaux libres, situées au cœur des cellules ou des membranes. Il s’agit par exemple
de la vitamine E, de la vitamine A, de la coenzyme Q10… Pour la plupart liposolubles,
elles se trouvent donc, dans nos membranes, au cœur d’un environnement favorable.
L’expression génique
Aujourd’hui, la définition a évolué, et englobe la notion de « patrons » d’expression
génique, héritables à travers les divisions cellulaires, mais n’impliquant pas de
changement de la séquence d’ADN (12). Autrement dit, ce ne sont pas tant les gènes
que la possibilité ou non qu’un commutateur allume ou éteigne certaines séquences de
ceux-ci qui caractérisent l’état de notre organisme à un moment donné. L’épigénèse
comporte plusieurs processus en interaction les uns avec les autres, tels que le
remodelage de la chromatine, des modifications des histones, la méthylation de l’ADN
ou la mise en œuvre de microARN (voir figure 13). Lorsque ces phénomènes surviennent
dans des régions génomiques distinctes, telles que les gènes promoteurs ou les sites
facilitateurs, c’est-à-dire les secteurs de l’ADN qui décident de la lecture des gènes
proches d’eux, ils vont exercer un contrôle sur ceux qui participent à l’embryogenèse.
Parmi les processus qui contribuent à cette modulation, c’est indéniablement la
méthylation de l’ADN qui pèse le plus lourd.
a) La méthylation
La méthylation constitue le premier et sans doute le plus connu d’entre eux. Elle
consiste à « colorer » ou modifier certaines liaisons chimiques localisées sur l’ADN par
l’ajout d’un groupe chimique particulier, le méthyl. À la suite de cette intervention (qui
nécessite la collaboration de plusieurs nutriments comme les vitamines B6, B9, B12, le
zinc ou encore un acide aminé nommé la méthionine (70), certaines séquences d’ADN
peuvent alors être traduites ou, au contraire, se taire soudainement. Divers polluants
peuvent interférer avec ce processus et contribuer à l’apparition de protéines anormales
ou encore à la dysrégulation de fonctions essentielles de la cellule (12).
Présence d’autoanticorps
Déficit en B9 plasmatique Déficit intracellulaire en B9
antirécepteurs B9
Les répercussions sont encore plus marquées en cas de malnutrition (29), du fait de
la diversité de nutriments déficitaires, à commencer par les protéines. Cet inquiétant
constat peut laisser à penser qu’un enfant situé au-delà de la troisième place de la
fratrie pourrait se présenter davantage exposé au risque de développement cognitif
moins efficient (39), du fait d’une aggravation progressive des déficits d’une grossesse à
l’autre. Cela concerne notamment les acides gras de la famille oméga-3, dans la mesure
où beaucoup de mamans se trouvent déjà en situation déficitaire avant même de s’être
accouplées (1), et chaque grossesse accentue le découvert.
Le microbiote intestinal
Le microbiote intestinal représente un enjeu mondial dans le domaine de la
recherche. Il fait l’objet d’un intérêt croissant depuis les années 1970, avec une explosion
du nombre d’études lui étant consacrées depuis le début de ce siècle, en plus
particulièrement une fois mené à terme le projet du séquençage du génome humain. Un
progrès technique majeur a permis cette envolée du nombre de publications ; en effet,
jusqu’en 2000, l’accès à la connaissance bactérienne ne se faisait que par la mise en
culture. Cela ne permettait, au mieux, que de connaître 30 % de toutes les espèces
présentes dans l’intestin, soit environ 400 espèces différentes.
Avec l’essor des techniques moléculaires d’analyse de l’ADN bactérien, ce qu’on
appelle la « métagénomique », on a pu mener à bien l’étude du patrimoine génétique de
l’intégralité de notre microflore intestinale. On sait qu’il existe de nombreux autres
microbiotes humains, associés à la peau, aux muqueuses, au niveau vaginal, oculaire,
auriculaire, placentaire…
Le microbiote buccal
Bien loin de chercher à tuer le moindre microbe pouvant résider dans notre bouche,
on recommande désormais de choyer ce nouvel ami. Il existe en effet un microbiote
buccal qui est composé de 100 millions de bactéries par millilitre de salive et de 700
espèces bactériennes. La principale fonction de ce microbiote buccal consiste à
neutraliser certaines bactéries pathogènes. Plusieurs facteurs contribuent à perturber
l’équilibre existant entre le microbiote buccal et la salive ; citons ainsi de mauvaises
habitudes telles que le manque d’hygiène buccodentaire. Notons à ce propos que,
aujourd’hui, on recommande deux brossages de dents par jour. Évoquons également cet
héritage de l’époque où l’asepsie régnait en impératrice : les excès de bains de bouche.
Citons encore l’influence délétère d’une alimentation trop riche en sucre ou enfin la
consommation de tabac. On avance quelques autres causes annexes, comme la
génétique, les changements hormonaux (comme ceux liés à la grossesse), les appareils
dentaires, le stress ou la prise d’antibiotiques.
Le déséquilibre du microbiote
Tout déséquilibre du microbiote se nomme une « dysbiose ». Celle qui s’installe au
niveau de la bouche peut se trouver logiquement aggravée par une diminution de la
production de la salive. Enfin, des données récentes suggèrent qu’il existerait même un
microbiote cérébral ; sans doute aura-t-il pour fonction de relayer vers le cerveau les
informations issues du monde bactérien de l’intestin ?
Toujours est-il que cette réalité remet en cause le principe de l’asepsie, au nom de
laquelle on s’imposait de se laver les mains très régulièrement et d’éviter au maximum le
développement des foyers infectieux sur le corps. En effet, selon ce paradigme, toute
bactérie retrouvée sur notre corps présentait un pouvoir pathogène potentiel. Avec la
réhabilitation de ce monde miniature, dont atteste par exemple le titre de l’ouvrage du
professeur Martin Blaser (Les microbes et notre santé) (9), c’est un virage à 180° qui a été
amorcé depuis une décennie !
L’harmonie microbiotique est garante de notre santé
Nous allons voir que l’harmonie du microbiote intestinal garantit un bon
développement du cerveau et un moindre risque de présenter ultérieurement des
pathologies psychiatriques ou neurodégénératives. Bien que largement soutenu par de
récentes études, ce postulat qui bouscule les idées reçues rencontre encore bien des
résistances. Combien de psychiatres ou de neurologues en tiennent vraiment compte et
intègrent cette donnée à leur pratique quotidienne ? Entrons dans les détails de ce lien
étonnant ; dans l’esprit du public, la flore ou le microbiote constitue un monde
homogène, stable, qu’on garde semblable à lui-même tout au long de notre vie. Il n’en
va pas ainsi.
En plus de la facile disparition de familles entières sous l’influence de certains
traitements, antibiotiques ou antiacide par exemple, sur lesquels je reviens ci-dessous,
nos choix alimentaires contribuent à le modifier heure par heure. Le jeûne également ;
en effet, comme le rappelle le P r Blaser dans son livre (9), à l’issue d’une nuit de
8 heures, à distance du dernier repas consommé, les bactéries qui prédominent dans
notre bouche ne sont pas celles qui se développaient juste après la dernière bouchée
avalée. De plus, selon le menu du souper, ce ne seront pas les mêmes changements qui
surviendront.
Des études menées il y a dix ans ont ainsi montré qu’il suffit, par exemple, de
consommer quotidiennement un verre de jus de grenade pour faire croître la population
de bifidobactéries (8, 63). Or, leur présence s’avère précieuse au développement
cérébral.
Autre exemple : l’ingestion quotidienne d’un verre de vin rouge, qui nous apporte
son quota de resveratrol, favorise le développement des populations de lactobacilles et
de bifidobactéries (7). Cette modification produira sur notre cerveau des effets similaires.
De telles molécules, dotées à la fois de vertus antioxydantes vis-à-vis de nos tissus, et
d’un effet prébiotique pour notre microbiote, ont reçu le nom de « cobiotiques ». Cela
mérite d’être remis en perspective.
Le microbiote fœtal
De manière absolument étonnante il semble de plus en plus certain, en 2020, que
selon qu’il se trouve en harmonie ou au contraire en dysbiose, ce microbiote puisse
contribuer au risque ultérieur de développer des pathologies neurodégénératives (27).
Ceci explique l’ouverture un peu provocatrice de ce chapitre. Cette vision révolutionnaire
est schématisée dans la figure 16.
Le microbiote maternel ne semble pas agir seul. En effet, une récente découverte a
bouleversé le monde médical : il existe un microbiote fœtal ! Alors qu’il y a encore peu
de temps, on considérait que l’intestin du fœtus était totalement stérile, des publications
très sérieuses ont récemment remis en cause cette notion 6. En effet, on peut retrouver
des bactéries dans le liquide amniotique et dans le placenta (47, 88). Certes, constituée
tout au plus de quelques centaines d’individus ayant migré depuis le microbiote
maternel, il ne s’agit sans doute pas d’une population appelée à véritablement coloniser
à « bas bruit » l’intestin du futur bébé et à commencer à s’installer. Sans doute cette
présence bactérienne contribue-t-elle plutôt à développer une tolérance ultérieure aux
congénères qui ensemenceront massivement son tube digestif à partir de
l’accouchement.
Le système immunitaire du nouveau-né
Il est également vraisemblable que cette exposition précoce contribue au
développement optimal du système immunitaire du nouveau-né, et à un meilleur
maintien de l’équilibre de ce dernier plus tard. Il semble enfin qu’il participe à la
modulation de l’embryogenèse cérébrale. Notons que la composition du microbiote du
fœtus en cours de développement s’avère sensible à des modifications de son
environnement, et ce dès les premières semaines de gestation.
Ainsi, une récente étude, menée chez les rongeurs, a-t-elle démontré qu’une
stimulation immunitaire survenant durant la période gestationnelle, similaire à celle que
provoquerait un virus peu offensif, modifie la composition du microbiote (42). Elle
jouerait un peu le même rôle que les maladies infantiles sur la maturation immunitaire
de nos rejetons. Pour quelle conséquence ?
Grâce à cette maturation correcte du microbiote, l’intestin produit en quantité
suffisante un dérivé dont on parle de plus en plus : le butyrate. Ce dernier tire son nom
de l’aliment où l’on a isolé en premier ; le beurre ! Ce composé, qui appartient aux
« acides gras à chaîne courte », possède de nombreuses propriétés : il réduit
l’inflammation, contribue à la cicatrisation intestinale, il module l’intestin et surtout,
pour en revenir au cerveau, il va se comporter comme un agent qui harmonise le
déroulement de l’épigenèse neuronale (24).
J’ai expliqué dans un chapitre précédent que les premières années de la vie
constituaient une période cruciale pour le cerveau. C’est durant celle-ci que d’importants
changements surviennent au niveau de sa structure et de ses fonctions (83). Durant
toute cette période, on observe un développement massif du réseau de dendrites et
d’axones, auquel succède la formation de nouvelles synapses, l’expansion des cellules
gliales, et la myélinisation. La formation de synapses atteint son maximum durant les
deux premières années de vie, avant que les ajustements et la disparition de certaines
synapses, observés durant l’enfance, se poursuivent au-delà de l’adolescence, ceci se
faisant de manière plus ou moins marquée en fonction de l’influence de facteurs
extérieurs (66). Au moment du 2e anniversaire, l’ensemble des neurones a bénéficié de la
myélinisation.
On ne peut s’empêcher d’établir un rapprochement tentant : comme pour le
cerveau, le microbiote acquiert la quasi-intégralité de ses caractéristiques d’adulte au
cours de ces deux premières années… Il est plausible d’y voir autre chose qu’une
coïncidence temporelle. Effectivement, des études menées chez l’animal ces dernières
années ont établi qu’un microbiote harmonieux conditionnait le bon déroulement de la
synaptogenèse et de la myélinisation des neurones. Enfin, ces travaux suggèrent que les
régions du cerveau intervenant dans le contrôle des fonctions motrices et cognitives sont
façonnées, durant le développement, par le microbiote.
Maturation de la microglie
Des études antérieures ont démontré que la microglie, c’est-à-dire, comme on l’a vu
au début de cet ouvrage, les cellules immunitaires résidentes du système nerveux
central, jouaient un rôle important dans le contrôle de l’inflammation mais aussi dans la
mise en place des circuits neuronaux dans le cerveau qui se développe (72). Dans une
étude récente, il a été découvert que les microbes indigènes contrôlent la maturation et
les fonctions de la microglie (31).
Chez des souris sans microbiote, les proportions des différents types de cellules au
sein de la microglie sont altérées, et répondent moins bien aux endotoxines ou aux virus.
De ceci, on en déduit que le microbiote doit être présent pour favoriser le
développement de l’immunité innée au niveau du système nerveux central. Certaines
espèces comptent-elles plus que d’autres ?
Les scientifiques sont loin de tout connaître à ce sujet, mais ils disposent déjà de
données, dont quelques-unes ne manquent pas d’étonner, et quelques-uns spéculent sur
l’influence vraisemblable de quelques variétés bien connues. Arentsen (3) et ses
collègues soulignent par exemple que, lors des premières années de la vie, les E. coli
comptent parmi les espèces les plus abondantes au sein du microbiote de l’enfant. Pour
eux, il est tentant de considérer que ces bactéries joueraient un rôle crucial dans la
programmation du cerveau et pour l’optimisation du comportement, et ce d’autant plus
qu’il a été démontré l’existence d’une translocation bactérienne vers le cerveau. Ce serait
l’un des composants majeurs des parois bactériennes, le PNG, qui assurerait ce rôle
essentiel.
Or, combien de nos lecteurs ont en tête que les Escherichia coli participeraient plutôt
à des infections urinaires et seraient donc des agents infectieux ? Leurs caractéristiques
amènent à remettre en cause le concept établissant une distinction entre les « bonnes »
et les mauvaises » bactéries. Cette scission n’est pas sans rappeler celle qui, par le passé,
au cœur de l’écosystème de nos campagnes, amenait l’homme à distinguer
arbitrairement des espèces « utiles » et des « nuisibles », se gardant bien, en faisant cela,
de se compter dans la seconde catégorie ! Tout semble être une question d’équilibre et
de diversité, et ces E. coli ici, comme le Candida albicans plus loin dans ces pages, font
plutôt figure de « sangliers » de notre microbiote, en surpopulation en raison des
dysbioses transgénérationnelles.
Conclusion
Lorsque je travaillais sur ma thèse d’alcoologie à la fin des années 1980 (102), une
question me revenait souvent, et je ne manquais pas de la soumettre à mon responsable
de recherche : « Comment expliquer que, face au même produit, certains individus
restent indifférents, tempérants, alors que d’autres développent rapidement une forme
de dépendance ? » Ce professeur me répondait en décrivant certaines particularités
propres aux patients reçus dans l’établissement dans le cadre de leur sevrage : « Chez
les malades alcoolodépendants, indiquait-il, les récepteurs de la dopamine fonctionnent
différemment, les voies de l’anxiété sont activées et le foie présente des perturbations qui
influent sur le métabolisme du cerveau… » Cette réponse, loin de me convaincre, me
renvoyait à mes interrogations.
En pointant les particularités de ces patients au moment où la maladie s’est déjà
bien installée, on se place dans la situation d’un consultant qui expliquerait au dirigeant
d’une entreprise qui fabrique des automobiles : « Je sais pourquoi la moitié des véhicules
qui sortent de votre établissement subissent des accidents au bout d’un mois de service.
Quand je les expertise, je constate en effet que toutes ont le pare-brise cassé, le parechoc
abîmé et les portières rayées… » Autrement dit, on caractérise ces patients dépendants
en établissant la liste des particularités qu’on relève chez eux alors que la pathologie est
bien installée. Mais en sont-elles la cause ?
À la même époque, je me rendais régulièrement à l’hôpital Saint-Michel, dans le
service de feu le professeur Albert Creff, où certaines patientes souffrant de troubles du
comportement alimentaire étaient prises en charge. Une question du même ordre se
posait en leur présence : « Comment expliquer que, face à des situations communes,
certaines personnes développent des troubles du comportement alimentaire et pas
d’autres ? » Là non plus, la réponse ne s’avérait pas satisfaisante, ce qui me mettait
d’autant plus dans l’inconfort que, pour les unes comme pour les autres, on proposait
des prises en charge assez lourdes sans clairement connaître l’origine du mal. C’est
comme si un garagiste enlevait au hasard la pièce d’un moteur pour la changer, en
croisant les doigts pour que le véhicule en panne redémarre.
Même si cette réalité se trouvait rarement formulée, force est de reconnaître que
jusqu’à un passé récent, la réussite des accompagnements thérapeutiques relevait plus
du hasard et de la personnalité du patient que d’une proposition globale cohérente.
Pour illustrer cette embarrassante situation, regardons de plus près la définition de
l’anorexie mentale selon l’ouvrage de référence des psychiatres, le Manuel diagnostique et
statistique des troubles mentaux (DSM-V) (voir encadré 8). Vous noterez que cette
synthèse s’attarde sur des symptômes, des particularités propres aux patientes souffrant
d’anorexie, mais ne renseigne pas sur les raisons de cette pathologie. Et pour cause ! On
la présente encore comme une « maladie de cause inconnue ».
Cette difficulté à en identifier les rouages explique sans doute son taux de mortalité,
le plus élevé de toutes les pathologies psychiatriques (50), ainsi qu’une récidive
extrêmement fréquente (127). L’étude de suivi menée sur 21 ans par Zipfel et ses
collègues a mis en évidence la persistance du problème chez une fraction importante des
patientes anorexiques, même avec plus de deux décennies de recul. Ses chiffres
confirmaient ceux avancés par d’autres Allemands quelques années auparavant (109).
Les chiffres, un quart de siècle plus tard, n’ont guère progressé. De plus, certaines
patientes dont l’anorexie s’est stabilisée ont développé d’autres troubles, tels que la
boulimie, comme si la prise en charge servait, chez un certain nombre de sujets, à
simplement déplacer le problème, sans le régler réellement (125).
1. La substance est souvent prise en quantité plus importante ou pendant une période
plus prolongée que prévu.
3. Beaucoup de temps est passé à des activités nécessaires pour obtenir la substance,
utiliser la substance ou récupérer de ses effets.
8. Il existe une utilisation répétée de la substance dans des situations où cela peut être
physiquement dangereux.
11. Il existe un sevrage, caractérisé, par l’une ou l’autre des manifestations suivantes :
syndrome de sevrage caractérisé de la substance ;
la substance (ou une substance proche) est prise pour soulager ou éviter
les symptômes de sevrage.
Ce schéma tiré de l’article fondateur de Dohan (35), illustre le possible lien existant
entre la consommation croissante de blé et l’augmentation du nombre d’admissions en
psychiatrie pour schizophrénie.
Figure 21. Réponse inflammatoire provoquée par l’arrivée des endotoxines dans l’organisme.
Figure 22. Homologie structurelle entre la gliadine et une protéine du mycélium du Candida.
Candidose et alcoolisme…
Dysbiose et anxiété
Ces différences de composition du microbiote se répercutent par ailleurs sur la
teneur d’acides gras à chaîne courte, ces molécules volatiles élaborées par la flore
intestinale à partir de fibres végétales. De sensibles différences existent,
comparativement aux sujets de poids normal. Quand on sait que ces molécules
possèdent l’aptitude à moduler la synthèse de peptides en jeu dans l’appétit, ce
microbiote de personne anorexique pourrait également contribuer, par ce biais, à
l’altération de la faim (83). Mais ce n’est pas tout ; ces différences se manifestent à un
autre niveau, encore plus déterminant : celui de la synthèse des neurotransmetteurs.
À la grande surprise des scientifiques, des travaux récents ont permis de découvrir
que le microbiote permettait de fabriquer plusieurs de ces messagers, notamment la
sérotonine évoquée plus haut (6, 124). La dysbiose de ces patients se répercute sur la
disponibilité de ces messagers, et le sommeil, l’humeur, l’appétit en pâtissent. Un
écosystème en harmonie module également la synthèse de la molécule chargée de
contrôler l’anxiété, à savoir le GABA (10). À l’inverse, le désordre rencontré dans la flore
de ces sujets favorise un état anxieux d’autant que, par ailleurs, le contrôle du stress
apparaîtra moins efficace (78), ce qui contribuera à l’instauration d’un authentique
cercle vicieux.
Pour résumer la relation entre la dysbiose et l’anorexie, il est aujourd’hui admis par
les experts qui étudient la question que des désordres initiaux, peut-être
transgénérationnels, favorisent la mise en place d’un métabolisme économe ce qui, en
lien avec la constipation provoquée par cette dysbiose, renforce les déséquilibres du
microbiote. Ceci favorise l’intervention supplémentaire d’autres processus, se jouant au
niveau de la synthèse des neurotransmetteurs. Ce que n’envisagent pas ces travaux, en
revanche, c’est qu’il puisse y avoir une contribution supplémentaire dans ce contexte,
celle des exorphines. Cette hypothèse semble fort plausible. Elles interviendraient en
raison du phénomène d’hyperperméabilité intestinale décrit dans ce contexte (106). Non
contentes d’avoir gouverné son développement, les bactéries de notre flore commandent
son activité. Décidément, notre cerveau dépend totalement, tout au long de notre vie,
de nos bactéries !
Dès cette époque, les scientifiques furent surpris de la fréquence avec laquelle des
enfants surdoués (voir encadré 12) et des enfants autistes pouvaient cohabiter au sein
de la même fratrie (7, 116). Des données plus récentes rendent encore plus perplexes ;
d’un point de vue strictement clinique, on constate souvent que les enfants dits « à haut
potentiel » rencontrent des difficultés en raison – précisément – de leur quotient
intellectuel (93). Mal adaptés aux modes de pédagogie usuels, et de surcroît sujets à un
stress très important lié à leur statut (voir le prochain chapitre « M. le cerveau, pourquoi
êtes-vous stressé ? »), il n’est pas rare qu’ils rencontrent des difficultés scolaires (93). Ils
peuvent même se trouver en échec. Les psychiatres, de leur côté, leur trouvent des traits
qu’ils partagent avec des personnes autistes (36, 47, 85). Autant de similitudes, malgré
des dissemblances…
Pourquoi ne pas envisager que les mêmes causes puissent provoquer ces tableaux
qui, par bien des côtés, les distinguent de la moyenne de la population ? Certains
auteurs (8, 73) s’interrogent de plus en plus sur le sens de ces observations qui
suggèrent que, sur certains plans, les personnes surdouées disposeraient de logiciels
haut de gamme, et que pour d’autres, l’implantation se serait mal passée et en ferait
presque des « sousdoués ». L’essentiel semblant se jouer en période fœtale, il est tentant
d’envisager un rôle favorable de la candidose dans cette histoire… L’abréviation « HPI »,
finalement, pouvant alors autant désigner le « Haut Potentiel Intellectuel » que
l’hyperperméabilité intestinale.
Quelles sont les quatre grandes familles de personnes surdouées que distinguent
désormais les psychiatres (116) ?
Ceux qui se sont réalisés, ayant connu le succès dans leur parcours académique ;
Ceux qui se situent au moins entre deux écarts types devant la valeur moyenne de
la population du même âge (cette donnée statistique indique tout simplement qu’ils
se situent parme les 2,5 % ayant le mieux réussi les tests d’évaluation de
l’intelligence) ;
Ceux qui démontrent un talent hors norme dans un ou plusieurs domaines ;
Enfin, les individus qui présentent de très importantes aptitudes intellectuelles
associées à un profil socioémotionnel particulier.
On voit clairement que cette classification décrit a posteriori des individus sur la base
de leur aptitude à exprimer peu ou prou, dans le champ de la société, les potentialités
dont ils disposent. En revanche, elle ne dit rien de ce qui y contribue ou pas. En outre,
on peut tout à fait penser que les divergences se jouent principalement au niveau de
leur aptitude, au cours de la vie, à dépasser le stress inhérent à leur profil, susceptible
de générer, chez eux, une grande souffrance, ou au contraire à y succomber au point,
parfois, de procrastiner (117).
Conclusion
S’il est bien un mot que chacun prononce au moins une fois dans sa journée, c’est
bien celui de « stress ». Toutefois, si on écoute nos contemporains, il n’y en a pas un qui
lui donne exactement le même sens ; pour untel, il s’agit d’un événement désagréable,
inconfortable, voire générateur de souffrance. Tel autre évoquera plutôt des
manifestations perçues au moment où cet événement est survenu : des maux de ventre,
des palpitations, des tensions, dont le souvenir reste très vif. Pour un autre encore, ce
qui lui viendra à l’esprit se situera davantage dans la sphère émotionnelle, avec une
sensation d’oppression ou d’angoisse, alors que son voisin mentionnera l’impression
d’être irrité. Enfin, pour un dernier, il sera peut-être question de nuancer « bon » et
« mauvais » stress.
Cette cacophonie prouve à quel point celui qu’on qualifie de « mal du siècle » (sans
préciser duquel il s’agit) pèse lourd dans notre monde moderne. Pour y voir plus clair,
revenons cent ans en arrière, juste à la sortie de la « der des der », comme on disait à
l’époque… Imaginons qu’un Poilu ait détaillé à un journaliste les souffrances physiques
et psychologiques endurées dans les tranchées ; ses peurs, l’insomnie, le bruit des
bombes. Il n’aurait pas parlé de « stress ». Pourquoi ? Parce que ce mot n’existait pas
encore…
L’histoire du stress
Nombre
Événements vécus au cours des 12 derniers mois Valeur Vos points
de fois
Divorce 73
63
Mort d’un parent proche
Période de prison 63
Mariage 50
Licenciement 47
Départ à la retraite 45
Grossesse 40
Difficultés sexuelles 39
Succès exceptionnel 28
Changement d’habitudes 24
Changement de domicile 20
Vacances 13
Noël 12
Le cerveau reptilien
Du cerveau reptilien. Ce dernier va déclencher un signal d’alerte, qui donnera lieu à
des émotions ou des comportements caractéristiques : anxiété, colère, peur, inquiétude,
agressivité. Ils témoigneront de notre stress à ce moment-là. C’est donc un travail
d’équipe complexe qui participe à la gestion de situations potentiellement menaçantes,
et l’état d’alerte apparaîtra d’autant plus que les ressources de l’individu seront limitées
et les perturbations importantes.
Les éléments développés jusqu’à maintenant dans ce chapitre font état des
connaissances actuelles, qui situent le cerveau au cœur de la problématique de la
gestion du stress. Or, en dépit de l’évolution des outils utilisés pour accompagner les
individus confrontés à de telles situations et des retombées des expériences fondées sur
l’imagerie cérébrale ou l’épigénétique, une question demeure pourtant en suspens. Il
s’agit de celle des différences interindividuelles et des capacités inégales, d’un sujet à
l’autre, voire chez un même individu à des moments différents de sa vie, à s’adapter.
Pour aborder ce point délicat, je vais m’avancer dans deux domaines qui peuvent nous
aider à trouver des éléments de réponse.
Microbiote et stress
Le second domaine concerne l’influence du monde bactérien intestinal, du système
immunitaire et des agents infectieux sur le fonctionnement du cerveau. On a vu
précédemment que ceux-ci, et en particulier la survenue d’épisodes infectieux en tout
début de vie, pouvaient influer sur l’embryogenèse du cerveau. En conséquence, ils
pourraient également altérer l’intervention de certaines voies essentielles au bon
contrôle du stress (1, 63). Cela constituerait une sorte de vulnérabilité innée, qui
s’exprimerait au décours d’événements très pesants. Par ailleurs, des infections récentes,
voire contemporaines, des contextes stressants peuvent, en interagissant avec les
récepteurs neuronaux, entraver le déroulement des processus impliqués dans le coping.
Ces perturbations seraient, de plus, largement conditionnées par l’existence d’une
dysbiose. Ce qu’on va découvrir dans ce paragraphe, c’est que le stress lui-même peut
exacerber les déséquilibres immunitaires, agresser la muqueuse intestinale et aggraver la
dysbiose (62). De ce fait, un cercle vicieux peut s’instaurer, auquel participent des
acteurs que le monde de la psychiatrie ou de la psychologie peine à prendre en compte
(voir figure 25). Voyons tout cela plus précisément…
De récents travaux ont démontré que le stress peut favoriser la dysbiose, à la fois en
modifiant les proportions de différentes familles bactériennes (15) et en créant un
contexte pro-inflammatoire (62). Dans ce climat, les jonctions serrées des entérocytes
subissent des dommages et ceci favorise un phénomène d’hyperperméabilité intestinale.
De plus, par l’intermédiaire de mécanismes déjà décrits au chapitre 2, ce stress
chronique influe sur le métabolisme des neurotransmetteurs. Il diminue la synthèse de
sérotonine et de dopamine, ce qui accentue les symptômes émotionnels et
comportementaux liés au stress (7) : irritabilité, agressivité, baisse de motivation, fatigue
morale, difficulté à supporter les contraintes… seront autant de manifestations qui
apparaîtront alors.
Cette hyperperméabilité intestinale favorisera en outre le passage d’exorphines (13),
qui vont accentuer le risque d’anxiété tout comme la chute de la synthèse du GABA
observée dans l’intestin (62). La conjonction de l’ensemble de ces facteurs va en retour
accentuer la vulnérabilité au stress alors que, dans le contexte de l’hyperperméabilité
intestinale, l’arrivée des endotoxines et leur liaison à des récepteurs cellulaires vont
amplifier l’hyperperméabilité intestinale et l’inflammation qui l’accompagne (64). On
conçoit donc qu’un authentique cercle vicieux s’installe… qui va à terme affecter les
capacités d’adaptation du sujet !
Les effets du stress ne se limitent pas à l’intervention du cortisol
Jusqu’à maintenant, on a attribué l’essentiel des effets liés au stress à l’intervention
du cortisol. Certes, les répercussions de sa mobilisation excessive s’exercent de multiples
plans, notamment au niveau cognitif, émotionnel ou immunitaire. En effet, le cortisol
réprime fortement la réponse immunitaire (10, 17, 37). Mais un autre acteur moins
connu intervient également dans ce contexte, en particulier au niveau de la muqueuse
intestinale. Il s’agit du messager provenant de l’hypothalamus : le CRF (abréviation de
« Cortisol Releasing Factor », littéralement, « facteur de libération du cortisol »)! Son
influence a fait l’objet de publications qui confirment que, outre son aptitude à déprimer
– lui aussi – la réponse immunitaire, il pouvait agresser la muqueuse intestinale (55-65).
Un stress chronique va donc favoriser un passage permanent d’éléments provenant de
l’intestin, qu’il s’agisse d’exorphines ou d’endotoxines, évoqués au chapitre précédent.
Les messages de santé qui s’adressent au public se distinguent très souvent par leur
caractère impératif et, invariablement, il s’agit d’injonctions qui sont formulées de
manière quasi automatique, au point qu’on puisse en oublier le sens. Un exemple
typique, mille fois survenu lors de consultations, vient illustrer cette assertion.
Récemment, l’un de mes patients me racontait sa dernière visite chez son cardiologue.
Les yeux rivés à son dernier bilan sanguin, et la moue dubitative, celui-ci lui lâcha en
détachant chaque syllabe : « Monsieur Dupont, je n’aurai qu’une recommandation à
vous faire : il faut surveiller votre alimentation. » Le dernier mot étant prononcé en
plongeant ses yeux noirs dans ceux du quinquagénaire légèrement rond qui était assis
face à lui. Sans se démonter, ce dernier lui répondit posément : « Ça tombe bien, je viens
d’acheter un fusil pour la chasse. Je vais m’en servir pour monter la garde autour du
frigo et m’assurer qu’aucun gibier ne s’en échappe ! »
Le sport n’apparaît guère épargné par ce genre de phrases toutes faites. Ainsi n’est-
il pas rare d’entendre certains affirmer crânement : « Faites du sport, c’est bon pour la
santé physique et mentale. » Or, les mêmes, lorsque leurs enfants entament des études
très exigeantes, se montrent les premiers à leur demander de consacrer moins de temps
à l’activité physique, de manière à mieux réussir dans leur travail. Comprendra qui
pourra… Alors, qu’en est-il vraiment de la relation complexe existant entre le cerveau et
l’activité physique ? S’applique-t-elle uniformément à tous, quelles que soient les
modalités de pratique, la discipline, la santé ou l’âge de l’individu ? Loin de laisser le
cerveau limbique trancher la question en apportant une réponse simpliste et universelle,
demandons plutôt au cortex préfrontal d’analyser les données complexes – et parfois
contradictoires – qui concernent ce sujet…
Une relation ambiguë
Si l’on demande à un ancien boxeur professionnel s’il pense que la pratique de son
sport a profité à la santé de son cerveau, il se peut qu’il ne puisse pas vous répondre, car
trop atteint par une maladie neurodégénérative, ou péniblement en raison d’une forte
diminution de ses facultés (comme Mohamed Ali à la fin de sa vie). Il considèrera sans
doute bien plus rarement que ses neurones ont tiré bénéfice de la pratique de son sport
au long cours. La relation entre la survenue de chocs au niveau de la tête et l’apparition
ultérieure de maladies neurodégénératives – au premier rang desquelles les neurologues
placent la maladie d’Alzheimer –, ne fait désormais plus le moindre doute en ce qui
concerne la boxe ou le football américain (15, 43).
Le hockey sur glace, où la percussion casque en avant constitue une figure de style
incontournable, a, lui aussi, une fâcheuse réputation auprès des neurologues (46, 66).
Cela ne constitue pas vraiment une surprise. Ce que le public sait moins, c’est que le
football tel qu’on le pratique en Europe peut lui aussi exposer à un risque accru de
pathologies affectant le cerveau, en particulier chez les joueurs de tête. Sans surprise,
quand on connaît leur prédilection pour le kick and rush, ce sont les footballeurs
professionnels écossais qui nous en ont apporté une démonstration récente (42).
D’où provient ce constat ? D’une étude rétrospective, portant sur environ 7 000
footballeurs de ce pays, évalués avec un recul de plus de 18 ans. La conclusion est
tombée tel un couperet : le risque de développer la maladie d’Alzheimer, chez eux,
dépassait celui qu’on retrouvait chez des concitoyens mâles, non sportifs, issus de la
même classe d’âge. Zidane pourrait presque en regretter de s’être illustré lors de deux
finales de la Coupe du monde par son art consommé du jeu de tête…
À la découverte du BDNF
À quoi sert-il ? Le BDNF joue un rôle fondamental dans la différenciation des
populations neuronales sélectionnées pendant le développement. Au niveau du système
nerveux central, cette molécule exerce un effet neuroprotecteur et favorise
l’augmentation de la plasticité neuronale (14). Sa présence à un taux optimal va donc
plutôt dans le sens du maintien, voire de l’amélioration, des aptitudes cognitives. Ce rôle
favorable, évident en période fœtale, se poursuit à l’âge adulte. Il permet en effet de
contrôler la croissance des dendrites et des axones, autrement dit de diriger l’importance
des connexions des neurones entre eux (51).
Le BDNF constitue également un facteur indispensable à la croissance et à la survie
des neurones. On comprend donc l’importance qu’il revêt, et l’une des questions qui s’est
très vite posée était de savoir si certains acteurs ou processus modulaient sa synthèse et
ses interventions et si, dans le cadre de certaines pathologies, on le retrouvait à des taux
différents de ceux relevés chez des sujets sains.
Voici ce que l’on sait : d’une façon générale, dans le système nerveux central,
l’expression des ARNm du BDNF augmente en réponse à des stimuli neuronaux ;
autrement dit, à l’égal d’un muscle entraîné qui développe des adaptations, le BDNF
permet au cerveau d’accroître ses compétences face à des tâches complexes qui le
stimulent (58). Des travaux ont même permis de démontrer que certains
neuromédiateurs, par eux-mêmes, se révélaient capables d’augmenter les taux d’ARNm
codant pour le BDNF, notamment l’acétylcholine , la dopamine et la sérotonine (37).
En gros, plus certains neurones sont sollicités, et plus cela conduit à une synthèse
importante du BDNF, comme si ce phénomène allait permettre la maintenance de voies
nerveuses fortement sollicitées.
L’expression du BDNF varie sous l’influence d’un certain nombre de facteurs tels que
le stress, l’ischémie, certains toxiques, l’hypoglycémie ou encore lors de dommages
cérébraux, comme à l’occasion d’un match de boxe ou de hockey par exemple. Des
études menées chez l’animal, puis chez l’homme, ont par exemple montré que la prise
chronique de drogues coïncidait avec une baisse du BDNF, ce qui peut contribuer aux
atteintes dégénératives souvent irréversibles observées chez les utilisateurs au long cours
de substances toxiques, voire sur des prises aiguës massives, comme l’illustre la triste
histoire de Syd Barrett, l’ancien leader de Pink Floyd 12 (3-4).
Si le BDNF joue un rôle favorable sur le cerveau, que se passe-t-il, à l’inverse, si son
taux chute brutalement ? Plusieurs études ont permis de mettre en évidence que cette
situation pouvait contribuer au développement de troubles psychiatriques ou
neurologiques tels que la maladie d’Alzheimer (5, 7). Ainsi certains auteurs l’ont-ils
retrouvé à des taux plus faibles au niveau de l’hippocampe de patients pour lesquels le
diagnostic de la maladie d’Alzheimer avait été posé (74). Le même constat a pu être
établi dans le cas de la maladie de Parkinson (54). On en retrouve enfin des taux plus
faibles en cas de schizophrénie (2, 39). Mais que signifie véritablement une telle
observation ? Il ne paraît guère possible, dans ce cas, d’établir s’il s’agit d’une cause de
la pathologie, ou au contraire de l’une de ses conséquences, ni dans quelle mesure ce
marqueur témoigne de l’influence des véritables facteurs responsables de cette dernière.
On a vu en effet, plus tôt dans ce livre, que le point de départ de cette pathologie était
plutôt lié à un problème de dysbiose ou d’infection survenue en période fœtale.
Face à cela, quel rôle joue la pratique régulière d’une activité physique ? D’après
plusieurs études, elle augmenterait l’expression du BDNF. Kerling ( 35) et ses collègues
ont suivi pendant 6 semaines des patients dépressifs, auxquels ils ont prescrit une
activité physique à suivre plusieurs fois par semaine. À l’issue de leur expérience, ils ont
observé une remontée du taux de BDNF. Simultanément, leur humeur s’améliorait. Par
ailleurs, lorsqu’on regarde l’influence d’un programme d’activité physique à la carte,
tenu durant un an chez 90 sujets sexagénaires, on dresse d’intéressants constats. Toutes
les formes d’activité se valent-elles ? Il semble que non.
Dans l’étude menée par Leckie et ses collègues (38), on demandait à des volontaires
de s’astreindre, plusieurs fois par semaine, à marcher au moins 40 min ou à s’adonner à
une séance de yoga. Qu’ont constaté ces chercheurs ? Que le taux de BDNF augmentait
davantage chez ceux qui préféraient la première option, comparativement à ceux qui
avaient choisi la seconde. Il semble donc bien que le niveau de dépense énergétique
associé à l’activité constitue un élément-clef dans la réponse du BDNF. Il apparaît,
d’après ces travaux, que l’effort physique favoriserait l’augmentation du nombre de
neurones dans l’hippocampe (région cérébrale en charge de la mémoire) et
l’augmentation des connexions neuronales (synapses jouant un rôle fondamental dans
l’apprentissage). On voit bien là la signature du BDNF ! De plus, l’activité physique
jouerait un rôle d’antidépresseur en stimulant la sécrétion des neuromédiateurs
cérébraux tels que la dopamine, la noradrénaline ou la sérotonine.
Ces travaux indiquent-ils sans réserve que toute forme d’activité physique, quels que
soient le contexte dans laquelle elle se pratique, l’intensité ou encore le nombre d’heures
hebdomadaires y étant consacrées, agirait favorablement sur la santé du cerveau ? Pas
si sûr ; en effet, dans certaines conditions, une pratique sportive intense, ou entreprise
dans le cadre compétitif, peut non pas contribuer à apaiser le stress perçu au quotidien
dans le cadre professionnel, familial ou autre, mais plutôt l’accentuer. Cela ne dépend
pas du statut du sportif, amateur ou professionnel ; chacun peut se trouver sous son
influence délétère. Ce sont plutôt les processus qui y sont associés, comme on l’a vu au
chapitre précédent, qui peuvent transformer ce loisir en torture. De récents travaux ont
clairement établi que le contexte du sport de haut niveau, dans la plupart des
disciplines, crée un état de perturbation émotionnelle qui conduit à une vulnérabilité des
neurones, surtout lorsque ce climat s’instaure dans la durée (28).
Sport et humeur
Sport et addiction
La vogue de l’ultra :
La logique de la surenchère…
Pour un quidam totalement sédentaire, l’implication que met un coureur à
accomplir ses quatre sessions hebdomadaires semble déjà relever d’une forme de
dépendance. Un psychiatre ne le verra pas ainsi. Pourquoi ? Il en faut plus pour pouvoir
véritablement parler d’addiction. Comme le souligne non sans malice Tim Noakes dans
Lore of Running (53), dans les années 1960, courir sur une distance supérieure à celle
d’un marathon revenait à s’élancer dans l’aventure de l’ultra, petit monde d’adeptes
triés sur le volet, régi par ses codes, son langage, ses rites… qui restait seulement
accessible à une élite capable de venir à bout de telles distances.
Aujourd’hui, la pratique de l’ultra s’est développée, particulièrement dans le
domaine de la course à pied, à tel point qu’on voit fleurir des épreuves dont le nom
fleure bon l’oxymore, tel que « trail court de 80 km », avec une banalisation de distances
toujours plus grandes et une conversion d’un nombre croissant de coureurs. Ces deux
tendances récentes peuvent interpeller quiconque regarde tout cela avec un peu de
recul. Alors que sait-on vraiment de l’addiction liée aux sports d’endurance ? Pour y voir
plus clair, rien de mieux que de revenir aux définitions.
La tolérance, c’est-à-dire le degré à partir duquel la personne ressent la nécessité d’augmenter la quantité d’exercice
physique pour atteindre les effets désirés.
Le sevrage, c’est-à-dire les effets psychologiques, tels que la fatigue et l’inquiétude, que peut ressentir une personne si
elle arrête la pratique de l’exercice physique.
L’intention, c’est le fait de pratiquer un exercice physique en plus grande quantité ou sur une période plus longue que celle
prévue initialement par la personne.
Le manque de contrôle qui correspond à un désir persistant ou à des efforts infructueux pour mettre fin à la pratique
d’exercices physiques.
Le temps, c’est-à-dire que la personne va accorder beaucoup de temps aux activités liées à l’exercice physique, que ce
soit le transport, l’achat de nouveau matériel, le temps de récupération, et la pratique elle-même.
La réduction des autres activités, c’est-à-dire que la personne va réduire voire même abandonner d’autres sources
d’intérêts et de plaisir comme ses activités sociales, professionnelles ou de loisir afin de s’adonner à l’exercice physique.
La continuité, c’est-à-dire que la personne va continuer son exercice physique malgré un problème physique ou
psychologique persistant ou récurrent. Ce problème est susceptible d’avoir été provoqué ou aggravé par l’exercice
physique (p. ex. : continuer à courir malgré des blessures).
Choisir quoi mettre dans son assiette impose de trancher et de prendre une décision
très difficile. En effet, la grande majorité des experts en nutrition ignorent un point
majeur, et en l’occultant ils vouent beaucoup de recommandations à l’échec. De quoi
s’agit-il ? Du fait que manger représente une situation génératrice de stress, comme le
résume la figure 33. Voyons cela en détail : un aliment se caractérise par au moins trois
particularités.
Composition nutritionnelle
Il s’agit d’abord de sa composition nutritionnelle. Ainsi, lorsqu’on mange une
portion de saumon, on ingère des protéines, des oméga-3 (si l’alimentation de l’animal,
du moins, le permet), du fer, de l’iode… et beaucoup d’arguments avancés par les
diététiciens insistent d’ailleurs sur l’une ou plusieurs de ces vertus. On retrouve cette
pensée réductrice avec l’amalgame qui existe entre laitages et calcium, alors que le
fromage n’a rien à voir avec un morceau de craie ! Mais ce faisant, selon la zone de
pêche d’où provient notre poisson, on s’expose également à avaler des métaux lourds, a
fortiori si l’on en mange plusieurs fois par semaine. Tout aliment présente donc
également des potentialités toxiques. Enfin, tout sujet allergique peut, en dégustant sa
darne, déclencher un œdème de Quincke. Chaque denrée présente donc enfin un aspect
antigénique.
De ce fait, à tout moment, la décision alimentaire doit intégrer simultanément ces
trois types d’information. Cela représente un exercice périlleux, et face à cette
complexité, le cerveau va souvent laisser le limbique prendre le dessus et trouver dans
sa boîte à outils une réponse simpliste. Il s’agira par exemple de conseiller les poissons
pour leur richesse en oméga-3, en oubliant les autres aspects moins avantageux. Il
pourra s’agir, au contraire, d’inciter à ne plus en manger et à devenir végétarien pour se
prémunir des poisons dont recèlent nos aliments. Ou enfin, on rencontrera aussi des
individus qui, forts de leur bagage scientifique et de leur technicité de la santé,
proposeront un coûteux bilan biologique à leur patient, dont les résultats dicteront à
leur place si tel aliment est bon pour lui ou pas. Ils s’appuieront pour cela sur le fameux
test des intolérances alimentaires, dont j’ai indiqué plus tôt dans ce livre ce qu’il fallait
en penser.
Choix individuels
Évoquons d’abord ce qui relève de chacun ; les choix apportés en matière de santé
comptent évidemment. Il va s’agir par exemple de décider qui consulter, de s’engager de
manière active en instaurant une hygiène de vie préventive plutôt qu’attendre la
survenue de soucis de santé pour les faire traiter par des médicaments destinés à
atténuer les symptômes.
Démarche environnementale
La démarche individuelle concerne également des questions d’environnement, de
l’intérêt accordé à l’impact sur celui-ci de chacun de ses choix. Plus profondément, elle
oblige à réfléchir au sens de son projet de vie, ce qui incite à se questionner sur quelques
aspects déterminants de notre avenir, tels que : le consumérisme est-il compatible avec
la préservation de notre espace vital, et la croissance peut-elle se marier avec la santé ?
Figure 34. Évolution des taux de cortisol sous l’effet d’une retraite de trois mois consacrée à la méditation
(13). Les valeurs observées se situent toutes dans la norme, ce qui pourrait laisser dubitatif. Par contre,
le pic « physiologique » relevé le matin est plus marqué, et les valeurs mesurées à d’autres horaires sont plus
basses, comme si la sécrétion de cortisol dépendait plus des rythmes circadiens endogènes, et moins
des facteurs extérieurs de perturbation.
L’influence du management
La conception du management n’est pas non plus sans influence sur le niveau de
stress perçu et son impact à terme sur la santé du cerveau et sur le bon fonctionnement
de l’immunité ne doit pas être sous-estimé. Ainsi une étude récente a-t-elle montré que
le respect d’une démarche bienveillante limitait le stress chez ceux qui recevaient les
consignes des dirigeants formés à ce mode de fonctionnement (15).
Figure 35. Statistiques détaillant le nombre de suicides aux États-Unis.
On voit que, depuis 2000 et l’émergence de zones d’abandon social dans la « Suicide
Belt » du Midwest, le nombre de morts par suicide lié aux overdoses ou à l’alcoolisme
connaît une montée en flèche jamais connue au cours du XXe siècle. Ce pic correspond à
ce que les sociologues Case et Deation appellent « les morts dues au désespoir » (16), et
à l’impression de beaucoup d’Américains de ne pas se sentir utile ou de percevoir un
quelconque sens à leur vie. Cela fait écho aux travaux de Tinoco et ses collègues (99),
qui soulignent que seule l’existence d’un projet de vie porteur permet d’affronter avec
davantage de chances de succès l’angoisse de mort.
a) Le curcuma
Les besoins nutritionnels du cerveau ont fait l’objet d’un abondant développement
au chapitre 2 ; je n’y reviendrai pas, hormis pour insister sur les propriétés assez
exceptionnelles, pour notre cerveau, de deux ingrédients tirés de nos assiettes et dotés
d’une flatteuse réputation : le curcuma et le resvératrol. Évoquons d’abord le premier et
ses interventions se tenant au cœur de la cellule qui s’exercent tous azimuts : il limite les
perturbations immunitaires, inflammatoires, oxydatives, l’étendue des processus
dégénératifs et lésionnels, ce qui a conduit à envisager d’en faire une arme fatale contre
les maladies neurodégénératives (48). La figure 36 résume les processus par lesquels les
composés actifs, les curcuminoïdes, contrarient l’évolution des processus
neurodégénératifs.
Figure 36. Mécanismes d’action du rôle protecteur du curcuma relatif aux maladies neurodégénératives.
b) Le resvératrol
Le resvératrol constitue un autre acteur clef de l’épinutrition. Il protège la
mitochondrie des atteintes oxydatives liées aux facteurs environnementaux (pollution,
infections, exercice), et en permet même la multiplication au cœur des cellules
musculaires, ce qui peut contribuer à protéger les neurones (23). Son action ne s’arrête
pas là ; on a vu que, lors d’une dysbiose chronique, l’hyperperméabilité intestinale
pouvait constituer le point de départ d’un processus d’inflammation du tissu adipeux.
Or, une étude néerlandaise a établi que le resvératrol diminuait l’inflammation de ce
dernier (66), ce qui bénéficie à l’ensemble de l’organisme dans la mesure où les
neurones baigneront dans un climat plus favorable.
Ce bénéfice repose principalement sur des mécanismes épigénétiques. L’aptitude du
resvératrol à garantir le bon déroulement de ces derniers explique qu’il présente un rôle
protecteur à l’encontre du cancer de la prostate en particulier (46), et de tous les autres
de manière plus globale (39). Son association à la curcumine fait même l’objet d’essais
thérapeutiques (68), c’est dire à quel point on les prend désormais au sérieux ! Le
resvératrol exerce également des effets antioxydants et anti-inflammatoires, notamment
en modulant l’expression des gènes dont dépendent les cytokines pro-inflammatoires et
les enzymes antioxydantes (30). Rien d’étonnant, dès lors, à ce qu’une multitude de
travaux aient paru ces dernières années, montrant les bénéfices thérapeutiques
potentiels de cette molécule et, plus globalement, de l’ensemble des polyphénols tirés
des fruits (30).
Très récemment, une étude a établi les bénéfices que le resvératrol exerçait en
faveur des cellules cérébrales conduisant à une baisse, chez l’animal, de manifestations
d’anxiété (54). On mesure tout l’intérêt de cette découverte au regard de la fréquente
survenue d’épisodes anxieux dans le cas où le stress et la dysbiose associent leurs
interventions pour fragiliser le cerveau ! Ce n’est pas tout : la prise de resvératrol,
combinée là encore au curcuma, influe non seulement sur le profil de cytokines libérées
au sein de notre écosystème intestinal en diminuant le climat pro-inflammatoire, mais
elle module également la composition du microbiote en favorisant la croissance de
lactobacilles et de bifidobactéries, ce qui va dans le sens d’une meilleure harmonie
immunitaire et d’une moindre inflammation (7). De telles propriétés ont conduit certains
auteurs à évoquer, à propos de telles molécules dotées à la fois d’effets prébiotiques (par
la croissance sélective de certaines souches bactériennes) et antioxydantes, le concept de
cobiotique (87). Par ailleurs, il possède lui aussi des vertus anti-Candida ayant fait l’objet
d’une démonstration rigoureuse (34, 47, 103).
Figure 37. Synthèse sur les moyens à mettre en œuvre pour l’harmonie neuropsychologique.
L’harmonie du fonctionnement cérébral dénué de troubles psychologiques, de
pathologies psychiatriques ou neurodégénératives demande la satisfaction ou le
maintien d’un certain nombre de critères, et le recours à des moyens de diverses natures.
Les plantes adaptogènes et certains autres ingrédients issus du monde végétal, tel le
curcuma, vont prévenir ou corriger les conséquences biologiques d’un contexte
générateur d’un stress exagéré. La maîtrise des modes mentaux réduit fortement les
répercussions émotionnelles d’événements qui, dans d’autres conditions, provoqueraient
des perturbations au sein de l’organisme. L’intégrité de l’écosystème intestinal s’avère
précieuse, tant au cours de la période fœtale – ce qui concerne le microbiote de la
mère – qu’aux différentes étapes de la vie.
La mise en place d’une alimentation individualisée optimale, nourrissant
correctement le microbiote, lui donnant de bonnes informations grâce notamment aux
probiotiques et proposant, si besoin est, une éviction d’aliments susceptibles de perturber
le cerveau, constituera une stratégie tout aussi bénéfique. Elle intègrera, en cas de
pratique sportive régulière, le respect de règles limitant la fragilisation de la muqueuse
et les perturbations immunitaires. En premier lieu, cela impliquera un usage régulier et
méthodique de boissons énergétiques.
L’« environnement optimal », concerne autant les choix de vie mis en œuvre pour
protéger l’eau, le sol et l’air que ceux visant à protéger et stimuler le cerveau :
méditation, yoga, activité physique régulière et respectueuse des limites de l’individu,
hygiène de sommeil, dynamique relationnelle positive, prise de recul et identification
d’un projet de vie épanouissant favorisé par une vision plus préfrontale et humaniste de
l’enseignement et de l’ensemble des relations liées à l’exercice d’une activité
professionnelle. On voit qu’une partie des moyens à déployer reste du ressort de chacun,
nécessitant en outre la présence de thérapeutes dotés d’une réflexion holistique et d’un
solide bagage scientifique. D’autres impliquent un engagement plus clair des
responsables. Nous disposons hélas d’assurance moindre quant à la possibilité qu’ils les
appliquent.
Tout au long de cet ouvrage, certains processus, plus que d’autres, se sont avérés
cruciaux pour le maintien d’un bon état de santé ; il s’agit de ceux qui concernent
l’immunité, le contrôle du stress oxydant et de l’inflammation, ces processus étant
interdépendants les uns des autres, et largement soumis à la gouvernance de notre
microbiote. On a vu à quel point, dès lors que des perturbations se répercutaient sur ces
processus, le cerveau développait progressivement un état de désadaptation pouvant
conduire à des troubles émotionnels, cognitifs ou psychologiques survenant souvent avec
une latence de plusieurs années. Mais cela peut également faire le lit, comme on l’a vu,
de pathologies psychiatriques ou neurodégénératives (voir figure 33).
J’ai également souligné, tôt dans ce livre, à quel point les bactéries qui ont colonisé
nos intestins, en communiquant avec l’ensemble de nos cellules, conditionnaient la mise
en place harmonieuse, le fonctionnement optimal, et une protection efficace de nos
neurones. Du fait que ce dialogue s’instaure dès la période fœtale (10), notamment pour
le cerveau, notre second intestin, il paraît logique de tenter de rétablir un dialogue qui
peut manquer à des moments clefs de la vie du cerveau. À cet égard, les probiotiques
constituent des alliés sans équivalent (32, 35).
Un nombre élevé de travaux leur a été consacré au cours de ces quinze dernières
années, repoussant toujours plus loin les limites de nos connaissances. Selon la dernière
définition de l’OMS, les probiotiques se présentent comme des « micro-organismes
vivants qui, administrés en quantité adéquate, exercent un effet bénéfique sur la santé
de l’hôte ». Cette définition un peu sibylline recouvre une réalité pourtant bien précise ;
un probiotique ne mérite ce nom que s’il exerce un effet physiologique scientifiquement
démontré. Les probiotiques, en général, possèdent-ils tous les mêmes propriétés, en
faisant un monde d’acteurs bactériens interchangeables ?
Loin de là ; leurs effets, au contraire, varient en fonction des souches et des dosages
auxquels on les administre. Ces effets peuvent s’atténuer, ou au contraire s’accentuer,
selon la façon dont les souches sont associées. Leurs actions ne dépendent pas non plus
du nombre de souches présentes dans les mélanges, comme on le croit parfois (102), et
le plus n’est alors pas garant du mieux. Les travaux les plus prometteurs montrent
qu’une partie de leur intervention consiste à moduler le climat immunitaire. Cela
permet, comme on le voit un peu plus loin, de prévenir les dégâts liés aux pathologies
neurologiques et de minimiser les manifestations des maladies psychiatriques.
Les psychobiotiques
Moduler l’activité du microbiote peut-il transformer l’activité du cerveau ? Il a en
effet semblé logique de se demander si certains probiotiques possédaient la capacité
d’agir sur l’activité neuronale. Forts d’une telle particularité, ils se nommeraient des
« psychobiotiques » 15, selon le terme inventé à la fin de l’année 2013 (24).
Depuis près de dix ans, les arguments s’accumulent pour montrer que certaines
souches interviennent effectivement en favorisant l’expression de gènes en lien avec
l’activité cérébrale. Parmi les neurotransmetteurs élaborés dans l’intestin, une place de
choix doit être accordée au GABA, qui constitue le médiateur inhibiteur le plus
important, comme on l’a vu au début de ce livre. L’essentiel de son travail consiste à
calmer l’hyperactivité de zones cérébrales entières, et sans lui nous serions des piles
atomiques en fusion permanente ! Si ses récepteurs sont moins abondants au niveau des
terminaisons nerveuses, généralement en raison d’une moindre traduction des gènes
dont dépendent ces structures protéiques, on voit survenir simultanément des
manifestations anxieuses et des troubles gastro-intestinaux.
Or, une souche probiotique particulière, Lactobacillus rhamnosus GG, exerce un effet
épigénétique très intéressant ; il accroît le nombre de récepteurs GABA présents dans les
neurones (12). Un travail contemporain du précédent a permis d’établir que d’autres
souches agissaient directement sur les gènes des neurones intestinaux qui, ainsi activés,
vont produire davantage de sérotonine et réduire les manifestations dépressives (6).
Dans une autre expérience menée sur des souris souffrant de colite, la souche
Bifidobacterium longum NCC3001 diminuait l’anxiété, sans influer sur l’inflammation, et
cet effet s’accompagnait d’une synthèse accrue d’un ARN messager dont l’élévation
coïncidait avec les changements de comportement des animaux (25).
Parfois, une même souche possède à la fois l’aptitude à moduler l’immunité et
l’inflammation et celle d’influer sur l’activité neuronale. Ainsi la souche Lactobacillus
acidophilus LA201, qui entre dans le mélange probiotique anti-inflammatoire Lactibiane
« tolérance », influe également directement sur les neurones intestinaux en leur faisant
fabriquer davantage de récepteurs impliqués dans la voie des opioïdes.
Ce faisant, cette action épigénétique dote ce probiotique d’un effet analgésique (80).
Des expériences ont été encore plus loin ; ainsi, Tillisch et ses collègues (98) ont-ils
montré que la prise d’un lait fermenté enrichi en une famille particulière de
bifidobactéries contribuait à une meilleure gestion des émotions et de l’agressivité par ses
utilisateurs. J’ai fait allusion, plus tôt dans ce livre, au manque de diversité du
microbiote de sujets considérés comme présentant des troubles du spectre autistique
(TSA). Or, chez eux, l’apport de probiotiques ciblés permettant de réduire
l’inflammation associée à cette pauvreté du microbiote favorisait une diminution de la
sévérité des troubles au terme de deux mois de complémentation (98).
Au moment de conclure ce livre, au bout duquel chacun espère trouver les recettes
qui lui permettront, finalement, de mieux gérer le stress, d’optimiser ses aptitudes
cognitives et émotionnelles et d’avoir la garantie que sa descendance n’arrêtera pas le
cours de l’évolution du cerveau de l’hominidé, allant vers toujours plus de complexité…
Je mesure à quel point de telles attentes risquent d’être déçues. Imaginer qu’il existe des
solutions simples, rapides, peu énergivores et sans engagement, applicables
instantanément sans que chacun renonce à son confort actuel, est un leurre. Changer la
donne requiert un réel effort de tous, une prise de conscience à la mesure des enjeux. Il
ne s’agit pas tant de survie de l’espèce humaine que de préservation de la forme la plus
aboutie de l’intelligence dont l’évolution l’a doté…
Est-il trop tard ? Les multiples atteintes portées à notre boîte noire de génération en
génération s’avèrent-elles irréversibles ? Il me paraît indéniable que les énormes dégâts,
sans doute irréversibles pour un certain nombre d’entre eux, qui ont atteint notre
microbiote ont sans doute affecté le bon déroulement de l’embryogenèse cérébrale ; les
messages cruciaux provenant de notre intestin, envoyés à son attention, se trouvent
brouillés. L’augmentation croissante des cas de dys et d’autisme, la consommation
record d’antidépresseurs, la montée en puissance des problématiques de toxicomanie, la
présence accrue des maladies neurodégénératives viennent bien indiquer que cette
crainte d’une régression qui surviendrait à l’échelle d’une population entière n’a rien de
virtuel.
À ceci s’ajoute l’existence d’un bagage transgénérationnel, en lien avec
l’épigénétique, qui intervient de telle sorte que les anomalies acquises à une génération
se retrouvent à la suivante. Je pointais déjà l’existence de ce lourd héritage dans mon
dernier ouvrage, Épinutrition du sportif (2017), où je m’interrogeais quant aux causes de
l’inquiétante baisse du niveau moyen de condition physique des plus jeunes. Une
inquiétude du même ordre semble aujourd’hui légitime concernant les compétences
cognitives, au regard des relations très intimes reliant notre monde bactérien et notre
cerveau, et l’état déplorable du premier chez la plupart d’entre nous.
Mais alors, les comportements de nos congénères, exacerbés en période de crise,
témoignent-ils déjà d’une décadence neuronale généralisée ou viennent-ils plutôt
illustrer que, dans la majorité des situations, nous n’utilisons pas – ou pas assez – notre
cerveau préfrontal ? Est-ce à dire, alors que nous ne vivons ni au Moyen Âge ni sous les
bombes de la guerre syrienne, que le stress perçu et régulièrement dépeint par les
médias s’explique réellement par l’ampleur des dangers objectifs encourus dans notre
monde moderne ? Ou le monte-t-on en épingle à dessein ? Et surtout, à cette époque où
l’on confond vitesse et précipitation, ne crée-t-on pas un contexte propice à court-
circuiter le rôle pondérateur de la partie la plus intelligente et élaborée de notre boîte
noire en réagissant dans l’instantanéité, tendance accentuée par Internet, les réseaux
sociaux et l’omniprésence des médias d’information animés par la prédominance des
émotions ?
Autre question se posant à ce stade du livre : qu’a-t-il bien pu se passer dans la tête
de nos deux champions, dont les déconvenues ont servi de fil rouge tout au long de ce
récit, sans qu’à aucun moment je ne vous livre des explications confidentielles et
officielles ? Et pour cause : je n’en détiens pas ! Le contexte de plus en plus délétère
pour notre cerveau qui caractérise le sport de haut niveau, avec des atteintes à l’ego,
l’imprévisibilité, parfois une véritable absence de contrôle sur les événements, de
multiples agressions immunitaires et un développement progressif de la dysbiose crée
une situation évolutive au cours de laquelle, peu à peu, la désadaptation menace.
L’ensemble de ces facteurs agit comme une masse de termites qui attaquerait
silencieusement l’une des poutres de votre plafond, jusqu’à ce que ce dernier, un beau
matin, s’écrase sur votre lit. Rien, la veille, ne laissait présager de la catastrophe. Rien
ne prévoyait le coup de tête de Zidane ni la fuite hallucinante de Pérec.
Et pourtant… L’accompagnement de ces champions reposant surtout sur les aspects
biologiques et physiologiques de la performance, sur l’arithmétique diététique (combien
de calories, combien de glucides, combien de kilos en trop ?), et la prise en charge du
mental – quand elle existe –, la mobilisation des ressources conscientes et de la volonté,
on conçoit que rien ne permet, structurellement, de disposer d’une réflexion systémique.
Or, celle-ci nous amènerait à imaginer une stratégie transversale, intégrant les différents
aspects qui modulent le fonctionnement du cerveau. Cela pourrait nous doter d’alertes
– au vu de signes fonctionnels, de manifestations émotionnelles à resituer, et enfin de
modifications biologiques annonciatrices des désordres à venir –, afin d’anticiper et de
prévenir. Mais en allant sur différents territoires, une telle approche bougerait le pré
sacré de chacun, apporterait de la nouveauté et de l’imprévisibilité, voire une absence de
contrôle ou une atteinte à l’ego – pour quelques cadres bien placés ayant atteint leurs
limites d’incompétence. Cela susciterait un tel niveau de stress, source de lutte, de fuite
ou d’inhibition, qu’il est structurellement impossible de l’envisager. Il faudra donc
développer et former des personnes suffisamment compétentes pour espérer parvenir à
mettre en œuvre cette approche holistique.
Cela aidera à anticiper et à prévenir. Anticiper et prévenir la survenue d’épisodes
tels que ceux évoqués au début de cet ouvrage, préjudiciables au succès des sportifs
concernés, mais également défavorables à leur image, à leur intégrité et aux
conséquences à venir. Mais pas seulement ; le jeu de modes mentaux pervers,
susceptibles de soumettre de jeunes gens vulnérables à la volonté toute-puissante d’un
adulte doté d’un paléolimbique grégaire dominant, pourrait leur imposer des pratiques
condamnables et destructrices. L’histoire récente, tant en patinage qu’en tennis, et sans
doute dans bien d’autres sports, le confirme hélas chaque jour un peu plus. Cette mise
sous tutelle, qui rappelle les travaux de Stanley Milgram, a évidemment causé
d’énormes dégâts et certaines disciplines se trouvent aujourd’hui, à cause de cela,
marquées au fer rouge.
Cela permettrait encore d’anticiper et de prévenir le recours au dopage, qu’on peut
considérer assez souvent comme l’expression d’un état de stress en mode de fuite, y
compris dans un contexte où il serait institutionnalisé, comme à l’époque de l’affaire
Festina. Dans ce climat de dopage généralisé, nul doute que bon nombre de coureurs
ont dû faire face à un dilemme : se doper ou disparaître des pelotons. Il ne s’agissait ni
plus ni moins que du combat entre les besoins et les valeurs. Impossible à résoudre,
d’autant qu’elle ne se posait pas au grand jour, cette équation ne pouvait que générer
un état de stress, principalement exprimé sous la forme d’une fuite. Grâce à lui, la
banalisation (« Si tout le monde le fait, ce n’est pas grave ! »), le déni (on parlait de
« préparation biologique ») et la relativité rendaient la transgression possible… mais au
prix d’une souffrance qui, pour de nombreux protagonistes, se transforma en délivrance
dès lors que l’affaire éclata. Les sanctions prononcées ont permis de réparer l’atteinte
faite à l’équité sportive mais n’ont nullement aidé à adoucir la violence émotionnelle du
contexte. Elles ne servent d’ailleurs pas à cela.
Allons aujourd’hui au-delà des simples manifestations des comportements et des
émotions pour avancer sur ce sujet. Ce que l’on peut envisager en 2020, en partant du
postulat que le cerveau est un second intestin, élargit la réflexion ; la décompensation
de cette souffrance psychologique, aux ressorts mal connus et dont la gravité augmente
avec le niveau de perturbation de l’écosystème intestinal, peut favoriser la déprime,
l’anxiété, les comportements addictifs (alcool, jeu, tabac, drogues, etc.) alors même que
le cerveau sait parfaitement qu’il s’agit de pratiques non seulement incompatibles avec le
sport de haut niveau, mais même de comportements pouvant mettre en péril la carrière
des sujets concernés.
Il faut anticiper et prévenir encore l’instauration de modes d’alimentation
anormaux, d’abord traités par le mépris, parfois encensés, puis enfin pointés quand les
performances ne suivent plus. Ou enfin mettre au jour, oser évoquer et – pourquoi pas –
proposer une prise en charge rigoureuse des nouvelles perturbations en plein essor : les
addictions au sport.
Dois-je aussi évoquer la nécessité de pouvoir identifier tous ces jeunes (ou adultes)
singuliers, authentiques « champions dans leur tête », porteurs de logiciels différents,
lesquels se révèlent générateurs d’un stress structurel ? J’y ai fait référence à plusieurs
endroits dans ce livre, sans doute parce que leur accompagnement reste perfectible, par
son morcellement et le caractère fragmentaire des prises en charge. Je m’explique : une
manière de les considérer consiste à décrypter leur intelligence différente et
l’hypersensibilité qui l’accompagne souvent. Une autre amène à les accompagner dans la
gestion d’un stress pathologique, dont les conséquences conduisent à pratiquer des
techniques telles que l’EMDR (eye movement desensitization and reprocessing, soit
« désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires »), l’hypnose ou
d’autres, mais sans jamais poser leur singularité comme étant à l’origine de leur stress.
Un troisième angle de réflexion conduit à prendre en charge les multiples troubles
fonctionnels qu’ils rencontrent, avec une forte composante immunitaire et digestive,
dans un contexte d’errance médicale à la hauteur de l’insatisfaction intellectuelle qu’ils
perçoivent lors de consultations chez des spécialistes 100 % terriens.
Je propose ici d’envisager une prise en charge plus transversale, où l’état
émotionnel lié à leur différence, la compréhension de celle-ci et la prise en charge des
conséquences biologiques de ce stress seraient envisagés conjointement. Combien de
jeunes talents, passés à l’âge adulte par pertes et profits, combien d’anciens champions
basculés dans les affres de la toxicomanie ou de la boulimie, faute d’avoir été identifiés
et compris à temps, échapperaient ainsi au massacre ? Ou combien d’autres encore, à
l’image de cette jeune cycliste, Eva Mottet, décédés en raison de la difficulté, voire de la
souffrance provoquée par le fardeau que représente un tel statut dans le monde de
2020 ?
Cette réflexion, évidemment, n’exclut pas les artistes en tout genre qui rencontrent
eux aussi, dans le microcosme de leur univers professionnel, les mêmes déboires au point
d’en venir un jour, à leur façon, à donner un coup de tête ou à monter précipitamment
dans un avion pour s’enfuir très loin.
Cela nous ramène aux deux champions qui nous ont ouvert la voie dans ce livre. En
effet, s’il est bien une chose dont on peut être sûr les concernant, à la lueur de la lecture
de certains chapitres que j’ai écrits, et au vu de leurs réussites plurielles, de leur recul
permanent et deleur sens de l’analyse, notre difficulté à deviner ce qui pouvait – et peut
bien encore – leur passer par la tête, vient du fait qu’ils comptent tous les deux parmi les
gifted dont parlent les Anglo-Saxons.
Mais combien d’autres n’ont pas eu la chance d’assembler les pièces du puzzle ou
ont explosé en vol ? Telle joueuse de tennis remportant un Grand Chelem, sombrant
dans les affres de sévères troubles du comportement alimentaire et se perdant dans un
irréaliste come-back… Tel autre cycliste ou coureur, plus anonyme, anéanti par les
blessures et le doute, qui finit par tirer un trait sur sa carrière et se reconvertit en
entraîneur ou dirigeant ; mais se lasse, puis s’aigrit, dépité de ne pas retrouver chez bon
nombre de ses ouailles la motivation et la détermination qui l’animaient et lui
sembleraient devoir guider tout futur champion…
Si imaginer une autre manière de prendre en charge les talents semble s’imposer
comme une évidence, cela ne règle pas tout, loin de là ; la situation actuelle, nous
l’avons vu, résulte de changements survenus à vaste échelle, et dont les répercussions
sociologiques et sanitaires s’exercent sur l’ensemble de la population : appauvrissement
des sols et par conséquent des aliments, asepsie et mythe de l’hygiénisme (avec des
dysbioses transgénérationnelles), influence croissante des perturbateurs et polluants,
déforestation exponentielle qui crée de nouveaux enjeux immunitaires en confrontant
des populations de plus en plus vulnérables à des microbes jusque-là nichés au cœur
d’espaces végétaux inviolables… On comprend que ces différents virages, amorcés par la
volonté de quelques « responsables », ont déclenché un compte à rebours dont on ignore
actuellement s’il est au début ou à la fin de son décompte.
Et si les individus prenaient en charge leurs propres indicateurs de viabilité ou de
performance, au même titre qu’ils prennent soin de la révision périodique de leur
voiture ? Faut-il attendre l’arrivée du symptôme pour prendre en charge certaines
carences cachées ? Quid de la gestion des différents corps que possède un individu : le
corps énergétique, le corps émotionnel, le corps physique, le corps spirituel et le corps
mental ? Est-ce que l’individu est prêt à se soigner de manière holistique et à accepter de
solliciter des thérapeutes avec des prestations non remboursées par notre système de
sécurité sociale ? Sommes-nous prêts à intégrer dans les cursus scolaires et universitaires
des modules d’enseignement permettant aux individus d’appréhender les notions que j’ai
abordées dans les chapitres de ce livre et dans mes anciens ouvrages ?
Pour les politiciens, finalement, la question qui se pose est on ne peut plus simple.
Est-il plus gratifiant, intéressant et prometteur de gouverner des citoyens éduqués,
éclairés, curieux mais libres ? Ou vaut-il mieux, pour exercer pleinement un paléo
grégaire dominant, soumettre une masse n’ayant pas été formée à l’analyse critique et à
l’autonomie, et pour laquelle les menaces réelles, fictives ou surfaites qu’on lui annonce,
rendrait légitime l’exercice de l’autorité ? Selon le choix opéré, c’est tout le concept
éducatif qui sera déterminé, y compris dans l’enseignement de la science et l’exercice
thérapeutique. Il semble qu’un trop grand nombre d’acteurs de santé fonctionne hélas
déjà d’une manière simpliste, traitant les symptômes du moment plutôt que les causes
profondes dont ils résultent.
C’est aujourd’hui aux citoyens éclairés et conscients d’agir, non pas dans la violence,
mais dans une distance bienveillante et pondérée, qui seule permet de donner la pleine
mesure de notre intelligence face aux enjeux du futur. Aujourd’hui, je lance le chantier,
pour mes contemporains, de la remise en état du cerveau, ce deuxième intestin.
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Notes
1. Le chanteur Peter Gabriel a écrit en 1979 une chanson consacrée à ce sujet. Il l’intitula Milgram’s 37, en référence aux 37
volontaires de l’étude. Voici le refrain : « We do what we’re told » (« nous faisons ce qu’on nous a demandé »).
2. Pour autant, leur usage à l’échelle de la population n’a pas favorisé un surcroît de cas chez les sujets traités. Tout dépend
du type d’antibiotiques administrés et de la vulnérabilité éventuelle du patient, celle-ci conférant alors un risque accru de
décompensation (3).
3. Le terme « psychobiotique » a été proposé en 2013 par Dinan (16). La définition est très proche de celle des probiotiques,
à ceci près qu’on leur attribue des vertus thérapeutiques dans le cadre des pathologies psychiatriques.
4. Le cortisol est une hormone libérée par les glandes surrénales, en réaction à une situation perçue comme dangereuse. Cela
déclenche la mise en jeu des processus d’urgence de notre métabolisme, mais aussi un état d’alerte indispensable à notre
survie. Son intervention constitue un héritage de l’évolution, et se rencontreL’impact épigénétique de l’usage du cannabis.
autant chez les humains que dans le règne animal.
5. La vision médicale classique de l’immunité est fortement conditionnée par l’idée selon laquelle les symptômes ou les
anomalies rencontrées à la suite d’une infection constituent des processus propres à celle-ci. Ceci explique, aussi bien dans le
champ de la médecine institutionnelle que dans celui des alternatives thérapeutiques, l’arsenal thérapeutique déployé visant à
éradiquer cet agresseur, constitué d’acteurs qui possèdent souvent des vertus « anti ». Or, beaucoup de troubles persistent en
raison non pas de l’agent infectieux lui-même, mais plutôt de la réponse immunitaire à laquelle il a donné lieu, qui a persisté
sous l’influence des cytokines et est devenue inappropriée. Il arrive régulièrement qu’elle persiste à distance de l’événement
déclencheur. On sait ainsi que, après avoir connu une phase de récurrence d’une candidose, un patient peut conserver un état
de répression immunitaire ou une activation d’un état allergique qui perdure, alors même que le Candida albicans qui l’a
déclenché préalablement serait désormais sous contrôle (18, 20). Autrement dit, la participation d’un processus immunitaire à
une pathologie va au-delà de l’infectiologie…
6. La démonstration de l’existence d’un microbiome fœtal a été apportée par la mise en évidence d’ADN bactérien dans le
liquide amniotique, le cordon ombilical, le placenta et les membranes fœtales chez des individus venus au monde sans avoir
subi d’infection (67). De plus, cette équipe a également démontré que le placenta humain hébergeait un microbiome unique,
peu abondant, constitué principalement de bactéries commensales telles que les Firmicutes, les Tenericutes, ou les Bactéroïdes
par exemple. Le microbiote placentaire, très proche du microbiote oral, apparaît très sensible aux fluctuations de l’état de
santé de la mère. Ainsi, sa composition va varier en fonction des événements subis par celle-ci : infection durant la grossesse,
exposition aux antibiotiques, ou accouchement avant terme.
7. Un paradigme constitue un modèle explicatif qui doit intégrer l’ensemble des connaissances, y compris celles qui s’avèrent
paradoxales, pour en faire un tout « cohérent ». La construction intellectuelle à l’opposé du paradigme est celle que constitue
le dogme où, pour conserver le modèle en vigueur jusque alors, on écarte certaines informations fondées, dont la nouveauté
qui dérange, du fait qu’elle remet en cause un système rassurant. L’exemple des produits laitiers en apporte une parfaite
illustration, puisqu’ils divisent ceux qui proclament que « les produits laitiers sont nos amis pour la vie » et ceux qui, à
l’opposé, mettent en garde contre « une sacrée vacherie ». Les premiers ne considèrent que les vertus nutritionnelles d’un
aliment dont la composition dépend de nombreux paramètres et varie plus qu’on ne le pense, alors que les seconds ont en tête
une possible participation de cet aliment – ou de certains de ses composants – à des réactions immunitaires défavorables. La
« vérité » sur cet aliment doit intégrer ces deux facettes contradictoires. Comme on le verra dans un prochain chapitre, une
telle complexité peut générer un stress trop lourd à porter, que l’homme solutionne en apparence en construisant une histoire
qui puisse tenir : le dogme.
8. L’activité physique constitue une exception puisqu’elle peut conduire à une atteinte de la muqueuse intestinale sans
qu’existe le moindre problème immunitaire ni une quelconque dysbiose. Sous l’effet de la chaleur, de la déshydratation et de la
diminution de la disponibilité en glucides, les jonctions serrées tendent à s’ouvrir davantage et à laisser temporairement entrer
dans notre organisme des intrus potentiellement antigéniques, tels que les endotoxines, qui sont des toxines situées dans la
membrane externe de certaines bactéries, de nature lipopolysaccharidique (d’où l’abréviation « LPS » qu’on leur attribue) et
thermostables. Elles ne sont libérées que lors de la lyse de ces bactéries, et peuvent alors occasionner une réponse
inflammatoire générale démesurée (89, 128). Cela se voit régulièrement à l’occasion d’efforts accomplis par forte chaleur ou
dans un contexte de déshydratation.
9. Notons, sur ce point, que de récents travaux ont permis de décrire une rémission quasi totale chez des sujets
fibromyalgiques avec l’application rigoureuse d’un régime sans gluten (55). Pour autant, et cela peut paraître paradoxal, des
phénomènes immunitaires se tenaient alors que cet apaisement survenait. Carlos Isasi avait décrit, au début de son suivi, la
présence de nombreux lymphocytes au niveau de la muqueuse intestinale de ces patients. Plus l’infiltration de cette muqueuse
se situait à un niveau élevé, et plus les douleurs musculaires perçues étaient fortes. Avec l’arrêt du gluten, non seulement les
douleurs s’estompaient, mais l’envahissement de la muqueuse par les globules blancs cessait. Comment expliquer cela ? En
raison des réactions croisées existant entre le Candida albicans et le gluten, de sorte qu’en évinçant le gluten, on permettait un
meilleur contrôle de la candidose et la réponse immunitaire s’atténuait, en même temps que l’analgésie s’installait. L’un de ses
compatriotes est arrivé à des résultats quasiment similaires, après avoir suivi une cohorte plus importante pendant un an
(105). Enfin, poursuivant ses travaux, Carlos Isasi a pu établir le même constat dans le cas de patients souffrant de pathologies
lésionnelles inflammatoires (106), ce qui confirmait l’idée que, plus que les cytokines, ce sont surtout les exorphines qui
contribuent à la douleur. Mais alors, pourquoi l’amélioration ne s’observe-t-elle pas chez tous les sujets de son étude ? Cela
tient à l’intervention conjuguée de différents acteurs, et pas seulement à celle des exorphines. De ce fait, l’éviction du gluten
donne des résultats aléatoires et pas systématiques. Le débat autour du régime sans gluten constitue un bel exemple des
limites du raisonnement qui recherche une cause exclusive à un tableau complexe…
10. En 1982, Kaye (64) a montré que l’activité opioïde mesurée dans le liquide cérébrospinal de sujets anorexiques, affectés
d’un poids situé sous la norme, se situait largement au-dessus de celle relevée chez des sujets exempts de pathologie. Cela
correspond-il à un bien-être majeur associé à l’abstinence d’apports alimentaires ? C ’est vraisemblable. Mais surtout, les
endorphines possèdent une propriété peu connue : elles s’avèrent très utiles dans un contexte de survie, dans la mesure où
elles abaissent le métabolisme et permettent de préserver l’eau et les nutriments dans l’organisme dans des conditions
délicates, telles que celles où les apports sont fortement réduits (76).
11. Notons enfin que, concernant la maladie de Parkinson, la pratique régulière d’une activité physique, et plus
particulièrement celle du vélo, semble également exercer un effet positif (31, 70).
12. Syd Barrett était l’un des membres fondateurs du groupe Pink Floyd, et son leader charismatique durant toute la première
période de celui-ci au milieu des années soixante-dix, à l’apogée de sa période psychédélique. Important consommateur de
drogues de toutes sortes, et notamment de LSD, « il est parti ailleurs », selon les propos de certains membres du groupe, et
son comportement changea radicalement en l’espace de quelques mois : délires, hallucinations, pertes de mémoire, absence
aux concerts qui obligèrent les autres musiciens, la mort dans l’âme, à s’en séparer. La dégradation continue de son état
mental leur inspira d’ailleurs, quelques années plus tard, un album dont le titre, Wish You Were Here , en dit long sur la peine
qu’ils ressentaient en évoquant leur ancien camarade.
13. L’inconvénient majeur de cette augmentation temporaire de sérotonine, liée à la pratique sportive, est qu’elle incite à en
faire toujours plus pour bénéficier davantage de cet effet positif. Or, j’ai précédemment indiqué que l’inflammation chronique
et la dysbiose favorisaient la chute de la sérotonine cérébrale. Imaginons ce que pourraient alors être les conséquences d’une
pratique sportive exagérée chez un sujet en proie à un état inflammatoire ou souffrant de sévères perturbations digestives. Sa
pratique déraisonnable le conduira immanquablement à la blessure ou à l’épuisement. Sa dépression latente, plus ou moins
corrigée par la pratique sportive excessive, va alors se manifester avec une grande violence…
14. La mise en danger du cerveau et la fragilisation des populations face aux agents infectieux résultent de la conjonction de
quatre facteurs. Il s’agit de l’appauvrissement des sols (affectant la valeur nutritionnelle des aliments), de l’attachement porté
à l’asepsie et à l’hygiène (ayant bouleversé notre microbiote et favorisé une dysbiose généralisée), de l’accumulation de
polluants dans notre air, notre eau, notre sol, notre corps, et enfin de la déforestation exponentielle qui crée de nouveaux défis
pour l’humanité en mettant celle-ci au contact d’agents infectieux que, jusque-là, elle n’avait jamais rencontrés, et dont la
potentialité délétère s’en trouve accentuée (35, 108). Or, alors que les politiques qui se sont succédé voient clairement leur
responsabilité engagée dans la survenue de cette catastrophe en cours, le seul recours qu’ils proposent consiste à confiner les
populations. Qui a posé avec recul la question de la survie de notre planète lors de la récente pandémie ?
15. La définition des psychobiotiques a été proposée pour la première fois en décembre 2013 par un chercheur irlandais (24),
qui a suggéré une définition reprenant en partie celle des probiotiques. Il évoque en effet des « micro-organismes vivants qui,
administrés en quantité adéquate, produisent un effet favorable sur la santé de l’hôte souffrant de pathologie psychiatrique ».
Par cette définition, le monde médical prend acte de la possibilité d’imaginer une nouvelle stratégie thérapeutique pouvant
s’exercer sur l’intestin pour agir sur le cerveau.
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Notes
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