Vous êtes sur la page 1sur 8

Qualité de l'emploi et élargissement

Conférence organisée par


le Ministère fédéral de l'emploi de Belgique, la
Commission et l'OIT

Bruxelles, le 18 octobre 2002

Intervention de Madame Odile Quintin


Directeur général de l'Emploi
et des Affaires sociales,
Commission européenne
2

Madame la Vice-Première Ministre,


Monsieur le Directeur général [Juan Somavia],
Monsieur le Directeur [Raymond-Pierre Bodin],
Mesdames et messieurs,

Voilà presque trois ans, le Conseil européen de Lisbonne fixait un


objectif ambitieux à l’Union : créer davantage d’emplois, et de
meilleurs emplois. La qualité venait alors de gagner une place
centrale dans l’agenda politique européen. Mieux encore :
désormais, l’opposition « classique » entre la quantité et la qualité
était devenue caduque ; l’Europe, affirmant ainsi son modèle
économique et social, se donnait comme ambition de réussir sur
ces deux terrains ensemble.

Aujourd’hui, trois ans après, nous voici réunis, à l’initiative


conjointe de l’ex-Présidence belge, de la Commission et de l’OIT,
pour débattre de la place que doit avoir aujourd’hui la qualité sur
l’agenda européen, à l’heure du plus grand élargissement de
l’Union depuis sa création. Et pour mesurer aussi les progrès
accomplis grâce aux impulsions décisives qui ont été données,
d’une part par l’adoption de l’Agenda social, en 2000, qui, à
l’initiative de la Commission, a fait de la qualité le « fil rouge » de la
politique sociale et de l’emploi ; et ensuite, par le Sommet de
Laeken, l’année dernière, qui a vu l’adoption, grâce à
l’engagement de Laurette Onckelinx, d’un ensemble d’indicateurs
permettant, pour la première fois, de mesurer collectivement, au
niveau européen, ce qu’est concrètement la qualité de l’emploi et
donc d’intégrer cette dimension dans nos politiques.

Aujourd’hui, il n’est pas excessif de dire que le débat a franchi une


nouvelle étape, et le Conseil européen de Barcelone, en mars
dernier, a souligné avec force ce rôle de la qualité. Il ne suffit plus
de dire que la quantité et la qualité vont de pair ; dans nos
économies qui deviennent de plus en plus fondées sur la
connaissance, qui sont confrontées à un vieillissement de leur
population active, c’est la qualité qui devient un facteur de
compétitivité et de création d’emplois.

Ce lien, le récent rapport publié par la Commission, l’Emploi en


Europe 2002, le démontre. La proximité de l’élargissement lui
donne une dimension nouvelle, puisque les pays candidats, en
dépit de leurs spécificités et des défis liés aux réformes qu’ils
3

poursuivent depuis une décennie, sont eux aussi engagés dans ce


mouvement vers une économie où le capital humain devient
essentiel.

D’abord, la qualité permet de créer de l’emploi. Cela passe


nécessairement par une approche globale de la qualité, sur le
modèle de ce qui fut approuvé à Laeken et reposant sur trois
grands axes. Premièrement, l’amélioration de l’accès au marché
du travail pour les chômeurs et les moins qualifiés, à travers des
politiques actives et un accompagnement individualisé, comme y
invitent les lignes directrices pour l’emploi. Deuxièmement, éviter
que s’enracinent des trajectoires qui maintiennent des personnes
dans des emplois sans perspectives de progression, avec des
conditions de travail inégalitaires, où prédominent des sorties vers
le chômage . Enfin, renforcer les possibilités de développement
des compétences tout au long de la vie, en particulier en
renforçant l’accès des salariés les moins qualifiés à la formation
professionnelle. La combinaison de ces actions favorise, selon les
simulations décrites dans Emploi en Europe 2002, une hausse
pouvant aller jusqu’à 2,5 points du taux d’emploi en 10 ans.

Ensuite, la qualité engendre de la productivité. Les raisons en sont


bien connues de la théorie, et de nombreuses études les
explicitent : un meilleur accès, plus ouvert, à la formation ; des
conditions de travail, y compris la rémunération, équilibrées selon
les formes d’emploi et de relations de travail, en particulier pour les
contrats à durée déterminée et le travail intérimaire, ; un
environnement de travail sain ; des formes d’organisation du travail
souples et permettant une articulation souple entre vie privée et vie
professionnelle ; un marché du travail inclusif, parce que favorisant
l’égalité des chances –tout cela concourt à une meilleure qualité
ressentie par les salariés et à une productivité plus élevée.

Développer une telle approche globale nécessite de mobiliser des


instruments et des politiques divers, et de susciter l’engagement
des acteurs concernés, autorités publiques mais aussi partenaires
sociaux, à tous les niveaux. C’est un enjeu particulièrement
important lorsque l’on constate, par exemple, que le vieillissement
démographique impose d’accroître le taux d’emploi des femmes et
des travailleurs âgés et que, pour cela, des emplois de qualité
seront de plus en plus nécessaires pour attirer ces personnes
dans l’emploi et prévenir leur retrait prématuré de l’emploi. C’est la
4

tâche à laquelle l’Union, et particulièrement la Commission, se


sont attelées.

D’abord, à la suite du Conseil européen de Stockholm qui avait


demandé que le thème de la qualité soit pleinement intégré dans
les lignes directrices qui forment l’armature de la « stratégie
européenne pour l’emploi », des indicateurs doivent être définis
pour mesurer les performances et identifier les progrès qui sont à
accomplir. Une première étape décisive a été franchie, comme je
le disais à l’instant, sous la Présidence belge du second semestre
2001. C’est elle qui a permis d’identifier les différentes dimensions
de la qualité de l’emploi, que je peux rappeler brièvement : qualité
intrinsèque, incarnée par la capacité d’évoluer entre niveaux de
rémunération et types de relations de travail ; capacité de
développer les compétences ; égalité effective des chances entre
les genres, marquée par la réduction des écarts de rémunération ;
un haut niveau de santé et de sécurité au travail ; un équilibre
entre flexibilité et sécurité ; un accès facilité à l’emploi pour les
chômeurs ; l’existence de dispositifs, tels que les gardes d’enfants,
permettant de concilier les différents temps de la vie ; une
implication des travailleurs dans la vie de leur entreprise ; un
marché du travail ouvert à la diversité ; et enfin la performance
globale du travail.

Ces différentes dimensions de la qualité marquent d’ailleurs une


convergence forte avec l’agenda global du « travail décent » qu’a
défini le BIT. L’Union soutient d’ailleurs avec détermination ses
efforts, et ceux de son directeur généra,l de promouvoir le respect
des normes fondamentales du travail, en particulier l’éradication du
travail des enfants, qui forment le cœur de ce que nous appelons
un « travail de qualité ».

Les dimensions de la qualité qui ont été définies à Laeken, font


aujourd’hui l’objet d’indicateurs, et, sur la base de ceux-ci, d’une
intégration dans la stratégie européenne pour l’emploi et que
doivent refléter les « plans nationaux d’action » -même si ceux-ci
ont encore des progrès importants à réaliser pour évaluer
comment les politiques nationales de l’emploi, de manière
concrète, contribuent à une amélioration de la qualité.

L’évaluation de la stratégie européenne, que nous conduisons en


ce moment, fait clairement apparaître, cependant, que la qualité,
combinée à la productivité, doit être un objectif central de la future
5

génération de plans, qui sera lancée en 2003, aux côtés des


politiques d’élévation des taux d’emploi et de promotion d’un
marché du travail ouvert et inclusif.

Mais la coordination des politiques de l’emploi, appuyée sur ces


outils d’évaluation que sont les indicateurs, n’est évidemment pas
le seul instrument permettant de créer des emplois de qualité. Au
cœur de l’Agenda pour la politique sociale européenne se trouve
en effet la conviction que, pour créer de la qualité, il faut mettre en
œuvre des politiques qui elles-mêmes améliorent sans cesse leur
qualité.

Cela veut dire d’abord utiliser tous les instruments disponibles –


coordination et benchmarking des politiques, législation, dialogue
social, soutien financier- et les combiner de manière à produire le
meilleur résultat possible. C’est l’ensemble de cette palette d’outils
qui constitue d’ailleurs le fameux « acquis » que les pays
candidats doivent avoir intégré le jour de leur adhésion, dont la
Commission vient d’indiquer qu’elle devrait avoir lieu, pour dix
d’entre eux, en 2004. Sans cacher qu’un travail important reste à
accomplir dans bien des cas, moins d’ailleurs pour adopter des
textes -à l’exception de la législation la plus récente-, que pour les
appliquer concrètement sur le terrain, à travers les administrations,
les corps de contrôle, les juridictions, mais aussi les partenaires
sociaux, auxquels le Traité confère, au niveau européen, un rôle
de création de normes.

La santé et la sécurité au travail est un exemple de politique dont


le rôle est majeur dans la qualité et qui représente un domaine où
l’action communautaire est ancienne et dense, ce qui implique que
la mise en œuvre de « l’acquis » doit être effective et sera
rigoureusement contrôlée. Or, comme le montre l’étude de la
Fondation de Dublin qui sera présentée aujourd’hui, les travailleurs
des pays candidats sont davantage exposés aux risques
physiques, comme le bruit et la chaleur, que ceux de l’Union
actuelle, et la capacité à rester dans le même emploi jusqu’à 60
ans est plus faible dans ces pays. Améliorer la qualité du travail
est donc un enjeu majeur, et cela commence par l’essentiel,
l’environnement de travail.

La nouvelle stratégie communautaire répond à ces deux exigences


–promouvoir la qualité et créer un espace européen où les règles
du jeu économique et social sont égales. Elle vise ainsi à renforcer
6

la culture de prévention, notamment dans les secteurs à forte


accidentalité, en combinant la définition de règles –y compris pour
des risques nouveaux tels que le stress et le harcèlement moral-,
la diffusion des meilleures pratiques, l’éducation au risque.

D’autres initiatives, récentes ou à venir, ont aussi comme objectif


de promouvoir la qualité. Je pense ainsi à la lutte contre la
discrimination fondée sur le genre, qui fera l’objet, à la fin de cette
année, d’une proposition de directive, fondée sur l’article 13 et
portant sur des domaines en-dehors de l’emploi, déjà couvert par
une abondante législation confortée par la jurisprudence nationale
et communautaire. Je pense aussi à la proposition de directive, en
cours de discussion au Parlement européen et au Conseil, visant à
assurer une égalité de traitement en faveur des travailleurs
intérimaires. Le rapport Emploi en Europe 2002 montre que des
conditions de travail équilibrées, non discriminatoires, entre les
différentes formes d’emploi, en améliorent la qualité et favorisent
ainsi une meilleure productivité et une élévation des taux d’emploi,
en particulier parce qu’elles permettent d’attirer de nouveaux
travailleurs et rendent plus aisées les transitions vers l’emploi
permanent. La proposition de directive vise cet objectif, en posant
le principe de non-discrimination entre travailleurs intérimaires et
travailleurs comparables de l’entreprise où ils sont envoyés en
mission, qu’il s’agisse de la rémunération, de l’accès à la
formation, et des autres conditions de travail. La souplesse de la
mise en œuvre de cette directive, en particulier la place importante
qu’elle accorde au dialogue social pour appliquer le principe de
non-discrimination aux spécificités nationales ou d’entreprise,
permettra de l’adapter à la diversité des situations.

La qualité, c’est donc une approche globale et large du travail et


de ses évolutions ; c’est aussi une combinaison permanente des
instruments ; mais, dans bien des domaines, des résultats
concrets et durables ne peuvent être obtenus sans des
partenariats entre autorités publiques et acteurs sociaux, et sans
l’affirmation d’un dialogue social autonome. Le dialogue social et
l’implication des travailleurs font d’ailleurs partie des dimensions
de la « qualité » qui ont été adoptées à Laeken, et dont nous
améliorons encore la mesure.

C’est aussi à Laeken que les partenaires sociaux européens ont


ouvert une nouvelle étape, en s’engageant à élaborer un
programme de travail pluriannuel pour décembre prochain, sur les
7

thèmes où ils sont les mieux à même d’apporter des solutions


concrètes au défi de la qualité : formation continue, organisation
flexible du travail, fixation des salaires, amélioration de la
productivité. D’ores et déjà, les partenaires sociaux ont conclu
deux accords autonomes, sur les conditions de travail des
télétravailleurs et sur le développement des compétences.

Parallèlement, la création prochaine d’un « Sommet de


concertation tripartite pour la croissance et l’emploi » permettra un
dialogue au plus haut niveau, à la veille des Conseils européens
de printemps, sur la mise en œuvre de la stratégie de Lisbonne, et
donc du programme de travail autonome des partenaires sociaux,
qui est un instrument de son succès. Ainsi, comme le rappelle la
récente communication de la Commission, le dialogue social fait
plus que jamais partie de l’acquis communautaire, à la fois dans sa
dimension autonome, que dans sa dimension tripartite, ou encore
lorsque les partenaires sociaux sont consultés sur une initiative
communautaire et peuvent alors décider de négocier un accord.

Cela veut dire que, dans les pays candidats, l'effort de « capacity-
building », entrepris depuis plusieurs années, doit être poursuivi,
d’ici 2004 et après l’adhésion. Ce renforcement des « capacités »,
c’est-à-dire l’existence d’acteurs structurés et capables d’assumer
pleinement leur rôle, qu’il s’agisse des administrations ou des
acteurs sociaux, est donc un enjeu majeur si l’Union veut être en
mesure de développer des politiques de qualité, où les règles et
les engagements collectifs se traduisent concrètement.

La préparation des pays candidats à la mise en œuvre du Fonds


social et des autres fonds structurels joue ici un rôle essentiel, car
ces instruments ont justement pour vocation de soutenir la mise en
œuvre de politiques de qualité axées sur l’investissement dans le
capital humain. Cette préparation est liée étroitement aux
« employment reviews », conclues par des documents conjoints
d’évaluation (Japs dans le jargon communautaire), que nous
avons conduites avec la plupart des pays candidats, ainsi qu’à
l’élaboration, l’an prochain, de leur équivalent en matière de lutte
contre l’exclusion, les Joint Inclusion Memoranda. Ces exercices
ont pour objectif de dégager des priorités politiques, de manière
intégrée, et associant l’ensemble des acteurs concernés. La
Commission doit organiser début décembre une conférence,
ouverte aux treize, pour faire le point sur ces exercices. D'ores et
déjà, un lien fort existe entre cet effort définition de priorités
8

nationales et la préparation des National Development Plans :


même si ceux-ci ont une vocation certes plus large, puisqu’ils
forment le cadre de l’intervention future des fonds, les axes
dégagés par les JAPs doivent y être reflétés, et se voir affecter des
moyens à la hauteur des défis.

Mesdames, Messieurs,

Les politiques sociales et de l’emploi en Europe sont aujourd’hui à


un tournant, que reflète l’enracinement du thème de la qualité
dans l’agenda de l’Union. A l’heure où l’Europe se trouve
confrontée à un vieillissement démographique, ainsi qu’à des
changements structurels qui la font évoluer vers des activités
fondées sur le savoir et l’innovation, la qualité est une réponse
globale et exigeante à la question de la croissance, de la création
d’emplois et du développement durable. Alors que nous
connaissons un ralentissement de la croissance et une montée
des incertitudes, la qualité s’affirme, non pas comme un luxe pour
les années de vaches grasses, mais comme un outil au service de
l’emploi et de la compétitivité.

Vous aimerez peut-être aussi