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Nadia a vécu la majeure partie de sa vie avec un silence

complet quant à son passé d’enfance.


Elle nous racontait comment elle vivait dans le petit
village de Rusalifka près de Kiev au bord d’une rivière
tributaire du Dniepr. Elle vivait avec ses parents Jelisei
Kusmovitch Omeltschuk et Tatiana Lechtchenko* dans
une petite ferme dont les murs étaient blanchis à la
chaux et le toit isolé avec bottes de paille. En hiver
d’autres bottes de paille furent placées debout le long
des murs car les températures descendaient très bas
pendant quelques mois. À l’intérieur de la ferme il n’y
avait qu’une seule pièce subdivisée en deux espaces
séparés par une clôture.
* Le nom Ukrainien « Лещенко” est souvent traduit très différemment.

Les liens en couleur sur les pages qui suivent son interactif
Un côté hébergeait un cheval, une vache et quelques
veaux, deux chèvres et des poules. Pour certaines
raisons il n’y avait point de cochons. Dans le coin opposé
des bêtes se trouvèrent les endroits où dormait la famille.
Les enfants dormaient parfois dans un grenier flottant
rempli du foin et des sacs de blé et du maïs et des outils
légers. Au milieu de la ferme il y avait encore une longue
table en bois massif ainsi que quelques armoires. Au
milieu il y avait un grand un poêle avec four qui pouvait
brûler du n’importe quoi, surtout du bois et la tourbe dont
des grandes quantités étaient stockés à l’extérieur.
Nadia dormait parfois avec la tête couchée sur le ventre
d’un petit veau ce qui donnait une chaleur agréable.
D’un autre côté elle avait été punie plusieurs fois avant
de comprendre qu’il fallait faire attentions à certains
choses. Parfois en jouant elle marchait ou se couchait
sur un nid caché avec quelques poussins. Elle apprenait
à marquer les endroits des poussins avec des mouchoirs.
Le père, ou était-ce le grand-père, de Tatiana était
généralement assis près du poêle et fumait sa longue
pipe courbée. Vu son très grand âge il ne se déplaçait
que difficilement. Un jour en 1929 ou 1930 sans que
personne ne le remarqua, il quitta le monde des vivants
dans lequel il avait vécu plus de cent ans.
En plus la famille comptait encore une femme très âgée
elle aussi, et qui refusait de prendre les repas avec les
autres. Elle mangeait à l’écart dans un coin séparée des
autres en utilisant sa propre casserole. Elle ne voulait
pas manger ce qui n’était pas kasher.
Jelisei était très fier de son cheval. C’était un homme
solide avec des grandes moustaches, un vrai Koulak. *

* « Єлисей » est traduit comme Élisée et prononcé comme Jelisei.


Il aimait labourer ses champs et recommençait chaque
année le même rituel. Les récoltes devenaient de plus
en plus riches.
Les enfants, quand ils avaient le temps passèrent parfois
des heures à nager dans la rivière en été en utilisant un
seau renversé pour se tenir flottant ou pour mouiller les
pentes du bord de la rivière pour en faire des glissoires.
Puis vint le drame. Jelisei, le père de Nadia fut attaqué
par un taureau qui lui blessa mortellement. Il mourut trois
jours plus-tard et dans la même année son frère Andreï
(Andrusscha) se noyait et sa mère Tatiana Lechtchenko
fut atteinte par la fièvre typhoïde et Nadia se trouvait
toute seule comme orpheline.
Heureusement sa sœur l’emmenait en Crimée où elle
trouva un emploie comme télégraphiste juste avant que
la guerre commençât.
Elle fut mise sur un train par les Allemands pour aller
travailler dans les usines de guerre. Là elle rencontrait
mon père qui à la fin de la guerre la libérait pour l’amener
en Belgique où elle devenait protestante comme la
majorité de son mari Rosez Clemens. Voilà en grandes
lignes comment Nadia avait raconté son histoire dans
son entourage, pendant exactement 50 ans cette histoire
avait tenu debout, ne changea point et fut accepté par
tout le monde. … Mais :
Le 24 septembre 1995, 50 ans après la fin de la Seconde
Guerre Mondiale, ma mère Nadia Omeltschuk me
racontait sa vie. Par une coïncidence inouïe, Rosh
Hashana (5756) tomba sur mon anniversaire cette
année-là. Ce fut une histoire tout à fait différente.
En 1923, quand elle avait 10 ou 11 ans il s’était passé
des choses terribles qu’elle n’a jamais osé raconter à
d’autres. Un secret terrible était enfermé dans son âme.
Nadia était née juste après la révolution, son passeport
Belge mentionne 1923, ce qui est une erreur, ça devrait
être 1922.
En Union soviétique Staline décréta le premier plan
quinquennal, qui comprenait la collectivisation de
l'agriculture (et la fin des Koulaks).
La collectivisation donna à l'État soviétique un contrôle
direct sur les riches ressources agricoles de l'Ukraine et
permettait à Staline de contrôler l'approvisionnement en
céréales pour l'exportation. Les exportations de céréales
serviraient à financer la transformation de l'URSS en une
puissance industrielle.
La majorité des Ukrainiens ruraux, qui étaient de petits
agriculteurs indépendants s'opposaient à cette
collectivisation. Mais ils furent forcés d'abandonner leurs
terres, leur bétail et leurs outils agricoles pour aller
travailler dans des fermes collectives gouvernementales
(kolkhoz) en tant qu'ouvriers.
Les historiens ont enregistré environ 4000 rébellions
locales contre la collectivisation, la nouvelle fiscalité, la
terreur et la violence des autorités soviétiques au début
des années 1930. La police secrète soviétique (GPU) et
l'Armée rouge ont impitoyablement réprimé ces
manifestations.
Des dizaines de milliers d'agriculteurs ont été arrêtés
pour avoir participé à des activités antisoviétiques et
abattus ou déportés dans des camps de travail. Les
fermiers riches et prospères qui s'opposaient à la
collectivisation étaient qualifiés de « koulaks » par la
propagande soviétique (« koulak » signifie littéralement
« un poing »). Ils étaient déclarés ennemis de l'État, et
devaient être éliminés en tant que classe.
L'élimination des soi-disant « koulaks » faisait partie
intégrante de la collectivisation et servait trois objectifs :
un avertissement à ceux qui s'opposaient à la
collectivisation, un moyen de transférer les terres
confisquées aux fermes collectives pour ensuite éliminer
les pouvoir des représentants des village.
Ainsi, la police secrète et les milices dépouillèrent
brutalement les « Koulaks » non seulement de leurs
terres, mais aussi de leurs maisons et effets personnels,
les déportant systématiquement vers les régions
lointaines de l'URSS, mais plus souvent on les exécutait.
Une famine commença à régner tandis que des millions
de tonnes de blé étaient vendus aux pays occidentaux
et les États-Unis, uniquement pour collecter des devises
étrangères. Les gouvernements concernés étaient au
courant de ce qui se passait mais fermaient les yeux.
Un matin en 1933, lorsque Nadia avait 10 ans, les
hordes militants de Staline vinrent réquisitionner la
récolte de blé, les animaux et en fait toute la ferme et ses
terres.
Son père, donc mon grand-père Jelisei Kusmovitch
Omeltschuk, tenta de s’y opposer mais fut frappé sans
arrêt avec des coups de crosses de fusil à la tête et
thorax, sa femme Tatiana fut maltraitée elle aussi.
Une fois le pillage accomplis par les brigands Stalinistes,
ces derniers laissèrent les corps de leurs victimes par
terre. Jelisei mourut deux jours plus tard.
Nadia se rappelle encore clairement d’avoir embrassé
son père sur le front en guise d’adieu. Mais l’histoire ne
s’arrêta pas là. Il ne fallait que quelques jours avant que
la faim commençât à se faire sentir chez Tatiana et la
petite sœur Helena. La petite fille fut kidnappée pendant
une nuit et fut mangé par des voisins sans scrupules.
Le cannibalisme était d’ailleurs général. Sur le machés
de grandes villes la chaire humaine fut vendue
ouvertement.
Andreï (Andrusscha) le frère de Nadia qui essayât de se
cacher fut attrapé, malmené et enfermé sans nourriture
ou à boire. Au bout de quelques jours il trouva la mort.
Tout à fait seul Nadia errait dans les champs en évitant
les endroits hostiles. Parfois elle recevait un peu de
nourriture des voisins mais elle fut priée de ne pas rester.
Il n’y avait pas assez de nourriture. Nadia se nourrissait,
manque d’autre chose, avec des feuilles et des fleurs.

Elle avait réussi à avertir sa sœur Lisa (Elisobetha) qui


se trouvait loin de là en Crimée et une lettre ne contenant
que quelques mots d’enfants, parvenait à son frère
Grisia (Gregory). Les rues commençaient à se remplir de
cadavres. Sa mère Tatiana était en isolation dans un
dispensaire surpeuplé et avait succombé à la fièvre
typhoïde et de ses blessures.
La lettre de Nadia aurait pu être similaire, mais elle, … elle avait survécu.
https://www.youtube.com/watch?v=kDQ1iyEYX2M
En fait, c’est seulement 63 ans après le Génocide qui
avait eu lieu en Ukraine et 50 ans après la deuxième
guerre mondiale que ma mère s’est mise à parler.
Une de ses raisons résidait dans le fait qu’elle
appartenait ou avait appartenue à une famille juive.
Chose qu’il fallait à tout prix cacher lors du règne de
Staline et par après celui de Hitler. Prétendre dans les
Flandre qu’elle était Chrétienne orthodoxe fut accepté
sans autres complications, à part que j’entendais parfois
circuler des conversations ou Nadia fut désignée comme
« cette Russe » ou « cette communiste », mais ça n’allait
pas plus loin. Ç m’arrivait parfois dans les rues aussi.
Finalement Nadia fut retrouvée par Gregory son frère
ainé et ensuite par Lisa sa grande sœur, tous les deux
venant de loin et totalement bouleversé par ce qui s’était
passé. Gregory payait un seul ticket aller destination
Djankoi pour Nadia. Lisa voyagerait clandestinement.
Lui-même changeait son identité en Grisia Omeltshenko
et partait pour la Pologne, sa femme étant Polonaise.
Il fut probablement tué lors de l’invasion des Allemands
en Pologne en 1939.
Une fois arrivée à Djankoi, Nadia fut placée chez une
famille Juive où elle recevait une éducation scolaire.
À l’âge de 19 ans en 1941 elle trouva un travail comme
télégraphiste aux services postales de Djankoi. Par
gratitude elle donna son premier salaire à sa sœur Lisa.
Son deuxième salaire était composé par de pamphlet de
la force aérienne Soviétique qui avertissait les habitants
de Djankoi de quitter la ville et de se diriger vers Kerch
pour y prendre le ferry et ainsi joindre les territoires sous
contrôle soviétique de l’autre côté de la mer d’Azov.
L’opération Barbarossa de l’Allemagne Nazi venait de
commencer le 22 Juin 1941.
1 - La chair humaine sur les marchés
2 - Les massacres à Kerch.
Près de quatre millions de soldats de l’Axe pénètrent en
Union Soviétique. La plus grande invasion de l’histoire
humaine. Une longue colonne d’une population en fuite
fut bloquée à Kerch. Il n’y avait pas assez de bateaux et
les attaques Allemandes s’intensifiaient.
La première chose que les « SS » faisaient, était de
rechercher systématiquement les Juifs et de les tuer.
Dans la région il y avait un grand nombre de villages
Juives qui furent tous exterminés. Nadia et un nombre
important de jeunes filles dont les unités « SS » n’avait
pas le temps de vérifier s’il y avait oui ou non des Juifs
parmi elles, repeuplaient ses villages avec elles en
attendant le transport en train, entassés à cinquante
dans des wagons à bestiaux direction Auschwitz ou
devrait avoir lieu une dernière sélection.
Le train arriva à une sorte de ferme dans un bois, le
convoi féminin recevait l'ordre de se déshabiller et ils
entrèrent une pièce où elles devaient être désinfectés.
Mais il y avait deux autres couloirs qui menaient vers des
douches. Ce n’est pas clair comment cette opération se
déroulait mais il est certain qu’un grand nombre fut
exterminé avec du « Zircon B » tandis qu’un autre
nombre fut désinfecte et canalisé vers des camps de
travail ou « Konzentrationslager » en Allemagne pour
aider à la production de la guerre.
Il y avait plusieurs sortes de camps de concentrations.
Les camps sans garde sévère pour les volontaires
venant de l’Est ou de la Russie, puis les camps de
prisonniers de guerre et opposants politiques. En plus il
y avait les camps pour ceux qui pouvaient travailler
encore un certain temps avant d’être liquidés, les Juifs
et partiellement juifs et les témoins de Jehova.
Dans le reportage de Maria Schwetz une amie de Nadia
on peut lire une l’histoire comparative.
Contrairement à elle Nadia était gardée derrière des fils
de barbelés et recevait une quantité de nourriture
largement inférieur.
Un point commun est que Nadia, tout comme Maria se
trouvaient face à face devant un travailleur forcé des
Flandres, chacune dans une usine différente et les deux
Belges venant de la même région de Termonde ne se
connaissant pas. Très vite des liens d’amitié naissaient
et ce qui était d’importance primordiale les deux filles
recevaient de la nourriture extra d’une haute qualité.
De temps en temps deux frère de Clément venaient
travailler pour quelques semaines question de recevoir
des bons de nourriture. Sans le savoir ils joueront un
grand rôle dans ce qui deviendra le futur de Nadia. Cela
a duré jusqu’en février 1945 quand Nadia faisait
connaître à Clemens qu’elle était enceinte de lui. C’était
une nouvelle qui impliquait des dangers. Les autorités
Allemandes étaient fort capables de terminer le travail de
Nadia et de l’envoyer à un camp de destruction.
Vous vous rendez compte ? … c’est de moi qu’on parlait.
Enfin je n’étais pas conscient de ça, mais tout de même !
Mais il y avait d’autres choses en l’air, jour et nuit il y
avait de flottilles entières de bombardiers mettant en feu
ville après ville.
L’histoire de la déportation par les Allemands de Maria (que j’ai connu jusqu’en 2002) est parallèle avec celle
de ma mère sauf que le régime de ma mère était plus sévère et qu’il y avait prévu une destination finale.
1 – Les combats de Kerch
2 – L’arrivée à Auschwitz
Le jour la force aérienne de ÉU à grande altitude et la
nuit la Royal Air Force à basse altitude. En plus comme
il avait une liberté de mouvement presque totale
Clemens, mon père, avait vu des unités Américaines de
l’autre côté du Rhin à la hauteur de Winkel-am-Rhein.
Ce n’était plus qu’une question d’un temps relativement
court avant que ses troupes tenteraient de franchir le
fleuve. Mais si les Allemands devaient se retirer ils
liquideraient sûrement les camps.
Il contacta ses deux frères et leur demanda de l’aider
dans une opération de sauvetage ou plutôt de fugue, ne
fusse que de contrôler s’il n’y avait pas des patrouilles
tout près la nuit. Malgré que Nadia hésitât longtemps il
fut décidé d’agir sans délai. La nostalgie de son pays
natal troublait ses pensées. Mais le destin était avec eux
parce-que les Allemands préféraient rester dans les
abris souterrains lors des passages des vagues de
bombardiers. Ces mois étaient un vrai cauchemar pour
les Armées de Hitler et surtout pour les civils.
Les barbelés furent coupés et soudainement il y avait du
monde. Nadia avait amenée encore cinq autres filles qui
toutes avaient une relation avec des travailleurs Belges.
Toutes les six termineront dans les environs de
Termonde et restèrent ensemble pendant plus de
cinquante ans. Nadia devait se cacher dans l’armoire de
la petite chambre de la pension ou habitait Clemens où
elle dormait presque debout sur un matelas incliné à
moins de 45 dégrées. Quelques jours plus tard vint
l’assaut général pour la rive droite. Il fallait déménager
d’urgence parce l’artillerie des ÉU était exactement
pointé vers l’endroit où ils étaient. Pas loin de là il y avait
une abbaye avec des caves très solides.
Ils arrivèrent juste à temps car au moins cinquante
autres y avaient trouvé refuge eux-aussi. Personne ne
disait un mot, même pas quant Nadia avait enlevé sa
veste et qu’on pouvait distinguer le symbole « Ost » sur
ses vêtements. Personne n’osât dire quelque chose.
Ils allèrent vers le fond d’une des caves pour y trouver
quelques milliers de bouteilles de vin. Pendant les trois
semaines de tir intense ce fut la seule forme de boisson
ou de nourriture disponible. Puis un matin ce fut le
silence complet, ou plutôt rien qu’une seule explosion
toutes le dix minutes. Question de faire attention tout de
même.
Une jeune allemande risquait d’ouvrir une de grandes
portes massives en bois encore intactes et y parvenait
plus ou moins au bout de quelques efforts. Des voix
montèrent pour ne pas la laisser faire et d’attendre.
Mais la fille se glissait à l’extérieur immédiatement suivi
d’une explosion tout près et de cris. Quelques courageux
l’amenèrent à l’intérieur. Elle avait la jambe inférieure
partiellement fracassé. Finalement le silence devint total.
L’abbaye se vida et Nadia et Clemens sortaient eux
aussi dans l’air libre.
La pension où avait habité Clemens était complètement
détruite. La première chose que Clemens proposait était
de se procurer des vêtements. Pendant trois semaines
à plus de cinquante dans une cave sans toilettes avait
laissé de traces et des odeurs.
Du coup ils furent arrêtés par un grand GI Américain noir
qui semblait très vite comprendre la situation.
Il cria en Anglais : POW… you POW ? Prisoner of War ?
Quand Clemens comprenait au bout d’un moment ce
que demanda le GI qui fit un large geste avec son bras
pointant vers des maisons en disant :
« Today all this is yours, take what you want ».
La joie était grande surtout après avoir trouvé des
vêtements et même du savon et de l’eau.
D’autres américains arrivèrent dans des colonnes sans
fin et des rations, même de la viande fraiche furent
distribués. Puis vint le long chemin vers Termonde mais
il fallait d’abord passer par Bruxelles. Nadia était sensée
de se présenter à l’ambassade de l’Union Soviétique
comme des milliers d’autres. Mais c’était un guet-apens.
Les soviets exigeaient que tous les déportés Soviétiques
fussent placés sous la juridiction de l’URSS pour être
rapatriés.
Ce qui ne fut pas dit, c’est que tous ceux qui retournaient
furent considérés comme de traitres et condamnés
systématiquement à mort ou envoyés dans de régions
éloignées pour y faire du travail forcé et mourir
d’épuisement au bout de quelques années. Mais il n’y
avait rien à faire, il y avait des accords entre les alliés et
le gouvernement Belge d’après-guerre n’était (pas
encore) au courant des pratiques des Soviets. Nadia se
trouvait donc dans l’ambassade de l’URSS pour
demander une pièce d’identité quelconque pour les
services communales Belges dans le but de se marier.
Au début elle avait même pensée d’aller rejoindre sa
sœur en Crimée mais elle avait abandonné cette idée.
Il y avait eu tellement de morts…Sans se rendre compte
les portes de l’ambassade furent fermés et les autorités
Soviétiques déclaraient que toutes les femmes
présentes étaient arrêtées et allaient être renvoyés en
Union Soviétique pour y être jugés.
Il y avait au moins une vingtaine de filles présentes ce
jour-là. Mais la chance lui souriait encore une fois. Un
des plantons Belges, qui travaillait pour l’ambassade,
était au courant de ce qui allait se passer et ouvrait une
porte à l’arrière de l’ambassade et incita quelques filles
dont Nadia à quitter l’immeuble et de ne plus revenir.
Lui aussi disparaissait dans les rues de Bruxelles. Le
lendemain un convoie diplomatique avec peut-être 200
Russes et Ukrainiens partait direction Berlin.
Après s’être enfuie de l’Allemagne et de l’ambassade
Soviétique Clemens et Nadia se marièrent et eurent
d’abord un fils, Victor qui fut conçu dans un camp
d’extermination mais voyait la lumière de la liberté lors
de sa naissance. Sa sœur Emmy fut née en 1950. *
Dans les années cinquante les parents décidaient de
partir pour le Congo après avoir tenu pendant quelques
années une friture durant les weekends et jours de fête,
ce qui très vite leur permit de bâtir une maison à Lebbeke.
Après avoir connue la faim pendant des années Nadia a
épluché, lavé, coupé et mangé des quantités énormes
de pommes de terre. Mais cette vie ne plaisait guère à
Clemens et un jour il parvenait à obtenir un contrat pour
un terme de trois ans au Congo et les voilà parti. Ce fut
un voyage plein d’aventures. Clemens travaillait pour
une compagnie de Chemins de Fer, la BCK et devait se
déplacer souvent très loin en brousse.
Emmy donne quelques détails de ses aventures :
Nous les enfants durent changer très souvent d’écoles
avec parfois des séjours dans des internats. La famille
avait pendant des années une maison à Élisabethville et
ensuite à Luluabourg et nous avions aussi notre
Caboose et les internats mais pas vraiment un domicile
fixe.
* L'immigration belge avait mis un c devant la dernière lettre k de son nom,
Omeltschuck au lieu d'Omeltschuk et ça gênait ma mère en plus sa date de
naissance était 1922 au lieu de 1923 et en fait son prénom exact était Nadeshda.
Victor préférait de rester le plus souvent dans la
Caboose en brousse avec son père où parfois il pouvait
suivre des cours chez les missionnaires. Il apprenait très
vite le Français (et le Latin), le Swahili et le Tshiluba,
l’Ukrainien et même un peu d’Anglais par les
presbytériens qu’il fréquentait á Luputa. En fait nous
aimions tous vivre dans la Caboose, un wagon de train
modifié avec un salon/salle à manger, un compartiment
wagon lit pour quatre, un autre compartiment était
modifié en salle de bain/douche avec dans un coin un
filtre à eau qui purifiait à 100% l’eau. Dans le toit il y avait
un réservoir de 500 litres d’eau non buvable. Puis il y
avait la cuisine et au fond un magasin pour les vivres et
un frigo au pétrole. Nous avons fait tout le trajet
d’Élisabethville à Port-Francqui en deux termes,
s’arrêtant brièvement (parfois quelques mois) dans
chaque gare à +/- 70 km les uns des autres.
Suivant les progrès nous suivirent avec le train.
La Caboose fut tout simplement accroché au train
comme dernier wagon et nous voilà parti.
Mon père partait en avant avec sa voiture et nous on
restait dans la Caboose.
La nuit Nadia se réveilla et constata que la Caboose
faisait marche-arrière. Le wagon s’était détaché sur une
pente. Victor (treize ans) arrivait à faire stopper la
Caboose qui s’en allait de plus en plus vite, en tournant
la roue du frein de secours. Et nous voilà au milieu de la
forêt vierge entre Bena-Leka et Demba, Nadia, mon frère
et moi-même. Quand mon père arrivait à Demba, 70 km
plus loin, il constata que la Caboose avait disparu.
Il fit tout de suite partir le train en marche-arrière.
Ça durait toute la nuit et une partie du lendemain avant
que la Caboose fut rejointe sans dégâts. La peur qu’avait
ma mère en ce moment a dû être indescriptible. Mais elle
avait l'habitude de cacher ses sentiments.
Mon frère prenait la chose à la légère, il avait l'habitude
de sortir seul la nuit pour aller chasser. Il n’avait peur de
rien. Mais ce n’est pas tout…
Après ça elle encaissa un nouveau coup quand elle
apprenait à l’hôpital de Luluabourg que j'avais attrapé la
tuberculose. J'ai oscillé entre la vie et la mort pendant
des mois. La maladie a duré deux ans. Et ma mère était
toujours présente et me donna tout ce que lui je
demandais. Elle n'a jamais montré sa tristesse. Et moi,
je ne savais même pas que j’étais atteinte d’une maladie
grave qui pouvait même me tuer. *
Puis vint le 30 juin 1960 avec l'indépendance du Congo
et 11 jours plus tard celle de la sécession du Katanga.
Du coup nous nous trouvions dans un conflit de guerre.
Pour Nadia c'était le troisième épisode de guerre dans
sa vie. Nous quittions le Kasai devenu un peu insécure
et vivions à ce moment juste en dehors d’Elisabethville
au Katanga. Mon père resta encore un temps au Kasai
avant de nous rejoindre. Il venait de rentrer du Kasaï où
il avait été témoin du massacre de Bakwanga et aussi le
moment où Lumumba fut arrêté par l'ANC près de
Mweka le 2 décembre 1960. Quelques jours plus tard,
mon père fut transporté d'urgence à Elisabethville avec
une crise rénale. Le 17 janvier, Lumumba et ses deux
collègues furent assassinés dans notre ville par des
officiers Belges et des membres du gouvernement
katangais. Quelques mois plus tard éclatèrent les
combats de septembre et de décembre 196.
* Clemens passait souvent son temps avec d’autres colons, surtout les
célibataires, à boire et qui sait quoi encore, dans les cités, laissant Nadia
toute seule.
Des armes étaient distribuées par la gendarmerie
katangaise pour nous défendre contre le pillage des
Balubas ou les attaques de l'ONU. Nous dormions
parfois dans une chambre sans fenêtres avec un plafond
en béton pour ne pas être touchés par des balles
perdues ou des mortiers.
Pendant des semaines le boucan des coups de canon,
les rafales des mitrailleuses et les attaques aériennes
était terrible. Au crépuscule du matin du 17 septembre
1961, vers six heures du matin, Victor ripostait et tira sur
un DC6-B de l'ONU qui venait de décoller de la Luano
destination Léopoldville. Mais en décembre les choses
devenaient plus graves.
Une équipe de la Croix-Rouge avec un médecin et de
deux infirmières tenta de nous trouver pour nous
emmener en ville hors de la zone des combats.
Malheureusement ils ont été arrêtés par des Ethiopiens,
des soldats de l'ONU, puis emmenés dans la brousse,
pour y être froidement assassinés. Un peu plus tard, ces
mêmes soldats envahissaient notre maison et nous
devions nous tenir debout contre le mur les mains en l'air,
tandis que mon père devait accompagner les soldats
pour faire sortir de leur abri des autres familles, dont une
avec treize enfants. Notre voisin monsieur De Deken, qui,
alerté par le bruit, sortait de sa maison et fut abattu sans
avertissement, sous nos yeux par les soldats Éthiopiens.
Sa femme et ses enfants étaient déjà partis pour la
Belgique. Pour ce crime, mon père a témoigné plus tard
devant un tribunal international. En même temps nous
fûmes obligés de nous rendre à l'aéroport. Mon père
avec sa voiture et la famille avec 13 enfants dans un
camion avec une autre famille dont une fille.
Nous y avons été enfermés pendant quelques jours.
Nous étions les témoins fâcheux de leurs pillages et
massacres et ils voulaient nous tuer mais d'autres
militaire Onusiens, d'autres pays étaient trop proches.
Un jeune lieutenant Érithien nommé Negede Yassou aka
Michel nous a aidé et nous avons réussi à nous enfuir
dans la voiture de mon père. La famille avec 13 enfants
entassés dans une camionnette suivait à toute allure.
Pendant cette guerre, mon frère Victor (16 ans) avait
subitement disparu. Pendant trois mois on chercha
partout avant de le retrouver. Il avait joint les gendarmes
katangais. Il était en uniforme et lourdement armés. Ce
fut un désastre émotionnel. Heureusement, il était sous
la protection des hommes du général Norbert Muke.
Finalement Nadia put fuir en Belgique où nous arrivâmes
en plein hiver.
Nous n'avions ni maison ni vêtements chauds.
Il ne fallait absolument pas compter sur le gouvernement
et la plupart des compatriotes restaient à grande
distance. C'était notre propre faute, fut souvent l'opinion
publique.
Grâce à Maria, la bonne amie ukrainienne de ma mère,
nous avons pu y rester quelques mois, jusqu'à ce que
nous trouvions un appartement à Bruxelles. Clemens
était resté au Congo pour son travail.
Notre famille fut déchirée. Mon père commença une
nouvelle vie avec une jeune Katangaise et demanda le
divorce. Nadia resta abandonnée, seule et amère.
Heureusement, Freddy mon mari Freddy et moi étions là
pour la soutenir. En 2000, Nadia fut diagnostiquée avec
la triste maladie d’Alzheimer. Au début ce fut un enfer
pour moi et difficile d'accepter la maladie comme un fait
accompli. *
* Pour ne pas troubler les esprits cette diagnose fut gardé secret. À cause de ça,
la dernière visite de son amie Maria en 2000 se termina en confusion.
Garder cette maladie cachée causa quelques grands conflits.
Doucement elle commença à oublier les misères du
passé lointain.
Surtout quand mon père la recontacta cette année.
Ils ont pu passer encore de nombreux moments heureux
ensemble. Il est malheureusement décédé en 2005. À
cause cette maladie, nous sommes devenus très
proches l'un de l'autre. J'ai toujours connu ma mère
comme une femme très fermée. Elle nous a toujours très
bien soigné et sa maison était toujours propre. Nous ne
manquions de rien, mais je n'ai jamais pu avoir un
contact intime avec elle. Quand elle fut contrainte en
2002 d’aller dans la Résidence Roi Alberta, une maison
de repos, elle était soulagée et y trouva la paix. Ne plus
s’inquiéter, les souvenirs tristes qui s'estompaient et sa
vie qui connaissait enfin une structure simple et paisible.
Contrairement à mon frère, je ne savais pas qu'elle avait
eu une enfance et vie aussi terrible que ça. Elle ne m'en
avait jamais parlé. C'était comme si elle nous protégeât
de cette façon. En raison de sa maladie, elle a revécu
son enfance. Petit à petit, j'ai pu me faire une idée de ce
qu'elle avait dû subir. J'ai ainsi pu noter les noms de ses
parents, frères et sœurs.
La langue flamande et Française qu'elle a apprise ont
disparu de sa mémoire. Mais elle n'a jamais oublié sa
propre langue. Dans son cœur, elle est toujours restée
Ukrainienne.
Finalement, je l'ai fait emménager dans une maison de
retraite près de chez nous. Elle y est décédée deux jours
avant son anniversaire le 10 juillet 2014 à l'âge de 92
ans.
Au cours des deux dernières années, elle ne pouvait
plus marcher du tout et était forcée de rester au lit.
Je suis ensuite venu tous les jours dans l'après-midi pour
l'aider à manger. Elle ne savait même plus qui j'étais
alors.
Elle ne parlait plus qu'encore quelques mots d'ukrainien.
Et pourtant nous avons passé des bons moments. On a
ri et on a chanté en particulier les chansons Kalinka et
Otchi Tchornye qui restèrent très familières pour elle. *
J'avais tellement peur que le jour viendrait où elle me
quitterait pour de bon. Mais elle est morte si paisiblement.
Maman était une femme très forte, ce que je ne peux pas
dire de moi-même. Mais le jour de sa mort, c'est comme
si elle m'avait transmis ses pouvoirs.
Lors de ses funérailles, nous sommes allés dîner dans
un restaurant avec nos enfants et petits-enfants, comme
elle le souhaitait.
Ce fut une journée inoubliable pour tout le monde. La
douleur et la joie ont ensuite été partagées en silence.
Nous n'avions pas besoin de mots.

* Pendant de nombreuses années de sa vie Nadia était membre


d'une chorale russe à Bruxelles. Ensuite elle est restée en
contact avec sa sœur Lisa et d'autres membres de sa famille en
Ukraine pendant de nombreuses années. Sa sœur Lisa fut
retrouvée miraculeusement dans les années soixante. Nadia la
visita à Kiev et Lisa à son tour vint visiter Nadia à Bruxelles.

https://www.youtube.com/watch?v=q50KhrJhD7A

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