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Dossier scientifique

Hémochromatoses
Pierre Brissota,*, Eolia Brissotb, Marie-Bérengère Troadecc, Olivier Loréald, Martine Roperte
a Professeur émérite de médecine, université de Rennes1 ; institut NuMeCan, Inserm U-1241, Rennes, France
b Service d’hématologie clinique et de thérapie cellulaire, hôpital Saint-Antoine, AP-HP, Paris, France ; Sorbonne universités, UPMC
Univ. Paris 06, AP-HP, centre de recherche Saint-Antoine, UMR-S938, Paris, France
c Université de Brest, Inserm, EFS, UMR 1078, GGB, F-29200 Brest, France ; CHRU Brest, Service de génétique, laboratoire de
génétique chromosomique, Brest, France
d Inserm ; institut NuMeCan, Inserm U-1241, université de Rennes 1, Rennes, France
e Service de biochimie-toxicologie, laboratoire de biochimie spécialisée, centre hospitalier universitaire Pontchaillou, Rennes,
France ; institut NuMeCan, Inserm U-1241, université Rennes 1 ; Plateforme analyse elémentaire et métabolisme des métaux
(AEM2), Rennes, France.
Centre hospitalier universi-
*Auteur correspondant.
taire
Adresse e-mail : pierre.brissot@gmail.com (P. Brissot).

RÉSUMÉ
Les hémochromatoses bénéficient d’une grande clarification de leur nosologie grâce à la prise en compte des méca-
nismes qui sous-tendent le développement de la surcharge en fer. Ainsi, le dénominateur commun mécanistique
est la déficience en hepcidine, hormone du métabolisme du fer, qui, en favorisant l’activité d’export cellulaire du
fer par la ferroportine au niveau du duodénum et de la rate, entraîne une cascade : hyper-sidérémie, apparition de
fer non lié à la transferrine, ciblage en premier lieu du foie par ce fer non lié, effet toxique cellulaire conduisant à
l’endommagement d’organes clés et développement de la maladie hémochromatosique, source de morbidité et de
mortalité. Chez le sujet caucasien, c’est l’hémochromatose liée au gène HFE qui est de loin la plus fréquente. Les
hémochromatoses non liées à HFE sont rares, multi-ethniques et souvent sévères. L’apport de la biologie est majeur
tant pour la compréhension de la physiopathologie (rôle de l’hypo-hepcidinémie) que pour l’évocation du diagnostic
(coefficient de saturation de la transferrine, ferritinémie), pour l’identification étiologique (tests génétiques), et pour
le suivi thérapeutique (importance de la ferritinémie et possiblement dans l’avenir de l’hepcidinémie). Le diagnostic
des hémochromatoses est devenu totalement non invasif (basé sur la clinique, la biologie et l’imagerie) et sa théra-
peutique, qui demeure basée sur les saignées, devrait faire appel dans l’avenir à des approches innovantes visant à
restaurer un métabolisme du fer normal.

ABSTRACT
Hemochromatoses
Hemochromatoses benefit from a great clarification of their nosology thanks
MOTS CLÉS to the consideration of the mechanism underlying the development of iron
◗ coefficient de saturation overload. Thus, the mechanistic common denominator is hepcidin deficiency
de la transferrine which, by stimulating the cellular iron export activity of ferroportin in the
◗ ferritine duodenum and the spleen, leads to a cascade: hyper-sideremia, appearance
◗ hémochromatose of non-transferrin bound iron that first targets the liver, and exerts cellu-
◗ HFE lar toxicity damaging key organs and corresponding to the development of
◗ hepcidine hemochromatosis, that is source of morbidity and mortality. In the Caucasian
◗ surcharge en fer subject, hemochromatosis linked to the HFE gene is by far the most frequent.
Non HFE-related hemochromatoses are rare but multi-ethnic and often severe.
KEYWORDS The contribution of biology is major for the understanding of the pathophy-
◗ ferritin siology (role of hypo-hepcidinemia), for the diagnosis (coefficient of transferrin
◗ hemochromatose saturation, ferritinemia) including the etiological identification (genetic tests),
◗ HFE and for the therapeutic follow-up (importance of ferritinemia and possibly in
◗ hepcidin
the future of hepcidinemia). The diagnosis of hemochromatosis has become
◗ iron overload
totally non-invasive (based on clinical, biological and imaging techniques) and
◗ transferrin saturation
its therapy, which remains based on phlebotomies, should in the future call for
innovative approaches aimed at restoring normal iron metabolism.
© 2021 – Elsevier Masson SAS
Tous droits réservés.

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surprise, tout un champ de surcharges génétiques en


LISTE DES ABRÉVIATIONS : fer qui s’avérèrent, au fil des avancées de la recherche
BMP/SMAD : bone morphogenic protein/small mothers against
decapentaplegic
translationnelle, se démarquer génétiquement mais aussi
CRP : C-Reactive Protein physio-pathologiquement et cliniquement de la forme
CS-Tf : coefficient de saturation de la transferrine « habituelle » de la maladie. Il s’ensuivit une classification
ERK/MAPK : extracellular-signal-regulated kinase/mitogen-activated relativement complexe fondée avant tout sur les variants
protein kinase
génétiques en cause, et sans réelle référence aux méca-
IRM : imagerie en résonance magnétique
FNLT : fer non lié à la transferrine
nismes physiopathologiques sous-tendant le développe-
FPR : fer plasmatique réactif ment de la surcharge et, en conséquence, l’expression
NGS : next generation sequencing clinique des différentes entités génétiques concernées. Il
TIBC : total iron binding capacity est donc apparu indispensable d’actualiser une situation
UIBC: unsaturated iron binding capacity qui, pour le bio-clinicien, était devenue assez confuse, de
manière à rétablir une certaine logique diagnostique et
thérapeutique [3,4].
Introduction
Bien des années se sont écoulées depuis les toutes premières
Nouvelles classification
descriptions de l’hémochromatose. C’est, en effet, vers la fin et nomenclature
du XIXe siècle que l’École de médecine française rapporta
les premiers cas de « cirrhose bronzée avec diabète » À quoi correspond désormais
et que le pathologiste allemand Von Recklinghausen le terme d’hémochromatose ?
rapporta ce syndrome à un excès de fer tissulaire et for-
gea le terme d’hémochromatose. La nature génétique de Conformément aux orientations prises par une réu-
l’affection, suggérée mais contestée, fut démontrée par nion d’experts lors du congrès international (BioIron)
Simon et al., en 1976, qui localisèrent le gène en cause sur à Heildelberg, Allemagne en avril 2019, l’hémochroma-
le chromosome 6 du fait de l’étroitesse de son lien avec tose peut être définie comme une maladie de surcharge
le système HLA [1]. Mais ce n’est que vingt ans plus tard en fer d’origine génétique et dans laquelle le dévelop-
que le gène lui-même, dit HFE, fut découvert par Feder pement de la surcharge est dû à une déficience de (ou,
et al. au sein d’une compagnie biotechnologique améri- plus rarement, à une résistance à) l’hepcidine qui est
caine [2]. Cette identification génétique, étape cruciale l’hormone de régulation systémique du fer (Busti F et al
dans la caractérisation de la maladie, ouvrit, non sans manuscrit en préparation) (figure 1).

Figure 1. Cascade mécanistique des hémochromatoses :


des mutations aux atteintes d’organes.

© P. Brisso

* se réfère à l’hepcidino-déficience ; ** se réfère à l’hepcidino-résistance.

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Les oligoéléments en santé

L’hepcidine clé de voûte de la nouvelle pleinement élucidés, font intervenir des perturbations
classification des surcharges génétiques de la transduction du signal induit par ces protéines
en fer mutées au niveau de la membrane cellulaire. Les voies
L’hepcidine [5,7] est une hormone synthétisée essen- de signalisation perturbées sont les voies BMP/SMAD et
tiellement par les cellules parenchymateuses du foie, ERK/MAPK. Le sujet hémochromatosique se comporte
à savoir les hépatocytes. Une fois délivrée dans le donc comme s’il était chroniquement déficient en
courant sanguin, son action est physiologiquement fer d’où une tendance permanente à accroître son
de diminuer la concentration plasmatique du fer. taux de fer plasmatique. Le second mécanisme, beau-
Cette diminution repose sur un mécanisme essen- coup plus rare, est un état de résistance à l’hepcidine
tiel qui s’exerce en deux sites principaux. Le premier (celle-ci étant insuffisamment « reconnue » par son
site est le duodénum, lieu de l’absorption digestive récepteur ferroportine du fait de mutations rares
du fer [8]. Une fois en contact avec le pôle plasma- du gène qui la code) ; il en résulte un effet similaire
tique des entérocytes duodénaux, l’hepcidine se lie à celui de l’hypo-hepcidinémie, à savoir une sortie
à la ferroportine et induit son internalisation puis sa accrue de fer dans le plasma tant au niveau duodénal
dégradation ce qui a pour effet de diminuer la sortie que splénique, entraînant une hypersidérémie.
cellulaire du fer dans le plasma. La ferroportine est Le malade présentant un phénotype hémochromato-
en effet la seule protéine connue à ce jour sique est donc soit un « hepcidino-déficient »
capable d’exercer une fonction d’export soit un « hepcidino-résistant ».
du fer intracellulaire vers le plasma. Il
s’ensuit une baisse d’entrée du fer
Quel que soit le mécanisme de
dans le plasma et donc une baisse
l’hyper-sidérémie, la cascade
de la sidérémie et de la satura- Le sujet physiopathologique conduisant
tion de la transferrine. Le second hémochromatosique au phénotype est identique
site, cible du même mécanisme Il se produit, dans un premier
impliquant le duo hepcidine- se comporte comme temps, une augmentation de la
ferroportine, est la rate et s’il était charge en fer de la transferrine,
plus spécifiquement les macro- qui est la protéine transporteuse
phages spléniques (qui font par-
chroniquement de fer dans le plasma. La trans-
tie du système mésenchymateux) déficient en fer ferrine, normalement, est en excès
dont l’activité d’export du fer par dans le plasma ; la charge en fer de
la ferroportine est particulièrement la transferrine (correspondant au
forte. Il se produit donc, sous l’action de coefficient de saturation de la trans-
l’hepcidine, une diminution de la sortie du fer ferrine (CS-Tf) en fer) est alors inférieure
splénique (lequel provient de la dégradation des glo- à 45 %. En cas d’hémochromatose, le CS-Tf aug-
bules rouges sénescents), ce qui contribue à abaisser mente et lorsque ce taux dépasse 45 % une nouvelle
le taux de fer plasmatique circulant et la saturation forme de fer, dite fer non lié à la transferrine (FNLT)
de la transferrine. En termes de régulation physiolo- peut apparaître dans le plasma, qui a la propriété ciné-
gique, une baisse de la sidérémie (et/ou du stock cel- tique de cibler, non pas la moelle (pour contribuer à
lulaire du fer) entraîne une baisse de la production fabriquer de globules rouges) comme le fait le fer lié
hépatocytaire d’hepcidine qui, à son tour, conduit à à la transferrine, mais les différents organes paren-
une augmentation compensatrice de la sidérémie du chymateux et en tout premier lieu le foie (qui reçoit
fait d’une part d’une hyper-absorption digestive du fer, directement le sang en provenance du tube digestif
d’autre part d’une sortie accrue du fer splénique dans et de la rate et exprime une protéine qui peut le
le plasma. À l’inverse, un excès de fer plasmatique capter [ZIP 14]). Ce FNLT est donc à l’origine de
(et/ou du stock intracellulaire de fer) conduit physio- l’excès de fer dans les hépatocytes qui est l’une des
logiquement à une augmentation de l’hepcidinémie qui caractéristiques de la surcharge en fer hémochroma-
diminue la sortie (duodénale et splénique) du fer dans tosique. Mais, plus encore, le FNLT est à l’origine de
le plasma afin de rétablir l’homéostasie du fer. l’endommagement des organes surchargés. En effet,
lorsque le CS-Tf devient supérieur à 75 %, le FNLT
Alors que se passe-t-il dans l’hémochromatose ? peut se transformer en fer plasmatique réactif (FPR),
Cette régulation systémique du fer est profondé- encore appelé fer plasmatique labile, qui correspond
ment perturbée du fait des mutations en cause [9], à la forme toxique du fer circulant [10]. Le FPR est
selon deux principaux mécanismes. Le premier méca- défini par sa capacité à produire des espèces radi-
nisme, de loin le plus fréquent, est un défaut de syn- calaires oxygénées dont on sait la toxicité à l’égard
thèse hépatocytaire de l’hepcidine. Les liens entre tant des membranes cellulaires que des membranes
les mutations HFE (et non HFE) et le défaut de pro- des organites intracellulaires (mitochondries, réticu-
duction hépatocytaire de l’hepcidine, non encore lum endoplasmique, noyaux). Il s’ensuit des lésions des

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Figure 2. Classification actualisée des hémochromatoses.

© P. Brisso
cellules puis des organes cibles que sont notamment En résumé, le terme d’hémochromatose ne nécessite
le foie, le pancréas et le cœur [11] (figure 2). plus d’être complété du qualificatif « héréditaire » ou
« génétique » ; il recouvre des entités de surcharge en fer
La classification des surcharges en fer impliquant des mutations du gène HFE ou de gènes non
HFE mais donnant lieu, quelles que soient les mutations
hémochromatosiques considérées, à un mécanisme physiopathologique commun
Les hémochromatoses se classent en deux groupes : (déficit d’approvisionnement cellulaire en hepcidine)
à l’origine d’un syndrome d’hepcidino-déficience ou
Les hémochromatoses liées au gène HFE d’hepcidino-résistance se caractérisant par la triade :
Présentes quasi exclusivement dans la population cau- augmentation du CS-Tf plasmatique/surcharge en fer
casienne, elles sont dominées par l’hémochromatose préférentiellement hépatique (hépatocytaire)/absence de
liée à l’homozygotie C282Y donc au profil génétique surcharge en fer splénique (le fer de la rate étant massi-
C282Y/C282Y (ou, selon la nomenclature officielle, vement déversé dans le plasma).
p.Cys 282Tyr/p.Cys 282Tyr) qui affecterait plus de
six sujets caucasiens sur mille [12]. D’exceptionnelles Comment dès lors classer
situations d’hétérozygotie composite (C282Y/autre les surcharges en fer
mutation de HFE) peuvent causer une hémochro- non hémochromatosiques ?
matose. Cependant, ce n’est pas le cas de la plus fré-
quente des hétérozygoties composites (C282Y/H63D Elles sont de deux grands types.
ou pCys282Tyr/p.His83Asp) dont il est largement admis
qu’elle ne peut causer, à elle seule, une surcharge en fer Les surcharges en fer acquises
cliniquement significative [13]. Elles correspondent à trois situations principales.
La surcharge en fer transfusionnelle
Les hémochromatoses non liées au gène HFE
Les globules rouges étant très riches en fer (ils repré-
Rares, elles sont cependant présentes dans l’ensemble sentent la moitié du stock global de l’organisme en fer)
des populations, caucasienne ou non [14-16]. Elles sont et l’organisme humain étant très limité dans ses capacités
dues à des mutations de différents gènes qui entraînent d’accroître l’excrétion du fer, la multiplicité des transfu-
soit une hepcidino-déficience (gène de l’hémojuvéline sions, nécessitée dans les grandes situations d’anémie
ou HJV, gène de l’hepcidine ou HAMP, gène du récep- chronique (type thalassémies majeures [17] ou syn-
teur de la transferrine de type 2 ou TFR2) soit une dromes myélodysplasiques [18]) aboutit rapidement à
hepcidino-résistance (rares mutations du gène de la ferro- une surcharge en fer qui, au début de sa constitution, se
portine SLC40A1 affectant sa fonction de récepteur de démarque dans sa distribution tissulaire de la surcharge
l’hepcidine et non sa fonction d’export cellulaire du fer). en fer hémochromatosique par le fait que le dépôt de

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Les oligoéléments en santé
fer concerne en premier lieu, les macrophages spléniques La surcharge en fer qui en résulte a trois grandes carac-
(site de la dégradation des globules rouges endogènes téristiques physiopathologiques : elle est due à une
comme exogènes). Ultérieurement, cependant, la libé- rétention intracellulaire de fer (et non à une entrée
ration progressive dans la circulation sanguine de ce fer excessive de fer dans la cellule comme c’est le cas
splénique en excès conduit, comme dans l’hémochroma- dans l’hémochromatose) ; elle affecte en premier lieu
tose, à une élévation du CS-Tf avec apparition de FNLT les cellules mésenchymateuses et tout particulièrement
(et donc surcharge hépatocytaire) et de FPR (et donc les macrophages de la rate (il s’agit donc avant tout
dommage tissulaire). d’une surcharge splénique, les macrophages y étant bien
plus nombreux qu’au niveau du foie) ; cette surcharge,
La surcharge en fer par supplémentation avant tout macrophagique splénique, ne s’accompagne
parentérale excessive de fer pas d’une hyper-sidérémie, le taux de fer plasmatique
Des dépassements posologiques dans l’administration de (et partant le CS-Tf) étant soit normal soit modéré-
fer intraveineux (pour saignement digestif chronique ou ment abaissé (puisque la sortie du fer dans le plasma est
dans le cadre de l’hémodialyse rénale) [19,20] peuvent entravée). Cette affection illustre le fait qu’une authen-
être source de surcharge en fer importante. Cette sur- tique surcharge viscérale de l’organisme peut exister en
charge présente des caractéristiques à la fois proches de la l’absence de toute élévation du CS-Tf. Autre point, en
surcharge transfusionnelle dans la mesure où les formes de l’absence d’augmentation du CS-Tf, il n’y a pas de FNLT
fer injectées correspondent à des macromolécules ciblant plasmatique, donc pas non plus de FRP, expliquant sans
le système mésenchymateux (macrophages de la rate, du doute qu’en dépit d’une forte surcharge en fer splé-
foie, de la moelle), et proches de l’hémochromatose car nique il s’agisse d’une maladie relativement peu sévère.
du FNLT peut se former par dissociation du complexe
administré au décours immédiat de l’injection. L’acéruloplasminémie héréditaire
Maladie rare, sa physiopathologie demeure mal com-
La surcharge en fer par dysérythropoïèse prise. En effet, l’hypothèse classique est que la surcharge
L’érythropoïèse inefficace, observée notamment dans les en fer serait la conséquence d’un défaut de sortie du
thalassémies et dans les myélodysplasies, peut être à l’ori- fer cellulaire (à l’image du mécanisme impliqué dans la
gine d’une surcharge en fer [21] dont le mécanisme précis maladie de la ferroportine) lié à la perte de l’activité fer-
n’a été que récemment élucidé. On sait en effet mainte- roxydase plasmatique de la céruloplasmine, ce qui entra-
nant que cette dysérythropoïèse stimule la production verait la fixation du fer sur la transferrine plasmatique
médullaire de l’érythroferrone, hormone qui agit au niveau et, en amont, altérerait la fonction d’export de la ferro-
du foie en diminuant la synthèse de l’hepcidine [22-24]. On portine [27]. Or ce mécanisme, qui pourrait expliquer
se trouve donc dans une situation d’hepcidino-déficience l’hyposidérémie (et la baisse du CS-Tf) avec anémie, ne
acquise dont les conséquences miment celles observées cadre pas avec la distribution tissulaire de la surcharge
dans l’hémochromatose (se reporter à la « triade hémo- en fer qui mime celle de l’hémochromatose à savoir une
chromatosique » ci-dessus précisée). C’est ce mécanisme surcharge hépatocytaire sans surcharge splénique (alors
qui explique que dans les formes de thalassémie qui ne qu’il n’y a pas d’hypohepcidinémie) [28]. En outre, l’acé-
requièrent pas de transfusions, ou qu’avant toute transfu- ruloplasminémie héréditaire est la seule affection de sur-
sion dans la thalassémie majeure ou dans les syndromes charge génétique en fer qui comporte une surcharge en
myélodysplasiques, puisse se développer une surcharge en fer cérébrale avec risque de signes neurologiques.
fer de type hémochromatosique aux conséquences viscé-
rales parfois très dommageables [25].
En résumé, il existe plusieurs causes de surcharge en fer Approche diagnostique
acquises. Elles ne doivent plus être appelées « hémochro-
Sa grande caractéristique est d’être devenue une
matoses secondaires » dans la mesure où le terme d’hé-
démarche non invasive, au sens où elle ne requiert plus
mochromatose implique la nature génétique d’une sur-
de ponction-biopsie hépatique et repose sur la triade
charge en fer.
clinique, biologie, imagerie.
Les surcharges en fer génétiques
non hémochromatosiques Diagnostic de l’hémochromatose
Seules seront ici évoquées deux d’entre elles.
liée à HFE
Données cliniques
La maladie de la ferroportine
Trois grandes notions dominent le diagnostic clinique [9].
Rare, cette affection [26] est en rapport avec des
mutations spécifiques, différentes de celles qui causent La prise en compte de l'ethnicité
l’hepcidino-résistance, du gène de la ferroportine Le diagnostic d’hémochromatose-HFE ne se pose en
(SLC40A1) qui impactent sa fonctionnalité d’export pratique que chez un sujet caucasien. Il convient tou-
du fer (et non celle de récepteur de l’hepcidine). tefois de garder à l’esprit que la mixité ethnique peut

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favoriser la survenue d’une hémochromatose HFE et mais qu’une élévation du CS-Tf peut survenir dans bien
qu’un cas d’hémochromatose HFE a été récemment d’autres circonstances que l’hémochromatose [31].
rapporté chez un sujet chinois [29]. Pour bien appréhender ces situations qui peuvent prê-
ter à confusion, l’interprétation du CS-Tf ne doit pas
L’histoire naturelle de l’hémochromatose HFE se limiter à la prise en compte du seul pourcentage
Elle reste asymptomatique cliniquement jusqu’à l’âge mais s’attacher aux variations des deux composantes
adulte. de la fraction conduisant à ce pourcentage, à savoir
d’une part le numérateur qui est le taux de fer plas-
Lorsque la maladie s’exprime cliniquement matique (valeurs normales entre 12,5 et 25 μmol/L),
Elle apparaît à partir de 30-40 ans chez l’homme et d’autre part le dénominateur qui est la concentration
une dizaine d'’années plus tard chez la femme, son de transferrine plasmatique (valeurs normales entre 2
tableau a considérablement changé au fil du temps [30]. et 4 g/L). Concernant une augmentation du CS-Tf par
Les trois syndromes qui prédominent, diversement augmentation de la sidérémie, peuvent être en cause :
associés, sont en effet aujourd’hui la fatigue chronique une surcharge en fer acquise (par transfusions multiples,
physique, psychologique voire sexuelle ; l’atteinte par supplémentation parentérale excessive de fer, ou
ostéoarticulaire avec des arthropathies très évocatrices par dysérythropoïèse) ; une cytolyse (les transaminases
lorsqu’elles touchent les deuxième et troisième articu- sont alors nettement augmentées) ; quant à l’hémo-
lations métacarpo-phalangiennes ou les che- lyse intravasculaire, elle est plus cause d’hy-
villes et s’associent à une ostéoporose ; per-hémoglobinémie que d’hyper-sidéré-
la mélano-dermie touchant les régions mie mais peut néanmoins augmenter le
découvertes mais aussi les mamelons CS-Tf. Une augmentation du CS-TF
et les organes génitaux externes. peut aussi être due à une baisse
Ces syndromes altèrent la qua- L’élévation du de la transferrinémie, laquelle
lité de vie sans compromettre le peut survenir en cas d’insuffi-
pronostic vital. Il n’en est pas de
CS-Tf plasmatique est sance d’apport protidique (mal-
même des autres syndromes qui le marqueur de routine nutrition), d’excès de fuites pro-
sont moins fréquemment obser- tidiques (protéinurie massive du
vés : le diabète insulino-dépen-
le plus précoce de
syndrome néphrotique), de défaut
dant ; l’atteinte hépatique qui peut l’hémochromatose de synthèse hépatique en cas d’in-
se traduire par une hépatomégalie suffisance hépatique grave aiguë
et évoluer vers une cirrhose ; cette (hépatite fulminante) ou chronique
cirrhose hémochromatosique a la par- (cirrhose évoluée : ainsi un malade cir-
ticularité d’entraîner très peu de dysfonc- rhotique avec décompensation ascitique et
tionnement hépatique en sorte que ces malades ictère peut avoir un CS-Tf à 100 % en raison d’un
(hors de co-facteurs d’hépatotoxicité associés tels que taux de transferrine effondré sans que soit en cause
l’alcool ou la stéatohépatite non alcoolique) n’évoluent la moindre surcharge en fer). Il faut également savoir
pas vers l’insuffisance hépatique ou l’hypertension por- qu’il existe des variations génétiques interindividuelles
tale mais sont particulièrement exposés au risque de dans la capacité de produire la transferrine [32] et que
développement au long cours d’un carcinome hépato- ces hypo-transferrinémies héréditaires peuvent augmen-
cellulaire ; quant à l’atteinte cardiaque, classiquement à ter le CS-Tf sans qu’une réelle pathologie soit en arrière-
type de troubles du rythme voire d’insuffisance car- plan (contrastant avec l’atransferrinémie héréditaire,
diaque, elle s’avère globalement peu fréquente dans situation rarissime de surcharge génétique en fer non
l’hémochromatose HFE. hémochromatosique [33]). Une alternative au dosage
de la transferrinémie (par immuno-néphélométrie
Données biologiques ou immuno-turbidimétrie) est la mesure indirecte de
Elles se situent à trois niveaux. la transferrine par le dosage biochimique de la capa-
cité totale de fixation du fer (total iron binding capacity :
Paramètres sanguins du fer TIBC) ou de la capacité latente de fixation du fer
◗ L’élévation du CS-Tf plasmatique (unsaturated iron binding capacity : UIBC). Les mesures
Elle est le marqueur de routine le plus précoce de du TIBC et de l’UIBC consistent à saturer les sites de
l’hémochromatose (elle reflète l’hypo-hepcidinémie liaison du fer par l’ajout d’une quantité connue de fer
originelle). Rappelons qu’en France le CS-Tf a remplacé à l’échantillon, puis à mesurer l’excès de fer non lié.
le seul dosage de la sidérémie depuis 2017. Dans l’hé- L’UIBC est la quantité correspondant à la différence
mochromatose, le CS-Tf est souvent supérieur à 60 % entre le fer ajouté et l’excès de fer. Le TIBC est la
chez l’homme et à 50 % chez la femme et « tutoie » somme de l’UIBC et du fer plasmatique. L’utilisation
parfois le plafond de 100 %. Il importe de garder à l’es- préférentielle de la mesure directe de la concentration
prit qu’un CS-Tf normal écarte une hémochromatose de transferrine par rapport au TIBC ou à l’UIBC est

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Les oligoéléments en santé
justifiée par les éléments suivants : le TIBC peut impliquer artérielle, le diabète, l’hypercholestérolémie, l’hyperu-
d’autres protéines que la transferrine comme vecteurs ricémie, la stéatose hépatique (repérée en échogra-
du fer, ce qui entraîne un risque de surestimation du TIBC phie) sont autant de composantes dysmétaboliques
et donc de sous-estimation du CS-Tf ; en outre, la varia- qui, plus ou moins associées, peuvent s’accompagner
bilité des méthodes indirectes peut atteindre 35 % alors d’une hyperferritinémie qui a pour caractéristiques
que l’introduction de la norme internationale CRM 470 d’être inférieure à 1 000 ng/mL et de s’accompagner
a réduit de manière significative les variations inter-labo- d’un CS-Tf normal ce qui exclut une hyper-ferriti-
ratoires pour les mesures de la transferrine. Toutefois, némie hémochromatosique. L’inflammation est une
ces techniques TIBC ou UIBC sont moins coûteuses, ce autre situation qui peut causer une hyperferritinémie
qui explique qu’elles puissent rester utiles, notamment (la ferritine étant aussi une protéine de la réaction
dans certains pays. inflammatoire) d’où l’intérêt de coupler son dosage
◗ L’élévation de la ferritinémie avec celui de la CRP (protéine C-réactive). Donnée
Définie en général comme une augmentation du taux d’importance, en cas d’inflammation, le CS-Tf est
de ferritine [34] au-delà de 300 ng/mL chez l’homme abaissé (du fait de l’hyposidérémie en rapport avec
et de 200 ng/mL chez la femme, elle reflète une aug- une hyper-hepcidinémie dont le mécanisme n’est pas
mentation du stock global de fer de l’organisme (la une surcharge en fer mais l’inflammation elle-même
ferritine plasmatique provenant de la ferritine intra- notamment par le biais de l’interleukine-6 [36]).
cellulaire qui est la protéine de stockage du fer). Dans L’alcoolisme est aussi un facteur d’hyperferritinémie,
l’hémochromatose, l’hyperferritinémie ne se consti- l’alcool augmentant la synthèse de ferritine. L’origine
tue donc qu’après une longue phase d’élévation iso- alcoolique d’une hyperferritinémie peut être suggérée
lée du CS-Tf. Autrement dit, une hémochromatose, si par les fluctuations de son taux au gré des fluctuations
elle s’associe toujours à une augmentation du CS-Tf, de la consommation d’alcool. Biologiquement, il est
peut s’accompagner d’une ferritinémie « normale ». donc utile d’accompagner le dosage de ferritinémie
Il convient cependant de relativiser cette notion de d’un contrôle de la GGT (gamma-glutamyl-transpep-
normalité. En effet, d’une part ne raisonner qu’en tidase) et du VGM (volume globulaire moyen des éry-
limites supérieures de la normale expose au risque throcytes), le couple hyperGGT-macrocytose (définie
de méconnaître la signification pathologique d’un par VGM supérieur à 100 fL) étant très évocateur d’un
paramètre lorsqu’il approche de cette limite ; d’autre alcoolisme chronique. Enfin, une franche cytolyse peut
part (et cette notion rejoint la précédente) il ne faut aussi être source d’hyperferritinémie d’où l’intérêt de
pas interpréter les données chiffrées uniquement en coupler le dosage de ferritinémie à celui des transa-
termes statiques mais, autant que faire se peut, dispo- minases. En pratique, lorsqu’une hyperferritinémie est
ser d’une cinétique, laquelle lorsqu’elle fait apparaître rapportée à une hémochromatose, elle est considérée
une croissance, même très progressive, du paramètre comme modérée entre la limite supérieure de la nor-
considéré témoigne d’un processus pathologique male (de l’ordre de 300 ng/mL chez l’homme et de
sous-jacent. Différentes méthodes immunologiques 200 ng/mL chez la femme) et 500 ng/mL, franche de
de dosage de la ferritinémie peuvent être utilisées 500 à 1 000 ng/mL, et majeure au-delà.
avec une performance similaire [35]. Ici encore, l’inter-
prétation de ce paramètre biologique doit être rigou-
◗ Les autres paramètres sanguins du fer
reuse. Alors qu’une hypoferritinémie traduit toujours
un manque de fer de l’organisme, une hyperferritiné- L’hémogramme est surtout utile en montrant l’absence
mie peut être présente dans de nombreuses situa- d’anémie en cas d’hémochromatose (ce qui la différen-
tions pathologiques autres que l’hémochromatose. cie des surcharges en fer acquises et des rares formes
Ainsi, toutes les formes de surcharge en fer (géné- de surcharges génétiques en fer où peut se développer
tiques ou acquises) entraînent une hyperferritinémie. une anémie telle que l’acéruloplasminémie héréditaire).
Il convient de préciser que le niveau d’hyperferriti- Le dosage de la céruloplasminémie est l’examen de
némie dépend de la localisation cellulaire du fer en première ligne en cas de suspicion d’acéruloplasminé-
excès. Ainsi, à équivalence de charge cellulaire en fer, le mie héréditaire. Il peut être associé à celui de l’activité
taux de ferritinémie est sensiblement plus important ferroxydase plasmatique qui, comme la céruloplasmi-
en cas de surcharge en fer macrophagique (surcharge némie, est effondrée dans cette affection. Le dosage
transfusionnelle, maladie de la ferroportine) que lors de l’hepcidinémie, par méthode immuno-enzymatique
d’une surcharge hépatocytaire (telle que celle causée ou par spectrométrie de masse, relève de laboratoires
par l’hepcidino-déficience au cours de l’hémochroma- spécialisés et reste d’une portée pratique limitée. Il en
tose ou de la dysérythropoïèse). En outre, plusieurs est de même du dosage des nouvelles formes circu-
situations autres que l’excès en fer peuvent générer lantes de fer telles que le FNLT et le FPR. De manière
une hyperferritinémie. La situation de loin la plus fré- pragmatique, il est utile de rappeler au clinicien que la
quente est le syndrome métabolique : l’excès pondéral, probabilité de la présence de FPR est très grande dès
l’augmentation du périmètre abdominal, l’hypertension lors que le CS-Tf est supérieur à 75 %.

REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES • N° 533 • JUIN 2021 39


Dossier scientifique

Tests génétiques ◗ Secteur pancréatique

L’hémochromatose HFE correspond à la présence de la Dosage de la glycémie.


mutation C282Y à l’état homozygote. Le prélèvement
◗ Secteur gonadique
sanguin (ou jugal), comme pour tout test génétique, ne Dosage de la testostéronémie.
peut être réalisé qu’avec l’accord écrit du patient, et le
détail de son résultat adressé au médecin prescripteur. ◗ Secteur cardiaque
La seule présence d’une hétérozygotie C282Y ne per- Intérêt, en cas de défaillance cardiaque, des dosages
met pas de conclure à une hémochromatose car il s’agit de BNP (brain natriuretic peptide) ou de NT-pro-BNP
d’une maladie récessive. Comme indiqué précédemment (N terminal-pro-BNP).
il existe d’exceptionnels cas d’hétérozygotie composite
(C282Y/autre mutation de HFE) pouvant donner lieu Données d’imagerie
à une véritable hémochromatose HFE [37] mais l’hé- L’apport de l’imagerie par résonance magnétique
térozygotie composite la plus fréquente C282Y/H63D (IRM) dans le diagnostic de l’hémochromatose est
ne s’inscrit pas dans ce cadre ; tout au plus peut-elle majeur [39]. Cette imagerie permet au niveau du foie
s’accompagner d’une élévation du CS-Tf (mais en règle d’affirmer la surcharge en fer en montrant un hyposignal
inférieure à 75 %) sans élévation de la ferritinémie. Ce (assombrissement du foie) en séquence T2, et de la
profil génétique est donc largement admis comme ne quantifier en fournissant une concentration en fer ren-
pouvant donner lieu à une surcharge en fer cliniquement due possible par l’excellente corrélation entre le degré
significative. Il représente cependant un très probable d’hyposignal et l’augmentation de la charge en fer. Cette
facteur favorisant pour « booster » l’hyper-ferritinémie concentration hépatique en fer en IRM a désormais
en cas de syndrome métabolique ou d’alcoolisme chro- remplacé celle qui était réalisée sur un fragment de
nique [13]. Quant à la mutation H63D elle-même, qu’elle biopsie hépatique. L’IRM permet aussi de détecter la
soit à l’état hétérozygote simple ou homozygote, elle n’a surcharge en fer aux niveaux pancréatique, cardiaque et
pas de signification pathologique. C’est pourquoi il n’est hypophysaire. L’IRM fournit également une indication
pas recommandé en France de rechercher systématique- précieuse quant à l’origine de la surcharge en fer par
ment cette mutation H63D qui a été, et demeure, source l’étude comparative de la charge en fer hépatique et
de beaucoup de confusion diagnostique. splénique.Ainsi, dans l’hémochromatose évoluée, l’image
typique est celle d’un foie « noir » (par hyposignal
Examens biologiques conséquences d’une atteinte extrême) et d’une rate « blanche » (par absence totale
viscérale hémochromatosique d’excès en fer), le contraste IRM entre ces deux organes
◗ Secteur hépatique apportant un très fort argument en faveur d’une sur-
Une hyper-transaminasémie peut traduire une surcharge charge en fer liée à mécanisme d’hypo-hepcidinémie
hépatique en fer (surcharge souvent très marquée). Cette (figure 3).
élévation des transaminases
est chronique mais modérée Figure 3. Hémochromatose.
(en règle inférieure à deux ou
trois fois la limite supérieure
de la normale). Elle doit faire
rechercher une hémochro-
matose chaque fois qu’elle ne
s’avère pas en rapport avec
une origine médicamenteuse,
dysmétabolique, alcoolique, ou
virale. Les tests sanguins de
© P. Brisso – courtoisie du Pr.Y. Gandon.

fibrose hépatique (Fibrotest®,


Fibromètre®), en complément
de l’imagerie par élastographie
(Fibroscan®) [38], font partie
des outils biologiques d’inté-
rêt pour établir le diagnostic
de cirrhose qui, lorsqu’elle
est prouvée, impose un suivi
particulier destiné à dépister Image IRM typique en séquence T2 (surcharge en fer massive du foie contrastant avec l’absence
l’émergence d’un carcinome de surcharge de la rate).
hépatocellulaire.

40 REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES • N° 533 • JUIN 2021


Dossier scientifique
Les oligoéléments en santé

Diagnostic des hémochromatoses surcharge génétique en fer dont le mode de transmission


non liées à HFE est dominant). Les mutations causales du gène SLC40A1
(affectant la fonction d’export cellulaire du fer) seront
Il se superpose globalement à celui des hémochroma- identifiées par un centre expert.
toses liées à HFE, avec les différences suivantes.
L’acéruloplasminémie héréditaire
Cliniquement L’acéruloplasminémie héréditaire [41] se présente volon-
Ces hémochromatoses non liées à HFE peuvent s’ob- tiers sous forme d’une anémie microcytaire avec franche
server dans des ethnies très diverses ; elles corres- hyposidérémie (et baisse tout aussi nette du CS-Tf),
pondent le plus souvent à des atteintes du sujet jeune contrastant avec une franche hyper-ferritinémie (en l’ab-
(hémochromatoses dites juvéniles liées aux mutations sence de tout syndrome inflammatoire). Un diabète peut
HJV et HAMP et parfois aux mutations TFR2) avec des être présent, de même que des signes neurologiques
surcharges en fer majeures avant l’âge de 30 ans et (notamment des mouvements anormaux). L’étape déter-
des complications viscérales nettement plus sévères minante du diagnostic est le repérage d’un effondrement
que dans l’hémochromatose HFE aux plans hépatique, de la céruloplasminémie (et de l’activité ferroxydase plas-
cardiaque, pancréatique et hypophysaire.
matique de la céruloplasmine) ; constatation qui ouvre
la voie à l’identification des mutations causales
Biologiquement du gène de la céruloplasmine (CP) par un
Le CS-Tf est le plus souvent à 100 % et
laboratoire spécialisé.
la ferritinémie à plusieurs milliers de
ng/mL. Le diagnostic génétique relève
de centres experts qui identifieront
Il existe une bonne Approche
les mutations causales (HJV, HAMP,
TFR2, mutations SLC40A1 affectant corrélation entre thérapeutique
la fonction de récepteur de la fer- la charge totale de
roportine). Cette identification se Seul sera abordé le traitement de
fait de plus en plus en recourant à l’organisme en fer l’excès en fer.
la technologie NGS (Next Genera- et le taux de
tion Sequencing) qui présente l’inté- Les saignées
rêt de fournir une très grande quan- ferritinémie
Elles sont, et resteront pour long-
tité de données de séquençage avec
temps, le pilier thérapeutique pour
cependant la difficulté que cette masse
assurer l’élimination du fer en excès chez
de résultats génère face à la mise en évidence
le sujet hémochromatosique [42]. En effet,
de nombreux variants dont le caractère pathogé-
cette approche est simple, efficace, globalement bien
nique ou non reste délicat à établir [15].
tolérée et peu coûteuse. Elle n’est toutefois pas idéale
pour des raisons à la fois théoriques (la soustraction
En imagerie
Ce sont surtout les formes juvéniles qui justifient l’éva- sanguine stimule l’absorption digestive de fer) et pra-
luation de la charge en fer par IRM aux niveaux car- tiques (des effets secondaires sont possibles [43], sans
diaque et hypophysaire. parler de la difficulté croissante en France pour les
malades d’avoir accès à ce traitement pour des raisons
Diagnostic des surcharges organisationnelles).
en fer génétiques non Pour le suivi biologique de l’efficacité des saignées
hémochromatosiques en cas d’hémochromatose, il importe de prendre en
compte les données ci-dessous.
La maladie de la ferroportine
La maladie de la ferroportine [40] pose le plus souvent le
problème d’une hyperferritinémie majeure, sans élévation Pour le traitement d’induction
du CS-Tf, et sans signes cliniques notoires (notamment Pour la phase initiale de saignées hebdomadaires, des-
sans cataracte comme dans le syndrome ferritine-cata- tinée à éliminer l’excès en fer constaté lors du dia-
racte, et sans splénomégalie ou signes osseux comme gnostic, le suivi biologique repose avant tout sur la
dans la maladie de Gaucher) ; en IRM la surcharge en fer ferritinémie. En effet, il existe une bonne corrélation
est majeure au niveau de la rate (qui est « noire »), alors entre la charge totale de l’organisme en fer et le taux
que la surcharge en fer hépatique n’est que modérée de ferritinémie, l’objectif essentiel étant d’atteindre
(foie « gris » en rapport avec la surcharge des cellules une concentration de l’ordre de 50 ng/mL. Le rythme
macrophagiques ou cellules de Kupffer). Donnée impor- de surveillance est d’abord mensuel puis bimensuel
tante, des cas d’hyperferritinémie sont retrouvés chez les à partir du moment où la ferritinémie a atteint
parents du premier degré (s’agissant de la seule forme de les limites supérieures « standard » de la normale

REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES • N° 533 • JUIN 2021 41


Dossier scientifique

(300 ng/mL chez l’homme, 200 ng/mL chez la femme). d’hepcidine ou de mini-hepcidines de synthèse, soit
Par contre, le CS-Tf n’est pas un bon indicateur de suivi par stimulation de la synthèse endogène d’hepcidine
pendant la quasi-totalité de cette phase d’induction car en ciblant l’un des maillons moléculaires de la chaîne
il reste très élevé et ne s’effondre qu’assez brutalement de synthèse ;
dès lors que la ferritinémie avoisine les 50 ng/mL. Il ◗ l'administration par voie orale d’un composé antago-
n’est donc utile de le vérifier que pendant cette phase niste de la ferroportine (dans sa fonction d’export cel-
d’obtention de la désaturation qui, au mieux, corres- lulaire du fer). Ces différentes approches innovantes ont
pond à une ferritinémie d’environ 50 ng/mL associée à obtenu leur « preuve de concept » sur des modèles ani-
un CS-Tf inférieure à 50 %. maux (souris transgéniques hémochromatosiques) [46].
Plusieurs sont en phase clinique de type 1 [47].
Pour le traitement d’entretien
Ce traitement dure théoriquement pour le reste de la Conclusion
vie et vise à empêcher la reconstitution progressive de
la surcharge. Le marqueur essentiel du suivi d’efficacité L’apport de la biologie est essentiel dans le domaine des
est ici encore la ferritinémie qu’il convient de maintenir hémochromatoses en trois secteurs :
vers 50 ng/mL.Toutefois, le fait qu’un sous-groupe consé- ◗ la compréhension physiopathologique avec le rôle
quent de sujets hémochromatosiques présente en per- déterminant joué par l’insuffisance en hepcidine, hor-
manence un CS-Tf élevé ou très élevé (supérieur à 75 %) mone de la régulation systémique du fer, pour le déve-
en dépit d’une ferritinémie de l’ordre de 50 ng/mL et que loppement de la surcharge en fer ;
ces sujets pourraient être exposés à des complications
◗ l’approche diagnostique par la fourniture de paramètres
cliniques (fatigue, arthropathies) [44] incite à proposer un
contrôle systématique, par exemple deux fois par an, de sanguins précieux tant biochimiques pour suspecter,
ce paramètre afin de s’assurer que le malade n’appartient affirmer et quantifier l’excès en fer (CS-Tf, ferritine)
pas à ce sous-groupe potentiellement à risque. que génétiques pour identifier les mutations causales ;
◗ l’approche thérapeutique en permettant de suivre
Autres traitements l’efficacité du traitement, aujourd’hui essentiellement sur
la ferritinémie, mais dans l’avenir, lorsque des traitements
Chélation orale du fer
Elle n’a qu’une place extrêmement limitée dans l’hé- innovants deviendront opérationnels, en se basant
mochromatose, d’autant que le seul chélateur qui ait sur la normalisation de l’hepcidinémie, garante de la
démontré son efficacité dans l’hémochromatose (le restauration de l’homéostasie du fer. QQ
déférasirox) n’a pas d’autorisation de mise sur le mar-
ché dans cette indication [45]. Ce médicament, qui Pierre Brissot déclare les liens d’intérêts suivants : Novar-
n’est pas dénué d’effets secondaires (en règle modé- tis, Ionis Pharmaceuticals, La Jolla Pharmaceutical Company,
rés) digestifs, rénaux ou hépatiques, ne peut donc être Protagonist Therapeutics ; les autres auteurs déclarent ne
prescrit qu’avec le consentement éclairé du patient et pas avoir de liens d’intérêts en lien avec cet article.
sous la responsabilité personnelle du prescripteur. Ses
principales indications dans l’hémochromatose sont :
Points à retenir
◗ les exceptionnelles situations d’intolérance psycho-
logique aux saignées, un système veineux inaccessible ◗tLes hémochromatoses sont des surcharges géné-
ou un terrain cardiovasculaire à risque ; tiques en fer en rapport essentiellement avec une
◗ la situation d’hémochromatose juvénile qui constitue hepcidino-déficience.
une urgence thérapeutique pouvant inciter à adjoindre ◗tL’élévation, dans le plasma, du coefficient de saturation
aux saignées une chélation orale. de transferrine et de la ferritinémie est la base biolo-
gique pour, respectivement, suspecter ces affections et
Futures voies thérapeutiques quantifier l’excès en fer.
Elles se fixent pour objectif, en se basant sur les avan- ◗tL’hémochromatose liée au gène HFE (C282Y/C282Y)
cées physiopathologiques dans le domaine des sur- est de loin la forme la plus fréquente chez les sujets
charges génétiques en fer, de restaurer l’homéostasie caucasiens.
du fer par une approche non plus symptomatique (éli-
◗tL’IRM a pris une place déterminante pour rendre le
mination de la surcharge en fer constituée) mais étio-
diagnostic non invasif.
logique (empêchement de son développement ou de sa
reconstitution après obtention de la « désaturation » ◗tLes saignées restent le pilier thérapeutique pour élimi-
par les saignées). Deux grandes voies sont ouvertes : ner la surcharge en fer mais des approches innovantes
ciblées sur la normalisation de l’hepcidinémie consti-
◗ la supplémentation en hepcidine qui pourrait se
tuent la voie d’avenir.
faire soit par administration exogène (sous-cutanée)

42 REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES • N° 533 • JUIN 2021


Dossier scientifique
Les oligoéléments en santé

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