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Questions relatives à l'ouvrage Ceux qui restent.

Faire sa vie dans les campagnes


en déclin de Benoît Coquard.

Introduction :

1. Pourquoi selon Benoît Coquard est-il erroné de parler d'« une France périphérique » ?

2. Quels sont les deux événements à l'origine de l'intérêt récent de la recherche pour la France
rurale ?

3. Montrez que les partis politiques (gauche/droite) ont souvent une vision biaisée de cette
France rurale.

4. Comment a procédé Benoît Coquard pour réaliser cette enquête ? Pourquoi peut-on dire qu'il
connaît bien son terrain d'enquête ? En quoi est-ce un avantage ? Un inconvénient ?

Chapitre n°1 : La partie fluorescente de l'Iceberg

5. Quels sont les deux événements à l'origine du mouvement des gilets jaunes ?

6. Comment Coquard explique-t-il la relative désertion des jeunes ruraux sur les ronds-points ?

Chapitre n°2 : C'était mieux avant

7. Comment peut-on expliquer la nostalgie des jeunes ruraux pour le passé de leur père ?
(passé qu'ils n'ont pourtant pas connu!)

8. Comment se transmet cette nostalgie ?

9. Comment sont perçus les chômeurs par les villageois en ces temps de crise économique ?
Comment peut-on l'expliquer ?

10. Comment peut-on expliquer la moindre « sacralisation » des études longues ? Quel est la
condition nécessaire qui permet d'obtenir plus facilement un emploi ?

11. Comment peut-on expliquer que les filles soient moins nostalgiques de leur jeunesse que les
garçons ?

Chapitre n°3 : De « ceux qui partent » à « ceux qui restent » : la fabrique de la sédentarité

12. Pourquoi le départ des garçons qui décident d'entreprendre des études supérieures se traduit-
il par un « renversement de la table des valeurs » ?

13. Comment expliquer le fait que nombreux sont les jeunes qui ne regrettent pas leur choix de
ne pas avoir entrepris des études longues ? (deux réponses attendues).

14. Pourquoi peut-on dire que certains jeunes sont concernés par une « intégration
disqualifiante », une « autochtonie de la précarité » ?
Chapitre n°4 : Les « ailleurs » possibles et impossibles

15. Nombreux sont les jeunes qui valorisent les départs à l'étranger, notamment en Suisse.
Toutefois, Coquard affirme que l'image que se font les jeunes de ces départs à l'étranger
résulte d'un « mensonge collectif ». De quoi s'agit-il ? Quelles sont les explications données
pour expliquer ce « mensonge collectif » ?

16. Hormis le départ pour l'étranger, quel autre parcours possible est aussi valorisé auprès de ces
jeunes ruraux ? Comment peut-on l'expliquer ?

17. Parmi les « ailleurs impossibles », quelle image ont les ruraux de la capitale ?

18. Comment expliquer la réticence des parents à laisser leurs enfants jouer dans la rue ?

Chapitre n°5 : « Chez les uns les autres »

19. Quelle image ont les jeunes des bistrots ? Comment expliquer celle-ci ?

20. Quel est le lieu de sociabilité désormais privilégié par les jeunes ?

21. Pourquoi le pastis est-il un moyen d'affirmer sa « masculinité » ?

22. Pourquoi peut-on parler d'une division sexuée des rôles au cours de ces moments de
sociabilité ? Quelle est la mission principale des femmes ?

23. Pourquoi peut-on dire que l'organisation des foyers est pensée pour recevoir les convives ?

Chapitre n°6 : L'économie amicale, entre solidarité et renforcement des inégalités

24. Pourquoi peut-on établir un rapprochement entre la division sexuée des rôles au sein de la
sphère professionnelle et au sein des loisirs ?

25. Comment peut-on expliquer le rejet qui touche Franck ?

26. Expliquez l'expression utilisée par certains jeunes ruraux : « Habiter dans un village, c'est un
peu habiter en Corse sans la mer ».

Chapitre n°7 : « Déjà nous » : une conscience politique du nécessaire

27. Pourquoi la vie dans le village est-elle plus en rapport avec la vision de l'espace social
proposé par Bourdieu et non la vision des classes sociales proposée par Marx ?

28. Pourquoi y a-t-il parfois un paradoxe entre le racisme affirmé de certains jeunes et leurs
amitiés ?

29. Quelles sont les conditions nécessaires à l'intégration de certains villageois issus de
l'immigration maghrébine ?
Notes de lecture sur l'ouvrage Ceux qui restent. Faire sa vie dans les campagnes
en déclin de Benoît Coquard

par Florent DELARUE

Introduction :

Cet ouvrage se propose de parler des jeunes adultes de la France périphérique, qui vivent dans les
zones rurales qui se dépeuplent et s'appauvrissent. Pour l'auteur, le mot « France périphérique » est
un mot-valise. Il convient de distinguer certains territoires ruraux, notamment ceux qui voient leur
population augmenter, qui concentrent une forte mixité sociale et ceux par contre qui sont en crise
(anciens bastions industriels où les jeunes diplômés migrent).
Longtemps oubliés de la recherche, ces territoires sont, avec l'avènement du vote RN et le
mouvement des gilets jaunes, désormais étudiés.
Les représentations faites de ces territoires font souvent l'objet d'un folklore avec à gauche la vision
d'un style de vie « beaufs racistes » et à droite la vision de la « vraie France », la Franc e oubliée.
Cette vision résulte du fait que cette classe est dominée et celle qui parle en son nom lui est très
éloignée.

Pour son enquête Benoît Coquard a dû jongler entre sa casquette de chercheur en sciences sociales
et celle de natif de cette France en déclin. Comme c'est un terrain qui lui est familier, l'auteur a dû
chercher à s'en distancier pour rendre compte pleinement des comportements. Pour garder
l'anonymat d'une population « sans histoire » qui n'aime pas se dévoiler, les noms et lieux ont été
modifiés.

L'enquête par immersion auprès de 200 jeunes dont les deux-tiers se connaissent a permis grâce à
cet espace socialement homogène de bien cerner les styles de vie, les goûts et les jugements de
valeur. Cela n'aurait pas été le cas en présence de situations socialement mixtes où nombreux
auraient eu peur de passer pour des « bouseux ».

Le premier chapitre se propose de revenir sur la mobilisation des gilets jaunes, de ceux qui restent et
ont embrassé le mouvement, nostalgiques du temps d'avant et conscients du déclin de leur village
face au dynamisme des métropoles. Ils se retrouvent dans le vote Le Pen même si paradoxalement
ils militent pour une meilleure répartition des richesses.

Le livre mettra ensuite en lumière les destinées opposées de ceux qui partent et ceux qui restent et
insistera sur le fait que les femmes ont moins de perspectives d'avenir professionnel dans ces zones
peu pourvues en emplois mais ont tendance à moins restées grâce à leur meilleure réussite scolaire.
Enfin le livre s'attachera à présenter les différentes trajectoires prises par ceux qui restent avec
l'enjeu crucial de la réputation.

L'ouvrage reviendra sur le rôle du « Nous », du « d'abord nous ». Plus que la peur d'un « choc des
civilisations » ou d'un « grand remplacement », dans ces villages en crise ce qui compte c'est la
prise de conscience collective, le groupe doit primer dans ce monde conflictuel où le travail s'est
notamment raréfié. On retrouve un antagonisme envers les étrangers où le déjà nous peut s'entendre
par d'abord nous, les Français !
Chapitre n°1 : La partie fluorescente de l'Iceberg

Coquard revient sur le début du mouvement des gilets jaunes avec l'augmentation des taxes qui
pénalisent ceux des campagnes qui dépendent pleinement de leur voiture. Ainsi, Vanessa avoue en
avoir marre des amendes pour excès de vitesse. Elle, comme tant d'autres, qui doit utiliser sa voiture
pour tout. En interrogeant certains gilets jaunes, Coquard observe que nombreux ne prennent pas
part à la politique et ont le sentiment d'être laissés pour compte. Ils insistent sur le fait de ne pas
passer pour des assistés. La réputation est quelque chose de fondamental pour les ruraux. Nombreux
sont rassurés de voir que le mouvement est populaire auprès des automobilistes bloqués.

Sur les ronds-points, on retrouve beaucoup de précaires, des femmes issues des PCS ouvriers et
employés avec des contrats précaires, des retraités mais peu de jeunes en emploi. Ils ne veulent pas
adhérer au mouvement pour ne pas ternir leur bonne réputation et cela même s'ils partagent la
plupart des revendications qui sont portées. Ils ne veulent en aucun cas paraître pour des fainéants
ou des « cas sociaux ». Dans les campagnes, la réputation est essentielle. Il faut passer pour un
travailleur, pas pour un fainéant.

Chapitre n°2 : C'était mieux avant

Nombreux sont les jeunes nostalgiques d'un passé qu'ils n'ont pas connu. Le temps où l'on pouvait
boire et éviter facilement les gendarmes par les petites routes. Ils sont fiers de parler de la jeunesse
de leurs pères surtout quand celui-ci a pu connaître une ascension sociale et obtenir ainsi une
reconnaissance au sein du village. Pour ces jeunes souvent déclassés, c'est un moyen d'affirmer que
leur famille est localement reconnue. Le patronyme est une chose importante au sein des villages
comme en atteste l'anecdote de Nicolas qui grâce au nom de son père (Paul Ramos) arrive à entrer
au bal.

Si les jeunes urbains ont des loisirs qui leur sont propres et développent ainsi leur propre culture,
dans les milieux ruraux, les loisirs sont communs aux différentes générations (football, chasse). Les
hommes plus âgés servent donc de modèle pour les plus jeunes. Les anciens racontent ainsi leurs
exploits sportifs, les parties de chasse et de braconnage, les conduites sous l'empire d'un état
alcoolique, etc., à force de les écouter les jeunes sont nostalgiques de cette époque.

Lors du vin d'honneur donné à l'occasion d'un mariage, Jacques et Christian, nostalgiques de leur
jeunesse des années 1970, se remémorent le temps des bals hebdomadaires où il était facile de
draguer.

Aujourd'hui, dans les villages, les bals ont été désertés au profit d'autres loisirs comme les boîtes de
nuit mais surtout à cause du déclin économique. Coquard fait ainsi référence à la situation
d'Émilien, ouvrier, et de Sandra. Soucieux de ne pas passer pour des « cas sociaux » avec l'arrivée
de leur premier enfant, Sandra est heureuse de dire qu'elle est sortie de l'héroïne, qu'elle est stable
dans son couple et qu'elle cherche activement du travail (elle trouvera un travail de vendeuse six ans
après).

Avec les contrôles policiers et le risque d'avoir une réputation, le domicile privé est devenu le lieu
des sociabilités. Les jeunes regrettent le temps passé où il était alors possible de profiter.

Nombreux sont les jeunes qui regrettent aussi le temps de leur père où il y avait du boulot, une
certaine autonomie dans le travail et la possibilité de tenir tête au patron (on pouvait lui dire merde
et retrouver du travail dans la journée). Aujourd'hui, malgré la crise, celui qui n'a pas de travail est
perçu comme un fainéant, comme quelqu'un qui ne vaut rien, qui profitent des aides sociales. Avec
l'étiquette qui leur est collée, ils sont stigmatisés et ne peuvent donc même pas trouver à s'employer
au noir. On ne leur fait pas confiance, or, la confiance est primordiale dans les villages.

Pour asseoir une bonne réputation, les jeunes embauchés vont se présenter comme faisant partie de
l'entreprise de M. Untel qui est lui-même respecté dans le village, par son travail et/ou ses activités
(chasse, football, etc.). C'est un moyen pour eux d'asseoir leur statut. Le fait de ne pas avoir fait
d'études longues n'est pas un problème si on a du travail et que l'on a fait ses preuves dans son
travail. La reconnaissance provient avant tout du groupe d'appartenance et non de l'école sachant
qu'il y a dans ces cantons du Grand-Est industriel très peu de cadres et donc de trajectoires
étudiantes. L'entrée précoce sur le marché du travail n'est pas stigmatisée surtout si elle permet aux
jeunes d'aller vers les métiers valorisés (métiers dangereux ou qui utilisent des machines pour les
hommes ; métiers de la comptabilité ou du relationnel client pour les femmes). Cette précocité dans
l'emploi s'accompagne souvent d'une précocité matrimoniale car ces jeunes ne souhaitent pas être
stigmatisés ou connaître la plongée dans l'héroïne comme c'est le cas de nombreux jeunes qui n'ont
pas réussi à intégrer le marché du travail dans les années 2000.

Contrairement aux garçons, les filles sont bien moins nostalgiques de l'époque de leur mère. Elles
sont nostalgiques de leur adolescence et de la période d'insouciance que cela représentait
notamment avec les amitiés entretenues avec les garçons. Contrairement aux garçons, nombreuses
sont les filles qui sont mobiles dans le cadre de leurs études ou qui se coupent de leur réseau car
elles doivent se mettre en couple et respecter les obligations conjugales. Contrairement aux femmes,
les hommes ont tendance à maintenir leurs ressources sociales pour prolonger leur jeunesse en
s'intégrant à un collectif d'amis valorisant.

Les filles sont moins nostalgiques de la jeunesse de leur mère car à leur époque le contrôle social
était très fort sur les filles. Celles-ci devaient se prémunir des « on dit », de la mauvaise réputation,
notamment en matière de sexualité (ne pas multiplier les conquêtes pour ne pas paraître pour une
fille facile).

Chapitre n°3 : De « ceux qui partent » à « ceux qui restent » : la fabrique de la sédentarité

Les cantons du Grand-Est dans lesquels Coquard a enquêté se vide sous l'effet certes du
vieillissement de la population mais surtout du départ des jeunes femmes en âge de procréer (18-25
ans). Le départ se fait après le bac car il faut gagner les villes universitaires que sont Metz, Reims,
Dijon, Strasbourg et Nancy, qui sont trouvent toutes à plus d'une heure. Ces départs concernent
surtout les filles qui bénéficient bien davantage de la politique de la démocratisation scolaire
amorcée dans les années 1980.

Pour ceux qui partent si cela ne se traduit pas par un changement de département, ce changement se
couple à un passage des frontières sociales qui n'est pas sans conséquences. Il s'agit d'un
véritablement « renversement de la table des valeurs ».

En parallèle, ceux qui restent parce qu'ils n'ont pas entrepris d'études se retrouvent bloqués car les
quelques emplois industriels proposés nécessitent désormais des qualifications (bac professionnel,
BTS). Ils se retrouvent dans une situation prolongée de précarité et souvent en proie à une
consommation d'ecstasy et d'héroïne. La part des jeunes non insérés dans les cantons étudiés
oscillent entre 20 et 25% soit des taux comparables ou supérieurs à la Seine-Saint-Denis. Malgré
cela, l'école n'est pas un regret pour ces jeunes. Le discours anti-école est très prégnant notamment
sur le fait que les diplômés ne savent rien faire de leurs dix doigts. Ceux qui comptent c'est avoir un
travail, une conjointe et être propriétaire. On retrouve aussi ce discours dans la bouche de celles qui
restent. Grâce à une mise en couple précoce et la naissance, elles existent au sein du village,
contrairement à celles qui partent et qui sont désormais oubliées.

Le fait de partir est un risque pour de nombreux jeunes de couper les ponts avec leurs propres
normes locales d'accomplissement (football, chasse), jeunes qui peuvent difficilement se référer à
une contre-culture sachant que peu d'étudiants reviennent travailler au village et que les universités
sont éloignées.

Malgré tout, Ludivine et Mickaël regrettent de ne pas avoir entrepris des études concrètes (qui
mènent à un métier qualifié). Mickaël se sentait dévalorisé comme manœuvre et est désormais au
RSA.

Au sein du village, le diplôme ne confère pas particulièrement de prestige. En effet, très peu de
parents sont diplômés, ils ne connaissent donc pas les différents diplômes et leur importance
respective. De plus, ils aiment ressasser le fait que certains jeunes partent étudier pour, au final, se
retrouver à glander au chômage et vivre au crocher de leurs parents. Ce sont les études courtes et
professionnelles qui sont valorisées. Ces études courtes permettent de s'insérer rapidement sur le
marché du travail local et d'entretenir ainsi le capital d'autochtonie.

Cela permet aussi de s'acheter des biens de consommation ostentatoire comme des motos que les
jeunes partis étudier en ville ne peuvent se payer.

Les étudiantes qui ont quitté le village ont tendance à vouloir postuler à des emplois en-deçà de
leurs qualifications car elles souhaitent trouver rapidement du travail et ne pas rester sans rien. Une
fois diplômées, elles sont peu à peu isolées de leur ancien réseau de sociabilité. L'inexistence des
loisirs féminins dans les villages explique pourquoi il est difficile d'entretenir ce réseau de
sociabilité.

En plus des étudiants, certains précaires qui ont peu d'attaches peuvent être tentés aussi par l'exode.
Ainsi, Dimitri, sur un coup de tête part en ville et trouve un poste de manutentionnaire mieux
rémunéré. Il dit vouloir ne pas stagner et sortir de la mauvaise influence des gens d'ici (drogue).

Parmi ceux qui restent les précaires sont souvent étiquetés et mis au ban des réseaux de sociabilité.
C'est le cas par exemple de Lorenzo, obligé de fréquenter les « crevards du village » car rejeté par
les autres, ce qui tend à renforcer le processus d'étiquetage qu'il subit. Le patronyme explique cette
mise à l'écart, Lorenzo venant d'une famille à problèmes (père qui ne le reconnaît pas à sa
naissance, mère qui s'en désintéresse).

On peut dès lors parler d'une intégration disqualifiante ou d'un autochtonie de la précarité. Ce
processus d'étiquetage est renforcé par la judiciarisation des affaires familiales qui s'étalent dans les
journaux locaux à la rubrique des faits divers. Les patrons et ouvriers ne veulent pas d'un gars
comme lui au travail, on critique sa fainéantise supposée et on moque sont statut de chômeur ou de
travailleur en contrat aidé, « payé à ne rien faire ! ».

Chapitre n°4 : Les « ailleurs » possibles et impossibles

Coquard, pour avoir passé de nombreuses heures chez les enquêtés, observe que la télévision
fonctionne en permanence. La télévision occupe une place centrale dans les habitats villageois et de
façon plus générale des classes populaires. Souvent de plus d'un mètre de diagonale, l'habitat
s'organise autour de la télévision. Lors d'un apéritif, il n'est pas rare que la conversation s'arrête pour
commenter un reportage. C'est le cas notamment lors de ce reportage sur les travailleurs frontaliers
suisses qui suscitent l'envie de Lionel, Martin et Arnaud. C'est le cas d'un de leur ami, devenu
maçon en suisse et qui ferait 5 000 euros par mois. Coquard reprend l'idée de « mensonge collectif »
développée par Abdelmalek Sayad qui désigne « une méconnaissance collective de la vérité
objective de l'émigration qui est entretenue par tout le groupe ».

Pour Coquard, la première caractéristique de ce « mensonge collectif » réside dans le fait de la


sélectivité des parcours. Ainsi, les parcours qui s'éloignent trop de ceux de ces jeunes ne sont pas
mentionnés (cas des enfants issus des familles de cadres). Les émigrés dont les parcours sont
mentionnés sont ceux qui ont des parcours au départ assez semblables à ceux qui sont restés et qui
occupent des postes pour lesquels ceux qui restent se sentiraient compétents.

Ensuite, la Suisse est, pour ces jeunes, une sorte d'eldorado, notamment ceux qui sont au chômage
depuis longtemps, car cela est un moyen de montrer qu'ils aspirent à travailler et sont ambitieux.
C'est un moyen idéalisé d'échapper aux jugements de valeur des villageois. Pour eux la Suisse
permet un anonymat urbain où personne ne te calcule.

Troisièmement, la Suisse est un moyen de revenir « blindé » pour « leur mettre la rage » notamment
à ceux qui se permettaient de critiquer.

En dehors des hypothétiques ruées vers l'or en Suisse ou dans le sud de la France dans une moindre
mesure, le modèle d'émigration à la fois stable et honorable se trouve dans les métiers de l'armée,
avec en haut de l'échelle des valeurs le corps des pompiers de Paris.
Coquard prend ainsi l'exemple de Marc, 24 ans, soucieux d'échapper à sa condition ouvrière, lui
dont les deux parents ont été licenciés d'une usine à cinquante ans passés, qui a embrassé la carrière
de pompier de Paris. Ce métier est un moyen d'avoir une stabilité économique et surtout de
bénéficier d'un haut degré de prestige social au sein du village (on vante son courage, son sérieux,
sa nouvelle musculature, etc.).
Marc vit en couple avec une femme employée dans un salon de coiffure, ils ont acheté une maison
et ont acheté de nombreux biens rares distinctifs (quad, voiture coupé sport, chat de race). Le
parcours de Marc séduit car il est un moyen de réussite sociale dans la fonction publique mais par
contournement de l'école.

Parmi ceux qui restent, les précaires sont souvent étiquetés et mis au ban des réseaux de sociabilité.
C'est le cas par exemple de Lorenzo, obligé de fréquenter les « crevards du village » car rejeté par
par les autres, ce qui tend à renforcer son processus d'étiquetage. Le patronyme explique cette mise
à l'écart. Lorenzo venant d'une famille à problèmes.

On peut dès lors parler d'une intégration disqualifiante ou d'une autochtonie de la précarité. Ce
processus d'étiquetage est renforcé par la judiciarisation des affaires familiales qui s'étalent dans les
journaux locaux à la rubrique des faits divers. Les patrons et ouvriers ne veulent pas d'un gars
comme lui au travail, on critique sa fainéantise supposée et on moque son statut de chômeur ou de
travailleur en contrat aidé, supposé être « payé à ne rien faire ».

Beaucoup de jeunes du village ont une aversion pour Paris car ils sont supporters de l'OM et qu'ils
tiennent trop à leur réseau de sociabilité. Pour eux, la vie parisienne est une vie où personne ne se
connaît. Les enquêtés questionnent Coquard sur les raisons qui le poussent à habiter à Paris avec la
cherté des loyers, logements et l'insécurité.

Pour maintenir la réputation de la famille, les enfants ne sont plus autorisés à traîner les rues. La
surmédiatisation des enlèvements d'enfants via la télévision et les réseaux sociaux explique aussi la
moindre tolérance à l'égard des sorties. Pour les études, certains parents se disent réticents à l'idée
de voir leurs enfants partir étudier dans les grandes villes.
Chapitre n°5 : « Chez les uns les autres »

On assiste à la fermeture des bistrots dans les villages en déclin, jadis haut lieu de la sociabilité.
Pour les femmes, les bistrots demeurent infréquentables et pour les jeunes hommes, il se sert qu'à
acheter des cigarettes et jeux à gratter. En lieu et place des bistrots, c'est le foyer qui fait office de
lieu de sociabilité. En quête de respectabilité, les jeunes couples s'endettent pour faire bâtir en
périphérie du centre des villages où l'habitat est souvent vétuste. Cet endettement réduit les
possibilités de sorties et génère une sociabilité de l'intérieur.

Pour beaucoup de jeunes du village, fréquenter le café c'est basculer du côté obscur. Cela renvoie à
l'image de l'alcoolique. Il faut donc justifier sa présence lorsque l'on est surpris dans celui-ci (« j'y
vais pour les jeux à gratter » affirme Jonathan). La sociabilité se passe donc plutôt au sein des
foyers comme chez Émilien et Sandra chez qui on s'invite souvent !

Il y a toutefois une ambiguïté importante car si le foyer est un lieu qui permet de dire tout ce que
l'on veut entre personnes de confiance, il s'y exerce un important contrôle social puisque les invités
peuvent juger les comportements asociaux ou la tenue du foyer.

Les invités sont souvent « pris en embuscade » avec le pastis et/ou le whisky. Le pastis, bien plus
chargé en alcool que la bière, est un moyen pour les hommes d'affirmer leur masculinité en
s'adonnant à des tournées toujours plus dosées. Contrairement à la bière qui se boit individuellement
(la canette), le pastis permet des moments ritualisés où les doses servies deviennent de plus en plus
fortes.
On retrouve une forte division sexuée puisque les femmes sont souvent en retrait de ces apéritifs,
prêtent à intervenir lorsque leurs hommes, trop enivrés, commencent à perdre le contrôle.

Les femmes ont souvent une position subalterne aux hommes puisque se sont-elles qui ont souvent
quitté leur village pour rejoindre leur conjoint dans son village, conjoint qui a déjà un travail et une
bande de potes.
Leur moindre intégration dans les groupes d'appartenance est aussi liée aux moindres perspectives
d'emploi et par leurs conditions de travail précaires. L'arrivée des femmes dans le groupe d'amis est
devenue la norme, il permet une stabilité du couple et une certaine respectabilité dans un univers où
les ressources de l'autochtonie se raréfient (disparition des bals, bistrots, etc.). Cependant, la femme
reste en retrait. Les perspectives d'emploi sont faibles et l'entretien du foyer incombe principalement
aux femmes surtout avec l'arrivée d'un enfant.

L'intérieur des foyers témoigne de la domination masculine. Tout est organisé pour favoriser
l'accueil des convives. On entre par le salon où trône une grande télévision. On retrouve très
souvent un bar qui permet de servir les invités et une cheminée qui permet de faire griller les
morceaux de gibiers chassés. Les placards sont plein de biscuits apéritifs pour retarder le passage du
« manger vraiment » qui sonnerait le départ des convives.

Chapitre n°6 : L'économie amicale, entre solidarité et renforcement des inégalités

Si les usines et bistrots arrivaient à fédérer à une échelle locale, désormais les clans regroupent des
amitiés qui s'étendent sur plusieurs localités et même départements. Le clan à Boris, par exemple,
fonctionne ainsi. Il permet de redynamiser le club de football dans un entre-soi masculin. Les
femmes accompagnent souvent leur conjoint et sont en retrait. Un parallèle peut être fait avec la
sphère professionnelle. Les hommes y sont valorisés, visibles et travaillent en équipe. Ils retrouvent
au football ce collectif du travail. Les femmes sont quant à elles cantonnées, lorsqu'elles travaillent,
à des métiers individuels souvent chez les personnes âgées. Elles restent en retrait et se contentent
d'accompagner leur conjoint.
Jadis, du temps des industries, les femmes se retrouvaient dans un entre-soi avec les associations de
majorettes, de gymnastique et de football. La disparition des concours de miss avec l'évolution des
normes relatives aux rôles des femmes et le manque de bénévoles marque là encore le déclin des
lieux de sociabilités féminines.

Pour faire partie intégrante de la bande, le premier prérequis est la disponibilité temporelle. Il faut
donner de son temps pour faire la bringue, pour dépanner un membre qui construit sa maison, n'a
plus de permis, etc.

De même, pour faire partie de l'équipe première senior, il ne suffit pas d'être bon avec le ballon. Il
faut faire partie de la bande, être capable de se lever et de prendre sa voiture. Ainsi, même si Franck
est le meilleur joueur de l'équipe première, son refus de participer aux moments de sociabilité lors
de la troisième mi-temps explique sa mise à l'écart de l'équipe.

Si l'attachement à la bande est valorisée, cela n'est pas en contradiction avec le fait de devenir père.
Il s'agit d'une étape valorisée qui fait souvent l'objet d'un rite de passage : on arrose l'événement et
le père se fait souvent tatouer le nom de son enfant.

Même s'ils occupent des postes d'ouvriers, grâce à la bande, ces jeunes cultivent un « entre-nous »
qui leur confère un prestige social, une réelle intégration sociale et des marges de manœuvre.
Certains enquêtés affirment qu'habiter dans un village rural c'est habiter en « Corse sans la mer ».
On retrouve ici l'idée de défendre son territoire sans se laisser influencer par les contraintes
extérieures. Ainsi, au restaurant où elle se réunit, la bande à Boris peut négocier un buffet à volonté
et des prix sur les boissons, certains s'arrangent pour arrondir les fins de mois avec du black en
empruntant les véhicules de leurs différentes entreprises.

Chapitre n°7 : « Déjà nous » : une conscience politique du nécessaire

Coquard insiste sur le fait que le Grand Est est une terre de droite qui a peu à peu basculé vers le FN
(RN) ce qui n'a pas manqué de faire parler les analystes politiques. Le mouvement des gilets jaunes
a lui aussi contribué à mettre en lumière cette France peu encline à se mobiliser habituellement. Si
au départ peu de jeunes se mobilisent dans le mouvement mais arborent tout de même un gilet jaune
en soutien, lorsque le mouvement a basculé sur de la violence, nombreux sont les jeunes qui se sont
montrés hostiles au mouvement craignant pour leur réputation. Ceux engagés dans le mouvement
ont vu l'émergence d'une conscience collective et se sont peu à peu appelés « la famille »,
témoignant de l'importance du « Nous » dans les milieux populaires.

On est cependant très loin de l'idée de la « classe pour soi » développée par Marx puisque le
« Nous », le « D'abord nous », s'adresse à un collectif restreint, celui de la bande de potes, qui
permet de se tenir à l'écart des « cassos ».

En concurrence avec d'autres jeunes et se sachant dévalorisés en dehors du village, les jeunes
attachent une importance particulière à leur groupe, en atteste l'utilisation des termes « d'abord
nous », « les vrais amis ». Ces amitiés peuvent parfois voler en éclats à cause de la concurrence
exacerbée sur le marché de l'emploi local.

Parmi les vrais potes peuvent se retrouver ouvriers/employés et artisans/chefs d'entreprise. Si cette
opposition s'éloigne de la vision marxiste des classes sociales, elle reprend celle de Bourdieu de
l'espace social où ouvriers et petits chefs d'entreprise partagent une position relativement similaire
en bas à droite du repère.
Ils partagent ainsi des loisirs communs comme la chasse et le football et leurs conjointes ont
souvent une position sociale inférieure et très proche.

Cependant, les amitiés peuvent parfois se défaire lorsque le statut d'emploi évolue. La perte d'un
emploi peut contribuer à ternir une bonne réputation comme ce fût le cas avec Éric toujours accusé
d'avoir besoin de quelque chose. La bande de potes peut parfois servir à maintenir une bonne
réputation lors de la perte d'un emploi par exemple en affirmant que la personne n'est pas
« fainéante ».

Les jeunes intégrés se disent à 100% pour Le Pen, là où les plus précaires ont davantage d'affinités
avec la gauche, gauche accusée par les premiers de faire le jeu des fainéants. Ce ralliement à Le Pen
est pleinement assumé et est lié à la nécessité de suivre l'avis des leaders d'opinion du groupe.

Leur rapport au racisme est empreint d'une certaine ambiguïté puisque si certains jeunes affirment
être racistes, ils ont des amis issus de l'immigration et estiment qu'ils font partis de la famille. Une
condition se révèle nécessaire à l'intégration au sein du groupe de ces immigrés. Ils doivent adopter
le style de vie locale : boire de l'alcool, fumer du cannabis et ne pas revendiquer directement « être
musulman ».

Conclusion : Un espace relégué, mais un espace d'autonomie...

Si pour ceux qui n'y résident pas, les campagnes en déclin sont le symbole de « coins paumés »,
pour ceux qui y vivent, c'est le seul espace qui permette de vivre comme ils l'entendent.

Ceux et celles qui restent dans ces campagnes trouvent un cadre d'autonomie où les normes de
comportement et les logiques de concurrence qui valent ailleurs ne pèsent pas lourd (ex : il est
possible de chasser sans se heurter à une opposition ; on peut bâtir ou rénover sa maison à des prix
modiques, etc.).

Dans ces cantons dépeuplés du Grand-Est, on valorise moins une identité culturelle ou un
patrimoine commun que l'appartenance à un groupe. Les fermetures d'usines, d'hôpitaux peuvent
bousculer, dans l'indifférence générale, le destin des classes populaires installées loin des grandes
villes. Face à cette incertitude, la maîtrise d'un espace familier et la reconnaissance de « ceux d'ici »,
qui font toujours partie du décor, ont une fonction rassurante.

Les groupes de pairs constituent des petites institutions sélectives, affinitaires et solidaires, qui
compensent ou atténuent l'obsolescence des cadres intégrateurs qui structuraient auparavant des
sociabilités ancrées dans le système économique locale (manufactures textiles, scieries,
associations, bistrots, etc.).

Malgré la crise industrielle et les nombreuses fermetures de commerces, malgré le fait que la
voiture soit devenue indispensable et remplace vélos et mobylettes, nombreux sont celles et ceux
qui disent vouloir « rester ici ». Ils en font même une fierté, quitte à se débrouiller à l'aide des
« vrais potes ». Ces « vrais amis » forment une catégorie privilégiée, qui développe une conscience
collective qui n'est plus assise sur l'appartenance à un « nous » large et fédérateur, mais sur un
« déjà nous », plus restreint et sélectif qu'auparavant.

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